Skip to main content

Full text of "Voyages dans les deux Siciles et dans quelques parties des Apennins"

See other formats


* ■ *•  „ 


Bâte 


/ 


VOYAGES 

DANS 

LES  DEUX  SICILE  S. 


Digitized  by  the  Internet  Archive 
in  2017  with  funding  from 
Getty  Research  Institute 


https://archive.org/details/voyagesdanslesde34spal 


VOYAGES 

DANS  LES  DEUX  SICILES 

ET  DANS 

QUELQUES  PARTIES  DES  APENNINS, 

Par  Spallanzani  , Professeur  THistoire  naturelle 
dans  Puniversité  de  Pavie. 

! Traduits  de  V Italien  par  G . TOSCAN  , Bibliothécaire 
du  Muséum  national  d’ Histoire  naturelle  de  Taris  ^ 
avec  des  notes  du  cit.  F A UJAS-DE-St.-Fond. 

TOME  TROISIÈME. 


A PARIS, 

Chez  Mar  ad  an  , Libraire,  rue  Pavée- André -des -Arcs, 
n°.  16. 


AN  VIII, 


' - 7 


l 


VOYAGES 

DANS 

LES  DEUX  SICILES. 


CHAPITRE  XVI. 

; " t 

Description  de  Vintérieur  de  Vile  de  Lipari . 

SECONDE  PARTIE. 

O N parvient  difficilement  à la  connaissance 
exacte  de  la  disposition  intérieure  d’un  pays  mon* 
tueux  et  volcanisé  , si  Ton  ne  commence  par  se 
former  une  idée  juste  de  son  ensemble.  Il  faut 
pour  cela  se  placer  au  sommet  de  la  montagne 
la  plus  élevée , la  bien  examiner  , porter  ensuite 
ses  regards  sur  les  monts  inférieurs  qui  l’envi- 
ronnent, observer  leurs  formes,  leurs  entrela- 
cemens , les  relations  qu’ils  ont  entr’eux  et  avec 
la  montagne  principale. 

Après  avoir  fait  le  tour  de  Pile  de  Lipari  et 
Tome  III . A 


2 


VOYAGE  S 

étudié  ses  rivages,  je  me  transportai  sur  le  mont 
Saint-^4ngelo , situé  au  nord  de  la  ville  : c’est  le 
plateau  le  plus  éminent  de  l’île.  En  la  considérant 
de  cette  hauteur,  je  ne  lui  trouvai  point  cette  figure 
conique  qui  est  propre  aux  îles  de  Stromboli  et 
de  Vulcanô;  elle  me  parut  au  contraire  fort  irré- 
gulière , et  ne  me  laissa  voir  que  divers  groupes 
de  montagnes  à moitié  dégradées , et  disposées 
d’une  manière  très-confuse.  Je  jugeai  que  les 
feux  volcaniques  avaient  travaillé  cette  île  en 
tous  sens 5 que , par  la  proximité  de  leurs  foyers, 
ils  n’avaient  pu  former  ces  cônes  distincts  qui 
sont  si  bien  exprimés  sur  le  Vésuve , sur  l’Etna; 
et  que  les  éruptions  des  volcans  supérieurs  s’étant 
répandues  sur  les  volcans  inférieurs  , n’avaient 
produit  que  désordre  et  confusion. 

De  la  cime  de  l’Etna,  je  découvrais  au-dessous 
de  moi  une  multitude  de  cratères  bien  caracté- 
risés ; ici  je  ne  pus  en  reconnaître  distinctement 
un  seul.  Je  vis  à la  vérité  des  creux  , des  en- 
foncemens , qui  probablement  étaient  autrefois 
des  bouches  volcaniques  ; mais  elles  ne  con- 
servaient plus  la  figure  d’un  entonnoir  , soit  que 
des  éruptions  subséquentes  les  eussent  démolies 
et  comblées  en  partie , soit  que  le  temps  eût 
opéré  leur  ruine. 

Doîomieu  remarqua  sur  la  cime  du  Saint - 


DANS  Ll  8 DEUX  5ICILES.  3 

yingelo  un  bassin  , ou  plaine  circulaire  entourée 
de  collines,  dont  l’escarpement  regardait  l’inté- 
rieur de  l’enceinte , et  il  les  prit  pour  les  vestiges 
d’un  ancien  cratère.  Après  avoir  examiné  ce  lieu, 
je  ne  trouvai  pas  sa  conjecture  invraisemblable. 
Il  se  persuada  que  cette  montagne  était  la  prin- 
cipale et  la  première  de  l’île  3 qu’elle  se  forma 
avant  toutes  les  autres  3 qu’elle  devint  le  premier 
soupirail  du  volcan  , et  servit  de  base  et  de  point 
d’appui  à toutes  celles  qui  s’élevèrent  postérieu- 
rement. J’adoptai  son  idée , mais  je  ne  pus  m’em- 
pêcher de  l’appliquer  également  à la  montagne 
délia  Guardia , située  au  sud , peu  inférieure 
au  Saint-^d  ngelo  en  hauteur,  et  faisant  corps 
à part.  Je  pensai  que  deux  volcans  distincts 
avaient  donné  naissance  à ces  deux  montagnes; 
qu’elles  sortirent  presqu’en  même  temps  du  sein 
de  la  mer  ; qu’elles  formèrent  dans  le  principe 
deux  petites  îles  qui , s’étant  étendues  peu  à peu, 
se  réunirent  en  une  seule  par  leurs  bases  3 que 
cette  île  unique  se  fortifia,  s’accrut  à mesure 
qu’il  survint  de  nouvelles  éruptions,  et  qu’elle 
acquit  ainsi  une  extension  bien  plus  considérable 
que  celle  dont  elle  jouit  aujourd’hui  5 puisque 
les  dévastations  que  la  mer  exerce  sur  ses  ri- 
vages, et  les  dégradations  que  les  eaux  pluviales 
amènent  dans  son  intérieur  , lui  causent  une  dé- 
perdition continuelle  de  matières. 

A 2 


VOYAGES 


4 

_ Je  descendis  du  mont  Saint  - ^ ingelo  pour 
aller  visiter  celui  délia  Guardia . Autant  son 
approche  est  difficile  du  côté  delà  mer  , où  elle 
est  défendue  par  des  escarpemens  de  laves  dé- 
nuées de  végétation  et  d’un  aspect  horrible,  au- 
tant elle  est  facile  et  commode  du  côté  de  la 
terre , où  ses  pentes  sont  douces  , couvertes  de 
vignobles  qui  croissent  sur  un  fond  de  tuffa  , 
‘substance  volcanique  la  moins  rebelle  à la  cul- 
ture. Parvenu  sur  son  sommet,  je  me  confirmai 
dans  l’opinion  que  cette  montagne  ne  dérive 
point  de  celle  de  Saint-^dngelo , tant  par  son 
éloignement , que  par  un  large  vallon  qui  les 
sépare  de  l’est  à l’ouest,  et  qu’elle  ne  doit  sa 
formation  qu’à  elle-même. 

Ayant  suffisamment  examiné  ces  deux  mon- 
tagnes , les  plus  éminentes  de  l’île , je  me  mis 
à parcourir  les  monts  inférieurs.  Je  cherchai  vai- 
nement les  vestiges  des  anciens  cratères  $ leurs 
véritables  formes  se  sont  perdues  dans  le  mé- 
lange des  matières  qu’ils  ont  vomies  5 les  siècles 
écoulés  depuis  cette  époque  en  ont  beaucoup 
accru  la  confusion  5 et,  à la  réserve  de  quelques 
petites  plaines , de  quelques  pentes  praticables 
que  les  insulaires  sont  parvenus  à façonner  à la 
culture , Lipari  ne  présente  qu’un  amas  de  dé- 
bris, de  précipices  , et  de  rophers  qui  menacent 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  5 

incessamment  d’une  chute  prochaine.  Les  ma- 
tières qui  composent  ces  ruines  sont  des  ponces, 
des  émaux , des  verres , que  je  me  dispenserai 
de  décrire,  parce  qu’ils  sont  analogues  aux  subs- 
tances de  ce  genre  dont  j’ai  donné  la  descrip- 
tion. 

Les  Liparotes  m’ayant  parlé  d’une  caverne 
située  dans  une  petite  plaine  nommée  la  Thalle , 
distante  de  la  ville  d’un  quart  de  mille  à l’ouest, 
j’eus  la  curiosité  de  la  visiter.  Elle  a son  ouver- 
ture dans  un  rocher  de  lave  décomposée  3 un 
homme  peut  y entrer  debout  5 sa  profondeur  est 
d’environ  cinquante  pas.  Ses  parois  sont  tapissées 
d’efflorescences  de  muriate  d’ammoniaque.  J’en 
trouvai  aussi  dans  une  petite  grotte  voisine,  creu- 
sée dans  le  même  rocher.  Ce  sel  s’est  engendré 
par  sublimation  3 réduit  en  vapeurs  par  les  feux 
souterrains  , il  s’est  élevé , et  s’est  attaché  aux 
surfaces  intérieures  des  deux  cavernes.  On  le 
voit  ainsi  se  former  dans  beaucoup  de  volcans 
brûlans  3 mais  ici , ni  les  feux  , ni  les  vapeurs 
ammoniacales  ne  donnent  plus  aucun  signe  d’ac- 
tivité. 

Je  rencontrai  dans  cette  courte  promenade 
une  brèche  volcanique  3 elle  gisait  en  gros  mor- 
ceaux isolés , et  rien  ne  put  m’indiquer  d’où  elle 
tirait  son  origine  3 mais  l’hétérogénéité  des  ma- 


6 


VOYAGES 


tières  dont  elle  était  composée  attira  mon  atten- 
tion. Sa  substance  dominante  était  une  lave  ter- 
reuse d’un  gris  bleuâtre , d’un  grain  grossier  et 
peu  dur,  qui  contenait  les  corps  suivans. 

i°.  Des  fragmens  de  deux  sortes  de  laves  ,1’une 
noire  et  l’autre  grise.  La  première  avait  une  cas- 
sure écailleuse  : elle  mettait  en  mouvement  l’ai- 

J i 

guiile  aimantée  à la  distance  de  deux  lignes.  La 
seconde  avait  une  surface  raboteuse,  une  cassure 
inégale;  elle  étincelait  sous  le  choc  du  briquet, 
et  elle  renfermait  des  lames  de  feld-spath.  Ces 
deux  laves  avaient  pour  base  la  pierre  de  corne; 
elles  exhalaient  une  forte  odeur  d’argile. 

2°.  Des  fragmens  d’une  lave  vitreuse , dont  la 
couleur  formait  une  belle  nuance  entre  le  vert 
et  le  bleu  ; par  son  poli , par  la  netteté  de  sa 
cassure  , par  son  aspect  et  son  peu  de  dureté, 
elle  ressemblait  à la  pierre  de  poix. 

3°.  Des  fragmens  d’une  pierre  ponce  cendrée 
et  compacte. 

4°.  Des  fragmens  d’un  verre  blanchâtre  el 
semi-transparent. 

5°.  Des  fragmens  d’un  verre  sans  couleur,  et 
presqu’aussi  transparent  que  le  verre  artificiel. 
Le  plus  considérable  avait  quatorze  lignes  de 


DANS  LES  DEUX  SI  C I L E S.  J 

longueur  sur  huit  de  largeur  : il  était  de  meme 
enseveli  dans  la  brèche. 

On  ne  pouvait  pas  dire  que  ces  cinq  espèces 
de  productions  volcaniques  fissent  partie  de  la 
pâte  de  la  lave,  car  chaque  morceau  avait  des 
cassures , des  angles  très-distincts  5 il  était  facile 
de  les  détacher  tout  entiers  en  rompant  la  lave 
avec  adresse.  Celle-ci  avait  donc  une  origine 
postérieure.  En  coulant , elle  avait  enveloppé 
toutes  ces  substances  étrangères  , et  en  avait 
formé  un  seul  corps. 

Il  me  vint  un  doute  en  faisant  ces  observa- 
tions. Quoique  les  fragmens  de  la  lave  vitreuse 
parussent  à Pœil  et  au  tact  extrêmement  polis, 
cependant,  en  les  regardant  à une  forte  loupe, 
je  m’apperçus  que  leur  surface  était  couverte 
de  petites  gerçures.  Je  remarquai  le  même  acci- 
dent dans  divers  morceaux  des  deux  verres.  Un 
courant  d’eau  avait-il'  passé  sur  ces  substances 
alors  qu’elles  étaient  embrasées?  avaient- elles 
éprouvé  un  coup  subit  d’air  froid?  ou  bien  étant 
déjà  froides  elles-mêmes,  avaient-elles  été  sur- 
prises par  la  lave  enflammée  ? Ces  trois  causes 
peuvent  produire  le  même  efFet. 

Les  étuves  de  Liparî  étant  l’objet  qui  excite 
le  plus  la  curiosité  des  voyageurs , je  ne  devais 


8 VOYAGES 

pas  manquer  de  les  visiter.  Mais  je  puis  dire  que 
le  trajet  me  procura  encore  plus  d’instruction 
que  les  étuves  elles-mêmes.  Elles  sotit  situées  à 
l’ouest  > à quatre  milles  de  la  ville , un  peu  au- 
delà  de  la  cime  d’un  mont  le  plus  éminent  de 
File  5 après  ceux  de  Saint- .Angelo  et  de  la 
Guardia . Je  pris  pour  m’y  rendre  le  chemin  le 
plus  commode,  celui  de  la  ville.  Il  est  en  grande 
partie  l’ouvrage  des  eaux  pluviales  , qui  l’ont 
creusé  dans  une  masse  immense  de  tuffa.  J’ai 
parlé  plusieurs  fois  dans  le  cours  de  cet  ouvrage, 
mais  presque  toujours  par  incident,  du  tuffa  vol- 
canique : celui-ci  mérite  une  discussion  parti- 
culière. 

On  se  rappellera  que , dès  le  commencement, 
en  discourant  sur  les  tuffas  du  Pausiiippe  , j’ai 
dit , et  j’ai  cherché  à prouver  qu’ils  étaient  des 
produits  d’éruptions  boueuses , sans  nier  cepen- 
dant que  cette  sorte  de  substance  ne  pût  être 
quelquefois  le  résultat  de  l’agrégation  des  cen- 
dres , des  sables,  et  autres  matières  subtiles  vo- 
mies par  les  volcans,  pénétrées , consolidées  par 
les  eaux  pluviales  , ou  par  celles  de  la  mer  alors 
qu’elles  couvraient  les  bases  des  montagnes  igni- 
vomes  et  les  rivages  (î).  Quant  au  tuffa  de  Li- 


(i)  Voyez  le  chap,  IL 

pari  ,• 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  9 

par! , il  me  paraît  avoir  été  le  dépôt  d’un  courant 
boueux.  Il  se  termine  à quelques  centaines  de  pas 
de  la  ville,  et  se  prolonge  sans  interruption  jus- 
qu’au sommet  du  mont  des  Etuves.  Ce  mont , 
comme  la  plupart  des  autres  * est  très-varié  dans 
la  disposition  de  ses  plans 5 il  a des  pentes  douces , 
il  en  à de  rapides  ; ses  coupes  sont  tantôt  hori- 
zontales , tantôt  verticales.  Cependant  le  tuffa 
qui  le  recouvre  prend  exactement  les  mêmes 
formes  , et  suit  les  mêmes  directions.  Sa  surface 
est  quelquefois  ridée  et  ondoyante.  Enfin  dans 
sa  marche  il  a les  sinuosités  , les  détours  , les 
mouvemens  des  courans  de  lave  les  mieux  ca- 
ractérisés. Dans  les  endroits  où  il  a été  profou- 
dément  sillonné  par  les  eaux  des  pluies  , on  ap- 
perçoit  ses  couches  superposées  les  unes  sur  les 
autres.  Je  pense  donc  qu’il  faut  rapporter  son 
origine  à un  torrent  de  matières  fangeuses  qui 
s’est  écoulé  du  mont  des  Etuves.  Le  Vésuve  , 
î’Etna , l’Hécla  fournissent  beaucoup  d’exemples 
de  ces  éruptions  par  voie  humide. 

Une  seule  difficulté  , mais  facile  à résoudre  , 
se  présente  dans  mon  hypothèse.  Si  un  torrent 
d’eau  et  de  boue,  sortant  du  mont  des  Etuves, 
se  fut  ainsi  répandu  au  loin  5 après  la  cessation  du 
mouvement , les  matières  les,  plus  pesantes  au- 
raient dû,  suivant  les  loix  de  la  gravité,  des- 

Tomç  III.  B 


1.0  VOYAGES 

cendre  au  fond  , et  les  plus  légères  occuper  la 
surface.  Cependant  on  y découvre , à peu  de  pro- 
fondeur , de  grosses  masses  de  laves , d’émaux 
et  de  verres.  Ne  peut-on  pas  supposer , avec 
toute  vraisemblance  , que  ces  corps  furent  lan- 
cés par  des  bouches  enflammées  sur  le  tuffa 
quelque  temps  après  son  écoulement,  et  que 
le  trouvant  déjà  consolidé  , ils  ne  purent  s’y  en- 
foncer davantage  ? 

Mais  , outre  la  position  de  cette  matière  tuffa- 
cée , et  sa  direction  sinueuse  sur  la  croupe  et 
les  flancs  de  la  montagne , qui  montrent  qu’elle 
a coulé  , sa  nature  propre  le  témoigne  évidem- 
ment. Ce  n’est  point,  comme  dans  d’autres  tuf- 
fas  , une  agrégation  de  cendres  et  de  sables  , 
un  détritus  de  schorls  et  de  feld-spaths  , de  laves 
décomposées  et  devenues  terreuses  , cimentés 
par  l’action  de  l’eau , et  consolidés  au  point  de 
former  des  masses  propres  à être  taillées,  et  à 
servir  dans  les  constructions  5 mais  c’est  une 
terre  seulement  argileuse  , qui  n’a  pas  plus  de 
consistance  que  le  limon  endurci  des  fleuves. 
Sa  couleur  est  d’un  gris  foncé  3 sa  contexture  a 
je  ne  sais  quoi  de  grenu  3 on  la  brise  , on  la 
réduit  en  poudre  en  la  pressant  entre  les  doigts. 
Elle  est  légère  5 elle  happe  à la  langue  3 elle 
exhale  une  faible  odeur  d’argile  3 plongée  dans 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  Il 
l’eau 3 elle  l’attire  avec  avidité,  et  s’en  pénètre 
de  toute  part. 

Le  feu  du  fourneau  , en  la  colorant  d’abord 
d’un  rouge  brun , ensuite  d’un  noir  de  fer  , la 
durcit  au  point  qu’elle  fait  feu  avec  le  briquet. 
Elle  ne  se  vitrifie  pourtant  pas , mais  elle  prend 
seulement  à sa  surface  un  vernis  vitreux. 

L’épaisseur  de  ce  tuffa  varie  suivant  la  place 
qu’il  occupe  sur  la  montagne.  Ici  cette  épaisseur 
n’est  que  de  quelques  pieds  j là  elle  est  de  plu- 
sieurs toises  ; ailleurs  elle  est  si  considérable  que, 
malgré  les  excavations  formées  par  les  pluies  , 
on  ne  peut  appercevoir  le  fond  du  tuffa.  Mais 
par-tout  où  ce  fond  est  à découvert , j’ai  cons- 
tamment remarqué  que  le  tuffa  repose  sur  un 
lit  de  ponces  , partie  pulvérisées  , partie  en 
morceaux  détachés  qui  ont  souvent  une  forme 
globuleuse  : elles  sont  de  l’espèce  la  plus  légère. 
Ces  pierres  avaient  donc  été  vomies  antérieure- 
ment sur  la  montagne  des  Etuves  par  un  volcan 
enflammé. 

Mais  voici  un  phénomène  inattendu  que  m’a 
présenté  ce  tuffa.  En  le  brisant , j’ai  découvert 
dans  ses  fractures  des  corpuscules  noirs  que  je 
n’ai  pas  eu  de  peine  à reconnaître  pour  de  véri- 
tables charbons  par  leur  couleur  , leur  légéreté, 

B 2 


12 


V G Y A G-  E 8 


leur  sécheresse  , leur  friabilité  et  leur  peu  de 
dureté.  Il  y en  a qui , touchés  par  le  feu  à l’air 
libre,  fument  et  se  changent  en  braise  ; d’autres 
qui  donnent  une  petite  flamme,  et  ceux-là  ne 
sont  pas  parfaitement  réduits  en  charbon  5 on  y 
découvre  les  parties  fibreuses  du  bois.  Ces  char- 
bons forment  de  petits  cylindres  longs  de  deux 
ou  trois  lignes  jusqu’à  douze  ou  quatorze  , et 
gros  à proportion.  Ils  paraissent  avoir  appartenu 
à des  rameaux  d’arbres  ou  d’arbustes.  Ils  sont 
ensevelis  dans  le  tuffa  à diverses  profondeurs , et 
se  trouvent  clair-semés  dans  toute  son  étendue. 

Cet  accident , qui  n’avait  pas  encore  été  ob- 
servé , que  je  sache,  dans  les  tuffas  volcaniques, 
pourrait  faire  penser  que  les  deux  voies , l’hu- 
mide et  la  sèche  , se  sont  combinées  ensemble 
pour  donner  naissance  au  torrent  fangeux  du 
mont  des  Etuves , et  que  le  feu  l’a  pénétré  au 
point  de  le  rendre  capable  de  brûler,  et  de  con- 
vertir en  charbon  les  végétaux  qu’il  rencontrait 
sur  sa  route.  Cette  explication  n’est  pas  sans 
difficulté  , et  le  lecteur , qui  s’en  apperçoît  sans 
doute,  trouvera  peut-être  plus  de  vraisemblance 
à supposer  qu’une  grêle  brûlante  d’une  époque 
antérieure  était  tombée  sur  les  faibles  plantes 
qui  végétaient  çàet  là  dans  cette  montagne  aridej 
qu’elle  les  avait  brûlées  sans  les  consumer  entîè- 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  l3 
rement , et  que  leurs  débris  charbonneux  préexis- 
taient à l’inondation  terreuse  qui  les  a envelop- 
pés dans  son  cours. 

J’ai  dit  que  les  eaux  des  pluies  avaient  creusé 
ce  tuffa  en  plusieurs  endroits  de  la  montagne. 
C’est  dans  ces  profondes  excavations  , et  sur 
le  chemin  des  Etuves , que  l’on  trouve  plu- 
sieurs corps  volcaniques  qui  méritent  une  des- 
cription particulière.  Ce  sont  d’abord  des  frag- 
mens  d’émàil  de  diverses  grosseurs  qui  ,.  lisses 
au-dehors  , ont:  cependant  la  cassure  anguleuse. 
Leur  couleur  est  un  bleu  pâle  ; leur  aspect  est 
peu  brillant;  ils  ont  peu  de  dureté,  et  tombent 
en  éclats  sous  le  choc  du  briquet.  Ce  défaut  de 
dureté  provient  de  ce  qu’ils  sont  pleins  de  fis- 
sures; peut-être  les  ont-ils  contractées  dans  leur 
état  d’incandescence  , en  tombant  dans  le  tuffa , 
qui  n’avait  pas  encore  perdu  son  humidité.  Les 
feld-spaths  renfermés  dans  ces  émaux  ont  éprou- 
vé le  même  accident,  et  sans  doute  par  la  même 
cause. 

On  trouve  dans  ces  lieux  une  autre  espèce 
d’émail,  remarquable  par  certains  petits  corps 
étrangers  disséminés  dans  sa  masse.  Je  n’ai  pu 
les  analyser  par  la  voie  humide  ; mais  leurs  ca- 
ractères sensibles  réunis  à ceux  qu’ils  m’ont  four- 
nis^par  la  voie  sèche , les  classent  parmi  les  gre- 

B 3 


VOYAGES 


14 

nats.  Je  n’en  avais  pas  encore  rencontré  de  sem- 
blables dans  les  productions  volcaniques.  En  gé- 
néral ils  ont  la  figure  d’un  bulbe  5 leur  couleur 
est  noirâtre  , tirant  quelquefois  sur  le  rouge  5 leur 
surface  polie  et  lustrée, leur  cassure  lamelieuse, 
vitreuse  , capable  de  rayer  le  verre.  Les  plus 
gros  ont  trois  lignes  et  demie  , ils  sont  opaques  5 
les  plus  petits  ont  un  tiers  de  ligne  , ils  sont  semi- 
transparens.  Ils  étincellent  sous  le  briquet , se 
fondent  au  fourneau  , et  se  convertissent  en  un 
émail  noir  et  scoriacé.  Cet  ensemble  de  carac- 
tères les  rapproche  beaucoup  des  grenats.  Et 
qu’importe  s’ils  ne  sont  pas  cristallisés , puisque 
l’on  sait  qu’il  existe  des  grenats  qui  n’ont  aucune 
forme  déterminée  ? 

Pendant  que  j’étais  occupé  de  cette  analyse, 
il  me  prit  envie  d’en  comparer  les  résultats  avec 
ceux  que  j’obtiendrais  de  l’analyse  des  grenats 
du  Vésuve , recueillis  sur  le  mont  Somma  qui, 
comme  on  sait , est  l’antique  volcan  de  ce  nom. 
J’en  choisis  quatre  espèces  différentes, dont  voici 
la  description. 

La  première  existe  dans  une  lave  à base  de 
pierre  de  corne , d’un  gris  jaunâtre  ; ses  surfaces 
sont  inégales , et  sa  consistance  s’est  affaiblie  jus- 
qu’à devenir  presque  terreuse  parla  grande  alté- 
ration que  lui  ont  causée  , non  les  exhalaisons 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  l5 
sulfureuses,  mais  les  impressions  de  l’atmosphère. 
Les  grenats  qu’elle  renferme  en  abondance  sont 
également  altérés  , ils  ont  perdu  une  partie  de 
leur  lustre  natif,  et  sont  devenus  friables  à cause 
de  la  multitude  de  gerçures  qu’ils  ont  contrac- 
tées. Cependant  ils  conservent  encore  quelques 
traits  de  leur  caractère  vitreux.  Leur  couleur  est 
entre  le  blanc  et  le  gris  ; ils  sont  à peine  trans- 
parens  dans  leurs  parties  les  plus  minces.  Au 
premier  aspect  on  les  prend  pour  des  globes 
parfaits  5 mais  en  les  détachant  de  la  pierre  ma- 
trice , ce  qui  est  facile,  on  s’apperçoit  qu’ils  sont 
taillés  à facettes , sans  pouvoir  cependant  en  re- 
connaître le  nombre  , attendu  que  la  plupart 
des  angles  ont  été  effacés  par  le  temps.  Tout 
ce  que  je  puis  dire  à cet  égard,  c’est  qu’ayant 
réussi  à diviser  quelques-uns  de  ces  grenats  en 
deux  hémisphères  , j’ai  remarqué  que  le  péri- 
mètre de  chacune  était  octogone.  J’ai  eu  en 
même  temps  la  facilité  de  distinguer  leur  tissu, 
formé  de  feuillets  très-déliés  et  circulaires.  Au 
reste  , ces  grenats  varient  de  grandeur , depuis 
un  sixième  de  ligne  jusqu’à  quatre  lignes  et 
demie. 

Le  feu  a fondu  en  un  émail  compacte  , de 
couleur  de  poix  , la  lave  matrice  5 il  a laissé  in- 
tacts les  grenats  , qui  seulement  se  sont  blanchis 

B 4 


VOYAGES 


lG 

davantage  , et  sont  devenus  p!us  vitreux  et  plus 
durs.  Le  contraste  de  leu-r  couleur  avec  le  fond 
de  l’émail  en  faisait  ressortir  une  foule  d’autres 
plus  petits , qui  étaient  invisibles  dans  la  lave  , 
et  qui,  malgré  leur  extrême  délicatesse,  s’étaient 
également  maintenus  dans  leur  intégrité. 

Les  grenats  de  la  seconde  espèce,  enveloppés 
dans  une  lave  à base  de  roche  de  corne  molle , 
sont  plus  gros  et  tout-à-fait  opaques  $ ils  sont 
blancs  comme  la  neige , et  plus  brillans  dans  leur 
cassure  que  les  précédens.  Les  uns  ont  une  figure 
globuleuse,  et  une  cristallisation  très-distincte 5 
mais  il  est  impossible  d’en  compter  les  facettes, 
parce  qu’on  ne  peut  les  extraire  de  la  lave  sans 
les  rompre  : les  autres  ne  manifestent  que  des 
formes  très-irrégulières. 

Il  en  est  qui  renferment  de  petits  schorls  pris- 
matiques , de  la  couleur  et  du  lustre  de  l’as- 
phalte. Ces  cristaux  étaient  sans  doute  tout  for- 
més lorsqu’ils  ont  été  enveloppés  par  le  suc  gre- 

natique. 

Tous  ces  grenats  sont  restés  infusibles  au  four- 
neau 5 mais  la  lave  s’est  fondue  en  une  scorie 

cellulaire. 

La  troisième  espèce  est  étroitement  liée  à une 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  17 
lave  pesante,  à base  de  pierre  de  corne  ,de  coq- 
leur  de  fer,  compacte  , mais  pas  assez  dure  pour 
faire  feu  avec  le  briquet.  Les  grenats  ont  une 
couleur  blanche  tirant  sur  le  jaune;  leur  épais- 
seur est  d’environ  quatre  lignes  ; la  plupart  sont 
fendus  de  manière  que  les  fentes  représentent  à 
la  surface  comme  une  fleur  ronde  polypétale. 

Le  feu  a fondu  , non  la  lave,  mais  les  grenats, 
qui  ont  pris  la  couleur  du  cuivre  rouge. 

Ceux  de  la  quatrième  et  dernière  espèce  por- 
tent vingt-quatre  facettes;  ils  sont  transparens, 
blancs  et  vitreux;  leur  matrice  est  une  lave  com- 
pacte à base  de  pierre  de  corne,  d’une  odeur 
argileuse. 

La  lave  s’est  fondue  en  un  émail  noir  : les 
grenats  sont  restés  intacts. 

En  rapprochant  les  grenats  du  Vésuve  de  ceux 
de  Lipari , et  comparant  les  résultats  des  expé- 
riences 9 on  voit  qu’ils  se  ressemblent  par  leur 
structure  , tant  vitreuse  que  lamelleuse  ; mais 
qu’ils  diffèrent  par  la  manière  dont  ils  se  laissent 
affecter  par  le  feu.  Les  premiers  tombent  facile- 
ment en  fusion. ^ les  seconds  sont  réfractaires. 

N’ayant  pu  réussir  à fondre  ces  quatre  der- 
nières espèces  de  grenats , même  en  soutenant 


VOYAGES 


18 

le  feu  pendant  plusieurs  jours,  j’eus  recours  au 
gaz  oxigène.  Alors  leur  fusion  s’opéra  , mais  len- 
tement. Leur  lave-matrice  coulait  déjà  comme 
du  verre  , qu’ils-  étaient  encore  intacts  ; enfin  ils 
se  fondirent,  mais  sans  s’incorporer  à la  lave,  et 
former  avec  elle  un  tout  homogène. 

Les  chimistes  et  les  naturalistes  qui  avant  moi 
ont  traité  avec  le  feu  les  grenats  du  Vésuve , ont 
eu  des  résultats  semblables  aux  miens.  Bergman 
dit  qu’on  réussit  à les  fondre  au  chalumeau  , mais 
en  se  servant  d’un  feu  très-énergique  (1).  Saus- 
sure raconte  qu’une  lave  à œil  de  perdrix  qu’il 
avait  détachée  du  mont  Somma  , donna  un  pro- 
duit noir  et  vitrifié  $ mais  que  les  grains  po- 
lyèdres de  cette  lave  parurent  inaltérables  au 
milieu  du  feu  le  plus  violent.  Il  est  clair  que  par 
ces  grains  polyèdres , Saussure  entendait  ce  que 
j’appelle  , moi  et  d’autres  naturalistes,  des  gre- 
nats (2).  Quant  à l’action  du  gaz  oxigène  sur 
ces  cristaux,  voici  ce  que  dit  Ehrmann  dans  son 
Traité  de  Vair  du  feu  : « Le  granit  du  Vésuve, 
» blanc,  opaque,  se  distingue  des  granits  pro- 
»prement  dits  , en  ce  qu’il  se  fond  très-difficile— 


(1)  De  productis  Vulcaniis , 

(2)  Voyage  dans  les  Alpes,  vol,  1. 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  19 
vment  par  le  gaz  oxigène  , et  se  résout  enfin, 
» dans  un  bouillonnement  continuel , en  une  masse 
» parfaitement  semblable  au  quartz,  même  dans 
»la  cassure,  et  qui  craque  également  sous  la 
»dent  » . 

Ce  bouillonnement  dont  parle  Ehrmann  , je 
l’ai  vu  dans  mes  quatre  espèces  de  grenats  quand 
ils  étaient  en  fusion.  La  première  et  la  troisième 
m’ont  donné  de  même  deux  petites  masses  sem- 
blables au  quartz  5 mais  la  seconde  et  la  qua- 
trième sont  devenues  spongieuses.  Il  est  possible 
que  cet  auteur  n’ait  fait  ses  expériences  que  sur 
une  seule  espèce. 

Quelques  naturalistes  pensent  que  les  grenats 
du  Vésuve  ont  improprement  cette  dénomina- 
tion ; i°.  parce  qu’ils  sont  privés  de  fer  5 20.  parce 
qu’ils  sont  difficiles  à fondre  ; 5°.  parce  que  leurs 
parties  constituantes  ne  sont  pas  dosées  dans  les 
mêmes  proportions  que  celles  des  vrais  grenats. 
Pour  moi , je  ne  trouve  point  ces  raisons  suffi- 
santes pour  les  exclure  du  genre  où  ils  ont  été 
placés  jusqu’à  présent.  Il  est  vrai  que  le  fer  entre 
pour  l’ordinaire  dans  la  composition  des  grenats, 
mais  il  n’en  constitue  pas  l’essence  , comme  le 
remarque  très-bien  le  chimiste  Bergman  , qui , 
dans  l’analyse  des  grenats transparens,  n’a  trouvé 
que  quatre  centièmes  de  ce  métal  colorant.  C’est 


2 a VOYAGES 

à son  absence  qu’il  faut  sans  doute  attribuer  la 
grande  difficulté  de  leur  fusion.  Quant  aux  parties 
constituantes  , le  même  chimiste  les  place  dans 
l’ordre  suivant,  relatif  à leur  quantité  respective , 
silice  , alumine  et  chaux  , ordre  qui  s’observe 
dans  les  plus  purs  grenats  de  la  Bohême,  analysés 
par  Achard.  Cette  distribution  de  principes  se 
reconnaît  aussi  dans  les  grenats  du  Vésuve  , où 
Bergman  a trouvé  environ  cinquante-cinq  par- 
ties de  silice  , trente-neuf  d’alumine  et  six  de 
chaux  ; et  si  la  proportion  de  la  silice  avec  l’alu- 
mine n’est  pas  la  même  dans  ces  deux  pierres_, 
la  différence  n’est  pas  assez  grande  pour  devoir 
en  faire  deux  genres  différens  ; pour  s’en  con- 
vaincre, il  suffit  de  comparer  les  deux  nombres  55 
et  39,  exprimant  la  silice  et  l’alumine  dans  les 
grenats  du  Vésuve , aux  nombres  48  et  3o  , dési- 
gnant les  mêmes  terres  dans  ceux  de  Bohême , 
analysés  par  le  chimiste  de  Berlin. 

Pour  revenir  aux  grenats  de  Lipari,  ils  n’ont 
pas  avec  leur  base  une  adhérence  aussi  forte  que 
celle  que  l’on  remarque  pour  l’ordinaire  dans  les 
feld- spaths  et  dans  les  schorls  ; mais,  comme 
toutes  les  pierres  de  leur  genre  , ils  y sont  im- 
plantés de  manière  qu’ils  peuvent  se  détacher 
sans  se  rompre , laissant  dans  l’émail  l’empreinte 
exacte  de  leur  figure.  Cet  émail,  compacte,  pe- 


21 


( DANS  LES  DEUX  SICILES. 
sant  , gris-cendré,  gît  en  morceaux  isolés  dans 
le  tuffa  et  sur  le  chemin  des  Etuves  : c’est  la 
première  production  volcanique  qui  frappe  les 
yeux  en  sortant  de  la  ville. 

Plus  loin  on  rencontre  des  mélanges  curieux 
d’une  terre  blanche,  argileuse,  avec  un  émail 
noir.  Ces  deux  substances  sont  tellement  pétries 
ensemble,  et  confondues  l’une  dans  l’autre,  que 
l’on  ne  saurait  trouver  une  petite  masse  de  cette 
terre  de  la  grosseur  d’un  pois , qui  ne  renfermât 
plusieurs  écailles  d’émail,  et  vice  versa . La  terre 
a une  odeur  d’argile  très-sensible  , et  happe  à 
la  langue. 

Dans  les  endroits  où  se  présentent  ces  mé- 
langes , on  retrouve  l’émail  à grenats  ; mais  ceux- 
ci  sont  plus  gros , et  se  rapprochent  davantage 
de  la  forme  sphérique.  L’émail  est  aussi  plus  re- 
marquable, en  ce  qu’il  fait  corps  avec  plusieurs 
morceaux  de  laves  à base  de  pierre  de  corne, 
qui  contiennent  également  des  grenats. 

Je  vais  décrire  quatre  autres  espèces  de  laves 
chacune  à base  de  pierre  de  corne,  qui  se  sont 
offertes  sur  mon  chemin  en  morceaux  isolés. 

La  première  a la  cassure  fibreuse  et  la  couleur 
du  fer  ’j  elle  est  un  peu  poreuse  , et  assez  dure 


2 2 


VOYAGES 


pour  faire  feu  avec  le  briquet.  Elle  agit  sur  Pai- 
guille  aimantée  à la  distance  d’une  ligne  et  un 
quart  : elle  répand  une  odeur  terreuse  , et  elle 
renferme  des  feld-spaths. 

La  seconde,  plus  tendre  que  compacte , a une 
couleur  grise  tirant  sur  le  noir.  Des  feld-spaths 
rhomboïdaux  occupent  presque  la  moitié  de  son 
volume. 

La  troisième  ne  diffère  de  la  seconde  qu’en  ce 
qu’elle  est  un  peu  plus  compacte  et  plus  dure. 
Les  feld-spaths  y sont  moins  abondans. 

La  quatrième  , qui  surpasse  les  trois  précé- 
dentes en  solidité  , en  pesanteur,  en  dureté,  a 
une  couleur  noire  , ferrugineuse  3 sa  cassure  est 
terreuse  ; elle  s’attache  un  peu  à la  langue  , et 
fait  sentir  l’odeur  de  l’argile  : elle  met  en  mou- 
vement l’aiguille  aimantée  à la  distance  d’une 
demi-ligne. 

Ces  laves , traitées  avec  le  feu  , se  fondent  en 
scories  vitreuses  : les  feld-spaths  sont  réfrac- 
taires. 

J’ai  passé  rapidement  sur  ces  quatre  produc- 
tions volcaniques, pour  m’arrêterplus  long-temps 
sur  une  autre  moins  abondante , qui  se  fait  dis- 
tinguer par  ses  belles  chrysolites.  C’est  une  lave 


23 


DANS  LES  DEUX  S ICI  LE  S. 
à base  de  pierre  de  corne  molle  , d’un  brun  fon- 
cé y très -inégale  dans  la  cassure  , à cause  des  ger- 
çures qui  empêchent  la  liaison  de  ses  parties. 
Elle  étincelle  faiblement  sous  le  choc  de  l’acier  5 
elle  répand  une  faible  odeur  d’argile  , et  met 
en  mouvement  l’aiguille  aimantée  à la  distance 
d’une  ligne  : elle  est  légère  et  sonore.  Je  laisse 
de  côté  quelques  écailles  de  feld-spaths  qui  y 
sont  incorporées  , pour  venir  à l’examen  des 
chrysolites. 

Une  certaine  nuance  entre  le  vert  et  le  jaune , 
suffit  pour  les  faire  distinguer  à la  surface  de  la 
lave  qui  a souffert  les  impressions  de  l’atmosphère 
et  des  météores  5 mais  elles  brillent  des  plus  vives 
couleurs  dans  les  cassures  fraîches  5 on  y voij:  le 
jaune  de  l’or  \ le  vert  tendre  de  l’herbe  , et  le 
rouge  du  feu  adouci  par  une  teinte  de  pourpre. 
Si  on  les  expose  aux  rayons  du  soleil  , et  qu’on 
les  regarde  sous  certains  angles  , les  couleurs 
paraissent  plus  vives  , et  leur  mélange  plus  pi- 
quant. Elles  n’ont  pour  la  plupart  aucune  forme 
déterminée  , quelques  - unes  seulement  repré- 
sentent un  prisme  quadrangulaîre.  Leur  cassure 
est  vitreuse,  très -brillante  5 tantôt  lisse,  tantôt 
rude  , suivant  la  manière  dont  se  brisent  les  pe- 
tites lames  qui  entrent  dans  leur  composition. 
Les  morceaux  en  sont  anguleux  et  semi-trans- 


VOYAGES 


H 

parens.  Ces  chrysolites  étincellent  sous  îe  bri- 
quet , et  poupent  le  verre  avec  autant  de  facilité 
que  le  ferait  îe  cristal  de  roche.  Les  plus  grandes 
ont  environ  trois  lignes  et  demie  de  longueur  ; 
les  plus  petites  sont  à peine  perceptibles.  La  lave 
les  saisit  avec  tant  de  force  , qu’on  ne  peut  les 
en  extraire  que  par  fragmens. 

Le  feu  du  fourneau  et  celui  du  chalumeau, 
bien  loin  de  fondre  ces  petites  pierres  , ne\  les 
altèrent  pas  même  dans  leur  couleur  et  leur 
tissu.  Le  seul  gaz  oxigène  les  décolore  et  les 
fait  couler  en  boule  blanche,  mais  sans  lustre* 

On  ignorait,  à la  vérité,  qu’il  existât  à Lipari 
des  chrysolites  volcaniques , mais  les  naturalistes 
en  avaient  découvert  dans  d’autres  pays  volca- 
nisés  ; telles  sont  celles  du  Vivarais  et  du  Velay* 
décrites  par  Faujas , et  celles  de  l’Etna  par  Do- 
îomieu.  En  les  comparant  avec  les  miennes  , je 
leur  trouve  des  rapports  et  des  différences  qu’il 
est  bon  de  rapporter  ici. 

Les  chrysolites  observées  et  décrites  par  Fau- 
jas  sont  formées  de  la  réunion  de  petits  grains 
de  sable  plus  ou  moins  fins  , plus  ou  moins  adhé- 
rens , âpres  au  toucher,  irréguliers,  se  présen- 
tant quelquefois  comme  des  croûtes  ou  de  pe- 
tites écailles , mais  conformés  pour  l’ordinaire 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  ü5 
en  manière  de  fragmens  anguleux  qui  s’encastrent 
les  uns  dans  les  autres. 

Les  clirysolites  de  Lipari  ne  se  présentent  pas 
ainsi  5 leurs  molécules  , vues  au  microscope  , 
n’offrent  rien  de  grenu  $ elles  sont  au  contraire 
toujours  lisses , toujours  vitreuses,  et  leur  aspect 
ne  varie  point,  soit  qu’on  les  considère  dans  leur 
ensemble  , ou  séparément. 

Une  autre  différence  essentielle  est  dans  leurs 
dimensions.  Les  chrysolites  de  Lipari  ont  tout  au 
plus  quelques  lignes  d’épaisseur  ; les  chrysolites 
du  Vivarais  etdu  Velay  vont  jusqu’à  peser  plu- 
sieurs livres. 

Une  seule  propriété  leur  est  commune  , celle 
de  résister  au  feu  le  plus  vif,  le  plus  soutenu  des 
fourneaux  ordinaires,  et  de  ne  se  fondre  que  par 
l’intervention  du  gaz  oxigène.  Au  reste  , elles 
ont  des  couleurs  qui  se  ressemblent  : le  vert  et  le 
jaune  de  la  topaze  brillent  dans  les  unes  et  dans 
les  autres. 

Quant  aux  chrysolites  de  l’Etna,  les  unes  sont 
sans  formes  déterminées  , les  autres  cristallisées 
en  prismes  tétragones  ou  hexagones , avec  une 
pyramide  quelquefois  hexagone.  Leur  cassure 
est  en  partie  conchoïde , en  partie  lamelleuse  ; 
leur  dureté  est  plus  grande  que  celle  du  quartz  \ 

Tome  III.  C 


VOYAGES 


26 

leur  couleur  est  un  jaune  tirant  sur  le  vert  avec 
des  teintes  variées  5 enfin  elles  sont  fusibles  par 
un  feu  très-violent.  On  voit  dans  cette  descrip- 
tion en  quoi  elles  se  rapprochent  ou  s’éloignent 
de  celles  de  Lipari.  Dolomieu  ne  détermine  pas 
leur  grandeur  , mais  elle  ne  saurait  être  consi- 
dérable , puisqu’il  les  appelle  des  grains.  En 
effet,  les  chrysolites  que  j’ai  pu  voir  dans  quel- 
ques laves  de  l’Etna  m’ont  paru  très-petites. 

Si  j’ai  donné  la  qualification  de  volcanique 
aux  chrysolites  de  Lipari , ce  n’est  pas  tant  pour 
les  avoir  trouvées  dans  une  lave , que  pour  les 
distinguer  de  la  gemme  proprement  dite  chry- 
solite  , en  reconnaissant , avec  plusieurs  habiles 
minéralogistes  , que  les  pierres  volcaniques  qui , 
parleurs  couleurs  jaunes  et  vertes  , ressemblent 
à cette  gemme  , et  sont  pour  cela  nommées 
chrysolites  , en  diffèrent  par  leurs  principes 
prochains , et  par  divers  caractères  extérieurs. 
Toutefois  , en  admettant  cette  dénomination , je 
suis  persuadé  que  celles  dont  j’ai  donné  la  des- 
cription ne  peuvent,  en  raison  des  propriétés 
qui  les  distinguent , se  rapporter  au  genre  des 
schorls , où  divers  naturalistes  ont  coutume  de 
placer  les  chrysolites  des  volcans  (1). 


(1)  Rien  n’est  plus  propre  à démontrer  combien  la  ma- 


JJÀNS  LES  BEUX  SICILES.  27 

ïl  me  reste  à parler  d’une  pierre  qui  est  la 
dernière  de  celles  que  j’ai  rencontrées  dans  ma 

""  ~ “ 

nie  de  changer  les  anciens  mots  est  nuisible  à la  science  , 
que  l’exemple  de  la  chrysolite  des  volcans. 

La  pierre  très- remarquable  connue  sous  ce  nom  par 
les  naturalistes  qui  font  leur  étude  principale  des  vol- 
cans , tels  que  Ferber  , Forlis  , Gioenni , Rome  de  Lille  , 
Sage,  Dolornieu , Nosé  et  autres  , avaient  reçu  le  nom 
de  chrysolite  des  volcans , parce  que  cette  pierre  avait  les 
plus  grands  rapports  de  couleur , de  pesanteur,  de  dure- 
té et  de  principes  conslituans,  avec  la  chrysolite  gemme, 
que  Yallerius  a définie  sous  le  nom  de  chrysolithes  gemma 
pellucidissima  , duritie  sexta , colore  viridi  subjlavo.  Wall. 
Min.  p.  243,  spec.  109. 

Ainsi  la  dénomination  de  chrysolite  des  volcans  avait 
parmi  les  naturalistes  une  acception  claire  et  positive  , 
lorsque  Werner  imagina  de  changer,  de  son  autorité 
privée  , ce  nom  , pour  lui  en  substituer  un  qu'il  tira 
déjà  couleur,  c'est-à-dire,  du  caractère  le  plus  équi- 
voque, en  l’appelant  divine , c’est-à-dire  couleur  d’o- 
live , tandis  que  la  pierre  dont  il  s’agit  n'a  point  cette 
couleur,  et  que  sa  nuance  est  au  contraire  d’un  vert  plus 
ou  moins  clair,  mêlé  très-souvent  d’une  teinte  jaunâtre. 
Mais  comme  le  néologisme  était  en  faveur  , ce  nom  fut 
sur-le-champ  adopté  , d'abord  par  les  chimistes,  et  en- 
suite par  un  grand  nombre  de  naturalistes  ; ce  qui  les 
obligea  de  désigner  cette  pierre  par  une  synonymie  de 
plus,  en  l’appelant  d’abord  chrysolite  des  volcans  de  tels 
et  tels  auteurs,  et  divine  de  Werner.  Il  résulta  de  cette 

C a 


3 


VOYAGES 


route.  Elle  gît  près  des  Etuves  , sur  la  pente 
de  la  montagne.  C’est  un  porphyre  à base  de 


innovation  un  premier  embarras  au  sujet  de  la  connais- 
sance et  de  la  description  de  cette  pierre. 

Les  clioses  restèrent  en  cet  état  jusqtdà  ce  que , plu- 
sieurs années  après  , le  célèbre  Klaproth  imagina  d’ana- 
lyser , avec  sa  sagacité  ordinaire , la  chrysolite  des  vol- 
cans , et  il  reconnut  qu’elle  avait , à très-peu  do  chose 
près , les  mêmes  principes  constitutifs  que  la  chrysolite 
pierre  gemme  , ce  qui  prouvait  que  ceux  qui  avaient 
donné  le  nom  de  chrysolite  des  volcans  à la  pierre  de 
cette  espèce  , qu’on  trouve  en  si  grande  quantité  dans 
certaines  laves,  avaient  été  fondés  à l’appeler  ainsi. 

Les  chimistes  qui  marchaient  sous  l’étendard  de  Kla- 
proth ayant  répété  ses  analyses , convinrent  qu’il  avait 
raison,  et  voilà  que  le  nom  de  chrysolite  des  volcans  fut 
restitué  à la  pierre , et  que  le  mot  d’olivine  fut  renvoyé 
à Werner.  Ce  fait  démontre  combien  il  est  dangereux 
pour  les  sciences  humaines  de  changer  des  noms  dont 
l’acception  est  déterminée,  et  qu’un  long  usage  a sanc- 
tionnés , ce  mot  fût-il  mauvais  en  lui-même. 

Il  résulta  de  ce  nouveau  changement , que  les  minéral 
logistes  qui  eurent  occasion  de  parler  de  la  chrysolite 
des  volcans  furent  obligés  , pour  se  faire  entendre  , de 
la  désigner  dans  la  synonymie,  i°.  par  le  nom  de  chry- 
solite des  volcans  des  ancierts  naturalistes  ; 2°.  par  le  nom 
d '‘divine  de  Werner  ; 3°.  par  le  nom  de  chrysolite  des 
volcans  d’après  l’analyse  de  Klaproth.  Il  fallut  donc  re- 


29 


DANS  LES  DEUX  S I C I L E S. 
pétro  - silex  , renfermant  des  feld  - spaths  en 
lames  , brillans  dans  les  cassures  , et  des  schorls 

venir  sur  ses  pas,  après  avoir  jeté  cette  epine  dans  la 
science. 

Mais  comme  il  était  dans  la  destinée  de  cette  pierre  de 
passer  d’un  nom  à un  autre,  il  arriva  que  Dolomieu , en 
analysant  la  chrysolite  gemme  qui  avait  servi  de  compa- 
raison à Klaproth  lorsqu’il  analysa  la  chrysolite  des  vol- 
cans , crut  reconnaître  que  la  chrysolite  gemme  de  Valle- 
rius,  de  Romé  de  Lille  , de  Sage,  et  de  tous  les  minéra- 
logistes suédois , allemands  et  autres , n’était  plus  une 
chrysolite , mais  un  péridot.  Ce  nouveau  nom  ne  manqua 
pas  d'être  accueilli,  et  lorsqu’on  demanda  à ce  naturaliste 
ce  qu’il  fallait  faire  du  mot  de  chrysolite  dont  Pline  , 
Théophraste  , et  tous  les  minéralogistes  avaient  fait  usage 
jusqu’à  ce  jour,  sans  l’excepter  lui-même,  il  répondit 
qu’il  fallait  le  bannir.  Ainsi,  malgré  sa  haute  antiquité 
et  tous  ses  titres  , la  chrysolite  disparut , le  péridot  la 
remplaça  ; et  lorsque  dorénavant  des  minéralogistes  ins- 
truits découvriront  des  chrysolites  dans  de  nouveaux 
volcans,  ils  seront  forcés  , pour  se  faire  entendre,  d’ajou- 
ter une  symonymie  de  plus  aux  trois  précédentes. 

Vainement  pourra- t-on  dire  que  l’analyse  chimique 
du  péridot  a plus  de  rapport  avec  ce  qu’on  appelait  la 
chrysolite  qu’avec  toute  autre  pierre  , et  que  la  chryso- 
Jite  des  volcans  a elle-même  de  grands  rapports  avec  le 
péridot , tout  cela  est  bien  loin  de  prouver  qu’il  faille 
changer  le  nom  de  chrysolite  des  volcans.  Je  crois  au 
contraire  que  si  l’on  veut  enfin  s’entendre  , il  faut  Iut 
restituer  son  nom  primitif,  qui  était  entendu  de  tout  le 

C 3 


Oc  VOYAGES 

noirâtres  et  informes.  Sa  couleur  est  celie  de  la 
trique  cuite  ; on  le  trouve  en  blocs  isolés,  et 

monde , qui  était  consigné  dans  les  auteurs  qui  les  pre- 
miers ont  défriché  les  terreins  volcaniques,  et  en  ont  fait 
connaître  les  nombreux  produits  ; tandis  que  ceux  qui 
sont  venus  long' temps  après  eux  , et  qui  ont  profité  de 
tous  leurs  travaux,  semblent  prendre  à tâche  d’embrouil- 
ler de  plus  en  plus  la  science.  S'ils  s'étaient  donné  la 
peine  d'examiner  avec  attention  la  nature  sur  les  lieux , ils 
auraient  été  à portée  de  vérifier  que  la  chrysolite  des  vol- 
cans forme  des  masses  extrêmement  volumineuses  pesant 
quelquefois  soixante  à quatre-vingts  livres  *,  qu’elle  n’est 
formée  que  de  l’agrégation  d’une  multitude  de  très-pe- 
tits fragmens  anguleux  et  irréguliers  d’une  pierre  plus 
ou  moins  brillante  , plus  ou  moins  transparente  , plus 
ou  moins  dure  , plus  ou  moins  altérée,  qui  peut  avoir 
des  principes  analogues  à ceux  du  péridot  par  l’analyse 
chimique  , mais  qui  en  diffère  essentiellement  par  la  ma- 
nière dont  elle  s’altère  et  se  décompose,  par  les  masses 
qu’elle  forme  , par  les  lieux  où  elle  se  trouve:  son  ana- 
logue , si  nous  pouvons  nous  exprimer  ainsi  , n’ayant  été 
reconnu  jusqu’à  présent  que  dans  les  déjections  volca- 
niques. Sans  doute  ces  caractères  sont  bien  sufîisans  pour 
engager  les  naturalistes  qui  ont  véritablement  à cœur  le 
progrès  de  la  science  , à lui  restituer  le  nom  qu’elle  était 
en  possession  d’avoir  depuis  si  long-temps  , sauf  à don- 
ner , à la  suite  de  la  description  de  cette  pierre , l’ana- 
lyse exacte  de  ses  principes  constitutifs  , et  d’ajouter, 
si  l’on  veut , que  les  mêmes  élémens  se  trouvent , en 
tout  ou  en  partie,  dans  la  pierre  gemme  connue  sous 
le  nom  de  péridot.  F . 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  3l 
il  en  est  tel  qui  peut  peser  plusieurs  milliers  de 
livres.  Sa  cassure  est  compacte , écailleuse;  il  se 
brise  en  morceaux  irréguliers , transparens  dans 
les  angles  : il  étincelle  faiblement  sous  le  briquet. 
La  couleur  de  sa  base  a teint  en  rouge  les  feld- 
spaths  , accident  qui  se  remarque  dans  certains 
porphyres  orientaux. 

Mais  ce  porphyre , rejeté  du  sein  du  volcan  , 
a-t-il  souffert  la  fusion,  ou  bien  se  trouve-t-il 
dans  son  état  naturel , n’ayant  éprouvé  tout  au 
plus  qu’une  simple  calcination  ? Je  ne  saurais  dé- 
cider positivement  cette  question  ; mais  la  se- 
conde conjecture  me  paraît  la  plus  vraisem- 
blable, ayant  remarqué  dans  les  parties  même 
les  plus  internes  de  ce  porphyre,  certaine  altéra- 
tion qui  paraît  être  l’effet  d’une  véritable  calci- 
nation. 

La  pâte  de  cette  roche  s’est  ramollie  au  four- 
neau : les  feld-spaths  se  sont  conservés  intacts  ; 
les  schorls  se  sont  vitrifiés. 

Les  excavations , les  larges  et  profonds  sillons 
creusés  par  les  eaux  des  pluies , et  s’étendant 
du  pied  de  la  montagne  jusqu’au  sommet,  m’ont 
donné  la  facilité  de  découvrir  et  de  décrire  toutes 
ces  substances  pierreuses  ; hors  de-là  on  ne  voit 
que  la  croûte  nue  et  superficielle  du  tuffa.  Ces 

C 4 


VOYAGES 


Sa- 

substances  n’ont  point  coulé  $ elles  se  trouvent 
dans  un  état  d’isolement  qui  fait  croire  que,  lan- 
cées en  l’air  par  les  bouches  volcaniques , elles 
sont  venues  tomber  et  s’ensevelir  dans  le  tuffa. 

Quand  on  a atteint  le  sommet  de  la  montagne, 
onvoit  s’ouvrir  àl’ouest  une  plaine  spacieuse  où  le 
tuffa  , devenu  terreux,  est  employé  à la  culture 
du  froment  et  des  vignobles.  Des  morceaux  de 
verre  semi- transparent  et  noirâtre  brillent  à sa 
surface  : c’est  un  des  plus  purs  et  des  plus  éclatans 
que  fournisse  File.  Curieux  d’en  connaître  l’ori- 
gine, je  ne  tardai  pas  à la  découvrir  en  faisant 
creuser  dans  le  lieu  même.  La  couche  de  tuffa 
n’a  environ  que  trois  ou  quatre  pieds  d’épaisseur  ; 
au-dessous  gisent  les  pierres  ponces.  C’est  avec  ces 
pierres  que  se  trouve  mêlé  en  abondance  le  verre 
que  la  charrue,  ou  d’autres  instrumens  aratoires, 
ramène  à la  surface  de  la  terre  , lorsqu’on  la  pré- 
pare pour  recevoir  les  semences. 

A l’extrémité  de  la  plaine , se  trouvent  les 
Etuves  , situées  sur  une  pente  douce  d’environ 
deux  cents  pieds  de  longueur.  Quelque  préven- 
tion favorable  qu’un  voyageur  ait  pu  concevoir 
pour  elles  d’après  leur  renommée  , elle  doit  s’é- 
vanouir en  leur  présence.  C’est  un  groupe  de 
quatre  ou  cinq  excavations  en  forme  de  grottes, 
plus  semblables  aux  tannières  des  ours  qu’à  des 


/ 

DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  33 
habitations  d’hommes , et  où  l’art  se  montre  in- 
finiment plus  près  de  son  enfance  que  dans  les 
cabanes  des  castors.  Chaque  grotte  a dans  le 
fond  un  soupirail  naturel  qui  donne  entrée  aux 
vapeurs  chaudes  et  humides , et  une  ouverture 
en  haut  qui  procure  leur  sortie.  J’entrai  dans  une 
de  ces  grottes , mais  je  ne  pus  y rester  long- 
temps, moins  à cause  de  la  chaleur  , car  le  ther- 
momètre n’y  montait  qu’à  quarante-huit  degrés 
deux  tiers  , que  de  je  ne  sais  quoi  de  suffocant 
qui  remplissait  son  atmosphère  intérieure.  Ces 
Etuves  n’en  ont  plus  que  le  nom  5 elles  sont  pour 
ainsi  dire  abandonnées  5 mais  quand  elles  con- 
serveraient leurs  vertus,  et  seraient  avantageuses 
dans  certaines  maladies  , comment  pourrait-on 
s’en  servir  puisqu’elles  manquent  des  commo- 
dités les  plus  indispensables  à des  malades? 

A l’époque  où  Doîomîeu  visita  ces  Etuves  , 
tout  le  terrein  environnant  était  pénétré  de 
vapeurs  brûlantes  qui,  sous  la  forme  d’une  fu- 
mée épaisse  , s’élevaient  par  de  petites  ouver- 
tures naturelles  d’un  ou  deux  pouces  de  dia- 
mètre 5 mais , comme  il  arrive  presque  toujours 
dans  les  volcans  où  la  présence  du  Feu  se  ma- 
nifeste plus  ou  moins  , les  choses  avaient  bien 
changé  depuis  ce  temps-là.  Je  n’y  trouvai  plus 
qu’un  trou  d’environ  un  pouce  de  diamètre,  d’où 


VOYAGES 


54 

sortait  de  temps  en  temps  une  fumée  très -lé- 
gère sentant  le  soufre.  L’ayant  agrandi , je  dé- 
couvris à l’entour  des  pyrites  molles  qui  s’étaient 
engendrées  par  l’union  du  fer  avec  le  soufre.  Au 
reste , j’ai  été  assuré  par  l’abbé  Trovatini  , dont 
j’ai  déjà  produit  l’autorité  dans  cet  ouvrage,  que 
dans  certain  temps  il  s’exhale  encore  autour  des 
Etuves  des  bouffées  de  fumée , et  je  dois  ajouter 
que,  non-seulement  je  sentis  une  odeur  de  soufre 
. en  approchant  de  ce  lieu , mais  qu’ayant  fouillé 
dans  le  sol  à la  profondeur  d’un  pied,  je  trouvai 
et  cette  odeur  plus  forte  , et  la  chaleur  plus 
considérable.  Ces  étuves,  et  les  bains  chauds 
dont  je  parlerai  plus  bas  , sont  les  seuls  monu- 
mens  de  File  qui  attestent  la  présence  d’une  in- 
flammation sulfureuse , et  d’un  volcan  où  couvent 
encore  les  dernières  étincelles  de  son  embrase- 
ment (i). 

(i)  J’ai  prouvé,  dans  le  chapitre  XIII,  que  les  dé- 
compositions des  divers  produits  de  Stromboli  et  de 
Yulcano  sont  occasionnées  , non  par  l’acide  muriatique 
auquel  Sage  prétend  que  Ton  doit  rapporter  les  princi- 
pales altérations  des  volcans , mais  par  les  exhalaisons 
acido-sulfureuses.  Je  pense  avec  Dolomieu  , que  les  dé- 
compositions qui  se  font  remarquer  aux  environs  des 
Etuves  de  Lipari  proviennent  de  la  même  cause,  et  l’on 
ne  peut  en  douter , quand  on  voit  les  restes  de  fumées 
sulfureuses  qui  s’en  exhalent,  et  l’abondan  ce  des  sulfates 
de  chaux  qui  y régnent.  Nvte  de  l’auteur . 


DANS  LES  DEUX  S I C I L E S.  35 

Après  avoir  décrit:  les  Etuves  de  Lipari  telles 
qu’elles  existaient  de  son  temps  , Dolomieu  exa- 
mine les  altérations  que  les  vapeurs  acido -sulfu- 
reuses ont  fait  subir  aux  laves  de  ce  lieu  ; il 
dit  que  j non- seulement  elles  sont  devenues  plus 
tendres  , plus  légères , mais  qu’en  perdant  leurs 
couleurs  primitives  , elles  ont  pris  une  teinte 
blanche,  avec  des  couleurs  superficielles  et  inté- 
rieures, jaunes,  rouges,  violettes,  et  toutes  les 
autres  nuances  que  peuvent  produire  les  oxides 
de  fer.  Il  observe  qu’elles  sont  revêtues  pour  la 
plupart  d’une  croûte  épaisse  de  sulfate  de  chaux 
qui  pénètre  souvent  jusque  dans  leur  intérieur  ; 
et  que  d’autres  sont  recouvertes  d’une  croûte  de 
mine  de  fer  limoneuse.  Il  explique  ensuite,  d’une 
manière  très- claire,  comment  la  combinaison  de 
l’acide  sulfureux  avec  les  diverses  terres  dont  une 
lave  est  composée  , peut  la  rendre  plus  légère 
et  diversement  colorée. 

Comme  j’ai  fait  trois  voyages  aux  Etuves  pour 
y étudier  avec  soin  ces  diverses  décompositions , 
je  peux  ajouter  quelques  observations  nouvelles 
à ce  qu’en  a dit  notre  voyageur  français. 

Il  était  important  de  savoir  à quel  genre  de 
laves  , prises  dans  l’état  où  les  laisse  le  feu  , 
appartenaient  celles  que  je  voyais  ici  dans  un  état 
d’altération.  Les  expériences  que  j’avais  déjà  ten- 


VOYAGES' 


36 

téès,  soit  à la  Solfatare  de  Pouzzole  ,$oit  ailleurs, 
m’ayant  appris  que  leur  décomposition  va  pour 
l’ordinaire  en  diminuant  de  la  surface  au  centre, 
je  pensai  que,  pour  en  obtenir  les  connaissances 
que  je  desirais , le  meilleur  moyen  était  de  creu- 
ser dans  leur  intérieur,  jusqu’à  ce  que  je  fusse 
parvenu  au  point  où  elles  sont  parfaitement 
saines.  Si  la  plupart  d’entr’elles  portent  une  cou- 
leur blanche  tirant  sur  le  rouge,  il  en  est  encore 
qui  conservent  des  teintes  sombres.  Je  commen- 
çai par  examiner  ces  dernières  ; et , présentant 
leur  surface  à la  lumière  du  soleil , j’y  vis  je  ne 
sais  quoi  de  brillant  qui  m’engagea  à les  obser- 
ver au  microscope.  Alors  je  découvris  une  agré- 
gation d’innombrables  globules  de  fer  hématite 
qui  s’étendaient  comme  un  voile  sur  ces  laves.  J’en 
détachai  plusieurs  sans  toucher  aux  parties  in- 
ternes, et  les  ayant  triturés , ils  me  donnèrent  une 
poussière  de  couleur  rouge  semblable  à celle  de 
l’hématite  noirâtre.  C’était  donc  un  dépôt  d’oxide 
martial  conformé  en  globules  5 sous  ce  dépôt,  il  y 
en  avait  un  autre  d’oxide  de  fer  rouge , mais  ter- 
reux 5 ensuite  ces  laves  me  parurent  blanches , 
à la  réserve  de  quelques  stries  d’un  rouge  noi- 
râtre , parallèles  entr’elles , et  légèrement  om- 
brées d’une  teinte  jaunâtre.  Elles  étaient  tendres, 
légères  , compactes  5 elles  s’attachaient  à la  lan- 
gue , se  laissaient  pénétrer  par  l’eau  ; pâteuses 


DANS  LES  DEUX  S I C I L £ S.  5 J 

comme  Pargile , elles  n’en  avaient  pas  l’odeur  5 
semblables  à des  laves  simples  , elles  paraissaient 
ne  point  receler  de  corps  étrangers.  Leur  cassure 
conchoïde,  et  le  son  qu’elles  rendaient  sous  le 
marteau  , son  analogue  à celui  de  certains  pétro- 
silex  , me  donnèrent  quelque  soupçon  qu’elles 
appartenaient  à ce  genre  de  roche.  Ce  soupçon 
se  fortifia  à mesure  que  je  pénétrai  dans  leur  in- 
térieur. A la  profondeur  de  deux  pieds  , je  vis 
la  couleur  grise  remplacer  la  blanche , et  toutes 
les  autres  apparences , s’affaiblissant  peu  à peu  , 
laisser  aux  laves  un  aspect  siliceux  ; là , elles 
commençaient  à donner  quelques  étincelles  sous 
le  choc  du  briquet.  Enfin , plus  intérieurement, 
elles  manifestaient  avec  évidence  leur  base  de 
pétro-silex  , mêlée  avec  de  petits  schorîs  qui  n’é- 
taient point  apparens  dans  les  parties  décompo- 
sées, probablement  parce  que  la  décomposition 
les  avait  aussi  gagnés. 

J’observai  à-peu-près  les  mêmes  gradations 
dans  les  laves  qui,  à leurs  surfaces,  paraissent 
blanches  avec  des  nuances  rouges.  Insensible- 
ment le  rouge  s’évanouissait  dans  leur  intérieur  $ 
le  blanc  cédait  peu  à peu  la  place  au  gris  , qui 
acquérait  du  lustre.  Ces  laves  prenaient  de  la 
dureté  , et  finissaient  par  se  montrer  avec  tous 
les  caractères  du  pétro-  silex. 


38 


VOYAGES 


Une  d’elles , diaprée  de  blanc  et  de  rouge  fleur 
de  pêche  , était  piquée  à sa  surface  de  points 
pulvérulens  : c’étaient  des  feld-spaths  décompo- 
sés, mais  qui  conservaient  encore  un  reste  de 
cristallisation.  Cette  lave,  plus  altérée  que  les 
autres  par  les  acides,  avait  plus  de  mollesse,  plus 
de  tendance  à la  friabilité.  Cependant , à deux 
pieds  de  profondeur , elle  était  dure , pesante  et 
grise , et  les  feld-spaths  y reparaissaient  entiers 
dans  sa  base  pétro-siliceuse. 

Dans  la  description  que  j’ai  donnée  des  divers 
produits  de  la  Solfatare  de  Pouzzole , on  a vu 
que  ces  cristaux  résistent  fortement  à l’action 
des  acides  , et  que  souvent  même  ils  en  sont  à 
peine  atteints , que  leur  base  est  déjà  tombée 
dans  une  décomposition  complète.  Si  donc  les 
feld-spaths  de  la  lave  actuelle  sont  autant  alté- 
rés que  leur  base  , il  faut  en  conclure  que  les 
acides  ont  exercé  dans  ce  lieu  une  influence  bien 
puissante.  En  général,  j’ai  trouvé  cette  espèce 
de  lave  pâteuse  , et  presque  savonneuse  , carac- 
tère qui  accompagne  d’ordinaire  de  semblables 
décompositions. 

Je  ferai  encore  mention  d’une  brèche  volca- 
nique , ayant  pour  base  le  pétro-silex  , où  l’ac- 
tion des  acides  n’a  pénétré  que  de  quelques 
pouces.  Cette  base , même  à sa  surface  , n’a  pas 


DANS  LES  DEUX  SIC  ÎLE  S.  5$ 

tout -à- fait  perdu  sa  couleur  naturelle , sem- 
blable à celle  du  fer.  On  y trouve  incorporées 
de  petites  masses  irrégulières  de  laves  blanchies , 
et  qui  tombent  en  poussière  : celles-ci  ont  donc 
cédé  plus  facilement  à la  décomposition.  Cepen- 
dant si  Ton  pénètre  plus  loin  dans  l’intérieur  de 
la  brèche  , on  les  retrouve  intactes , et  on  re- 
connaît que  ce  sont  des  fragmens  de  laves  à pierre 
de  corne. 

Quoique  la  plupart  des  laves  des  Etuves  de 
Lipari  aient  beaucoup  souffert  de  l’impression 
des  vapeurs  acido  - sulfureuses , il  en  est  pour- 
tant qui  ne  donnent  aucun  signe  d’altération.  Je 
me  contenterai  de  citer  une  de  ces  dernières  , 
qui  me  parut  aussi  bien  conservée  que  si  elle 
avait  été  formée  la  veille  par  le  feu  volcanique. 
Elle  saillit  hors  de  terre  en  grosses  masses;  elle 
a la  couleur  du  fer , le  grain  très-compacte , la 
cassure  conchoïde  ; les  morceaux  en  sont  tran- 
chans  par  les  bords,  et  étincelans  sous  le  choc 
de  l’acier.  On  doit  la  ranger  parmi  les  laves  les 
plus  pesantes  et  les  plus  dures  : elle  met  en  mou- 
vement  l’aiguille  aimantée  à la  distance  de  deux 
lignes  ; sa  base  est  un  pétro-silex  qui  renferme 
des  aiguilles  très-brillantes  de  feld-spath.  Il  est 
donc  certain  que  les  acides  ne  l’ont  point  en- 
dommagée , non  qu’ils  soient  impuissans  à son 


VOYAGES 


4o 

égard,  mais  sans  doute  parce  qu’ils  ne  l’ont  £as 
attaquée. 

Le  sol  sous  lequel  s’étend  le  foyer  d’un  incen- 
die volcanique  a des  ouvertures,  des  soupiraux 
qui  dorment  passage  aux  fumées  sulfureuses , et 
les  laves  qui  se  trouvent  dans  leur  voisinage  en 
sont  plus  ou  moins  affectées  3 mais  il  a aussi  des 
parties  impénétrables  à ces  mêmes  fumées  , où 
les  laves  ne  sont  exposées  à d’autres  influences 
qu’à  celles  du  temps.  J’ai  vu  cette  dissémination 
de  vapeurs  sulfureuses  sur  le  Vésuve  , l’Etna , le 
Stromboli,  et  j?ai  eu  soin  de  le  faire  remarquer 
à mes  lecteurs.  Ici  la  décomposition  s’étend  à un 
si  grand  nombre  de  laves , et  les  pénètre  pour 
la  plupart  si  profondément , que  l’on  doit  sup- 
poser que  ces  vapeurs  se  sont  ouvert  des  passages 
en  une  infinité  d’endroits  , et  qu’elles  ont  existé 
long-temps.  Cependant  leur  énergie  peut  quel- 
quefois suppléer  à leur  durée.  J’ai  été  témoin 
sur  le  Vésuve  de  l’éruption  d’une  lave.  Déjà  plu- 
sieurs rameaux  latéraux  avaient  cessé  de  se  mou- 
voir ; j’en  vis  deux  entr’autres  qui , pour  s’être 
laissé  pénétrer  par  un  nuage  épais  de  ces  vapeurs, 
étaient  déjà  à demi-décomposés , quoiqu’ils  fus- 
sent dérivés  d’un  courant  qui  avait  débouché  de- 
puis peu  de  mois  par  les  flancs  de  la  montagne. 
Il  faut  encore  convenir  que  les  diverses  qualités 

des 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  4l 
des  laves,  en  tant  qu’elles  contiennent  plus  ou 
moins  de  principes  calcaires  , argileux  et  mar- 
tiaux, tous  susceptibles  de  combinaison  avec  les 
acides  sulfureux , influent  toujours  sur  leur  dé- 
composition, et  la  rendent  plus  ou  moins  facile. 

La  décomposition  influe  à son  tour  sur  la  fu- 
sibilité des  laves.  Quand  elles  sont  saines  , elles 
se  fondent  sans  difficulté  ; quand  elles  renfer- 
ment un  principe  d’altération  , elles  résistent 
plus  long-temps  à l’action  du  feu  ; enfin  quand 
la  décomposition  les  a tout- à- fait  gagnées  , 
elles  sont  réfractaires,  La  raison  de  ces  diffé- 
rences est  claire.  Le  feu  agit  d’autant  moins  sur 
les  terres  qu’elles  sont  plus  pures , et  si  on  les  lui 
soumet  isolément,  il  ne  les  fond  point,  à moins 
que  l’on  n’élève  sa  puissance  au  plus  haut  degré. 
Mais  leur  mélange  en  facilite  la  fusion  ; elles  se 
servent  réciproquement  de  flux , sur-tout  quand 
l’alumine  et  la  chaux  se  trouvent  combinées  avec 
la  silice  dans  le  rapport  respectif  d’un  à trois.  Je 
n’ai  point  traité  de  laves  où  je  n’aie  rencontré  ces 
trois  terres  ; et  quoiqu’elles  n’y  existassent  pas 
dans  la  proportion  ci-dessus,  leur  mélange  suffisait 
pour  que  j’en  obtinsse  la  fusion.  Mais  la  chaux 
qui  sert  de  fondant  à la  silice  par  la  voie  sèche , 
s’affaiblit  considérablement  dans  la  décomposi- 
tion des  laves , en  formant  le  sulfate  de  chaux 
Tome  III . D 


VOYAGES 


par  son  intime  union  avec  l’acide  sulfureux.  Voilà 
donc  un  premier  obstacle  à leur  fusion  : nous  en 
trouverons  un  second  dans  la  diminution  de  l’alu- 
mine qui , se  combinant  avec  le  même  acide  , 
forme  le  sulfate  d’alumine  que  les  pluies  dissol- 
vent et  entraînent  avec  elles  ( 1 ),  Enfin  la  priva- 
tion du  fer  peut  être  comptée  pour  un  troisième 
obstacle  qui  s’oppose  à la  fusion  des  laves  dé- 
composées. 

Tous  ces  sulfates,  unis  à la  plupart  des  laves 
des  Etuves  , forment  aux  yeux  du  naturaliste  un 
spectacle  agréable.  Leurs  couleurs  sont  très- va- 
riées ; les  plus  tranchantes  sont  le  rose , le  violet , 
l’orangé , et  elles  ont  d’autant  plus  d’éclat,  qu’elles 
reposent  pour  l’ordinaire  sur  un  fond  très-blanc. 

Ces  sulfates  varient  dans  leur  structure  ; on 
peut  en  compter  de  trois  sortes  : la  première  est 
composée  de  lames  parallèles , très-  déliées , étroh 
tement  unies,  lustrées,  compactes  et  opaques. 
Ces  lames  forment  des  couches  qui  ont  quelque- 


(1)  Pour  ôter  toute  équivoque,  il  est  bon  de  répéter 
ici  ce  que  j'ai  dit  chap.  II , que  les  prétendues  méta- 
morphoses delà  silice  et  autres  terres  en  argile,  n’existent 
point  dans  la  décomposition  des  laves:  au  contraire  cette 
dernière  terre  éprouve  dans  ce  cas  une  diminution  par 
la  raison  alléguée.  Note  de  l’auteur . 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  43 
fois  un  pied  d’épaisseur.  Ces  couches  se  dé- 
tachent facilement  des  laves  auxquelles  elles 
adhèrent. 

La  seconde  est  filamenteuse  ; les  filamens  sont 
parallèles  ou  étoilés  5 dans  le  dernier  cas  , ils 
constituent  des  espèces  de  pyramides  dont  le 
sommet  se  réurï^  au  centre  de  l’étoile  , et  la 
base  à la  circonférence.  On  en  trouve  de  très- 
gros  morceaux  uniquement  formés  par  l’agré- 
gation de  ces  pyramides. 

La  troisième  est  composée  de  lames  fines  et 
brillantes  , un  peu  élastiques  , transparentes  et 
très-tendres.  Elle  a la  cristallisation  indétermi- 
née du  sulfate  de  chaux,  ou  pierre  spéculaire; 
mais  ce  sulfate  est  rare  , et  ses  cristaux  sont 
toujours  très-petits. 

Quant  aux  couleurs  rouges , jaunes  ou  vio- 
lettes dont  se  parent  les  laves  décomposées,  il 
est  évident  qu’elles  sont  produites  par  le  fer  qui 
préexistait  dans  ces  laves , et  qui , altéré  lui- 
même  par  les  acides  , se  modifie  de  plusieurs 
manières , et  engendre  toute  cette  variété  de 
teintes.  C’est  encore  ce  métal  oxidé  qui  colore 
diversement  les  sulfates  de  chaux  , sulfates  for- 
més par  la  combinaison  de  l’acide  sulfureux  avec 
la  chaux,  qui  , ayant  perdu  son  adhésion  avec 

D a 


VOYAGES 


44 

les  principes  constituans  des  laves , est  restée  h 
découvert  ; mais  c’est  par  la  privation  entière  de 
ce  métal  que  les  laves  entièrement  décomposées 
blanchissent.  En  effets  elles  n’agissent  plus  sur 
l’aiguille  aimantée,  tandis  que  les  autres  l’attirent 
constamment. 

Je  terminerai  cette  discussion  sur  les  produc- 
tions des  Etuves  de  Lipari  par  quelques  obser- 
vations relatives  à diverses  espèces  de  zéolites 
que  j’ai  découvertes  dans  les  environs.  Je  les  no- 
terai chacune  séparément , en  y joignant  la  des- 
cription de  leur  matrice. 

Première  espèce * Sa  matrice  est  une  lave  à 
base  de  pierre  de  corne , teinte  d’un  brun  foncé , 
grenue  dans  la  cassure , et  qui  étincelle  à peine 
sous  le  choc  de  l’acier.  Elle  ne  paraît  pas  alté- 
rée par  l’acide  sulfureux.  Elle  est  parsemée  de 
petites  cavités  oblongues  presque  toutes  dirigées 
dans  le  même  sens,  et  qui  probablement  se  sont 
formées  pendant  son  écoulement.  C’est  dans  ces 
cavités  que  l’on  trouve  la  zéolite.  Au  premier 
aspect  on  la  prendrait  pour  une  stalactite  de  cal- 
cédoine ; elle  est  mammelonée  , ou  en  forme  de 
grappe  de  raisin  ; sa  couleur  est  un  blanc  bleuâtre 
et  perlé  5 sa  cassure  est  siliceuse , un  peu  transpa- 
rente. Mais  elle  a trois  propriétés  qui  la  caracté- 
risent : la  première  est  de  former  une  gelée  avec 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  45 
les  acides  minéraux  ; la  seconde  est  de  jeter  des 
lueurs  phosphoriques  semblables  à réclair,  quand 
elle  est  sur  le  point  de  se  fondre  5 la  troisième  est 
de  se  gonfler  et  de  bouillonner,  pour  ainsi  dire, 
dans  la  fusion.  Quoique  chacun  de  ces  caractères 
ne  soit  pas  privativement  celui  des  zéolites,  ce- 
pendant leur  réunion  suffit  pour  en  fixer  la  na- 
ture. Il  faut  donc  placer  celle-ci  au  rang  des 
zéolitesqui  n’ont  aucune  forme  déterminée.  Ses 
grains  ou  mammelons  n’adhérant  à la  lave  que 
par  quelques  points , peuvent  s’en  détacher  tout 
entiers.  Les  plus  gros  ont  cinq  lignes  de  longueur 
sur  deux  ou  trois  de  largeur.  La  forme  en  grappe 
est  la  plus  ordinaire  à cette  zéolite  : elle  prend 
quelquefois  celle  d’un  globule  alongé  qui  rem- 
plit toute  la  cavité  où  il  se  trouve.  Au  reste  , il 
s’en  faut  beaucoup  que  chaque  cellule  enferme 
une  de  ces  pierres  $ sur  cent , il  y en  a , pour 
Je  moins,  quatre-vingt-dix  de  vides.  Quant  à 
leur  couleur  , elles  sont  en  général  salies  par 
une  poussière  ferrugineuse  de  couleur  oran- 
gée. 

Le  chalumeau  a de  la  peine  à fondre  cette 
zéolite  y il  faut  plusieurs  secondes  , avec  le  gaz 
oxigène  , pour  obtenir  sa  fusion  complète.  Elle 
se  convertit  alors  en  un  émail  blanc  comme  la 
neige  et  rempli  de  bulles.  Elle  jette,  comme  je 

B 3 


VOYAGES 


4S 

l’ai  déjà  remarqué  , de  petites  lueurs  phospho- 
riques  semblables  à réclair,  quand  elle  est  sur 
le  point  de  se  fendre  5 elle  bouillonne  et  se  gonfle 
quand  elle  est  dans  une  fusion  complète. 

Seconde  espèce . On  la  trouve  dans  quelques 
morceaux  de  la  lave  précédente;  mais  elle  a des 
caractères  qui  lui  sont  particuliers.  Elle  a enduit 
d’un  léger  vernis  les  cavités  de  la  lave,  et  formé 
par-là  des  géodes,  qui  pourtant  ne  sont  pas  in- 
térieurement cristallisées.  Cette  zéolite  , dont  la 
couleur  tire  sur  le  blanc  , est  plus  transparente 
que  la  précédente; elle  coupe  le  verre  aussi  bien 
que  le  ferait  le  cristal  de  roche.  Les  acides  miné- 
raux n’ont  aucune  prise  sur  elle  , même  étant  ré- 
duite en  poudre,  tandis  qu’ils  font  une  gelée  avec 
la  zéolite  de  la  première  espèce.  En  se  fondant  au 
gaz  oxigène,  elle  jette  un  éclair  léger  et  brillant  ; 
elle  bouillonne  , et  se  convertit  en  un  globule 
vitreux  et  blanc. 

Il  n’est  pas  rare  de  trouver  dans  ces  géodes  de 
petites  lames  de  sulfate  de  chaux  transparentes. 
Pour  m’assurer  de  la  nature  de  ce  sulfate,  j’en  ai 
mis  cent  grains  pulvérisés  dans  six  cents  d’eau 
distillée  et  bouillante.  La  solution  s’est  faite  , et 
l’acide  oxalique  a précipité  la  chaux. 

Troisième  espèce . Elle  paraît  sous  la  forme 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  4? 
de  globules  ovoïdes  , salis  à leur  surface  par  un 
nuage  terreux,  mais  très- blancs  dans  l’intérieur. 
Ils  sont  composés  de  petits  faisceaux  de  fibres 
opaques  , striés , soyeux  et  lustrés  , qui  partant 
du  centre  des  globules , divergent  à la  circon- 
férence, et  se  présentent  comme  autant  de  cônes 
renversés.  Ces  globules,  dont  les  plus  grands  ont 
quatre  lignes  de  diamètre , existent  dans  les  ca- 
vités d’une  lave  argileuse  , légère  , friable  , et 
les  remplissent  entièrement.  Quelquefois,  au  lieu 
de  globules , on  y trouve  de  petits  groupes  de 
zéolites  à facettes  , mais  si  confuses , qu’on  ne 
peut  en  déterminer  la  cristallisation.  On  voit 
seulement  qu’elles  dérivent  de  la  même  subs- 
tance ; que  , dans  le  cas  où  cette  substance  a 
été  assez  abondante  pour  remplir  toute  une  ca- 
vité de  la  lave , elle  a engendré  des  faisceaux  de 
fibres  qui  ont  pris  extérieurement  une  forme 
sphérique;  que  dans  le  cas  contraire,  et  lorsqu’il 
lui  est  resté  un  espace  libre,  elle  s’est  plus  ou 
moins  cristallisée  , en  laissant  toutefois  un  petit 
vide  dans  le  milieu  , ce  qui  donne  aux  groupes 
de  pierres  qu’elle  a formées  le  caractère  de  la 
géode. 

Le  chalumeau  fond  très- promptement,  et  met 
en  ébullition  cette  troisième  espèce  de  zéolite. 
Une  lueur  phosphorique  annonce  sa  fusion  , et 

D 4 


48  VOYAGES 

il  en  résulte  un  globule  perlé  , vitreux  , semi- 
transparent  , très-abondant  en  bulles.  Si  l’on  brise 
ce  globule,  ce  qui  ne  peut  se  faire  que  d’un  coup 
de  marteau  fortement  appuyé,  on  obtient  des 
éclats  dont  les  pointes  sont  propres  à couper 
profondément  le  verre. 

Cette  zéolite , plongée  dans  les  acides , s’at- 
tache bientôt  au  vase  sous  la  forme  d’une  croûte, 
qui  ne  tarde  pas  à son  tour  de  se  résoudre  en 
une  gelée  transparente  et  tremblante,  semblable 
à celle  de  la  corne  de  cerf. 

Quatrième  espèce.  Sa  matrice  est  une  lave  à 
base  de  pierre  de  corne  qui  constitue  deux  es- 
pèces , ou , si  l’on  veut , deux  variétés.  La  pre- 
mière est  grenue , rude  au  toucher  et  friable. 
La  seconde  est  un  peu  moelleuse  ; elle  a de  la 
finesse  dans  le  grain  et  de  la  solidité  : toutes  les 
deux  sont  grises  et  sentent  Pargile.  Les  zéolites 
renfermées  dans  ces  deux  laves  paraissent  sous  la 
forme  de  globules  de  diverses  grosseurs , mais 
vides  en  dedans , et  formant  autant  de  géodes 
dont  la  cristallisation  est  plus  ou  moins  avan- 
cée. En  l’examinant  dans  ses  divers  degrés  de 
perfection  , on  voit  que  lorsque  la  substance 
de  la  zéolite  s’est  trouvée  trop  à l’étroit  dans 
les  cavités  de  la  lave , les  prismes  tétraèdres  ré- 
sultans de  sa  cristallisation  n’ont  été  qu’ébau- 


DANS  LES  DEUX  S I C I L E S.  49 
chés  • que  lorsqu’elle  a joui  d’un  peu  plusxTes- 
pace  , leur  organisation  a été  moins  imparfaite  ; 
et  qu’enfm , lorsqu’elle  a pu  s’étendre  librement , 
ils  ont  pris  tout  leur  développement.  Chaque 
prisme  a quatre  faces  , et  il  est  tronqué.  Il  faut 
cependant  en  excepter  un  petit  nombre  qui  sont 
terminés  par  une  pyramide  tétraèdre.  Les  uns 
ont  la  blancheur  du  lait  et  sont  semi-transpa- 
rens  : les  autres  ont  la  limpidité  des  cristaux 
quartzeux. 

Ces  gaodes  se  fondent  très-facilement  au  cha- 
lumeau 5 elles  offrent  les  phénomènes  ordinaires 
de  l’ébullition  et  de  la  phosphorescence.  Les 
produits  qui  résultent  de  leur  fusion  et  de  leur 
mélange  avec  les  acides,  sont  semblables  à ceux 
des  zéolites  de  la  troisième  espèce.  La  gelée 
qu’elles  forment  dans  ce  dernier  cas  est  seule- 
ment un  peu  moins  visqueuse. 

Cinquième  espèce.  Une  lave  argileuse  teinte 
en  gris  foncé , légère , et  ayant  une  consistance 
terreuse,  renferme  cette  cinquième  espèce  de 
zéolite  , qui  se  montre  sous  la  forme  de  petites 
sphères  blanches  comme  la  neige.  Elles  sont 
très-nombreuses,  et  occupent  chacune  une  ca- 
vité de  la  lave.  Elles  varient  dans  leur  grosseur: 
les  plus  petites  ont  à peine  un  tiers  de  ligne  , 
et  les  plus  grandes  trois  lignes.  Leur  surface  est 


5 o 


VOYAGES 


un  peu  raboteuse , à cause  d'une  multitude  d« 
points  qui  , vus  à la  loupe  , se  font  reconnaître 
pour  les  bases  de  petits  prismes  tétraèdres  tron- 
qués. 

En  ouvrant  ces  sphères , on  s’apperçoit  que 
les  prismes  se  prolongent  au-dedans5  et  s’avancent 
en  s’amincissant  jusqu’au  centre  5 ou , pour  parler 
plus  juste , que  les  sphères  ne  sont  elles-mêmes 
que  le  résultat  des  prismes  assemblés  et  unis  dans 
leur  longueur.  La  portion  des  prisme  plongée 
dans  les  sphères  est  opaque  ; mais  un  certain  degré 
de  transparence  caractérise  celle  qui  en  sort.  Il 
faut  observer  que , quoique  le  plus  grand  nombre 
des  sphères  soit  entièrement  solide,  il  en  est  plu- 
sieurs qui  ont  une  cavité  ronde  dans  le  centre , oc- 
cupant quelquefois  un  dixième  de  leur  volume. 

Cette  zéolîte  est  la  plus  tendre  de  toutes  celles 
dont  j’ai  parlé  jusqu’à  présent.  On  peut , avec 
un  couteau  , la  racler  et  l’entamer. 

Sixième  et  dernière  espèce . La  lave  précé- 
dente sert  également  de  matrice  à cette  zéolite, 
une  des  plus  belles  que  les  naturalistes  aient 
découvertes.  EÜeest  organisée  en  petits  cristaux 
transparens  , limpides  , qui  réfléchissent  la  lu- 
mière avec  vivacité  , et  brillent  comme  des  dia- 
raans.  Ils  tapissent  les  cavités  de  la  lave  ; mais 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  5 1 

ils  y sont  inégalement  répartis.  Les  plus  grands 
ont  environ  une  ligne  , les  plus  petits  en  ont  à 
peine  le  quart.  Il  n’est  pas  facile  de  les  obser- 
ver sur  la  lave  ; mais  on  parvient , avec  de  l’a- 
dresse , à en  détacher  quelques-uns  , et  alors 
on  peut  les  examiner  à la  loupe  sous  toutes  leurs 
faces.  Chaque  cristal  est  aplati  dans  sa  partie 
qui  repose  sur  la  lave;  dans  tout  le  reste,  il 
affecte  une  forme  globuleuse  , et  manifeste  sa 
cristallisation.  Les  cristaux  isolés  y je  veux  dire 
ceux  qui  se  sont  formés  sans  s’attacher  à d’autres 
cristaux,  ont  dix-huit  facettes  à cinq  ou  à quatre 
côtés  , jamais  à trois  5 mais  ils  sont  très -rares. 
Tous  les  autres  sont  agrégés  ensemble  , et  grou- 
pés confusément.  Quoique  plusieurs  d’entr’eux 
le  disputent  en  transparence  avec  le  plus  beau 
cristal  de  roche  , ils  lui  sont  bien  inférieurs  en 
dureté,  puisqu’à  peine  ils  rayent  le  verre. 

J’avais  d’abord  pensé  que  cette  zéolite  n’était 
qu’une  simple  modification  de  la  cinquième  es- 
pèce qui  s’était  cristallisée  quand  elle  avait  trou- 
vé un  espace  libre  \ mais  l’observation  m’a  fait 
changer  de  sentiment.  J’ai  vu  souvent  les  petites 
sphères  blanches  qui  constituent  la  cinquième 
espèce  , n’occuper  que  la  moitié  de  la  cavité 
de  la  lave  , sans  jamais  prendre  la  forme  de  la 
sixième  espèce,  et  jfai  constamment  observé  que , 


VOYAGES 


5% 

dans  ce  cas , leurs  prismes  tétraèdres  sortent 
davantage  hors  de  la  convexité  de  la  sphère,  et 
ont  plus  de  transparence. 

Cette  différence  d’organisation  en  amène  une 
autre  dans  les  résultats , quand  on  soumet  à l’ac- 
tion du  feu  et  des  acides  ces  deux  zéolites. 

Les  acides  n’agissent  pas  sensiblement  sur  la 
sixième  espèce,  et  cependant  ils  réduisent  la  cin- 
quième en  flocons  gélatineux.  Le  feu,  au  bout 
d’une  demi-heure  , convertit  la  sixième  en  pe- 
tites gouttes  de  verre  transparent , et  ne  fait  que 
ramollir  la  cinquième,  qui, pour  se  fondre,  exige 
un  plus  long  temps.  Le  petit  globule  qui  en  ré- 
sulte alors,  est  un  verre  opaque,  couleur  de  lait. 
Du  reste,  j’ai  observé,  en  traitant  ces  deux  es- 
pèces de  zéolites  avec  le  gaz  oxigène  , qu’elles 
jouissent  l’une  et  l’autre  de  la  propriété  de  jeter 
une  lueur  phosphorique  à l’instant  de  leur  fu- 
sion. 

L’examen  que  je  venais  de  faire  des  zéolites 
de  Lipari , me  donna  l’idée  de  rapprocher  les 
résultats  que  j’en  avais  obtenus,  de  ceux  que 
m’ofFriraient  les  zéolites  d’Islande  , uqui  passent 
pour  jouir  au  plus  haut  degré  de  la  propriété  de 
se  dissoudre  en  un  corps  gélatineux.  Celle  que  je 
choisis  pour  cette  expérience  était  très-blanche 5 


DANS  LES  J)  EUX  SIC  ILE  S.  53 
elle  présentait  un  groupe  de  petits  faisceaux  co- 
niques étroitement  aglutinés,  et  croisés  en  divers 
sens  , dont  les  extrémités  divergentes  se  termi- 
naient en  une  multitude  d’aiguilles  configurées 
en  cylindres  imparfaits.  Plongée  dans  les  acides, 
cette  zéolite  me  donna  promptement  une  gelée 
très-belle , à la  vérité  , mais  non  supérieure  à 
celle  de  la  troisième  et  quatrième  espèce  de  Li- 
pari.  Elle  se  gonfla  dans  le  fourneau  , devint  très- 
légère  , mais  ne  se  fondit  pas.  Traitée  avec  le 
gaz  oxigène  ’ elle  se  convertit  en  un  émail  cou- 
leur de  lait , dur  et  rempli  de  bulles. 

Je  voulus  ensuite  savoir  quels  étaient  les  rap- 
ports qui  existaient  entre  les  zéolites  de  Lipari 
et  celles  des  autres  pays , observées  par  divers 
naturalistes.  J’en  comparai  les  descriptions , et  je 
reconnus  que  la  première  espèce  est  très-ana- 
logue à la  zéolite  de  Ferrbe  , que  Born  a décrite 
dans  son  Lithophylacium , en  disant  qu’elle  res- 
semblait à la  calcédoine  stalactite. 

La  seconde  espèce  a la  dureté  de  quelques 
zéolites  cristallisées  de  Pîle  des  Cyclopes  de  l’Et- 
na. Ces  dernières,  comme  l’a  observé  Dolomieu, 
et  comme  je  l’ai  éprouvé  moi-même,  le  cèdent 
peu,  à cet  égard,  au  cristal  de  roche. 

Les  trois  autres  espèces  ne  différent  pas  essen- 

^ ,/  - 


VOYAGES 


54 

tielîement  de  celles  qui  ont  été  trouvées  dans 
Pisle  de  Ferrée , dans  le  Vivarais , &c.  et  qui  ont 
été  décrites  par  Vallerius,  Born  > Bergmann  et 
Faujas. 

La  sixième  espèce  est  nouvelle  ; du  moins  je 
ne  connais  aucun  auteur  qui  ait  parlé  d’une  zéo- 
lite  dont  les  cristaux  isolés  portent  constamment 
dix-huit  facettes 5 et  quant  à ses  qualités,  j’ignore 
s’il  en  existe  qui  aient  autant  d’éclat  et  de  trans- 
parence. 

Il  paraît  que  le  cube  est  la  forme  primitive  de 
la  zéolite , celle  qu’elle  prend  toujours  quand  sa 
cristallisation  ne  rencontre  aucun  obstacle.  Cette 
forme  se  modifie  plus  ou  moins  suivant  les  cir- 
constances. Ainsi  la  première  et  la  seconde  es- 
pèce de  Lipari  sont  irrégulières  $ la  troisième  ma- 
nifeste un  principe  de  cristallisation  ; les  prismes 
tétraèdres  de  la  quatrième  et  de  la  cinquième , et 
les  cristaux  de  la  sixième  , sont  probablement 
des  modifications  de  la  forme  primitive.  Enfin  , 
je  connais  des  zéolites  cristallisées  à vingt-quatre 
et  $ trente  facettes. 

Quelques  naturalistes  prétendent  que  la  zéo- 
lite de  Ferroe  , la  plus  blanche  et  la  plus  pure 
des  zéolites  , est  la  seule  qui  fournisse  un  verre 
blaac  et  transparent.  Je  donne  la  préférence  au 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  55 
verre  de  la  sixième  espèce  de  Lipari  ; sa  couleur 
est  aqueuse  , et  sa  transparence  égale  à celle 
du  cristal  quartzeux.  Je  ne  connais  que  les  cris- 
taux zéolitiques  des  îles  des  Cyclopes  qui  puissent 
en  produire  d’aussi  parfait. 

Tous  les  minéralogistes  savent  que  Cronstedt 
a été  le  premier  à distinguer  cette  pierre  des 
carbonates  de  chaux  avec  lesquels  on  la  con- 
fondait , et  à mettre  au  jour  quelques-unes  de 
ses  principales  qualités.  Il  observa  que  les  acides 
minéraux  ne  faisaient  point  effervescence  avec 
elle  j mais  qu’ils  la  dissolvaient  lentement  en  un 
corps  gélatineux.  Cette  dissolution  lente , cette 
conversion  en  gelée,  n’ont  pas  toutefois  une  pro- 
priété si  inhérente  aux  zéolites  , qu’il  ne  s’en 
trouve  plusieurs  que  les  acides  les  plus  concen- 
trés ne  peuvent  attaquer.  Des  six  espèces  de 
Lipari,  on  a vu  que  la  troisième  et  la  quatrième 
se  convertissaient  promptement  en  une  gelée 
transparente  5 que  la  première  et  la  cinquième 
n’étaient  pas  aussi  propres  à cette  conversion  ; 
et  qu’enfm  la  seconde  et  la  sixième  s’y  refu- 
saient absolument. 

Pelletier  , dans  son  analyse  de  la  zéoîite  de 
Fîle  Ferroe , a montré  qu’il  entrait  dans  sa  com- 
position vingt  parties  d’alumine , huit  de  chaux. 


VOYAGES 


56 

cinquante  de  silice  , et  vingt  - deux  de  flegme. 
Bergmann,  Mey er,  Klaproth , ont  analysé  d’autres 
zéoiites.  Les  miennes  étaient  si  petites,  et  j’en 
possédais  si  peu  , que  je  n’ai  pu  tenter  sur  elles 
une  longue  suite  d’expériences  5 cependant  j’en 
ai  fait  assez  pour  m’assurer  que  la  seconde  et 
la  sixième  espèce  contiennent  une  plus  forte  dose 
de  silice  que  la  zéolite  analysée  par  Pelletier , et 
c’est  peut-être  la  cause  qui  les  empêche  de  for- 
mer un  sédiment  gélatineux.  La  surabondance 
de  la  terre  quartzeuse  ne  permettant  pas  aux 
acides  l’extraction  de  la  chaux  et  de  l’alumine  , 
les  principes  constituans  se  maintiennent  dans 
leur  étroite  union. 

Non-seulement  la  dissolution  gélatineuse  n’est 
pas  une  propriété  générale  des  zéoiites , mais 
elle  ne  leur  appartient  pas  exclusivement  ; l’ex- 
périence a démontré  qu’elle  est  commune  à plu- 
sieurs pierres  où  les  principes  constituans  étant 
les  mêmes  , se  trouvent  combinés  dans  une  cer- 
taine proportion.  En  réfléchissant  sur  cette  iden- 
tité de  principes  qui  est  la  cause  de  leur  conver- 
sion en  gelée  , il  me  vint  en  idée  de  faire  un 
essai  dont  je  donnerai  ici  le  résultat.  Les  grenats 
décolorés  du  Vésuve  contiennent,  selon  Berg- 
mann  , cinquante-cinq  parties  de  silice  , trente- 
neuf  d’alumine  et  six  de  chaux.  Comme  j’en  avais 

fait 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  O? 

fait  une  abondante  récolte  au  Vésuve,  j’imaginai 
de  les  traiter  avec  les  acides  de  la  même  manière 
que  les  zéolites.  Les  trois  premières  espèces  dont 
j’ai  donné  'plus  haut  l’indication  , ne  manifestè- 
rent aucun  signe  de  dissolution  , même  après  les 
avoir  réduites  en  pckidre.  Il  en  fut  autrement 
de  la  quatrième.  Je  n’employai  pas,  à la  vérité  , 
les  grenats  décrits  sous  cette  espèce,  car  mon 
expérience  eût  été  sans  effet  ; mais  j’en  pris 
d’analogues  qui  avaient  été  extrêmement  ra- 
mollis par  l’acide  sulfureux  , quoiqu’ils  con- 
servassent encore  leurs  vingt -quatre  facettes. 
L’acide  nitrique  les  convertit  au  bout  de  treize 
heures  en  une  gelée  qui  n’était  pas , à la  vé- 
rité , aussi  belle  que  celle  des  zéolites.  Il  faut 
en  conclure  que  cette  aptitude  à se  dissoudre, 
ils  la  tenaient  de  l’altération  qu’ils  avaient  éprou- 
vée , altération  qui  permettait  à l’acide  nitrique 
de  les  pénétrer  , et  d’agir  sur  eux  comme  il  agit 
sur  les  zéolites. 

On  a cru  que  les  zéolites  étaient  une  pro- 
duction particulière  aux  pays  volcanisés , parce 
que  c’est-là  qu’on  a coutume  de  les  trouver  \ 
mes  recherches  pourraient  fortifier  cette  opi- 
nion , si  Linné  , Cromstedt  et  d’autres  natura- 
listes , n’avaient  donné  des  preuves  incontes- 
tables de  leur  existence  dans  des  contrées  ou 
Tome  II  L E 


VOYAGES 


53 

Ton  n’apperçoit  aucuns  vestiges  des  feux  volca- 
niques (1). 

C’est  encore  un  fait  mis  hors  de  doute  que  les 
zéolites  des  volcans  ne  doivent  point  leur  origine 
au  feu;  qu’elles  y sont  purement  adventices,  non 
dans  le  sens  qu’elles  ont  préexisté  aux  éruptions 


(i)  Nul  doute  que  l’on  ne  trouve  la  zéolite  dans  les 
pays  où  il  n’y  a aucune  trace  de  volcan.  L’exemple  que 
je  vais  citer  d’après  ce  que  j’ai  vu  moi-même  sur  les 
lieux , servira  à confirmer  cette  vérité , et  à jeter  en  même 
temps  quelque  lumière  sur  un  point  de  fait  qui  n’est  pàs 
encore  parfaitement  éclairci. 

En  visitant  cette  année  les  environs  d’Oberstein  , dont 
toutes  les  montagnes  ne  sont  composées  que  d’une  roche 
porphyrique  très-variée , je  poussai  ma  route  jusqu’à 
Reichenbach , en  suivant  toujours  les  mêmes  roches  por- 
phyriques.  Mon  intention  était  de  faire  une  étude  ap- 
profondie des  belles  zéolites  mêlées  de  cuivre  qu’on 
trouve  dans  ce  dernier  lieu. 

Reichenbach  est  un  petit  village  bâti  sur  un  plateau 
entouré  de  terres  cultivées  qui  ne  sont  formées  que 
d'une  terre  porphyrique  produite  par  la  décompositioh 
spontanée  d’une  roche  de  la  même  nature  ; de  manière 
qu’en  fouillant  à huit  à dix  pouces  de  profondeur , on 
trouve  la  roche  à nu , et  que  la  terre  , examinée  à la 
loupe  , offre  les  mêmes  élémens.  Des  portions  assez  con- 
sidérables de  ce  porphyre  ont  une  teinte  verdâtre  très- 
vive;  quelquefois  elles  sont  colorées  d’un  verd  bleuâtre; 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S. 
et  qu’elles  ont  été  enveloppées  par  les  laves  et 
incorporées  en  elles,  comme  le  prétend  un  cé- 
lèbre volcaniste  , mais,  en  tant  qu’elles  se  sont 
engendrées  après  l’extinction  des  incendies,  au 
moyen  des  eaux  qui  ont  transporté  et  déposé 
leurs  parties  constituantes  dans  les  cavités  des 
laves , où  les  différentes  combinaisons,  de  leurs 


et  cette  couleur , qu'on  croirait  due  au  fer,  est  néanmoins 
le  produit  d'un  oxide  de  cuivre  mêlé  d’un  peu  de  zinc, 
ainsi  que  je  m'en  suis  assuré. 

Des  noyaux  de  zéolite  , dont  quelques-uns  pèsent 
jusqu’à  six  livres , ont  résisté  à la  décomposition  qu’a 
éprouvée  le  porphyre  dans  les  parties  qui  ont  été  livrées 
à la  culture.  C’est  là  qu’il  faut  aller  à la  recherche  des 
zéolites,  particulièrement  lorsqu’on  vient  de  labourer  les 
terres;  ce  qui  met  à découvert  des  noyaux  isolés  qu’on 
ne  verrait  point  sans  cela.  Le  hasard  a fait  que  je  m’y 
suis  trouvé  dans  cette  circonstance  favorable  , et  après 
avoir  parcouru  un  demi-mille  de  terrein  superficiel , seul 
endroit  où  l’on  rencontre  des  zéolites,  j'ai  eu  la  satisfac- 
tion d’en  recueillir  environ  vingt  livres  en  divers  mor- 
ceaux. 

Il  faut  observer  qu’un  des  plus  considérables  renferme 
non-seulement  plus  de  six  onces  de  cuivre  natif  en  plaques 
compactes  , susceptibles  d'être  limées  , mais  qu’il  est 
adhérent  à une  portion  de  roche  porphyrique.  La  zéolife 
est  radiée , d’un  blanc  un  peu  verdâtre , formant  gelée 
avec  les  acides  ; en  un  mot , ayant  tous  les  caractères 
d’une  véritable  zéolite..  Celle-ci  est  d’ailleurs  très-con- 

E 2 


V O Y A G £ S 


affinités  en  ont  formé  des  corps  tantôt  informes , 
tantôt  cristallisés  , suivant  les  circonstances.  On 
reconnaît  évidemment  cette  génération  dans  ces 
beaux  groupes  de  petites  pierres  quartzeuses  que 
fai  découverts  dans  certaines  laves  du  rivage  de 
Lipari  en  face  de  Vulc.ano  ; on  îa  reconnaît  dans 
les  zéoiites  dont  fai  donné  la  description  , et  sur- 


arme des  minéralogistes.  Comme  il  existe  des  morreaux 
qui  pèsent  au-delà  de  sept  à huit  livres,  je  demande  à 
présent  ce  que  deviendrait  cette  matière , si  un  incendie 
souterrain  se  manifestait  dans  les  environs  de  Reichen- 
bach,  où  l’on  trouve  en  outre  des  agathes,  des  noyaux 
globuleux  de  spath  calcaire  dans  la  roche  porphyrique  à 
base  de  trapp  ? Il  est  évident  que  les  feux  volcaniques 
qui  agissent  sur  les  matières  pierreuses  d’une  manière 
qui  diffère  totalement  de  celle  produite  par  le  feu  ordi- 
naire des  fourneaux  , se  comporterait  ici  comme  dans 
les  volcans  éteints  du  Padouan,  où  l’on  découvre  un® 
multitude  de  globules  de  spath  calcaire,  des  calcédoines t 
des  agathes,  et  beaucoup  de  zéoiites;  c’est-à-dire  que 
la  zéolite  de  Reichenbaçh  serait  saisie  par  la  lave  envi- 
ronnante , et  qu'il  en  serait  de  même  du  mandelstein  des 
Allemands  , ou  toodstone  des  Anglais  , c’est-à-dire , des 
globules  de  spath  calcaire  dont  ce  porphyre  est  lardé. 
Il  arriverait  sans  doute , si  le  volcan  que  nous  supposons 
ici  existait  sous  les  eaux  de  la  mer , qu’à  la  longue  le 
fluide  aqueux  opérerait  des  déplacemens  et  des  cristal- 
lisations secondaires,  tant  calcaires  que  zéoîîtiques;  mais 
il  n’en  serait  pas  moins  Certain  que  Ces  matières  se  se 
raient  trouvées  primitivement  engagées  dans  \%  roche 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  6l 
tout  dans  celles  dont  les  cristaux  prismatiques  ont 
leur  base  sur  les  parois  cellulaires  des  laves. 

Je  terminerai  cette  discussion  par  quelques 
considérations  sur  le  gisement  des  zéolites  vol- 
caniques. Dolomieu  est  persuadé  qu’elles  ne  se 
trouvent  que  dans  les  lieux  qui  ont  été  couverts 


porphyrique  volcanisée.  Cet  exemple  s’accorde  avec  les 
deux  opinions  différentes  soutenues  par  les  naturalistes: 
la  première , que  la  plupart  des  zéolites  qui  existent  en 
petits  cristaux  dans  les  cavités  de  certaines  laves , y ont 
été  secondairement  déposées  par  l’eau  ; la  seconde  , que 
la  matière  qui  a fourni  à tant  de  cristallisations  existait 
auparavant , et  a été  saisie  par  la  lave  ; et  que  cette  ma- 
tière à été  le  magasin  où  les  eaux  se  sont  approvisionnées 
des  molécules  ^éolitiques , auxquelles  il  serait  difficile 
d’attribuer  une  autre  origine.  En  effet,  d’où  pourraient 
dériver  les  élémens  de  la  zéolite  que  l’on  découvre 
quelquefois  en  noyaux  compactes  dans  le  centre  des  ba- 
saltes les  plus  durs,  et  les  plus  susceptibles  de  recevoir 
le  poli?  Dira-t-on  que  ces  élémens  se  trouvaient  dans 
le  basalte  même?  Mais  l’eau  qui  les  aurait  déplacés  pour 
les  réunir  dans  des  cavités  , quelquefois  considérables , 
aurait  nécessairement  opéré  dans  la  contexture  du  ba- 
salte, des  vides  , des  espèces  de  réseaux,  dans  les  places 
même  où  ces  molécules  auraient  été  saisies  pour  être 
transportées  ailleurs;  et  dès -lors  cette  lave  basaltique 
n’aurait  plus  ses  pores  serrés.  Je  renvoie  , pour  abréger 
cette  note,  à un  mémoire  particulier  que  je  me  propa#* 
de  publier  sur  les  zéolites  de  Reich  enba  ch.  F 

E 5 


62  VOYAGE  S 

par  les  eaux  de  la  mer.  En  effet , il  a observé 
une  immense  quantité  de  testacées  marins  à deux 
cents  toises  au-dessus  des  laves  zéolitiques  des 
lies  des  Cyclopes  et  des  montagnes  de  Trezza. 
On  peut  en  dire  autant  des  montagnes  volca- 
niques du  Vicentin  , où  Ton  voit  à -la -fois  de 
belles  zéolites,  et  des  dépouilles  d’animaux  ma- 
rins. Mais  ces  témoignages  que  l’auteur  français 
produit  en  faveur  de  son  sentiment  , quelqu’irré- 
fragabies  qu’ils  soient  en  eux-mêmes , ne  peuvent 
lui  fournir  que  des  conséquences  particulières,  et 
applicables  aux  seules  zéolites  qu’il  a observées. 
Quant  à celles  de  Lipari , on  s’imagine  bien  que 
j’ai  fait  l’examen  le  plus  attentif  du  site  qu’elles 
occupent.  La  première  espèce  se  rencontre  à 
deux  cents  pieds  environ  de  distance  des  Etuves 
dans  la  direction  de  la  ville  de  Lipari  ; les  autres 
sont  éparses  sur  l’escarpement  de  la  montagne 
qui  regarde  le  sud.  Mais  je  puis  assurer  que  ces 
lieux,  et  les  îles  Æoliennes  en  général,  n’offrent 
ni  dépouilles  j ni  empreintes  de  plantes  ou  d’ani- 
maux marins.  Ce  n’est  pas  là  sans  doute  une 
démonstration  physique  que  le  sol  de  ces  îles 
n’a  pas  été  anciennement  couvert  par  les  eaux 
de  la  mer  j il  est  possible  que  les  dépôts  marins 
qu’on  y chercherait  vainement  aujourd’hui, aient 
été  détruits  par  une  cause  quelconque,  et  les 
causes  de  destruction  ne  manquent  point  dans 


î)  A N S L DEUX  SICILE  S.  63 
un  pays  travaillé  par  le  feu  5 mais  il  faut  convenir 
que  l’absence  de  ces  depots  nous  prive  d’un  des 
plus  beaux  témoignages  que  la  mer  puisse  laisser 
de  ses  inondations , et  que  dans  des  lieux  où  tout 
est  volcanique  , il  est  difficile  d’imaginer  des 
preuves  qui  suppléent  à celle-là. 

Que  l’eau  soit  le  principe  générateur  des  zéo- 
lites  , et  non  le  feu  , c’est  ce  que  prouvent  suffi- 
samment l’eau  de  cristallisation  plus  ou  moins 
abondante  qu’elles  renferment , et  leur  présence 
dans  des  contrées  qui  n’ont  jamais  été  volcani- 
sées  * telles  que  plusieurs  provinces  de  la  Suède  5 
que  cette  eau  soit  quelquefois  provenue  de  la 
mer  , c’est  ce  dont  on  ne  peut  douter  d’après 
les  observations  de  Dolomieu  ; mais  il  n’en  est 
pas  moins  démontré  que  , dans  certains  cas , les 
zéolites  doivent  leur  génération  à l’eau  douce  > 
et  Bergman  nous  en  fournit  un  exemple.  Il  existe., 
dit-il , dans  l’Islande  , près  de  Laugarnes , une 
eau  thermale  qui  est  bouillante  en  sortant  de 
terre.  Tant  qu’elle  conserve  sa  chaleur , elle  ne 
laisse  après  elle  aucun  sédiment 5 mais  loin  de  sa 
source,  et  quand  elle  est  refroidie,  elle  dépose 
au  fond  de  son  lit  un  sédiment  véritablement 
zéolitique  , ainsi  que  le  prouve  l’analyse  que 
j’en  ai  faite  (1).  Cette  eau  étant  très -chaude, 

(1)  Opusc.  v.  III. 

E 4 


VOYAGES 


64 

ajoute  Bergman  , elle  tient  en  dissolution  la  ma- 
tière de  la  zéolite , qui  l’abandonne  ensuite  , et 
se  précipite  sous  la  forme  de  stalactite  , lorsque 
son  dissolvant , en  perdant  sa  chaleur , n’a  plus 
le  pouvoir  de  la  soutenir.  Ce  fait  est  important, 
et  l’explication  qu’en  donne  Bergman  convient 
parfaitement  aux  zéolites  qui  se  forment  dans  les 
volcans.  En  efFet  , des  eaux , soit  douces  , soit 
salées  , fortement  échaufFées  par  les  feux  sou- 
terrains, doivent  dissoudre  les  substances  zéo- 
îitiques  , et  quand  ces  eaux  viennent  à se  refroi- 
dir 5 il  est  naturel  qu’elles  les  déposent  dans  les 
cavités  des  laves,  où  ces  substances  tantôt  se 
cristallisent,  tantôt  ne  prennent  que  des  formes 
irrégulières,  suivant  les  circonstanceso 

Lorsque  l’on  a atteint  le  sommet  de  la  mon- 
tagne des  Etuves  , on  se  trouve  à l’extrémité  de 
File  , et  l’on  voit  tout-à-coup  la  mer  au-dessous 
de  soi , à environ  quatre  cent  soixante  pieds  de 
profondeur.  Si  l’on  tourne  ensuite  vers  le  sud , 
on  découvre  plusieurs  sources  d’eau  chaude  ; une 
d’elles  forme  les  bains  de  Lipari,  dont  l’existence 
est  aussi  ancienne  que  celle  des  Etuves,  et  dont 
Fusage  est  également  abandonné.  En  poursuivant 
sa  route  dans  la  même  direction,  on  rencontre 
de  nouveau  des  laves- décomposées  qui  ressem- 
blent aux  laves  des  Etuves  ; elles  sont  teintes  d© 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  65 
couleurs  très-variées  , et  couvertes  çà  et  là  de 
croûtes  de  sulfate  de  chaux. 

Eu  réunissant  par  la  pensée  tous  ces  amas  de 
laves  décomposées,  qui  formeraient  une  aire  de 
plusieurs  milles,  on  s’étonne,  et  on  se  demande 
s’il  est  en  Europe  une  contrée  voîcanisée  où  les 
vapeurs  sulfureuses  émanées  des  incendies  sou- 
terrains , aient  eu  une  aussi  grande  extension. 
Celles  de  la  Solfatare  de  Pouzzole  qui  ont  blan- 
chi son  cratère , et  que  les  historiens  de  ce  vol- 
can n’ont  jamais  vues  ni  décrites  sans  l’expression 
de  la  surprise  , ne  sont  rien  pour  l’étendue  en 
comparaison  des  premières  ; et  cependant , de 
tant  d’exhalaisons  qui  ont  dû  sortir  du  sein  de 
cette  île  pour  en  couvrir  un  aussi  grand  espace, 
il  ne  reste  plus  aujourd’hui  que  quelques  fumées 
très-légères  aux  environs  des  Etuves , où  elles 
s’élèvent  à peine  de  terre. 

Je  fis  trois  voyages  dans  ce  lieu.  Aux  deux 
premiers  , j’en  revins  par  le  chemin  que  j’avais 
pris  en  allant  , et  qui  est  creusé  dans  le  tuffa  j 
mais  au  troisième  , je  repassai  par  Campa  Bian - 
co y par  le  mont  délia  Castagna  > et  de-là  je  me 
transportai  de  nouveau  sur  la  haute  montagne  de 
Saint- udngelo . J’avais  déjà  observé  que  les  monts 
délia  Castagna  et  de  Campo  Bianco  étaient 
entièrement  composés  de  ponces  et  de  verre. 


/ 


66  VOYAGES 

Mais  ici , je  pus  embrasser  de  mes  regards  tout 
l’espace  que  ces  substances  vitrifiées  occupent 
dans  l’île , et  m’en  représenter  le  tableau.  Sous  le 
tufFa  recouvrant  les  pentes  du  mont  des  Etuves, 
et  le  vaste  plateau  qui  est  à son  sommet , s’étend 
un  lit  de  ponces,  de  verres  et  d’émaux;  à un 
quart  de  mille  des  Etuves  , du  côté  de  Campo 
JBianco , le  tufFa  disparaît , et  l’on  voit  à nu  les 
ponces  qui  vont  se  réunir  à celles  de  ce  dernier 
endroit.  Ce  n’est  pas  tout  : on  les  suit  encore  dans 
le  chemin  qui  conduit  à Saint-^dngelo , et  cette 
montagne  en  est  couverte  elle-même.  Par-tout 
au  milieu  de  ces  ponces , on  découvre  des  verres. 
En  faisant  entrer  dans  ce  dénombrement  les 
autres  parties  de  l’île  où  régnent  de  semblables 
substances , je  n’exagérerai  point  en  disant  que 
les  deux  tiers  de  Lipari , qui  a dix-neuf  milles 
et  dêmi  de  circonférence,  sont  vitrifiés. 

A l’aspect  de  cette  immense  vitrification  , la 
première  idée  qui  s’offrira  au  lecteur  sera  peut- 
être  celle  qui  me  frappa  moi-même  en  arrivant 
dans  ces  lieux.  Je  me  dis  : Il  faut  que  le  feu 
eit  agi  ici  avec  une  grande  violence  ! Mais  l’ex- 
périence m’apprit  ensuite  qu’il  n’était  pas  né- 
cessaire de  supposer  une  si  puissante  énergie 
dans  les  embrasemens  souterrains  pour  produire 
cet  amas  de  vitrifications , quelqu’un  orme  qui! 


DANS  LES  DEUX  S 1 C I L E S.  67 
soit.  Sans  doute  la  chaleur  nécessaire  pour  for- 
mer des  ponces  , des  émaux  , des  verres  , doit 
être  plus  forte  que  celle  qui  opère  la  simple 
fusion  des  laves,  lorsque  ces  substances  recon- 
naissent la  même  base.  Mais  , à en  jugeç  par  la 
nature  des  roches  d’où  sont  provenues  les  mon- 
tagnes vitrifiées  de  Lipari , il  n’a  pas  fallu  un 
surcroît  de  chaleur  bien  considérable.  Ces  roches 
sont  en  général  des  feld-spaths,  des  pétro-silex, 
des  pierres  de  corne.  Quant  à ces  dernières  , on 
a vu  avec  quelle  facilité  elles  se  vitrifient  au  feu 
des  fourneaux  de  verrerie  qui  n’est  pas  des  plus 
violens  5 on  a vu  que  ce  feu  suffit  encore  pour 
convertir  en  verre  plusieurs  pétro-silex  et  quel- 
ques feld-spaths  3 et  qu’enfin  les  verres,  les 
ponces  , les  émaux  de  Lipari  subissent  tous  dans 
ces  mêmes  fourneaux  une  refonte  complète.  Il 
y a plus  , je  crois  avoir  des  preuves  directes  que 
le  feu  volcanique  a été  inférieur  à celui  des  four- 
neaux. Ces  preuves,  je  les  tire  de  quelques  subs- 
tances réfractaires  , soit  cristallisées , soit  infor- 
mes, qui  se  trouvaient  incorporées  aux  verres  , 
aux  ponces , aux  émaux  , et  qui , dans  mes  ex- 
périences , se  sont  complètement  fondues. 

Cependant  je  ne  puis  nier  que  les  feux  vol- 
caniques de  Lipari  n’aient  été  , en  quelques  cir- 
constances , très-énergiques  , si , comme  l’a  ob- 

> \ 


VOYAGES 


68 

serve  Dolomieu  , iis  sont  parvenus  à fondre  le 
granit  composé  de  quartz  , de  feld-spath  et  de 
mica  y et  à le  convertir  en  pierre  ponce» 

Les  anciens  nous  ont  laissé  quelques  rensei- 
gnemens  sur  l’état  des  incendies  qui  se  mani- 
festaient de  leur  temps  à Stromboli  et  à Yuîcano  $ 
mais  ils  ont  gardé  un  silence  absolu  sur  les  an- 
tiques feux  de  L’île  des  Salines , et  de  ce  groupe 
d’écueils  qui  probablement  faisaient  autrefois 
partie  de  l’île  Evonymos . On  peut  cependant 
assurer,  d’après  l’autorité  de  Diodore  de  Sicile, 
que  la  vulcanisation  de  ces  deux  îles  leur  était 
connue.  En  effet , cet  historien  dit  formellement 
que  toutes  les  îles  Æoîiennes  avaient  été  sujettes 
à de  grandes  éruptions  de  feux , et  que  de  son 
temps  on  en  voyait  encore  les  cratères  avec  leurs 
bouches  (i). 

Quant  à Lîparî , la  tradition  ne  leur  avait  rien 
appris  touchant  les  embrasemens  de  cette  île. 
Elle  existait  avant  la  guerre  de  Troye  ; quand 
cette  ville  fut  tombée  au  pouvoir  des  Grecs  , 
Ulysse  retournant  dans  ses  états,  aborda  àLipari, 


(i)  « Elles  ont  toutes  de  grandes  ouvertures  par  les- 
quelles elles  vomissent  du  feu  : les  cratères  qui  s’y  sont 
formés,  et  les  bouches  , sont  encore  vkibles  jusqu’à  pré- 
sent b>. 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  % 
où  le  bon  accueil  et  l’hospitalité  du  roi  Æole  le 
retinrent  pendant  un  mois  entier  (1).  Et  quoique 
Homère  dans  ses  récits  ait  pu  se  livrer  à quelques 
Fictions,  on  doit  croire  cependant  qu’il  n’aurait 
pas  nommé  cette  île  , encore  moins  la  ville,  si 
elles  n’avaient  pas  existé  quand  il  publia  son 
poème  : ce  qui  fait  une  époque  de  trois  mille  ans 
environ.  En  consultant  les  monumens  historiques, 
on  peut  encore  reculer  cette  époque  au  temps 
où  régnait  Liparos  , qui  donna  son  nom  à cette 
île , laquelle  portait  auparavant  celui  de  Melo- 
gvnis  , ou  3îeligunis.  Mais  voici  une  réflexion 
qui  donnera  une  idée  plus  juste  de  sa  haute  an- 
tiquité. Une  île  formée  par  les  dépôts  et  la  re- 
traite successive  des  eaux  peut  devenir  bientôt 
habitable  et  propre  à la  culture  ; il  n’en  est  pas 
Ae  même  quand  elle  a été  l’ouvrage  du  feu  et 
des  éruptions  ,dont  les  matières  exigent  un  temps 


(1)  u Nous  parvenons  heureusement  à Plie  d’Æolie  qui 
flotte  sur  les  mers,,  et  où  règne  le  fils  d’Hyppotes,Æole> 
Pami  des  immortels.  Un  rempart  indestructible  d’airain, 
bordé  de  roches  lisses,  ëscarpées,  céint  Pilé  entière.  ..  ». 

«C’est  dans  la  ville  et  le  palais  de  ce  roi  que  nous 
arrivons  -,  il  me  reçoit , m’accueille  durant  un  mois  avec 
amitié  ; il  ne  cessait  de  m’interroger  sur  Ilion  , sur  la 
flotte  des  Grecs  et  sur  leur  retour  ».  Odyssée,  chant  X f 
trad.  de  Bitanbé. 


VOYAGES 


7Ô 

incomparablement  plus  long  pour  arriver  à leur 
décomposition.  Si  donc  Lipari  , pendant  que 
Troye  subsistait  encore  , était  habitée , cultivée , 
et  avait  une  ville , qui  ne  voit  pas  combien  de 
siècles  ont  dû  s’écouler  depuis  son  origine  jusqu’à 
cette  époque  ? 

A compter  du  temps  où  l’histoire  a commencé 
de  faire  mention  de  cette  île  jusqu’à  nos  jours, 
on  est  fondé  à croire  qu’il  ne  s’y  est  manifesté 
aucune  véritable  éruption  ou  courant  de  laves  ; 
les  historiens  n’auraient  pas  manqué  de  rappor- 
ter cet  événement,  aussi  remarquable  sans  doute 
que  les  éruptions  de  Stromboli  et  de  Vulcano, 
dont  ils  ont  rappelé  les  époques.  Aristote  est  le 
seul  qui  parle  des  feux  de  Lipari  ; mais  ils  n’é- 
taient visibles  , ajoute  - 1 - il , que  pendant  la 
nuit  (1).  Les  écrivains  qui  sont  venus  après  lui 
n’en  disent  plus  rien  , et  je  conclus  de  ce  silence 
général,  que  Lipari  était  parvenue  à son  plus 
haut  degré  d’accroissement  avant  que  les  hommes 
eussent  connaissance  de  son  existence.  Cepen- 
dant beaucoup  de  laves  de  cette  île  sont  encore 
intactes , sur-tout  celles  qui  portent  un  caractère 
vitreux;  les  émaux,  les  verres,  n’ont  subi  aucune 


(1)  « Il  est  dit  aussi  qu’il  y a dans  Lipari  un  feu  qui 
n'est  visible  que  pendant  la  nuit  ».  In  Mirandis. 


DANS  LES  DEUX. SICILE  Si  71 
altération  , et  il  est  démontré  que  ces  corps 
existent  depuis  plus  de  trois  raille  ans  ! Quelle 
est  donc  la  trempe  que  le  feu  leur  donne , pour 
les  mettre  à l’abri  des  injures  du  temps  pendant 
une  si  longue  succession  de  siècles  ? 

En  fondant  l’ancienneté  de  Lipari  sur  le  té- 
moignage d’Homère , je  n’ai  point  voulu  exclure 
les  autres  îles  ses  compagnes,  comme  si  elles 
étaient  d’un  âge  postérieur  $ je  suis  au  con- 
traire très-persuadé  , d’après  les  documens  his- 
toriques , que  toutes  ces  îles  étaient  contempo- 
raines : si  le  poète  grec  ne  parle  que  de  Lipari, 
c’est  qu’elle  était  la  plus  grande  , la  plus  fertile, 
la  plus  fameuse,  le  siège  de  l’empire  d’Æole, 
et  le  lieu  de  sa  résidence. 


VOYAGES 


7* 

CHAPITRE  XV  II. 

Félicuda . 

Pour  achever  mon  voyage  aux  îles  Æoliennes, 
il  me  restait  à visiter  Félicuda  et  Alicuda , situées 
à Fèxtrémité  de  ce  petit  archipel  vers  l’ouest. 
J’étais  d’autant  plus  curieux  d’examiner  ces  deux 
îles  , qu’elles  n’avaient  été  décrites  par  aucun 
naturaliste.  Dolomieu  , qui  eût  été  si  propre  à 
bien  remplir  cette  tâche , ne  les  avait  vues  que 
dé  loin  rs&ns  y aborder  , parce  qu’elles  se  trou- 
vaient trop  éloignées  de  sa  route. 

Je  partis  de  Lipari  pour  Félicuda , distante  de 
vingt-trois  milles,  dans  la  matinée  du  7 octobre. 
Je  fis  ce  trajet  en  quatre  heures.  Cette  île  n’a 
point  de  port,  mais  elle  offre  deux  anses , l’une 
au  sud  3 l’autre  au  nord-est,  capables  de  rece- 
voir de  petits  bâtimens.  Quand  le  vent  défend 
l’entrée  de  l’une,  on  peut  se  réfugier  dans  l’autre  : 
toutes  les  deux  sont  également  abritées  par  la 
montagne.  Je  débarquai  dans  l’anse  du  nord-est  : 
elle  est  surmontée  par  des  rochers  de  lavesj  ainsi , 
dès  mon  arrivée,  je  pus  remplir  le  principal  ob- 
jet de  mes  recherches  , et  m’assurer  de  la  voîca- 
aiiation  de  cette  île.  Je  me  mis  à parcourir  le 

coté 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  7-3. 
coté  qui  regarde  le  sud-est,  et  je  vis  aussi-tôt, 
épars  à la  surface  de  quelques  petits  champs  ,des 
pierres  ponces  , des  verres,  des  émaux. 

Persuadé  de  l’antique  existence  du  feu  dans 
cette  île , je  résolus  cje  la  côtoyer  le  jour  suivant 
pour  en  étudier  les  rivages.  Elle  a neuf  milles 
de  circonférence.  Je  commençai  par  l’examen 
des  laves  qui  environnent  l’anse  où  j’avais  abordé. 
Ces  laves  ont  pour  base  un  feld-spath  d’une  pâte 
écailleuse , grisâtre  , peu  compacte , qui  jette  de 
faibles  étincelles  sous  le  choc  du  briquet , et  at- 
tire l’aiguille  aimantée.  Dans  cette  pâte  sont  en- 
castrées des  aiguilles  d’un  schorl  noir  et  fibreux, 
et  de  petites  masses  de  feld-spath  qui  se  font 
aisément  distinguer  de  la  base  par  leur  blancheur, 
leur  semi-transparence  et  leur  éclat.  Cette  lave 
forme  une  portion  de  l’enceinte  de  l’anse  ; en 
plusieurs  endroits  elle  est  fendue  dans  sa  lon- 
gueur; on  y observe  des  espaces  vides,  arrondis , 
du  diamètre  de  plusieurs  pouces  , qui  régnent 
dans  son  intérieur , et  la  font  ressembler  en  quel- 
que sorte  à un  gâteau  d’abeilles.  Ces  cellules 
m’ont  paru  produites,  non  par  l’action  des  mé- 
téores, mais  par  les  substances  élastiques  con- 
tenues dans  la  lave  en  fusion.  Il  est  vrai  que  l’air 
de  la  mer  altère  facilement  les  fossiles  exposés 
à son  action.  J’en  ai  vu  des  exemples  surprenais 
Tome  III.  F 


/ 


,74  VOYAGES 

sur  des  rochers  situés  au  bord  de  la  Méditerra- 
née , le  long  des  deux  rivières  de  Gênes , particu- 
lièrement à Porto- Venere  dans  le  golfe  de  la 
Spezia  , et  à Lerici.  Les  tours , les  édifices  ma- 
ritimes portent  aussi  les  marques  de  ses  ravages 5 
mais  je  ne  crois  pas  qu’ils  soient  nulle  part  com- 
parables à ceux  qu’éprouve  la  ville  de  Comma- 
chio  dans  le  Ferrarois , construite  au  milieu  d’un 
marais  salé.  La  corrosion  s’attache  tellement  à 
ses  maisons  , qu’il  faut  s’qccuper  sans  cesse  de 
les  réparer;  c’est  ce  dont  fai  été  témoin  moi- 
même  dans  un  court  séjour  que  j’y  ai  fait  au 
mois  d’octobre  ] 792.  Mais  cet  air  de  mer  n’altère 
pas  indifféremment  toutes  sortes  de  fossiles  ; il 
semble  s’exercer  principalement  sur  les  pierres 
calcaires  3 cependant  il  en  ménage  quelques- 
unes  , comme  le  marbre  d’Istrie  , avec  lequel 
sont  bâtis  les  palais  de  Venise  , qui,  malgré  leur 
ancienneté  , n’ont  souffert  aucun  dommage. 
Quant  aux  substances  pierreuses  sorties  du  sein 
des  volcans,  j’ai  observé  que  l’air  de  mer  leur 
nuisait  très-peu  ; et  la  lave  littorale  dont  j’ai  fait 
mention  ayant  des  cavités  jusque  dans  son  feld- 
spath , qui  est  une  des  pierres  les  plus  inalté- 
rables, je  suis  d’autant  plus  convaincu  qu’elle  ne 
les  doit  qu’à  l’action  des  gaz  élastiques. 

Après  cet  examen,  je  sortis  de  l’anse  du  nord- 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  7 5 

est  en  rasant  Pile  au  nord.  Je  m’étais  à peine 
avancé  de  cinquante  pas,  que  je  vis  devant  moi 
un  rocher  de  la  hauteur  de  trente  pieds  environ  , 
et  d’une  largeur  égale  , coupé  à pic  sur  la  mer. 
J’apperçus  dans  sa  structure  un  accident  que  les 
productions  des  îles  Æoliennes  ne  m’avaient  en- 
core offert  nulle  part  : la  lave  se  divisait  en  prismes. 
Je  poussai  ma  barque  sous  le  rocher  afin  de  le 
considérer  de  plus  près.  Sa  partie  supérieure , à 
partir  de  la  hauteur  de  douze  pieds  environ  au- 
dessus  du  niveau  de  la  mer,  était  lisse,  et  présentait 
un  plan  égal.  Sa  partie  inférieure  était  marquée 
de  légers  sillons  longitudinaux  qui  formaient  des 
prismes  à trois  côtés  inégaux,  le  côté  postérieur 
restant  attaché  au  rocher , ou , pour  mieux  dire , 
faisant  corps  avec  sa  masse.  Curieux  de  savoir  s>’ils 
se  prolongeaient  sous  l’eau  , j’employai  une  res- 
source que  je  me  ménageais  toujours  dans  mes 
navigations.  Je  répandis  de  l’huile  d’olive  à l’en- 
tour pour  abattre  le  brisement  des  flots  qui  en 
troublaient  la  surface  5 alors  je  vis  clairement 
que  ces  prismes  s’enfonçaient  à quelque  pro- 
fondeur dans  la  mer  : les  plus  gros  avaient  un 
pied  et  demi  de  largeur. 

Cette  lave  prismatique  mérite  une  description 
détaillée.  Sa  base  est  une  pierre  de  corne  cou- 
leur de  fer , tellement  compacte  , que  l’on  n’y 

F * 


7 6 VOYAGES 

saurait  appercevoir  la  plus  petite  bulle.  Les  mor- 
ceaux en  sont  transparens  par  les  bords,  et  étîn- 
eelans  sous  le  cboc  de  l’acier.  Ils  ne  prennent 
aucune  forme  déterminée  , ils  reçoivent  un  poli 
sans  lustre  , et  sont  attirables  à l’aimant  à la  dis- 
tance d’environ  trois  lignes.  Cette  lave  étant 
broyée  se  réduit  en  une  poudre  couleur  de 
cendre  , impalpable  , qui  s’attache  aux  doigts. 
Elle  renferme  des  grains  d’un  feld-spath  non 
cristallisé , et  beaucoup  de  petits  schorls  oblongs 
et  rhomboïdaux. 

Traitée  avec  le  feu,  elle  se  fond  en  un  émail 
dur,  couleur  de  poix,  qui  n’a  point  abandonné 
sa  vertu  magnétique  : les  feld-spaths  sont  ré- 
fractaires. 

Le  lieu  où  s’élève  ce  rocher  prismatique  se 
nomme  Fila  diSacca . Au-delà,  le  rivage,  dans 
l’étendue  de  deux  milles , ne  présente  que  des 
laves  ordinaires , à l’exception  d’une  seule  qui 
manifeste  des  ébauches  de  prismes  : ils  sont  un 
peu  plus  sensibles  près  de  la  surface  de  l’eau. 

On  arrive  ensuite  à un  endroit  nommé  Sac - 
cagne  } où  s’élève  un  groupe  de  rochers  , dont 
l’un  s’appelle  le  Rocher  percé  , parce  qu’il  est 
à jour  dans  le  milieu  ; les  barques  peuvent  passer 
au  travers.  On  reconnaît  des  formes  prismatiques 
dans  la  lave  de  ces  rochers. 


DANS  LES  DÏÜX  SlCILES.  77 
A cinquante  pas  plus  loin  est  une  caverne  spa- 
cieuse formée  dans  la  lave  du  rivage  ; elle  porte 
le  nom  de  la  Grotte  du  Bœuf  marin  , qui  lui 
vient  peut-être  de  ce  qu’elle  a servi  ancienne- 
ment de  retraite  à des  phoques  , qui  aux  îles 
de  Lipari  , comme  dans  beaucoup  d’autres  con- 
trées , s’appellent  veaux  marins . L’ouverture 
de  cette  caverne  est  ovale  dans  sa  partie  su- 
périeure. Elle  a soixante  pieds  de  largeur  sur 
quarante  de  hauteur.  Son  intérieur  offre  d’abord 
une  espèce  de  vestibule  , ensuite  une  vaste  salle 
d’environ  deux  ' cents  pieds  de  longueur , sur 
soixante  de  largeur  et  quarante  de  hauteur.  La 
mer  y entre  , et  son  choc  s’amortissant  au  pas- 
sage , une  petite  barque  peut  trouver  dans  cet 

asylê  un  abri  contre  la  tempête. 

• . : .) 

Il  ne  faut  pas  croire  que  cette  caverne  soit 
tapissée  de  stalactites  à la  manière  de  celles  des 
pays  montueux  ; non-seulement  on  ne  remarque 
contre  ses  parois  aucun  empâtement  humide  , 
mais  la  pierre  dont  elle  est  formée  doit  elle- 
même  son  origine  au  feu  5 c’est  une  lave  qui 
porte  les  caractères  suivans.  Sa  base  de  schorl 
en  masse , est  médiocrement  poreuse , un  peu 
légère  , étincelante  sous  le  choc  de  l’acier  5 iné- 
gale dans  la  cassure  ; elle  répand  une  odeur 
d’argile,  et  elle  attire  l’aiguille  aimantée  à la 

F 3 


VOYAGES 


78 

distance  d’une  demi-ligne.  Sa  couleur  est  grise  , 
mais  entrecoupée  par  des  feld~spaths  rhomboï- 
daux  d’un  blanc  luisant.  Traitée  avec  le  feu  , 
elle  se  convertit  en  un  émail  opaque  et  plein  de 
bulles.  La  fusion  , loin  de  lui  enlever  son  magné- 
tisme , ne  fait  que  P accroître.  L’éclat  des  feld- 
spaths  s’amortit  : la  blancheur  leur  reste  , et 
n’en  est  que  plus  apparente  sur  le  fond  noir  de 
l’émail. 

Ce  rocher  de  lave,  coupé  à pic  sur  la  mer, 
est  figuré  par  des  prismes  longitudinaux , plus 
grands  que  ceux  décrits  ci-dessus.  Il  est  digne 
de  remarque  que  ces  prismes,  dont  l’extrémité 
inférieure  plonge  dans  Peau  , ne  s’élèvent  au- 
dessus  de  sa  surface  que  de  huit  ou  neuf  pieds 
environ. 

Mais  que  penser  de  l’origine  de  la  caverne  ? 
faut-il  l’attribuer  aux  flots  de  la  mer,  et  dire 
Qu’ils  ont  pu  miner  lentement  le  massif  de  laves, 
et  y pratiquer  cette  énorme  solution  de  conti- 
nuité ? J’en  doute  , attendu  que  Peau  est  à peine 
entrée  dans  la  caverne  , qu’elle  perd  toute  son 
impétuosité  , et  que  d’ailleurs  la  lave  est  assez 
dure  pour  ne  pas  céder  facilement  au  choc  des 
vagues.  Il  me  paraît  plus  naturel  de  rapporter 
cet  effet  à l’action  des  gaz  qui  se  sont  dévelop- 
pés pendant  la  fluidité  de  la  lave.  On  voit  dans 


BANS  LES  DEUX  SICILE  S.  79 
l’Etna  des  cavernes  bien  plus  profondes  produites 
par  une  cause  semblable. 

Après  avoir  passé  la  Grotte  du  Bœuf  marin  > 
on  trouve  un  mélange  de  tufFa  et  de  lave  : la  sin- 
gulière alternative  de  leurs  couches  mérite  un  mo- 
ment-d’attention.  Elles  forment  une  cote  élevée 
qui  a son  inclinaison  vers  la  mer.  Le  tufFa  règne 
au  sommet  ; au-dessous  est  une  couche  de  lave  , 
qui  repose  elle-même  sur  une  couche  de  tufFa  ; 
ces  deux  matières  se  suivent  ainsi  dans  un  ordre 
alternatif.  La  mer  avait  fait  une  déchirure  à cette 
côte  qui  me  donna  le  moyen  de  compter  onze 
couches  de  tufFa  , et  autant  de  laves  placées 
entre  deux.  Le  feu  et  l’eau  ont  donc  concouru 
alternativement  à former  cette  partie  du  rivage 
de  l’îïe. 

Les  laves  des  onze  couches  sont  de  la  même 
espèce.  Leur  base  commune  est  la  pierre  de 
corne  ; cette  base  renferme  des  schorîs,  des  feld- 
spaths;  son  aspect  est  terreux  3 noirâtre  3 elle  ré- 
pand une  odeur  d’argile;  elle  met  en  mouvement 
l’aiguille  aimantée  à la  distance  de  deux  lignes. 
Traitée  avec  le  feu3  elle  se  convertit  en  un  émail 
opaque  , noir  comme  la  poix  3 et  dont  le  magné- 
tisme est  plus  fort  que  celui  de  la  lave  avant  sa 
fusion. 

Quant  aux  couches  de  tufFa  3 elles  ne  difFèrent 

F 4 ' 


8o 


VOYAGES 


point  essentiellement  entr’eîies;  elles  sont  com- 
posées de  petits  grumeaux  argileux  formant  une 
pâte  incohérente  et  friable  plus  ou  moins  co- 
lorée par  une  rouille  ferrugineuse  jaunâtre.  On 
y trouve  , comme  dans  les  couches  de  lave  3 
un  grand  nombre  de  schoris  , avec  cette  diffé- 
rence que  ceux-ci  peuvent  se  détacher  aisé- 
ment tout  entiers  , à cause  de  la  mollesse  du 
ciment  qui  les  lie.  Malgré  cela , il  est  difficile 
d’en  déterminer  la  cristallisation  : l’obstacle  ne 
vient  pas  de  leur  petitesse  , car  plusieurs  ont 
deux  lignes  de  longueur,  mais  de  leur  réunion 
en  groupes.  Ceux  qui  sont  isolés  représentent 
un  prisme  hexagone  , terminé  par  deux  pyra- 
mides trièdres.  Au  reste , tous  ces  schoris  sont 
noirs  , brillans  dans  la  cassure  , un  peu  fibreux  ; 
en  un  mot , ils  ressemblent  parfaitement  , dans 
leur  structure  , aux  schoris  incorporés  dans  les 
couches  de  la  lave. 

Traité  avec  le  feu  , ce  tuffa  se  colore  d’abord 
en  rouge  et  s’endurcit  ; il  manifeste  alors  une  ver- 
tu magnétique  qu’il  n’avait  pas  auparavant.  Si 
l’on  pousse  plus  loin  l’épreuve  , il  se  fond  en 
une  scorie  noire  ^poreuse  , attirable  à l’aimant; 
on  y découvre  des  feld-spaths  blancs  qui  n’étaient 
point  visibles  dans  le  tuffa.  Les  schoris  se  vitri- 
fient à moitié  en  prenant  une  teinte  verdâtre. 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  8l 

Le  reste  de  mon  voyage  autour  de  l’ile  jus- 
qu’au point  d’où  j’étais  parti  , ne  me  fournit  rien 
de  remarquable  , si  ce  n’est  l’apparition  de  nou- 
velles laves  prismatiques  semblables  aux  pre- 
mières. 

Avant  de  perdre  de  vue  ces  sortes  de  laves, 
qui  forment  une  bonne  partie  des  rivages  de 
FéIicudayj’observerai  ]°.  que  leurs  prismes  sont 
toujours  à trois  faces  , dont  l’une  est  adhérente 
à la  lave  5 n°.  que  leur  direction  n’est  jamais 
ni  oblique  , ni  transversale , mais  perpendiculaire 
sur  la  mer  5 3°.  qu’ils  ne  sont  point  articulés 
comme  ceux  de  l’Etna  et  d’autres  pays  volca- 
niques , mais  qu’ils  forment  chacun  un  cordon 
continu  ; 4°-  que  leur  partie  inférieure  plonge 
dans  l’eau  ; 5°.  que  ces  laves  prismatiques  sont 
à base  de  pierre  de  corne  , ou  de  schorl  en 
masse. 

Je  passe  maintenant  à la  description  de  l’inté- 
rieur de  l’île.  Vue  à peu  de  distance  en  mer  , 
elle  paraît  comme  un  groupe  de  montagnes  , 
dont  la  plus  élevée  est  au  centre.  Celle-ci  a 
environ  cinq  cents  toises  de  hauteur  au-dessus 
du  niveau  de  la  mer.  Je  m’y  acheminai , en  pre- 
nant ma  direction  à l’est , parce  que  la  montée 
me  parut  plus  praticable  de  ce  côté.  Tantôt  elle 
offre  des  escarpemens  rapides  et  pénibles  à gra- 


8s 


VOYAGES 


vir,  tantôt  des  pentes  douces  qui  invitent  au 
repos.  Parvenu  au  sommet  , j’y  découvris  un  vaste 
bassin  nommé  la  Fosse  des  fougères  y parce  que 
ces  plantes  y croissent  en  abondance  : on  les  en 
avait  extirpées  tout  récemment , dans  l’idée  de 
les  remplacer  par  du  froment  au  printemps  sui- 
vant. La  circonférence  de  ce  bassin  est  d’envi- 
ron un  demi-mille*  ses  parois  sont  inclinées,  et 
sa  profondeur  actuelle  est  de  quarante  pieds. 
C?était-là  sans  doute  l’antique  cratère  du  volcan, 
celui  qui  le  premier  a concouru  , par  ses  érup- 
tions, à la  formation  de  l’île.  En  effet,  la  figure 
extérieure  de  ce  cratère  correspond  à sa  figure 
intérieure  ; c’est  un  cône  tronqué  d’où  les  laves 
partent  comme  d’un  centre,  et  divergent  en 
rayons.  Celles  qui  ont  leur  direction  au  nord- 
ouest  descendent  par  une  pente  rapide  dans  la 
mer.  Le  sol  de  ce  bassin,  que  l’on  préparait  à 
recevoir  du  froment , était  une  coucbe  de  tuffa 
friable  qui  recouvrait  la  lave. 

• ; ..  l . . ' ' | g 

Sur  les  flancs  de  cette  montagne  centrale  s’é- 
lèvent trois  croupes 5 la  première  a son  inclinai- 
son gu  sud , et  va  se  réunir  à une  autre  mon- 
tagne ; la  seconde  se  dirige  à l’est , la  troisième 
à l’ouest.  Placé  au  sommet  le  plus  éminent  de 
l’île  , et  embrassant  de  mes  regards  toute  son 
étendue  , j’étais  attentif  si  je  découvrirais  encor  e 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  85 

quelques  vestiges  d’antiques  cratères  5 je  crus  en 
appercevoir  dans  la  partie  du  sud-est.  Je  me 
transportai  sur  le  lieu.  C’était  un  monticule  d’en- 
viron deux  milles  de  circuit,  formant  une  espèce 
de  cône  tronqué  au  sommet.  Sa  troncature , un 
peu  évidée , présentait  une  cavité  au  fond  de 
laquelle  gisaient  des  morceaux  de  laves  à moitié 
ensevelis  dans  un  tufFa  terreux  , tandis  qu’au- 
dehors  plusieurs  courans  en  recouvraient  la  par- 
tie convexe, 

A l’exception  de  ces  cratères,  dont  le  dernier 
m’a  laissé  quelques  doutes , je  n’ai  rien  vu  dans 
l’île  qui  portât  le  vrai  caractère  d’une  bouche 
volcanique^les  enfoncemens,îes  fosses^  les  trous 
que  l’on  y découvre  en  plusieurs  endroits,  n’en 
sont  que  des  apparences  trop  équivoques. 

J’ai  décrit  les  laves  principales  des  rivages  de 
Félicuda  ; je  vais  maintenant  parler  de  celles  qui 
se  trouvent  dans  l’intérieur  de  i’îîe.  Je  puis  les 
réduire  à trois  espèces , en  passant  sous  silence 
les  variétés. 

La  base  de  la  première  est  une  pierre  de  corne 
noire  tirant  sur  le  gris  ; sa  cassure  , assez  bril- 
lante , ne  laisse  voir  aucuns  pores  $ elle  étincelle 
fortement  sous  le  choc  de  l’acier.  Les  morceaux 
qu’on  obtient  en  la  brisant  , n’ont  que  des 


V O Y A G E 'S 

formes  indécises  ; ils  sont  susceptibles  de  poli  , 
et  mettent  en  mouvement  l’aiguille  aimantée  à la 
distance  d’une  ligne  et  trois  quarts.  On  trouve 
dans  cette  lave  de  petits  grains  de  quartz,  d’a- 
bondantes écailles  de  feld-spath,  et  de  brillantes 
aiguilles  de  schorl. 

Traitée  avec  le  feu  , elle  se  convertit  en  un 
émail  noir,  écumeux , opaque.  Les  schorls  se 
fondent  : les  quartz,  les* feld-spaths  sont  réfrac- 
taires. 

Cette  lave  ressemble  beaucoup  à la  prisma- 
tique dont  j’ai  donné  plus  haut  la  description  , 
quoiqu’elle  n’en  ait  pas  la  configuration  régu- 
lière. 

La  seconde  espèce  a la  même  base  que  la  pré- 
cédente 5 sa  dureté , sa  pesanteur  sont  médiocres  5 
elle  a un  aspect  cendré , terreux,  compacte  5 elle 
s’attache  légèrement  à la  langue  , et  répand  une 
odeur  d’argile.  Ses  schorls  sont  rhomboïdaux , 
écailleux  , de  couleur  violette. 

Elle  ne  fait  que  se  ramollir  au  fourneau  : les 
schorls  s’y  maintiennent  dans  leur  intégrité. 

La  troisième  espèce  a pour  base  un  schorl  en 
masse,  noir,  sans  pores  , un  peu  pesant,  grenu 
dans  la  cassure.  On  trouve  trois  sortes  de  pierres 


DANS  le  ES  DEUX  SICILES.  85 
hétérogènes  mêlées  à la  pâte  de  cette  lave.  Des 
particules  quartzeuses , indécises  dans  leurs  for- 
mes, se  distinguant  par  leur  blancheur  ; de  petits 
feld'Spaths  peu  nombreux  ; des  schorls  rhomboï- 
daux  d’un  noir  tirant  sur  le  violet,  remarquables 
par  leur  abondance  et  leur  grosseur  , qui  va 
quelquefois  jusqu’à  six  lignes., 

Les  feld-spaths , les  grains  quartzeux  , sont 
réfractaires  3 leur  base  , très-fusible  , produit  un 
émail  opaque,  luisant,  poreux. 

L’intérieur  de  File , autant  qu’on  en  peut  juger 
par  les  matières  qui  se  montrent  à sa  surface, 
paraît  composé  de  ces  trois  espèces  délavés  et  de 
leurs  variétés  3 elles  ont  formé  des  courans  3 mais 
leur  haute  antiquité  en  a fait  disparaître  les  tu- 
meurs , les  cascades  , les  replis  , les  ondulations , 
que  l’on  remarque  dans  les  laves  nouvelles , et 
même  dans. celle  d’un  âge  moyen.'  Et  si  l’on  n’y 
voit  plus  ni  scories  , ni  laves  scoriacées  , c’est 
sans  doute  à la  même  cause  qu’il  faut  l’attribuer: 
leur  tissu  lâche  et  peu  solide  , la  place  même 
qu’elles  prennent  ordinairement  à la  surface  des 
courans , les  exposent  plus  que  les  autres  à Féda- 
cité  du  temps. 

On  a vu  dans  ma  relation  de  Lipari , combien 
cette  île  avait  été  sujette  aux  vapeurs  acido- 


J 


r o y a ù-  e 5 

sulfureuses.  C’est  tout  le  contraire  à Félicuda  * 
du  moins  je  n’y  ai  pas  découvert  une  seule  lave 
qui  parût  avoir  été  attaquée  par  cet  agent  : elles 
n’ont  souffert  que  de  l’influence  du  temps  et  des 
météores  3 mais  cette  influence  a été  si  puissante  , 
que  si  je  ne  les  avais  fait  briser  à la  profondeur 
de  plusieurs  pieds  pour  examiner  leurs  parties 
intérieures  , j’aurais  souvent  pris  des  laves  de 
même  espèce  pour  des  laves  tout-à-fait  opposées, 
et  d’autant  plus  différentes  d’elîes-mêmes  , que 
les  surfaces  étaient  plus  éloignées  du  centre. 

Telles  sont  les  diverses  laves  qui  composent 
File  de  Félicuda  : il  me  reste  à parler  des  autres 
substances  volcaniques  qui  s’y  trouvent  réunies. 
Le  tuffa  en  est  une  , et  les  lieux  qu’il  occupe 
sont  les  seuls  où  la  culture  apporte  quelque  profit 
aux  insulaires  : il  est  en  général  friable,  léger, 
spongieux,  et  de  nature  argileuse. 

Parmi  ce  tuffa  gisent  des  verres  et  des  ponces. 
Je  décrirai  séparément  ces  deux  substances,  en 
commençant  par  les  verres. 

Mes. premiers  pas  dans  l’île  m’en  avaient  fait 
découvrir  plusieurs  échantillons  3 des  recherches 
plus  exactes  me  convainquirent  ensuite  que  ces 
verres  existaient,  non  parmi  les  laves , mais  dans 
la  terre  labourée  des  champs.  Les  habitans  eux- 


r 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  8? 
mêmes  appuyèrent  mon  observation  de  leurs  té- 
moignages : me  voyant  à la  quête  de  ces  pro- 
ductions , ils  m’en  apportèrent  abondamment , 
sans  avoir  d’autre  peine  à prendre  que  celle  de 
les  ramasser  à la  superficie  de  leurs  champs. 
Cependant  ce  n’était  là  que  des  morceaux  isolés; 
peut-être  la  mine  existait  au-dessous  ; il  fallait 
s’en  assurer  par  une  excavation.  Je  fis  creuser 
une  fosse  de  huit  pieds  de  profondeur  et  de  cinq 
de  largeur.  Je  trouvai  d’abord  une  couche  de 
terreau  tuffacé  de  l’épaisseur  de  deux  pieds  , mê- 
lé avec  quelques  éclats  de  verre  ; plus  bas  , le 
terreau  n’avait  point  été  entamé  par  la  charrue  : 
il  renfermait , comme  la  couche  supérieure,  des 
verres  isolés.  Cet  examen,  que  je  continuai  jus- 
qu’au fond  de  la  fosse , me  fit  voir  constamment 
les  mêmes  matières  et  le  même  arrangement. 

Il  me  fut  donc  démontré  que  le  verre  des 
champs  labourés  avait  son  siège  dans  le  tuffa  ; 
mais , à ses  formes  anguleuses  , à ses  pointes  ai- 
guës , à ses  arêtes  vives  et  tranchantes  , à ses 
stries  ondoyantes , à tous  ces  accidens  de  forme 
et  de  figure  tels  qu’on  les  observe  dans  les 
verres j soit  volcaniques , soit  artificiels,  qui  ont 
été  brisés  par  un  choc  violent , je  ne  pus  croire 
que  celui-ci  fût  sorti  dans  cet  état  d’une  bouche 
volcanique.  Je  trouvai  plus  naturel  de  penser 


VOYAGES 


88 

qu’après  avoir  été  formé  par  les  embrasemens 
souterrains , une  convulsion  de  la  terre , ou  quel- 
qu’agent  impétueux,  le  réduisit  ainsi  en  éclats. 

Les  plus  grands  morceaux  ont  cinq  pouces  et 
demi  de  longueur,  et  deux  d’épaisseur.  Il  en  est 
qui  ne  le  cèdent  point  en  lustre,  en  transparen- 
ce, au  plus  beau  verre  de  Lipari  $ d’autres  sont 
moins  limpides  , et  ont  une  couleur  cendrée  ou 
grise  j il  s’en  trouve  enfin  dont  la  transparence 
est  presque  nulle  , et  ceux-là  tiennent  davantage 
de  la  nature  des  émaux.  Ils  sont  tous  très-com- 
pactes , étinceîans  sous  le  briquet , et  propres 
à rayer  le  verre  artificiel.  Plusieurs  renferment 
de  ces  corpuscules  blancs  que  j’ai  vus  et  décrits 
dans  quelques  verres  de  Lipari , et  ces  corpus- 
cules ne  manifestent  pas  en  eux-mêmes  ce  degré 
de  vitrification  dont  jouissent  les  autres  parties. 
On  rencontre  aussi , mais  rarement , des  mor- 
ceaux qui  , au  lieu  de  corpuscules  , présentent 
d’un  côté  un  verre  très  - noir  , de  l’autre  une 
simple  lave.  Nous  avons  remarqué  des  combinai- 
sons semblables  dans  les  verres  de  Lipari.  Cette 
lave  , au  reste  , qui  forme  un  tout  continu  avec 
le  verre  de  Félicuda  , a une  couleur  cendrée  : sa 
base  est  un  pétro-silex. 

Traité  avec  le  feu , ce  verre , comme  toutes 

les 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  8g 
les  productions  volcaniques  de  ce  genre  , se  di- 
late et  s’étend  comme  une  écume  vitreuse. 

Quant  aux  pierres  ponces  enveloppées  dans 
le  tufFa  , elles  ne  forment  jamais  de  grandes 
masses.  On  les  trouve  en  morceaux  détachés 
d’un  volume  peu  considérable  ; les  plus  gros 
excèdent  à peine  la  grosseur  du  poing.  Elles  sont 
en  général  plus  abondantes  que  les  verres;  il  suffit 
de  remuer  la  superficie  des  tufFas  en  friche  pour 
les  en  faire  sortir  par  centaines. 

Le  lieu  que  j’habitais  à Félicuda  s’appelle  la 
Thalle  délia  Chie  sa  ; c’est  une  petite  plaine  à 
l’est  de  l’île  , occupée  parle  presbytère,  humble 
édifice  qui  convient  à la  pauvreté  du  pays.  Là 
principalement,  et  sur  une  côte  spacieuse  située 
au  sud  , abondent  les  pierres  ponces  , tant  à la 
surface  du  tufFa  que  dans  1 intérieur. 

Il  y en  a de  deux  qualités  : les  unes  sont  cel- 
lulaires, friables,  poreuses;  elles  surnagent  sur 
l’eau  ; les  autres  sont  compactes , pesantes,  sans 
pores;  elles  ont  la  cassure  lisse,  et  pourtant  elles 
manifestent  les  vrais  caractères  de  ce  genre  de 
pierres.  Elles  sont  tantôt  rougeâtres,  tantôt  jau- 
nes , tantôt  grises,  et  renferment  une  multitude 
de  lames  feld  spathiques,  vitreuses  et  brillantes. 

Entr’autres  observations  sur  les  ponces  des 

Tome  III . G 


VOYAGES 


9° 

volcans , fai  remarqué  qu’au  lieu  de  se  gonfler 
au  fourneau , et  de  se  transformer  en  un  corps 
plein  de  bulles  , comme  il  arrive  aux  verres  et 
aux  émaux  compactes,  elles  diminuent  de  vo- 
lume. Leurs  pores,  si  elles  en  ont , disparaissent, 
ou  du  moins  se  resserrent , et  elles  en  deviennent 
plus  pesantes.  Cette  observation  convient  en  tout 
point  aux  ponces  de  Félicuda , qui  donnent  pour 
résultat  un  émail  noir,  luisant , piqué  de  petites 
taches  blanchâtres  : ce  sont  les  feld-spaths  de- 
venus blancs  après  avoir  perdu  leur  éclat  et  leur 
transparence.  Cet  émail  met  en  mouvement  l’ai- 
guille aimantée  à une  ligne  de  distance  , bien 
qu’il  n’ait  pas  la  moindre  vertu  magnétique  lors- 
qu’il est  dans  l’état  dé  pierre  ponce. 

L’examen  que  j’ai  fait  de  ces  pierres  ne  m’a 
pas  permis  de  penser  qu’elles  aient  jamais  formé 
des  courans , soit  parce  qu’elles  gisent  constam- 
ment en  morceaux  détachés , soit  parce  que 
leurs  pores  n’ont  pas  une  direction  commune , 
telle  qu’on  l’observe  dans  les  ponces  qui  ont 
coulé  à la  manière  des  laves.  Les  pores , dans 
ces  dernières,  ont  une  figure  plus  ou  moins  alon- 
gée  : dans  celles  de  Félicuda  , ils  sont  presque 
toujours  orbiculaires.  Je  présume  que  celles-ci 
ont  été  lancées  dans  les  airs  à diverses  reprises  par 
les  volcans  ^ et  avec  d’autant  plus  de  fondement. 


DANS  LES  DEUX  S I C I L E S.  gi 
que  la  plupart  se  montrent  sous  une  forme  glo- 
buleuse. 

Mais  je  croirais  n’avoir  donné  qu’une  descrip- 
tion imparfaite  des  productions  de  Félicuda , si 
je  ne  parlais  pas  d’une  autre  substance ,_  dont 
l’existence  est  un  nouveau  témoignage  de  la  vol- 
canisation  de  cette  île  ; je  veux  dire  la  pouzzo- 
lane que  l’on  y rencontre  en  plusieurs  endroits, 
détritus  de  ponces  , de  ruffas  et  de  laves.  Les 
insulaires  s’en  servent  pour  bâtir,  et  voici  la  mé- 
thode qu’ils  suivent  à cet  égard.  Ils  tirent  de  la 
Sicile  la  pierre  calcaire  , et,  pour  plus  de  com- 
modité , ils  la  prennent  au  bord  de  la  mer.  Cette 
pierre,  placée  dans  de  petits  fourneaux , devient 
une  bonne  chaux  au  bout  de  quarante  heures 
de  feu.  Ils  en  mêlent  un  tiers  avec  deux  tiers  de 
pouzzolane  détrempée  dans  l’eau,  et  obtiennent 
un  ciment  très -propre  à lier  les  laves  qui  leur 
tiennent  lieu  de  briques  et  de  pierres.  Pour  don- 
ner , comme  ils  disent , plus  de  force  et  de  soli- 
dité à ce  ciment,  ils  y incorporent  des  ponces 
concassées. 

Au  reste , les  laves  sont  les  matériaux  dont  on 
se  sert  pour  bâtir,  non-seulement  à Félicuda, 
mais  dans  tout  l’archipel  Æolien , et  chacun  em- 
ploie celles  de  sa  propre  île.  Dans  tous  les  pays, 
en  général,  les  habitans  des  campagnes,  comme 

G 2 


VOYAGES 


çeux  des  villes , ne  vont  pas  chercher  ailleurs 
que  dans  leurs  environs , sur-tout  si  le  pays  est 
montueux  , les  pierres  dont  ils  construisent  leurs 
maisons  ; aussi  ma  coutume  , en  voyageant , est- 
elle  d’examiner  les  matériaux  qui  entrent  dans 
la  construction  des  villages , des  châteaux , des 
villes  par  où  je  passe  : cet  examen  m’a  souvent 
guidé  et  éclairé  dans  mes  recherches  5 il  m’a  fa- 
cilité plus  d’une  fois  la  connaissance  des  fossiles 
du  pays. 

Pour  réunir  en  un  seul  tableau  les  diverses  pro- 
ductions de  Félicuda,  on  y compte  des  verres, 
des  ponces  , des  tufFas  , de  la  pouzzolane , des 
laves  à bases  de  schorl,  de  feld-spath  en  masse  et 
de  pierre  de  corne  ; mais  on  n’y  voit  plus  rien  qui 
puisse  indiquer  la  présence  d’un  feu  souterrain  ; 
pas  même  des  eaux  thermales  , qui  n’en  sont 
quelquefois  que  des  signes  équivoques. 

J’ai  été  sur-tout  très-attentif  à examiner  si  , 
parmi  ces  diverses  productions , je  n’en  rencon- 
trerais pas  qui  n’eussent  point  éprouvé  l’action 
du  feu.  Je  puis  dire  en  avoir  vu  une  seule , qui 
était  un  morceau  de  granit  isolé  gisant  sur  le 
rivage  , près  la  Grotte  du  Bœuf-  Marin.  Le 
mica  , le  feld-spath , le  quartz  , en  composaient 
les  élémens  ; le  mica  , tantôt  noir,  tantôt  blanc 
et  argentin,  formait  des  groupes  où  le  noir  do  mi- 


DAÏNS  LES  DEUX  SICILE  S.  gS 
naît;  le  quartz,  disposé  én  petites  niasses  semi- 
transparentes,  était  moelleux  au  toucher,  d’une 
cassure  vitreuse  et  brillante,  d’une  couleur  entre 
l’azur  et  le  blanc  $ le  feld-spath  , plus  abondant 
que  les  deux  autres  principes  , et  qui  était  par 
conséquent  la  base  de  cette  roche , présentait 
de  petites  masses  à surfaces  inégales,  lamelleuses 
dans  la  cassure,  transparentes  dans  les  angles, 
et  d’un  blanc  de  lait  changeant.  Aucun  de  ces 
trois  éléraens  ne  manifestait  une  cristallisation 
décidée.  Je  crois  ne  pas  me  tromper  en  assurant 
que  ce  granit  n’avait  point  été  touché  par  le 
feu.  En  efFet;  je  ne  l’eus  pas  laissé  un  quart- 
d’heure  dans  le  fourneau,  qu’il  s’altéra  sensi- 
blement, et  que  toutes  ses  parties  en  furent  af- 
fectées. Le  mica  devint  pulvérulent  ; le  quartz 
parut  très-friable  , plein  de  gerçures  5 il  perdit 
sa  transparence  , son  éclat  vitreux  , et  acquit 
une  blancheur  absolue.  Le  feld-spath,  non  moins 
friable  , perdit  aussi  sa  couleur  changeante  , et 
blanchit  davantage  5 aussi  ne  faut-il  pas  s’étonner 
si , d’un  coup  léger  de  marteau , je  réduisis  alors 
cette  roche  en  petits  morceaux,  tandis  que  dans 
son  état  naturel,  j’avais  peine  à en  détacher  quel- 
ques fragmens.  Au  reste , je  pus  ensuite  la  te- 
nir au  feu  pendant  plusieurs  jours , sans  que  le 
quartz  et  le  mica  donnassent  le  moindre  signe 
de  fusion  5 le  feld-spath  seul  devint  un  peu  onc- 

G 3 


$4  VOYAGE» 

tueux  dans  ses  angles  : expérience  qui  s’accorde 
dans  ses  résultats  avec  celles  que  j’ai  faites  sur 
des  roches  de  ce  genre  , chap.'XII. 

Mais  ce  granit  a-t-il  été  lancé  dans  son  état 
d’intégrité  par  un  volcan  de  l’île  , ou  y a-t-il  été 
apporté  fortuitement?  Cette  dernière  conjecture 
me  paraît  la  plus  vraisemblable.  En  effets  il  ne 
gisait  point  dans  l’intérieur  des  terres,  mais  sur 
le  bord  du  rivage  ; les  flots  de  la  mer  l’avaient 
écorné  , et  rien  n’empêche  de  croire  qu’il  ait 
été  roulé  par  les  ondes  depuis  le  cap  Melazzo 
en  Sicile , où  cette  espèce  de  granit  règne  en 
grandes  masses,  jusqu’à  Félicuda,  qui  n’en  est 
distant  que  de  cinquante-quatre  milles. 


c 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  95 


CHAPITRE  XVIII. 

ydlicuda. 

Xi  e 1 5 octobre  , au  lever  du  soleil , je  m’embar- 
quai dans  un  bateau  à quatre  rames,  conduit  par 
le  curé  de  Félicuda  , qui  passait  dans  son  île 
pour  un  excellent  marin , et  je  fis  route  pour 
Alicuda.  Un  vent  léger  soufflait  en  poupe  ; le 
ciel  était  serein , la  mer  tranquille  5 je  voyais  de- 
vant moi , à la  distance  de  dix  milles  seulement , 
la  terre  où  je  devais  aborder,  et  je  me  flattais 
d’y  arriver  promptement  5 mais  à peine  eûmes- 
nous  fait  la  moitié  du  chemin  , que  le  vent  com- 
mença à fraîchir  3 bientôt  il  souffla  avec  tant 
d’impétuosité , que  notre  bateau , malgré  sa  voile 
larguée  , allait  encore  plus  vite  qu’auparavant , 
et  courait  le  plus  grand  risque  de  se  briser  sur 
les  rochers  d’Alicuda  , dont  nous  étions  très-près. 
Cette  île  n’a  ni  anse  , ni  port  ; et , par  un  oubli 
inexcusable  des  matelots , nous  nous  trouvions 
dépourvus  d’ancre , et  sans  espoir  de  prendre 
fond  avant  d’arriver  sur  la  côte.  Cependant  la 
mer  devenait  toujours  plus  mauvaise  ; ses  vagues, 
qui  auraient  peu  inquiété  un  vaisseau  de  haut 
bord  , tourmentaient  sans  relâche  notre  petit 

G 4 


96  VOYAGES 

bateau  , le  frappant  tantôt  d’un  côté,  tantôt  d’un 
autre,  et  le  faisant  quelquefois  tournoyer  sur 
lui-même.  Plus  nous  approchions  de  l’île  , plus 
le  danger  paraissait  inévitable.  Etonnés  de  notre 
situation  5 mais  non  découragés  , nous  délibérions 
sur  le  parti  qui  nous  restait  à prendre.  Cherche- 
rions-nous à échouer  sur  une  plage  sablonneuse, 
secondés  par  l’effort  et  la  direction  des  vagues  , 
et  nous  élançant  à cet  instant  hors  du  bateau  , 
tâcherions-nous  de  gagner  la  terre?  ou  valait-ii 
mieux  , en  évitant  l’île  , s’aventurer  sur  la  haute 
mer  , et  tenter  les  hasards  de  la  fortune  ? 

Dans  cette  perplexité  , voilà  deux  hommes 
qui  nous  apparaissent  sur  les  hauteurs  de  l’île  ; 
ils  descendent  à la  hâte  vers  nous  5 bientôt  ils 
sont  sur  le  rivage.  Alors  l’un  d’eux , d’une  voix 
forte  qui  se  fait  entendre  à travers  le  bruit  des 
flots,  nous  crie  de  ne  pas  nous  éloigner,  de 
tenir  ferme  où  nous  étions  , tandis  qu’il  allait 
employer  tous  les  moyens  de  nous  sauver  et 
de  nous  amener  à terre.  C’était , comme  je  le 
sus  ensuite  , le  curé  d’Alicuda , qui , ayant  vu 
de  loin  la  grandeur  de  notre  péril  , accourait 
avec  quatre  insulaires  pour  nous  porter  secours. 
Ils  s’étaient  munis  à cet  effet  de  pelles,  de  bêches, 
et  d’une  grosse  poulie.  Tandis  qu’ils  fixaient  la 
poulie  sur  le  rivage , et  qu’ils  y pratiquaient  un 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  97 
plan  incliné  pour  l’exécution  de  leurs  desseins, 
les  matelots  de  notre  côté  faisaient  en  ramant 
tous  leurs  efforts  pour  éviter  d’approcher  da- 
vantage de  la  terre  , dont  nous  n’étions  éloignés 
que  de  quinze  pieds  ; et  moi  , secondé  de  mon 
domestique  , je  vidais  sans  relâche  l’eau  qui  en- 
trait dans  la  barque  , et  qui  l’aurait  indubita- 
blement coulée  à fond.  Quand  tout  fut  prêt  sur 
le  rivage  , nous  y lançâmes  une  corde  mise  en 
peloton  , dont  nous  tenions  un  des  bouts.  Plu- 
sieurs fois  le  coup  manqua  3 mais  enfin  la  corde 
fut  saisie  par  un  des  insulaires  , qui  la  fit  passer 
dans  la  poulie  pendant  que  nous  l’attachions  for- 
tement à la  proue.  Alors  , au  premier  flot  qui 
se  précipita  sur  le  rivage , les  insulaires  tirèrent 
la  corde,  et  nous  fûmes  portés  en  un  clin  d’œil 
sur  le  plan  incliné  3 mais  le  flot  revenant  impé- 
tueusement sur  lui-même  , nous  chassa  de  nou- 
veau dans  la  mer.  Le  choc  fut  si  violent  que  - 
la  corde  se  rompit , et  nous  ôta  tout  espoir  de 
nous  sauver  à terre.  Dans  ce  moment  si  déses- 
pérant , nous  vîmes  le  bon  curé  se  frapper  le 
front  , et  donner  tons  les  signes  de  la  plus  vive 
consternation.  Pour  nous  , nous  étions  déjà  réso- 
lus de  nous  éloigner  de  l’île , et  de  suivre,  à tout 
événement  , l’impulsion  du  vent  et  des  flots  ; 
mais  nous  en  fûmes  détournés  par  les  insulaires, 
qui  nous  criaient  que  notre  frêle  barque  ne  ré- 


98  VOYAGES 

sisterait  point  aux  vagues  de  la  haute  mer;  que 
le  risque  serait  beaucoup  moindre  en  côtoyant 
l’île  au  nord , où  il  serait  possible  de  rencontrer 
quelque  petite  gorge  moins  battue  de  la  tem- 
pête, et  qu’enfm  ils  nous  suivraient  du  rivage, 
et  ne  négligeraient  rien  pour  nous  secourir.  Nous 
quittâmes  donc  ce  lieu,  et  tirant  au  nord,  après 
avoir  vogué  une  demi- heure  entre  l’espérance 
et  la  crainte  , nous  parvînmes  à pousser  notre 
barque  çlans  le  creux  d’un  rocher , dont  les  si- 
nuosités amortissaient  l’agitation  de  la  mer.  C’est 
là  que  nous  prîmes  terre  avec  l’aide  du  bon  curé 
et  de  ses  paroissiens,  pour  qui  je  conserve  une 
éternelle  reconnaissance.  Il  nous  reçut  avec  la 
plus  vive  tendresse  , et  nous  témoigna  les  sen- 
timens  de  la  plus  généreuse  hospitalité.  Je  lui 
présentai  une  lettre  circulaire  de  l’évêque  de 
Lipari , qui  me  recommandait  à chaque  curé  des 
îles  Æoliennes  , et  les  priait  de  me  rendre  les 
services  qui  dépendraient  d’eux;  mais  celui  d’A- 
licuda  n’avait  pas  attendu  cette  recommandation 
pour  voler  à mon  secours,  et  son  humanité  avait 
déjà  prévenu  tous  mes  besoins. 

La  matinée  étant  fort  avancée , je  consacrai 
le  reste  du  jour  au  repos,  et  lorsque  la  nuit  vint, 
je  résolus  de  la  passer  dans  ma  barque  , qui  avait 
été  tirée  sur  le  rivage.  Mon  libérateur , car  je 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  99 
puis  donner  ce  titre  au  curé  d’Alicuda , voyant 
que  j’étais  trop  accablé  pour  monter  jusqu’à  son 
habitation , située  dans  une  partie  élevée  de  l’ile , 
en  avait  fait  venir  un  matelas  et  des  toiles  pour 
me  garantir  de  l’humidité  : il  voulut  aussi  me 
faire  partager  sa  table  frugale  , et  il  me  donna 
quelques  bouteilles  d’une  excellente  malvoisie 
de  Lipari , qui  me  fortifia  et  ranima  mes  es- 
prits. 

Le  lendemain  et  le  jour  suivant  furent  em- 
ployés à l’étude  des  productions  volcaniques  de 
Pile.  On  sait  la  réflexion  de  ce  philosophe  grec, 
qui  3 s’échappant  du  naufrage , et  abordant  aux 
rivages  de  Rhodes  5 vît  des  figures  de  géométrie 
tracées  sur  le  sable  , et  s’écria  dans  sa  joie  : 
V~oilà  des  traces  d’hommes  ! Pour  moi  qui  , 
jeté  de  même  par  la  tempête  sur  les  rivages 
d’Alicuda  , avais  déjà  éprouvé  les  empressemens 
de  la  plus  tendre  hospitalité  , et  qui  ne  desirais 
plus  que  de  poursuivre  l’objet  de  mes  recherches, 
je  pus  m’écrier  dès  le  premier  pas  : Je  vois  ici 
des  traces  du  feu  ! C’étaient  des  verres  , des 
émaux , des  ponces  qui  s’offraient  à mes  regards  , 
et  qui , semblables  à ceux  de  Félicuda  , gisaient 
légalement  parmi  des  matières  tuffacées.  Mais 
voyant  que  la  mer  s’était  calmée  pendant  la 
nuit,  et  me  promettait  une  navigation  heureu’se 


*00  VOYAGES 

autour  de  file  , j’entrepris  d’abord  l’examen  de 
ses  rivages.  Je  vais  en  décrire  les  productions 
volcaniques  les  plus  remarquables,  sans  pouvoir 
cependant  désigner  par  des  noms  les  lieux  où  je 
les  ai  vues  : les  deux  insulaires  qui  m’accompa- 
gnaient ne  les  savaient  point  eux -mêmes,  ou 
plutôt  ces  rivages  n’ont  point  de  dénomination 
fixe.  Je  me  contenterai  d’en  rapporter  les  diffé- 
rentes distances  au  point  de  mon  départ. 

Je  m’embarquai  dans  la  partie  de  l’est , et 
tirant  au  nord , je  rencontrai  d’abord  des  rochers 
entiers  composés  de  globes  de  lave  noirâtre , à 
base  de  pétro-silex  , poreuse,  mais  pesante,  à 
cause  de  la  densité  des  parties  solides  5 un  peu 
lustrée  , très-dure,  affectant  dans  la  cassure  une 
figure  conchoïde  , attirable  à l’aimant , étince- 
lante sous  le  choc  de  l’acier.  Elle  renferme  peu 
de  feîd-spaths,  mais  beaucoup  de  schorls.  Ces 
globes, de  diverses  grandeurs,  et  dont  quelques- 
uns  ont  un  pied  de  diamètre,  sont  détachés  les 
uns  des  autres  : leur  disposition  n’est  jamais  par 
couches  ; ils  constituent  seulement  d’énormes 
monceaux. 

Comment  cette  lave  s’est- elle  ainsi  divisée  et 
configurée  ? Faut-il  attribuer  sa  forme  sphérique 
à l’agitation  de  la  mer  pendant  une  époque  où 
ses  eaux  l’auraient  couverte,  car,  pour  aujour-* 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  loi 
d’hui  , tous  ces  amas  de  globes  sont  placés  à 
quelques  toises  au-dessus  de  son  niveau?  Dans 
mes  excursions  sur  les  rivages  des  autres  îles 
Æoliennes  et  de  l’Etna  , j’ai  souvent  rencontré 
de  pareilles  boules  de  laves , et  même  des  boules 
d’émaux  et  de  verres  , qui  faisaient  connaître 
clairement  qu’elles  avaient  été  arrondies  par  le 
frottement  des  eaux,  comme  il  arrive  aux  cail- 
loux roulés  par  les  fleuves.  J’en  ai  cité  plusieurs 
exemples  dans  le  cours  de  cet  ouvrage.  Mais 
ces  morceaux  de  lave  arrondis  par  l’action  des 
eaux  paraissent  plus  ou  moins  lisses  à leur  sur- 
face, au  lieu  que  les  globes  d’Alicuda  sont  ra- 
boteux , et  couverts  d’aspérités  si  fragiles  , que 
le  moindre  frottement  aurait  dû  les  efFacer.  Ils 
ont , en  outre  , conservé  un  certain  aspect  bril- 
lant et  scoriacé  , très-semblable  à celui  des  mor- 
ceaux de  laves  qui  sortent  du  volcan  actuel  de 
Stromboli.  Ces  considérations  me  portent  à croire 
que  les  globes  en  question  ont  été  lancés  en  laves 
liquides  par  un  volcan  d’Alicuda,  et  qu’ils  ont 
contracté  dans  les  airs  leur  forme  sphérique  : les 
montagnes  ignivomes  offrent  plus  d’un  exemple 
d’un  pareil  phénomène. 

En  allant  un  mille  et  demi  plus  loin  vers  le 
nord  , on  découvre  une  autre  lave  non  divisée 
et  configurée  en  globes,  mais  s’étendant  au  large, 


I 02 


VOYAGES 
et  tombant  dans  la  mer  comme  une  cataracte. 
Sa  base  est  le  pétro-silex  3 elle  a la  couleur  du 
fer  ; sa  cassure  est  siliceuse  , ou  plutôt  vitreuse  5 
elle  est  pleine  de  cristallisations  schorlacées.  Qui 
a vu  des  laves  sorties  récemment  d’une  bouche 
volcanique,  croirait  celle-ci  d’une  date  nouvelle. 
Elle  offre  ce  lustre , cette  fraîcheur  naturelle  aux 
laves  qui  n’ont  pas  encore  éprouvé  les  impres- 
sions de  l’atmosphère  : on  dirait  de  ces  scories 
de  fer  que  l’on  trouve  dans  les  boutiques  des 
forgerons.  Je  possède  des  échantillons  de  l’érup- 
tion de  l’Etna  de  1787  , qui  ne  sont  pas  d’une 
meilleure  conservation.  Cependant  la  lave  dont 
je  parle  est  de  la  plus  haute  antiquité  3 son  exis- 
tence remonte  au-delà  même  des  temps  histo- 
riques qui  ne  retracent  aucun  souvenir  des  em- 
brasemens  d’Alicuda. 

J’ai  cru  devoir  faire  Cette  remarque  pour  con- 
firmer la  vérité  de  ce  que  j’ai  dit  touchant  1 in- 
certitude des  jugemens  que  l’on  porte  sur  l’an- 
cienneté plus  ou  moins  grande  des  laves,  quand 
on  veut  la  calculer  d’après  le  degré  plus  ou  moins 
sensible  de  décomposition  qu’elles  manifestent. 
Cette  donnée  serait  plus  juste  si  les  laves  étaient 
de  même  nature , et  si  elles  étaient  toujours  afFec- 
tées  par  les  mêmes  causes  extérieures  3 mais  , 
par  la  seule  différence  de  leur  caractère , il  en 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  1O0 
est  telle  qui  peut,  dans  le  cours  de  dix  années, 
s’altérer  considérablement , et  même  se  change^ 
en  terre  ; et  telle  autre  se  conserver  parfaite- 
ment pendant  l’espace  de  plusieurs  siècles. 

À un  mille  au-delà  , la  côte  montueuse  de  Pile 
s’applanit  un  peu  5 on  y trouve  des  masses  isolées 
de  porphyre  qui  ne  paraissent  point  avoir  été 
touchées  par  le  feu.  Ce  porphyre  est  à base  de 
pétro-silex  5 il  a une  couleur  de  brique  cuite  5 
il  étincelle  sous  le  briquet  3 il  est  très-compacte 
et  sans  pores , à la  réserve  de  quelques  cavités 
placées  à sa  surface,  et  revêtues  en  dedans  d’une 
croûte  mince  et  blanche  de  carbonate  de  chaux, 
dans  lesquelles  se  trouvent  quelquefois  des  cris- 
taux congénères.  Ces  petites  géodes , engendrées 
par  filtration , se  décomposent  promptement  par 
l’acide  nitrique  , et  se  dissolvent  avec  efferves- 
cence. Au  reste  , ces  roches  porphyriques  sont 
aussi  dures  , aussi  polies , aussi  lustrées  que  celles 
d’Egypte  ; elles  contiennent  des  schorls,  et  sur- 
tout quantité  de  feld-spaths  cubiques,  lamelleux, 
et  d’un  blanc  changeant. 

Traitées  avec  le  feu,  elles  noircissent  au  bout 
de  quelques  heures,  se  fondent  ensuite  , et  se 
convertissent  en  un  émail  noir  , compacte  , très^ 
poli,  attirable  à l’aimant  : les  feld-spaths  y res- 
tent entiers. 


VOYAGES 


104 

Les  deux  laves  que  j’ai  citées  précédemment , 
dont  la  première  s’est  divisée  en  globes , la  se- 
conde a coulé  en  ruisseau , peuvent  être  consi- 
dérées comme  étant  de  même  espèce  5 l’une  et 
l’autre  ont  pour  base  le  pétro-silex  j elles  con- 
tiennent également  des  schorls  et  des  feîd-spaths, 
et  sont  par  conséquent  porphyriques.  Mais  le 
porphyre  que  je  viens  de  décrire  a aussi  pour 
base  le  pétro-silex  : ces  trois  productions  dé- 
rivent donc  de  la  même  roche,  avec  la  diffé- 
rence qu’une  partie  de  cette  roche, a éprouvé  la 
fusion,  et  Fautre  est  restée  intacte. 

Plus  loin  la  côte  s’élève  rapidement  y elle  est 
recouverte  de  tuffa  , après  le  tuffa  on  revoit  les 
laves  sous  l’aspect  de  larges  ruisseaux  5 elles  sont 
à base  de  pierre  de  corne  , légères  , poreuses  , 
pénétrables  à l’eau  5 elles  ont  de  la  peine  à étin- 
celer sous  le  briquet , qui  les  écorne  à chaque 
coup  : elles  sont  âpres  au  toucher,  et  sentent  Par- 
odie. On  distingue  aisément  leurs  nombreux  feld- 
spaths,  placés  sur  un  fond  rouge  obscur.  Les  uns 
manifestent  un  degré  de  calcination  , et  sont 
friables  ; les  autres  n’ont  souffert  aucune  altéra- 
tion : différence  qui  doit  être  attribuée  à leurs 
diverses  qualités  , et  non  à l’action  plus  ou  moins 
vive  du  feu  , puisque  la  lave  qui  les  contient  tous 
est  uniformément  affectée  par  cet  agent. 

Alicuda 


' . ‘ ..  \ 

DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  lo5 
Alicuda  comporte  environ  six  milles  de  circon- 
férence. J’en  avais  déjà  parcouru  la  moitié  : le 
reste  de  mon  voyage  ne  m’offrit  rien  de  nouveau. 
Je  vis  par-tout  la  même  nature  de  laves  , avec 
des  variétés  trop  peu  remarquables  pour  valoir 
la  peine  d’être  rapportées.  Mais  il  me  serait  im- 
possible de  peindre  les  sombres  horreurs  de  ses 
rivages  : tout  y est  dégradé  , bouleversé  5 et  le 
temps  5 opérant  de  concert  avec  les  feux  volca- 
niques et  les  vagues  impétueuses  de  la  mer , 
n’a,  dans  aucun  lieu  du  monde , accumulé  autant 
de  ruines. 

Ici  3 de  hautes  chaussées  de  laves  ont  été  rom- 
pues par  les  flots  , qui  en  ont  fait  des  écueils  au 
milieu  des  eaux,  surmontés  de  pics  menaçans, 
et  environnés  d’afFreux  précipices. 

Là  3 elles  ont  formé  des  escarpemens  taillés 
à pic  sur  la  mer  , avec  de  larges  saillies  à leur 
sommet  : on  dirait  d’une  voûte  suspendue  en 
l’air  , et  prête  à s’abîmer. 

Ailleurs  , ce  sont , non  des  masses  solides , 
mais  des  monceaux  de  globes  sans  liaison.  Rien 
de  plus  dangereux  que  d’en  tenter  l’escalade. 
J’ai  vu  de  gros  faucons  s’abattre  sur  ces  rochers 
mobiles  , qui  venant  à rouler  sous  leurs  pieds , 
Tome  III . H 


VOYAGES 


10S 

les  entraînaient  avec  eux , et  les  précipitaient 
dans  la  mer. 

Plus  loin,  des  laves  de  diverses  espèces,  sem- 
blables à des  ruines , s’appuient  les  unes  sur  les 
autres , s’étayent  entr’ elles  , et  s’élèvent  ainsi  à 
de  grandes  hauteurs. 

Sur  ces  côtes  désertes,  les  hommes  n’ont  frayé 
ni  routes , ni  sentiers  5 on  y voit  seulement  ser- 
penter d’étroites  rigoles  creusées  par  les  pluies  : 
c’est  par-là  que  je  pénétrai  dans  l’intérieur  de  l’île 
quand  la  tempête  m’eut  jeté  sur  ses  bords.  Un 
faux  pas  m’eût  coûté  la  vie,  et  j’étais  dans  cette 
pénible  situation  du  Dante  quand  il  gravissait  les 
rochers  sourcilleux  de  son  enfer  : 

Suivant  un  solitaire  et  périlleux  chemin , 

Parmi  des  rocs  affreux  où  le  pied  tremble,  glisse 
Et  n’évite  le  précipice 
Qu’avec  le  secours  de  la  main  (1). 

Après  avoir  suffisamment  reconnu  les  rivages 
d’Alicuda  , je  portai  mes  recherches  dans  l’inté- 
rieur de  l’île  5 mais  je  ne  pus  pénétrer  que  dans 
la  partie  de  l’est  et  du  sud-est  : par-tout  ailleurs 
elle  est  inaccessible.  Quand  on  la  regarde  sur 

(1) Froseguendo  la  solinga  via 

Fra  le  schegge  , e tra  rocchi  de  lo  scoglio 
Lo  piè  senza  la  man  non  spedia. 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  107 
mer,  à deux  ou  trois  milles  de  distance  du  côté 
du  sud-est , elle  paraît  comme  un  cône  obtus , 
avec  une  cavité  profonde  dans  un  de  ses  flancs. 
C’est  une  illusion  d’optique  produite  parlesimple 
abaissement  d’un  monticule.  Il  n’y  a là  aucune 
ressemblance  de  cratère  : j’en  ai  cherché  vaine- 
ment des  traces  sur  les  côtes  de  l’île  ; c’est  à son 
sommet  seulement  que  j’ai  cru  en  af>percevoir. 
Là , existe  un  bassin , peu  profond  à la  vérité,  mais 
ayant  presque  ufi  demi-mille  de  circonférence. 

Les  laves  qui  forment  son  enceinte  escarpée, 
semblent  partir  de  là  comme  d’un  centre  com- 
mun pour  se  répandre  dans  l’intérieur  de  Pile. 
Elles  sont  en  général  à base  de  pétro-silex , ou 
de  pierre  de  corne,  plus  ou  moins  abondantes 
en  feld-spaths  , et  revêtues  d’un  enduit  jaunâtre 
et  friable  , qui  provi  ent  d’un  principe  de  décom- 
position. En  les  examinant  au  fond  des  ravins, 
et  dans  leurs  déchirures  profondes,  j’ai  jugé,  p^r 
leurs  différentes  couches , qu’elles  avaient  coule 
à diverses  époques. 

Dolomieu  dit , dans  son  voyage  , que  les  deux 
îles  de  Félicuda  et  d’Alicuda  lui  parurent  l’une 
et  l’autre  formées  d’une  seule  montagne  conique 
ouverte  d’un  côté  (1). 


(1)  Iles  de  Lipari , p.  99. 


H 2 


VOYAGES 


108 

Cette  séparation  est  dans  l’ordre  des  choses 
possibles  5 mais  j’ai  des  raisons  de  penser  autre- 
ment. Si  le  choc  de  la  mer,  un  tremblement  de 
terre , ou  toute  autre  cause  puissante  , eût  divisé 
en  deux  cette  unique  montagne  conique  , ne  se- 
rait-il pas  resté  dans  la  mémoire  des  hommes 
quelques  traces  des  phénomènes  qui  concou- 
rurent à produire  un  effet  si  terrible?  D’ailleurs, 
en  considérant  attentivement  les  deux  îles  , on 
leur  trouve  à chacune  les  élémens  de  leur  propre 
génération  5 chacune  porte  à son  sommet  les 
vestiges  de  son  cratère  primitif,  d’où  les  laves 
partent  comme  d’un  point  central , descendent 
par  ses  flancs,  et  courent  à la  mer.  Ces  observa- 
tions locales  n’étaient  point  à la  portée  du  natu- 
raliste français  , qui  se  contenta  de  voir  Félicuda 
et  Alicuda  du  sommet  de  la  haute  montagne  des 
Salines , la  première  de  ces  îles  lui  restant  à la 
distance  de  vingt-cinq  milles , et  la  seconde  à 
celle  de  trente- cinq  milles.  Dans  un  tel  éloigne- 
ment, elles  devaient  paraître  très-voisines  l’une 
de  l’autre  5 aussi  jugea-t-il  qu’elles  n’étaient  sé- 
parées que  de  cinq  milles , tandis  qu’en  réalité 
elles  le  sont  du  double.  Ce  rapprochement  appa- 
rent l’induisit  facilement  à croire  qu’elles  ne  fai- 
saient autrefois  qu’un  seul  corps,  et  à supposer 
qu’une  cause  quelconque  l’aurait  dans  la  suite 
divisé  en  deux  parties. 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  log 

Toujours  placé  au  sommet  des  Salines  , Doîo- 
mieu  jugea  que  la  distance  de  Félicuda  à Cé- 
phaîu,  sur  les  côtes  de  la  Sicile  , était  de  vingt 
milles  ; elle  est  cependant  de  quarante  - cinq 
milles.  Une  illusion  d’optique  s’attache  à tous 
les  objets  que  l’on  voit  de  loin;  elle  disparaît  à 
mesure  que  l’on  s’approche;  et  deux  édifices, 
deux  montagnes  qui  paraissent  se  toucher  dans 
le  lointain,  sont  souvent  très- éloignés  l’un  de 
l’autre. 

On  a vu , dans  le  chapitre  précédent , que  les 
productions  volcaniques  de  Félicuda  sont  des 
laves  à base  de  pierre  de  corne  , de  schorl  et  de 
feld-spath  , des  pierres  ponces,  des  tufFas  et  des 
verres.  Ces  trois  dernières  substances  se  trouvent 
à Alicuda  ; mais  les  laves  y sont  pour  la  plupart 
à base  de  pétro-silex.  Les  feux  qui  ont  coopéré 
à la  formation  de  ces  deux  îles  n’y  donnent  plus 
aucun  signe  d’existence  ; tout  au  plus  on  pour- 
rait conjecturer  qu’il  y a encore  dans  l’intérieur 
de  Félicuda,  quelques  restes  de  ses  incendies, 
en  voyant  au  nord  de  cette  île  une  source  d’eau 
chaude  et  sulfureuse  qui  sort  d’un  rocher  de 
lave  , un  peu  au-dessus  du  niveau  de  la  rner. 

Les  documens  que  les  anciens  nous  ont  trans- 
missur  ces  deux  îles,  sont  en  très-petit  nombre. 
Leurs  noms  étaient  Phenicusa  et  Ericusa . Le 

H 3 


I 10 


V O Y A G È S 


premier  dérivait  du  grec  <&oivi% , Somao?  , un  pal- 
mier , parce  que  , dit  Aristote , cette  île  produi- 
sait beaucoup  d’arbres  de  cette  espèce  (1);  le 
second  de  E ptjû<r<r*  , bruyère  , parce  que  cette 
plante  croissait  en  abondance  dans  cette  seconde 
île  (2).  Strabon  confirme  ces  étymologies  (5). 
Quant  à leur  état  présent  , on  peut  dire  que  les 
bruyères  sont  communes  à Alicuda  ; mais  que 
ni  Félicuda,  ni  les  autres  Æoliennes,  ne  pro- 
duisent pas  un  seul  palmier.  Si  ces  auteurs  ne 
parlent  point  des  embrasemens  de  ces  deux  îles, 
c’est  qu’apparemment  ils  étaient  éteints,  comme 
ceux  de  Didyme  et  d’Evonymos. 


(1)  On  dit  que  dans  une  des  îles  Æoliennes , il  croît 
beaucoup  de  palmiers,  et  que  c’est  de-là  qu’elle  a été 
appelée  Phenicode , ou  des  Palmiers.  In  mirandis. 

(2)  Ericuse  , une  des  îles  Æoliennes  , ainsi  appelée 
d’une  plante,  erica  , bruyère. 

(3)  On  compte  encore  Ericuse  et  Phenicuse  , ainsi 
appelées  de  deux  plantes  , la  bruyère  et  le  palmier . 

Li>.  VL 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S. 


I 1 l 


CHAPITRE  XIX. 

Considérations  relatives  à la  volcanisaiion  dès 
îles  Æoliennes . Recherches  sur  V origine  dès 
basaltes . 


L a forme  y la  grandeur  et  la  structure  des  îles 
Æoliennes  , les  diverses  matières  qui  les  com- 
posent, et  les  roches  primitives  d’où  ces  matières 
dérivent;  leurs  incendies  souterrains,  les  phéno- 
mènes qui  les  accompagnent , et  les  révolutions 
qui  les  suivent  ; la  comparaison  de  leurs  feux 
actuels  avec  ceux  des  temps  passés  , tels  sont 
les  grands  objets  sur  lesquels  mon  attention  s’est 
portée  en  traçant  l’histoire  volcanique  de  cet 
archipel  : je  la  terminerai  par  quelques  réflexions 
générales. 

J’avais  examiné  ces  îles  depuis  leur  sommet 
jusqu’à  leurs  rivages , baignés  par  les  eaux  de 
la  mer.  Il  était  difficile  de  pénétrer  plus  loin  ; 
cependant  l’importance  de  cette  recherche  mé- 
ritait de  nouveaux  efforts  de  ma  part,  et  je  pensai 
qu’il  serait  aussi  curieux  qu’utile  de  connaître 

H 4 


1 12 


y O Y A G E S 


quelle  est  la  nature  des  bas-fonds  qui  environ- 
nent et  séparent  ces  îles.  Quant  aux  instrumens 
dont  je  me  suis  servi  pour  parvenir  à mon  but, 
ils  sont  très  - simples.  Là  où  la  mer  avait  peu 
de  profondeur,  je  mettais  en  usage  la  grande 
tenaille  de  Donati  (i),  armée  de  fortes  dents  , et 
ajustée  à une  ou  plusieurs  perches.  Cette  tenaille 
se  serre  à volonté  par  le  moyen  d’une  petite 
corde , et  quand  elle  a saisi  les  corps  qui  sont 
au  fond  de  l’eau  , elle  ne  les  lâche  plus  : alors 
on  l’enlève  avec  sa  capture.  En  d’autres  endroits, 
j’employais  avec  succès  les  filets  des  pêcheurs 
de  corail  ; c’est  ainsi  que  je  suis  parvenu  à établir 
les  observations  suivantes,  non-seulement  sur  des 
corps  isolés  et  errans , mais  sur  ceux  qui  adhé- 
raient au  fond  même  de  la  mer  : ce  dont  je 
jugeais  par  leur  cassure  toute  fraîche. 

I.  Le  lit  du  canal  qui  sépare  Vulcano  de  Lipari , 
et  Lipari  des  Salines,  est  entièrement  volcanique  : 
les  matières  y sont  les  mêmes  que  celles  qui  se 
trouvent  sur  les  bords  opposés. 

IL  Les  racines  de  ces  îles,  qui  en  certains 
endroits  s’enfoncent  perpendiculairement  , en 
d’autres  s’étendent  horizontalement , ofFrent  la 


(1)  Voyez  son  Essai  sur  Eliistoire  naturelle  de  la  mer 
Adriatique.  , 


DANS  LES  DEUX  SIC  ILE  S.  I l3 
même  analogie  avec  les  produits  qui  sont  à la 
surface  du  sol , et  dont  j’ai  donné  la  description. 

III.  Les  eaux  étant  très-profondes  entre  Lipari 
et  Panaria  j je  ne  pus  arracher  du  lit  de  la  mer 
aucun  corps  pierreux  5 j’amenai  seulement  avec 
le  filet  à corail  des  animaux  testacées  et  crusta- 
cées  , les  uns  vivans  , les  autres  morts  , enve- 
loppés dans  du  gravier  et  du  sable  , et  formant 
avec  ces  matières  , qui  toutefois  étaient  volca- 
niques j une  croûte  plus  ou  moins  épaisse. 

IV.  Entre  les  Salines  et  Félicuda  , Félicuda 
et  Alicuda  , à égale  distance  de  leurs  bords  op- 
posés , je  parvins  à arracher  onze  fragmens  de 
roche  qui , par  leur  résistance  et  par  leur  cassure, 
me  firent  juger  qu’ils  tenaient  immédiatement 
au  lit  solide  et  pierreux  de  la  mer.  Sept  de  ces 
morceaux,  tant  grands  que  petits,  furent  pê- 
chés dans  le  premier  poste  , et  quatre  dans  le 
second.  Ceux-ci  avaient  pour  base  un  pétro-silex 
presqu’opaque,  étincelant,  compacte, d’un  grain 
écailleux  et  Fin  , coloré  d’un  blanc  livide  dans 
deux  fragmens  , et  de  gris  dans  les  deux  autres: 
ceux-là , une  pierre  de  corne  d’un  noir  verdâtre , 
et  médiocrement  dure. 

V.  Tous  ces  fragmens  , à ne  considérer  que 
leur  base  et  leurs  cristallisations  de  schorls  et 


1 l4  VOYAGES 

de  feld-spaths , ne  différaient  point  dans  leurs 
élémens  des  laves  Æoliennes;  mais  leur  contex- 
ture montrait  que  le  feu  n’avait  point  affecté  les 
roches  dont  ils  avaient  été  détachés  : par  exemple, 
les  molécules  du  pétro  - silex  étaient  plus  étroi- 
tement unies  entr’ elles , plus  dures  ; elles  avaient 
un  œil  plus  siliceux  que  dans  les  laves  dérivées 
de  cette  roche;  et  le  tissu  de  la  pierre  de  corne, 
sans  rien  laisser  appercevoir  de  fibreux , était 
aussi  plus  serré  que  celui  de  cette  même  pierre 
lorsqu’elle  a éprouvé  la  fusion. 

Ces  observations  peuvent  répandre  quelque 
lumière  sur  la  génération  des  îles  Æoliennes.  Il 
en  résulte  , i°.  que  la  portion  de  ces  îles  qui  est 
plongée  dans  la  mer  , et  celle  qui  s’élève  au- 
dessus,  ont  également  souffert  faction  du  feu. 
2°.  Que  Vulcano,  Lipari  et  les  Salines  , forment 
un  groupe  de  substances  volcanisées  , qui,  dans 
le  principe  , n’a  renfermé  vraisemblablement 
qu’un  seul  feu  central , lequel  s’étant  divisé  en 
trois  rameaux , et  s’étant  pratiqué  une  issue  par 
trois  bouches  distinctes  , a jeté  les  fondemens  de 
ces  trois  îles.  On  conçoit  comment  cet  incendie, 
par  ses  ramifications  subalternes , et  par  la  dé- 
jection de  nouvelles  matières,  a pu  leur  donner 
successivement  toute  l’extension  qu’elles  ont  au- 
jourd’hui. Il  ne  reste  plus  de  signes  sensibles  de 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  Il5 

îa  présence  de  ce  feu  dans  les  entrailles  des  Sa- 
lines : Lipari  n’en  manifeste  que  de  très-faibles  ; 
mais  toute  son  activité  semble  s’etre  concentrée 
dans  Vulcano.  3°.  Qu’Alicuda  , Féîicuda  et  les 
Salines,  n’ont  aucune  communication  volcanique, 
du  moins  dans  le  lit  de  la  mer  qui  les  sépare , 
puisque  les  matières  qui  composent  cé  lit  ne 
portent  point  les  impressions  du  feu.  4°*  Que  ces 
trois  dernières  îles , et  peut-être  encore  Strom- 
boli  3 gisent  dans  le  voisinage  de  leurs  rocbes 
analogues  et  primitives.  5°.  Que  la  parfaite  res- 
semblance des  schorls  et  des  feld-spaths  renfer- 
més dans  ces  roches  , soit  qu’elles  aient  été  sou- 
mises à l’action  du  feu , soit  qu’elles  y aient  été 
soustraites , prouve , dans  l’un  et  l’autre  cas , que 
ces  cristaux  n’ont  point  été  saisis  par  les  laves 
courantes , et  qu’ils  ne  se  sont  pas  formés  non 
plus  dans  leur  refroidissement. 

Dès  le  commencement  de  cet  ouvrage,  j’avais 
produit  quelques  faits  analogues.  J’en  trouve  avec 
plaisir  la  confirmation  dans  ce  dernier  résultat , 
sur-tout  ayant  appris  depuis  qu’un  célèbre  na- 
turaliste était  d’opinion  que  les  schorls  des  laves 
se  sont  formés  pendant  que  celles-ci  se  conden- 
saient et  perdaient  leur  chaleur.  « Alors  , pen- 
» sait- il,  les  molécules  homogènes  séparées  des 
» hétérogènes  , dans  le  mélange  de  la  fusion , ont 


VOYAGES 


I l6 

»dû,  par  les  loix  de  leur  affinité  , se  réunir  en 
» petites  masses  cristallisées».  Non  - seulement 
cette  théorie  est  démentie  par  les  observations 
ci-dessus  , mais  elle  n’est  pas  même  dans  l’ordre 
des  opérations  de  la  nature.  En  effet, je  ne  vois 
pas,  dans  l’hypothèse  de  ce  naturaliste,  pour- 
quoi les  schorls  des  laves , fondus  avec  elles  au 
fourneau  , n’y  reparaîtraient  pas  quand  celles-ci 
ont  repris  toute  leur  dureté  après  avoir  été  ex- 
posées à l’air  libre.  Cependant , de  toute  cette 
multitude  de  laves  que  j’ai  traitées  au  feu  , au- 
cune n’a  reproduit  ses  schorls  , quoique  la  plu- 
part soient  restées  long-temps  dans  l’état  de  fu- 
sion , et  que  je  les  aie  à dessein  laissé  refroidir 
avec  lenteur  et  en  repos,  sachant  combien  ces 
deux  circonstances  favorisent  la  formation  des 
cristaux.  Si  quelquefois  je  retrouvais  des  schorls 
dans  ces  laves  refondues  , c’est  qu’ils  étaient  ré- 
fractaires au  feu  , ce  dont  je  me  suis  assuré  en 
les  exposant  isolément  à son  action. 

Au  reste , les  onze  morceaux  de  roches  pri- 
mordiales détachés  de  ces  fonds  de  mer  , ont 
éprouvé  dans  le  fourneau  les  changemens  des 
laves  congénères  traitées  de  la  même  manière  : 
les  feld-spaths  sont  restés  réfractaires. 

Les  îles  de  Lipari , à l’exception  de  Vulcano  , 
qui  fait  une  espèce  de  coude ; s’étendent  près- 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  I17 
qu’en  ligne  droite  dans  la  longueur  de  cinquante 
milles  : Stromboli  est  la  première  à l’est  , et 
Alicuda  la  dernière  à l’ouest.  Ce  n’est  pas  le  seul 
exemple  d’un  volcan  qui,  en  projetant  des  îles 
ou  des  montagnes,  les  ait  ainsi  alignées.  Les  Mo- 
luques  produites  par  les  feux  souterrains  courent 
dans  la  direction  de  l’équateur  sous  lequel  elles 
sont  situées.  Quand,  en  1707,  il  s’éleva  , près 
de  Santorin  dans  l’Archipel  une  nouvelle  île  , on 
en  vit  à quelque  distance  d’autres  plus  petites  , 
au  nombre  de  dix-sept,  sortir  également  du  fond 
de  la  mer  , et  se  placer  en  ligne  droite.  Elles 
apparaissaient  comme  une  chaîne  de  gros  rochers 
noirâtres  qui,  croissant  à vue  d’œil , et  se  rappro- 
chant les  uns  des  autres,  vinrent  enfin  à s’unir, 
et  à former  une  île  seule  qui  se  joignit  ensuite 
àla  première  (1).  L’éruption  du  Vésuve  en  1760 
nous  fournit  un  exemple  non  moins  remarquable 
de  cette  direction  des  monts  volcaniques  5 car 
des  îles  ne  sont  elles-mêmes  que  des  monts  en- 
sevelis en  partie  dans  les  eaux.  Comme  cet  évé- 
ment  peut  répandre  quelque  lumière  sur  la  gé- 
nération de  celles  qui  nous  occupent , je  l’expo- 
serai dans  ses  principaux  détails , d’après  la  re- 
lation exacte  du t professeur  Bottis,  qui  en  fut 
témoin  oculaire. 


(1)  Vallisneri  oper.  in-fol.  t.  2. 


VOYAGES 


ll8 

La  terre  trembla  aux  environs  du  Vésuve , et 
ses  secousses  redoublées  s’étendirent  à la  distance 
de  quinze  milles.  Alors  on  vit  s’ouvrir  par  les  flancs 
déchirés  de  la  montagne , dans  le  canton  de  la 
Torre  del  Greco  quinze  volcans  , dont  huit 
furent  ensevelis  bientôt  après  , et  disparurent 
sous  un  torrent  de  lave  échappé  de  l’un  d’eux. 
Les  sept  restans  ne  cessèrent  de  vomir  des  subs- 
tances enflammées  qui , retombant  à-plomb  au- 
tour de  leurs  cratères  , formèrent  dans  le  court 
espace  de  dix  jours  sept  monticules  de  diverses 
hauteurs  , et  disposés  en  lignes  droites.  La  déton- 
nation  de  ces  volcans  ressemblait  tantôt  à un 
coup  de  tonnerre,  tantôt  à la  décharge  de  plu- 
sieurs canons.  Plusieurs  pierres , et  même  des 
plus  grosses , étaient  vibrées  à neuf  cent-soixante 
pieds  dans  les  airs  , et  venaient  tomber  à une 
distance  considérable  de  leur  cratère.  Au  milieu 
de  ce  fracas , toutes  les  terres  environnantes  trem- 
blaient ; un  bruit  affreux  retentissait  de  toutes 
parts.  Enfin,  au  bout  du  dixième  jour,  les  érup- 
tions cessèrent;  les  monticules  s’étant  peu  à peu 
refroidis , on  put  les  observer  de  près  ; les  uns 
avaient  à leur  sommet  un  véritable  cratère  fait 
en  manière  d’entonnoir  renversé  ; les  autres  un 
simple  trou  plus  ou  moins  profond. 

La  naissance  des  îles  Æoliennes  étant  anté- 


DAÎTS  LES  DEUX  SICILE  S.  11$ 

rieure  à toute  tradition  humaine  , on  ignore , 
à la  vérité  , si  elle  a eu  une  seule  ou  plusieurs 
époques  ; niais  le  fait  que  je  viens  de  rapporter 
démontre  la  possibilité  de  la  production  simulta- 
née de  ces  îles  ; il  fait  voir  comment  , dans  un 
court  espace  de  temps,  ces  huit  îles , ou  plutôt 
leurs  premiers  rudimens,  car  j’ai  prouvé  qu’elles 
avaient  reçu  des  accroissemens  successifs , au- 
raient pu  sortir  du  sein  de  la  mer.  Les  matières 
inflammables  et  génératrices  des  Moluques  dans 
l’Asie,  de  la  chaîne  d’îlettes  près  de  Santorin  , 
des  monts  Yésuviens  et  des  Æoliennes,  formaient 
évidemment  sous  terre  une  zone  droite  beau- 
coup plus  longue  que  large.  Mous  pourrions  en- 
trevoir une  explication  du  phénomène  qui  nous 
occupe , en  nous  rappelant  qu’il  existe  sous  terre 
en  plusieurs  endroits , tant  dans  les  substances 
tendres  , que  dans  les  plus  solides  et  les  plus 
dures  , des  fentes  perpendiculaires  à l’horizon. 
Alors  , s’il  s’y  trouve  en  abondance  des  matières 
propres  à produire  des  volcans  ; si  elles  font  des 
masses  séparées  , et  qu’elles  viennent  à s’enflam- 
mer , il  en  naîtra  des  monts  ignivomes  disposés 
en  ligne  droite  , et  plus  ou  moins  considérables , 
selon  la  quantité  des  matières  projetées. 

On  a vu,  par  les  détails  où  je  suis  entré  tou- 
chant les  îles  de  Lipari , que  les  substances  com- 


120 


VOYAGES 
bustibles  qui  les  ont  produites  ont  existé  quel- 
quefois dans  les  granits  , comme  à Panaria  et 
à Basiluzzo , mais  le  plus  souvent  dans  des  roches 
à base  de  pétro-silex  , de  pierre  de  corne  et  de 
feld-spath  ; que  celles  de  Stromboli , à quelque 
profondeur  qu’on  les  y suppose  ensevelies  , eu 
égard  à la  masse  de  l’île  qui  s’est  formée  de  leurs 
éruptions  successives,  ont  leur  foyer  dans  la  roche 
de  corne  ; qu’en  dernière  analyse , les  matières 
de  ces  îles  sont  en  très-grande  partie  porphy- 
riques  ; enfin  , que  dans  les  fonds  de  mer  qui  les 
séparent  , on  trouve  ce  genre  de  roche  existant 
en  plusieurs  endroits  dans  son  état  naturel. 

En  comparant  les  produits  des  porphyres  vol- 
canisés  et  des  porphyres  naturels  traités  avec  le 
feu,  j’ai  parlé  de  ceux  d’Egypte  qui  sont  rouges; 
et,  d’après  l’analyse  faite  par  Bayen  et  rapportée 
par  Lamétherie , d’un  porphyre  d’Egypte  de  la 
même  couleur , et  semblable  à ceux  que  j’éprou- 
vais, j’ai  dit  que  leur  base  me  paraissait  être  une 
pierre  de  corne,  et  non  un  pétro-silex.  Mais, 
n’ayant  pas  alors  le  loisir  de  les  analyser  moi- 
même,  je  renvoyai  cette  opération  à un  moment 
plus  opportun , et  je  me  réservai  d’en  parler  dans 
mon  ouvrage  quand  l’occasion  s’en  présenterait. 
J’en  transcrirai  donc  ici  le  résultat,  et  je  con- 
firmerai de  cette  manière  un  fait  qui  me  laissait 

quelque 


121 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S. 
quelque  doute  , à savoir  que  la  base  de  ces  por- 
phyres n’est  point  un  pétro-silex  , puisque  j’y  ai 
trouvé  la  magnésie , qui  n’existe  pas  dans  cette 
dernière  roche  ; mais  que  cette  base  approche 
beaucoup  de  la  nature  de  la  pierre  de  corne,  si 
toutefois  elle  n’en  a pas  toutes  les  parties  consti- 
tuantes. Cette  expérience  analytique  prouvera  en 
même  temps  que  j’ai  eu  raison  d’appeler  porphy- 
riques  les  laves  à base  de  pierre  de  corne  mêlées 
de  feld-spaths,  si  nombreuses  dans  ces  îles. 

i 

Les  porphyres  rouges  d’Egypte  sur  lesquels 
j’ai  opéré  sont  de  deux  espèces  5 la  première  est 
décrite  tome  2 , page  89  ; la  seconde  diffère 
par  sa  couleur  qui  est  moins  vive , et  par  une 
plus  grande  affluence  de  feld-spaths.  Il  est  évi- 
dent que  , pour  l’exactitude  de  l’expérience,  le 
fond  de  ces  deux  roches  devait  être  débarrassé 
des  schorls  et  des  feld  spaths. 

Premier  -porphyre. 

Silice  un  peu  rouge  . . . , 80, 


Alumine 7, 

Chaux 3, 

Magnésie 2, 

Fer 6 , 

Tome  III \ I 


122 


VOYAGES 


Second  porphyre. 


Silice 
Alumine 
Chaux . . 
Magnésie 
Fer  . . : 


n 
— J 


Outre  les  laves  porphyriques  qui  abondent 
dans  ces  îles , on  y trouve  beaucoup  de  tufFas. 
Stromboli  se  fait  distinguer  , non  - seulement 
par  les  phénomènes  de  son  volcan  , mais  par  la 
production  de  son  beau  fer  spéculaire  ; Lipari 
par  ses  chrysolites  , ses  zéolites , et  l’excessive 
quantité  de  ponces  et  de  verres  qu’elle  ren- 
ferme. Je  ne  puis  me  le  rappeler  sans  éton- 
nement, sur -tout  après  avoir  découvert,  au 
moyen  de  mes  tenailles  et  de  mes  filets  , que 
ces  mêmes  substances  vitrifiées  s’étendent  en- 
core sous  mer  , et  vont  se  réunir  à celles  qui 
abondent  au  nord  et  au  nord-est  de  Vulcano  $ 
de  sorte  que  ces  deux  îles  comprennent  un  amas 
de  vitrifications  , qui  a pour  le  moins  quinze 
milles  de  circonférence.  On  ne  saurait  réfléchir 
sur  ce  phénomène  sans  se  demander  s’il  est  par- 
ticulier à ce  pays  , ou  commun  à d’autres  ré- 
gions volcaniques. 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  12$ 
Pour  obtenir  sur  ce  point  des  notions  sa- 
tisfaisantesil  faudrait  que  nous  eussions  pour 
tous  les  volcans  du  globe,  brûlans  ou  éteints, 
une  minéralogie  telle  que  celle  qui  a été  faite 
par  Faujas , Giôeni  , Dolomieu  , Dietrich  et  moi , 
pour  le  Vivarais  , le  Vélay  , les  îles  Ponces  , le 
Vésuve,  l’Etna,  les  Æoliennes  et  les  montagnes 
du  Vieux-Brissac  5 mais  cette  ressource  nous 
manque  absolument.  La  plupart  de  ceux  qui  , 
par  hasard  ou  par  curiosité  , ont  vu  des  volcans 
en  activité  , n’en  représentent  dans  leurs  narra- 
tions que  les  phénomènes  les  plus  communs  et 
les  plus  généraux  , moins  propres  à éclairer  l’es- 
prit qu’à  surprendre  et  frapper  l’imagination» 
Tremblemens  de  terre  ; agitation  de  la  mer  sans 
tempête  ; mouvemens  qui  tantôt  la  font  replier 
sur  elle-même  et  découvrir  ses  rivages , tantôt 
la  poussent  hors  de  ses  limites  , et  la  répandent 
au  loin  sur  les  campagnes  ; mugissemens , ton* 
nerres  souterrains  ; Frémissemens  et  murmures 
dans  l’air  , soleil  obscurci  en  plein  midi  par  un 
brouillard  épais  ; tourbillons  impétueux  de  fu- 
mées, de  cendres,  et  de  flammes  qui  s’échappent 
des  bouches  volcaniques  5 grêles  de  pierres  em- 
brasées et  fondues  lancées  vers  le  ciel  ; torrens 
de  laves , de  soufre  , de  bitumes  liquéfiés  inon- 
dant les  vallées,  et  portant  par-tout  la  désola- 
tion , l’épouvante  et  la  mort  $ îles  produites  par 

I 2 


VOYAGES 


124 

des  éruptions  sous-marines,  s’élevant  tout-à-coup 
du  sein  des  flots  , tandis  que  d’autres,  ébranlées 
dans  leurs  fondemens,  s’engloutissent  et  dispa- 
raissent à jamais.  Tels  sont , en  abrégé,  les  évé- 
nemens  ordinaires  des  volcans  du  globe  , et  les 
tableaux  que  nous  en  offrent  les  récits  des  voya- 
geurs. Ces  tableaux  ne  sont  sans  doute  ni  affai- 
blis, ni  exagérés,  ni  oiseux  ; mais  il  leur  manque 
une  partie  essentielle  , je  veux  dire  la  description 
litbologique  des  corps  vomis  par  ces  mêmes  vol- 
cans. Toutefois  les  verres  et  les  ponces  ayant 
des  caractères  trop  sensibles  pour  ne  pas  se  faire 
reconnaître  aux  personnes  même  les  moins  ver- 
sées dans  cette  science  , on  doit  croire  à l’exis- 
tence de  ces  substances  lorsque  les  voyageurs 
en  font  une  mention  expresse.  Ainsi  nous  savons 
que  l’Islande  , qui  n’est  qu’un  groupe  de  volcans 
éteints  ou  brûlans, renferme  beaucoup  de  verres 
auxquels  on  a donné  improprement  le  nom  d’a- 
gathes , parce  que  ces  verres  en  ont  l’éclat  et 
la  beauté;  que  les  éruptions  actuelles  fournissent 
souvent  des  pierres  ponces  : mais  personne  n’a 
jamais  dit  qu’il  y existât  des  montagnes  entières 
formées  de  ces  substances. 

On  assure  que  les  îles  de  Ferrçë  sont  volca- 
niques , et  que  l’on  trouve  dans  des  laves  les 
fameuses  zéolites  quelles  produisent.  Jacobson 


DANS  LES  DEUX  S I C I L E S.  !s5 

I 

Debes  a donné  une  description  de  ces  dix-sept 
îles , où  il  ne  fait  mention  d’aucune  espèce  de 
substances  vitrifiées  ; ce  qui  nous  autorise  à croire 
qu’en  effet  il  n’y  en  existe  point. 

La  Norvège  et  la  Laponie  ont  des  volcans  qui , 
selon  Pennant  et  d’autres  voyageurs  , éclatent 
et  produisent  quelquefois  de  violentes  éruptions. 
Mais  leurs  relations  ne  nous  apprennent  rien  de 
plus. 

En  s’éloignant  de  ces  contrées  glaciales , si 
l’on  parcourt  l’Allemagne  , la  Hongrie  , on  y 
reconnaîtra  des  traces  d’embrasemens  souter- 
rains 5 mais  les  substances  vitrifiées  s’y  offriront 
rarement.  J'ai  cherché  vainement  Vagathe 
d'Islande  et  la  vraie  pierre  ponce  ^ dit  Die- 
tricb  dans  son  mémoire  sur  les  volcans  du  Vieux- 
Brissac. 

Que  l’on  s’approche  encore  plus  des  climats 
tempérés,  et  que  l’on  parcoure  les  volcans  éteints 
de  la  France,  la  même  disette  s’y  fera  remar- 
quer. Je  ne  puis  en  donner  un  témoignage  plus 
fidèle  que  celui  de  Faujas  3 qui  les  a si  bien  vus 
et  décrits. 

Mais  il  n’en  est  pas  de  même  de  l’Italie  , con- 
trée où  le  feu  a tant  exercé  son  empire.  Les 

I 3 


VOYAGES 


126 

ponces  , les  verres , les  émaux  ne  sont  point  rares 
dans  les  environs  de  Naples  5 Herculanum  , Pom- 
péïa  , Mlsène , Monte-Nuovo  , l’Ecueildes  pierres 
brûlées , les  îles  Ponces  , Procida  , Ischia  et  la 
Vallée  de  Metelona  , en  contiennent  en  abon- 
dance. Actuellement  même  le  Vésuve  en  produit 
quelquefois  , ce  qui  arrive  très- rarement  au  vol- 
can de  l’Etna. 

Si  Pon  en  croyait  quelques  écrivains  modernes, 
les  montagnes  volcaniques  Euganéennes  seraient 
de  verre  ; mais  l’équivoque  où  ils  sont  tombés 
a été  facilement  découverte,  comme  on  le  verra 
dans  le  chapitre  suivant , où  j’indiquerai  les  di- 
verses productions  de  ces  montagnes. 

Le  seul  endroit  de  l’Europe  qui  égale  ou  sur- 
passe même  Lipari  et  Vulcano  par  l’abondance 
des  pierres  ponces , c’est  l’île  de  Santorin.  Il  faut 
écouter  sur  cet  article  deux  voyageurs  célèbres, 
Thevenot  et  Tournefort  , qui  ont  vu  cette  île  à 
des  époques  différentes.  Le  premier  y aborda 
en  i665.  Il  observe  d’abord  que  la  plupart  des 
insulaires  demeuraient  dans  des  grottes  qu’ils 
avaient  faites  sous  la  terre  , qui  est  fort  légère 
et  aisée  à remuer  , étant  toute  -pierre  de  ponce: 
Ensuite  il  raconte  un  fait  qui  vient  trop  bien 
à notre  sujet  pour  ne  pas  le  citer.  « Il  y a , 
dit-il,  environ  dix-huit  ans  que,  durant  la  nuit 


DANS  LES  DEUX  S I C I L E S.  12J 
s>d’un  certain  dimanche,  commença  dans  le  port 
»de  Santorin  un  très-grand  bruit  , lequel  s’en- 
tendit jusqu’à  Chio  , qui  en  est  éloigné  de  plus 
»de  deux  cent  milles , mais  de  telle  sorte,  qu’on 
»crut  à Chio  que  c’était  l’armée  vénitienne  qui 
» combattait  contre  celle  des  Turcs  , ce  qui  fit 
»que,  dès  le  matin,  chacun  monta  aux  lieux 
»les  plus  élevés  pour  en  être  spectateur,  et  je 
»me  souviens  que  le  révérend  Père  Bernard, 
» supérieur  des  Capucins  de  Chio  , homme  vé- 
nérable et  très-digne  de  foi,  me  conta  qu’il 
»y  avait  été  trompé  comme  les  autres,  car  il 
»crut,  aussi -bien  qu’eux,  entendre  plusieurs 
5> coups  de  canon  5 cependant  ils  ne  virent  rien; 
» et  en  effet , ce  fut  un  feu  qui  se  prit  dans  la 
» terre  du  fond  du  port  de  Santorin  , et  y fit  un 
tel  effet  , que  , depuis  le  matin  jusqu’au  soir  , 
»il  sortit  du  fond  de  la  mer  quantité  de  pierres 
»de  ponce  , qui  montaient  en  haut  avec  tant  de 
»roideur  et  tant  de  bruit  , qu’on  eût  dit  que  ce 
» fussent  autant  de  coups  de  canon;  et  cela  infec- 
ta tellement  l’air  , que  dans  ladite  île  de  San- 
torin il  mourut  quantité  de  personnes  , et  plu- 
» sieurs  de  la  même  île  en  perdirent  la  vue , qu’ils 
» recouvrèrent  pourtant  quelques  jours  après. 
» Cette  infection  s’étendit  aussi  loin  que  le  bruit 
»qui  l’avait  précédée  ; car  , non-seulement  dans 
» cette  île  , mais  même  à Chio  et  à Smirne  , tout 


VOYAGES 


1*28 

» l’argent  devint  rouge^,  soit  quil  fût  dans  les. 
» coffres  ou  dans  les  poches,  et  nos  religieux  de- 
»meurans  en  ces  lieux-là  me  dirent  que  tous  leurs 
» calices  en  étaient  devenus  rouges.  Au  bout  de 
» quelques  jours  cette  infection  se  dissipa,  et  l’ar- 
»gent  reprit  sa  première  couleur.  Ces  pierres  de 
» ponce  qui  sortirent  de  là  couvrirent  tellement 
»la  mer  de  l’Archipel,  que  durant  quelque  temps, 
» quand  il  régnait  de  certains  vents , il  y avait  des 
» ports  qui  en  étaient  bouchés  en  façon  qu’il  n’en 
» pouvait  sortir  aucune  barque,  pour  petite  qu’elle 
» Fût , que  ceux  qui  étaient  dedans  ne  se  fissent 
»ie  chemin  au  travers  de  ces  pierres  de  ponce 
»avec  quelques  pieux,  et  on  en  voit  encore  à 
» présent  par  toute  la  mer  Méditerranée,  mais 
» en  petite  quantité , cela  s’étant  dispersé  çà  et 
$ là  » . 

Tournefort,  après  avoir  remarqué  d’après  Hé- 
rodote que  cette  île  s’appelait  anciennement  Cal- 
liste  , ou  la  très-belle  , ajoute  : « Ses  anciens 
»habitans  ne  la  reconnaîtraient  pas  aujourd’hui  5 
selle  n5est  couverte  que  de  pierre  ponce  , ou  , 
»pour  mieux  dire,  elle  en  est  une  carrière  où 
»l’on  peut  la  tailler  par  gros  quartiers,  comme  on 
» coupe  les  autres  pierres  dans  leurs  carrières  » . 

Ces  deux  voyageurs  lui  donnent  trente  - six 
milles  de  circonférence , ce  qui  montre  combien 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  129 
est  énorme  raccumulation  de  ces  substances  vol- 
caniques. Il  est  cependant  à remarquer  que  ni 
Thevenot  , ni  Tournefort , ni  ceux  qui  ont  donné 
dans  la  suite  de  nouvelles  relations  de  Santorin, 
ne  disent  point  qu’ils  yv  aient  trouvé  des  verres  : 
preuve  que  ses  feux  souterrains  n’en  ont  jamais 
produit. 

Si  de  l’Europe  nous  passons  aux  autres  parties 
du  globe  , nous  les  verrons  également  travaillées 
par  un  grand  nombre  de  volcans.  Il  serait  super- 
flu de  les  nommer  ici  chacun  en  particulier  ; 
Faujas,  BufFon  , &c.  ont  donné  ïa  liste  de  tons 
ceux  qui  sont  connus  : j’en  dirai  seulement  ce 
qui  peut  convenir  à mon  sujet. 

On  compte  un  volcan  dans  l’île  de  Ternate  en 
Asie  , un  autre  dans  leKamschatka  qui  vomissent 
des  pierres  ponces. 

L’Afrique  en  renferme  sur  lesquels  nous  avons 
peu  de  renseignemens  , à l’exception  de  celui 
du  pic  de  Ténériffe , un  des  plus  élevés  du  globe  * 
et  qui  a été  soigneusement  décrit,  quant  à sa  po- 
sition , sa  hauteur , sa  forme  , son  cratère  et  ses 
fumées  brûlantes  , par  Borda.  Pourquoi  ne  nous 
a-t-il  pas  fait  connaître  de  même  les  matières 
qui  le  composent  ? mais  il  se  contente  de  dire 
que  ce  sont  des  sables  , des  pierres  calcinées 


VOYAGES 


noires  et  rouges  , des  sels  de  différentes  es - 
pèces  (i).  „ 

Il  n’est  pas  douteux  que  les  hautes  montagnes 
de  l’Amérique  , comme  Chimboraço  , Cottopaxi , 
Çangaï  , Pichencha  , &c.  ne  forment  une  chaîne 
de  volcans  enflammés,  la  plus  grande  qui  existe 
dans  la  nature.  Bouguer , à qui  nous  en  devons 
la  connaissance  , a bien  plus  excité  notre  curio- 
sité qu’il  ne  l’a  satisfaite.  Quant  à l’objet  actuel 
de  nos  recherches  , il  nous  apprend  seulement 
que  quelques  montagnes  des  environs  de  Quito 
ne  sont  formées  , à une  grande  profondeur  , que 
de  scories  de  ponces  de  fragmens  de  pierres 
brûlées  (2).  Il  ne  fait  aucune  mention  de  verres 
volcaniques  , et  cependant  l’on  sait  que  la  pierre 
de  Gallinaço  est  un  verre  de  ce  genre  de  la  plus 
grande  beauté  dont  , au  rapport  de  Godin , il 
existe  une  mine  à quelques  journées  de  Quito. 

Ainsi , dans  ces  ébauches  de  descriptions  li- 
thologiques , si  nous  nous  arrêtons  à la  partie  qui 
concerne  les  verres  , nous  trouvons  que  cette 
production  est  peu  commune  , et  que  les  volcans 
brûlans  ou  éteints  qui  en  fournissent , comme 


(1)  Voyages  en  diverses  parties  de  l’Europe. 

(2)  Mém  de  TAcad.  roy.  des  sciences,  1744. 


J)ANS  LES  DEUX  SICILE  s.  1 5 1 

dans  les  environs  de  Naples  , dans  l’Islande  et 
le  Pérou  , ne  peuvent  à cet  égard  se  comparer 
à ceux  de  Lipari  et  de  Vulcano.  Il  faut  en  dire 
autant  d’Alicuda  et  de  Félicuda,  dont  les  verres, 
quoiqu’abondans  en  plusieurs  endroits,  ne  sont 
cependant  que  des  éclats  et  des  débris.  Je  ferais 
la  même  réflexion  pour  les  ponces,  si  File  de 
Santorin  à elle  seule  n’égalait , ou  ne  surpassait 
même  , dans  ce  genre  de  productions , les  deux 
îles  Æoliennes  réunies. 

Maintenant , en  considérant  sous  un  point  de 
vue  général  les  volcans  du  globe  , on  voit  que  , 
quoiqu’ils  aient  converti  en  laves  une  infini- 
té de  roches  , d’où  se  sont  formées  des  mon- 
tagnes et  des  îles  considérables  , cependant 
c’est  une  chose  rare  qu’ils  les  aient  vitrifiées. 
Ce  phénomène  n’est  pas  plus  fréquent  aujour- 
d’hui qu’il  ne  l’était  dans  les  temps  passés.  En 
réfléchissant  sur  les  immenses  vitrifications  de 
Yulcano  et  de  Lipari  , presque  toutes  dérivées 
du  feld-spath  et  du  pétro-silex  , j’avais  pensé 
que  leur  affluence  dans  ces  deux  endroits  , et 
leur  disette  en  d’autres  pays  , provenaient  de 
ce  que  ces  deux  genres  de  roche  abondaient  là 
et  manquaient  ici  ; mais  le  contraire  m’a  été 
prouvé  par  les  faits.  J’ai  vu  dans  beaucoup  de 
régions  volcaniques  l’une  et  l’autre  roche  con- 


VOYAGES 


l32 

verties  en  laves, sans  laisser  trace  de  verre.  D’ail- 
leurs n’existe-t-il  pas  des  ponces  qui  ont  pour  base, 
soit  la  pierre  de  corne,  soit  l’asbeste  ou  le  granit? 
Rapportons  la  cause  du  phénomène  ci-dessus  aux 
diverses  modifications  du  feu  volcanique,  qui  n’a 
pas  toujours  l’activité  nécessaire  pour  vitrifier  les 
matières  qu’il  investit,  et  convenons  toutefois  que 
les  feld-spaths  et  les  pétro-silex  passent  plus  faci- 
lement à l’état  de  vitrification.  Pour  produire  une 
lave,  il  est  un  degré  de  feu  donné  : il  en  faut  un  plus 
efficace  pour  la  changer  en  ponce.  La  lave , celle 
du  moinsqui  est  compacte,  retient  pour  l’ordinaire 
le  grain , la  dureté , quelquefois  le  poids  et  la  cou- 
leur de  la  roche  d’où  elle  dérive  ; mais  la  plus 
grande  partie  de  ces  qualités  extérieures  s’éva- 
nouit dans  îa  ponce  par  l’action  plus  énergique  du 
feu.  Cette  action  doit  redoubler  dans  la  formation 
du  verre,  où  îa  finesse  et  l’homogénéité  de  la  pâte 
exclut  jusqu’aux  moindres  linéamens  du  tissu 
primitif. 

J’ai  observé  plusieurs  fois  , et  j’ai  décrit  ces 
passages  gradués  de  lave  en  ponce  et  de  ponce 
en  verre , qui  se  font  voir  dans  un  seul  et  même 
produit  volcanique.  J’ai  encore  remarqué  des 
laves  passant  immédiatement  à Fétat  de  verre 
parfait,  ce  qui  doit  avoir  lieu  quand  elles  reçoi- 
vent un  coup  de  feu  supérieur  à celui  qui  serait 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  1 53 

necessaire  pour  les  convertir  en  ponce.  Au  moyen 
de  cette  théorie  , on  conçoit  aisément  pourquoi 
certains  volcans  produisent  des  ponces  sans  ja- 
mais produire  des  verres , comme  il  est  arrivé 
à Santorin.  Les  feux  de  son  volcan  ont  eu  un 
degré  d’activité  suffisant  pour  former  des  sub- 
stances du  premier  genre , mais  trop  faible  pour 
en  former  du  second.Telle  est  l’éruption  racontée 
par  Thevenot.  D’autres  combinaisons  ont  eu  lieu 
dans  les  volcans  d’ischia,  du  Vésuve,  des  champs 
Phlégréens  , de  Vulcano , de  Lipari , de  Félicuda 
et  d’Alicuda , où  les  verres  sont  mêlés  avec  les 
ponces  et  les  laves.  Ici  les  feux  ont  varié  dans  leur 
activité  , et  ont  agi  d’une  manière  inégale. 

Au  reste,  si  la  production  des  laves  compactes 
est  un  secret  que  la  nature  s’est  réservé  jusqu’à 
présent,  puisque  nous  ne  pouvons  l’imiter  avec 
le  feu  factice , à plus  forte  raison  ignorons-nous 
comment  elle  procède  à celle  des  ponces.  De 
tant  de  laves  et  de  roches  primordiales,  de  celles 
même  d’où  dérivent  le  plus  souvent  les  ponces, 
telles  que  le  pétro-silex  et  le  feld-spath,  que  j’ai 
fondues  au  fourneau , jamais  il  ne  m’est  arrivé 
d’obtenir  un  produit  que  je  pusse  qualifier  de 
véritable  ponce.  Tous  portaient  à l’extérieur 
les  caractères  des  verres , des  émaux , ou  des 
scories.  Les  chimistes  qui  ont  exercé  des  com- 


l34  VOYAGES 

binaisons  si  nombreuses,  si  variées  sur  les  terres , 
n’ont  pas  mieux  réussi  que  je  sache;  et  quoique 
l’on  puisse  remarquer  quelquefois  dans  les  fours 
à chaux  la  conversion  de  certaines  pierres  en 
verre,  on  n’y  trouve  rien  qui  ressemble  aux  laves, 
et  encore  moins  aux  ponces  des  volcans.  Cepen- 
dant on  ne  saurait  objecter  que  le  feu  y est  trop 
violent  pour  produire  le  léger  degré  de  vitrifi- 
cation qui  caractérise  les  ponces  ; car  , m’étant 
servi  d’un  feu  plus  faible  , ou  il  ne  fondait  pas 
les  matières  mises  en  expérience  , ou  en  les  fon- 
dant il  les  vitrifiait  plus  ou  moins,  mais  non  comme 
les  ponces. 

La  couleur  de  ces  pierres  varie  ; il  y en  a de 
noires , il  y en  a de  blanches  comme  la  neige  , 
et  voilà  pourquoi  la  montagne  de  Lipari , qui 
en  est  le  grand  magasin  , s’appelle  Campo  Bian- 
co  : on  devait  autrefois  l’appeler  Campo  Nero  $ 
du  moins  il  est  certain  qu’à  leur  naissance  elles 
ont  cette  couleur.  Bottis,  dans  son  histoire  des 
éruptions  du  Vésuve  , observe  que  celles  qui 
sortaient  de  ce  volcan  étaient  noires,  et  que  , les 
ayant  comparées  avec  les  blanches  de  Pompéïa, 
il  leur  avait  trouvé  la  même  structure  : ce  sont 
vraisemblablement  les  impressions  de  l’air  qui 
les  font  blanchir. 

Avant  de  mettre  fin  à ces  considérations  sur 


BANS  LES  DEUX  SICILE  S.  l3  5 

les  îles  Æoliennes,  je  veux  parler  d’un  fait  qui 
divise  d’opinion  les  naturalistes  modernes.  Il  est 
question  des  laves  basaltiformes.  Celles  que  j’ai 
rencontrées  dans  le  cratère  de  Yulcano  et  sur 
les  rivages  de  Félicuda,  m’ont  rappelé , par  leur 
configuration , les  recherches  faites  en  ces  der- 
niers temps  sur  l’origine  des  basaltes.  Qui  rap- 
porterait tout  ce  qui  a été  écrit  à ce  sujet  , rem- 
plirait des  volumes.  Je  suis  bien  éloigné  de  pren- 
dre cet  ennui  et  de  le  donner  au  lecteur,  d’au- 
tant plus  que  cette  question,  si  débattue  autrefois, 
peut , à ce  qu’il  me  semble , se  décider  en  peu 
de  mots.  La  plupart  des  disputes  littéraires  ne 
viennent  souvent  que  de  ce  qu’on  n’a  pas  bien 
posé  la  question  ,.  ou  plutôt  de  ce  qu’on  n’a  pas 
défini  avec  clarté  et  précision  la  chose  dont  il 
s’agit.  Avant  de  rechercher  si  les  basaltes  sont 
l’ouvrage  des  eaux  ou  du  feu  , il  fallait  établir 
ce  que  l’on  entend  par  le  mot  basalte  > ou  plutôt 
ce  que  les  anciens  ont  entendu  quand  ils  ont  don- 
né ce  nom  à certaines  pierres.  Le  basalte  9 au 
rapport  de  Strabon  et  de  Pline  , était  une  pierre 
opaque  et  solide  , de  la  dureté  et  de  la  couleur 
du  fer,  figurée  en  prismes,  originaire  de  l’Ethio- 
pie , et  employée  par  les  Egyptiens  pour  les 
statues  , les  sarcophages  , les  mortiers  et  autres 
ustensiles.  Voilà  la  première  donnée  du  pro- 
blème 5 il  ne  restait  plus  qu’à  s’assurer  si  cette 


l56  V O Y A G E S 

pierre  était  volcanique  , en  allant  dans  les  lieux 
qui  la  produisent,  çt  en  examinant  attentivement 
le  pays.  Personne  n’a  formé  cette  entreprise  ; 
mais  Dolomieu , qui  a été  si  utile  aux  progrès 
de  la  lithologie,  a cherché  à Rome  les  moyens 
d’y  suppléer.  Entre  un  grand  nombre  de  monu- 
mens  aussi  précieux  pour  les  artistes  que  pour 
les  philosophes  , on  voit  dans  cette  capitale  plu- 
sieurs statues  , sarcophages  et  mortiers , venus 
de  la  haute  Egypte  , qui  ont  tous  les  caractères 
attribués  aux  basaltes , et  qui  en  retiennent  le 
nom.  Le  naturaliste  français  , après  les  avoir  étu- 
diés avec  le  plus  grand  soin  , nous  assure  que 
ces  pierres  ne  portent  aucune  empreinte  du  feu. 
Il  y a vu  d’autres  antiquités  égyptiennes  en  ba- 
salte vert  qui  change  de  couleur  , et  prend  une 
teinte  brune  semblable  à celle  du  bronze,  à la 
moindre  chaleur  qu’il  reçoit  5 ce  qui  prouve  que 
les  basaltes  vôrts  n’ont  jamais  éprouvé  l’action 
du  feu  (1). 

Ce  que  les  anciens  nommaient  basalte  > est 
donc  une  pierre  formée  par  la  voie  humide • 
Les  observations  de  Dolomieu  sur  la  nature  de 
cette  pierre  s’accordent  parfaitement  avec  celles 
de  Bergman  sur  les  trapps  , lesquels  ayant  la 


(1)  Journal  de  physique,  t.  ^7,  an.  1790. 


meme 


BANS  LES  BEUX  SICILE  S.  l5j 
même  origine  , présentent  les  mêmes  caractères 
extérieurs  et  intérieurs  (1). 

‘Werner  prenant  le  mot  basalte  dans  un  sens 
plus  étendu  , comprend  sous  cette  dénomination 
toutes  les  pierres  en  forme  de  colonne  prisma- 
tique;  il  prétend  qu’elles  ont  une  même  origine  , 
ce  qu’il  prouve  par  les  basaltes  de  la  colline  de 
Scheibenberg,  qui  sont  l’effet  d’une  précipitation 
par  le  moyen  de  l’eau  5 et  il  en  tire  cette  con- 
clusion générale  : que  tous  les  basaltes  sont  for- 
més par  la  voie  humide  (2). 

Autant  je  suis  porté  à louer  sa  découverte  , 
autant  je  suis  éloigné  d’admettre  sa  conclu- 
sion. Si  plusieurs  basaltes , dans  le  sens  de  cet 
auteur  i doivent  leur  origine  à l’eau  > il  n’en  est 
pas  moins  vrai  que  d’autres  la  doivent  au  feu. 
Sans  recourir  à des  relations  étrangères  pour  y* 
chercher  des  faits  à l’appui  de  cette  vérité  3 je 
me  bornerai  à retracer  ici  ce  que  j’ai  vu  tou- 
chant les  laves  basaltiques  de  Yulcano  et  de 
Félicuda.  Les  premières  se  trouvaient  dans  l’in- 
térieur même  du  cratère  de  File  , où  elles  for- 
maient un  ordre  de  prismes  articulés  , ayant  les 
côtés  et  les  angles  inégaux.  Ces  prismes  étaient 

(1)  De  productis  Vulcaniis. 

(2)  Journal  de  physique  , t.  38  , an.  1791. 

Tome  III.  K 


VOYAGES 


ï38 

adossés  à un  massif  de  lave  avec  laquelle  ils  fai- 
saient corps  $ quelques-uns  seulement  s’en  étaient  , 
détachés  , et  gisaient  étendus  au  fond  du  cratère. 
J’en  ai  donné  une  exacte  description.  Les  se- 
condes étaient  des  laves  littorales  qui  se  divisaient 
en  prismes  un  peu  au-dessus  de  la  surface  de 
l’eau.  Or  , il  est  évident  que  dans  ces  deux  sites, 
Porigine  de  ces  basaltes  est  volcanique.  Que  faut- 
il  en  conclure?  que  la  nature  arrive  souvent 
aux  mêmes  résultats  par  des  voies  différentes.  Cet 
exemple  n’est  pas  le  seul  que  nous  puissions 
citer.  Une  des  grandes  opérations  de  la  nature 
dans  le  règne  fossile  est  la  cristallisation.  Quoi- 
qu’elle soit  très-fréquemment  le  résultat  de  la 
voie  humide , elle  l’est  aussi  de  la  voie  sèche. 
Le  fer,  par  exemple,  se  cristallise  dans  le  sein 
de  la  terre  , tant  par  le  moyen  de  l’eau  que  par 
celui  du  feu.  Tel  est,  pour  ce  dernier  cas,  le 
beau  fer  spécuîaire  de  Stromboli  $ et  si  d’autres 
métaux  se  trouvaient  dans  le  sein  des  volcans  , 
si  les  circonstances  nécessaires  à leur  cristallisa- 
tion concouraient  à la  produire,  il  est  indubitable 
qu’elle  s’obtiendrait  par  le  feu,  comme  elle  s’ob- 
tient par  l’eau  dans  les  mines  : c’est  ce  qui  arrive 
dans  les  creusets  toutes  les  fois  que  l’on  use  de 
certaines  précautions  5 les  substances  métalliques 
y prennent  une  disposition  régulière  et  symé- 
trique. 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  l3q 
Il  en  faut  dire  autant  des  basaltes  , dont  la 
configuration  prismatique  n’est  pas,  à la  vérité, 
une  cristallisation  parfaite,  mais  qui  en  a la  plus 
spécieuse  apparence.  L’observation  nous  apprend 
que  la  même  combinaison  de  terres , selon  les 
circonstances , se  modèle  en  prismes  par  la  voie 
humide  comme  par  la  voie  sèche.  Le  trapp  des 
montagnes  de  la  Suède  est  prismatique  , quoique 
ces  montagnes  soient  d’origine  aqueuse  • et  la 
pierre  de  corne,  très-analogue  au  trapp,  a la 
même  configuration  à Félicuda  , quoiqu’elle  y 
soit  dans  l’état  de  lave.  Enfin  , d’autres  laves 
basaltiques  de  Félicuda  ont  pour  base  le  schorl 
en  masse  , et  celles  du  cratère  de  Yulcano  , le 
pétro-silex,  tandis  que  ces  deux  roches,  suivant 
Dolomieu  , entrent  dans  la  composition  de  quel- 
ques basaltes  égyptiens  qui  sont  l’ouvrage  des 
eaux.  Ces  deux  agens , l’eau  et  le  feu , ne  sont 
donc  pas  , dans  leur  manière  d’opérer,  aussi  di- 
vers que  l’on  pourrait  le  croire.  La  figure  pris- 
matique par  voie  humide  se  détermine  dans  la 
terre  molle  par  l’évaporation  de  l’eau , au  moyen 
de  laquelle  les  parties  , en  se  séchant  et  se  reti- 
rant sur  elles-mêmes  , se  fendent  en  morceaux 
polygones.  On  avait  déjà  remarqué  ce  phéno- 
mène dans  les  terres  marneuses  pénétrées  d’eau 
et  exposées  à l’air  ; je  l’ai  souvent  observé  dans 
la  vase  des  fleuves  qu’on  fait  sécher  au  soleil 

K a 


VOYAGES 


3 4 O 

pour  en  fabriquer  de  la  poteriè  : elle  se  divise 
par  la  dessication  en  tablettes  polyèdres.  J’ai  vu 
diverses  laves  prendre  des  configurations  sem- 
blables dans  le  retrait  qu’elles  subissent  par  la 
privation  du  feu  qui  les  tenait  en  fluidité. 

Il  me  semble  donc  que  toute  dispute  sur  l’ori- 
gine des  basaltes  doit  cesser.  Il  n?y  aurait  point 
eu  division  d’opinions  à cet  égard  si,  au  lieu  de 
généraliser  les  idées  et  de  fabriquer  des  systèmes, 
on  s’en  fût  rapporté,  sanspartiaiité,  à ses  propres 
observations  comme  à celles  d’autrui.  Quelques 
volcanistes  ayant  découvert  que  divers  basaltes 
avaient  été  formés  par  le  feu  , en  ont  inféré  que 
tous  les  autres  étaient  également  l’ouvrage  de 
cet  élément.  En  conséquence  de  ce  principe,  ils 
ont  tracé , sur  plusieurs  parties  du  globe  , des 
lignes  ou  zones  indiquant , par  les  basaltes  qui 
s’y  montrent , des  volcans  éteints  , et  formant 
ainsi  le  tableau  le  plus  exagéré  des  bouleverse- 
mens  occasionnés  par  les  embrasemens  souter- 
rains. D’autres  physiciens  , au  contraire  , ayant 
reconnu  dans  quelques-unes  de  ces  pierres  l’ou- 
vrage de  l’eau  , n’ont  pas  hésité  à croire  que  cet 
élément  en  était  le  générateur  universel  : aucun 
d’eux  n’a  saisi  la  vérité.  Les  basaltes  , considérés 
isolément , ne  portent  point  de  caractère  qui  dé- 
cide exclusivement  de  leur  origine  : les  circons- 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  l4l 
tances  locales  peuvent  seules  déterminer  au- 
quel des  deux  principes  ils  appartiennent.  On 
doit  donc  examiner  avec  attention  si  les  lieux 
de  leur  existence  portent  des  marques  certaines 
de  volcanisation.  Cela  même  ne  suffit  pas  tou- 
jours 5 il  est  des  collines  , des  montagnes  dont 
la  formation  est  due  aux  deux  grands  agens  de 
la  nature  , Peau  et  le  feu  5 alors  il  faut  redoubler 
d’attention  , la  porter  tour-à-tour  sur  les  subs- 
tances d’origine  aqueuse , et  sur  celles  d’origine 
ignée  qui  s’y  rencontrent , et  découvrir,  par  leurs 
relations  avec  les  basaltes,  lequel  des  deux  priu 
cipes  en  est  le  générateur. 

Mais  il  se  présente  ici  une  seconde  question 
non  moins  curieuse  que  la  précédente.  Pourquoi 
certaines  laves  prennent-elles  une  configuration 
prismatique  à l’exception  de  tant  d’autres  ? Si 
cela  dépendait  du  refroidissement  , toutes  les 
laves  , en  cessant  de  couler  , devraient  se  con- 
figurer de  même.  Le  premier  qui  a élevé  cette 
difficulté  est  Deluc  , dans  le  second  tome  de  ses 
Voyages  j et  il  a cru  la  résoudre  en  disant  que 
la  condensation  subite  est  une  donnée  nécessaire 
du  phénomène , et  que  les  laves  prismatiques  sont 
uniquement  celles  qui  l’ont  éprouvée  en  coulant 
dans  la  mer.  Il  y ajoute  quelques  autres  circons-  ^ 
tances  secondaires  , telles  qu’une  plus  grande 

K 3 


lis  V O Y A G E S 

homogénéité  , et  une  attraction  mutuelle  dans 
leurs  parties. 

Dolomieu  est  du  même  sentiment , en  avouant 
toutefois  que  les  laves  poreuses  peuvent  égale- 
ment se  conformer  en  prismes.  Si  l’assertion  du 
physicien  genevois  n’est  qu’une  pure  hypothèse, 
celle  du  physicien  français  est  appuyée  sur  des 
faits,  et  je  dois  les  discuter.  Il  observe  que  tous 
les  courans  de  laves  de  l’Etna  dont  l’histoire  a 
transmis  les  époques  , ont  constamment  éprouvé 
deux  effets  dans  leur  refroidissement.  Ceux  qui  se 
sont  condensés  lentement  à l’air  libre  se  sont  di- 
visés , par  le  retrait  de  leurs  parties,  en  masses  in- 
formes 5 ceux  qui,  en  se  précipitant  dans  la  mer, 
se  sont  coagulés  subitement,  ont  pris  un  retrait 
plus  régulier;  ils  se  sont  divisés  en  colonnes  pris- 
matiques , mais  seulement  dans  les  parties  qui 
se  trouvaient  en  contact  avec  l’eau  de  la  mer. 
Tout  le  rivage,  depuis  Catane  jusqu’au  château 
de  Jaci , lui  en  a offert  des  exemples.  La  fameuse 
lave  de  1669,  quoique  peu  propre  à produire 
cet  effet  , étant  parvenue  à la  mer  en  petite 
quantité  et  dans  un  état  spongieux  , ne  laisse  pas 
de  manifester  une  sorte  de  configuration  pris- 
matique. 

Et  moi  aussi  j’ai  , dans  mes  voyages , porté 
l’attention  la  plus  réfléchie  sur  ce  phénomène  ; 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  1/0 

je  n’ai  pas  pris  la  peine  de  faire  le  tour  des  ri- 
vages des  îles  Æoliennes , de  l’Etna,  d’ischia, 
sans  songer  à examiner  les  courans  de  laves  qui 
se  plongent  dans  la  mer.  J’ai  vu  , en  plusieurs 
endroits  de  Félicuda  , ces  prismes  gravés  dans 
la  partie  des  laves  en  contact  avec  l’eau  , et  jus- 
que dans  celle  qui  s’élève  de  quelques  pieds  au- 
dessus  de  son  niveau.  Sans  doute  la  situation  de 
ces  prismes  prouvait  clairement  qu’ils  s’étaient 
formés  par  l’immersion  des  laves  dans  la  mer, 
dont  les  eaux  , à cette  époque  , montaient  jus- 
qu’au point  où  l’on  voit  paraître  les  premiers 
linéamens  de  leur  configuration.  Mais  si  ce  fait 
est  favorable  à -Fopinion  de  Dolomieu  , d’autres 
lui  sont  contraires.  J’ai  observé  dans  cette  meme 
île  de  Félicuda  une  multitude  de  rochers  de 
laves  baignés  par  la  mer  5 j’en  ai  rencontré  aux 
Salines  , à Lipari , à Stromboli , à Panaria , à Basi- 
luzzo , à Vulcano , qui  tous  ensemble  formeraient 
peut-être  une  zone  de  soixante  milles  de  longueur, 
et  ces  laves  ne  manifestaient  nulle  part  la  moindre 
disposition  à se  configurer  en  prismes. 

En  allant  par  mer  de  Messine  à Catane  , et 
revenant  de  Catane  à Messine  , j’ai  eu  le  loisir 
d’examiner  cette  partie  des  rivages  de  la  Sicile, 
qui , dans  une  longueur  de  vingt-trois  milles  en- 
viron , est  toute  volcanique.  Pendant  un  tiers  de 

K 4 


VOYAGES 


1 44 

la  route  , c’est-à-dire  , depuis  Catane  jusqu’au 
château  de  Jaci , on  ne  voit  que  des  laves  figu- 
rées en  prismes  plus  ou  moins  réguliers  ; mais 
plus  loin  jusqu’à  Messine,  les  laves  qui  tombent 
également  à-plomb  dans  la  mer  ne  présentent 
çà  et  là  que  des  crevasses  irrégulières  5 elles  ne 
forment  que  des  blocs  anguleux , et  cet  accident 
leur  est  commun  avec  toute  espèce  de  lave  qui, 
dans  le  refroidissement  , se  gerce  et  se  divise  plus 
ou  moins. 

Les  rivages  d’ischia  sont  peut-être  ceux  qui , 
par  la  multitude  de  leurs  laves  , les  directions 
qu’elles  suivent , les  angles  divers  qu’elles  for- 
ment en  tombant  dans  la  mer,  devaient  me  four- 
nir le  plus  d’occasions  d’observer  le  phénomène 
de  la  configuration  prismatique  5 mais  j’ai  dit  et 
je  répète  qu’il  n’y  existe  pas. 

On  a beaucoup  parlé  des  laves  prismatiques 
du  Vésuve  situées  sous  le  parc  de  Portici.  Pen- 
dant mon  séjour  à Naples  , je  n’eus  pas  le  loisir 
de  les  visiter  5 mais  j’ai  su  depuis  qu’elles  avaient 
été  examinées  par  le  chevalier  Gioeni , et  que 
ces  fameux  prismes  avaient  disparu  devant  cet 
observateur  éclairé,  Voici  ses  propres  paroles  : 

« J’ai  voulu  m’assurer  de  l’existen  ce  des  basaltes 
» qu’on  m’avait  indiqués  au  bord  de  la  mer , sous 
»le  parc  royal  cje  Portici  , mais  je  n’y  ai  vu 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  1 4^ 
>>  qu’un  courant  de  lave  compacte  avec  des  fentes 
» perpendiculaires  très-  irrégulières  , d’où  résul- 
tent des  pilastres  quadrangulaires  , quelquefois 
trapézoïdes , que  l’on  emploie  dans  des  cons- 
tructions d’édifices.  Les  tufs  et  certaines  terres 
»sont  sujettes  à se  fendre  de  même  , et  l’appa- 
tente  régularité  de  forme  qu’elles  contractent, 
»ne  peut  en  imposer  à quiconque  est  exercé  à 
» reconnaître  la  vraie  cause  de  cet  accident  ». 

Les  faits  que  je  viens  de  citer  , et  dont  je 
garantis  l’exactitude  , démontrent  que  les  laves 
fluantes  qui  , en  tombant  dans  la  mer,  éprouvent 
une  condensation  subite , ne  prennent  pas  toutes 
pour  cela  des  formes  prismatiques. 

Peut-être  m’objectera~t-on  que  les  prismes 
existaient  anciennement  dans  les  laves  que  j’ai 
examinées  , mais  que  l’action  puissante  des  flots 
pendant  une  si  longue  succession  de  siècles  les 
a minés  insensiblement,  et  les  a fait  disparaître. 

Il  suffît  d’un  peu  d’attention  pour  reconnaître 
la  faiblesse  de  cet  argument.  Que  les  eaux  de 
la  mer  aient  pu  attaquer  les  prismes  dans  quel- 
ques laves  et  les  réduire  à rien  , cela  est  pos- 
sible ; mais  comment  les  auraient-elles  anéan- 
tis dans  toutes,  et  sur  une  aussi  longue  étendue 
de  pays  ? comment  Félicuda  , seule  entre  les  îles 


VOYAGES 


146 

Æoliennes , les  a-t-elle  conservés  intacts , tandis 
que  par-tout  ailleurs  il  n’en  existe  aucune  trace? 
Féiicuda  n’est-elle  donc  pas  exposée  comme  les 
autres  aux  ravages  de  la  mer  ! Une  seconde  ré- 
flexion ne  doit  pas  nous  échapper.  Il  est  certain 
que  la  plupart  de  ces  îles  se  sont  formées  par 
des  éruptions  successives.  Cette  formation  gra- 
duelle se  manifeste  dans  des  crevasses  très-pro- 
fondes que  la  mer  a pratiquées  en  certains  en- 
droits , et  où  l’on  découvre  jusqu’à  cinq  ou  six 
lits  de  laves  diverses  placés  les  uns  sur  les  autres. 
Les  laves  intérieures  , plus  anciennes  que  les  ex- 
térieures , ayant  coulé  également  dans  la  mer, 
il  est  évident  que  si  ces  dernières  étaient  deve- 
nues prismatiques  par  le  seul  contact  des  eaux, 
les  premières  auraient  dû  subir  la  même  modi- 
fication, et  leur  position  les  ayant  mises  à l’abri 
du  choc  des  vagues , elles  paraîtraient  encore 
aujourd’hui  avec  leur  configuration  prismatique. 
Il  n’en  est  rien  pourtant  , et  il  faut  admettre  , 
comme  une  vérité  constante , qu’une  infinité  de 
laves  diverses  peuvent  se  précipiter  dans  les  eaux 
de  la  mer,  sans  que  la  condensation  subite  qu’elles 
éprouvent  alors,  change  en  la  moindre  chose  leuf 
aspect  intérieur. 

Il  y a plus  5 la  configuration  prismatique  n’est 
pas  toujours  une  conséquence  de  leur  immersion. 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  1 47 
Elle  a lieu  quelquefois  dans  l’air  libre  : le  cratère 
de  Yulcano  nous  en  fournit  un  exemple.  Là  , 
certainement  nous  pouvons  dire  que  l’eau  de 
la  mer  n’est  pas  intervenue.  Un  fait  tout  sem- 
blable a été  rapporte  par  le  chevalier  Gioeni  : 
« J’ai  observé  , dit-il  , des  colonnes  basaltiques 
» presque  sur  la  cime  de  l’Etna,  au  niveau  de 
>> la  base  de  son  grand  cratère,  où  très-proba- 
blement la  mer  n’est  jamais  arrivée.  J’ai  trouvé 
» plusieurs  fois  des  basaltes  polyèdres  parfaite- 
»ment  caractérisés  dans  des  excavations  faites 
»de  main  d’homme,  dans  le  centre  des  laves  sor- 
ties des  flancs  de  cette  montagne  à des  époques 
» très-postérieures  à la  retraite  de  la  mer  ». 

Je  manquerais  cependant  à la  sincérité  dont 
je  me  suis  fait  un  devoir,  si  je  ne  rappelais  ici 
l’opinion  toute  entière  de  Dolomieu , qui  convient 
que  les  laves  peuvent  prendre  une  figure  prisma- 
tique dans  l’air , si  toutefois  elles  entrent  dans 
quelque  crevasse  où  elles  viennent  à se  refroidir 
subitement  ; et  il  en  apporte  des  exemples  qu’il 
a vus  dans  les  îles  Ponces.  Ma  seule  remarque 
à cet  égard,  c’est  que  la  circonstance  d’une  cre- 
vasse n’est  pas  d’une  absolue  nécessité,  puisqu’il 
existe  des  laves  , comme  celles  du  cratère  de 
Yulcano  , qui  se  sont  configurées  en  prismes 
dans  un  lieu  ouvert  et  libre  ; comme  celles  du 


148  voyages 

sommet  de  l’Etna  dont  le  chevalier  Gioeni  a 
donné  la  description  $ car  s’il  les  eût  trouvées 
encaissées  à la  manière  dont  parle  Dolomieu  , 
il  n’eût  pas  omis  de  le  dire. 

Quelle  sera  donc  la  conclusion  générale  que 
nous  tirerons  de  tous  ces  faits  ? la  voici.  i°.  Il 
est  des  laves  basaltiques  qui  ont  reçu  cette  mo- 
dification en  se  coagulant  dans  la  mer.  20.  Il 
en  est  d’autres  qui  l’ont  reçue  dans  l’air  libre. 
5°.  Enfin  il  en  existe  qui  s’y  sont  refusées  dans 
l’un  et  l’autre  cas. 

Il  semble  que  ces  diversités  devraient  naître  de 
la  nature  diverse  des  laves.  Ce  qui  lé  ferait  croire , 
c’est  de  voir  des  terres  imbibées  d’eau  qui,  lors- 
qu’elles sont  argileuses,  prennent  dans  leur  dessi- 
cation des  formes  plus  ou  moins  prismatiques.  Je 
l’ai  éprouvé  moi-même, en  faisant  entrer  dans  une 
fosse  l’eau  d’un  torrent  troublée  par  une  marne 
argileuse  5 elle  y laissait  un  dépôt  qui , en  se 
séchant , se  divisait  en  morceaux  polyèdres  ; mais 
si  c’était  de  la  craie  ou  de  la  marne  calcaire , 
la  plupart  de  ces  morceaux  n’adoptaient  aucune 
forme  régulière.  Cependant  si  l’on  porte  une  at- 
tention plus  réfléchie  sur  les  laves , on  s’apper- 
cevra  qu’elles  procèdent  différemment.  Par  exem- 
ple, celles  en  prismes  de  Féîicuda  ont  pour  base 
le  schorl  en  masse 5 mais  leurs  congénères  dans  la 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  l4c) 
même  île  , formant  comme  elles  des  murs  ver- 
ticaux sur  la  mer  , n’en  sont  pas  moins  lisses  dans 
toute  l’étendue  de  leur  surface.  On  peut  faire  la 
même  remarque  à l’égard  de  quelques  laves  lit- 
torales de  l’Etna  entre  Messine  et  Catane  , qui 
sont  à base  de  pierre  de  corne.  Elles  offrent  une 
surface  polie,  tandis  que  d’autres  laves  de  même 
nature,  situées  entre  Jaci-Réale  et  Catane,  sont 
sillonnées  en  prismes. 

La  densité  , la  solidité  de  la  matière  n’entrent 
pas  non  plus  comme  condition  nécessaire  dans 
cette  sorte  de  cristallisation.  J’ai  vu  sur  les  ri- 
vages de  plusieurs  îles  Æoliennes  des  laves  sans 
forme  déterminée,  plus  compactes  que  les  ba- 
saltes de  Félicuda. 

Quelle  sera  donc  la  circonstance  intrinsèque 
aux  laves  qui  les  détermine  à se  fendre  prisma- 
tiquement?  je  l’ignore.  Mais  pourquoi  la  cher- 
cher en  elles  et  dans  leur  constitution  particu- 
lière , plutôt  que  dans  les  causes  extérieures  et 
accidentelles?  C’est  sans  doute  la  réflexion  que 
Dolomieu  a faite  , quand  il  a voulu  expliquer 
ce  phénomène  par  le  refroidissement  subit  et 
la  contraction  instantanée  des  laves.  J’ai  cité  des 
faits  qui  ne  s’accordent  pas  toujours  avec  ceux 
que  ce  physicien  apporte  en  preuve  de  son  opi- 
nion 5 mais  ne  pourrait-on  pas  leur  appliquer  le 


même  principe  , en  usant  de  quelque  modifica- 
tion, pour  rendre  raison  des  différences?  Eclair- 
cissons cela  par  deux  exemples,  l’un  concernant 
les  laves  qui  se  sont  figurées  en  prismes  au  seul 
contact  de  l’atmosphère,  comme  dans  le  cratère 
de  Yulcano  et  sur  Je  sommet  de  l’Etna;  l’autre 
regardant  celles  qui  se  sont  refusées  à cette  con- 
figuration dans  leur  contact  avec  l’eau  de  la  mer, 
ainsi  qu’on  le  voit  en  quelques  endroits  des  ri- 
vages de  l’Etna  , à Ischia , et  dans  toutes  les 
Æoliennes , à l’exception  de  Félicuda. 

Dans  le  premier  cas , pourquoi  une  lave  , sans 
tomber  dans  une  crevasse,  comme  l’exige  Dolo- 
mieu , n’éprouverait-elle  pas  un  retrait  subit  par  la 
seule  impression  de  l’atmosphère  ? Il  suffit  qu’elle 
soit  promptement  dégagée  du  calorique  qui  la 
pénétrait  et  la  tenait  en  fluidité.  Ce  dégagement 
sera  prompt  si  elle  a peu  d’épaisseur  ; car  plus  un 
corps  est  mince , moins  il  met  de  temps  à se  dé- 
pouiller de  la  chaleur  qui  lui  a été  communiquée. 
La  contraction  rapide  dont  nous  parlons,  pourrait 
encore  avoir  sa  cause  dans  l’état  accidentel  de 
l’atmosphère,  si,  par  exemple,  il  s’élevait  un  vent 
très-vif  et  très-froid.  Cette  dernière  conjecture  me 
paraît  d’autant  plus  fondée,  que  j’ai  eu  souvent 
l’occasion  de  la  vérifier  dans  des  laves  fondues  au 
fourneau.  Quand  je  leur  laissais  perdre  peu  à peu 


DANS  LES  DEUX  S I C I L E S.  l5l 
leur  chaleur , elles  ne  contractaient  que  quelques 
gerçures  peu  profondes  et  irrégulières  ; mais  si , 
pendant  l’hiver,  en  les  sortant  du  fourneau,  je 
les  transportais  sur-le-champ  à l’air  froid,  les 
gerçures,  outre  qu’elles  gagnaient  davantagedans 
l’intérieur , se  découpaient  de  manière  qu’il  en 
résultait  souvent  de  petits  prismes  qui  se  déta- 
chaient aisément  de  la  masse. 

b--:' 

Quant  aux  laves  qui  coulent  dans  la  mer , il 
est  certain  que  , pour  devenir  prismatiques  , il 
faut  qu’elles  soient  dans  un  grand  degré  d’effer- 
vescence et  de  dilatation, c’est-à-dire, fortement 
pénétrées  par  le  fluide  igné  , sans  cela  le  retrait 
nécessaire  pour  produire  les  prismes  n’aurait  pas 
lieu.  La  privation  de  cette  effervescence  sera  le 
cas  de  beaucoup  de  courans  qui , descendant  du 
haut  des  monts  volcaniques  jusqu’à  leurs  rivages, 
perdent  pendant  cette  longue  route  une  grande 
partie  de  leur  chaleur  , et  n’en  conservent  que 
ce  qu’il  en  faut  pour  se  mouvoir  5 encore  ce 
mouvement  ne  se  prolongerait- il  pas  jusqu’au 
bout , s’il  n’était  aidé  par  la  force  de  gravité  des 
laves,  qui  souvent  tombent  perpendiculairement 
dans  la  mer. 

C’est  ainsi  que  j’expliquerais  comment  des  laves 
prismatiques  se  sont  formées  sans  le  concours  de 
l'eau  , et  comment  d’aulres  n’ont  pris  aucune 


V O Y A Qr  E S 


l5z 

forme  régulière  au  sein  même  de  la  mer.  Au 
reste , je  laisse  à chacun  son  opinion , et  quand 
on  aura  sur  ce  fait  important  des  idées  préfé- 
rables aux  miennes  , qui  ne  sont  que  conjectu- 
rales , je  les  adopterai  volontiers,  et  avec  une 
sincère  reconnaissance  pour  celui  qui  me  les 
communiquera. 


CHAPITRE 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  l53 


CHAPITRE  XX. 

Digression  sur  diverses  -productions  volca- 
niques des  monts  Euganéens  (i). 

A. près  avoir  amassé  pendant  l’année  1788, 
pour  le  muséum  de  Pavie,  une  ample  collection 
des  productions  volcaniques  des  deux  Siciles , 
je  formai  le  projet  d’employer  les  vacances  de 
l’année  suivante  à y réunir  celles  des  montagnes 
de  Padoue , dont  les  volcans  sont  éteints  depuis 
un  temps  immémorial.  Ce  voyage  me  fut  d’au- 
tant plus  agréable  , que  j’eus  pour  compagnon 
le  marquis  Orologio  de  Padoue , qui  connaissait 


(1)  Les  monts  Euganéens,  qui  tirent  leur  nom  d’un 
ancien  peuple  d’origine  grecque  que  l’on  croit  y avoir 
habité , s’élèvent  au  milieu  de  la  plaine , à une  lieue  et 
demie  de  Padoue,  et  sont  en  partie  volcaniques , en  par- 
tie de  formation  marine.  Ils  forment  une  île  qui  a environ 
dix  lieues  de  périmètre , et  ne  sont  eux-mêmes  qu’un 
groupe  de  petits  îlots  coniques.  Le  peuple  Euganéen  s’ap- 
pelait ainsi  par  une  sorte  de  prétention  à la  noblesse.  Ce 
nom  dérive  de  la  particule  sv  , benè , et  du  verbe  y€vo(xctt , 
; fiascor , ou  genitus  sum . Les  Uenètes,  ou  Venètes,  leurs 
voisins,  avaient  la  même  morgue;  ils  s'appelaient  A iveroi, 
gloriosi , d’ct/J/o?,  gloria. 

Tome  lll\  L 


l54  VOYAGES 

parfaitement  les  lieux  et  leurs  productions,  sur 
lesquelles  il  avait  déjà  publié  des  observations 
intéressantes.  Nos  excursions  dans  ces  montagnes 
me  donnèrent  le  temps  et  la  facilité  d’en  bien 
examiner  la  structure , de  recueillir  et  décrire 
les  objets  les  plus  propres  à remplir  mes  vues, 
qui  étaient  de  comparer  les  roches  du  Padouan 
avec  celles  des  autres  régions  volcaniques  que 
j’avais  visitées  , afin  de  juger  par-là  des  diverses 
modifications  que  le  feu  leur  a fait  subir  : ces 
études  comparatives  ne  peuvent  manquer  d’é- 
tendre nos  connaissances  sur  la  nature  des  phé- 
nomènes volcaniques  (1). 

Je  me  rendis  donc , au  mois  de  septembre  1 7 Bq, 
à Giaria , chez  le  marquis  Orologio , qui  y pos- 


(1)  Il  paraîtra  peut-être  superflu  de  donner  ici  une 
nouvelle  description  des  productions  des  monts  Euga- 
néens,  après  le  Catalogue  raisonné  qu’en  a publié  Strange. 
Mais , outre  que  nous  avons  vu  les  objets  différemment , 
nous  avons  encore  eu  un  but  différent  dans  notre  travail  : 
le  mien  a été  de  les  décrire , et  de  les  caractériser  avec 
méthode  ; celui  de  Strange  d’en  donner  une  simple  indi- 
cation. Je  ne  crois  point  diminuer  le  mérite  de  cet  au- 
teur en  ajoutant  que  ses  indications  sont  souvent  peu 
sûres  , défaut  qu’il  faut  attribuer  au  temps  où  il  a écrit  : 
ce  n’est  que  depuis  quelques  années  que  l’on  veut  et 
que  l’on  met  de  la  précision  dans  la  minéralogie  des 
volcans.  Note  de  l’auteur. 


DANS  LES  DEUX  S I C I L E S.  l55 
sède  une  maison  de  campagne  délicieuse , située 
presqu’au  pied  des  monts  Euganéens , et  sans 
perdre  de  temps , nous  commençâmes  par  exami- 
ner les  fossiles  de  Monte-Castello.  C’est  une  petite 
montagne  boisée  d’où  sortent  plusieurs  pointes 
de  rochers  adhérens  , et  formés  de  trois  sortes  de 
laves. 

La  première  , à base  argileuse , a une  pâte 
grossière  , noirâtre  , parsemée  de  paillettes  lui- 
santes de  mica  noir,  et  marquée  de  petites  taches 
rougeâtres,  semblables  aux  taches  de  feld-spath 
qui  se  voient  dans  certains  porphyres  orientaux. 
Ces  taches  ne  sont  autre  chose  que  des  écailles 
de  feld-spath  accompagnées  de  quelques  schorls 
noirs. 

La  seconde , colorée  de  gris  tirant  sur  le  blanc , 
se  fait  prendre  au  premier  coup-d’œil  pour  un 
carbonate  de  chaux;  mais  quand  on  la  regarde 
de  près  dans  sa  cassure  , on  voit  qu’elle  a pour 
base  une  pierre  de  corne  dure  , renfermant 
quelques  micas  noirs  et  des  points  de  feld-spath. 

La  troisième , ainsi  que  quelques  variétés  qui 
en  différent  peu , a également  pour  base  la  pierre 
de  corne.  Sa  couleur  est  un  gris  terne  ; sa  pâte 
terreuse  a une  odeur  d’argile  : outre  un  grand 
nombre  de  micas  noirs  très -déliés,  elle  ren- 

L a 


VOYAGES 


lS6 

ferme  de  grosses  lames  rectangulaires  de  feld- 
spath. 

Les  schorls,  les  micas  , les  feld- spaths  de  ces 
trois  laves  se  fondent  dans  le  creuset  avec  leur 
base  3 qui  devient  une  scorie  émaillée  et  cellu- 
laire. 

Quoique  ces  trois  sortes  de  roche  ne  paraissent 
pas  avoir  coulé  5 et  qu’elles  n’aient  pas  la  poro- 
sité de  certaines  laves,  je  n’ai  pas  hésité  à leur 
en  donner  le  nom,  parce  qu’elles  font  partie  in- 
tégrante d’un  mont  tout  volcanique , et  qu’elles 
appartiennent  à un  genre  de  pierre  existant  dans 
ces  montagnes , qui  a subi  la  fusion,  et  dont  je 
parlerai  dans  la  suite. 

Au  milieu  des  laves  désignées  ci-dessus,  on 
trouve  des  morceaux  de  pétro-silex  d’un  grain 
très-fin.  Comme  ils  sont  errans,  je  ne  saurais  dire 
s’ils  ont  été  touchés  par  le  feu , ou  si  le  volcan  les 
a rejetés  dans  leur  état  naturel.  Chacun  de  ces 
morceaux  embrasse  des  cristallisations  de  mica , 
de  schorl  et  de  feîd-spath  , qui  se  fondent  au 
fourneau  avec  leur  base  pétro-siliceuse. 

Du  mont  Castello , je  passai  au  mont  voisin 
du  Donati  : son  sommet  est  à deux  têtes.  Je  dé- 
tachai de  sa  masse  pierreuse  , tant  dans  le  haut 
que  dans  le  bas , divers  morceaux , et  après  les 


D ANS  LES  DEUX  SICILE  S.  l5y 
avoir  comparés  , je  vis  que  les  laves  du  mont 
Donati  pouvaient  se  réduire  à deux  espèces  , 
l’une  ayant  pour  base  le  pétro- silex,  l’autre  la 
pierre  de  corne. 

La  première  présente  une  cassure  nette  et 
quelquefois  conchoïde,  un  tissu  fin  et  compacte  y 
avec  une  certaine  abondance  de  schorls  et  de 
feld-spaths  rhomboïdaux.  Traitée  avec  le  feu, 
elle  donne  pour  résultat  un  verre  blanc  , ou 
les  cristallisations  ci-dessus  sont  pleinement  fon- 
dues. 

La  seconde  est  molle  ; elle  a un  tissu  terreux  y 
une  odeur  argileuse;  elle  abonde  pour  l’ordinaire 
en  feld- spaths  , en  schorls  cristallisés  , en  micas 
noirs  hexagones.  Une  des  laves  de  cette  espèce 
donne  les  marques  les  plus  sensibles  d’avoir  coulé. 
On  y voit  à la  surface , et  jusque  dans  le  centre  , un 
nombre  infini  de  bulles , dont  la  grandeur  varie 
depuis  les  plus  petites  , qui  sont  à peine  percep- 
tibles, jusqu’aux  plus  grandes,  qui  ont  un  demi- 
pouce  de  diamètre.  Leur  figure  est  ovale  dans 
la  plupart,  et  le  plus  grand  diamètre  est  toujours 
dirigé  vers  le  même  côté.  Cette  observation 
prouve  en  premier  lieu  que  la  roche  dont  nous 
parlons  a été  tenue  en  fluidité  par  le  feu,  puisque 
cette  circonstance  était  nécessaire  à la  forma- 
tion des  bulles  ; en  second  lieu  , qu’elle  a été  en 

L S 


VOYAGES 


l58 

mouvement , puisque  ces  bulles  se  sont  plus  ou 
moins  alongées.  Ces  conséquences  sont  d’autant 
plus  justes , que  nous  avons  eu  souvent  l’occasion 
d’en  vérifier  l’exactitude  dans  les  laves  de  Lipari. 
Au  reste,  plusieurs  de  ces  bulles  se  sont  remplies 
de  carbonate  calcaire  cristallisé  , effet  de  l’infil- 
tration des  eaux. 

Cette  même  lave  est  encore  remarquable  par 
v la  grosseur  de  ses  scborls  rhomboïdaux  , dont 
quelques-uns  ont  dix  à douze  lignes  de  longueur. 
Leur  couleur  est  noirâtre, leur  cassure  écailleuse  $ 
les  faces  en  sont  si  vives,  si  lustrées , qu’elles  ri- 
valisent les  plus  beaux  cristaux  de  fer  spéculaire. 
Solitaires  ou  incorporés  à la  lave , ils  se  fondent 
également  au  fourneau , et  se  changent  en  un 
émail  noir  compacte,  étincelant  sous  le  briquet, 
et  d’un  lustre  peu  inférieur  à celui  des  schorls 
eux-mêmes.  La  fusion  réussit  aussi  bien  dans  les 
autres  laves  à base  de  pierre  de  corne  : les  schorls, 
les  feld-spaths,  les  micas  s’y  vitrifient. 

Je  me  rendis  ensuite  à Monte- Rosso,  fameux 
par  ses  colonnes  prismatiques  : Ferber  les  avait 
indiquées  5 Strange  les  a décrites  (1).  Elles  sont , 
dit-il , perpendiculaires  à l’horizon , parallèles 
entr’ elles , diversifiées  dans  leur  forme,  dans  leur 


(1)  Opiuç.  Scelt . di  Milano,  t.  1,  in- 4°. 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  169 
grandeur  , et  semblent  adhérentes  avec  la  masse 
du  rocher.  Parvenu  sur  les  lieux , je  trouvai  sa 
description  conforme  à la  vérité;  mais  je  dois  au 
lecteur  des  détails  plus  étendus  sur  la  nature  de 
cette  colonnade  que  Strange  appelle  granitique. 
Au-dedans  et  au-dehors  des  prismes  , on  recon- 
naît d’abord  le  feld-spath  , le  mica  et  le  schorl. 
Le  premier,  disposé  en  rhomboïdes  d’une  ou  deux 
lignes  au  plus  de  longueur,  sur  moitié  environ 
de  largeur , est  serai -diaphane  , blanc  , un  peu 
terne  à la  surface,  très-brillant  dans  la  cassure, 
qui  est  chatoyante.  Le  second  est  noir  en  grande 
partie,  quelquefois  d’un  jaune  doré  ; il  forme  de 
petits  prismes  applatis , hexaèdres  , opaques  , la- 
melleux , très-brillans  : les  plus  grands  n’excèdent 
pas  une  ligne.  Le  troisième  , moins  abondant  que 
les  deux  autres,  est  linéaire.  Ces  trois  substances 
sont  renfermées  dans  une  pâte  pétro-siliceuse  , 
devenue  terreuse  par  décomposition,  et  presque 
friable  à la  surface  des  colonnes , ou  elle  a une 
couleur  de  feuille  morte.  Mais  intérieurement  elle 
conserve  le  caractère  du  pétro-silex  : elle  donne 
des  étincelles  avec  le  briquet , et  sa  couleur  est 
d’un  gns  tirant  sur  le  noir.  Traitée  avec  le  feu , 
elle  se  convertit  en  un  émail  noirâtre  qui  con- 
tracte des  bulles  peu  nombreuses,  mais  grandes: 
le  schorl  subit  une  fusion  complète  , ce  qui  n’ar- 
rive pas  tout-à-fait  au  feld-spath. 

L 4 * 

. 1 ' 


VOYAGES 


160 

On  voit  par  Panalyse  de  cette  roche  qu’elle 
n’est  pas  proprement  granitique , selon  la  défi- 
nition des  naturalistes  et  des  chimistes  , qui  ap- 
pellent granit  une  pierre  composée  de  deux  ou 
plusieurs  substances  souvent  cristallisées , unies 
ensemble  sans  apparence  de  ciment  qui  leur 
serve  de  lien.  Ici  5 le  mica  , le  schorl , le  feld- 
spath sont  enveloppés  d’une  pâte  siliceuse  3 d’où 
il  faut  conclure  que  la  matière  de  ces  colonnes 
tient  de  la  nature  du  porphyre , ainsi  que  la  masse 
de  Monte-Rosso,  qui  est  à-peu-près  toute  com- 
posée de  la  même  roche. 

Sous  le  groupe  de  basaîtes5on  trouve  un  grand 
nombre  de  globes  de  la  même  matière , qui  ne 
sont  probablement  que  des  morceaux  détachés 
des  colonnes  , et  arrondis  dans  leurs  angles  par 
l’action  du  temps  et  des  météores  aqueux.  Le 
roulement  des  eaux  n’y  a eu  aucune  part , car 
on  ne  voit  là  nulle  trace  de  ruisseau  ou  de  torrent. 
D’ailleurs , l’altération  éprouvée  par  ces  globes 
est  très-sensible. 

Monte-Rosso  est  isolé  ; sa  circonférence  est 
d’environ  un  mille  et  demi.  On  voit  à sa  base 
une  excavation  faite  par  les  moines  Bénédictins 
de  Praglia  pour  en  extraire  des  pierres.  Cette 
carrière  est  abandonnée  5 mais  elle  m’a  servi  à 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  l6ï 
reconnaître,  dans  l’intérieur  de  la  montagne,  des 
formes  prismatiques , quoiqu’elles  n’y  soient  pas 
aussi  bien  caractérisées  que  dans  les  colonnes. 
Je  suis  persuadé  que  si  on  creusait  ailleurs , on 
en  trouverait  de  semblables. 

Ce  lieu  n’est  pas  le  seul  qui  abonde  en  roches 
prismatiques  : Monte-Ortone  en  offre  des  amas 
prodigieux  , elles  sont , à la  vérité , grossièrement 
figurées,  mais  très-reconnaissables.  C’est  une  lave 
d’un  gris  cendré,  à base  de  pétro-silex,  marquée 
en  divers  endroits  par  des  zones  déliées  et  rou- 
geâtres , parallèles  entr’elles.  Elle  renferme  des 
feld-spaths  rhomboïdaux  , luisans  , diaphanes  , 
avec  quelques  paillettes  noires  et  hexagones  de 
mica.  Placée  dans  le  fourneau  , cette  lave  se 
convertit  en  un  émail  d’un  gris  tirant  sur  le  noir. 
Les  feld-spaths  et  les  micas  se  fondent  avec  elle. 
Monte-Ortone  a aussi  diverses  excavations  où 
l’on  trouve  des  prismes  informes  5 et  quand  on 
suit  le  chemin  qui  conduit  à Praglia  , on  voit 
leurs  têtes  saillir  hors  des  flancs  et  des  sommités 
de  la  montagne  , qui  est  toute  composée  de  la 
lave  que  je  viens  de  décrire.  Son  détritus  pro- 
duit un  terreau  où  les  oliviers  prospèrent.  Cette 
décomposition  a également  lieu  à Monte-Rosso, 
où  la  terre  est  en  bonne  partie  une  trituration 
de  mica,  de  feld-spath  et  de  schorl. 


VOYAGES 


ï6z 

Les  monts  Euganéens  présentent  des  masses 
pour  la  plupart  coniques  : les  unes  isolées , les 
autres  contiguës  par  leurs  bases.  Outre  les  laves  t 
qui  en  font  la  matière  principale,  on  y rencontre 
quelques  roches  calcaires.  Les  Vénitiens  tirent 
beaucoup  de  profitde  ces  deux  genres  de  pierres; 
ils  se  servent  des  premières,  qu’ils  appellent  ma- 
segne , pour  paver  les  grands  chemins  , et  des 
secondes  pour  faire  de  la  chaux.  Aussi  trouve- 
t-on  dans  ces  montagnes  plusieurs  carrières  , les 
unes  en  activité , les  autres  abandonnées  , parce 
qu’elles  étaient  épuisées.  Celles  de  Monte-Rosso 
et  de  Monte-Ortone  , que  je  venais  de  visiter , 
m’inspirèrent  le  désir  d’en  voir  d’autres.  Il  me 
parut  que  ces  excavations  , en  pénétrant  dans 
l’intérieur  des  substances  que  je  cherchais  à con- 
naître , m’en  offriraient  le  moyen  le  plus  sûr  et 
le  plus  facile.  Je  me  transportai  donc  à Monte- 
Merlo  , où  l’on  a creusé  dans  la  lave  un  puits 
des  plus  profonds.  Pour  en  extraire  des  blocs 
qui  sont  très  - durs  , voici  le  moyen  hardi  que 
l’on  emploie.  Un  homme  lié  à une  corde  par  le 
milieu  du  corps , se  fait  descendre  le  long  des 
parois  verticales  du  puits  ; quand  il  est  parvenu 
à l’endroit  qu’il  doit  attaquer , on  lie  l’autre 
extrémité  de  la  corde  au-dessus  de  l’ouverture. 
L’homme  , ainsi  suspendu,  introduit  un  pic  dans 
les  fissures  de  la  pierre  , l’ébranle  et  l’arrache. 


DANS  LES  DEUX  S I C I L E S.  l63 
Quelquefois  il  prépare  des  mines  , et  les  fait 
jouer. 

Dans  cette  carrière , et  dans  une  autre  située 
aux  environs,  mais  qui  n’est  pas  aussi  profonde, 
la  lave  est  véritablement  granitique  , ayant  pour 
base  le  feld- spath  dans  une  proportion  telle, 
qu’il  compose  à lui  seul  la  plus  grande  partie  de 
la  roche.  Comme  il  est  en  tout  semblable  à celui 
de  Monte-Ortone  et  de  Monte-Rosso,  je  ne  le 
décrirai  pas.  Je  remarquerai  seulement  qu’outre 
ce  feld-spath , qui  s’annonce  par  son  éclat  et  ses 
autres  caractères  sensibles, on  y trouve  certaines 
taches  blanches  dont  la  nature  ne  se  laisse  pas 
saisir  au  premier  coup-d’œil  ; mais  quand  on  les 
considère  attentivement , et  sous  certains  angles 
de  réflexion  de  lumière , on  reconnaît  que  ce 
sont  de  vrais  feld- spaths  en  partie  calcinés.  A 
ces  cristaux  , se  joignent  des  micas  hexagones 
et  des  points  de  schorl. 

Ce  granit  fondu  par  le  feu  des  vo’cans , me 
rappela  la  grande  activité  qu’il  faut  communi- 
quer au  feu  ordinaire  pour  en  obtenir  la  fusion 
des  granits  naturels , et  même  des  granits  vol- 
caniques dont  j?ai  parlé  dans  le  chapitre  XII. 
Cependant  je  réfléchis  ensuite  qu’il  n’était  peut- 
être  pas  besoin  d’un  si  haut  degré  de  puissance 
pour  fondre  celui-ci,  attendu  qu’il  était  privé  du 


VOYAGES 


16  4 

quartz  , un  des  élémens  les  plus  réfractaires  à la 
fusion.  En  effet  , après  avoir  soutenu  long-temps 
Faction  du  fourneau,  il  se  convertit  en  un  verre  noir 
presqu’homogène,  où  quelques  feld-spaths  se  fai- 
saient encore  distinguer  par  des  taches  blanches. 

J’ai  parlé  du  mica  noir  comme  un  des  compo- 
sans  de  ce  granit.  J’ajouterai  que  si  on  l’enlève 
à la  roche  volcanique , et  qu’on  l’approche  du 
barreau  aimanté  , il  s’y  attache  comme  le  ferait 
un  grain  de  fer.  Cette  propriété  est  commune  à 
tous  les  micas  noirs  des  roches  volcaniques  dont 
j’ai  fait  mention  jusqu’à  présent,  et  de  presque 
toutes  celles  que  j’indiquerai  dans  la  suite.  Avant 
mon  départ  pour  les  monts  Euganéens , le  cé- 
lèbre naturaliste  Arduino  m’avait  fait  remarquer 
ce  phénomène  à( Venise,  où  la  plupart  des  rues 
sont  pavées  de  roches  que  l’on  tire  des  mon- 
tagnes de  Padoue.  A la  vérité  , il  croyait  que  ces 
paillettes  noires  et  brillantes  étaient  plutôt  des 
particules  de  fer  que  des  micas;  mais  on  ne  con- 
serve aucun  doute  à cet  égard  quand  , avec  le 
secours  de  la  loupe  , on  voit  leur  tissu  formé  de 
petites  lames  très-fines  , très-délicates  , un  peu 
transparentes  , flexibles  sous  la  pointe  d’une  ai- 
guille , et  se  détachant  l’une  de  l’autre.  D’ailleurs 
elles  se  vitrifient  dans  le  creuset,  et  le  verre  qu’elles 
produisent  est  semi-transparent  et  noirâtre. 


DANS  LES  DEUX  S I C I L E S.  l65 

Je  n’ai  point  remarqué  cette  propriété  magné- 
tique dans  les  micas  des  granits  non  affectés  par  le 
feu  volcanique.  A mon  retour  par  terre  de  Cons- 
tantinople en  Italie  , j’avais  recueilli  un  grand 
nombre  d’échantillons  de  cette  roche  dans  les 
montagnes  qui  se  trouvaient  sur  mon  passage  , et 
dans  des  lieux  où  je  savais  que  les  volcans  n’avaient 
point  agi  ; j’en  possédais  d’autres  qui  apparte- 
naient à nos  Alpes.  J’ai  éprouvé  avec  le'barreau 
aimanté  les  micas  qu’ils  contenaient,  et  pas  un, 
quelle  qu’en  fût  la  couleur,  n’a  donné  des  signes 
d’attraction  3 mais  ils  ont  acquis  cette  vertu  après 
avoir  été  exposés  quelque  temps  au  feu.  Ainsi  les 
micas  des  monts  Euganéens  qui  la  possèdent , 
nous  prouvent  qu’ils  ont  subi  l’action  de  cet 
agent , et  nous  donnent  une  nouvelle  confirma- 
tion de  la  volcanisation  de  cette  contrée. 

Avant  de  quitter  les  carrières  de  Monte-Merlo, 
je  raconterai  deux  faits  qui  méritent  queîqu’at- 
tention. 

Il  n’est  pas  rare  de  trouver  dans  la  lave  graniti- 
que, des  noyaux  de  quartz  pur  de  diverses  gros- 
seurs , depuis  un  pouce  jusqu’à  cinq,  étincelans 
sous  le  briquet , teints  d’une  couleur  légère 
d’améthiste,  diaphanes  , onctueux,  solides,  sans 
figure  déterminée.  Mais  comment  ces  noyaux 
quartzeux,  qui  sont  très-sains,  existent-ils  dans 


VOYAGES 


J 66 

l’intérieur  de  ce  granit  volcanique  ? Etaient-ils 
formés  avant  l’embrasement  ? je  ne  saurais  le 
croire  5 car  le  feu  les  aurait  altérés,  il  les  aurait 
dépouillés  de  leur  transparence,  il  les  aurait  ger- 
cés et  rendus  friables  : tout  cela  arrive  à ce  même 
quartz  quand  on  le  tient  quelque  temps  au  four- 
neau. Je  dirai  plus  5 ayant  laissé  , pendant  un 
quart-d’heure  seulement , deux  de  ces  noyaux 
dans  un  creuset  posé  sur  des  charbons  ardens, 
ils  perdirent  leur  couleur  d’améthiste,  blanchi- 
rent, se  couvrirent  de  gerçures,  et  devinrent 
sensiblement  friables. 

Ces  petites  masses  de  quartz  auraient- elles  été 
ramassées  par  la  lave,  comme  il  arrive  quelque- 
fois aux  corps  étrangers  qui  se  trouvent  sur  le 
chemin  des  torrens  volcaniques  ? Ce  n’est  pas 
mon  sentiment  ; je  pensé  au  contraire  qu’elles 
ont  été  produites  après  le  refroidissement  de  la 
lave , par  la  filtration  de  l’eau  qui , chargée  de 
molécules  de  quartz  , les  a déposées  dans  ses 
cavités  , et  les  en  a remplies  peu  à peu  : c’est 
ainsi  que  se  sont  formés  les  globes  de  calcédoine 
dans  les  laves  de  Lipari. 

L’autre  fait  est  analogue  à celui-ci , et  peut 
s’expliquer  de  la  même  manière.  Il  s’agit  de  quel- 
ques groupes  de  schorl  qui  se  sont  introduits 
dans  cette  même  lave , et  que  l’on  y découvre 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  167 
comme  le  quartz , en  la  mettant  en  pièces.  Il 
sont  formés  de  prismes  rhomboïdaux  tellement 
pressés  et  confus , qu’il  n’en  est  aucun  que  l’on 
puisse  détacher  dans  son  intégrité.  Ils  ne  diffè- 
rent que  par  la  grandeur,  de  ceux  qui  existent 
dans  la  lave  cellulaire  à base  de  pierre  de  corne 
du  mont  Donati.  Ainsi  que  tous  les  schorls  des 
monts  Euganéens,  ils  concourent  à prouver  la 
volcanisation  de  ce  pays,  en  manifestant  la  même 
faculté  dont  jouissent  les  micas  noirs  , c’est- 
à-dire  leur  magnétisme.  Le  baron  Dietrich  , 
dans  sa  description  des  volcans  du  Vieux  Brissac , 
démontre  que  l’action  des  schorls  noirs  cristalli- 
sés sur  l’aimant , est  une  qualité  qui  n’appar- 
tient qu’à  ceux  qui  sont  volcanisés.  Quoique  je 
n’aie  cité  à ce  sujet  que  les  schorls  du  Monte- 
Rosso  de  l’Etna, remarquables  par  leur  puissance 
magnétique,  je  n’ai  pas  laissé  d’en  éprouver  une 
multitude  d’autres  provenant  des  champs  Phlé- 
gréens  et  des  îles  Æoliennes  5 je  puis  assurer  qu’ils 
possédaient  tous  la  même  vertu  5 mais  elle  ne  s’est 
point  manifestée  dans  onze  espèces  de  schorls  de 
toutes  couleurs  , dont  les  uns  avaient  été  déta- 
chés des  granits  naturels  , les  autres  avaient  été 
trouvés  errans. 

Quant  à la  génération  de  ces  groupes  de  schorls 
dans  la  lave  granitique,  je  l’attribue,  comme 


VOYAGES 


l68 

celle  du  quartz  , à la  filtration  des  eaux  , avec 
cette  différence , qu’au  lieu  de  n’adopter  aucune 
forme  régulière  , ils  se  sont  cristallisés  d’une  ma- 
nière confuse  , sans  doute  à cause  de  la  plus 
grande  tendance  de  leurs  molécules  intégrantes 
à prendre  une  forme  déterminée. 

Après  avoir  visité  les  carrières  de  roclies  volca- 
niques , je  me  transportai  dans  les  carrières  de 
pierre  à chaux , qui  ne  sont  pas  rares  dans  ce 
pays  , telles  que  celles  de  la  Battaglia , des 
Frassinelle,  et  de  S.  Giacomo  , situées  sur  les 
pentes  de  Monte-Grande,  au-dessus  de  Teolo. 
Avant  d'atteindre  les  laves  de  la  Battaglia , on 
rencontre  une  roche  calcaire  qui  s’exfolie  en 
lames  horizontales.  La  carrière  que  l’on  y a ou- 
verte est  vaste  , taillée  à pic  5 elle  a en  quelques 
endroits  quarante-cinq  à cinquante  pieds  de  pro- 
fondeur , et  fournit  une  pierre  excellente  pour 
faire  de  la  chaux.  Cette  pierre  est  disposée  par 
lits  de  diverse  épaisseur , depuis  un  pouce  jus- 
qu’à un  pied , parallèles  entr’eux  et  avec  l’ho- 
rizon. Dans  les  monts  Euganéens  , par-tout  où 
il  existe  de  la  roche  calcaire , il  se  trouve  aussi 
des  silex , ou  pierres  à fusil.  Ici , on  en  voit  un 
grand  nombre  $ plusieurs  sont  en  combinaison 
avec  la  pierre  à chaux,  de  manière  à faire  croire 
que  cette  dernière  s’est  transformée  en  silex. 

Mais 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  l6q 
Mais  pour  rendre  sensible  cette  apparence  de 
métamorphose , il  est  nécessaire  de  décrire  Tune 
et  l’autre  de  ces  substances. 

La  substance  calcaire  est  blanche,  compacte, 
peu  pesante  , composée  de  particules  impal- 
pables, douce  au  toucher;  la  cassure  est  nette, 
quelquefois  conchoïde , avec  des  fragmens  ob- 
tus et  irréguliers.  Elle  se  dissout  avec  efferves- 
cence dans  les  acides.  On  y apperçoit , tant  au- 
dehors  qu’au-dedans  , de  petites  taches  dentri- 
tiques qui , semées  sur  le  fond  blanchâtre  de  la 
pierre , ne  sont  pas  sans  élégance. 

Le  silex  a une  couleur  de  chair  foncée , quel- 
quefois brune  et  même  noire  ; son  grain  est  très- 
compacte,  très-fin;  sa  cassure  lisse  , conchoïde; 
les  fragmens  én  sont  anguleux , aigus  aux  extré- 
mités , semi-transparens.  Il  est  pesant  ; la  lime 
ne  l’entame  pas  , et  l’acier  le  fait  étinceler  vi- 
vement. Malgré  tant  de  dureté , la  plupart  de 
ces  silex  se  réduisent  en  éclats  sous  le  marteau. 
Tantôt  ils  sont  placés  entre  les  lits  de  roche  cal- 
caire , tantôt  ils  paraissent  n’en  former  qu’une 
prolongation  ; à la  vérité  , la  division  est  quel- 
quefois tranchante,  mais  plus  souvent  encore  les 
nuances  en  sont  insensibles , et  alors  il  est  facile 
de  se  laisser  tromper  par  l’apparence , et  de 
croire  , avec  quelques  naturalistes  , qu’il  y a 
Tome  III.  M 


170  V O Y A Gr  E S 

transformation  de  la  chaux  en  silex.  Prenons  pouf 
exemple  un  morceau  5 il  est  blanc  en  certains 
endroits;  cette  blancheur  s’évanouit  insensible- 
ment , se  perd  dans  une  ombre  rougeâtre  qui 
va  croissant,  et  la  pierre  prend  enfin  cette  cou- 
leur rouge , brune  ou  noire  , qui  est  le  propre 
du  silex.  Sa  dureté  suit  les  différentes  nuances 
de  la  couleur , et  devient  successivement  plus 
grande.  Là  où  la  pierre  est  blanche,  elle  ne  produit 
aucune  étincelle  sous  le  choc  du  briquet  ; là  où 
elle  est  d’un  rouge  pâle , elle  n’en  donne  que  de 
faibles  : elle  en  fait  jaillir  de  très-vives  quand  elle 
est  d’un  rouge  vif , ou  qu’elle  est  noire.  Il  y a. 
plus  ; si  d’un  bout  à l’autre  on  y étend  de  l’acide 
nitrique , il  se  fait  une  effervescence  dans  la  par- 
tie blanche  ; mais  cette  effervescence  diminue 
graduellement  en  passant  de  teintes  en  teintes* 
et  tout  mouvement  cesse  là  où  la  rougeur  est 
très-foncée  , et  où  l’acier  produit  de  fortes  étin- 
celles. Toutefois  ces  caractères  ne  décident  rien 
pour  le  chimiste.  La  diversité  des  couleurs  ne 
différencie  point  les  espèces  dans  les  trois  règnes  ; 
la  dureté  et  la  scintillation  n’excluent  point  la 
présence  de  la  terre  calcaire  ; et  bien  qu’on  ait 
fait  de  l’incapacité  d’étinceler  sous  le  choc  du 
briquet  un  caractère  distinctif  de  la  pierre  à 
chaux  , il  n’en  est  pas  moins  démontré  que  plu- 
sieurs pierres  de  ce  genre  jouissent  de  cette  fa- 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  Î7I 
culte.  Je  possède  quelques  échantillons  de  marbre 
de  Carrare  qui  jettent  beaucoup  d’étincelles, 
sur-tout  dans  les  endroits  où  ils  sont  spathiques* 
On  peut  en  dire  autant  de  l’effervescence  3 il  est 
des  pierres  calcaires  que  les  acides  dissolvent 
sans  y exciter  aucun  mouvement. 

Pour  savoir  donc  à quoi  m’en  tènir  sur  cette 
prétendue  transformation  de  la  chaux  en  silex,  je 
pensai  qu’il  fallait  recourir  à l’analyse  chimique  * 
et  lui  soumettre  des  fragmens  du  même  morceau, 
les  uns  blancs  , les  autres  passant  du  blanc  au 
rouge  : ceux-ci  d’un  rouge  clair  , ceux-là  d’un 
rouge  foncé.  En  voici  les  résultats.  Dans  les  pre- 
miers fragmens , je  trouvai  une  dose  de  chaux 
très-forte , et  une  petite  de  terre  siliceuse  ( je 
passe  sous  silence  le  gaz  carbonique  et  le  peu 
d’alumine  qui  y existaient  ) 3 dans  les  seconds  , 
une  forte  dose  de  chaux  , et  une  médiocre  de 
terre  siliceuse  3 dans  les  troisièmes  > une  dose 
médiocre  de  chaux  , et  une  forte  de  terre  sili- 
ceuse 3 enfin  dans  les  quatrièmes , une  dose  très- 
forte  de  terre  siliceuse , et  une  très-petite  de 
chaux.  Ces  faits  me  dispensèrent  de  recourir  à 
des  métamorphoses  imaginaires  pour  expliquer 
les  gradations  dont  j’ai  parlé.  Les  silex  qui  cons- 
tituent une  même  couche  avec  la  pierre  calcaire, 
annoncent  qu’ils  ont  été  produits  en  même  temps, 

M a 


175  VOYAGES 

c’est-à-dire  , à l’époque  où  les  eaux  de  îa  mer, 
chargées  de  particules  calcaires  et  siliceuses,  en 
ont  abandonné  dans  ce  lieu  les  nombreux  sédi- 
mens.  Quand  ces  dernières  se  sont  trouvées  réu- 
nies ensemble  en  grande  abondance,  elles  se  sont 
aglutinées  par  la  force  d’affinité , et  ont  formé  , 
par  la  précipitation , des  couches  siliceuses  en 
continuation  avec  les  calcaires.  Quand,  au  con- 
traire , les  particules  siliceuses  se  sont  trouvées 
en  moins  grand  nombre  relativement  aux  cal- 
caires , elles  se  sont  unies  à ces  dernières,  et  ont 
formé  les  mélanges  des  deux  terres  dans  les  pro= 
portions  indiquées  par  les  analyses  précédentes. 

Il  ne  faut  pas  oublier  que  ces  silex  n’ont  pas 
toujours  une  connexion  directe  avec  la  pierre 
calcaire  $ ils  s’y  trouvent  quelquefois  interposés 
sous  la  forme  de  globes , ou  de  lentilles  revêtues 
d’une  croûte  grisâtre  , telle  qu’on  en  voit  sur 
une  multitude  de  cailloux  de  ce  genre.  Il  est 
possible  que  îa  génération  de  ces  globes  , de 
ces  lentilles  siliceuses , soit  postérieure  , et  que 
la  filtration  les  ait  produites  après  la  formation 
des  lits  calcaires. 

Je  ne  dirai  rien  des  autres  carrières  ouvertes 
dans  diverses  parties  des  monts  Euganéens  : elles 
ne  m’ont  fourni  aucune  nouvelle  remarque  à 
ajouter  aux  précédentes. 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  1-73 
Mais  , pour  revenir  aux  productions  volca- 
niques , je  parlerai  d\me  espèce  de  lave  très- 
curieuse.  Près  de  Teolo  , s’élève  une  petite  col- 
line appelée  le  mont  du  Boldu  y composée 
principalement  de  globes  pierreux  de  diverses 
grosseurs  , dont  la  contexture  présente  des  cou- 
ches étroitement  liées  avec  un  noyau  central. 
Ces  globes , de  couleur  ferrugineuse  , sont  par- 
semés de  points  brillans  que  l’on  prendrait  pour 
des  micas  ; mais  en  les  examinant  avec  atten- 
tion, on  découvre  que  ces  points  sont  autant  de 
particules  de  pierre  de  poix  , dite  pechstein  par 
les  Allemands.,  Vues  au  grand  jour , elles  pa- 
raissent de  couleur  plus  ou  moins  blonde,  et 
chacune  est  douée  d’un  certain  degré  de  trans- 
parence. Elles  sont , non  combinées , mais  unies 
mécaniquement  à une  base  de  pierre  de  corne 
molle  et  grenue.  Traités  avec  le  feu,  ces  globes 
se  fondent  en  un  émail  noir,  opaque,  solide  et 
compacte. 

Cette  observation  me  donna  lieu  de  croire  que 
je  trouverais  dans  queîqu’endroit  des  monts  Eu- 
ganéens  la  lave  résiniforme.  Je  la  découvris  en 
effet  dans  une  petit©  vallée  au  sud,  située  sous 
Bajamonte.  Elle  y constitue  un  filon  de  trente- 
cinq  pieds  environ  de  longueur,  et  de  neuf  pieds 
et  demi  de  largeur.  Elle  est  très-altérée  à la  sur- 


M 3 


VOYAGES 


Iji 

face,  et  se  brise  facilement  sous  les  doigts  : in-* 
térieurement  elle  est  moins  molle , mais  encore 
friable.  Les  morceaux  qui  se  trouvent  rompus 
dans  le  filon  prennent  souvent  une  forme  ovoïde, 
et  cette  forme  reparaît  encore  quand  on  les  ré* 
duit  en  plus  petits  morceaux.  On  sait  qu’en  hu- 
mectant une  pierre  brute  , on  produit  sur  elle 
l’effet  d’un  demi-poli  ; pour  faire  ressortir  la 
couleur  de  celle-ci , il  faut  donc  la  mouiller  ; 
alors  elle  prend  le  véritable  aspect  de  la  pierre 
de  poix.  Elle  présente  en  quelques  endroits  des 
teintes  d’un  rouge  tantôt  pâle  , tantôt  foncé , 
quelquefois  tirant  sur  le  jaune , et  on  dirait  de 
l’ambre;  en  d’autres,  un  mélange  léger  de  bleu, 
de  vert , de  blanc.  Sa  cassure  est  toujours  irré- 
gulière , inégale  à la  surface , peu  luisante  , et 
transparente  dans  les  bords.  Elle  renferme  des 
feîd-spaths  disposés  en  tables , friables,  peu  bril- 
lans , distribués  inégalement  dans  sa  pâte  : elle 
se  brise  à chaque  coup  de  briquet , et  ne  donne 
aucune  étincelle. 

L’action  du  feu  , soutenue  pendant  quelques 
heures,  ôte  à cette  lave  ses  propres  couleurs, 
et  lui  en  donne  une  cendrée  3 elle  lui  enlève  sa 
friabilité,  sa  mollesse,  et  la  met  en  état  de  pouvoir 
fournir  quelques  étincelles  : elle  ressemble  alors  à 
une  pâte  de  porcelaine,  Si  l’on  prolonge  l’épreuve, 


DANS  LES  DEUX  5ICILES.  178 
îa  couleur  cendrée  reste  5 on  voit  se  former  un 
grand  nombre  de  bulles  , et  la  lave  se  convertit 
en  un  émail  homogène  et  vésiculaire  : les  feld- 
spaths  se  fondent, 

La  petite  vallée  de  Bajamonte  n’est  pas  ce- 
pendant le  seul  endroit  qui  fournisse  cette  espèce 
de  lave  5 j’en  ai  trouvé  ailleurs , et  d’abord  je 
nommerai  le  mont  Sieva  et  ses  environs.  Elle  y 
forme  des  bancs  ou  filons  , dont  les  directions 
sont  tantôt  obliques , tantôt  perpendiculaires  à 
l’horizon.  Un  de  ces  derniers  filons  possède  ab- 
solument la  couleur , le  lustre  de  la  pierre  de 
poix  : il  renferme  des  feld-  spaths.  Extérieure- 
ment sa  lave  ne  diffère  point  de  la  précédente  ; 
on  y découvre  cependant  une  particularité  qui 
la  rend  précieuse  aux  yeux  du  volcaniste.  Les 
pierres  ponces  sont  un  genre  de  productions  qui 
dénotent  visiblement  l’action  du  feu.  Un  voya- 
geur qui  rencontrerait  dans  les  montagnes  un 
filon  dont  l’origine  lui  paraîtrait  incertaine,  mais 
qui  le  verrait  passer  immédiatement  à l’état  de 
ponce,  ne  se  tromperait  point  en  le  jugeant 
volcanique.  C’est  ce  qui  m’est  arrivé  en  exami- 
nant la  roche  en  question  , laquelle  renferme  des 
groupes  plus  ou  moins  gros  de  ponces  fibreuses, 
légères  , cellulaires  , non  pas  simplement  en- 
castrés , mais  formant  un  seul  corps  avec  elle  ^ 

M 4 


1 


VOYAGES 


S 76 

de  manière  que  ces  ponces  paraissent  être  des 
parties  même  de  la  roche  , qui  , par  un  coup 
de  feu  plus  fort  , ou  peut-être  par  une  plus  grande 
facilité  à se  vitrifier , ont  passé  à cet  état» 

Outre  une  lave  à base  de  pétro- silex,  très- 
semblable  au  pétro-silex  naturel  par  sa  densité  , 
quoique  fusible  au  fourneau,  le  mont  Sieva  four- 
nit un  filon  de  lave  résiniforme  d’une  plus  grande 
extension  , posé  presque  verticalement.  Elle  a 
la  couleur  de  la  résine , un  lustre  agréable , de 
la  finesse  dans  le  grain  , de  la  compacité  5 mais 
elle  n’a  pas  assez  de  dureté  pour  étinceler  sous 
le  choc  de  l’acier.  Sa  cassure  est  lisse  et  nette  ; 
ses  fragmens  sont  irréguliers , seini-transparens 
aux  extrémités  : elle  renferme  des  feld-spaths 
qui  ont  l’aspect  vitreux. 

Au  reste  cette  lave  , telle  que  je  viens  de  la 
décrire , ne  compose  pas  à elle  seule  tout  le 
filon  5 elle  ne  forme  que  de  petits  morceaux 
étroitement  liés  par  une  substance  pierreuse  qui 
leur  a servi  de  gluten  , ou  , si  l’on  veut , de  ci- 
ment. Ces  morceaux  n’ont  point  été  roulés  et 
arrondis  5 ils  sont  au  contraire  irréguliers  et  aigus 
dans  les  angles.  Il  parait  de-là  que  cette  lave 
a été  déchirée  et  réduite  en  éclats  par  une  force 
quelconque,  mais  puissante,  et  qu’ensuite  les 
débris  en  ont  été  saisis  par  une  substance  pier- 


DAirs  LES  DEUX  SICILE  S.  IJJ 
reuse  ; et  cette  substance  bien  examinée , ne  pa- 
raît être  qu’une  poussière  très- fine  de  la  même 
lave  qui  s’est  aglutinée , et , de  plus,  a enveloppé 
d’autres  petits  corps  étrangers. 

Au  Cataïo  , terre  appartenant  au  marquis  des 
Obizzi , on  voit  des  brèches  semblables  au  pied 
de  la  montagne  , où  Ton  a pratiqué  de  pro- 
fondes carrières  $ elles  sont  liées  par  un  ciment 
congénère  : la  seule  différence  est  que  les  frag- 
mens  de  lave  résiniforme  sont  beaucoup  plus 
petits. 

Dans  un  autre  endroit  de  cette  montagne  , 
la  même  lave  reparaît  5 mais  ce  n’est  plus  sous 
la  forme  de  brèche  : elle  est  disposée  par  petits 
filons , et  ressemble  beaucoup  à celle  de  Ba- 
jamonte. 

Les  expériences  auxquelles  j’ai  soumis  la  pre- 
mièrei  espèce  de  lave  résiniforme  , je  les  ai  ré- 
pétées sur  les  suivantes,  sans  en  excepter  la  base 
des  brèches  ci-dessus  indiquées  , et  j’en  ai  ob- 
tenu la  même  qualité  d’émail  cendré  et  cellu- 
laire. 

J’ai  dit  que  ces  laves  ressemblent  à la  pierre 
de  poix  5 elles  en  diffèrent  cependant  par  une 
propriété  remarquable  qui  consiste  dans  une 


VOYAGES 


178 

facilité  extrême  à tomber  en  fusion  , tandis  que 
la  pierre  de  poix  est  réfractaire  à un  feu  violent. 

Ayant  à ma  disposition  plusieurs  pierres  de 
poix  non  volcaniques,  je  voulus  en  faire  l’essai  au 
fourneau.  J’en  choisis  neuf  : trois  de  l’île  d’Elbe 5 
une  cendrée  et  presqu’opaque , une  semi-trans- 
parente et  jaunâtre, une  opaque  et  tirant  sur  le 
noir  • trois  d’Allemagne  , une  jaune  , une  rouge, 
une  noire  , et  chacune  opaque  5 trois  des  Pyré- 
nées, une  rouge,  une  verdâtre  , et  une  tenant 
le  milieu  entre  le  vert  et  le  bleu  pâle , chacune 
peu  transparente  dans  les  angles.  Les  six  pre- 
mières , après  avoir  été  tourmentées  par  le  feu 
pendant  quarante-huit  heures,  n’ont  donné  au- 
cun signe  de  liquéfaction  ; elles  sont  devenues 
blanches,  très  - légères  , et  friables  entre  les 
doigts.  Il  n’en  a pas  été  de  même  de  celles  des 
Pyrénées , qui  se  sont  converties  en  un  très-bel 
émail  blanc,  étincelant  sous  le  briquet,  et  plein 
de  petites  bulles.  Les  pierres  de  poix  de  la  Saxe 
qui  existent  dans  des  lieux  non  volcanisés , sont 
de  même  fusibles  à un  feu  très-modéré  , comme 
l’a  observé  Lamétherie. 

On  a donné  diverses  analyses  de  la  pierre  de 
poix , ou  pechstein.  Bergman  en  a extrait  une 
forte  dose  de  silice , une  moindre  d’alumine  , eE 
une  plus  petite  de  chaux. 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  I79 
Une  autre  pierre  de  ce  genre  y analysée  par 
Wiegleb  } a donné  : 


Silice  ...... 65. 

Alumine  . 16. 

Fer 5 . 


Les  quatorze  parties  restantes  pour  compléter 
le  nombre  de  cent  ont  été  perdues  dans  l’opé~ 
ration. 

Une  troisième  pierre  a fourni  à Gmelin  : 


Silice  go. 

Alumine 7. 

Fer  3, 


Les  laves  résiniformes  des  monts  Euganéens 
n’avaient  point  encore  été  analysées  chimique- 
ment 5 je  voulus  faire  ce  travail  sur  les  trois  dont 
j’ai  parlé.  En  voici  les  résultats  : 

I.  Lave  résiniforme  au-dessous  de  Bajamonte „ 


Silice 

71* 

Alumine  ..... 

18. 

Chaux 

4 ■ 

Fer 

5. 

l8o  VOYAGES 

II.  Lave  rêsiniforme  du  mont  Sieva  en  très- 

beaux  morceaux  , et  bien  conservés . 

'Silice : ....  j3  {. 

Alumine  ..........  14. 

Chaux  . . y ........  8. 

Fer 5 f 

N \ 

III.  Lave  rêsiniforme  du  mont  Sieva  qui  sert  de 
ciment  ou  de  base  aux  morceaux  ci-dessus. 

Silice . . 68 

Alumine *19. 

Chaux 8. 

Fer  ............  2. 

En  comparant  ces  trois  analyses  de  laves  ré- 
siniformes  des  montagnes  de  Padoue  avec  celles 
de  Bergman  , de  Wiegleb  et  de  Gmeiin,  on  voit 
que  la  partie  dominante  dans  les  six  pierres  est 
la  terre  siliceuse  5 que  l’alumine  s’y  trouve  en 
dose  médiocre  ou  petite,  ainsi  que  la  chaux  et 
le  fer.  Il  est  donc  évident  qu’elles  appartiennent 
au  même  genre.  L’infusibilité  qui  est  propre  à 
certaines  pierres  de  poix  non  volcaniques,  n’est 
pas  une  différence  essentielle  5 il  en  est  d’elles 
comme  des  pétro-silex,  dont  les  uns  se  fondent, 
et  les  autres  sont  réfractaires.  Au  reste,  ce  n’est 
pas  une  propriété  commune  à toutes  les  laves  rési- 


I 

DANS  LES  DEUX  SICÏLES.  iBl 
niformes  , que  celle  de  se  liquéfier  avec  facilité  ; 
le  mont  du  Mussato,  dont  je  parlerai  bientôt, 
contient  des  laves  de  ce  genre , qui  exigent  un 
feu  soutenu  pendant  plusieurs  jours  de  suite  pour 
se  fondre  entièrement.  Celles  des  îles  Ponces , 
qui  sont  d’un  blond  pâle , qui  ont  la  cassure  nette 
et  lisse  , ne  font , au  bout  de  quelques  heures , 
que  se  colorer  d’un  rouge  foncé , et  ne  tombent 
en  fusion  qu’au  bout  de  trente  heures. 

Il  est  remarquable  que  presque  toutes  les 
laves  résiniformes  , quelle  qu’en  soit  la  couleur, 
rougissent  dès  qu’elles  sentent  l’action  du  feu. 

Ce  sont  ces  laves  , très-abondantes  dans  les 
monts  Euganéens  , qui  donnèrent  lieu  à l’erreur 
du  Père  Terzi , religieux  Bénédictin  5 il  les  prit 
pour  de  grands  amas  de  verre  , et  fit  part  de 
sa  découverte  dans  des  lettres  publiées  il  y a 
quelques  années.  Entr’autres  lieux  cités,  il  disait 
en  avoir  trouvé  de  gros  filons  dans  le  mont  du 
Mussato  et  à Brécalon.  La  nouvelle  causa  de  la 
surprise  aux  naturalistes  de  Padoue  , et  sur-tout 
à l’abbé  Fortis,  qui  ayant  plusieurs  fois  parcouru 
ce  pays  pour  en  examiner  les  fossiles,  n’y  avait 
jamais  rencontré  du  verre.  Pour  s’assurer  du 
fait , il  se  transporta  de  nouveau  sur  les  lieux, 
reconnut  l’équivoque  du  Père  Terzi , et  détrom- 
pa le  public  dans  un  écrit  plein  de  savoir , inti- 


1É2  , V O Ÿ A G E a 

talé  : Mémoires  sur  diverses  parties  des  mon * 

tagnes  de  Padoue . 

En  17g  2 5 au  mois  de  septembre  , le  marquis 
Antonio  Orologio  et  moi , nous  allâmes  visiter 
cet  habile  physicien  dans  sa  maison  de  campagne 
de  Galzignano  $ il  nous  conduisit  au  mont  du 
Mussato  , dans  l’endroit  même  où  le  Père  Terzi 
avait  cru  voir  de  gros  filons  de  verre.  Nous  y 
reconnûmes  tous  les  trois  une  simple  lave  résini- 
forme  analogue  aux  précédentes  , et  constituant 
deux  espèces  distinctes,  La  première  est  entre- 
coupée par  de  petites  veines  de  terre  blanche , 
laquelle  s’attache  à la  langue  et  sent  l’argile.  Au 
moyen  de  ces  veines , la  lave  paraît  divisée  en 
compartimens.  Elle  renferme  divers  corps  étran- 
gers très-remarquables  ; ce  sont  de  petits  frag- 
mens  de  roche  de  corne  , manifestant  cette  po- 
rosité qui  caractérise  les  vraies  laves  y tel  entre 
autre  un  fragment  de  la  grosseur  de  deux  pouces 
renfermé  dans  un  des  échantillons  de  cette  lave, 
que  j’ai  déposé  au  muséum  de  Pavie.  Ce  frag- 
ment de  roche  de  corne  est  parfaitement  con- 
servé et  très-poreux  : ses  pores  arrondis  et  ellip- 
tiques, indiquent  qu’il  a fait  partie  d’un  courant. 

La  seconde  espèce , à en  juger  par  mes  échan- 
tillons, est  analogue  à la  première,  tant  par  la 
pâte  que  par  la  couleur  semblable  à celle  de  la 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  J 83 
térébenthine,  mais  plus  foncée  et  moins  vive* 
Elle  en  diffère  en  ce  qu’elle  forme  des  masses 
par  elle-même,  et  qu’elle  abonde  en  feld-spaths 
irréguliers  , peu  ou  point  brillans. 

De  toutes  les  laves  résiniformes  que  j’ai  ren^ 
contrées  dans  les  monts  Euganéens,  cette  der- 
nière est  la  plus  compacte  , la  plus  pesante  , la 
plus  dure  • mais  les  yeux  suffisent  pour  saisir  la 
différence  qu’il  y a entre  ces  sortes  de  laves  et 
le  verre  volcanique.  L’idée  de  ce  verre  est  prise 
de  celle  que  nous  nous  sommes  formée  du  verre 
artificiel  , et  nous  savons  que  la  nature  de  ce 
dernier  est  d’avoir  de  la  transparence , de  jeter 
un  grand  éclat,  d’être  composé  de  particules 
imperceptibles  , de  se  rompre  en  morceaux  an- 
guleux dont  les  bords  sont  minces , les  pointes 
tranchantes  et  aiguës  ; d’avoir  la  cassure  lisse  et 
glissante,  ou  striée,  ondoyante  et  courbe.  Aucun 
de  ces  caractères  n’est  étranger  au  verre  vol- 
canique , tandis  que  dans  la  lave  résiniforme  , 
on  voit  une  surface  terne , une  pâte  fine , à la 
vérité  , mais  non  comparable  à celle  du  verre  ; 
une  cassure  moins  lisse,  point  tranchante  3 déplus, 
sa  transparence  est  très-faible  et  souvent  nulle. 
Elle  se  distingue  encore  du  verre  volcanique  par 
un  moindre  degré  de  dureté.  Celui  - ci , pour 
l’ordinaire , est  assez  dur  pour  tirer  des  étincelles 


184  VOYAGES 

de  l’acier,  tandis  que  la  lave  résiniforme  n’en 
produit  aucune  , et  se  brise  à chaque  coup  de 
briquet.  Enfin  le  poids  est  comparativement  plus 
grand  dans  le  verre  que  dans  la  lave. 

Mais  si  le  Père  Terzî  voulait  ne  conserver  au- 
cun doute  sur  la  nature  de  ces  filons  ,*  il  n’aurait 
qu’à  en  faire  fondre  un  petit  morceau  dans  le 
creuset  j le  résultat  serait  un  véritable  émail 
ayant  un  aspect  vitreux,  qui  n’apparaissait  point 
auparavant  dans  la  la^e.  Ainsi  cette  substance 
doit  être  exclue , non-seulement  de  la  classe  des 
verres  volcaniques  , mais  encore  de  celle  des 
émaux. 

Dans  une  de  nos  excursions , le  marquis  Oro- 
logio  et  moi  , nous  nous  rendîmes  à Praglia  , 
et  nous  visitâmes  l’antique  monastère  des  Bé- 
nédictins , où  nous  fûmes  reçus  avec  beaucoup 
d’empressement  parle  Père  Terzi.  Il  nous  mon- 
tra la  collection  volcanique  qu’il  avait  faite  dans 
les  monts  Euganéens,  et  nous  fit  présent  de  quel- 
ques morceaux  qui  méritent  une  description  par- 
ticulière. 

Le  premier  est  un  amalgame  de  feld-spaths 
irréguliers  , blancs  , friables,  et  de  schorls  noirs, 
prismatiques  , brillans  , et  très-analogues  à cer- 
taines espèces  de  tourmaline.  Traité  avec  le  feu, 

cet 


BANS  LES  DEUX  SICILE  S.  l8§ 

oet  amalgame  se  fond  en  un  émail  très-noir  , 
très-dense  , et  parsemé  de  points  blancs  , c’est- 
à-dire  , de  feld-spatbs  à demi-vitrifiés  : les  schorls 
sont  attirables  à l'aimant  à la  distance  d’une  ligne 
et  quatre  cinquièmes.  D’après  l’indication  du 
Père  Terzi , on  trouve  cette  production  à Schi- 
vanoïa. 

Le  second  , provenant  de  .Monte-Merio  , pré- 
sente une  agrégation  de  felçUspaths  très-blancs  et 
lui&ans,  de  couleur  changeante  et  semi-cristalli- 
sés ; ils  se  fondent  dans  le  creusent  en  un  verre 
blanc,  un  peu  spongieux , mais  dur. 

Le  troisième  , du  même  lieu  ; sè  fait  prendre 
au  premier  aspect  pour  une  pierre  ponce,  parce 
qu’il  surnage  sur  l’eau.  Mais  quand  on  l’examine 
attentivement , on  ne  voitqu’une  scorie  vitreuse, 
assez  dure  dans  ses  parties  solides  pour  tirer 
des  étincelles  du  briquet  , gonflée  et  rendue 
spongieuse^par  l’action  du  feu  et  des  substances 
aeriformes  : elle  se  vitrifie  parfaitement  dan$  le 
creuset. 

Le  quatrième  et  le  cinquième , l’un  de  Mas- 
eabo près Praglia, l’autre  de  Tramonte,  n’étaient 
que  des  laves  résmiformes  que  le  Père  Terzi  pre- 
nait pour  des  verres. 


Je  n’eus  pas  le  temps  de  vérifier  ces  indica- 
Tomelll.  N 


1 86  VOYAGES 

tions  locales  ; sans  doute  elles  étaient  exactes, 
je  puis  du  moins  l’assurer  quant  aux  deux  autres 
productions  dont  je  vais  parler,  les  ayant  re- 
vues dans  Ips  endroits  mômes  que  ce  religieux 
m’av.ajt  désignés. 

L’une  gît  au  pied  d’un  rocher  élevé , nom- 
mé la  Pendise  , et  forme  un  filon  qui  court  de 
l’est  à l’ouest  : c’est  un  de  ceux  que  le  Père 
Terzi  avait  qualifiés  de  verre.  Certainement  si , 
après  en"  avoir  enlevé  l’écorce  qui  est  en  dé- 
composition , et  a par  conséquent  perdu  la  plu- 
part de  ses  caractères  , on  le  considère  en  bloc  , 
on  croit  voir  une  véritable  substance  vitreuse. 
L’aspect  en  est  lisse  et  brillant,  un  peu  onc- 
tueux /qualité  propre  à certains  verres  volca- 
niques moins  parfaits  que  les  autres.  Mais  en  le 
considérant  dans  la  cassure  , on  n’en  retrouve 
plus  les  caractères  3 point  de  finesse  dans  la  pâte, 
point  de  stries  ondoyantes  à la  surface , point 
de  tranchant  dans  les  bords  et  dans  les  angles. 
Sans  crainte  de  se  blesser , on  peut  en  rouler 
les  fragmens  entre  les  doigts,  ce  qu’on  ne  ferait 
pas  impunément  avec  le  verre  volcanique.  On 
sait  d’ailleurs  que  les  roches  primordiales  qui 
passent  à l’état  de  verre  par  l’action  des  feux 
souterrains  ne  sont  plus  reconnaissables,  qu’elles 
perdent  leur  structure  primitive , et  qu’elles  se 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  187 
réduisent  avec  les  substances  étrangères  qui  y 
sont  renfermées , telles  que  les  scborls  et  les 
feld-spaths,  en  une  masse  similaire  et  homo- 
gène. Mais  la  roche  ci-dessus  ne  dément  point 
son  origine  ; on  s’apperçoit  qu’elle  dérive  d’un 
pétro-silex  vert  obscur,  dont  la  cassure  est  un 
peu  écailleuse  et  conchoïde  , le  grain  médiocre- 
ment fin , qui  n’étincelle  point  avec  le  briquet, 
et  n’a  qu’un  léger  degré  de  transparence  dans 
les  bords.  Les  feld-spaths  et  les  micas , au  lien 
de  faire  avec  sa  base  une  pâte  homogène  , s’y 
sont  maintenus  dans  une  conservation  parfaite. 
Dans  les  endroits  où  le  pétro-silex  n’a  pas  été 
altéré  , il  est  impossible  de  déterminer  la  cris- 
tallisation des  feld  - spaths  ; mais  , comjne  ils 
tiennent  peu  dans  la  croûte  superficielle  où  la 
base  a été  en  partie  détruite , il  est  aisé  de  les 
en  détacher  entiers , et  l’on  voit  que  ce  sont 
de  petits  cristaux  prismatiques,  à faces  tétraè- 
dres , rectangulaires.  On  ne  peut  donc  donner 
le  nom  de  verre  à cette  roche  : on  doit  tout  au 
plus  la  reconnaître  pour  une  lave  vitreuse. 

A coté  de  ce  filon  de  roche  volcanique  , il 
existe  une  autre  roche  congénère  , qui  renferme 
également  des  micas  et  des  feld-spaths  de  même 
nature;  sa  couleur  est  d’un  vert  clair;  sa  dureté 
est  plus  grande  , mais  elle  n’a  pas  le  lustre  de 

N 2 , 


1 88  VOYAGES' 

îa  première.  Ces  deux  roches  , placées  dans  fe 
creuset  , se  convertissent  en  un  émail  cendré  ; 
les  teid-spatns  se  fondent  entièrement  $ les  micas 
sont  réfractaires,  et  paraissent  comme  autant  de 
points  noirâtres  dans  l’émail. 

î/âutre  production  m’avait  été  indiquée  par 
îè  *Pkrè  Terzi  près  de  l’église  de  Valsanzibio,  il  t 
m’en  avait  parlé  comme  d’un  verre  errant  ; et 
en  ‘effet,  l’échantillon  qu’il  me  montra  chez  lui 
ine  parut  en  avoir  tous  les  caractères  5 il  était 
hoir,  etfaisait  feu  avec  le  briquet.  Je  me  félicitai 
àvëë  lùi  de  son' heureuse  découverte  , et  n’eus^ 
rien  ae  plus  pressé  que  de  me  rendre  à Val- 
sanzibio  pour  me  mettre  à la  quête  de  ce  verre. 
3’ëh  trouvai  en  effet  plusieurs  morceaux  , non 
‘sous  terre , ou  tenant  à Un  rocher , mais  épars 
à là  surface  dès  champs  ou  sur  les  chemins  r 
ce  qui  me  lit  tiaître  quelque  doute.  Ayant  in- 
terrogé les  nabi  tari  s dû  lieu  , ils  me  dirent  que 
dés  bergers  avaient  enlevé  ces  verres  aux  gro- 
tesques qui  embellissent  les  fontaines  du  jardin 
de  Barbarigo , et  que  les  ayant  ensuite  trouvés 
inutiles  , ils  les  avaient  jetés  çà  et  là.  C’était  la 
vérité,  car  m’étant  approché  de  ces  fontaines, 
je  vis  que  les  verres  qui  y tenaient  encore  étaient 
semblables  à ceux  que  j’avais  rencontrés  dans 
les  châîüps,  et  je  sus  par  le  jardinier  qu’ils  avaient 


DANS  IBS  DJCX  SÏCILES. 

été  pris  dans  les  scories  des  fourneaux  de  Mu- 
raoo  près  V enise. 

Je  ne  citerai  plus  qu’un  échantillon  de  U col- 
lection volcanique  du  Père  Terzi.  C’était  encore, 
selon  lui , un  verre  de  volcan  trouvé  à Monte- 
Merlo.  N’ayant  pas  été  sur  les  lieux , je  ne  puis 
prononcer  sur  son  origine,  }\  était  noir, compacte 
et  pesant.  Peut-être  provenait-il  des  eiobrase- 
mens  souterrains  de  ce  pays,  éteints  depuis  tant 
de  siècles.  Strange lui-même,  dans  son  Catalogue 
raisonné  , n°.  62  , fait  mention  de  quelques  mor- 
ceaux solitaires  de  verre  fossile  trouvés  dans  les 
monts  Euganéens.  Quoi  qu’il  en  soit , celui  des 
fourneaux  de  Murano  doit  nous  apprendre  à sus- 
pendre notre  jugement  sur  l’état  volcanique  d’un 
pays  , quand  nous  n’en  avons  d’autre  indice  que 
quelques  morceaux  errans  de  verre  , de  scorie, 
ou  de  telle  autre  substance  travaillée  par  le  feu; 
et  quand  tout  nous  prouverait  que  ce  feu  a été 
volcanique,  encore  devrions-nous  être  en  doute 
sur  la  volcanisation  même  du  pays.  J’en  puis 
apporter  un  exemple  , qui  s’offrit  à moi  dans 
l’excursion  que  je  fis  au  sommet  du  Cap-Colonne, 
promontoire  de  l’Attique,  distant  de  vingt  et  un 
milles  d’Athènes  , en  1785,  allant  à Constantino- 
ple avec  le  chevalier  Zulian , ambassadeur  de  Ye- 
nise.  Là  , je  fus  surpris  de  voir  éparses  sur  la  terra 

N 3 


VOYAGES 


îgo 

des  pierres  ponces  ; car  , d’ailleurs  , la  montagne 
ne  me  présentait  aucun  signe  de  volcanisation. 
Elles  étaient  de  l’espèce  légère  qui  se  soutient  à la 
surface  de  Feau  , et  globuleuses , ce  qui  me  fit 
soupçonner  qu’elles  avaient  été  roulées.  En  des- 
cendant de  ce  promontoire,  j’allai  vers  la  plage 
près  d’une  langue  étroite  de  terre  battue  par  les 
flots  j et  j’y  trouvai  trois  ponces  semblables  qui 
m’éclairèrent  sur  l’origine  de  celles  qui  existaient 
au  sommet  de  la  montagne  , à cent-soixante  pieds 
de  hauteur,  où  elles  avaient  été  indubitablement 
transportées  par  les  hommes  $ car  les  unes  et 
les  autres  étaient  du  nombre  de  celles  que  les 
courans  de  la  mer  amènent  sur  les  rivages  : il 
est  à croire  qu’elles  provenaient  de  quelqu’île 
volcanique  de  l’Archipel , peut-être  de  Santorin  , 
qui  en  est  une  mine  inépuisable. 

Les  raisons  que  l’on  a de  douter  de  certaines 
relations  qui  disent  d’un  pays  qu’il  est  volca- 
nique, par  cela  seul  qu’on  y voit  des  corps  er- 
rans  portant  l’empreinte  des  feux  souterrains  , 
peuvent  également  s’appliquer  à d’autres  rela- 
tions , qui  assurent  la  même  chose  sur  des  fon- 
demens  non  moins  incertains.  Ici , dit-on  , il  a 
existé  un  volcan  , parce  que  les  matières  sont 
noires  , et  que  par  conséquent  elles  dénotent 
Faction  du  feu  y là  , parce  que  l’on  voit  des 


PANS  LES  DEUX  SICILE  S.  1(^£ 
laves  qui  ont  déchiré  le  sein  d’une  montagne , 
ou  des  bancs  de  roches  volcaniques  interposés 
dans  ses  crevasses. 

Ils  ne  sont  pas  rares } les  auteurs  qui , sans  autre 
spécification  , usent  de  telles  expressions , ou 
d’autres  équivalentes  , pour  annoncer  à leurs 
lecteurs  la  découverte  de  quelqu’ancien  volcan 
éteint.  Je  ne  nie  pas  que  le  fait  qu’ils  avancent 
ne  puisse  être  vrai , mais  je  soutiens  que  les  ca- 
ractères qu’ils  lui  assignent  sont  équivoques , et 
même  trompeurs.  Si  plusieurs  substances  vol- 
caniques sont  noires , à divers  degrés  ; si  cette 
couleur  s’y  conserve  pendant  une  longue  suite 
de  siècles  , comme  dans  les  laves  des  îles  Æo- 
liennes , il  en  est  d’autres  où  elle  s’évapore  et 
se  perd  avec  le  temps  , comme  dans  la  plupart 
des  laves  du  Vésuve  et  de  l’Etna  , qui , plus  ou 
moins  noires  dans  le  principe , finissent  par  res- 
sembler à de  la  terre  commune.  Il  suffit  de  jeter 
les  yeux  sur  les  éruptions  récentes  , sur  celles 
du  moyen  âge  , et  sur  les  plus  anciennes  de 
ces  deux  volcans  , pour  se  convaincrê  de  cette 
mutation  de  couleur.  Il  y a plus  $ les  laves  mê- 
mes très -récentes  ne  sont  pas  toujours  noires. 
Souvent  des  roches  primordiales  , après  avoir 
été  tourmentées  par  le  feu  } retiennent  encore 
la  couleur  qui  leur  est  propre.  Ainsi  telle  lave 

■N  4 


V O Ÿ A G E S 


ï52 

éstî  noire  parce  que  c’était  ta  couleur  de  sa  roche* 
k pierre  de  corne  par  exemple  ; une  autre  est 
grise*  cendrée  ou  blanche  * parce  qu’elle  dérive 
du  feld- spath  ou  du  pétro -silex.  Cette  diversité 
de  couleur  * noire  * grise  * cendrée  * ou  plus  ou 
moins  blanche  * appartenant  aux  roches  primi- 
tives * se  remarque  jusque  dans  les  émaux  et 
îês  verres  qui  proviennent  de  ces  mêmes  roches 
fondues  dans  le  creuset.  Il  est  donc  évident  que 
la  simple  couleur  des  matières  est  un  signe  équi- 
voque de  leur  vulcanisation. 

Mais  on  n’avance  rien  de  plus  concluant  * 
quand  on  se  bo’rne  à dire  qu’il  existe  dans  un 
pays  des  bancs  de  roches  volcaniques  ; cette 
assertion  est  trop  vague  pour  satisfaire  l’esprit. 
Dans  l’état  actuel  de  nos  connaissances*  on  exige 
de  l’exactitude  et  de  la  précision.  On  demandera 
à un  relateur  qui  dit  * fai  vu  des  matières  vol- 
caniques * quelle  est  la  nature  de  ces  matières  ; 
sont -ce  des  cendres*  des  verres  * des  émaux  , 
des  scories  , des  laves  ? On  lui  demandera  de  les 
désigner  par  leurs  propres  caractères;  car  enfin  * 
l’avancement  de  la  science  dépend  de  l’exacti- 
tude et  de  la  clarté  des  descriptions.  C’est  ainsi 
que  procèdent  les  meilleurs  voîcanistes  * à la 
tête  desquels  se  distingue  Faujas-Saint-Fond  * 
dont  l’ouvrage  intitulé  : Minéralogie  des  vol - 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  lcj3 
cans  , doit  servir  de  guide  et  de  modèle  en  ce 
genre. 

Je  placerai  ici  une  réflexion  générale  sur  les 
laves , qui  m’est  venue  en  considérant  la  struc- 
ture des  monts  Euganéens.  Chacun  sait  que  l’on 
donne  le  nom  de  lave  à une  substance  pierreuse 
qui  s’est  fondue  et  a coulé.  Ainsi , quand  une 
montagne  conique  porte  à son  sommet  un  bassin 
en  forme  d’entonnoir  renversé  , ou  du  moins  en 
conserve  des  traces  sensibles  ; quand  de  ce  bas- 
sin , comme  d’un  centre  commun  , les  couches 
de  roche  vont  se  dirigeant  avec  un  mouvement 
d’ondulation  vers  les  parties  inférieures  , ou  pré- 
sentent à leur  surface  des  tumeurs , des  inégali- 
tés , on  ne  peut  méconnaître  la  présence  des 
laves.  On  a la  même  certitude  , lorsqu’ayant 
d’ailleurs  des  preuves  de  la  volcanisation  d’une 
montagne  , on  voit  les  couches  de  roche  se  di- 
riger du  sommet  vers  la  base  avec  les  mêmes 
ondulations,  quoique  toute  trace  de  cratère  soit 
effacée.  Plusieurs  îles  de  l’archipel  Æoîien  sont 
dans  ce  dernier  cas;  mais  quel  est  l’observateur 
qui  s’est  transporté  sur  la  cime  de  leurs  monts  , 
et  n’a  pas  reconnu , à la  disposition  du  sol , l’efFet 
des  courans  de  lave  ? Cependant  il  y a tel  pays 
travaillé  par  le  feu , où  le  manque  de  ces  circons- 
tances locales  peut  faire  douter  si  les  roches 


VOYAGES 


*94 

volcanisées  qui  s’offrent  à la  vue  ont  véritable- 
ment coulé.  J’éprouvai  cette  incertitude  en  par- 
courant pour  la  première  fois  les  monts  Euga- 
néens  3 et  j’étais  d’autant  plus  disposé  à suspendre 
mon  jugement,  que  j’en  trouvais  le  motif  dans 
mes  propres  observations.  En  réfléchissant  sur  la 
possibilité  que  les  roches  de  ces  monts  n’eussent 
jamais  coulé , quoiqu’elles  manifestassent  inté- 
rieurement des  marques  sensibles  du  feu,  je  me 
rappelai  certains  résultats  de  mes  expériences 
précédentes  sur  les  roches  primordiales  et  sur 
les  laves,  dont  je  vais  rendre  compte  succincte- 
ment, pour  ne  pas  trop  m’écarter  de  mon  objet 
principal. 

J’ai  fait  mention,  dans  le  chapitre  XI,  de  plu- 
sieurs porphyres  à bases  de  pierre  de  corne  et 
de  pétro-silex , qui  se  sont  fondus  dans  le  creu- 
set. Voici  ce  que  l’on  y observe  un  peu  de  temps 
avant  que  la  fusion  arrive.  Les  morceaux,  d’abord 
raboteux  et  anguleux  , acquièrent  une  surface 
lisse  et  vitreuse  3 dans  l’intérieur  , le  grain  prend 
un  aspect  qui  tient  plus  du  vitreux  que  du  si- 
liceux, et  cela  se  voit  même  dans  les  porphyres 
à base  de  pierre  de  corne  ayant  une  apparence 
terreuse.  Ils  s’attachent  ensemble  par  quelques 
points  , mais  n’en  conservent  pas  moins  leurs 
angles  et  leur  figure  primitive.  Cette  dernière 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  lCp 
circonstance  a lieu  dans  les  expériences  sui- 
vantes. 

Le  feld-spath  du  mont  Saint -Gothard  , ou 
Yadulaire  du  Père  Pini , perd  sa  couleur  cha- 
toyante , sa  diaphanéité  , blanchit  dans  son  in- 
térieur, y devient  un  demi-émail,  et  présente 
au-dehors  un  aspect  vitreux. 

Dans  les  feld-spaths  d’ischia  , la  vitrification 
pénètre  de  quelques  lignes  leur  surface. 

Il  existe  une  terre  employée  pour  certaines 
poteries  de  Pavie , et  nommée  biella,  du  lieu  d’ou 
on  la  tire.  Cette  terre  est  composée  d’alumine  , 
de  terre  siliceuse  , et  d’un  peu  de  chaux.  En 
général , elle  est  réfractaire  aux  fourneaux  de 
verrerie  ; cependant  elle  est  sujette  à se  fondre 
lorsque  la  dose  de  chaux  y est  combinée  en  plus 
grande  proportion.  Ayant  fait  avec  cette  terre 
de  petits  globes  et  de  petits  cubes , et  les  ayant 
placés  dans  le  creuset , je  vis  , au  bout  de  quatre 
ou  cinq  heures  , que  la  vitrification  les  avait  pé- 
nétrés de  deux  tiers  de  ligne  , et  môme  d’une 
ligne  entière  , et  -que  leurs  centres  étaient  de- 
venus semi-vitreux. 

Des  efFets  analogues  s’observent  dans  les  laves. 
Elles  prennent  à leur  surface  un  aspect  vitreux 
qui  s’affaiblit  vers  les  parties  centrales.  Plusieurs 


VOYAGES’ 


196 

manifestent  même  dans  ces  parties  des  points 
vitreux,  quoiqu’àuparavant  elles  ne  renfermas- 
sent pas  un  seul  atome  de  verre.  En  général  , 
on  n'y  reconnaît  plus  le  grain  et  le  tissu  de  la 
roche  dont  elles  dérivent , et  on  les  prendrait 
toutes  pour  autant  de  laves  vitreuses. 

Voilà  donc  un  grand  nombre  de  productions 
fossiles  qui  ont  l’apparence  de  laves  .,  et  de  laves 
vitreuses , sans  avoir  jamais  éprouvé  de  fusion  5 
témoins  les  morceaux  de  roche  des  expériences 
ci-dessus,  qui , sortant  du  fourneau  , ont  reparu 
avec  la  configuration  qu’ils  avaient  avant  d*y 
entrer. 

Instruit  par  ces  faits,  j’avoue  que,  visitant  pour 
la  première  fois  les  monts  Euganéens,  et  voyant 
un  théâtre  de  choses  bien  différent  de  celui  que 
m’avaient  offert  les  îles  Æoîiennes  , l’Etna , le 
Vésuve  , je  doutai  s’ils  devaient  leur  origine  aux 
éruptions  volcaniques  , ou  s’ils  préexistaient  aux 
incendies  souterrains  qui,  dans  ce  dernier  cas, 
n’auraient  fait  que  les  pénétrer  , agir  fortement 
sur  eux  en  y gravant  çà  et  là  leurs  traces  ineffa- 
çables, et  les  auraient  laissés  à leur  place  tels  que 
nous  les  voyons  aujourd’hui.  Mais  je  fus  bientôt 
convaincu  que  ces  amas  immenses  de  roches 
avaient  été  formés  par  des  éruptions  ignées,  ou 
courans  de  laves  ; et  je  trouvai  dans  le  phéno- 


1)  ANS  LES  DEUX  SI  CIL  ES,  1$? 

mène  de  leur  porosité  , un  garant  de  la  vérité 
de  mon  opinion.  En  effet  , les  gaz  élastiques  gé- 
nérateurs de  ces  pores , de  ces  cellules , pour- 
raient-ils ainsi  les  former  dans  les  roclies  > si  elles 
n’étaient  ramollies  au  point  de  céder  à l’effort 
expansif  de  ces  substances  aériformes  , effort  qui 
ne  peut  avoir  lieu  que  dans  leur  liquéfaction  ac- 
tuelle ? en  ceci  l’expérience  est  d’accord  avec  le 
raisonnement.  Quand  mes  porphyres  à base  de 
pétro-silex  ou  de  pierre  de  corne  } et  généra- 
lement les  laves  compactes  que  j’ai  soumises  à 
l’action  du  feu  , ont  contracté  on  simple  vernis 
vitreux  , sans  que  les  morceaux  en  soient  venus 
à s’aglutiner,  et  à former  une  seule  masse  uni- 
forme , les  bulles  ne  se  sont  point  montrées  5 
mais  lorsque  la  fusion  s’est  accomplie  > les  bulles 
ont  paru  en  grand  nombre  „ et  d’autant  plus 
grosses  , que  ces  substances  éprouvaient  uri 
degré  de  liquéfaction  plus  considérable.  La  po- 
rosité dans  les  roches  volcaniques  est  donc  un 
signe  certain  qu’elles  ont  coulé.  C’est  le  cas  où 
se  froncent  la  plupart  de  celles  des  monts  Eu 
ganéens  : j?en  ai  déjà  cité  quelques-unes  , je 
vais  donner  l’indication  des  autres. 

La  première  forme  la  pente  d’une  montagne 
dont  j’ai  oublié 'le  nom  , ayant  omis  de  Le  noter 
dans  mon  journal.  Elle  est  à base  de  pierre  de 


y O Y A O E s 


198 

corne  , parsemée  de  cristaux  feld-spathiques,  et 
pleine , tant  à la  surface  que  dans  le  centre , de 
bulles  rondes , telles  que  les  fluides  aériformes 
les  produisent  dans  les  laves. 

Une  autre  des  plus  remarquables  par  la  gros- 
seur et  le  nombre  de  ses  bulles  , gît  le  long  du 
chemin  qui  conduit  de  Bajamonte  à Rua.  Elle  a 
pour  base  la  pierre  de  corne  5 elle  sent  l’argile  5 
sa  couleur  est  de  feuille  morte  ; elle  a un  grain 
sablonneux  , et  renferme  un  grand  nombre  de 
cellules  arrondies  qui  ont  depuis  un  point  jusqu’à 
sept  lignes  de  diamètre , et  dont  plusieurs  sont 
occupées  par  de  petits  globes  de  carbonate  de 
chaux  cristallisés  que  l’infiltration  y a engendrés. 
L’aspect  extérieur  de  cette  lave  indique  sa  très- 
haute  antiquité  : traitée  avec  le  feu,  elle  se  fond 
en  un  émail  noir  et  opaque. 

Au  sud-ouest  de  Rua,  on  trouve  de  gros  blocs 
de  roche  volcanique  détachés  du  sommet  de  la 
montagne.  La  couleur  de  cette  roche  varie  5 elle 
est  tantôt  cendrée , tantôt  rougeâtre , tantôt  d’un 
violet  clair.  Sa  base  est  un  pétro-silex  à grain 
terreux.  Outre  des  micas  hexagones  à côtés  obli- 
ques, on  y découvre  des  feld-spaths  transparens, 
tantôt  cubiques , tantôt  prismatiques , et  quel- 
quefois irréguliers,  très-étincelans  sous  le  bri- 
quet , et  formant  des  lames  brillantes  : les  plus 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  199 
grands  ont  cinq  lignes  et  un  tiers.  Ces  cristaux , 
remarquables  entre  tous  ceux  que  j’ai  décrits 
jusqu’à  présent,  enferment  étroitement  une  por- 
tion de  la  base  pétro-siliceuse  qui  leur  sert  comme 
de  noyau , et  occupe  une  bonne  partie  de  leur 
aire.  Quelle  est  la  cause  de  cet  accident , et  com- 
ment est -il  arrivé?  J’imagine  que  lorsque  les 
particules  intégrantes  des  feld-spaths  disséminées 
dans  la  base  terreuse  et  liquide , s’unirent , par 
la  force  d’agrégation , en  petites  masses  cristal- 
lisées , chacune  de  ces  masses  emprisonna  une 
portion  plus  ou  moins  grande  de  la  base  5 mais 
la  rareté  du  phénomène  suppose  une  circons- 
tance locale  qui  a eu  des  rapports  directs  avec 
cette  singulière  combinaison , et  que  j’ignore  ab- 
solument. 

Ces  feld-spaths  se  fondent  dans  le  creuset , 
et  s’unissent  tellement  avec  leur  base , qu’il  en 
résulte  un  verre  solide  , blanc  , semi-transparent, 
pointillé  de  noir  par  les  micas  de  cette  couleur 
qui  résistent  à la  fusion. 

Je  passe  sous  silence  une  autre  lave  poreuse 
de  Rua , et  deux  laves  compactes  à base  de  pierre 
de  corne  qui  existent  dans  les  environs  , et  n’ont 
rien  de  particulier.  Mais  je  m’arrêterai  sur  celle 
qui  présente  des  couches  obliques  à l’horizon , 
le  long  du  chemin  conduisant  de  Galzignano  à 


200  VOYAGES 

Ciesa.  Elle  est  blanche  , compacte  comme  la 
pierre  calcaire  fine , à qui  elle  ressemble  par 
l’aspect la  cassure  et  le  poids.  Elle  jette  quel- 
ques  étincelles  sous  le  briquet  , et  se  distingue 
des  autres  laves  par  des  points  d’un  vert  tendre 
disséminés  sur  un  fond  blanc  ; mais  on  ne  peut 
bien  les  voir  qu’à  la  faveur  d’une  loupe  et  d’une 
vive  lumière.  Ces  points  paraissent  alors  plus 
grands  ; on  découvre  qu’ils  ne  sont  qu’une  terre 
à demi-friable  qui  se  détache  avec  la  pointe 
d’une  aiguille,  et  qui  est  interposée  dans  les  fentes 
de  petites  masses  irrégulières  d’un  quartz  luisant, 
blanc  et  très- diaphane.  J’ignore  si  cette  pous- 
sière est  'une  décomposition  du  quartz,  ce  qui 
pourtant  me  paraît  peu  vraisemblable , attendu 
qu’on  la  retrouve  jusque  dans  l’intérieur  de  la 
lave,  où  celle-ci  n’,a  pas  été  altérée;  je  la 
crois  plutôt  une  matière  étrangère  et  av-entice. 
Outre  ces  grains  quartzeux  , la  base  pétro-si- 
liceuse  de  cette  lave  renferme  quelques  feid- 
spaths  très -petits,  mais  que  l’on  ne  confond 
point  avec  les  premiers  , à cause  de  leur  éclat 
changeant , de  leur  figure  rbomboïdale  , et  de 
leur  tissu  lameUeux. 

La  base  de  cette  lave , placée  dans  le  creu- 
set, a sans  doute  servi  de  fLux  aux  grains  quart- 
zeux , puisqu’il  en  est  résulté  un  émail  homo- 
gène 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  501 
gène  et  blanc  , sans  trace  de  quartz  ni  de  feld- 
spath s. 

Sur  le  chemin  de  Pigozzo,vis*à-vis  Cattaïo,  est 
une  lave  semblable,  avec  cette  seule  différence, 
que  les  grains  quartzeux  n’offrent  point  de  taches 
vertes  : elle  donne  au  feu  le  même  produit. 

On  rencontre  à Monte-Nuovo  une  roche  vol- 
canique dont  la  décomposition  est  telle,  que  la 
seule  pression  du  doigt  suffit  pour  la  réduire  en 
poudre.  Sa  base  est  argileuse , et  renferme  de 
nombreux  feld-spaths  qui , pour  avoir  conservé 
leur  figure  prismatique,  n’en  sont  pas  moins  fria- 
bles. Il  est  rare  de  trouver  dans  les  volcans,  là 
même  où  l’acide  sulfureux  a le  plus  exercé  son 
influence , des  feld  spaths  aussi  détériorés  ; mais  ici 
on  ne  saurait  découvrir  le  moindre  vestige  de  cet 
acide  , et  la  décomposition  paraît  être  l’ouvrage 
de  l’air  et  des  élémens  humides.  En  rompant  cette 
lave , il  s’en  détache  quelques  prismes  octogones 
et  hexagones,  avec  la  troncature  oblique,  moins 
ramollis  que  la  base  à laquelle  ils  étaient  liés , 
et  qui  n’appartiennent  ni  au  genre  des  schorls  , 
ni  à celui  des  feld-spaths  : par  leurs  caractères 
extérieurs  , ils  ne  semblent  pas  différer  essentiel- 
lement de  la  lave  elle-même. 


On  se  rappelle  que  dans  le  nombre  des  laves 
Tome  1IL  O 


202 


VOYAGES 


résiniformes  citées  plus  haut , il  en  est  une  remar- 
quable par  les  pierres  ponces  qu’elle  renferme  : 
Montselice  , cette  montagne  d’une  grandeur 
moyenne,  et  isolée  dans  le  pays  que  je  parcours, 
est  en  partie  composée  d’une  lave  blanche,  ar- 
gileuse , dont  l’aspect  est  terreux,  et  qui  s’ofFre 
avec  les  mêmes  circonstances.  Mais  les  ponces 
de  la  première  sont  une  dérivation  de  ses  parties, 
dilatées  et  gonflées  par  les  substances  gazeuses; 
au  lieu  que  les  pouces  de  celle-ci  paraissent  aven- 
tices,  et  consistent  en  de  petits  globes  blancs  qui 
se  détachent  avec  facilité  : vraisemblablement 
ils  ont  été  saisis  et  enveloppés  par  la  lave  tandis 
qu’elle  coulait.  Ils  ressemblent  assez  à ceux  de 
Pompéia  près  le  Vésuve.  Les  uns  et  les  autres 
traités  avec  le  feu,  donnent  un  émail  analogue. 

Outre  les  ponces  , cette  lave  recèle  des  cris- 
taux feld-spathiques  qui  se  vitrifient  avec  elle 
dans  le  creuset. 

Le  mont  d’Arqua  fut  le  dernier  que  je  visitai. 
Sa  cime  est  formée  d’une  lave  grise  , compacte, 
étincelante  sous  le  briquet,  à base  de  pierre  de 
corne  , renfermant  des  cristallisations  micacées 
et  feld-spathiques , fusibles  dans  le  creuset.  On 
la  rencontre  quelquefois  disposée  par  couches 
presque  horizontales, 

A cette  énumération  de  laves,  je  joindrai  celles 


D AN  S LE  S D EU  X S IC  ILE  S.  3q5 
du  mont  Catajo  , où  je  n’eus  pas  le  loisir  de 
m’arrêter  long  - temps.  Les  échantillons  en  ont 
été  recueillis  par  le  marquis  Orologio  , qui  me 
les  a envoyés  à Pavie  avec  des  descriptions  que 
je  rapporterai  ici  , en  me  bornant  à les  abréger , 
et  à y faire  de  légers  changemens, 

Ire  lave.  Une  des  plus  belles  des  monts  Euga- 
néens.  Le  feld -spath  en  masse  en  constitue  la 
base  5 mais  cette  base  se  laisse  difficilement  recon- 
naître par  ses  caractères  extérieurs  , le  feu  Payant 
changée  en  une  lave  vitreuse , de  couleur  cen- 
drée, compacte  et  peu  dure  à cause  de  ses  nom- 
breuses gerçures.  Elle  renferme  des  micas  et  des 
feld- spaths  cristallisés  ; l’émail  qu’elle  produit 
au  fourneau,  semblable  à celui  des  laves  résini- 
formes  , présente  avec  les  micas  etlesfeld-spaths 
fondus  une  masse  homogène. 

Cette  lave , sur  laquelle  est  bâti  le  château 
du  marquis  des  Obizzi  , occupe  au  sud  une 
étendue  considérable  de  la  base  du  mont  Ca- 
tajo 5 elle  se  prolonge  encore  au  nord-est,  où, 
perdant  par  sa  grande  décomposition  le  carac- 
tère de  lave  vitreuse  , elle  ne  parait  plus  que 
comme  une  lave  terreuse  et  friable.  Cependant, 
avec  de  l’attention  , j’y  ai  reconnu  des  linéamens 
vitreux , et  je  suis  persuadé  que  si  l’on  faisait 
une  excavation  profonde  sur  les  lieux,  on  dé- 

O 2, 


204  VOYAGES 

couvrirait  encore  mieux  sa  vraie  nature.  C’est 
en  pénétrant  dans  le  sein  des  roches , tant  natu- 
relles que  volcanisées , qui  ont  été  attaquées  à 
leur  surface  par  des  agens  extérieurs  * que  Ton 
parvient  à les  voir  dans  leur  état  primitif. 

On  trouve  dans  l’intérieur  de  la  lave  en  ques- 
tion , divers  globes  isolés  de  pétro-silex  naturel 
très  - bien  caractérisés.  Ils  sont  revêtus  d’une 
croûte  blanche , argileuse , qui  s’attache  à la 
langue  , et  renferme  des  points  micacés  9 et  de 
petites  lames  feld-spathiques. 

Traités  avec  le  feu  , ils  blanchissent  , et  se 
couvrent  d’un  vernis  vitreux  , sans  perdre  leur 
figure  primitive. 

IIe  lave.  On  la  rencontre  au  quart  de  l’élé- 
vation de  la  montagne  j d’où  elle  se  prolonge 
jusqu’au  sommet.  Elle  existe  aussi  sur  les  pentes 
en  morceaux  détachés.  Sa  base  est  un  trapp  com- 
pacte , pesant , d’un  grain  très-fin  , entrecoupé 
d’écailles  feld-spathiques  , et  ayant  la  couleur 
du  fer.  Placé  dans  le  fourneau,  il  se  fond  en  un 
émail  plein  de  bulles  : sa  couleur  lui  reste. 

IIIe  lave.  Elle  est  en  partie  ensevelie  dans  celle 
du  n°.  II , et  en  partie  à découvert,  formant  des 
filons  tortueux  de  diverses  grosseurs,  qui  prennent 
d§s  directions  différentes  : un  d’eux  coupe  la  lave 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  2ô5 
vitreuse  décomposée  du  n°.  I.  Sa  base  est  un 
pétro-silex  très- compacte,  d’un  grain  fin  , ren- 
fermant de  petits  cristaux  micacés  et  feld-spa- 
tbiques.  Sa  couleur  est  d’un  gris  livide  tirant  sur 
le  noir.  Elle  subit  dans  le  fourneau  une  fusion 
complète  , quand  elle  a éprouvé  l’action  du  feu 
pendant  trente-huit  heures. 

IVe  lave.  Elle  est  blanche , légère  , décompo- 
sée comme  celle  du  n°.  I.  Sa  base  est  argileuse 
et  s’attache  à la  langue.  Cependant  les  petits 
cristaux  de  mica  et  de  feld- spath  qu’elle  ren- 
ferme, sont  dans  un  état  d’intégrité.  Elle  s’étend 
en  filons  qui  sortent  du  sein  de  celle  du  n°.  II. 

Traitée  avec  le  feu  , elle  m’a  donné  un  verre 
semi-transparent  de  couleur  cendrée,  où  les  feld- 
spaths  se  sont  fondus  5 mais  dans  cette  opération , 
elle  a fortement  attaqué  les  creusets,  et  s’étant 
combinée  avec  leur  terre  , il  en  est  résulté  au- 
tour des  parois  une  couche  de  verre  couleur 
d’éméraude  , très-transparent. 

Ve  lave.  Parmi  les  bancs  de  laves  résiniformes 
qui  font  partie  du  Catajo  , il  en  existe  un  au 
sommet  , du  côté  du  sud-est,  entrecoupé  d’in- 
nombrables stries  blanches  , très-minces  et  pa- 
rallèles, qui  forment  un  contraste  remarquable 
avec  les  stries  rougeâtres  des  autres  bancs.  Les 


1 


VOYAGES 


20  6 

premières  , à ce  qu’il  m’a  paru  , ne  sont  qu’une 
décomposition  de  la  lave  , dont  la  cause  tient 
peut-être  à l’infiltration  des  eaux  pluviales  qui 
s’y  sont  insinuées  par  les  fissures. 

Traitée  avec  le  feu , cette  lave  se  convertit 
en  un  émail  analogue  à celui  que  fournissent  les 
autres  laves  de  ce  genre  : les  feld-spaths  se  fon- 
dent avec  leur  base. 

VIe  lave.  Elle  est  ainsi  indiquée  par  le  marquis 
Orologio.  « Vers  le  sommet  de  la  tête  supérieure 
»du  mont  Catajo  ( car  il  en  a deux  ) , règne  une 
» large  plaine  avec  des  élévations  et  des  enfon- 
scemens.  Je  soupçonne  que  c’est  un  ancien  cra~ 
» tère  ruiné  par  le  temps,  et  comblé  de  ses  propres 
» débris.  Xà , on  trouve  des  masses  énormes  d’une 
y>  espèce  de  brèche  ou  poudingue,  composée  de 
» petits  fragmens  de  diverses  variétés  de  laves 
» liées  par  une  argile  endurcie  ». 

Cette  brèche  est  digne  d’attention  ; le  schorl 
noir  en  masse  la  constitue  pour  la  plus  grande 
partie.  Chaque  fragment  est  entouré  d’une  croûte 
terreuse  de  couleur  cendrée , qui  s’attache  à la 
langue , et  dérive  de  la  décomposition  du  schorl. 
Cette  croûte  est  quelquefois  très-superficielle  • 
quelquefois  aussi  elle  pénètre  dans  les  fragmens, 
et  ne  laisse  au  centre  qu’un  point  noir  de  schorl. 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  .207 
Pour  l’ordinaire  , ces  fragmens  sont  anguleux  , 
ce  qui  indique  qu’ils  n’ont  pas  été  roulés.  Ils  sont 
tous  liés  par  un  ciment  peu  épais  , d’un  jaune 
clair , d’un  aspect  vitreux  , mais  altéré  par  la 
décomposition.  Cette  brèche  , exposés  dans  le 
fourneau  , se  réduit  en  scorie  noirâtre  et  écu- 
meuse. 

Il  paraît  que  la  décomposition  de  cette  brèche 
est  l’ouvrage  des  météores  et  du  temps.  Ses  frag- 
mens de  schorl  témoignent  avec  évidence  qu’ils 
ont  préexisté  à la  substance  vitreuse  , qui  les  a 
saisis  en  coulant  sur  eux  , et  en  a fait  un  seul 
corps  avec  elle.  Peut-être  sont-ce  les  débris  d’une 
lave  très-ancienne  à base  de  schorl  en  masse  , 
à moins  que  l’on  ne  suppose  que  la  violence  des 
gaz  élastiques  ait  brisé  quelque  filon  de  schorl, 
l’ait  réduit  en  petits  morceaux  , et  que  la  bouche 
du  volcan  les  ait  ensuite  vomis , sans  qu’ils  aient 
été  fondus  ou  altérés  par  le  feu. 

VIIe  et  dernière  lave.  Quoiqu’elle  soit  spéci- 
fiquement la  même  que  celle  du  n°.  II , elle  mé- 
rite cependant  une  mention  particulière  à cause 
de  sa  conformation.  A la  moitié  environ  de  la 
hauteur  de  la  montagne,  vers  le  sud-ouest , se 
présente  un  escarpement , où  l’on  voit  régner 
deux  ordres,  l’un  plus  élevé  que  l’autre  , de  co- 
lonnes prismatiques  et  verticales , dont  la  hau- 

O 4 


VOYAGES 


2o8 

teur  varie  depuis  un  pied  jusqu’à  trois.  En  exa- 
minant le  roçher  auquel  elles  sont  adhérentes, 
la  déchirure  qui  s’est  formée  à cet  endroit , et 
la  circonférence  de  la  montagne  , on  voit  que 
lorsque  celle-ci  était  entière , les  colonnes  en 
occupaient  le  centre  , ou  peu  s’en  faut.  Elles  ont 
pour  base  le  schori  en  masse  : dans  leur  pâte 
et  leurs  feld-spaths , elles  ne  différent  point  de 
la  lave  du  n°.  II. 

Cette  roche  met  en  mouvement  l’aiguille  ai- 
mantée à la  distance  de  deux  lignes , et  peut 
servir  de  pierre  de  touche  : qualité  reconnue  par 
Cronstedt  dans  les  trapps  de  Suède. 

RÉFLEXIONS  et  COROLLAIRES. 

L’ ensemble  des  faits  présentés  dans  ce  cha- 
pitre nous  éclaire  sans  doute  sur  la  nature  des 
roches  volcaniques  qui  composent  les  monts  Eu- 
ganéens  5 mais  nous  rendrons  leur  instruction  plus 
générale  et  plus  utile , si  nous  nous  en  servons 
pour  établir  un  rapprochement  entre  ces  volcans 
et  ceux  que  nous  offrent  ailleurs  l’Italie  et  ées  en- 
virons, quel  que  soit  l’état  actuel  où  ils  se  trouvent. 
Rien  n’est  isolé  dans  la  nature , tout  est  lié,  tout 
est  gradué  dans  des  rapports  divers,  et  si  nous 
acquérons  des  connaissances , elles  sont  le  résulta 


DANS  LES  DF.  TJX  SICILE  S.  209 
des  comparaisons  que  nous  établissons  entre  les 
objets.  Telle  est  la  marche  que  j’ai  suivie  dans 
mes  précédens  ouvrages  de  physique.  Le  but 
principal  de  mes  études , de  mes  recherches  , 
était  de  rapprocher  les  faits  que  je  découvrais, 
de  les  analyser,  de  les  comparer  avec  les  faits 
connus  ; et  dans  le  livre  que  je  publie  aujourd’hui , 
je  ne  me  suis  point  départi  de  cette  méthode , 
qui  me  semble  la  plus  propre  à reculer  les  bornes 
de  la  physique.  C’est  elle  qui  m’a  conduit  aux 
réflexions  que  je  présenterai  ici  avec  le  plus  de 
brièveté  qu’il  me  sera  possible. 

Quoique  la  mer  soit  actuellement  éloignée  de 
plusieurs  milles  des  montagnes  de  Padoue , il  est 
certain  qu’anciennement  elle  les  a couvertes  ; 
les  roches  calcaires  et  leurs  couches  horizon- 
tales , les  testacées  marins  que  l’on  y trouve  , en 
sont  des  témoignages  irréfragables.  Il  est  encore 
certain  , d’après  les  observations  de  Strange  (1) 
et  de  Fortis  (2), que  ces  montagnes  formaient  au- 
trefois autant  de  petites  îles  volcaniques,  comme 
celles  de  l’archipel  Æolien  ou  deSanlorin  ; comme 


(1)  V.  Lettre  géologique  du  chevalier  Strange. 

(2)  V . Mémoire  géographique  et  physique  sur  la  vé- 
ritable situation  des  îles  Elétrides  des  anciens. 


21 0 VOYAGES 

celles  qui  ont  reçu  le  nom  de  Ponces , et  une 
multitude  d’autres  de  même  origine  : seulement, 
dans  les  très-anciens  volcans  de  Padoue  , toute 
inflammation  visible  s’est  évanouie,  et  s’il  en  reste 
encore  quelques  étincelles,  c’est  aux  sources  ca- 
chées de  leurs  célèbres  eaux  thermales  quelles 
existent.  Si  ces  montagnes  , qui  ont  conservé 
exactement  leur  physionomie  et  leur  caractère 
volcanique  , sont  néanmoins  fort  altérées  à l’ex- 
térieur, il  en  faut  chercher  la  cause  dans  leur 
haute  antiquité  5 le  temps  a amené  la  chute  des 
parois  de  leurs  cratères  5 les  pluies  y ont  entraîné 
des  matières  qui  les  ont  comblés,  et  l’industrie 
des  hommes  a converti  en  terre  végétale  les  laves 
scoriacées  et  poreuses  que  l’on  n’y  trouve  plus 
aujourd’hui.  Situées  au  milieu  d’un  pays  très- 
anciennement  civilisé  , elles  ont  perdu  , par  la 
culture  , leur  aspect  primitif  et  sauvage , plutôt 
que  d'autres  régions  volcaniques , mais  moins 
peuplées  , dont  les  feux  éteints  datent  d’une 
époque  tout  aussi  reculée. 

ïl  est  digne  de  remarque  que  les  laves  des 
monts  Euganéens  , comme  celles  des  autres  vol- 
cans dont  nous  avons  une  plus  parfaite  connais- 
sance , dérivent , non  de  pierres  simples , mais 
composées,  ou  de  roches.  Les  laves  de  l’Etna, 
dont  la  base  est  pour  l’ordinaire  la  pierre  de 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  211 
corne  , ou  le  schorl  en  masse , sont  unies  aux 
feld-spaths , aux  schorls  cristallisés  , aux  chryso- 
lites.  Les  feld-spaths,les  grenats,  les  schorls  cris- 
tallisés , sont  incorporés  aux  laves  des  volcan* 
Æoliens  , qui  ont  pour  base  , soit  le  pétro- silex, 
soit  la  pierre  de  corne  , soit  le  feld-spath , ou 
le  schorl  en  masse.  On  trouve  dans  les  laves  du 
Vésuve  le  pétro-silex  , la  pierre  de  corne  , le 
grenat , réunis  aux  schorls  , aux  feld-spaths , aux 
micas.  Celles  d’ischia,  à base  de  pierre  de  corne, 
abondent  en  feld-spaths  ; les  îles  Ponces  four- 
nissent des  laves  siliceuses  unies  à des  schorls ,, 
des  feld-spaths  et  des  micas  $ enfin  on  trouve 
à Saint-Fiora , dans  la  Toscane , des  laves  gra- 
phiques. 

C’est  ainsi  qu’aux  laves  des  monts  Euga- 
néens , qui  ont  pour  base  tantôt  un  schorl  ou 
un  feld-spath,  tantôt  une  pierre  de  poix,  ou 
une  pierre  de  corne,  ou  un  pétro-silex,  sont 
incorporés  des  feld-spaths , des  schorls  cristal- 
lisés , et  des  grains  quartzeux.  Quoique  je  n’aie 
examiné  qu’une  partie  de  ces  montagnes  , ce- 
pendant il  m’est  permis  d’assurer , d’après  les 
recherches  plus  étendues  de  Strange  , que  îe 
noyau  de  chacune  est  composé  de  cet  ordre 
de  roche.  Il  est  donc  vrai  que  le  foyer  des  feux 
souterrains  qui  ravagent  depuis  si  long-temps 

\ 


VOYAGES 


212 

l’Italie  et  les  lieux  circonvoisins,  s’est  trouvé  placé 
dans  des  roches  de  diverses  qualités  5 mais  qui 
sait  à quelle  immense  profondeur  dans  la  terre 
ces  roches  étendent  leurs  racines  ? J’ai  dit  dans 
la  terre  > car  si  , par  la  violence  des  feux  vol- 
caniques j elles  ont  été  soulevées  çà  et  là  à sa 
surface  par  grandes  masses  de  l’un  et  de  l’autre 
coté  des  Apennins  , il  n’en  est  pas  moins  vrai 
qu’on  ne  les  voit  presque  jamais  concourir  à la 
formation  de  cette  chaîne  de  montagnes  qui  est 
principalement  composée  de  pierres  calcaires , 
de  stéatites , de  pierres  sablonneuses  , et  d’une 
espèce  de  schiste  quartzeux  , micacé  , où  les 
plaines  reposent.  Au  reste  , il  pourrait  bien  se 
faire  que  ces  roches  primitives  fussent  ensevelies 
dans  leur  état  d’intégrité , sous  le  grand  corps 
des  Apennins. 

Je  n’ai  pas  voyagé  dans  les  monts  Vicentîns. 
Ilnous  manque  une  lithologie  exacte  de  ce  pays$ 
nous  savons  seulement  qu’il  a été  formé  par  des 
volcans  sous-marins.  Cependant  j’ai  reconnu,  par 
quelques  échantillons  de  ses  fossiles  que  m’a  pro- 
curés le  savant  Arduini  de  Venise,  et  par  les  ren- 
seignemens  qu’il  m’adonnés  à ce  sujet,  que  les 
laves  de  ces  monts  dérivent  d’une  roche  ; que 
cette  roche  est  tantôt  un  pétro-silex,  tantôt  une 
pierre  de  corne,  renfermant  des  schorls,  des  feld- 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.‘  2l3 

spaths , des  micas  : quelquefois  la  roche  est  gra- 
nitique. 

Je  m’écarterais  de  mon  but,  si  j’étendais  ces 
recherches  au-dehors  et  loin  de  l’Italie  je  re- 
marquerai seulement  que  dans  tous  les  pays  où 
la  nature  des  substances  pierreuses  attaquées  par 
les  feux  volcaniques , a été  soigneusement  exa- 
minée et  décrite , ces  substances  se  font  presque 
toutes  reconnaître  pour  des  roches,  ou  pierres 
composées  ; et  comme  ces  feux  pénètrent  très- 
avant  dans  l’intérieur  du  globe , puisqu’ils  élèvent 
à sa  surface  de  si  hautes  montagnes , il  en  résulte 
que  les  roches  sur  lesquelles  ils  agissent  y ont 
leurs  racines  à de  grandes  profondeurs , dans  les 
lieux  même  où  nous  aurions  toujours  ignoré 
qu’elles  existent , si  des  éruptions  ignées  ne  les 
avaient  produites  au  jour.  Par-là  , nous  pouvons 
encore  juger  de  la  part  qu’elles  ont  dans  la  cons- 
titution de  l’écorce  qui  environne  le  globe,  unique 
portion  de  ce  globe  qu’il  soit  donné  à l’homme 
de  connaître  , mais  que  ses  regards  n’eussent  ja- 
mais investie , sans  le  débordement  de  ces  fleuves 
de  feu. 

En  étudiant  les  bases  qui  constituent  les  roches 
des  monts  Euganéens , j’ai  principalement  porté 
mon  attention  sur  les  suivantes  : le  feld-spath  en 
masse , le  pétro-silex  et  la  pierre  de  poix. 


VOYAGES 


21 4 

Le  feld-spath  s est  changé  en  une  lave  vi- 
treuse , dont  je  n’ai  pas  vu  l’égale  dans  aucun 
autre  volcan.  Les  îles  Æoliennes  où  cette  subs- 
tance a concouru  à la  formation  de  diverses  laves, 
n’en  offrent  point  à qui  l’on  puisse  donner  pro- 
prement cette  qualification.  Toutes  conservent 
plus  ou  moins  l’aspect  extérieur  du  feld-spath , 
ou  bien  c’est  le  feld-spath  qui  a passé  immédia- 
tement à l’état  de  verre  ou  d’émail. 

Le  pétro-silex  présente  une  exception  pres- 
qu’aussi  générale  : plusieurs  laves  des  volcans 
Æoliens  ont  cette  pierre  pour  base  ; elle  y con- 
serve , à la  vérité  , quelques  caractères  pri- 
mordiaux , mais  elle  développe  en  même  temps 
un  certain  principe  fibreux  , un  degré  d’exten- 
sion dans  ses  parties  , qui  montre  évidemment 
qu’elle  a été  touchée  par  le  feu.  La  lave  à basa 
pétro -siliceuse  du  cratère  de  Yulcano  est  la 
seule  qui  ne  porte  point  avec  elle  cette  indi- 
cation. Au  contraire,  tous  les  pétro-silex  eu- 
ganéens  sont  dans  leur  tissu,  dans  leur  grain, 
dans  leur  densité  , dans  leur  cassure  , si  par- 
faitement semblables  au  pétro-silex  naturel, 
qu’on  ne  pourrait  les  en  distinguer  , si  on  ne  les 
trouvait  dans  la  condition  de  lave.  Cette  par- 
ticularité n’est  pas  afFectée  aux  seuls  volcans  de 
Padoue  , elle  appartient  encore  à ceux  des  îles 


DANS  LES  DEUX  SICILE  s.  2 10 
Ponces , où  Dolomieu  l’a  observée  dans  un  grand 
nombre  de  laves  à base  de  pétro-silex.  Au  reste* 
l’état  de  ces  laves  aura  toujours  de  quoi  nous 
étonner  * ne  pouvant  concevoir  , d’après  ce  que 
nous  connaissons  des  effets  du  feu  ordinaire  , 
comment  une  pierre  se  liquéfie  et  coule , sans 
que  rien  change  en  elle  , sans  qu’un  seul  de  ses 
linéamens  naturels  s’efface. 

Enfin  les  laves  à base  de  pierre  de  poix*  si 
communes  dans  les  monts  Euganéens  , sont  un 
troisième  sujet  de  réflexion.  Ni  l’Etna  * ni  le 
Vésuve  ne  paraissent  pas  en  avoir  vomi  un  seul 
fragment  ; il  ne  s’en  trouve  point  dans  les  champs 
Phiégréens.  Des  îles  Æpliennes  * Lipari  est  la 
seule  où  j’en  ai  vu  quelques  morceaux  errans, 
mais  qui  avaient  passé  à l’état  d’émail.  Les  vol- 
cans de  la  Hongrie  * ceux  de  l’Auvergne  * en 
possèdent  de  très-belles  5 reste  à savoir  si  elles 
entrent  dans  l’ordre  des  laves  * c’est-à-dire  * si 
elles  ont  formé  des  courans.  Suivant  Dolomieu , 
les  îles  Ponces  ne  sont  pas  moins  pourvues  de 
pierres  de  poix  que  les  monts  Euganéens  * et 
on  les  y trouve  dans  le  même  état.  Il  assure 
que  ce  genre  de  laves  * dans  ces  deux  régions, 
a pour  base  le  feld-spath  avec  surabondance  de 
magnésie  (1).  Et  dans  une  note  de  son  voyage. 


(1)  Annotations  sur  Bergman. 


VOYAGES 


2l6 

il  dit , en  parlant  des  laves  du  pays  de  Vicence , 
qu’onfÿ  trouve  certains  produits  de  pierre  de 
poix  qui  ne  paraissent  pas  volcaniques , et  qu’il 
regarde  comme  une  concrétion  formée  posté- 
rieurement par  la  décomposition  des  matières 
volcaniques  qui  contenaient  beaucoup  de  mag- 
nésie. On  voit  par-là  que  cet  auteur  pense  que 
la  magnésie  est  un  des  principes  constitutifs  des 
pierres  de  poix  volcaniques.  Cependant  il  est 
certain  que  , dans  les  trois  analyses  de  laves  ré- 
siniformes  des  monts  Sieva  et  Bajamonte  > rap- 
portées ci-dessus , je  n’ai  pas  trouvé  un  atome 
de  cette  terre. 

L’abbé  Fortis  assure  qu’il  a reconnu  dans  celles 
du  mont  Brecalon , que  le  Père  Terzi  prenait 
pour  du  verre , le  passage  du  pétro-silex  à la 
lave  résiniforme.  En  comparant  les  analyses  que 
l’on  a faites  du  pétro-silex  avec  celles  de  mes. 
trois  laves , on  voit  effectivement  que  les  ré- 
sultats sont  les  mêmes  $ la  seule  petite  différence 
est  que  le  pétro-silex  ne  donne  pas  de  fer , et 
qu’il  s’en  trouve  un  peu  dans  mes  laves  résinifor- 
mes.  Au  reste,  j’ai  fait  voir  que  les  pierres  de  poix, 
tant  naturelles  que  volcaniques , appartiennent 
au  même  genre  5 et  je  ne  suis  pas  éloigné  de 
croire  que  plusieurs  de  ces  dernières  dérivent 
des  premières. 


En 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  2iy 
En  travaillant  sur  les  productions  volcaniques 
des  deux  Siciles , on  se  rappelle  qu’un  des  prinr 
cipaux  objets  de  mes  recherches  a été  de  dé- 
couvrir à quel  degré  de  feu  elles  se  liquéfient 
dans  les  fourneaux,  afin  d’obtenir  par -là  un 
terme  de  comparaison  qui  me  fît  juger  en  quel- 
que manière  de  la  puissance  que  les  feux  souter- 
rains avaient  dû  déployer  pour  les  réduire  en 
fusion.  J’ai  fait  de  même  à l’égard  des  roches 
volcaniques  des  monts  Euganéens,  et  je  me  suis 
servi  pour  ces  expériences,  comme  pour  les  pré- 
cédentes, des  feux  de  verrerie.  Quant  aux  bases 
de  ces  roches,  nous  avons  vu  que  pas  une  seule 
ne  s’est  trouvée  réfractaire  , sans  en  excepter  les 
pétro-silex  les  plus  durs  et  les  plus  compactes, 
qui  tous  ont  coulé.  Les  feld-spaths , les  micas , 
si  abondans  dans  les  laves  euganéennes , se  sont 
montrés  également  fusibles. 

Cette  faculté  dans  les  feld-spaths  m’a  un  peu 
surpris  , sur-tout  en  me  rappelant  que  ceux  des 
autres  volcans  étaient , sinon  constamment , du 
moins  très-fréquemment  réfractaires  au  mêmer 
degré  de  feu.  Je  ne  pouvais  pas  supposer  que 
leurs  bases  avaient  servi  de  fondant  , puisque  la 
même  expérience,  répétée  sur  des  feld-spaths 
isolés  , avait  eu  le  même  succès.  Une  différence 
si  remarquable  ne  paraît  provenir  que  de  la  dose 

Tome  III . P 


SI  8 VOYAGES 

plus  ou  moins  grande  des  principes  constituans, 
à moins  de  supposer  dans  les  feld-spaths  euga- 
néens , outre  les  élémens  communs  à cette  pierre, 
un  élément  particulier  qui  facilite  leur  fusion  : 
s’il  existe , il  est  du  moins  invisible  à l’œil , et 
rien  dans  l’apparence  extérieure  ne  fait  distin- 
guer les  feld-  spaths  fusibles  d’avec  les  infu- 
sibles. 

Au  reste,  le  produit  des  laves  des  monts  Euga- 
néens  s’est  trouvé,  comme  celui  des  autres  laves 
étrangères , un  émail  ou  un  verre.  Ainsi  le  feu 
ordinaire  a détruit  en  elles  cette  structure  pri- 
mordiale que  leur  avait  laissée  le  feu  volcanique. 

Ainsi  que  les  basaltes  de  Vulcano  et  de  Félicu- 
da  , le  feu  a produit  ceux  de  Monte-Rosso  , de 
Monte-Ortone  et  du  Catajo , puisqu’ils  font  par- 
tie intégrante  de  roches  volcaniques,  et  en  sont 
la  continuation.  Cette  observation  n’a  pas  échap- 
pé à Strange  ; mais  une  chose  digne  de  remarque , 
est  que  la  voie  sèche  ait  formé  à Catajo  un  trapp 
prismatique  , tandis  que  la  voie  humide  a donné 
à cette  même  pierre  , dans  la  Suède  , une  confi- 
guration semblable.  C’est  un  exemple  de  plus, 
qui  nous  avertit  que  nous  devons  recourir  aux 
circonstances  locales  quand  il  s’agit  de  déter- 
miner laquelle  des  deux  voies  a concouru  à la 
formation  des  basaltes. 


BANS  LES  BEUX  S I C I L E S.  21$ 
Mais  ces  deux  voies  se  sont  réunies  pour  la 
formation  des  collines  et  des  montagnes  de  Pa- 
doue.  Le  mélange  des  pierres  calcaires  avec  les 
laves  ne  permet  pas  d’en  douter.  Cette  combi- 
naison , qui  n’est  pas  arrivée,  dans  les  îles  Æo- 
liennes  , mais  qui  a lieu  dans  les  monts  Vicen- 
tins  , le,  Vésuve , les  volcans  éteints  du  Val  de 
Noto  en  Sicile , ceux  du  Portugal  et  de  l’Alle- 
magne près  le  Vieux-Brisach  , et  probablement 
dans  d’autres  montagnes  volcaniques,  cette  com- 
binaison , dis-jè , éveille  la  curiosité  du  natura- 
liste, et  l’excite  à rechercher  lequel  de  ces  deux 
agens  contraires  a eu  l’antériorité.  Je  m’abstiens 
de  traiter  cette  question , que  les  observations 
de  l’abbé  Fortis  semblent  avoir  décidée.  Mon 
unique  but,  dans  le  petit  voyage  que  j’ai  fait  aux 
monts  Euganéens  , a été  d’y  recueillir  des  pro- 
ductions volcaniques  sans  trop  m’arrêter  à l’exa- 
men des  localités , de  décrire  exactement  ces 
productions,  et  d’étendre  d’autant  plus  nos  con- 
naissances sur  les  volcans. 


220 


VOYAGES 


CHAPITRE  XXI. 

( 

Recherches  expérimentales  sur  la  nature  des 
gaz  des  volcans  3 et  les  causes  de  leurs 
éruptions . 


E N achevant  de  décrire  les  productions  volca- 
niques des  monts  Euganéens  , j’ai  terminé  la  re- 
lation de  ce  que  j*ai  vu  et  observé  de  particulier 
aux  divers  volcans  des  pays  que  j’ai  parcourus. 
Ce  qui  me  reste  à dire  concerne  quelques  faits 
généraux,  dont  la  discussion  servira  peut-être 
à répandre  des  lumières  sur  la  théorie  des  vol- 
cans. Je  m’y  livre,  non -seulement  pour  tenir 
ce  que  j’ai  promis  dans  l’introduction  de  cet 
ouvrage  , mais  pour  donner  à mon  travail  toute 
l’étendue  et  la  perfection  dont  il  est  suscep- 
tible. 

J’ai  parlé  mille  fois  des  gaz  des  volcans.  J’ai 
fait  voir  comment  leur  élasticité  raréfie  les  subs- 
tances pierreuses  fondues  par  le  feu,  et  les  rend 
poreuses  5 j’en  ai  montré  l’efFet  dans  une  multi- 
tude de  laves,  de  ponces,  de  verres  et  d’émaux. 
J’ai  expliqué  comment  ces  gaz , par  leur  seule 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  22  î 
énergie , peuvent  soulever  du  fond  d’un  cratère 
les  matières  liquéfiées  , les  gonfler  de  manière 
qu’elles  en  occupent  toute  la  capacité  , et  les 
forcer  de  s’épancher  par  ses  orles.  Enfin  j’ai  fait 
remarquer  tous  ces  phénomènes  en  petit  jusque 
dans  les  creusets  où  l’action  des  gaz  devient  très- 
sensible.  Mais  devais -je  me  borner  à prouver 
leur  présence  dans  les  laves  , quand  les  physi- 
ciens et  les  chimistes  portent  aujourd’hui  toute 
leur  attention  sur  l’analyse  de  ces  fluides  aéri- 
formes  ? ne  fallait-il  pas  au  moins  essayer  d’en 
découvrir  la  nature,  et  chercher  jusqu’où  va 
leur  influence  sur  les  éruptions  des  volcans  ? 

Une  question  non  moins  intéressante  est  de 
savoir  quel  est  le  degré  d’activité  des  feux  vol- 
caniques. Il  est  vrai  que  les  nombreuses  expé- 
riences que  j’ai  faites,  tant  sur  les  laves  que  sur 
leurs  roches  primordiales , qui  presque  toutes 
se  sont  liquéfiées  au  fourneau , semblaient  ga- 
rantir que  ce  degré  d’activité  supposé  dans  les 
feux  volcaniques  ne  devait  pas  surpasser  celui 
du  feu  ordinaire  capable  de  produire  les  mêmes 
efFets.  Cette  connaissance  était  utjle  en  soi , mais 
elle  ne  résolvait  pas  complètement  le  problème, 
puisqu’on  pouvait  opposer  aux  résultats  de  mes 
expériences  une  multitude  de  faits  et  d’un  genre 
opposé , qui  tendaient,  les  uns  à prouver  la  véhé- 

P 3 


222 


VOYAGES 


ttience  de  l’action  de  ces  feux  , les  autres  à en 
démontrer  la  faiblesse.  Ces  faits  étant  rapportés 
par  des  auteurs  dignes  de  foi  , je  devais  les  exa- 
miner , les  apprécier  avec  impartialité,  et  pro- 
noncer ensuite  avec  franchise  et  liberté  mon 
opinion  particulière.  Tels  sont  les  deux  points 
de  discussion  que  je  me  propose  de  traiter  i ci ^ 
et  c’est  par-là  que  je  terminerai  mes  recherches 
sur  un  des  phénomènes  du  globe  qui  excite  à-la* 
fois  l’admiration  et  la  terreur  des  hommes. 


Ayant  vu  que  les  pores , les  tumeurs  engen- 
drés dans  les  laves , les  verres  et  les  émaux  , 
se  reproduisaient  dans  ces  'mêmes  substances 
soumises  à l’action  du  feu  ordinaire,  j’imaginai 
de  m’en  servir  pour  découvrir  la  nature  de  ces 
fluides,  et  j’entrepris  de  faire  fondre  dans  des 
matras  diverses  productions  volcaniques , celles 
sur-tout  qui,  en  se  gonflant,  s’élèvent  du  fond 
du  creuset , et  s’épanchent  par  ses  bords.  J’ajus- 
tai les  cols  des  matras  à un  appareil  pneumato- 
chimique  à mercure  , pour  pouvoir  recueillir  et 
examine^  les  gaz  que  l’action  du  feu  chasserait 
hors  des  substances  en  fusion.  Ces  matras  , de 
l’épaisseur  de  six  lignes , et  formés  de  l’argile 
dont  on  fait  les  creusets  de  verrerie  , étaient  à 
fond  sphérique , surmontés  d’un  long  col.  Voulant 
reconnaître  s’ils  n’avaient  point  de  fissures , je 


BANS  LES  BEUX  SICILE  S. 
les  pris  par  le  col  , et  les  plongeant  perpendi- 
culairement dans  l’eau  , je  soufflai  avec  force 
dans  leur  intérieur  : aucune  bulle  d’air  ne  s’en 
échappa.  Pour  plus  de  sûreté,  je  les  armai  ex- 
térieurement ; je  les  soumis  ensuite  à l’action 
de  la  pompe  pneumatique,  et  je  vis  que  l’air  ne 
passait  point  au  travers.  Enfin  je  répétai  ces 
épreuves  après  qu’ils  eurent  servi  aux  expé- 
riences , et  je  m’assurai  ainsi  qu’il  ne  s’était  rien 
écoulé  au-dehors  des  fluides  que  j’y  avais  re- 
cueillis. De  plus , à l’orifice  du  col  des  rnatras ,. 
je  luttai  un  ballon  de  verre , dont  l’autre  extré- 
mité plongeait  dans  le  mercure,  afin  que  si  quel- 
que liqueur  se  séparait  des  matières  volcaniques, 
j’eusse  encore  la  facilité  de  la  recueillir.  C’est 
ce  qui  arriva , et  cette  liqueur  fut  d’une  nature 
que  je  n’aurais  jamais  imaginée.  J’en  réserve  la 
description  pour  un  chapitre  particulier. 

Le  premier  produit,. du  poids  de  douze  onces, 
mis  en  expérience , fut  la  sixième  espèce  des 
verres  de  Lipari  , dont  le  fond  noir  est  tiqueté 
de  points  blancs  r je  l’ai  appelé  verre  tigré  ( Voy. 
chap.  XV  ).  Avant  de  le  placer  dans  le  rnatras, 
je  le  réduisis  en  poudre  pour  détruire  les  bulles 
que  les  feux  volcaniques  pouvaient  y avoir  en- 
gendrées. J’observe,  en  passant , que  cette  pré- 
caution fut  prise  à l’égard  de  toutes  les  substances 

P 4 


VOYAGES 


234 

éprouvées , et  que  les  matras  étaient  d’une  ca- 
pacité telle,  que  les  douze  onces  de  chaque  subs- 
tance occupaient  à peine  un  tiers  de  leur  ventre, 
afin  que  la  matière  fondue  pût  se  gonfler  libre- 
ment. 

Ce  verre  soutint  huit  heures  le  feu  d’un  petit 
fourneau  chimique  , poussé  lentement  pendant 
les  trois  premières  heures , et  vivement  pendant 
les  cinq  dernières.  Au  bout  d’une  heure  et  trois 
quarts , il  parut  déjà  sur  le  mercure  une  petite 
quantité  de  fluide  aériforme  ÿ je  l’essayai  sur  une 
bougie  allumée  5 il  ne  s’enflamma  pas  5 il  n’étei- 
gnit pas  non  plus  la  bougie , ne  rendît  pas  sa 
flamme  plus  vive  5 mais  la  laissa  brûler  comme 
dans  l’atmosphère  j ce  qui  me  fit  penser  que 
c’était  de  l’air  commun  , c’est-à-dire  , une  por- 
tion de  celui  qui  était  resté  enfermé  dans  les 
vaisseaux.  Je  m’en  assurai  encore  mieux  en  le 
soumettant  à d’autres  épreuves.  Bientôt  après  il 
s’amassa  de  nouveau  une  certaine  quantité  de 
fluide  sur  le  mercure  5 à mesure  que  je  le  re- 
cueillais , je  l’examinais  de  la  manière  indiquée  } 
c’était  toujours  de  l’air  atmosphérique  , qui  con- 
tinua ainsi  de  se  reproduire  pendant  les  quatre 
premières  heures,  après  quoi  il  ne  reparut  plus. 

En  dirigeant  l’œil  sur  la  partie  alongée  du  bal- 
lon de  verre  lutté  au  col  du  matras  , on^pou- 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  22.5 
vait  voir  ce  qui  se  passait  dans  l’intérieur  de  celui- 
ci  , à cause  de  la  lumière  que  répandait  l’incan- 
descence. J*y  discernai , au  bout  de  quarante- 
cinq  minutes  de  feu  violent , un  gonflement  lent 
et  progressif  dans  la  matière  vitreuse  : c’étaient 
des  tumeurs  qui  s’élevaient  lentement  à sa  sur- 
face, s’abaissaient  de  même  : quelques-unes 
éclataient  en  atteignant  leur  plus  haut  point  de 
dilatation.  Cette  espèce  d’ébullition  ressemblait 
parfaitement  à celle  que  j’avais  déjà  observée 
dans  ce  verre  et  dans  d’autres  matières  volca- 
niques , en  les  faisant  fondre  dans  les  fourneaux 

de  verrerie. 

1 ■ V*'  . , . . • •' 

Quand  le  matras  fut  refroidi  , je  le  rompis  dans 
sa  longueur  , et  je  remarquai  ce  qui  suit.  Le 
verre  en  fondant  avait  rempli  au  moins  les  deux 
tiers  du  ventre , auquel  il  adhérait  fortement  ; 
la  surface  de  sa  partie  supérieure  était  parsemée 
d’un  nombre  infini  de  vésicules  vitreuses,  semi- 
transparentes  , les  unes  entières  , les  autres  cre- 
vassées. Ayant  brisé  cette  masse  de  verre  , je 
la  trouvai  pleine  de  bulles  de  diverses  grandeurs, 
depuis  un  tiers  ou  un  quart  de  ligne  de  diamètre, 
jusqu’à  un  demi-pouce  : elles  étaient  toutes  plus 
ou  moins  orbiculaires , lisses  et  brillantes  à leur 
surface  intérieure  ; mais  sur  un  des  côtés  où  le 
feu  avait  agi  plus  vivement,  j’en  vis  une  dont 


VOYAGES 


22  6 

ïa  grosseur  pouvait  égaler  celle  d’un  œuf  de 
poule , et  qui  était  traversée  par  un  gros  fil  vi- 
treux , dont  les  deux  bouts  tenaient  aux  parois. 
Ce  fil  s’était  sans  doute  engendré  par  la  visco- 
sité de  la  matière  , au  moment  où  se  divisant, 
elle  avait  formé  la  bulle.  Du  reste  , par  - tout 
où  il  ne  paraissait  point  de  vacuités  , le  verre 
avait  conservé  assez  de  solidité  et  de  dureté 
pour  être  capable  d’étinceler  sous  le  briquet  $ 
mais  en  empruntant  le  secours  d’une  loupe,  on 
s’appercevoit  que  ces  mêmes  parties , solides  en 
apparence,  étaient  réellement  couvertes  d’une 
infinité  de  petites  bulles. 

Si  l’on  compare  cette  fusion  du  verre  tigré 
dans  le  matras , avec  celle  qui  s’opère  dans  les 
creusets  ouverts  lorsqu’on  emploie  la  même  ma- 
tière, on  trouvera  que  les  résultats  sont  les 
mêmes. 

Mais  venons  à notre  objet  principal  , qui  est 
îa  génération  des  bulles.  On  ne  peut  nier  qu’elles 
ne  soient  produites  par  un  fluide  élastique  qui 
pénètre  le  verre  et  le  dilate.  C^est  à cette  cause 
que  j’ai  toujours  attribué  la  porosité  que  les  pro- 
duits volcaniques  contractent,  soit  dans  les  cra- 
tères , soit  dans  les  creusets  5 il  suffit  de  les  voir 
en  cet  état  pour  convenir  que  la  chose  n’a  pu 
se  faire  autrement.  Mais  quel  est  ce  fluide  ? L’ex- 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  227 
périence  ci-dessus  nous  prouve  que  ce  n’est  pas 
l’air  atmosphérique  mêlé  à la  poudre  du  verre, 
car  dès  le  commencement  de  la  fusion  , il  a été 
chassé  hors  du  ventre  du  matras.  Or, les  tumeurs 
qui  se  sont  montrées  à la  surface  du  verre  fondu 
dans  la  plus  forte  action  du  feu , et  qui  ont  con- 
tinué de  paraître  pendant  toute  sa  durée , étaient 
une  preuve  sensible  que  ce  fluide , de  quelque 
nature  qu’on  le  suppose , enveloppait  alors , et 
agitait  la  masse  vitreuse.  D’un  autre  côté,  ce 
ne  pouvait  être  un  fluide  permanent , comme 
les  divers  gaz  aériformes  , autrement  il  se  serait 
amassé  sur  le  mercure.  En  y réfléchissant , je 
pensai  que  ce  gaz  n’était  peut-être  autre  chose 
que. la  vaporisation  du  verre  lui-même,  qu’un 
feu  violent  faisait  passer  de  l’état  de  fluidité  à 
celui  de  gazification , si  je  puis  m’exprimer  ainsi, 
et  qui  durait  tant  que  le  même  degré  de  calo- 
rique subsistait.  Ainsi , l’on  voit  les  métaux  tour- 
mentés par  le  feà , bouillir  à la  manière  des  fluides, 
et  se  réduire  en  vapeurs.  Je  me  rappelais  le  sen- 
timent de  Lavoisier , qui  était  persuadé  que  pres- 
que tous  les  corps  naturels  sont  susceptibles 
d’exister  dans  l’état  de  solidité  , de  fluidité,  ou 
de  gaz , ces  trois  états  divers  dépendant  de  la 
quantité  de  calorique  combinée  avec  eux.  J’ima- 
ginai ensuite  que  si  le  verre  vaporisé,  générateur 
des  bulles,  ne  passait  pas  dans  l’appareil  pneuma- 


VOYAGES 


2 28 

to-chimique , c’était  parce  que  la  chaleur,  moins 
forte  dans:  le  col  du  matras,  ne  pouvait  conser- 
ver le  verre  dans  l’état  de  gaz. 

Mais  pour  donner  de  la  consistance  à ma  con- 
jecture , il  faHait  l’établir  sur  des  preuves’  directes. 
Je  passai  donc  à une  seconde  expérience  , que  je 
dirigeai  comme  la  première , excepté  que  je  pous- 
sai le  feu  plus  vivement  pendant  les  quatre  der- 
nières heures.  Le  verre  employé  était  de  la  cin- 
quième espèce  de  ceux  de  Lipari,  c’est-à-dire  . 
Je  plus  parfait , le  plus  pur  de  cette  île.  En  voici 
les  résultats.  Le  peu  d’air  qui  s’éleva  sur  le  mer- 
cure durant  l’ignition  , se  montra  simplement  at- 
mosphérique. Au  bout  d’une  demi-heure  de  feu 
violent , je  vis , par  le  tuyau  du  ballon  inséré 
dans  le  matras,  la  masse  vitreuse  qui  commençait 
à se  soulever  en  tumeurs  ; bientôt , liquide  et 
embrasée  , je  n’y  distinguai  plus  qu’un  mouve- 
ment tumultueux  et  intestin.  J’avais  l’attention 
d’ouvrir  de  temps  en  temps  le  guichet  du  four- 
neau , pour  jeter  un  coup-d’œil  sur  l’extérieur 
du  matras.  Au  bout  de  deux  heures  et  trois 
quarts  du  feu  le  plus  actif,  je  m’ap perçus  que 
le  matras  était  rompu  , et  que  des  gouttes  de 
verre  , en  forme  alongée  5 commençaient  à sortir 
par  la  rupture.  J’éteignis  le  feu.  Après  le  refroi- 
dissement , ayant  examiné  le  matras , je  trouvai 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  1229 
sur  le  coté  une  fente  angulaire , longue  de  qua- 
torze lignes,  à laquelle  pendaient  extérieurement 
deux  petits  cônes  de  verre  , seule  portion  de 
matière  qui  s’en  fût  échappée.  En  dedans , je 
découvris  une  bulle  ovale  qui  occupait  les  deux 
tiers  du  ventre  : elle  fixa  mon  attention.  Je  ne 
doutai  pas  qu’un  fluide  aériforme  avait  non-seu- 
lement produit  par  sa  force  expansive  ce  grand 
vide  , mais  qu’en  heurtant  contre  les  parois  du 
matras  , il  l’avait  forcé  de  se  fendre.  Ce  fluide 
ne  pouvait  être  que  le  verre  même , qui  , en 
cet  endroit , pénétré  plus  vivement  par  le  feu , 
s’était  converti  en  gaz.  Le  reste  de  la  masse  était 
plein  de  petites  cellules. 

L’accident  de  la  rupture  du  matras,  et  la 
formation  d’une  grosse  bulle , eut  également  lieu 
dans  la  troisième  expérience , où  j’employai  l’é- 
mail d’ischia.  La  gazification  fit  naître  un  vide 
dans  la  matière  , lequel  occupa  plus  de  la  moitié 
de  la  capacité  du  matras.  L’émail  en  fusion  fut 
soulevé  jusque  dans  le  col , et  les  parois  se  rom- 
pirent en  même  temps.  Je  ne  recueillis  sur  le 
mercure  que  de  l’air  atmosphérique. 

La  quatrième  expérience  fut  faite  sur  un  émail 
de  Procida.  Pendant  les  huit  heures  que  dura  le 
feu,  je  n’apperçus  aucun  signe  d’ébullition.  Ayant 
brisé  le  matras , je  trouvai  que  la  matière  avait 


VOYAGES 


SCO 

été  complètement  fondue.  Elle  ne  manquait  pas 
de  bulles,  mais  ces  bulles  étaient  petites.  Aucun 
gaz  ne  parut  sur  le  mercure. 

En  examinant  les  parois  au-dessus  de  l’émail, 
je  visa  un  ou  deux  pouces  de  hauteur  une  multi- 
tude de  petits  globules,  et,  si  je  puis  m’exprimer 
ainsi , des  lèches  de  cette  matière  qui  y adhé- 
raient çà  et  là  5 plus  haut , où  le  col  avait  par 
hasard  une  saillie  intérieure  et  circulaire,  l’émail 
s’était  attaché  à la  surface  inférieure  de  cette 
espèce  d’anneau , et  y formait  un  cordon  très- 
délié.  Je  ne  pouvais  supposer  que  la  véhémence 
de  la  fusion  l’eût  élevé  jusqu’où  j’appercevais  ses 
traces,  car  il  aurait  laissé  par-tout  un  vernis  uni- 
forme , tel  que  je  l’ai  vu  dans  les  creusets , toutes 
les  fois  que  la  matière  s’abaissait  après  s’être  éle- 
vée. Ici,  au  contraire  , les  parois  du  matras,  à 
l’exception  des  parties  tachées  d’émail , parais- 
saient absolument  nues  comme  elles  l’étaient 
avant  l’expérience , ce  qui  me  rappela  cette  lame 
d’or  que  Lavoisier  argenta  en  l’exposant  aux  fu- 
mées qui  s’exhalaient  de  l’argent  par  un  feu  très- 
actif  $ tout  comme  il  dora  une  lame  d’argent  aux 
fumées  de  l’or.  J’eus  donc  lieu  de  croire  que  les 
globules  et  autres  empreintes  fixés  sur  le  ma- 
tras , étaient  Peffet  de  la  sublimation  même  de 
l’émail  dans  la  plus  forte  action  du  feu. 


BANS  LES  DEUX  SICILE  S.  s5l 

ïl  me  restait  toutefois  un  doute  qu’il  fallait 
dissiper.  Peut-être  , en  plaçant  dans  le  matras 
l’émail  pulvérisé  , quelques  grains  de  poussière 
étaient  restés  attachés  aux  parois  et  à la  saillie 
du  col  3 où  le  feu  les  avait  ensuite  fondus.  Mais 
j’eus  la  certitude  du  contraire , en  voyant  le 
même  phénomène  sur  les  parties  latérales  et 
près  du  col  d’un  autre  matras , où  avait  été  ren- 
fermée une  égale  quantité  d’émail , non  pulvérisé, 
mais  réduit  seulement  en  morceaux. 

Cette  observation , qui  me  confirma  dans  l’i- 
dée que  les  bulles  des  matières  fondues  dans  les 
matras  étaient  l’efFet  de  leur  vaporisation,  m’en- 
gagea à faire  une  révision  générale  de  tous  les 
creusets  que  j’avais  précédemment  exposés  à 
l’action  du  fourneau,  après  y avoir  renfermé  des 
produits  volcaniques  vésiculaires , car  je  ne  les 
avais  point  examinés  sous  ce  nouveau  rapport. 
A la  vérité , j’en  trouvai  plusieurs  dont  les  côtés 
latéraux , au-dessus  de  la  masse  fondue , portaient 
de  petites  gouttes  de  matière  ; mais  il  était  aisé 
de  voir  qu’elle  ne  s’y  était  point  amassée  par 
sublimation.  Ces  gouttes  provenaient  simplement 
du  mouvement  intestin  de  la  fusion , qui  les  avait 
lancées  çà  et  là  à une  très-courte  distance.  Nulle 
part  je  ne  découvris  ces  agrégations  de  globules 
infiniment  petits,  ces  voiles  légers  de  matière. 


zZz  voyages 

qui,  dans  ma  dernière  expérience  , manifestaient 
une  sublimation  décidée.  Je  n’en  fus  pas  étonné; 
ces  creusets  ayant  la  forme  d’un  cylindre  ou  d’un 
cône  renversé  , et  étant  ouverts  ; la  matière  su- 
blimée n’y  trouvait  aucun  corps  qui  lui  fît  obs- 
tacle j et  auquel  elle  pût  se  fixer. 

Cette  réflexion  m’engagea  à faire  l’expérience 
suivante.  Je  plaçai  dans  dix-neuf  creusets  diverses 
matières  volcaniques , en  choisissant  de  préfé- 
rence celles  qui  sont  le  plus  sujettes  à former 
des  bulles.  Je  recouvris  chaque  creuset  avec  un 
autre  creuset  vide  et  renversé  , et  je  les  posai 
ainsi  dans  le  fourneau.  11  y en  eut  trois  de  ces 
derniers  qui  servaient  de  couvercle , dont  les  pa- 
rois' et  la  calotte  présentèrent  des  marques  de 
sublimation  : c’étaient  des  empreintes  légères  de 
verre,  des  globules  en  nombre  infini , qui,  par 
la  substance  et  la  couleur  , ne  différaient  point 
des  matières  fondues;  mais  rien  de  cela  ne  s’ofFrit 
dans  les  seize  autres  creusets.  Si  le  premier  fait, 
qui  est  positif,  prouve  la  gazification  des  pro- 
ductions volcanisées  , le  second  , quoique  néga- 
tif, ne  l’exclut  pas.  Les  matières  fondues  dans 
les  seize  creusets  étaient  pleines  de  bulles;  or, 
bien  que  ces  bulles  dussent  être  occasionnées, 
selon  moi , par  une  vaporisation  interne , il  n’en 
résultait  pas  nécessairement  une  sublimation  de 

la 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.,  £35 

la  matière  , cela  dépendant  de  la  nature  diverse 
des  substances,  et  du  degré  plus  ou  moins  grand 
de  chaleur  qui  leur  est  nécessaire.  Voilà  pourquoi 
cet  effet  ne  s’est  pas  toujours  rencontré  dans  les 
matras  mis  en  expérience  5 il  eût  été  général , je 
n’en  doute  pas , si  j’eusse  traité  chaque  matière 
avec  le  degré  de  feu  qui  lui  convenait  pour  se 
sublimer. 

Après  avoir  éprouvé  ainsi  les  verres  et  les 
émaux  volcaniques,  je  fus  curieux  d’essayer  le 
verre  factice.  Je  pris  celui  d’une  bouteille  noire 
qui  n’avait  point  servi 3 j’en  fis  piler  douze  onces, 
que  je  plaçai  dans  un  matras.  J’avais  vu  dans  les 
fourneaux  de  Pavie , que  le  verre  de  cette  cou- 
leur exigeait  plus  de  temps  pour  se  fondre  que 
le  blanc  commun  , et  qu’il  ne  se  gonflait  que 
très-peu,  ou  point  du  tout.  Cependant,  ayant 
rompu  le  matras  après  les  huit  heures  de  feu , 
je  trouvai  que  la  matière  avait  tellement  bouil- 
lonné et  gonflé  , qu’elle  était  montée  jusqu’à  la 
moitié  du  col  $ que  dans  son  refroidissement , elle 
s’était  abaissée  , et  n’occupait  plus  que  le  fond 
du  ventre.  Cette  ascension  de  la  matière  était 
marquée  par  un  vernis  vitreux,  léger  et  brillant, 
qui , étendu  sur  la  surface  intérieure  des  parois, 
commençait  au  niveau  de  la  masse  fondue , et 
finissait  vers  la  moitié  du  col  du  matras,  où 
Tome  IJL  Q 


254  VOYAGES 

un  grumeau  de  verre  bouchait  entièrement  le 

passage. 

L’effet  que  ce  verre  éprouve  dans  le  fourneau 
de  verrerie  , et  celui  qu’il  subit  dans  le  fourneau 
chimique,  s’expliquent  très-bien  au  moyen  de 
ma  théorie.  Le  feu  , dans  le  premier  cas  , est 
maintenu  au  degré  d’activité  nécessaire  pour  le 
fondre  ; dans  le  second  cas , il  est  poussé  avec 
une  force  capable  de  le  réduire  en  vapeur.  De- 
là 9 le  soulèvement  de  ses  parties  et  leur  abais- 
sement , lorsque , par  la  diminution  de  la  chaleur, 
le  verre  revient  de  l’état  aériforme  à celui  de 
liquide.  Qu’il  soit  vrai  que  ce  mouvement  n’est 
pas  dû  à un  gaz  permanent,  c’est  ce  que  prouve 
l’absence  de  ce  gaz  dans  l’appareil  pneumato-chi- 
mique,  où  je  ne  recueillis  que  de  l’air  commun» 

Jusqu’alors  , je  n’avais  dirigé  mes  expériences 
que  sur  les  produits  volcaniques  les  plus  suscep- 
tibles de  contracter  des  bulles,  je  voulus  éprou- 
ver ceux  qui  le  sont  le  moins , et  je  choisis  les 
suivans  : 1 °.  Une  lave  à grenats  du  Vésuve  ; 20.  une 
autre  qui  venait  de  couler  quand  je  visitai  cette 
montagne  ; 5°.  une  lave  de  l’île  de  Vulcano  , 
recouverte  d’une  croûte  d’émail  ; 40.  une  lave  de 
Stromboli , de  celles  que  ce  volcan  vomit  sans 
discontinuité;  5°.  une  lave  sortie  en  1787  du 
cratère  supérieur  de  l’Etna;  6°.  une  pierre  ponce 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  s35 
solide  de  Lipari.  Chacun  de  ces  produits  a été 
décrit  en  son  lieu  et  place.  Voici  les  résultats. 
Durant  les  huit  heures  de  feu  qu’ils  soutinrent 
dans  les  matras,  je  ne  recueillis  sur  le  mercure 
que  de  l’air  atmosphérique , point  de  gaz  per- 
manent j et  cependant  ces  six  produits  manifes- 
taient, par  l’affluence  et  la  grosseur  de  leurs 
bulles , qu’ils  avaient  incontestablement  passé 
de  l’état  de  liquidité  à celui  de  gazification . 
Pour  obtenir  cet  effet  des  substances  pierreuses, 
on  voit  qu’il  suffit  de  les  exposer  à une  forte 
chaleur. 

En  réfléchissant  sur  l’uniformité  des  résultats 
que  je  venais  d’obtenir  dans  ce  cours  d’expé- 
riences , il  me  parut  démontré  que  les  bulles , 
les  tumeurs,  que  l’on  trouve  si  fréquemment  dans 
les  produits  des  volcans , sont  moins  l’effet  d’un 
gaz  permanent , que  d’un  fluide  aériforme  ré- 
sultant de  l’excessive  raréfaction  de  la  matière. 

Je  ne  sache  pas  que  personne  ait  traité  les 
substances  volcaniques  sous  ce  point  de  vue. 
Toutefois  le  docteur  Priestley  rapporte  trois 
expériences  dont  je  parlerai  , parce  que  leurs 
résultats  sont  différens  des  miens.  i°.  Ayant  ex- 
posé au  feu  , dans  une  cornue  de  pierre  sa- 
blonneuse , quatre  onces  et  un  cinquième  de 
lave  d’Islande  , il  en  obtint  vingt  mesures  d’air: 

Q 2 


VOYAGES 


s36 

les  dix  premières,  qui  se  dégagèrent  vers  le  com- 
mencement de  l’opération,  tenaient  de  la  natnre 
du  gaz  acide  carbonique  ; les  dix  autres , par  leur 
pureté , se  trouvèrent  à 1,72  , et  éteignirent  la 
chandelle.  Priestley  observe  que  les  interstices  de 
cette  lave  contenaient  un  sable  brun  qu’il  ne  put 
en  séparer. 

20.  Cinq  onces  §t  demie  de  lave  du  Vésuve 
donnèrent  trente  mesures  d’air , dont  les  pre- 
mières tenaient  un  peu  du  gaz  acide  carbonique, 
et  les  suivantes  étaient  du  gaz  azote , d’abord 
au  degré  de  1,64 , ensuite  à celui  de  i,58. 

5°.  Il  ne  résulta  d’une  autre  lave  du  poids  d’une 
once  3 et  dure  comme  la  pierre  , que  trois  me- 
sures et  demie  de  gaz , en  grande  partie  hydro-. 
gène  , provenant , à ce  que  suppose  Priestley  f 
du  canon  de  fusil  dans  lequel  l’expérience  s’était 
faite. 

Le  physicien  anglais  pense,  d’après  cela,  qu’il 
est  probable  que  les  véritables  laves  ne  four- 
nissent pas  beaucoup  d’air,  ce  qui  dépend , selon 
lui , du  degré  de  chaleur  auquel  elles  ont  été 
exposées  dans  les  incendies  souterrains  (i). 

Je  laisse  de  coté  sa  dernière  expérience,,  qui 


(1)  Exp,  et  observ.  t.  4» 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  ^ 
est  trop  équivoque  $ quant  aux  deux  premières, 
j’eusse  désiré  qu’il  se  fût  mieux  expliqué  sur  la 
nature  des  corps  qui  en  ont  été  le  sujet,  et  nous 
eût  fait  connaître  avec  certitude  qu’ils  étaient  vol- 
caniques 3 mais  en  les  supposant  tels,  la  seule  con- 
séquence que  l’on  peut  tirer  des  deux  résultats  de 
Priestley,  est  que  les  productions  des  volcans  ne 
sont  pas  toujours  privées  de  gaz  permanens;  et 
cette  conséquence,  bien  loin  de  combattre  mon 
opinion  , tend  plutôt  à la  soutenir  , comme  on  le 
verra  plus  bas.  Jusqu’à  présent  je  n’ai  eu  d’autre 
vue  que  de  prouver  que  les  bulles  , les  vides 
qui  se  forment  dans  les  corps  volcaniques  lors- 
qu’on les  traite  avec  le  feu  ordinaire , et  ceux  tout 
semblables  que  l’on  observe  dans  les  laves,  sont 
occasionnés  par  la  réduction  en  vapeur  de  ces 
memes  substances. 

Mais  avançons  dans  notre  sujet , et  cherchons 
quelle  peut  être  l’influence  de  cette  vapeur  aéri- 
forme  sur  les  éruptions.  Lorsque  , dans  les  pro- 
fondeurs d’un  cratère , elle  se  trouve  mêlée  à 
une  lave  liquide  violemment  tourmentée  par  le 
feu,  on  conçoit  comment  elle  peut  soulever  cette 
lave  jusqu’au  sommet  du  cratère  , et  la  forcer 
de  s’épancher  par  les  bords  : l’art  imite  en  petit 
cette  grande  opération  de  la  nature.  Je  place 
dans  un  fourneau  de  verrerie  un  creuset  cylin- 

Q 3 


VOYAGES 


s38 

drique  d’un  pied  de  hauteur , de  deux  pouces 
et  demi  de  largeur , à moitié  rempli  d’un  des 
produits  volcaniques  les  plus  susceptibles  de  se 
gonfler.  Au  bout  de  quelques  heures  de  feu  , 
j’observe  que  la  matière  liquéfiée  commence  à 
se  soulever,  mais  avec  lenteur  ; ce  mouvement 
s’accroît , et  enfin  la  matière  se  déverse , se  ré- 
pand en  ruisseaux  sur  les  cotés  extérieurs  du 
creuset , gagne  le  plan  sur  lequel  il  est  posé  , 
et  si  ce  plan  est  incliné , donne  naissance  à autant 
de  petits  courans.  A mesure  qu’elle  s’écoule  hors 
du  creuset,  je  la  remplace  par  une  nouvelle  ma- 
tière de  la  même  espèce  , et  je  vois  les  courans 
s’augmenter  et  s’étendre  de  plus  en  plus.  Je  fais 
ensuite  cesser  le  feu,  je  retire  tout  mon  appareil 
hors  du  fourneau,  j’examine  la  matière  qui  s’est 
épanchée,  et  je  la  trouve  pleine  de  bulles  comme 
celle  qui  est  restée  dans  le  creuset.  Cette  expé- 
rience m’a  toujours  réussi,  soit  que  je  l’aie  tentée 
sur  des  verres  ou  émaux  volcaniques , soit  sur 
des  laves  cellulaires.  v 

Il  est  encore  probable  que  si  cette  vapeur 
élastique  ramassée  en  grande  abondance,  trpuve 
sous  terre  des  obstacles  qui  s’opposent  fortement 
à son  issue , elle  occasionnera  des  secousses , elle 
tonnera , elle  mugira  dans  le  sein  de  la  montagne, 
elle  en  déchirera  les  flancs,  et  ouvrira  des  pas- 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  20$ 
sages  à la  lave.  Nous  avons  cet  exemple  en  petit 
dans  les  deux  matras  de  nos  expériences , brisés 
par  l’expansion  de  ce  fluide  ; mais  voici  d’autres 
effets  plus  sensibles.  Je  fis  fabriquer  trois  matras 
d’argile  avec  des  parois  d’un  pouce  d’épaisseur, 
et  un  ventre  de  quatre  pouces  trois  quarts  de 
diamètre.  Les  ayant  remplis  à plus  de  moitié 
d’une  lave  cellulaire , je  les  plaçai  au  feu  de 
manière  qu’ils  avaient  le  col  hors  du  fourneau. 
Au  bout  de  onze  heures , leur  ventre  se  fendit 
en  plusieurs  endroits,  et  une  partie  de  la  matière 
fondue  s’échappa  parles  fentes.  Ces  matras  étant 
refroidis,  j’achevai  de  les  briser  tout-à-fait,  et 
je  vis  qu’ils  contenaient  un  verre  plein  de  grosses 
bulles  qui  était  monté  jusqu’à  la  moitié  du  col, 
et  non  au-delà.  Je  conçois  aisément  la  cause  de 
leur  rupture  dans  le  fourneau  : le  verre  raréfié 
par  la  vapeur  aériforme , ne  trouvant  plus  assez 
d’espace  pour  s’étendre  , s’était  répandu  dans  le 
col  5 arrivé  au  point  où  le  feu  ne  pouvait  plus 
le  tenir  en  fusion  , il  s’était  arrêté  ; tandis  que 
son  gonflement  augmentant  par  la  violence  de 
la  chaleur  qu’il  éprouvait  plus  bas , il  dut  enfin 
faire  un  effort  contre  les  parois  du  matras , et 
les  briser.  Cette  explication  me  rend  également 
raison  des  effets  analogues,  mais  infiniment  plus 
grands, que  cette  vapeur  est.  capable  de  produire 
sous  terre  lorsqu’elle  y éprouve  de  la  résistance. 

Q 4 


VOYAGES 


240 

Quant  aux  projections  de  pierres  enflammées  ., 
aux  grêles  volcaniques,  j’avoue  que  nulle  circons- 
tance dans  mon  expérience  ne  m’en  découvre  la 
cause.  La  rupture  des  matras  se  fait  sans  déton- 
nation  , et  sans  que  la  matière  s’éparpille  à l’en- 
tour. J’en  ai  observé  deux  en  ce  moment  : il  m’a 
paru  que  leurs  ouvertures  s’élargissaient  insen- 
siblement ; ce  qui  prouve  que  la  puissance  de 
cette  vapeur,  quoique  supérieure  à la  résistance 
des  matras  , se  développe  avec  lenteur , tandis 
que  l’agent  qui  vibre  dans  les  airs  les  matières 
volcaniques  , doit  nécessairement  opérer  avec 
une  rapidité  et  une  violence  extrêmes.  Pour  ex- 
pliquer cet  effet,  il  faut  donc  recourir  à d’autres 
principes, à des  gaz, par  exemple,  qui  cherchant 
une  issue  à travers  les  substances  liquéfiées  dont 
ils  sont  enveloppés,  les  chassent  impétueusement 
hors  du  cratère.  Ce  qui  n’est  pas  douteux , c’est 
la  présence  de  ces  gaz  qui,  au  moment  de  l’érup- 
tion , s’annoncent  par  des  sifïlemens.  Cette  re- 
marque a été  faite  au  mont  Vésuve,  un  des  vol- 
cans les  mieux  observés , à cause  de  son  voisinage 
de  Naples,  et  moi-même  j’ai  entendu  des  siffle- 
mens  semblables  à Stromboîi. 

Mais  quelle  est  la  nature  de  ces  gaz  ? Pour 
répondre  avec  certitude  à cette  question  , il  fau- 
drait les  recueillir  dans  l’efferves  cence  des  vol- 


^4i 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S. 
cans  , et  les  soumettre  à une  analyse  chimique, 
ce  qui  est  impossible,  à moins  de  vouloir  rester 
victime  de  sa  curiosité.  Les  seules  connaissances 
qui  ont  été  acquises  à cet  égard  nous  sont  parve- 
nues par  des  voies  indirectes  , en  examinant  les 
substances  gazeuses  qui  s’exhalent  des  volcans 
en  repos.  On  compte  au  nombre  de  ces  subs- 
tances le  gaz  hydrogène  sulfuré , le  gaz  acide 
carbonique , l’acide  sulfureux , le  gaz  azote,  qui 
ont  été  recueillis  en  diverses  contrées  volcani- 
ques (i). 

A ces  causes  concomitantes , il  est  vraisem- 
blable que  dans  les  grandes  , les  terribles  érup- 
tions, il  s’en  joint  une  encore  plus  puissante, 
telle  que  l’eau  réduite  en  vapeurs , principale- 
ment celle  de  la  mer.  C?est  un  fait  assez  connu, 
que  les  volcans  brûlans  épars  sur  le  globe,  sont 


(1)  Je  n’exclus  point  le  calorique  du  nombre  des  agens 
qui, par  leur  force  d’expansion  produisent  les  éruptions. 
S’il  se  développe,  dans  le  foyer  des  volcans  , une  quan- 
tité de  ce  fluide  plus  grande  que  celle  qui  peut  sortir  par 
les  pores  des  corps  environnans , alors  , selon  l’observa- 
tion de  Lavoisier,  le  calorique  agira  comme  tout  autre 
fluide  élastique  , et  renversera  ce  qui  s’oppose  à son  pas- 
sage ; mais,  hors  de  là,  je  ne  vois  pas  quelle  action 
immédiate  le  calorique  peut  avoir  sur  les  projections 
volcaniques.  Note  de  V auteur. 


24s  VOYAGES 

environnés  de  la  mer,  ou  en  sont  peu  éloignés 5 
et  que  les  volcans  éteints  en  sont  actuellement, 
pour  la  plupart,  à une  grande  distance.  La  con- 
servation , Porigine  même  de  leurs  incendies,  a 
donc  une  relation  secrète  avec  les  eaux  marines. 
Il  est  vraisemblable  que  ces  eaux  communiquent 
par  des  canaux  souterrains  avec  les  cavernes 
spacieuses  qui  régnent  dans  le  sein  des  montagnes 
îgnivomesj  et  quoique  cette  communication  im- 
médiate ne  soit  pas  visible  au-debors  , elle  se 
manifeste  cependant  par  ses  effets , tels  que  la 
retraite  subite  de  la  mer  , qui  arrive  quelquefois 
pendant  les  grandes  crises  des  volcans , retraite 
occasionnée  sans  doute  par  les  grands  volumes 
d’eau  absorbés  dans  leurs  vastes  cavernes.  Pline 
le  jeune  rapporte  que  , sous  le  règne  de  Titus, 
on  observa  ce  phénomène  pendant  Phorrible 
éruption  du  Vésuve  où  son  oncle  périt.  La  mer 
offrit  le  même  spectacle  dans  une  autre  éruption 
du  Vésuve  non  moins  formidable  , arrivée  il  y 
a un  siècle  et  demi.  Des  auteurs  contemporains 
et  dignes  de  foi  l’attestent  5 et  Serao  , qui  en 
parle  dans  sa  relation  de  l’incendie  de  1737, 
ajoute  que  dans  l’histoire  de  toutes  les  grandes 
crises  de  ce  volcan,  il  est  toujours  fait  mention 
du  retirement  des  eaux  de  la  mer.  Steller,  dans 
ses  observations  sur  les  volcans  du  Kamtschatka, 
assure  que  la  plupart  des  tremblemens  de  terre 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  243 
arrivent  dans  le  temps  des  équinoxes , quand  la 
mer  grossit,  et  sur-tout  en  automne,  où  les  eaux 
sont  plus  hautes. 

Quoi  qu’il  en  soit,  toujours  est- il  certain  qu’un 
grand  amas  d’eau  réduit  subitement  en  vapeur 
par  les  feux  souterrains , serait  capable  de  pro- 
duire des  explosions , des  détonnations  bien  su- 
périeures à celles  des  gaz  élastiques  dont  nous 
avons  parlé.  L’art  nous  fournit  des  faits  en  ce 
genre  très -remarquables.  Si,  après  avoir  fait 
plusieurs  décharges  d’une  pièce  d’artillerie , on 
la  rafraîchit  avec  un  écouviilon  humecté  qui  en 
remplisse  trop  exactement  le  calibre,  la  vapeur 
qui  se  produit  alors  dans  le  fond  du  canon  ne 
pouvant  se  dilater , repousse  l’écouviiîon  avec 
une  telle  violence  que  celui-ci  emporte  quelque- 
fois le  bras  du  canonnier.  Que  l’on  expose  à un 
feu  très-vif  une  boule  creuse  de  fer,  ou  de  tout 
autre  métal , où  l’on  aura  enfermé  une  petite 
quantité  d’eau  , de  manière  qu’elle  ne  puisse  en 
sortir,  la  boule  éclatera  avec  une  explosion  sem- 
blable à celle  de  la  poudre  à canon. 

Mais  si  quelque  chose  est  propre  à donner 
une  idée  des  effets  terribles  que  la  vaporisation 
de  beau  est  capable  de  produire  dans  le  sein 
des  volcans  , c’est  ce  qui  arrive  en  faisant  couler 
du  métal  fondu  dans  des  moules  qui  ne  sont  pas 


VOYAGES 


2 44 

parfaitement  ressuyés.  On  en  trouve  un  exemple 
mémorable  dans  le  tome  IV  des  Actes  de  l’Aca* 
démie  de  Bologne.  Sous  un  portique,  à Modène, 
on  devait  fondre  une  grande  cloche  • déjà  le 
métal  était  en  liquéfaction.  On  lui  ouvre  le  canal 
de  communication  construit  sous  terre  à peu  de 
distance.  A peine  le  bronze  enflammé  Peut- il 
touché , qu’il  en  partit  une  explosion  qui  lança 
en  l’air  et  le  métal  et  le  moule , et  une  prodi- 
gieuse quantité  de  terre  ; le  fourneau,  fut  mis 
en  pièces , le  portique  ébranlé , ses  murs  se  fen- 
dirent , les  poutres  du  toit  furent  emportées  , les 
tuiles  chassées  au  loin , et  enfin  à la  place  de 
îa  cloche  , on  ne  vit  plus  qu’un  goufFre  large 
et  profond.  Plusieurs  des  assistans  furent  tués, 
d’autres  blessés,  et  la  terreur  fut  à son  comble. 
Un  si  funeste  accident  ne  fut  cependant  occa- 
sionné que  par  un  peu  d’humidité  qui  était  restée 
dans  le  moule , et  cela  par  la  négligence  de  l’ar- 
tiste. En  comparant  i’efFet  avec  la  cause , on  doit 
juger  de  celui  qui  résulterait  d’un  grand  amas 
d’eau  réduit  en  vapeurs  dans  les  fournaises  vob 
caniques,  et  des  moyens  que  la  nature  a en  son 
pouvoir  pour  faire  sortir  du  sein  de  la  terre  les 
plus  épouvantables  explosions. 

Il  se  présente  ici  une  autre  question.  On  conçoit 
bien  comment  l’eau  , en  s’insinuant  sous  un  in- 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  ^45 
cendie  volcanique  , et  se  vaporisant  subitement, 
peut  donner  lieu  à de  violentes  éruptions  5 mais 
qu’arriverait-il  si  cette  eau  tombait  sur  l’incen- 
die , soit  qu’elle  vînt  de  la  mer,  soit  de  la  pluie? 
car  il  est  naturel  que  cette  dernière  pénètre  par 
les  pores  ou  les  fentes  de  la  terre  jusqu’aux  foyers 
volcaniques.  On  est  d’abord  tenté  de  croire  , en 
se  rappelant  quelques  expériences  bien  connues, 
que  la  vaporisation  , dans  l’un  et  l’autre  cas  , doit 
produire  les  mêmes  efFets.  C’est  ainsi  que  des 
gouttes  d’eau  jetées  sur  une  matière  huileuse  et 
bouillante  , comme  le  beurre , la  graisse,  l’huile, 
la  font  jaillir  hors  du  vase  en  pétillant. 

Mais  d’autres  faits  , plus  analogues  à la  nature 
des  matières  volcaniques , ofFrent  un  phénomène 
tout  difFérent.  Les  minéralogistes  savent  que  si 
Ton  fait  tomber  de  l’eau  sur  le  cuivre  ou  l’argent 
fondu , il  en  résulte  seulement  un  frémissement 
causé  par  la  génération  de  la  vapeur  , et  non 
une  explosion. 

C’est  ici  le  cas  de  rapporter  une  expérience 
curieuse  de  Deslandes.  Ce  physicien  ayant  fait 
fondre  du  verre  dans  un  grand  creuset  , versa 
dessus  un  plein  gobelet  d’eau  5 celle-ci  aussi-tôt 
se  ramassa  en  boule  sans  produire  le  moindre 
bruit.  Elle  prit , ou  sembla  prendre  une  couleur 
rougeâtre , semblable  à celle  du  creuset  et  de 


VOYAGES 


s4G 

la  matière  qu’il  contenait.  Elle  roula  sur  la  sur- 
face du  verre  fondu  , àpeuprès  comme  le  plomb 
qui  se  consume  dans  la  coupelle,  diminua  insen- 
siblement de  volume  , et  s’évapora  entièrement 
au  bout  de  trois  minutes , sans  jeter  aucune  va- 
peur apparente.  Une  autre  fois  Deslandes,  sans 
attendre  que  l’eau  fût  dissipée  , versa  la  matière 
du  verre  sur  une  table , et  son  écoulement  n’oc- 
casionna pas  la  moindre  détonnation. 

La  liberté  que  j’avais  de  disposer  d’un  fourneau 
de  verrerie  pour  mon  usage  particulier , m’en- 
gagea à reproduire  ces  faciles  expériences  : per- 
sonne, que  je  sache,  ne  les  avait  répétées  et  véri- 
fiées depuis  Deslandes.  Ayant  communiqué  mon 
projet  à un  des  hommes  de  service  du  fourneau,  je 
fus  un  peu  surpris  quand  il  me  dit  qu’il  connaissait 
le  fait  aussi  bien  que  moi , et  qu’il  m’offrit  de 
verser  sur  du  verre  fondu  autant  d’eau  qu’il  me 
plairait,  sans  qu’il  en  résultât  le  moindre  accident 
fâcheux.  Je  vis  alors  que  c’était -là  un  de  ces 
phénomènes  que  les  physiciens  découvrent , et 
publient  dans  le  monde  savant  comme  un  fait 
nouveau  , tandis  que  la  connaissance  en  est  de- 
puis long-temps  familière  à de  simples  artisans. 
La  réponse  de  celui-ci  ne  me  détourna  point 
de  mon  projet.  Je  commençai  donc  par  verser 
six  onces  d’eau  de  puits  dans  un  vase  cylindrique 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  2«|7 
d’argile , du  diamètre  de  deux  pieds  environ  , 
qui,  depuis  quinze  jours  , contenait  du  cristal  de 
verre  en  liquéfaction.  L’eau  s’éparpilla  à l’ins- 
tant en  petites  sphères  , comme  du  mercure  jeté 
sur  une  table.  Ces  petites  sphères  furent  toujours 
en  mouvement;  elles  diminuèrent  insensiblement 
de  volume , et  en  moins  de  deux  minutes,  elles 
furent  consumées  sans  causer  le  moindre  bruit. 
Cependant,  en  les  regardant  attentivement  à la 
faveur  de  la  lumière  très-vive  du  fourneau , je 
crus  appercevoir  dans  les  plus  grosses  un  petit 
bouillonnement.  Je  répétai  l’expérience  en  ver- 
sant dans  le  même  creuset , et  tout-à-la-fois , 
quarante-huit  onces  d’eau  ; ce  volume  s’étant 
divisé  en  plus  grandes  sphères  , j’eus  la  facilité 
de  les  observer  avec  plus  de  précision.  D’abord 
elles  roulèrent  çà  et  là  sur  la  surface  liquide  du 
verre,  sans  manifester  aucune  ébullition  ; bientôt 
après  ce  mouvement  intestin  parut  sensible,  dans 
celles  du  moins  qui  se  trouvaient  le  plus  près 
de  mon  œil , et  j’en  conclus  qu’il  existait  de  même 
dans  les  plus  éloignées.  Elles  bouillaient  donc 
véritablement , elles  se  gonflaient  et  ne  produi- 
saient aucun  bruit  , sans  doute  parce  qu’elles 
étaient  dans  un  milieu , sinon  privé  entièrement 
d’air,  du  moins  très-raréfié.  Comme  les  précé- 
dentes, elles  diminuèrent  peu  à peu,  et  finirent 
par  disparaître  au  bout  de  quatre  minutes.  Du- 


VOYAGES 


248 

rant  l'ébullition  , je  ne  vis  point  autour  d’elles 
s’élever  de  vapeurs* 

J’employai  ensuite  de  plus  grands  volumes 
d’eau  5 les  résultats  furent  les  mêmes.  Je  ne  m’ap- 
perçus  point  que  l’eau  devînt  rouge  5 mais  cette 
couleur  qu’avait  le  verre  dont  elle  était  environ- 
née , pouvait  facilement  en  imposer  à l’obser- 
vateur. 

Ces  résultats  sont  conformes  à ceux  publiés 
par  le  physicien  Deslandes  , à l’exception  de 
l’ébullition  qu’il  n’avait  pas  remarquée.  Si  on 
voulait  en  faire  l’application  aux  volcans , il  ne 
serait  plus  douteux  que  l’eau  qui  tomberait  d’en 
haut  sur  leurs  foyers  brûlans  ne  fût  incapable 
d’occasionner  des  éruptions.  Mais  avant  de  pro- 
noncer sur  cette  question  , je  crûs  qu’il  était  à 
propos  de  tenter  quelques  essais  sur  les  métaux 
et  les  laves  en  fusion.  J’employai  le  fer,  le  cuivre , 
î’étain  et  le  plomb.  Quant  au  premier,  je  le  ré- 
duisis en  limaille  pour  en  faciliter  la  fusion.  Les 
creusets  étaient  larges  en  haut , étroits  en  bas, 
et  d’une  capacité  assez  grande  5 le  métal  11e  les 
remplissait  pas  entièrement,  afin  de  laisser  place 
à l’eau  que  j’y  devais  verser.  Au  bout  de  vingt- 
quatre  heures  , trouvant  le  fer  à demi-fondu  , 
j’y  fis  tomber  quelques  gouttes  d’eau.  D’abord 
elles  restèrent  immobiles,  sans  paraître  diminuer 

de 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  249 
de  volume  5 ensuite  elles  se  mirent  à sautiller  et 
à bouillir,  et  s’évaporèrent  par  gradation  en  moins 
d’une  minute.  Je  versai  une  plus  grande  quantité 
d’eau  ; les  effets  furent  les  mêmes,  à l’exception 
d’une  ébullition  plus  sensible,  à raison  de  la  plus 
grande  masse  d’eau. 

Je  laissai  le  creuset  dans  le  fourneau  5 au  bout 
de  sept  heures  je  le  retirai , et  le  transportant  à 
Pair  froid,  je  renouvelai  l’épreuve.  J’aspergeai 
le  métal  de  quelques  gouttes  d’eau  , qui  se  dissi- 
pèrent à l’instant  même  dans  le  plus  grand  si- 
lence. J’en  versai  une  once  5 l’eau  resta  d’abord 
tranquille, puis  se  divisa  en  globules,  commença 
à bouillir,  et  durant  l’ébullition  fit  entendre  quel- 
que bruit. 

Cependant  la  rougeur  du  fer  s’était  un  peu 
obscurcie.  Je  profitai  de  cette  circonstance  pour 
reverser  de  l’eau  5 alors  l’effet  fut  tout  autre. 
Au  moment  que  l’eau  toucha  le  métal,  elle  se 
mit  à bouillir  , et  je  vis  jaillir  avec  bruit  une 
bouffée  de  vapeurs  qui  dura  jusqu’à  l’entière  dis- 
sipation de  la  liqueur.  La  chaleur  du  fer  fut  en- 
core assez  forte  pour  que  je  pusse  répéter  deux 
fois  l’expérience  , qui  eut  le  même  résultat. 

Le  cuivre  , dans  le  fourneau  , avait  éprouve 
une  fusion  complète.  Je  fis  avec  ce  métal  et 
Tome  IIL  H 


VOYAGES 


2 5o 

l’eau  le  même  nombre  d’expériences,  et  dans 
les  mêmes  circonstances  : je  n’en  rapporterai  pas 
les  résultats  3 il  me  suffira  de  dire  que  tout  se 
passa  comme  dans  celles  du  fer. 

Quant  à l’étain  et  au  plomb  , je  n’avais  pas 
besoin  du  fourneau  pour  les  fondre  , une  chaleur 
bien  plus  modérée  me  suffisait.  Mais  je  m’ap- 
perçus  bientôt  que  cette  confiance  que  j’avais 
prise  en  opérant  sur  le  cuivre  et  le  fer , je  ne 
pouvais  la  donner  au  plomb  , moins  encore  à 
l’étain , à cause  des  violentes  explosions  qu’exci- 
tait leur  contact  avec  l’eau.  J’en  fis  divers  essais 
dont  voici  les  principales  circonstances.  Quand 
je  faisais  tomber  l’eau  goutte  à goutte  sur  l’étain 
fondu , au  moment  du  contact  elle  éclatait  avec 
bruit  3 de  petits  morceaux  de  métal  se  déta- 
chaient , et  sautaient  à la  hauteur  de  deux , trois 
et  quatre  pieds.  Quand  j’en  versais  une  quantité 
suffisante  pour  couvrir  une  partie  de  la  surface 
de  l’étain  , la  détonation  augmentait  à propor- 
tion ; le  métal  en  grande  partie  était  chassé  hors 
du  creuset , et  à une  distance  considérable.  On 
ne  voyait  s’élever  aucune  vapeur. 

En  regardant  daps  le  creuset  d’aussi  près  que 
pouvait  le  permettre  cette  dangereuse  expé- 
rience , j’observai  que  chaque  fois  que  la  goutte 


DANS  LES  DEUX  S I C I L E S.  s5l 
d’eau  touchait  le  métal , celui-ci  recevait  une 
commotion  , et  se  mettait  en  mouvement  à 
cause  de  sa  liquidité  3 momentanément  il  se  for- 
mait à sa  surface  une  fossette  occasionnée  par 
la  chute  de  la  goutte , sur-tout  quand  elle  tom- 
bait de  haut.  Je  pensai  que  l’explosion  et  la  dé- 
tonation pouvaient  bien  provenir  de  la  fossette 
où  l’eau  s’emprisonnait  en  partie  5 alors,  réduite 
subitement  en  vapeurs , et  ne  trouvant  pas  assez 
d’espace  pour  se  dilater,  elle  chassait  impétueu- 
sement le  métal  qui  lui  faisait  obstacle.  Mais  dans 
cette  supposition , il  était  certain  que,  si  la  goutte 
d’eau  parvenait  à toucher  l’étain  sans  y former 
un  creux  , le  jet  ne  devait  pas  avoir  lieu  3 que 
si  elle  en  formait  un , le  jet  devait  être  plus  ou 
moins  violent,  à raison  de  la  cavité  plus  ou  moins 
profonde  , étant  naturel  que  , dans  ce  dernier 
cas  , elle  renfermât  une  plus  grande  quantité 
d’eau.  Je  fis  tomber  , à très-peu  de  distance  de 
l’étain  , des  gouttes  d’eau  qui  n’en  creusèrent 
point  la  surface,  et  d’autres  à la  distance  de  cinq 
ou  six  pieds  , qui  y formèrent  des  fossettes  3 mais 
dans  l’une  et  l’autre  circonstance , les  effets  furent 
à-peu-près  les  mêmes  : il  y eut  détonation  et 
éjection.  C’était  donc  le  seul  contact  de  l’eau  avec 
l’étain  qui  produisait  ce  phénomène. 

Au  reste , cela  n’empêche  pas  que  l’eau  n’oc- 

R 2 


s5 X2  V O Y A G E S 

casionne  des  jets  bien  plus  impétueux  et  plus 
bruyans  lorsqu’elle  se  .trouve  renfermée  dans  le 
métal  fondu.  Ayant  retiré  du  feu  un  creuset  où 
il  y avait  de  l’étain  en  liquéfaction  , j’attendis 
qu’il  se  fût  coagulé  à la  surface,  et  ayant  percé 
avec  la  pointe  d’un  clou  cette  croûte  encore 
tendre  , j’y  versai  une  demi-once  d’eau  , dont 
une  partie  entra  par  le  trou*  A l’instant  la  croûte 
fut  lancée  en  l’air  avec  un  bruit  plus  fort  qu’à 
l’ordinaire, le  métal  liquide  chassé  avec  violence, 
et  le  creuset  de  terre  mis  en  pièces.  La  coagula- 
tion , c’est-à-dire  , le  rapprochement  des  parties 
à la  surface , avait  formé  entr’ elles  et  le  métal 
encore  en  liquéfaction , un  vide  qui  donna  en- 
trée à l’eau;  mais  trop  étroit  pour  son  expansion 
quand  elle  fut  réduite  en  vapeurs,  celles-ci , par 
leur  élasticité,  renversèrent  tous  les  obstacles  qui 
les  retenaient. 

Quand  on  n’ouvre  point  de  passage  à l’eau, 
elle  ne  fait  que  bouillir  sur  la  surface  coagulée 
de  l’étain , et  se  résout  en  un  petit  nuage  vapo- 
reux qui  se  dissipe  dans  l’air. 

Il  y avait,  dans  les  effets  rapportés  ci-dessus, 
des  anomalies  dont  il  serait  difficile  de  rendre 
raison.  Par  exemple  , il  arrivait  de  suite  cinq 
ou  six  petites  explosions  causées  par  autant  de 
gouttes  d’eau  versées  sur  l’étain  fondu , et  tout- 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  a55 
à-coup  elles  cessaient , nonobstant  la  continua- 
tion de  la  chute  des  gouttes , qui , en  touchant 
le  métal  , ne  faisaient  que  bouillir  et  s’évaporer. 
Mais  ce  qu’il  y avait  de  plus  étrange  , c’est 
qu’après  trois  ou  quatre  gouttes  inefficaces  , il 
en  succédait  d’autres  qui  reproduisaient  l’ex- 
plosion. Que  l’on  ne  pense  pas  que  cette  ineffi- 
cacité dans  les  gouttes  d’eau  venait  de  ce  qu’elles 
ne  tombaient  pas  immédiatement  sur  l’étain  ,mais 
sur  la  pellicule  que  l’occidation  formait  à sa  sur- 
face : j’étais  trop  preste  à l’enlever  aussi  - tôt 
qu’elle  y paraissait. 

Le  plomb  m’offrit  les  mêmes  phénomènes  et 
les  mêmes  irrégularités  que  l’étain  ; seulement 
ses  explosions  ne  furent  pas  aussi  fréquentes,  et 
ne  me  parurent  pas  aussi  fortes. 

Je  ne  m’occuperai  pas  à chercher  pourquoi 
l’eau  , dans  le  fourneau , ne  manifeste  point  de 
vaporisation  sensible  sur  le  fer  et  le  cuivre  ; pour- 
quoi elle  ne  bout  que  quelques  instans  après  son 
contact  avec  les  métaux , tandis  qu’à  Pair  libre  , 
la  vaporisation  et  l’ébullition  apparaissent  dès  que 
l’eau  touche  ces  deux  métaux  , qui  sont  alors  un 
peu  refroidis.  Je  n’examinerai  pas  la  raison  pour 
laquelle  le  plomb  et  l’étain  éclatent  avec  bruit  au 
contact  de  l’eau  , tandis  que  cet  effet  n’a  point  lieu 
avec  le  fer  et  le  cuivre.  Ces  recherches,  pour  être 

R 5 


VOYAGES 


2 54 

faites  convenablement , demanderaient  d’autres 
expériences  qui  m’écarteraient  trop  dç  mon  su- 
jet. Il  vaut  mieux  passer  de  suite  aux  observations 
faites  sur  les  laves  fondues  dans  des  creusets  de 
même  forme  et  grandeur  que  les  précédens , et 
soumises  aux  mêmes  épreuve^  que  le  verre  artifi- 
ciel et  les  métaux. 

Les  premières  laves  que  j’employai  furent  du 
genre  de  celles  qui , traitées  avec  le  feu  , sont 
peu  susceptibles  de  porosité.  L’eau  versée  sur 
la  matière  fondue  resta  quelques  instans  immo- 
bile 3 bouillit  ensuite  jusqu’à  son  entière  dissipa- 
tion. Je  retirai  le  creuset  hors  du  fourneau , et 
quand  la  matière  eut  perdu  son  extrême  rou- 
geur, j’y  reversai  de  l’eau.  Au  moment  du  con- 
tact, il  se  fit  un  frémissement,  et  l’eau,  con- 
vertie en  bulles  , éleva  un  nuage  de  vapeurs. 
Plus  la  lave  perdait  de  chaleur,  plus  les  vapeurs 
devenaient  considérables  : ce  qui  ne  s’observait 
toutefois  que  jusqu’à  un  certain  degré  de  re- 
froidissement. Ainsi  ces  laves  se  comportèrent 
comme  le  verre  , le  cuivre  et  le  fer  , sans  que  le 
contact  de  l’eau  y occasionnât  la  moindre  ex- 
plosion. 

J’eus  besoin  de  quelque  prudence  en  essayant 
les  laves  poreuses.  Une  d’elles,  dans  le  creuset, 
avait  contracté  deux  grosses  bulles  qui  parais- 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  ^55 
saient  percées  dans  un  endroit.  Au  contact  de 
l’eau  , le  creuset  éclata  comme  un  coup  de  pis- 
tolet , et  la  lave  fut  dispersée.  Comme  l’explosion 
pouvait  provenir,  non  de  la  portion  d’eau  qui 
avait  touché  simplement  la  surface  de  la  lave, 
mais  de  celle  qui  s’était  insinuée  par  l’ouverture 
des  bulles,  je  refis  mon  expérience  sur  la  même 
lave,  en  observant  qu’il  n’y  eût  aucune  ouverture 
dans  les  bulles , accident  qui  se  rencontre  souvent 
dans  la  fusion.  Ce  que  j’avais  prévu  arriva  ; l’eau 
n’y  produisit  qu’une  ébullition  tranquille.  Je  re- 
nouvelai plusieurs  fois  l’épreuve,  et  j’en  obtins  le 
même  résultat. 

Ma  dernière  tentative  fut  la  suivante.  Les  laves 
les  plus  fusibles  qui,  en  se  gonflant,  se  répandent 
et  coulent  hors  des  creusets , conservent  encore 
assez  de  ténacité  pour  y pouvoir  faire  des  trous 
qui  se  maintiennent  pendant  quelque  temps.  Je 
parlerai  plus  amplement  de  ce  fait  au  cha- 
pitre XXIII  * il  me  suffît  pour  le  moment  de 
rendre  compte  de  mon  procédé.  Je  fondis  une 
lave  dans  un  grand  creuset  d’argile \ je  la  perçai 
obliquement,  depuis  le  haut  jusqu’en  bas,  avec 
une  verge  de  fer  du  diamètre  de  trois  lignes  et 
demie , et  j’imaginai  de  verser  de  l’eau  dans  le 
trou.  Mais  comme  l’essai  était  dangereux , j’avais 
eu  la  précaution  de  retirer  le  creuset  hors  du  four- 

R 4 


VOYAGES 


266 

neau , et  de  le  transporter  dans  une  basse-cour 
contiguë  au  laboratoire , dont  la  porte  d’entrée 
était  percée  à jour.  Ce  fut  par  cette  ouverture, 
qu’au  moyen  d’un  long  tube  , je  fis  tomber  de 
l’eau  sur  le  trou  pratiqué  dans  la  lave  du  creu- 
set. Au  moment  qu’elle  y pénétra,  le  vase  partit 
en  éclats, la  lave  fut  dispersée  à plusieurs  pieds 
de  distance  avec  une  explosion  plus  forte  que 
celle  d’un  fusil. 

7 •'  • \ ■'  • 

Jusqu’ici  je  m’étais  servi  de  l’eau  douce  $ je 
fus  curieux  de  savoir  si  l’eau  de  mer  se  com- 
porterait de  la  même  manière.  L’essai  que  j’en 
fis  , en  la  répandant  sur  des  laves  fondues , me 
donna  des  résultats  semblables. 

Quelle  sera  la  conclusion  de  tous  ces  faits  ? 
Que  si  un  amas  d’eau  vient  à tomber  sur  le  cratère 
enflammé  d’un  volcan  , il  n’en  résultera  aucune 
explosion  ; que  si  l’eau  y pénètre  par-dessous  , 
ou  que  , s’insinuant  par  des  ouvertures  latérales, 
elle  se  mette  en  contact  avec  l’incendie,  sans 
qu’il  y ait  un  espace  suffisant  à l’expansion  de 
ses  vapeurs  , l’explosion  sera  très- violente , té- 
moin celle  de  la  lave  contenue  dans  le  creuset 
où  l’eau  avait  pénétré. 

Quoique  , par  tout  ce  que  je  viens  de  dire, 
on  soit  fondé  à croire  que  l’eau  réduite  en  va- 
peurs est  très-propre  à produire  les  plus  fortes 


DANS  LES  DEÜÎ  SICI1ES.  267 
éruptions  volcaniques,  et  que  d’un  autre  côté, 
la  retraite  subite  de  la  mer  , qui  arrive  souvent 
dans  ces  circonstances , ne  semble  pouvoir  pro- 
venir que  de  l’action  de  ce  terrible  agent  , ce- 
pendant il  n’est  pas  nécessaire  d’y  recourir  pour 
expliquer  les  éruptions  médiocres  ou  faibles , les 
gaz  permanens  dont  nous  avons  parlé  étant  suffi- 
sans  pour  les  occasionner.  Il  est  même  hors  de 
doute  que  ces  gaz  sont  les  seuls  auteurs  des 
éruptions  de  certains  volcans , par  exemple  , de 
celui  de  Stromboli.  En  effet,  que  l’on  se  rappelle 
comment  elles  se  préparent  dans  son  cratère. 
On  voit  d^abord  la  lave  liquéfiée  bouillonner  , 
se  soulever  à une  certaine  hauteur , se  gonfler  en 
tumeurs  multipliées  qui,  en  éclatant,  produisent 
à l’instant  même  la  détonation  et  le  jet  des  ma- 
tières. L’abaissement  de  la  lave  suit  immédia- 
tement jusqu’à  une  certaine  profondeur  , puis 
il  se  fait  un  nouveau  soulèvement  accompagné  de 
semblables  tumeurs  , dont  la  rupture  amène  de 
nouvelles  explosions  et  de  nouveaux  jets.  C’est 
dans  ce  mouvement  alternatif  que  consiste  son 
action.  J’ai  supposé  que  les  tumeurs  provenaient 
d un  fluide  élastique  emprisonné  dans  la  lave  li- 
quide , qui  cherchait  une  issue  , et  la  trouvait 
enfin  en  déchirant  son  enveloppe,  et  la  vibrant 
dans  les  airs.  Cette  supposition  m’a  paru,  et  me 
parait  encore  très-raisonnable.  Mais  quelle  est 


^58  VOYAGES 

la  nature  de  ce  fluide  ? dernier  point  de  cette 

discussion  que  je  vais  essayer  de  résoudre. 

Placé  sur  le  volcan  de  Stromboli,  et  pouvant 
porter  mes  regards  dans  l’intérieur  de  son  cra- 
tère , il  me  fut  aisé  de  juger  que  le  fluide  ren- 
fermé dans  les  tumeurs  de  sa  lave  ne  pouvait 
provenir  de  la  vaporisation  de  la  lave  même; 
car  cette  vaporisation  qu’on  ne  peut  nier,  d’après 
les  expériences  rapportées  ci-dessus  , bien  que 
suffisante  pour  les  rompre  , ne  l’était  pas  pour 
occasionner  les  grêles  qui  se  succédaient  sans 
interruption.  Ce  fluide  ne  provenait  pas  non  plus 
de  la  vaporisation  de  l’eau  ; car , pour  détonner 
il  n’aurait  pas  attendu  d’être  renfermé  dans  une 
tumeur , et  d’être  porté  à la  suface  de  la  lave  ; 
la  détonation  et  le  jet  seraient  partis  au  moment 
du  contact  de  l’eau  avec  la  lave  embrasée.  D’ail- 
leurs, en  supposant  chacune  de  ces  nombreuses 
et  très-grosses  tumeurs  remplies  d’eau  vaporisée, 
qui  ne  voit  pas  que  les  explosions  et  les  éruptions 
se  feraient  avec  plus  d’impétuosité  ! Il  est  donc 
probable  que  ce  fluide  est  un  gaz  permanent , 
peut-être  un  de  ceux  que  l’on  trouve  dans  les 
volcans  quand  ils  sont  accessibles  et  en  état  de 
repos,  tels  que  le  gaz  acide  carbonique  ,1e  gaz 
hydrogène , le  gaz  oxigène  , &c. 

Dolomieu , qui  ne  s’est  pas  approché  d’auss1 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  ^69 
près  que  moi  du  cratère  de  Stromboli  , mais  qui 
a observé  ses  éruptions , conjecture  qu’elles  sont 
un  jeu  du  gaz  hydrogène.  Insoupçonné  que  le 
feu  intérieur  dégage  ce  fluide  des  matières  qui 
sont  dans  le  voisinage  du  foyer  volcanique, mais 
qui  ne  le  touchent  pas  immédiatement  5 que 
ce  fluide  arrive  par  des  canaux  souterrains  jus- 
qu’au lieu  de  l’incendie , où  il  s’enflamme  subi- 
tement. # 

Cette  hypothèse , que  ce  sage  naturaliste  ne 
présente  que  comme  un  doute , est  séduisante , 
et  je  suis  porté  à croire  qu’elle  a souvent  lieu 
dans  les  volcans  brûlans  5 mais  les  faits  ne  per- 
mettent pas  de  l’appliquer  à celui  de  Stromboli. 
En  premier  lieu  , si  ce  gaz  a la  propriété  de 
s’enflammer,  il  a aussi  celle  d’éteindre  le  feu 
placé  dans  son  atmosphère.  Et  comment  la  lave 
fondue  dans  le  cratère  de  Stromboli  pourrait- 
elle  être  investie  , agitée , raréfiée  par  un  sem- 
blable fluide  méphitique , sans  que  la  vive  rou- 
geur dont  elle  brille  aux  heures  de  la  nuit  où 
je  l’ai  observée , ne  s’obscurcît  pas , ne  se  perdît 
pas  même  entièrement.  En  second  lieu  , quoique 
dans  ce  volcan , la  détonation  accompagne  tou- 
jours l’éruption , cependant  on  ne  dira  point  que 
la  première  soit  occasionnée  par  le  gaz  hydro- 
gène , à moins  de  vouloir  admettre  un  effet  in- 


%6o 


VOYAGES 


comparablement  plus  petit  que  sa  cause.  Dans 
les  diverses  stations  que  j’ai  faites  sur  ce  volcan, 
j’ai  observé  que  les  détonations  les  plus  fortes 
ne  faisaient  pas  plus  de  bruit  qu’un  tonnerre 
sourd  et  très-court , et  c’est  à ce  moment  que 
se  fait  la  rupture  des  tumeurs  qui  couvrent  la 
surface  de  la  lave  , tumeurs  qui  ont  un  diamètre 
de  plusieurs  pieds.  Or , n’est-il  pas  évident  qu’une 
si  grande  quantité  d’hydrogène  renfermée  dans 
un  si  grand  nombre  de  tumeurs , et  fulminant 
presqu’au  même  instant , devrait  produire  un 
bruit  infiniment  plus  retentissant?  Mais  voici  une 
preuve  sans  réplique,  ou,  pour  mieux  dire,  une 
démonstration  de  l’insuffisance  de  l’hypothèse  de 
Dolomieu.  Quand  les  tumeurs  se  brisent  par  l’ef- 
fort et  la  sortie  du  fluide  , ce  fluide , si  c’était 
du  gaz  hydrogène  , devrait  s’enflammer  en  ce 
moment , et  manifester  son  inflammation  à la 
surface  de  la  lave.  Or,  la  vérité  est  qu’à  chaque 
éruption  on  n’y  voit  rien  de  semblable  , pas  la 
plus  petite  flamme.  C’est  ce  que  je  puis  certifier, 
ayant  observé  attentivement,  pendant  le  jour 
et  la  nuit , les  moindres  accidens  qui  survenaient 
dans  le  cratère. 

Forcé  d’abandonner  cette  explication , il  me 
vint  dans  l’esprit  que  l’air  atmosphérique  était 
peut  - être  la  cause  de  ces  phénomènes.  Dans 


DANS  LES  DEUX  S I C I L E S.  20  L 
cette  seconde  hypothèse  , il  fallait  démontrer 
comment  cet  air  entrait  librement  dans  le  volcan  > 
et  comment  il  en  sortait  en  produisant  des  gon- 
flemens  et  des  éruptions.  Le  premier  point  n’of- 
frait pas  de  difficulté , puisque  les  montagnes  vol- 
caniques sont  caverneuses  3 mais  cet  air  pouvait- 
il  s’insinuer  dans  la  masse  de  la  lave  ? pouvait-il 
la  traverser  et  arriver  à son  sommet  ? Je  trouvai 
dans  sa  nature  même  deux  obstacles  insurmon- 
tables qui  devaient  s’y  opposer.  i°.  On  ne  peut 
nier  que  l’air  atmosphérique  qui  pénètre  par  des 
déchirures  jusque  dans  les  entrailles  de  la  mon- 
tagne , ne  doive  se  dilater  extrêmement  en  appro- 
chant de  cette  masse  énorme  de  lave  fondue  et 
incandescente  , et  se  porter  vers  l’issue  la  plus 
facile  pour  s’échapper  : il  se  retirera  donc  par 
les  cavernes  qui  communiquent  au  - dehors  et 
lui  ont  servi  d’entrée.  20.  Mais  supposons  pour 
un  moment  qu’il  parvienne  à s’insinuer  dans  la 
lave , ce  ne  serait  que  dans  un  état  de  raréfaction 
très-grande  > et  dès-lors  serait-il  capable  de  pro- 
duire les  explosions  continuelles  de  Stromboli  ? 
Je  m'arrête  à ces  deux  objections  3 elles  suffisent 
pour  prouver  l’absurdité  de  cette  seconde  hy- 
pothèse. 

Oserai-je  en  proposer  une  troisième?  je  ne  la 
crois  pas  indigne  de  l’attention  du  lecteur,  quoi- 


VOYAGES 


r.02 

que  je  ne  la  lui  donne  que  comme  conjecturale. 
Il  me  semble  que  le  gaz  oxigène  pourrait  nous 
donner  Implication  que  nous  cherchons.  On  sait 
que  les  sulfates  de  fer  et  d’alumine  en  fournissent 
abondamment  quand  ils  sont  tourmentés  par  un 
feu  très-vif  ; on  sait  encore  que  ces  deux  sels 
se  reproduisent  facilement  dans  les  volcans.  L’un 
et  l’autre  pourraient  être  une  source  abondante 
et  inépuisable  d’oxigène  dans  le  Strornboli  5 ce 
gaz  , en  se  mêlant  avec  la  lave  , serait  forcé  par 
sa  légéreté  à monter  au  travers  5 il  s’amasserait 
dans  la  bouche  étroite  du  cratère  $ il  produirait 
des  gonflemens,  des  boursouflures  dans  la  lave  $ 
il  en  sortirait  avec  détonation  , il  la  déchirerait 
en  lançant  dans  les  airs  ses  morceaux  épars 5 car 
l’augmentation  de  chaleur  qu’il  aurait  reçue , aug- 
menterait aussi  et  prodigieusement  sa  force  ex- 
pansive. D’ailleurs  les  éruptions  seraient  toujours 
proportionnées  à la  quantité  de  gaz  rassemblé 
et  dégagé. 

Je  ne  vois  que  deux  argumens  que  l’on  puisse 
élever  contre  cette  hypothèse.  Le  premier  est 
que  la  lave  qui  serait  investie  par  le  gaz  oxigène 
devrait  être  si  lumineuse , que  l’œil  ne  pourrait 
en  soutenir  la  vue  5 puisqu’il  ne  se  fixe  qu’avec 
beaucoup  de  peine  sur  la  plus  petite  flamme  que 
ce  gaz  anime.  Cependant  la  lave  n’est  pas  plus 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  263 
rouge  que  le  verre  et  le  bronze  fondu.  Le  second 
est  que  cette  lave  , attisée  par  ce  gaz , devrait 
se  convertir  en  un  verre  ou  un  émail  homogène  , 
comme  il  arrive  à celles  que  Ton  expose  au  feu 
animé  par  l’oxigène.  Cependant  il  n’en  est  rien, 
et  dans  les  matières  que  vomit  le  Stromboli , on 
reconnaît  encore  les  bases  de  leurs  roches  pri- 
mordiales : les  schorls  et  les  feld-spaths  s’y  main- 
tiennent dans  leur  état  primitif  de  cristallisa- 
tion. 

Mais  on  peut  répondre  à ces  deux  argumens, 
si  l’on  considère  que  l’oxigène  ne  saurait  être 
jamais  pur  dans  les  volcans  brûlans  5 qu’il  doit 
y être  nécessairement  mêlé  à quelque  gaz  mé- 
phitique 3 sur-tout  à l’acide  carbonique , si  com- 
mun dans  les  pays  volcaniques.  Ce  mélange  doit 
afFaiblir  beaucoup  le  vif  éclat  que  l’oxigène  pur 
exciterait  dans  la  lave  5 et  celle-ci , par  la  même 
raison , ne  sera  jamais  assez  tourmentée  par  le  feu 
pour  ne  pas  conserver  les  caractères  de  sa  roche. 
Je  ne  donne  cette  explication  que  pour  ce  qu’elle 
vaut  j prêt  à la  rejeter  si  on  la  démontre  insuffi- 
sante. L’impossibilité  de  recueillir  le  fluide  qui 
s’échappe  du  cratère  de  Stromboli , fera  qu’on 
n’en  découvrira  jamais  la  nature  par  des  voies 
directes.  Je  l’ai  jugée  par  conjecture , et  j’ai 
pensé  que  l’oxigène , dont  l’existence  n’est  pas 


20^  VOYAGES 

douteuse  dans  le  volcan  de  Stromboli , était  le 
plus  propre  à en  expliquer  les  phénomènes.  Au 
reste  , qui  sait  si  dans  ces  immenses  laboratoires 
de  la  nature  qu’on  appelle  des  volcans  , il  ne 
se  produit  ou  ne  se  développe  , par  le  moyen  du 
feu , des  substances  gazeuses  qui  nous  sont  in- 
connues , et  qui  concourent  à leurs  éruptions  ? 
et  ces  substances  3 pourra-t-on  jamais  les  con- 
naître } 


i 


CHAPITRE 


ï)  A N S LES  D E Ü 3L  SICILE  S.  26  S 

CHAPITRE  XXII. 

eide  muriatique  contenu  dans  divers  -produits 
volcaniques.  Recherches  sur  son  origine  et 
son  mélange  avec  ces  produits \ 


Au  commencement  du  chapitre  précédent , j’ai 
dit  que  5 voulant  savoir  si  les  productions  volca- 
niques , traitées  avec  le  feu  dans  des  matras  > 
fourniraient  quelque  gaz  , et  quelle  serait  la  na- 
ture de  ce  gaz  , j’avais  disposé  l’expérience  de 
manière  que  si  ces  mêmes  productions  laissaient 
échapper  quelque  liqueur  , je  pusse  en  même 
temps  la  recueillir  au  moyen  d’un  ballon  de 
verre  , qui  d’un  côté  communiquait  au  matras  3 
et  de  l’autre  à l’appareil  chîmico-pneumatique 
à mercure»  J’ai  de  plus  annoncé  que  j’avais  ob- 
tenu une  liqueur  , que  son  caractère  était  remar- 
quable , et  que  je  me  réservais  d’en  parler  plus 
particulièrement.  C’est  à quoi  je  destine  ce  cha- 
pitre. Je  raconterai  les  circonstances  qui  accom- 
pagnèrent l’écoulement  de  cette  liqueur,  en  com- 
mençant par  le  verre  tigré  de  Lipari , qui  le  pre*» 
mier  la  produisit. 

Tome  III , 


S 


VOYAGES 


26 6 x 

Comme  le  feu  commençait  à échauffer  consi- 
dérablement le  raatras  , il  parut  dans  le  ballon  un 
nuage  blanc  qui,  augmentant  insensiblement,  en 
occupa  toute  la  capacité  3 puis  se  raréfiant  peu  à 
peu , s’attacha  , sous  la  forme  de  petites  gouttes  , 
aux  parois  intérieures  du  verre.  Au  bout  de  deux 
heures  et  trois  quarts  de  feu , ce  nuage  se  dissipa 
entièrement , en  laissant  au  fond  du  ballon  une 
petite  quantité  de  liqueur  limpide. 

J’examinai  cette  liqueur  : son  poids  était  de 
cent  quarante-quatre  grains  3 sa  saveur,  celle 
de  l’acide  muriatique  délayé. 

Le  prussiate  de  potasse  ferrugineux  non  sa- 
turé , et  la  teinture  de  noix  de  galle  faite  avec 
l’esprit-de-vin,  n’y  manifestèrent  aucune  trace 
de  fer. 

Le  carbonate  ammoniacal  n*y  laissa  voir  aucun 
vestige  de  terre. 

La  teinture  de  tournesol  changée  en  rouge, 
annonça  que  cet  acide  était  pur , et  son  effer- 
vescence avec  le  carbonate  ammoniacal , qu’il 
était  un  peu  concentré. 

Le  muriate  de  baryte  , dans  lequel  il  ne  causa 
aucune  précipitation  , prouva  qu’il  n’était  pas 
sulfurique* 


* 

DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  267 

Et  enfin  les  flocons  blancs  produits  avec  le 
nitrate  d’argent,  annoncèrent  qu’il  était  un  acide 
muriatique. 

Il  me  restait  quatre-vingts  grains  de  cette 
liqueur,  sur  laquelle  je  vetsai  à diverses  reprises 
le  nitrate  d’argent  jusqu’à  ce  qu’il  n’y  eût  plus 
de  précipité.  Ce  précipité  bien  édulcoré , bien 
séché  , je  le  pesai , et  je  trouvai  qu’il  se  montait 
à huit  grains.  Or,  comme  l’acide  muriatique, 
suivant  le  calcul  de  Bergman , fait  le  quart  du 
muriate  d’argent , cet  acide  entrait  pour  deux 
grains  dans  la  liqueur  susdite. 

Je  n’ai  pas  besoin  de  dire  la  surprise  que  me 
causa  la  présence  de  ce  sel  et  de  cette  eau  , 
dans  une  substance  pierreuse  qui  avait  été  non- 
seulement  fondue , mais  encore  vitrifiée  par  les 
feux  souterrains.  Je  ne  pouvais  soupçonner  que 
l’un  et  l’autre  , avant  l’opération  , étaient  adhé- 
rens  au  matras  , car  il  était  neuf,  comme  tous 
ceux  que  j’employais , et  servait  pour  la  pre- 
mière fois.  La  singularité  de  ce  fait  m’engagea 
à répéter  l’expérience  avec  le  même  verre  tigré , 
dont  je  possédais  de  très-gros  morceaux.  J’en 
pris  un  que  je  réduisis  en  poudre $ je  plaçai  cette 
poudre  dans  un  autre  matras  que  je  disposai 
comme  le  précédent.  Au  bout  d’une  demi-heure 
de  feu  , j’apperçus  dans  le  ballon  des  traces  d’un 

Sa 


V O Y A G E S 


s68 

nuage  blanc  qui,  s’augmentant  successivement,' 
acheva  de  le  remplir  entièrement  3 il  se  résolut 
ensuite  contre  lés  parois  en  un  voile  aqueux  qui, 
tombant  au  fond  du  ballon  , y produisit  une  cer- 
taine quantité  de  liqueur.  Son  poids  était  de 
soixante  et  dix-sept  grains  et  demi  5 elle  avait 
la  saveur  de  l'acide  muriatique  , et  les  réactifs 
y prouvèrent  la  présence  de  ce  sel  à l'exclusion 
de  tout  autre.  Il  me  fut  donc  démontré  que  cet 
acide , uni  à l'eau  , se  trouvait  renfermé  dans 
le  verre  volcanique.  J’expliquai  l’apparence  du 
nuage  blanc  dans  le  ballon  par  le  mélange  de 
l’eau  avec  l’acide  muriatique,  qui,  toutes  les  fois 
qu’il  est  en  contact  avec  l’humidité , produit  de 
semblables  vapeurs  3 et  la  condensation  du  nuage, 
par  la  fraîcheur  du  ballon.  Ces  vapeurs  aqueuses 
se  sont  précipitées , et  l’acide  s’est  uni  à l’eau  par 
la  grande  affinité  qu’il  a avec  elle. 

Mais  pette  liqueur  appartenait-elle  exclusive- 
ment au  verre  tigré  de  Lipari,  ou  était-elle  com- 
mune à d’autres  productions  volcaniques  ? Je 
poursuivis  ma  recherche , et  d’abord  je  mis  à 
l’épreuve  le  verre  noir  de  la  même  île.  Douze 
onces  me  donnèrent  cent  quatre  grains  de  li»- 
queur  qui  s’amassa  au  fond  du  ballon  : elle  était 
de  même  nature  que  la  précédentes 

Ainsi,  malgré  l’inégalité  de  poids  dans  les  deux 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  26g 
verres  employés , l’un  dans  la  première  expé- 
rience , l’autre  dans  la  seconde , la  liqueur  éma- 
née de  celui-ci  pesait  quarante  grains  de  moins  5 
mais  en  la  goûtant , je  la  trouvai  un  peu  plus 
acide.  En  effet,  quatre-vingts  grains  me  donnèrent 
dix  grains  de  muriate  d’argent , et  par  consé- 
quent deux  grains  et  demi  d’acide  muriatique, 
tandis  que  les  quatre-vingts  grains  de  la  liqueur 
du  verre  tigré  n’en  avait  fourni  en  dernier  ré- 
sultat que  deux  grains. 

J’éprouvai  ensuite  un  verre  artificiel , et  j’en 
recueillis  à peine  un  grain  d’eau , qui  se  trouva 
tout-à-fait  insipide.  Les  deux  verres  volcaniques 
avaient  donc , à l’exclusion  des  verres  artificiels, 
la  propriété  de  contenir  de  l’acide  muriatique. 

Curieux  de  savoir  s’il  était  combiné , ou  uni 
mécaniquement  avec  ces  deux  corps  volcaniques, 
j’imaginai  de  les  exposer  à un  feu  assez  modéré 
pour  les  garantir  de  la  fusion.  J’enfermai  six  onces 
de  verre  tigré  en  poudre  dans  une  cornue  jointe 
à un  ballon  qui  communiquait  avec  l’appareiL  à 
mercure  , et  je  l’exposai  pendant  douze  heures 
de  suite  à l’action  d’un  feu  de  sable.  Au  bout 
de  six  quarts-cfheure  , il  parut  au  col  de  la  cor-i 
nue  une  grosse  goutte  d’une  liqueur  , qui  tomba 
bientôt  après  dans  le  ballon;  il  s’en  forma  une 
seconde  au  même  endroit  qui  y resta  toujours 

S 5 


VOYAGES 


570 

attachée  , et  ce  fut  la  dernière.  On  ne  voyait 
point  de  vapeurs  ni  dans  la  cornue , ni  dans  le 
ballon.  Les  deux  premières  heures  s’écoulèrent 
ainsi  ; alors  seulement  le  col  de  la  cornue  com- 
mença à se  couvrir  d’un  voile  blanc,  qui  devint 
ensuite  plus  dense  : aucun  gaz  ne  se  forma  sur  le 
mercure. 

Ayant  rompu  la  cornue , je  découvris  que  ce 
voile  n’était  autre  chose  que  la  partie  la  plus 
subtile  du  verre  pulvérisé  sublimée  par  l’action 
du  feu  3 et  adhérente  à la  cornue.  La  fusion  ne 
s’était  point  opérée.  Les  deux  gouttes  d’eau,  qui 
pouvaient  peser  neuf  à dix  grains , se  trouvèrent 
très-acides  au  goût , et  les  réactifs  démontrèrent 
que  cet  acide  était  muriatique. 

Puisque  le  verre  mis  en  expérience  était  resté 
intact , le  résultat  indiquait  que  l’eau  et  l’acide 
étaient,  non  en  combinaison  , mais  seulement  en 
adhérence  avec  ses  parties  5 et  s’il  n’en  était  pas 
sorti  une  plus  grande  quantité  , c’est  que  le  feu 
avait  été  trop  modéré. 

La  voie  humide  me  fournit  de  nouvelles  lu- 
mières. Je  réduisis  en  poudre  douze  onces  de 
verre  noir  de  Lipari , autant  de  verre  tigré  5 je 
les  mis  séparément  en  digestion  , pendant  douze 
heures  , dans  l’eau  distillée.  Cette  eau  , après 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  27  1 
avoir  été  filtrée , ne  changea  point  la  couleur 
de  la  teinture  de  tournesol,  preuve  qu’il  n’y  exis- 
tait aucun  acide  libre,  ou  du  moins  que  cet  acide 
y était  très— afFaibli.  Mais  le  nitrate  d’argent  la 
troubla  légèrement,  et  il  se  forma  un  petit  sédi- 
ment au  bout  de  vingt-quatre  heures. 

Sachant  que  l’acide  muriatique,  quoique  faible, 
engendre  toujours  des  flocons  blancs  , ou  des 
stries  dans  le  nitrate  d’argent , je  doutai  que  le 
trouble  de  la  liqueur  fût  l’effet  de  cet  acide. 
Pour  m’en  assurer  , je  pris  de  l’eau  distillée  , à 
laquelle  je  mêlai  une  goutte  d’acide  muriatique; 
j’y  versai  du  nitrate  d’argent , et  il  se  forma  des 
flocons  ; j’augmentai  le  volume  d’eau,  et  renou- 
velant l’épreuve  avec  le  nitrate  , les  flocons  pa- 
rurent , mais  plus  petits  ; une  nouvelle  addition 
d’eau  . et  une  nouvelle  épreuve  , n’offrirent  plus 
qu’un  léger  trouble  et  point  de  floceons,  effet 
semblable  à celui  qu’avait  manifesté  ma  première 
liqueur  , et  qui  y prouvait  l’existence  d’une  très- 
petite  portion  d’acide  muriatique  , qui,  pendant 
la  digestion  , s’était  émanée  des  verres  volca- 
niques. 

Je  pris  douze  onces  du  verre  noir,  autant  du 
verre  tigré  ; j’en  fis  séparément  quatre  décoc- 
tions consécutives  de  quinze  heures  chacune  ; 
je  filtrai  l’eau,  je  la  fis  évaporer  à siccité , et 

S 4 


272  VOYAGES 

au  fond  de  l’évaporatoire  , je  trouvai  un  résidu 
de  poussière  de  verre.  J’y  versai  un  peu  d’eau 
distillée  j j’éprouvai  une  partie  de  cette  eau  avec 
la  teinture  de  tournesol  , l’autre  avec  le  nitrate 
d’argent.  La  première  se  colora  légèrement  de 
rouge  5 la  seconde  se  troubla  un  peu , et  il  s’y 
forma  quelques  flocons  blancs. 

Je  fis  , non  bouillir , mais  infuser  au  feu  de 
sable  pendant  quarante  heures  , dans  de  l’eau 
distillée  , dix-neuf  onces  deux  dragmes  et.  sept 
grains  et  demi  du  verre  noir  réduit  en  six  mor- 
ceaux ; j’en  fis  autant  du  verre  tigré  , le  divisant 
de  même  en  six  morceaux , qui  pesaient  en  tout 
vingt  onces  deux  dragmes  et  un  grain  et  demi. 
Séchés  à Pair  et  au  soleil  , les  deux  verres  se  sont 
ensuite  trouvés  du  même  poids.  Les  deux  eaux, 
dont  le  volume  s’était  diminué  par  l’évaporation, 
se  sont  troublées  par  le  nitrate  d’argent,  et  il  en 
est  résulté  un  petit  sédiment. 

L’ensemble  de  ces  faits  démontrait  évidem- 
ment que  l’acide  muriatique  , dans  les  deux 
verres  volcaniques  , n’était  point  combiné  avec 
eux  comme  principe  constituant  , mais  qu’il 
adhérait  simplement  à leurs  parties. 

J’étendis  ces  recherches  à d’autres  corps  vol- 
caniques. La  lave  à grenat  du  Vésuve  me  donna 


DANS  LES  DEUX  SI  C ï LES.  2^5 
deux  grains  d’eau  qui  ne  changea  point  la  tein- 
ture de  tournesol  , mais  qui  se  colora  d’un  blanc 
laiteux  par  le  mélange  du  nitrate  d’argent  : ainsi 
elle  n’était  pas  entièrement  privée  d’acide  mu- 
riatique. 


Celle  du  même  volcan  qui  avait  coulé  peu  de 
temps  avant  mon  voyage  au  Vésuve  , laissa  dans 
le  fond  du  ballon  quatre  grains  d’eau  qui  sortit 
pure  de  l’épreuve. 


La  lave  de  Vulcano  , émaillée  à l’extérieur, 
en  fournit  quatre  grains  et  demi.  Cette  eau  était 
sans  odeur , mais  d’une  saveur  acidulé  : sa  pré- 
cipitation  en  flocons  blancs  annonça  la  présence 
de  l’acide  muriatique. 

La  lave  de  Stromboli , lancée  de  son  cratère, 
ne  produisit  que  de  l’eau  simple. 

Une  autre  lave  du  même  volcan  et  de  la  même 
espèce  , mais  d’une  date  ancienne , et  qui  avait 
été  retirée  de  dessous  d’autres  laves  à une  grande 
profondeur,  donna  sept  grains  et  un  quart  d’eau. 
Sa  saveur  acidulé,  sa  précipitation  en  stries  flo- 
conneuses , prouvèrent  qu’elle  contenait  de  l’a- 
eide  muriatique  en  dissolution. 

Je  retirai  de  la  lave  de  l’Etna  de  1787  six 


27^  VOYAGES 

grains  d’eau  pure.  Cette  lave  , ainsi  que  la  pre- 
mière de  Stromboli , était  encore  chaude  quand 
je  la  recueillis. 

Une  pierre  ponce  solide  de  Lipari  me  donna 
vingt-quatre  grains  et  demi  d’eau  acide  au  goût, 
et  qui  changeait  en  rouge  la  teinture  de  tour- 
nesol. Elle  se  troubla  par  le  mélange  du  nitrate 
d’argent , et  j’y  reconnus  la  présence  de  l’acide 
muriatique. 

Ainsi,  des  neuf  corps  volcaniques  qui  ont  été  le 
sujet  de  ces  expériences , six  ont  manifesté  la  pré- 
sence de  l’acide  muriatique  ; les  trois  autres  n’en 
ont  donné  aucun  signe.  En  réfléchissant  sur  leurs 
circonstances  locales,  je  vis  que  l’acide  muriati- 
que n’existait  point  dans  les  produits  volcaniques 
alors  qu’ils  étaient  encore  en  liquéfaction  ou  en 
incandescence,  mais  qu’il  s’y  unissait  par  la  suite. 
En  effet,  la  lave  du  Vésuve,  celle  de  Stromboli, 
celle  de  PEtna,  qui  étaient  de  formation  nouvelle 
quand  je  les  recueillis,  n’en  renfermaient  point , 
quoiqu’elles  continssent  une  petite  portion  d’eau  5 
tandis  que  les  six  autres,  qui  avaient  perdu  leur 
chaleur  depuis  long-temps  , en  ont  fourni  une 
quantité  plus  ou  moins  grande.  Cela  est  sur- tout 
remarquable  dans  les  deux  laves  de  Stromboli  : 
elles  étaient  de  même  nature.  Dans  l’une , prise 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  2y5 
au  moment  de  sa  chute  hors  du  cratère , l’acide 
n’existait  point  ; dans  l’autre , vomie  depuis  quel- 
que temps  , l’acide  commençait  à se  former , et 
a manifesté  sa  présence. 

J’avais  pensé  que  cet  acide  pouvait  provenir 
du  muriate  ammoniaque,  qui  se  trouve  commu- 
nément dans  les  volcans.  Je  versai  sur  la  chaux 
une  partie  de  liqueur  que  j’avais  obtenue  des 
verres  volcaniques  ; j’employai  aussi  le  carbo- 
nate de  potasse  ; mais  l’odeur  piquante  de  l’am- 
moniaque ne  se  fit  point  sentir,  preuve  évidente 
qu’il  n’y  en  avait  point  dans  la  liqueur. 

Je  croirais  plutôt  que  cet  acide  s’élève , soit 
des  lieux  souterrains , où  l’on  sait  qu’il  se  forme 
quelquefois  ; soit  plus  probablement  de  la  mer, 
qui  pénètre  par-dessous  les  monts  volcaniques, 
et  qu’il  s’engendre  de  la  décomposition  du  rau- 
riate  de  soude  opérée  par  les  acides  sulfureux, 
si  abondans  dans  les  volcans.  Cet  acide  muria- 
tique , absorbé  par  l’humidité  de  l’air,  s’intro- 
duit  ensuite  dans  les  productions  volcaniques. 
Si  l’on  s’étonnait  cependant  que  ce  sel  avec  l’eau 
ait  pu  s’insinuer  dans  deux  verres  volcaniques 
aussi  compactes  que  ceux  de  Lipari , sur-tout 
le  noir  , et  quin’ont  ni  crevasses  , ni  gerçures, 
on  doit  se  rappeler  que  l’eau  s’atténue  au  point 


276  VOYAGES,  ûc. 

de  pénétrer  dans  les  corps  les  plus  denses , où 
les  yeux , armés  de  la  meilleure  loupe  , ne  dé- 
couvrent pas  le  plus  petit  pore. 


FIN  DU  TOME  TROISIÈME. 


/ 


/ 


; : .•  v ; J, 

: T . ...  * 7 V t . , ' ./tff  . ( 

TABLE  ET  SOMMAIRES 

des  chapitres  contenus  dans  ce  troisième 
volume. 

chapitre  xvij  page  1 . Voyage  dans  V inté- 
rieur de  Vile  de  Lipari . 

SECONDE  PARTIE. 

Aspect  irrégulier  de  cette  île.  Ses  cratères ^existent 
plus.  Conjecture  que  le  mont  Saint- Angelo  et  celui  de  la 
Guardia , les  plus  éminens  de  l’île  , ont  été  formés  par 
deux  volcans  distincts.  Efflorescence  du  muriate  d’am- 
moniaque dans  deux  cavernes  près  la  plaine  nommée 
la  Valle.  Brèche  volcanique  très- curieuse.  Tuffa  qui 
recouvre  une  partie  de  la  montagne  des  Etuves,  et  qui 
paraît  provenir  d’un  courant  terreux.  Charbons  ligneux 
enfermés  dans  ce  tuffa.  Recherches  sur  leur  origine. 
Chemin  conduisant  de  la  ville  aux  Etuves  creusé  par 
les  pluies  dans  le  tuffa.  Productions  volcaniques.  Mor- 
ceaux errans  d’émail , renfermant  de  petits  corpuscules 
semblables  aux  grenats.  Leur  comparaison  avec  les  gre- 
nats duVésuve.  Email  à grenats  de  Lipari  a pour  base 
la  pierre  de  corne.  Laves  errantes.  Chrysolites  volca- 
niques dans  une  lave  à base  de  pierre  de  corne.  Com- 
paraison de  ces  chrysolites  avec  celles  de  l’Etna  et  du 
Vivarais.  Porphyre  rouge  qui  ne  paraît  pas  avoir  subi 
la  fusion.  Tous  ces  corps  ne  forment  point  de  courans, 


278  TABLE  ET  S O^ï  MAIRES 

et  paraissent  avoir  été  lancés  par  les  volcans.  Plaine 
tuffacée  rendue  propre  à la  culture,  située  au  - delà 
du  mont  des  Etuves , et  renfermant  des  morceaux  de 
verre , les  plus  purs  et  les  plus  parfaits  de  Lipari. 
Origine  locale  de  ce  verre.  Lit  de  pierres  ponces  sur 
lequel  s'étend  le  courant  de  tuffa.  Description  des 
Etuves  de  Lipari , restes  de  l’inflammation  souterraine 
de  cette  île.  Nombre  prodigieux  de  laves  décomposées 
par  l’impression  des  vapeurs  sulfureuses.  Oxide  de  fer 
pur  déposé  sur  plusieurs  de  ces  laves.  Leurs  couleurs 
variées.  La  décomposition  est  en  raison  inverse  de  la 
profondeur  des  masses.  Considérées  dans  leurs  parties 
saines  , elles  manifestent  pour  l’ordinaire  une  base  de 
pétro-silex.  La  décomposition  est  un  obstacle  à la  fu- 
sion des  laves , et  pourquoi.  Sulfates  de  chaux  diver- 
sement colorés , et  adhérens  aux  laves  décomposées. 
Le  fer  oxidé  et  modifié  de  diverses  manières , est  la 
cause  de  cette  variété  de  couleurs.  Découverte  de  di- 
verses chrysolites  près  les  Etuves.  Gelée  qu’elles  for- 
ment avec  les  acides  minéraux.  Eclairs  qu’elles  lancent 
à l’instant  de  tomber  en  fusion.  Leur  gonflement.  Com- 
paraison de  ces  zéolites  avec  celles  des  autres  pays. 
Leur  génération  se  fait , non  par  la  voie  sèche , mais 
par  la  voie  humide.  Zéolites  formées  dans  la  mer  : 
celles  de  Lipari  ont  une  autre  origine.  Exemples  de 
zéolites  formées  dans  l’eau  douce.  Sources  des  eaux 
thermales  de  Lipari.  Autre  amas  prodigieux  de  laves 
décomposées  et  de  sulfures  de  chaux  au  sud  de  l’île. 
Aucun  pays  volcanisé  en  Europe  , où  les  vapeurs  sul- 
fureuses émanées  des  incendies  souterrains  aient  oc- 
cupé autant  d’espace.  Vitrifications  de  Campo-Bianco , 
du  mont  de  la  Castagna  et  autres  lieux.  Les  deux  tiers 


DES  CHAPITRES.  279 
de  cette  île  , qui  a dix-neuf  milles  et  demi  de  circon- 
férence , sont  vitrifiés.  Ses  matières  volcanisées  dé- 
rivent du  pétro-silex  , du  feld-spath  en  masse,  de  la 
roche  de  corne,  qui  se  sont  ou  simplement  fondus, 
ou  vitrifiés.  Il  n’est  pas  nécessaire  de  supposer,  pour 
ce  dernier  effet,  une  grande  puissance  dans  les  feux 
souterrains.  Exception  pour  les  pierres  ponces  prove- 
nues du  granit.  Notices  transmises  par  les  anciens  sur 
les  feux  de  Lipari.  L’existence  de  cette  île  et  celle  de 
la  ville  remonte  à une  époque  antérieure  à la  guerre 
de  Troyes.  Il  n’est  aucun  souvenir  des  éruptions  de 
ses  volcans  dans  les  temps  historiques.  Cette  île  est 
parvenue  à son  plus  grand  développement  avant  que 
les  hommes  en  aient  eu  connaissance. 

chapitre  xvii,  page  72.  Félicuda . 

Cette  île  a deux  anses  où  les  petits  bâtimens  trouvent 
un  abri.  Voyage  autour  de  ses  rivages.  Laves  prisma- 
tiques qui  plongent  dans  la  mer.  Vaste  grotte  taillée 
dans  une  de  ces  laves.  Recherches  touchant  son  ori- 
gine. Couches  de  tufîa  et  de  laves  posées  alternative- 
ment Pune  sur  l’autre.  Autres  laves  prismatiques  des 
rivages.  Considérations  sur  ces  laves.  Description  de 
l’intérieur  de  l’île.  Montagne  centrale  plus  éminente 
que  les  autres  : on  voit  à son  sommet  le  cratère  d’un 
antique  volcan,  à qui  probablement  Félicuda  doit  sa 
première  origine.  Indices  de  l’existence  passée  d’un 
volcan  moins  considérable  à la  cime  d’un  mont  su- 
balterne. Point  d’autres  vestiges  de  cratère  par  toute 
l’île.  Qualités  des  laves , verres , ponces , tuffas , pouzzo- 
lanes , disséminés  dans  son  intérieur.  Pouzzolanes  et 
ponces  employées  par  les  insulaires  dans  la  construc- 


280  TABLE  ET  SOMMAIRES 

tion  des  maisons.  L’île  entière  ne  présente  à Fauteur 
que  des  matières  volcanisées , à la  réserve  d’un  mor- 
ceau de  granit  naturel.  Réflexions  sur  cette  roche. 

chapitre  xvm,  page  ^5.  Æicuda . 

Tempête  essuyée  par  Fauteur  dans  la  traversée.  Ponces 
et  verres  de  cette  île.  Ses  rivages.  Rochers  composés 
de  globes  de  lave.  Recherches  à ce  sujet.  Lave  d’une 
conservation  parfaite  , quoique  d’une  date  très  - an- 
cienne. Incertitude  de  nos  jugemens  sur  la  plus  ou 
moins  grande  antiquité  des  laves , fondés  sur  le  degré 
plus  ou  moins  sensible  de  leur  décomposition.  Masses 
isolées  de  porphyre , ne  portent  aucun  signe  d’avoir 
été  touchées  par  le  feu  volcanique.  Laves  d’un  autre 
genre.  Schorls  verts  tirant  sur  l’azur  , renfermés  dans 
toutes  ces  laves.  Horrible  aspect  des  côtes  d’Alicuda. 
Les  flancs  de  la  montagne  ne  présentent  aucunes  traces 
de  cratères.  On  en  voit  des  vestiges  à son  sommet. 
Les  laves  de  l’intérieur  sont  analogues  à celles  des 
rivages.  Peu  de  probabilité  <^ue  Félicuda  et  Alicuda 
aient  jamais  composé,  comme  le  conjecture  Dolomieu, 
une  seule  montagne  conique  que  la  mer  aurait  divisée. 
Raison  de  croire  que  chacune  de  ces  îles  a été  formée 
séparément.  Ces  deux  îles  ne  portent  plus  des  indices 
d’un  feu  souterrain  existant.  Le  silence  des  anciens  à 
l’égard  de  leurs  éruptions  est  une  preuve  que  depuis 
long-temps  elles  ont  cessé  de  brûler. 


CHAPITRE 


DES  CHAPITRES» 


28l 

chapitre  xix,  page  111.  Considérations  sur 
la  volcanisation  des  îles  Æoliennes . Re- 
cherches sur  lJ origine  des  basaltes . 

Instrumens  propres  à arracher  les  corps  pierreux  du 
fond  de  la  mer.  Fond  volcanique  des  canaux  qui  sé- 
parent Vulcano  , Lipari  et  les  Salines.  Les  matières 
de  ce  Tond  sont  semblables  à celles  qui  forment  les 
bases  des  îles  Æoliennes.  Gravier  et  sable  volcanique 
au  fond  du  canal,  entre  Panaria  et  Lipari.  Roches 
existantes  au  milieu  des  eaux  qui  baignent  les  Sa- 
lines, Félicuda  et  Alicuda  , analogues  à celles  de  ces 
îles , mais  probablement  primordiales.  Preuves  dé- 
cisives , déduites  de  ces  observations  , que  les  schorls 
et  les  feld  - spaths  cristallisés  des  laves  m’ont  pas  été 
saisis  par  elles  dans  leur  écoulement,  ni  formés  au- 
dedans  d’elles  pendant  leur  refroidissement.  Confir- 
mation de  ces  preuves.  Iles  Æoliennes  placées  en 
ligne  droite  de  l’est  à l’ouest.  Directions  semblables 
de  quelques  îles  et  montagnes  volcaniques  dans  d’au- 
tres régions.  Probabilités  que  tout  l’archipel  Æolien 
se  soit  formé  en  même  temps,  du  moins  quant  à ses 
premiers  rudimens.  On  explique  comment  les  îles  et 
montagnes  ignivomes  prennent  en  naissant  une  direc- 
tion en  ligne  droite.  Matières  des  Æoliennes  pour  la 
plupart  porphyriques.  Analyses  de  l’auteur,  qui  dé- 
montrent que  les  porphyres  rouges  d’Egypte  ont  pour 
base  , non  le  pétro  - silex , mais  la  pierre  de  corne. 
Existe -t- il  d’autres  pays  volcaniques  un  amas  aussi 
considérable  de  vitrifications  qu’à  Vulcano  et  Lipari? 
Incertitudes  à ce  sujet  Les  relations  des  voyageurs 

Tome  111,  T 


table  et  sommaires 

sont  pour  l’ordinaire  vagues  , souvent  exagérées  et 
peu  instructives.  Verres  volcaniques  en  Islande  ; ne 
composent  pas  des  montagnes.  Nous  ne  connaissons  au- 
cune vitrification  dans  les  volcans  des  îles  de  Ferroë, 
dans  ceux  de  la  Norvège  et  de  la  Laponie.  Il  en  existe 
peu  ou  point  dans  les;  c outrées  voicanisées  de  l'Alle- 
magne et  de  la  Hongrie , et  dans  les  volçans  éteints 
de  la  France.  On  en  trouve  un  peu  plus  au  V ésuve  et 
aux  environs  de  Naples , presque  point  sur  l’Etna  et 
les  montagnes  volcaniques  de  Padoue.  Aucune  terra 
en  Europe  plus  abondante  en  ponce  que  l’île  de  San- 
torin  : ne  porte  point  de  verre.  Cette  production  vol- 
canique très-rare  dans  les  trois  autres  parties  du  monde. 
Conclusion , que  le  globe  n'offre  point  de  pays  volça- 
nisés  plus  abondans  en  verres  que  les  deux  îles  de  Vul- 
çano  et  de  Lipari , mais  que  l'île  de  Santorin  les  sur- 
passe en  pierres  ponces.  Recherches  sur  la  rareté  de 
ces  dernières  vitrifications , soit  dans  les  volcans  en- 
flammés , soit  dans  les  volcans  éteints.  Elle  semble 
moins  provenir  de  la  quantité  des  pierres  affectées  par 
le  feu  volcanique , que  de  l'inefficacité  de  cet  agent 
à les  vitrifier.  Degré  de  feu  successivement  plus  éner- 
gique pour  qu’une  roche  passe  de  l'état  de  lave  à celui 
de  pierre  ponce  , et  de  l’état  de  pierre  ponce  à celui- 
de  verre  parfait.  On  explique  comment  quelques  vol- 
cans produisent  des  pierres  ponces  et  jamais  des  verres. 
Nos  fourneaux  ne  sauraient  produire  des  pierres  ponces. 
Lé  noir  est  leur  couleur  naturelle.  Elles  blanchissent 
par  des  causes  extérieures. 


DES  CHAPITRES. 


a83 


Recherches  sur  les  basaltes* 

ïh  sont  produits  par  la  voie  humide , si  l’on  prend  le  mot 
basalte  dans  l’acception  que  lui  ont  donnée  les  anciens. 
Pierres  en  colonnes,  semblables  par  leur  configuration 
prismatique  au  basalte  des  anciens,  formées  par  la  voie 
sèche  et  par  la  voie  humide,  seïon  les  circonstances. 
Preuves  de  leur  origine  par  la  voie  sèche  à Yulcano 
et  à Félicuda.  La  nature , dans  le  règne  fossile  cristal* 
Üsé,  agit  autant  par  la  voie  sèche  que  par  la  voie 
humide.  Elle  opère  de  même  dans  la  génération  des 
basaltes.  Abus  de  l’analogie  qui  généralise  sur  l’origine 
des  basaltes.  Pris  isolément , ils  ne  portent  pas , pour 
l’ordinaire , les  caractères  particuliers  de  leur  origine. 
Il  faut  la  chercher  dans  les  circonstances  locales.  Les 
laves  basaltiques  sont-elles  formées  par  leur  subite  con- 
densation dans  la  mer  ? Preuves  de  fait  qui  montrent 
i°.  que  beaucoup  de  ces  laves  ont  acquis  leur  confi- 
guration symétrique  en  se  coagulant  dans  les  eaux  de 
la  mer  ; 2°.  que  d’autres  l’ont  reçue  par  leur  simple 
refroidissement  à l’air  libre  ; 3°.  qu’enfin  une  infinité 
de  laves  se  refusent  à cette  configuration , soit  qu’elles 
se  plongent  dans  la  mer , soit  qu’elles  restent  sur  la 
terre.  La  propriété  qu’ont  beaucoup  de  laves  de  se 
cristalliser  en  prismes  ne  dépend  pas,  à ce  qu’il  paraît, 
de  ce  qu’elles  sont  d’une  espèce  plutôt  que  d’une  autre , 
compactes  ou  solides;  mais  il  faut  l’attribuer  à des  cir- 
constances extrinsèques  et  adventices.  On  indique  ces 
circonstances , et  on  explique  comment  il  résulte  de 
leur  présence  ou  de  leur  absence,  que  les  laves  se  con- 
figurent en  prismes  à l’air  libre,  ou  restent  sans  formes 
déterminées  au  fond  des  eaux, 

T 2 


2r8  4 TABLE  ET  S 0,M  MAIRES 


chapitre  xx,  page  i53.  Digression  sur 
diverses  productions  volcaniques  des  monts 
Euganéens. 


Y oYagf.  que  l’auteur  y fait  pendant  les  vacances  de  1789, 
dans  le  but  d’obtenir  un  ternie  de  comparaison  entre 
les  produits  des  volcans  qu’il  avait  déjà  observés  , et 
ceux  des  montagnes  de  Padoue.  Description  de  divers 
échantillons  recueillis  dans  cette  excursion. Trois  qua- 
lités de  laves  à Monte-Castello.  Pétro-silex  errant , 
d’origine  incertaine , entremêlé  avec  elles.  Laves  du 
mont  du  Donati , les  unes  ayant  pour  base  le  pétro- 
silex  , les  autres  la  pierre  de  corne.  Preuve  de  fait 
qu’une  d’entr’elies  a formé  des  courans.  Les  colonnes 
prismatiques  de  Monte-Rosso  ont  pour  base,  non  le 
granit , mais  le  porphyre.  La  montagne  dite  Monte- 
Ortone  offre  également  des  laves  prismatiques  : leur 
forme  est  moins  caractérisée.  Lave  de  Monte  - Merlo 
à base  de  granit.  Mica  noir , un  des  principes  consti- 
tuai de  ce  granit , a la  propriété  d’être , presqu’au- 
tant  que  le  fer  , attirable  à Paimant,  propriété  qui  lui 
est  toutefois  commune  avec  d’autres  micas  des  monts 
Luganéens.  Micas  des  granits  primordiaux  privés  de 
cette  propriété , et  cependant  capables  de  la  recevoir 
par  l’action  du  feu.  Ce  fait  important  confirme  l’état 
volcanique  des  monts  Euganéens.  Quartz  en  nœuds  en- 
sevelis dans  la  lave  granitique , et  produits  vraisem- 
blablement par  une  filtration  postérieure  à son  embra- 
sement. Même  observation  touchant  quelques  schorls 
qui  y sont  renfermés.  Schorls  des  monts  Euganéens , 
comme  ceux  des  autres  terres  volcanisées,  agissent 


285 


DES  CHAPITRE  S. 
sur  l’aimant , à la  différence  des  schorls  des  pays  non 
volcaniques.  Carbonates  calcaires  entremêlés  avec  les 
laves.  Pierres  trouvées  parmi  les  carbonates  calcaires, 
lesquelles  ont  la  plus  spécieuse  apparence  d’une  méta- 
morphose. de  chaux  en  silex.  Qn  démontre , par  des 
analyses  chimiques , qu’il  n’est  pas  nécessaire  d’avoir 
recours  à une  semblable  métamorphose  pour  expliquer 
ce  phénomène.  Laves  globuleuses  disposées  par  cou- 
ches près  de  Teolo , abondantes  en  particules  de  pierre 
de  poix.  Filons  de  laves  résiniformes  à Bajamonte  et 
à Sieva.  Groupes  de  pierres  ponces  renfermés  dans 
un  de  ces  filons.  Comparaison  faite  au  moyen  de  la 
voie  sèche  , entre  les  pierres  de  poix  volcaniques  et 
celles  qui  ne  le  sont  pas.  La  voie  humide  démontre 
que  les  unes  et  les  autres  appartiennent  au  même  genre. 
Différences  essentielles  entre  les  laves  résiniformes  et 
les  verres  volcaniques.  Productions  volcaniques  de 
Sehivanoja,  de  Monte-Merlo  , de  Mascabo  , de  Tre- 
monte , de  la  Pendise  , dont  quelques-unes  ont  été 
prises  pour  verre  volcanique  par  un  auteur  moderne , 
mais  qui  réellement  ne  sont  que  des  laves  résiniformes, 
à l’exception  d’une  qui  est  tout  au  plus  une  lave  vi- 
treuse. Bévue  de  cet  auteur , qui  a pris  pour  c’es  pro- 
duits volcaniques  des  morceaux  de  verre  tirés  des 
fourneaux  de  Murano  près  Venise  , et  qui  avaient  été 
apportés  dans  ces  montagnes.  Comment  nous  appre  - 
nons , par  cet  exemple , à être  réservés  dans  les  ju- 
gemens  que  nous  portons  sur  la  volcanisation  d’un 
pays.  Comment  nous  pouvons  encore  nous  tromper  , 
en  jugeant  que  ce  pays  est  volcanisé  , parce  que  nous 
y avons  trouvé  des  corps  véritablement  volcaniques  , 
mais  errans.  Ce  cas  est  arrivé  à l’auteur.  Peu  de 

T 3 


^86  TABLÉ  ET  SOMMAIRES 

croyance  que  méritent  certaines  relations  dans  les- 
quelles on  prétend  prouver  Texistence  d’anciens  vol- 
cans. Il  est  nécessaire  que  des  relations  de  ce  genre 
portent  avec  elles  des  détails  lithologiques.  Comment 
nos  jugemens  sur  les  laves  peuvent  errer.  Roches  vol- 
caniques qui  , sans  avoir  jamais  coulé  , ont  la  plus 
grande  apparence  d’être  des  laves.  A défaut  d’autre 
preuve  , le  tissu  cellulaire  des  roches  est  une  des  in- 
dications les  plus  sûres  qu’elles  ont  coulé.  Cette  indi- 
cation s’offre  dans  plusieurs  laves  euganéennes.  Feld- 
spaths  d’une  lave  gisant  près  de  Rua  7 qui  ont  presque 
tous  pour  noyau  central  une  portion  de  cette  même 
lave.  Laves  de  Gaîzignano , de  Pigozzo , de  Monte- 
Nuovo,  de  Mont  Selice  et  d’ Argua.  Celles  de  Monte- 
Nuovo  et  de  Mont  Selice  remarquables  , la  première 
par  ses  feld-spaths  torréfiés  , la  seconde  par  les  ponces 
qu’elle  renferme.  Laves  de  Catajo  : une  d’elles  pré- 
sente des  colonnes  prismatiques. 

RÉFLEXIONS  et  COROLLAIRES. 

Les  monts  Euganéens  étaient  anciennement  des  îles  9 
comme  le  sont  aujourd’hui  les  îles  Ponces  , les  Æo- 
liennes  , Santorin,  &c.  Leur  haute  antiquité,  leur  voi- 
sinage de  pays  habités  et  civilisés , deux  causes  de  la 
détérioration  de  leurs  volcans.  Leurs  laves  sont  ana- 
logues à celles  des  autres  volcans  plus  connus,  en  tant 
qu’elles  ont  les  mêmes  roches  pour  base.  Comparaison 
entre  les  roches  de  ces  derniers  volcans  et  les  roches 
des  monts  Euganéens.  Profondeur  immense  de  celle- 
ci.  II  fallait,  pour  la  connaître , le  travail  des  volcans. 
Trois  bases  différentes  dans  les  laves  euganéennes 
dignes  de  remarque  : le  feld-spath  en  masse  qui  forma 


DES  CHAPITRES.  ' 287 

des  laves  vitreuses  \ le  pétro-silex  volcanisé , très-sem- 
blable au  naturel  ; et  la  pierre  de  poix.  Volcans  pri- 
vés de  cette  dernière  pierre  ; autres  où  elle  abonde 
plus  ou  moins.  La  magnésie  n'en  est  pas  un  des  élé- 
mens  , comme  le  pensent  quelques  naturalistes.  Belle 
observation  sur  le  changement  du  pétro-silex  en  pierre 
de  poix.  Analyse  chimique  de  ces  deux  pierres  qui 
cadre  avec  cette  observation.  Probabilité  que  quelques 
pierres  de  poix  volcaniques  dérivent  de  celles  qui  ne 
le  sont  pas.  Le  feu  des  fourneaux  vitrifie  les  laves  eu- 
ganéennes  comme  celles  des  autres  volcans.  Observa- 
tion sur  la  fusion  facile  des  feld-spaths.  Basaltes  eu- 
ganéens  sont  l’ouvrage  du  feu.  Pierre  de  ces  montagnes 
formée  en  prismes,  tantôt  par  la  voie  sèche,  tantôt  par 
la  voie  humide.  Les  seules  circonstances  locales  sont 
propres  à décideif  quelle  est  de  ces  deux  voiea  celle 
dont  la  nature  s’est  servie  pour  la  formation  des  ba- 
saltes. 

chapitre  xxi,  page  220.  Recherches  expé- 
rimentales sur  La  nature  des  gaz  clés  volcans, 
et  sur  les  causes  de  leurs  éruptions . 

L’auteur  trouvant  que  certains  gaz  des  volcans,  et 
ceux  qui  s’engendrent  dans  les  laves  et  autres  subs- 
tances analogues  refondues  au  feu  ordinaire , produisent 
des  effets  semblables,  tâche  de  découvrir  la  nature  des 
premiers  en  étudiant  celle  des  seconds.  A cet  effet , il 
dispose  dans  des  matras  d’argile  des  productions  vol- 
caniques, les  emplit  jusqu’à  une  hauteur  déterminée, 
et  les  soumet  au  feu  d’un  fourneau  chimique , en  les 
faisant  communiquer  avec  un  appareil  à mercure 


88  TABLE  ET  SOMMAIRES 
Verre  tigre  de  Lipari  traité  de  cette  manière.  Phéno- 
mènes observés  dans  les  mairas  durant  l’ignition.  Nul 
gaz  n’apparaît  sur  le  mercure.  Etat  poreux  où  se  trouve 
le  verre  refroidi  dans  le  matras  après  huit  heures  de  feu» 
Il  n’y  a aucune  raison  de  croire  que  cette  porosité  soit 
l’effet  de  l’air  atmosphérique  renfermé  dans  les  inters- 
tices du  verre  , ou  celui  de  quelque  gaz  permanent. 
L’auteur  soupçonne  qu’elle  provient  de  la  gazification 
du  verre  même  occasionnée  par  la  véhémence  du  ca- 
lorique. Essai  sur  le  verre  le  plus  pur  de  Lipari.  Rup- 
ture du  matras  causée  par  cette  gazification  dans  le 
moment  de  la  plus  grande  chaleur.  Raison  pour  la- 
quelle le  gaz  ne  passe  point  dans  l'appareil  pneuma- 
tique. Rupture  d’un  troisième  matras  causée  par  la 
gazification  d’un  émail  d'ischia.  Email  de  Procida  se 
sublime  durant  la  gazification  , et  reste  adhérent  aux 
parois  internes  du  matras.  Répétition  de  cet  effet  dans 
un  autre  matras  , en  faisant  usage  du  même  émail. 
Signes  sensibles  de  cette  sublimation  dans  la  fusion 
de  quelques  substances  volcaniques  placées  dans  des 
creusets  couverts.  Raison  pourquoi  la  sublimation  ne 
se  manifeste  pas  dans  toutes  les  expériences.  Verre 
noir  artificiel  qui  se  gazifie , non  au  fourneau , mais 
dans  un  matras  exposé  à un  calorique  plus  véhément. 
Expérience  sur  six  autres  corps  volcaniques  qui  se 
gazifient  peu  ou  point  au  fourneau , mais  très-bien  dans 
les  matras,  sans  aucune  apparition  de  gaz  permanent,. 
Conclusion  que  ces  bulles,  ces  tumeurs  plus  ou  moins 
grosses  que  l’on  voit  si  fréquemment  dans  les  produc- 
tions volcaniques,  ne  sont  pas  l’effet  d’un  gaz  perma^- 
nent  qui  a agi  sur  elles,  mais  qu’elles  ont  été  produites 
par  uu  fluide  aériforme,  provenant  de  l’excessive  ra- 


DES  CHAPITRES.  '.289 

réfaction  de  ces  mêmes  productions  par  le  moyen  du 
calorique.  Cependant  il  arrive  quelquefois  que  des 
productions  volcaniques  exposées  au  feu  ordinaire  , 
donnent  un  gaz  permanent.  Expérience  qui  montre 
comment  ce  fluide  au  fond  d’un  cratère  volcanique , 
étant  mêlé  à une  lave  liquide  violemment  tourmentée 
par  les  feux  souterrains,  peut,  par  son  énergie,  sou- 
lever cette  lave  jusqu’au  sommet  du  cratère  , et  la  faire 
déverser.  Probabilité  que  cette  vapeur  élastique  amas- 
sée en  grande  abondance,  et  retenue  par  quelque  obs- 
tacle , peut  donner  lieu  à des  tremblemens  de  terre , 
produire  des  tonnerres  souterrains,  des  mugissemens  ; 
déchirer  les  flancs  d’une  montagne,  et  ouvrir  un  pas- 
sage à la  lave.  Cette  vapeur  ne  paraît  pas  être  la  cause 
des  grêles  volcaniques.  Nécessité  de  recourir  à d’autres 
gaz  plus  énergiques  pour  expliquer  ce  phénomène. 
Présence  de  ces  derniers  gaz  indiquée  dans  certains 
volcans.  Il  est  vraisemblable  qu'un  agent  encore  plus 
puissant,  tel  que  l’eau  réduite  en  vapeurs , et  principale- 
ment celle  de  la  mer,  concourt  avec  eux  à la  projection 
des  grêles.  Relations  entre  les  volcans  brûlans  et  la 
mer.  Sa  retraite  subite  près  du  Vésuve,  dans  les  grandes 
éruptions  de  ce  volcan , est  probablement  occasionnée 
par  l’absorption  d’un  grand  volume  d’eau.  Expériences 
et  accidens  qui  démontrent  la  violence  des  explosions 
et  des  détonations  des  volcans  opérées  par  les  eaux 
réduites  en  vapeurs  dans  leurs  incendies.  L’auteur  re- 
cherche si  l’eau  qui  viendrait  à tomber  sur  l’incendie 
des  volcans  pourrait  produire  des  explosions , comme 
il  est  certain  qu’elle  a ce  pouvoir  quand  elle  s’insinue 
par-dessous , et  que  sa  vapeur  ne  trouve  aucune  issue. 
Eau  qui  tombe  sur  les  matières  huileuses  et  bouillantes 


2^0  TABLE  ET  SOMMAIRES 

occasionne  de  petites  explosions.  Eau  versée  sur  des 
substances  fondues,  plus  analogues  que  les  huileuses 
avec  les  matières  liquéfiées  des  volcans.  Phénomènes 
observés  dans  ces  deux  expériences  Eau  versée  sur  le 
cristal  liquéfié  des  fourneaux  ne  cause  ni  explosion,  ni 
détonation.  Ce  qui  se  passe  alors.  Eau  versée  sur  le 
fer  et  le  cuivre  fondus.  Observations.  Explosion  et  dé- 
tonation  de  Peau  dans  le  moment  qu’elle  touche  la  sur- 
face de  Pétain  et  du  plomb  fondus.  Les  unes  et  les  autres 
sont  plus  fortes  quand  Peau  se  trouve  renfermée  entre 
ces  deux  métaux.  Accidens  bizarres.  Expériences  sur 
les  laves  fondues  dans  le  fourneau.  Eau  versée  dessus 
ne  produit  aucune  explosion , à moins  qu’elle  ne  s’in- 
troduise dans  l’intérieur.  Plus  elle  y pénètre , plus 
l’explosion  est  forte.  Eau  de  nier  produit  les  mêmes 
effets.  Conclusion  que  ce  fluide  ne  peut  occasionner 
des  explosions  quand  il  vient  à tomber  sur  le  cratère 
ardent  des  volcans , mais  qu’il  doit  en  produire  de  vio- 
lentes quand  il  y est  introduit  par-dessous,  ou  qu’il 
y pénètre  par  les  côtés.  Toutefois  les  gaz  permanens 
des  volcans  semblent  être  les  auteurs  des  grêles  vol- 
caniques , quand  elles  sont  médiocres  ou  petites.  Les 
jets  continuels  de  Stromboli  ne  peuvent  provenir  de 
la  vaporisation  de  Peau  , ni  de  celle  de  la  lave  liqué- 
fiée , mais  ils  dépendent  de  l’activité  de  quelque  gaz 
permanent.  L’auteur  examine  si  ce  gaz  est  l’hydro- 
gène. Il  rejette  cette  hypothèse  ; il  ne  peut  admettre 
non  plus  Pair  atmosphérique.  Explication  du  phéno- 
mène par  le  gaz  oxigène 


/ V#  . ' -T  . . '''  ' • ' . ; \ 

DES  CHAPITRES.  2QI 

chapitre  xxii,  page  265.  Acide  muria- 
tique contenu  dans  divers  produits  volca- 
niques. Recherches  sur  son  origine  et  sur 
son  mélange  avec  ces  produits . 

Liqueur  acide  sortie  du  verre  tigré  de  Lipari  pen- 
dant l'ignition.  Les  réactifs  démontrent  que  cette  li- 
queur est  un  acide  muriatique.  Poids  de  celui-ci  com- 
paré au  poids  de  la  liqueur.  Cette  découverte  engage 
Pauteur  à renouveler  l’expérience  sur  le  même  verre. 

Il  en  obtient  le  même  résultat.  Le  verre  noir  de  Lipari 
fournit  une  liqueur  acide  semblable.  Les  verres  arti- 
ficiels n’en  donnent  point.  L’auteur  emploie  la  voie 
sèche  et  la  voie  humide  pour  s'assurer  que  l’acide  mu- 
riatique n'est  pas  combiné  dans  les  deux  verres  de 
Lipari , mais  qu’il  leur  est  uni  mécaniquement.  Sept 
produits  volcaniques  soumis  à l'épreuve  : plusieurs 
d’entr'eux  fournissent  de  cette  liqueur  acide.  Cette 
liqueur  n’existait  pas  dans  les  laves  actuellement  en 
fusion , mais  elle  s’y  est  introduite  postérieurement. 
Cet  acide  ne  dérive  pas  du  muriate  ammoniaque.  Pro- 
babilité qu’il  provient , soit  des  lieux  souterrains , soit 
de  la  décomposition  du  muriate  de  soude. 


FIN  DE  LA  TABLE  DU  TOME  TROISIÈME. 


I 


VOYAGES 

DANS 


LES  DEUX  SICILE  S. 


ERRATA  pour  le  tome  IV. 


Page  172  , au  lieu  de  planche  VII  , lisez  planche  VI» 
Page  252  ; au  lieu  de  planche  VIII,  lisez  planche  VIL 


VOYAGES 

DANS  LES  DEUX  SICILES 


ET  DANS 

QUELQUES  PARTIES  DES  APENNINS, 

Par  Spallanzani  , Professeur  d’Histoire  naturelle 
dans  Funiversité  de  Pavie. 

Traduits  de  F Italien  par  G . TOSCAN,  Bibliothécaire 
du  Muséum  national  d’ Histoire  naturelle  de  Paris  , 
avec  des  Notes  du  cit.  F J UJ  A S-l)  E-S  T . -F  O ND . 


TOME  QUATRIÈME. 


A PARIS, 


6Iiez  Ma  k.  a dan,  Libraire,  ruo  Pavée -André -des -Arcs 

n°.  16. 


AN  Y I I I, 


5 


VOYAGES 


DANS 


LES  DEUX  SICILES, 


CHAPITRE  XXIII. 


Considérations  sur  V activité  des  feux  volca- 
niques. 

D es  globes  de  flammes,  des  rochers  embrasés 
lancés  impétueusement  dans  les  airs , des  mon- 
tagnes liquéfiées  s’écoulant  en  torrens  incendiai- 
res , ces  tableaux  efFrayans  d’une  éruption  volca- 
nique ont  fait  croire  aisément  aux  hommes  que  le 
feu  souterrain  capable  de  produire  de  si  terribles 
efFets,  devait  avoir  une  Force  infiniment  supérieure 
à celle  du  feu  ordinaire.  Cette  opinion  a toujours 
été  celle  de  la  multitude  $ d’habiles  physiciens 
l’ont  adoptée,  et  elle  serait  encore  la  seule  domi- 
nante , si  dans  ces  derniers  temps  cm  n’en  eût  avan- 
cé une  toute  contraire , en  prétendant  que  le  feu 
Tome  A 


2 VOYAGES 

des  volcans  n’est  rien  moins  que  doué  de  cette 
grande  énergie  qu’on  lui  suppose.  Lee  partisans  de 
ces  deux  opinions  opposées  sont  tellement  préve- 
nus en  faveur  de  celle  qu’ils  ont  adoptée,  qu’en 
produisant  les  raisons  qui  la  défendent,  ils  négli- 
gent de  répondre  aux  raisons  qui  la  combattent. 
Pour  moi , guidé  par  l’amour  de  la  vérité , en  trai- 
tant cette  question  difficile,  je  me  ferai  un  devoir 
d’établir  dans  toute  leur  force  les  argumens  em- 
ployés de  part  et  d’autre  3 je  commencerai  par 
ceux  que  l’on  apporte  ou  que  l’on  pourrait  ap- 
porter pour  prouver  la  violence  des  feux  vol- 
caniques, ensuite  je  ferai  connaître  ceux  dont 
on  se  sert  pour  nous  convaincre  de  la  faiblesse 
de  ces  mêmes  feux  , et  chaque  argument  sera 
accompagné  des  réflexions  qui  m’auront  paru 
les  plus  solides. 

PREMIER  ARGUMENT. 

Comme  nous  apprécions  l’intensité  du  feu  or- 
dinaire par  les  effets  qu’il  produit  dans  les  corps 
sur  lesquels  il  agit , la  même  règle  doit  nous  ser- 
vir pour  apprécier  celle  du  feu  volcanique.  Le 
pyromètre  de  Wedgwood  étant  sans  contredit 
L’instrument  le  plus  exact  qui  ait  été  inventé  pour 
mesurer  les  effets  du  premier  , il  serait  aussi  le 
meilleur  à employer  pour  obtenir  la  mesure  des 
effets  du  second , et  connaître  ses  divers  degrés 


5 


DANS  LES  DEUX  SICILES. 
en  moins  d’une  minute  il  s’est  entièrement  li- 
quéfié. 

D’ailleurs  ,\a  lave  sur  laquelle  ces  académiciens 
avaient  établi  leurs  expériences  ne  coulait  plus 
depuis  quelque  temps  ; une  partie  de  son  calo- 
rique s’était  déjà  dissipée  : pour  avoir  un  terme 
de  comparaison  plus  juste , ils  devaient  la  prendre 
dans  son  état  de  fluidité.  Ce  qu’ils  ne  purent  ou 
n’osèrent  tenter  , le  hasard  le  fit  en  donnant  lieu 
à des  combinaisons  qu’il  était  difficile  de  prévoir. 
Dansla  direction  que  suivit  cette  éruption  de  1 707, 
mémorable  par  les  dégâts  immenses  qu’elle  cau- 
sa 3 se  trouvait  un  couvent  de  Carmes.  On  lit  dans 
Sérao  que  le  torrent  s’étant  jeté  dans  cette  mai- 
son 3 brûla  non-seulement  et  réduisit  en  cendres 
les  matières  combustibles  avant  même  de  les 
toucher,  mais  fondit  les  gobelets  de  verre  qui 
étaient  sur  la  table  du  réfectoire  3 et  les  réduisit 
en  une  masse  informe.  Ce  fait  se  trouve  encore 
confirmé  dans  un  rapport  que  le  prince  Cassano 
envoya  à la  société  royale  de  Londres  , dont  il 
était  membre , rapport  qui  fut  inséré  dans  les 
Mémoires  de  cette  société.  Il  dit  que  la  lave  , 
après  avoir  consumé  la  porte  de  l’église  du  cou- 
vent , les  fenêtres  de  la  sacristie  et  celles  du  ré- 
fectoire 3 fit  couler  les  vases  de  verre  qui  se  trou- 
vaient sur  la  table.  Il  ajoute  à son  récit  ce  fait 

A 5 


6 _ - VOYAGES 

remarquable  : « Je  fixai , dit-il , à Y extrémité  d’un 
» bâton  un  morceau  de  verre  ; je  Papprochai  de 
»la  lave  fluante  : au  bout  de  quatre  minutes  il  fut 
» réduit  en  pâte. 

Un  effet  tout  semblable  est  rapporté  par  le 
professeur  Bottis  dans  sa  description  de  l’incendie 
du  Vésuve  de  1767.  Voici  ses  propres  expres- 
sions : 

« On  voit,  au  milieu  de  la  même  Jave  , des 
» édifices  qu’elle  a entourés  sans  leur  faire  aucun 
» mal  , d’autres  qu’elle  a renversés , d’autres  an- 
»core  où  elle  est  entrée  en  brûlant  tout  ce  qui 
» s’est  trouvé  sur  son  passage.  Parmi  ces  derniers, 
» il  y en  a où  son  ardeur  seule  a suffi  pour  fondre 
» de  grosses  bouteilles  de  verre  placées  au-dessus 
»du  torrent,  et  hors  de  son  atteinte  ». 

En  raisonnant  sur  ces  faits,  je  conviens  d’abord 
que  la  fusion  des  gobelets  de  verre  enveloppés 
dans  la  lave  coulante,  ne  prouve  pas  en  elle  une 
très-grande  activité  5 car  le  verre  artificiel  se  fond 
plus  ou  moins  sur  la  braise  de  nos  foyers.  Quant 
à l’expérience  du  prince  de  Cassano,jel’ai  imitée 
en  quelque  manière,  en  tenant  suspendu  en  Pair 
avec  une  pincette,  dans  un  fourneau  de  verrerie, 
un  petit  morceau  de  verre  de  la  grosseur  d’un 
pouce ] en  quelques  instans  il  s’amollit  $ en  moins 
d’une  minute  il  coula  , et  s’al'ongea  comme  un 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  7 

fil.  L’efficacité  de  ce  feu  était  donc  supérieure 
à celle  du  feu  actuel  de  la  lave , éprouvé  par  le 
prince  de  Gassano.  Mais  on  doit  observer  que  , 
selon  l’expression  «de  l’auteur,  il  n’avait  fait  q \\  ap- 
procher delà  lave  jluante  le  morceau  de  verre 5 
le  verre  ne  la  touchait  donc  pas.  Nul  doute  que  s’il 
l’eût  touchée,  il  ne  se  fût  plus  promptement  fon- 
du. De  plus,  quand  cette  lave  parvint  au  couvent 
des  Carmes  , son  ardeur  devait  être  considéra- 
blement diminuée  , et  cela  par  deux  raisons  prin- 
cipales : la  première , quelle  avait  déjà  parcouru 
un  chemin  assez  long  , et  qu’elle  avait  commu- 
niqué une  partie  de  son  calorique  à l’air  ambiant 
et  au  .sol  sur  lequel  elle  coulait  3 la  seconde , que 
ne  formant  à sa  source  qu’un  seul  et  profond 
canal , elle  s’était  partagée  dans  son  cours  en 
plusieurs  canaux  inférieurs  , partage  qui  avait 
nécessairement  affaibli  son  activité.  Que  l’on 
compare  en  idée  le  calorique  qu’elle  conservait 
encore  sur  les  lieux  où  ses  effets  furent  observés, 
au  calorique  qu’elle  devait  posséder  à l'endroit 
où  elle  déboucha  de  dessous  terre , combien  la 
force  de  celui-ci  devait  être  supérieure  à celle  de 
l’autre  ! Quiconque  n’àura  dans  cette  discussion 
que  la  vérité  pour  but , ne  se  défendra  point  de 
croire  que  l’ardeur  de  cette  lave , prise  dans  sa 
source  même , surpassait  celle  qui  est  concentré© 
dans  un  fourneau  ordinaire  de  verrerie. 

A 4 


s 


V G Y A O E S 


SECOND  ARGUMENT. 

Le  professeur  Bottis  , après  avoir  décrit  l’érup- 
tion du  Vésuve  qui  commença  le  sg  juillet  1779, 
et  continua  jusqu’à  la  mi-août,  raconte  que  le 

10  septembre  suivant,  étant  allé  sur  les  lieux  , 

11  vit  une  petite  colline  formée  de  pierres  spon- 
gieuses, et  environnée  d’une  lave  qui  avait  coulé 
récemment.  « Dans  cette  colline  il  y avait, dit  il , 
» un  trou  presque  circulaired’environ  trois  palmes 
»de  diamètre  et  deux  de  profondeur;  il  en  sortait 
»un  murmure  semblable  à celui  de  l’huile  et  des 
^matières  grasses  où  l’on  fait  des  fritures.  Ce 
» murmure  était  produit  par  les  matières  qui  s’y 
v> liquéfiaient.  Le  feu  était  si  violent , qu’ayant 
» jeté  dans  ce  trou  des  pierres  spongieuses  /elles 
» rougirent  subitement , et  se  fondirent  au  point 
& qu’elles  paraissaient  bouillir  comme  de  la  poix  » . 

Cette  observation  est  importante  dans  la  con- 
troverse où  nous  sommes  engagés.  Ceux  qui  sont 
familiarisés  avec  les  écrits  de  Bottis  savent  que  , 
par  pierres  spongieuses  , il  n’entend  autre  chose 
que  les  laves  poreuses  et  les  scories  de  cette 
montagne.  L’expérience  m’a  appris  qu’elles  n’exi- 
geaient pas  moins  d’une  demi-heure,  dans  un 
fourneau  de  verrerie  , pour  commencer  à s’amol- 
lir ; mais  elles  se  fondaient  subitement,  et  bouil- 


3 


DANS  LES  BEUX  SICILE  S. 
d’activité.  J’ai  proposé  ce  moyen  dans  le  pre- 
mier chapitre  de  mon  ouvrage  , et  j’ai  montré  , 
par  quelques  exemples , comment  on  peut  l'ap- 
pliquer aux  laves  coulantes. 

Ce  n’est  pas  qu’auparavant  on  n’ait  cherché 
par  d’autres  voies  , moins  sûres  à la  vérité , à es- 
timer le  degré  de  chaleur  des  laves.  Je  citerai  à 
ce  sujet  les  expériences  de  quelques  académi- 
ciens de  Naples  sur  une  lave  de  l’éruption  de  i 
qui  s’était  arrêtée  près  du  lieu  nommé  la  Torre 
del  Greco  y expériences  dont  je  trouve  le  récit 
dans  l’ouvrage  de  Sérao.  Quoique  cette  lave  eût 
cessé  de  couler  depuis  quelques  jours,  sa  couleur 
ressemblait  encore  à celle  du  fer  rouge.  On  posa 
dessus  un  petit  cône  de  plomb  du  poids  de  deux 
onces  : en  deux  minutes  et  demie  de  temps  il 
fut  ramolli  5 une  minute  de  plus  le  lit  tomber 
tout-à-fait  en  fusion.  On  mit  ensuite  un  autre 
morceau  de  plomb  du  même  poids  et  de  la  même 
figure,  sur  une  pelle  de  fer  rougie  au  feu  de 
charbon  : le  métal , au  bout  de  six  minutes  et 
demie  , n’avait  pas  encore  commencé  à se  li- 
quéfier 5 une  minute  s’écoula  encore  , et  à peine 
était-il  entièrement  fondu. 

On  emplit  d’eau  un  vase  de  cuivre  que  l’on 
posa  sur  la  lave  : en  trois  minutes  l’eau  com- 
mença à frémir  sourdement  -,  au  bout  de  la  qu‘a- 

A 2 


4 


VOYAGES 


trième  minute  elle  bouillit  à gros  bouillons.  La 
même  expérience  fut  faite  sur  des  charbons  très- 
ardens  ; le  frémissement  de  l’eau  n’arriva  que  dans 
la  quatrième  minute  , et  le  bouillonnement  que 
dans  la  suivante. 

Sérao  conclut  de  ces  faits  que  la  force  du  feu 
actuel  de  cette  lave , bien  que  privée  d’une  partie 
de  la  chaleur  qu’elle  avait  dans  l’état  de  mollesse 
et  de  fluidité  5 était  de  beaucoup  supérieure  à 
celle  du  feu  de  charbon  et  du  fer  en  incandes- 
cence. 

On  a fait  si  peu  d’expériences  comparatives 
entre  le  feu  ordinaire  et  le  feu  des  volcans  , que 
l’on  ne  peut  que  savoir  gré  aux  académiciens 
de  Naples  d’avoir  entrepris  quelques  essais  de  ce 
genre.  J’observerai  cependant  que  si  la  conclu- 
sion qu’ils  ont  tirée  de  l’épreuve  des  charbons 
ardens  paraît  exacte  , celle  qu’ils  ont  déduite  de 
l’épreuve  du  fer  rouge  ne  l’est  certainement  pas. 
La  pelle  dont  iis  se  servirent  , entourée  d’air 
froid  , ne  pouvait  contracter  toute  l’incandes- 
cence dont  elle  était  susceptible.  J’en  ai  tenu 
une  pendant  demi-heure  dans  un  fourneau  de 
verrerie , où  le  feu  , sans  être  assez  violent  pour 
fondre  le  fer  en  masse  , lui  communiquait  une 
rougeur  très-vive  5 j’ai  placé  sur  cette  pelle  ar- 
dente un  cône  de  plomb  du  poids  de  deux  onces* 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S. 


l3 

CINQUIÈME  ARGUMENT. 

L’Islande  fournit  encore  d’autres  preuves  de 
l’énergie  de  ses  feux  souterrains.  On  a vu  avec 
quelle  facilité  les  verres  volcaniques  des  îles  Æo- 
liennes  et  des  champs  Phlégréens  se  fondent  au 
fourneau.  Je  n’ai  pu  éprouver  celui  de  l’Islande, 
parce  que  je  n’en  possédais  point  ; mais  Berg- 
man, qui  a eu  cet  avantage,  observe  qu’il  n’a 
pu  réussir  à le  fondre  au  chalumeau  , d’où  il  in- 
fère que  le  feu  qui  le  forma  devait  être  doué 
d’une  grande  puissance. 

SIXIÈME  ARGUMENT. 

Valisneri , dans  sa  description  de  la  nouvelle 
île  volcanique  qui  sortit  de  la  mer  près  de  San- 
torin  , en  1 707  , parle  d’une  circonstance  très- 
remarquable  qui  accompagna  cet  événement. 
Pendant  que  cette  île  s’élevait  sur  les  ondes , la 
mer,  dit-il , toute  troublée  à l’entour,  était  prise 
d’une  chaleur  si  forte , qu’elle  bouillait  dans  un 
cercle  assez  étendu  , et  que  les  poissons  qui  se 
trouvèrent  dans  cette  enceinte  périrent.  Ce  même 
fait  est  rapporté  dans  les  voyages  de  Choiseul , 
qui  l’a  extrait  d’une  histoire  du  temps,  où  l’on 
ajoute  que  la  chaleur  des  eaux  fit  fondre  le  gou» 
dron  de  quelques  vaisseaux  qui  aavigeaient  dans 
les  environs. 

SP*  3Mb:?  v\  Bp ' ' ) à 


VOYAGES 


t4 

Voilà  sans  doute  une  preuve  incontestable  de 
la  violence  du  feu  de  ce  volcan  $ on  ne  peut  nier 
que  pour  échauffer  à ce  point  une  si  grande 
masse  d’eau  , d’une  profondeur  et  d’une  étendue 
si  considérable,  il  ne  fallût  un  grand  développe- 
ment de  calorique. 

Strabon  parle  d’un  phénomène  semblable, arri- 
vé dans  le  même  lieu  , mais  à une  époque  plus 
reculée.  On  vit,  dit  ce  géographe , entre  Tera  et 
Terasia,la  mer  bouillir  pendant  quatre  jours  (1). 

Santorin  doit  sa  formation  à une  agrégation 
immense  de  pierres  ponces  soulevées  du  fond  de 
la  mer  par  un  embrasement  volcanique.  Il  en  a 
été  question  dans  le  chapitre  XIX  de  cet  ouvrage  ; 
je  me  bornerai  à rappeler  ici  que  l’analyse  de 
deux  de  ces  pierres  m’a  démontré  que  l’asbeste 
était  leur  base  : j’ignore  si  telle  est  celle  des 
autres.  Quoi  qu’il  en  soit , le  feu  qui , dans  ces 
deux  cas  , a conduit  l’asbeste  à l’état  de  ponce, 
devait  être  très-énergique. 

SEPTIÈME  ET  DERNIER  ARGUMENT. 

Il  est  tiré  de  la  fluidité  des  laves  , qui  doit 

(1)  &vc ipÂcroV‘  ®npa?9  ko,)  ®npcur)ecç  eK7rs<rov(ru.i  Kphojsç 

sk  tov  ’WSKa.yovç  s<p*  Ti&e&pas  r&&Ts  ’ïï&ça.v  ÇeTv  , 

fca)  qhéyeerêx/  Tiiv  Ckhccpcrav  . I.  c. 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S. 


9 

laient  comme  de  la  poix  dans  le  petit  gouffre 
dont  parle  Bottis  : l’ardeur  du  feu  y était  donc 
plus  considérable  que  dans  le  fourneau.  J’ai,  de 
plus,  éprouvé  qu’en  me  servant  d’un  fourneau  à 
réverbère  de  haute  température  , il  fallait  le 
pousser  à un  degré  de  feu  capable  de  fondre 
le  fer,  pour  en  obtenir  la  prompte  liquéfaction 
des  laves  poreuses  du  Vésuve  , comme  de  celles 
des  autres  volcans  en  général.  On  doit  encore 
observer  que  le  gouffre  communiquant  par  son 
ouverture  avec  l’air  froid  ambiant , le  calorique 
devait  agir  plus,  fortement  dans  son  intérieur  qu’à 
sa  surface  , où  il  s’en  faisait  une  continuelle  dissi- 
pation, cette  bouche  étroite  n’étant  qu’un  sou- 
pirail , un  évent  de  la  grande  masse  de  lave  qui 
bouillonnait  et  brûlait  dans  les  entrailles  de  la 
montagne. 

TROISIÈME  ARGUMENT. 

De  la  conservation  d’une  forte  chaleur  dans 
des  laves  qui  depuis  long  - temps  ont  cessé  de 
couler , on  peut  déduire  des  preuves  de  la  véhé- 
mence du  calorique  qui  les  animait  quand  elles 
étaient  fluides.  Sérao  observe  que  la  lave  du 
Vésuve  de  1737  ayant  traversé  le  grand  chemin, 
on  s’occupa  plus  d’un  mois  après  du  soin  de 
le  nettoyer  , mais  que  les  ouvriers  furent  forcés 
d’abandonner  ce  travail , parce  que  la  chaleur 


ÏO  VOYAGES 

intérieure  de  la  lave  amollissait  les  instrumens  de 

fer  dont  on  se  servait  pour  la  rompre. 

Quand , non  loin  du  cratère  supérieur  de  l’Etna  , 
je  fus  obligé  de  traverser  une  lave  qui  avait  cessé 
de  couler  depuis  onze  mois  > et  n’avait  plus  de 
communication  avec  le  foyer  volcanique  , j’y  vis 
des  fentes  où  elle  conservait  encore  une  couleur 
rouge  très-sensible  en  plein  jour  5 si  j’y  faisais 
entrer  un  bâton , il  fumait  subitement  et  s’en- 
flammait. 

Hamilton  rapporte  qu’ayant  laissé  tomber  quel* 
ques  morceaux  de  bois  dans  les  fissures  d’une 
lave  sortie  du  Vésuve  depuis  trois  ans  et  demi , 
ils  s’enflammèrent  sur-le-champ.  Cette  lave  n’avait 
aucune  communication  avec  le  volcan  , et  dans 
le  lieu  où  se  fît  l’expérience , elle  était  à quatre 
milles  de  distance  de  sa  source. 

La  grande  éruption  de  l’Etna,  arrivée  en  1669, 
n’était  pas  entièrement  refroidie  au  bout  de  huit 
ans,  suivant  l’observation  de  Massa,  auteur  si- 
cilien. 

La  réunion  de  tous  ces  faits  est , selon  moi , 
une  démonstration  de  l’extrême  ardeur  du  feu 
des  volcans.  Sans  doute  les  éruptions  occupant 
pour  l’ordinaire  une  grande  étendue  de  terrein, 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  lt 
cette  ampleur  contribue  à la  conservation  de  leur 
calorique;  mais , quel  que  soit  le  volume  des 
laves,  il  n’en  est  pas  moins  vrai  que  ce  calorique, 
après  de  si  longs  intervalles  , ne  serait  pas  autant 
sensible , s’il  n’eût  été  concentré  en  elles,  et  pen- 
dant leur  fluidité,  dans  une  proportion  infiniment 
plus  grande. 

QUATRIÈME  ARGUMENT. 

L’historien  de  Sicile,  Fazello , commence  la 
description  d’une  éruption  de  l’Etna  de  i536 
en  ces  termes  : « Le  neuf  des  calendes  d’avril , 
»le  vent  soufflant  de  la  partie  du  sud,  et  le  jour 
» étant  sur  son  déclin,  le  sommet  de  la  montagne 
» se  couvrit  d’un  nuage  de  fumée  noire , au  centre 
»de  laquelle  on  vit  briller  une  vive  rougeur. 
» Alors,  et  tout-à-coup,  il  se  fit  une  violente 
» éruption  par  le  cratère;  la  terre  trembla,  et 
»ia  montagne  retentit  d’un  bruit  souterrain  ; 
»la  lave,  comme  un  fleuve  de  feu,  descendit 
»du  côté  de  l’orient,  tomba  dans  un  lac,  et 
» liquéfia  un  grand  amas  de  pierres  qui  s’y  trou- 
» vait  ( i ) » . 


(1)  « IX  calend.  aprilis,  flante  austro  , et  sole  ad  ocçs- 
» sum  vergente , nubes  atra  montis  apicem  operuit,  el 
» inter  eam  rubor  emicuit  ; tum  repente  ex  ipso  cratere 
» ignei  torrentis  vasta  vis  erupit;  pauîlaiimcpîe’  in  n no- 


12 


VOYAGES 


Cette  description  ayant  été  faite  dans  un  temps  ' 
où  la  précision  , l’exactitude  n’étaient  pas  toujours 
l’apanage  des  historiens , j’avoue  que  je  croirais 
difficilement  à la  fusion  de  ce  grand  amas  de 
pierres , si  ce  fait  ne  trouvait  son  appui  et  sa 
confirmation  dans  un  phénomène  bien  plus  éton- 
nant qu'offrit  l’éruption  d’un  volcan  de  l’Islande 
en  1783  , et  dont  Pennant  nous  a donné  la  rela- 
tion dans  son  ouvrage  intitulé  le  Nord  du  globe. 
Après  avoir  décrit  la  grande  étendue  de  pays  que 
cette  lave  inonda , il  dit  que  la  hauteur  perpen- 
diculaire des  bords  de  son  courant  était  de  quatre- 
vingts  à cent  pieds;  en  sorte  qu’elle  ensevelit, 
non -seulement  tous  les  villages  qui  se  trouvèrent 
sur  son  chemin  , mais  encore  plusieurs  collines. 
Celles  qu’elle  ne  put  surmonter,  elle  les  fit  tom- 
ber en  liquéfaction,  et  l’on  vit  alors  toute  la  sur- 
face du  pays  dans  un  état  de  fluidité  , formant 
un  lac  dont  la  substance  ressemblait  à un  métal 
fondu  et  resplendissant  de  feu. 

Je  laisse  le  lecteur  juge  de  la  prodigieuse  acti- 
vité de  cet  incendie. 


» dum  fluminis  magno  montis  murmure  , ac  terræ  motu 
»?  defluens , in  orientem  versus  descendit lacumque  it- 
» lapsus  mngnam  ibi  repertam  lapidum  congeriem  lique- 
»,fecit  î». 


DANS  LES  DEUX  S I C I L E S.  l5 
être  proportionnée  au  feu  plus  ou  moins  violent 
qu’elles  éprouvent.  Nous  verrons  plus  bas  quel 
est  le  degré  de  fluidité  qu’elles  acquièrent  dans 
le  fourneau , comment  cette  fluidité  augmente 
à mesure  que  le  feu  est  poussé  plus  vivement, 
comment  elle  devient  plus  grande  encore  en  em- 
ployant le  gaz  oxigène.  Cette  gradation  de  fluidité 
a lieu  dans  toutes  les  pierres,  et  en  général  dans 
tous  les  corps  susceptibles  de  se  liquéfier.  La  rai- 
son en  est  simple  ; plus  les  molécules  d’un  corps 
fusible  s’écartent  les  unes  des  autres  par  l’inter- 
position du  fluide  igné  , plus  elles  ont  de  facilité 
à couler.  Ainsi , nous  serons  en  droit  de  conclure 
de  chaque  fait  qui  nous  apportera  la  preuve  d’un 
excès  de  fluidité  dans  les  laves,  qu’il  faut  un  excès 
de  feu  proportionné  pour  les  réduire  à cet  état. 
En  me  livrant  à cette  recherche , je  sens  que  la 
multitude  des  faits,  et  les  réflexions  auxquelles  ils 
donnent  lieu , ne  me  permettront  pas  d’être  aussi 
bref  que  le  lecteur  le  désirerait  peut-être  ; je 
tâcherai  du  moins  de  mettre  de  l’ordre  dans  ma 
narration  , en  divisant  ces  faits  en  deux  classes  ; 
la  première  comprendra  les  laves  que  l’on  a vu 
quelquefois  jaillir  des  volcans  comme  des  jets 
d’eau , conserver  leur  mollesse  après  avoir  été 
lancées  en  Y air,  ou  bouillir  dans  les,  cratères; 
la  seconde  , celles  qui , sorties  des  cratères  ou 
des  flancs  des  volcans,  se  sont  étendues  en  longs 


V O Y A G EJ 


1 6 

courans  , et  ont  permis  aux  observateurs  de  me- 
surer leur  vitesse,  et  leur  degré  de  fluidité  ou  de 
mollesse. 

Parmi  les  faits  de  la  première  classe , le  plus 
digne  de  remarque  est  sans  doute  celui  que  rap- 
porte le  professeur  Bottis  en  décrivant  l’éruption 
du  Vésuve  de  1771.  Le  voici  avec  les  propres 
expressions  de  l’auteur.  Après  avoir  dit  comment, 
près  du  lieu  où  se  fit  le  débordement,  s’élevèrent 
à-la-fois  quatre  monticules , il  observe  : « Qu’il  y 
» en  avait  trois  de  forme  conique,  d’où  le  feu 
»(  c’est-à-dire  la  lave)  jaillissait  par  de  petites 
» bouches  placées  à leur  sommet,  semblable  à 
» l’eau  qui , pressée  dans  un  canal  étroit , s’échappe 
»dans  les  airs  5 les  courbes  que  décrivait  dans  sa 
» chute  ce  fluide  enflammé  étaient  de  diverses 
» grandeurs  , et  les  trois  monticules  qui  jouaient 
»en  même  temps  , représentaient  en  réalité  trois 
» belles  fontaines  de  feu  » . 

Bottis  en  conclut  que  le  feu  du  Vésuve  est  très^ 
énergique  , et  il  ajoute  immédiatement  : « Deux 
y>fois  j’ai  vu  près  de  moi  la  matière  enflammée 
» déboucher  dans  l’Atrio  del  Cavallo -J  et  en  vérité 
»elle  fluait  comme  l’eau  qui  sourdit  de  terre,  et 
» se  répand  çà  et  là  dans  les  environs  » . 

Le  même  historien  raconte  qu’au  commence- 
ment 


DANS  LES  DEUX  S ICI  LE  S.  1 7 
nient  de  1776  3 le  Vésuve  versa  de  son  sommet 
un  torrent  de  lave  qui  3 dans  son  cours  3 ayant 
rencontré  celle  de  1771  , la  heurta  impétueuse- 
ment 3 et  rejaillit  en  l’air  3 où  elle  se  figea  sous 
la  forme  de  petits  rameaux  terminés  en  pointes 
déliées  et  aiguës  comme  des  aiguilles.  L’auteur 
revenant  à sa  première  réflexion  3 observe  que 
cette  matière  sortit  très-liquide  y et  telle  que 
le  Vésuve  a coutume  d?en  produire. 

Parlons  maintenant  de  la  mollesse  que  dans 
certains  cas , rares  à la  vérité,  des  morceaux  de 
laves  vibrés  dans  les  airs  conservent  en  retombant 
sur  la  terre.  Bottis  en  apporte  un  exemple  si 
extraordinaire  3 que  j’en  douterais  si  cet  auteur 
n’était  pas  aussi  digne  de  foi  3 et  s’il  n’avait  pas 
eu  pour  témoins  des  hommes  distingués  , au 
nombre  desquels  se  trouvaient  l’archiduc  d’Au- 
triche Maximilien  , le  comte  de  Wilzech  3 mi- 
nistre plénipotentiaire  5 le  cardinal  de  Hersan  , 
et  le  chevalier  Hamilton.  On  sait  que  lorsque  les 
laves  sont  projetées  sous  la  forme  de  grêles,  elles 
ont  acquis  pour  l’ordinaire  , avant  d’arriver  à 
terre,  la  dureté  des  pierres , à cause  de  ïa  vive 
Impression  de  l’air  froid  qui , agissant  sur  des 
masses  aussi  petites , leur  enlève  en  un  moment 
toute  leur  fluidité.  On  se  rappelle  que , placé 
moi-même  sur  le  bord  du  cratère  de  Stromboli, 

Tome  IV.  B 


VOYAGES 


18 

et  à l'abri  de  ses  jets  , examinant,  à l’instant  de 
leur  chute , des  globes  de  laves  qui  roulaient  à 
mes  pieds,  je  les  trouvais  embrasés  à la  vérité  , 
mais  durs  comme  des  cailloux.  Tels  n’étaient 
point  ceux  que  lançait  le  Vésuve  le  ig  juin  1775, 
lorsqu’aux  premiers  rayons  du  jour,  le  prince 
Maximilien  et  sa  suite  se  transportèrent  au  som- 
met de  la  montagne.  Un  de  ces  morceaux  de 
lave  étant  tombé  non  loin  d’eux  , leur  guide  y 
accourut , le  perça  de  part  en  part  avec  son  bâ- 
ton comme  une  pâte  molle  , et  le  présenta  ainsi 
enfilé  au  prince  , qui,  frappé  de  la  singularité 
du  fait , ordonna  que  cette  lave , pesant  environ 
Tiuit  livres , fût  déposée  , avec  le  bâton  qui  la 
traversait  comme  un  axe  , dans  son  cabinet  par- 
ticulier. Quelle  ne  devait  pas  être  sa  fluidité  dans 
le  cratère  , si , malgré  son  petit  volume , et  le 
contact  de  l’air  froid  qu’elle  avait  éprouvé  dans 
sa  projection  , elle  conservait  encore  autant  de 
mollesse  sur  terre  ? Il  est  vrai  que  cet  accident, 
qui  a vraisemblablement  son  principe  dans  un 
coup  de  feu  plus  qu’ordinaire,  est  très-rare  dans 
les  éruptions  vésuviennes  5 autrement  les  pierres 
fondues  et  lancées  par  ce  volcan  devraient  s’a- 
platir en  tombant  sur  la  terre  , et  ressembler 
à des  galettes  , ce  qui  n’arrive  pas  , ou  du  moins 
ce  que  je  n’ai  pas  vu  dans  l’éruption  dont  j’ai 
été  témoin  j les  morceaux  de  lave  avaie  nt  tous 


BANS  LES  BEUX  SICILE  S.  19 
une  figure  à-peu-près  sphérique,  sans  aucun 
aplatissement  sensible.  En  faisant  le  tour  de  la 
montagne  , j’ai  rencontré  une  multitude  d’autres 
morceaux  de  date  plus  ancienne  , et  d’une  con- 
figuration semblable  5 j’ai  fait  les  mêmes  ob- 
servations sur  le  Stromboli  et  sur  l’Etna  , où 
j?ai  examiné  les  pierres  lancées  dans  l’éruption 
de  1787. 

Quant  à la  grande  fluidité  que  les  laves  mani- 
festent dans  l’intérieur  des  cratères  , je  rappor- 
terai le  témoignage  de  Bottis , cet  infatigable 
observateur  des  phénomènes  du  Vésuve.  Il  s’agit 
de  l’incendie  de  17 67.  « Ce  mont,  dit-il,  offrit 
» pendant  la  nuit  un  singulier  spectacle.  De  temps 
»en  temps  on  entendait  le  bouillonnement  du 
»feu  3 on  voyait  ensuite  une  grande  abondance 
»de  matière  liquide  et  très-enflammée  venir  sur 
»les  bords  du  cratère  , les  inonder,  et  se  diviser 
» subitement  en  petits  ruisseaux  de  feu  qui  s’é- 
»chappaient  en  serpentant  le  long  de  ses  flancs, 
»et  s’éteignaient  au  bout  de  six  minutes.  Ce  jeu 
»dura  l’espace  de  trois  heures  », 

Pour  peindre  l’incendie  de  1779 , il  se  sert  de 
la  comparaison  suivante  : « Telle  qu’une  liqueur 
»qui  bout  dans  un  vase,  si  un  feu  trop  violent 
» l’agite  , elle  se  soulève  et  se  répand  au-dehors; 
» ainsi  la  lave  déversait  de  toutes  parts,  et  s@ 

B 2 


20  VOYAGES 

» précipitait  avec  une  abondance  effrayante  le 
»long  des  parois  extérieures  du  cratère  ». 

Ces  deux  observations,  qui  montrent  la  très- 
grande  fluidité  des  laves  vésuviennes , donnent 
une  idée  très-juste  de  ce  que  j’ai  vu  moi-même 
dans  les  cratères  de  l’Etna  et  de  Stromboli,  et  je 
ne  doute  point  que  les  matières  en  effervescence 
dans  les  autres  volcans  n’offrent  un  spectacle 
semblable. 

Je  passe  maintenant  aux  faits  de  la  seconde 
classe  , concernant  les  courans  de  laves  dont 
l’extension  et  la  vitesse  paraissent  témoigner  en 
faveur  de  leur  fluidité , et  de  l’activité  du  feu 
dont  elles  sont  pénétrées.  L’éruption  du  Vésuve 
de  iy5i  forma  un  torrent  qui  parcourait  vingt- 
huit  palmes  en  une  minute.  Celle  de  1764  se 
partagea  en  deux  branches  qui  parcouraient  un 
espace  de  trente  pieds  en  quarante-cinq  secon- 
des 5 elles  se  réunissaient  plus  bas , et  le  torrent 
avait  alors  une  vitesse  de  trente-trois  pieds  par 
cinquante  secondes. 

On  trouve  ces  mesures  dans  l’ouvrage  du  Père 
Torré  $ en  voici  qui  nous  ont  été  données  par 
le  chevalier  Hamilton.  Selon  cet  auteur , la  lave 
de  l’éruption  de  176 5 faisait  presqu’un  mille  par 
heure.  Il  observa  une  branche  de  cette  même 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  2Ï 
lave  dont  il  ne  put  déterminer  1$  vitesse  avec  pré- 
cision , mais  qu’il  compare  pour  la  rapidité  à celle 
du  fleuve  de  Saverne  près  Bristol. 

Le  marquis  Galiani  rapporte  que  le  17  sep- 
tembre i63i , on  vit  à la  dix-septième  heure  du 
jour  déboucher , par  le  cratère  supérieur  de  ce 
volcan , des  laves  qui  , à la  vingtième  heure , 
avaient  déjà  gagné  la  mer,  où  elles  avaient  formé 
deux  longs  promontoires. 

Voici  encore  quelques  observations  de  Bottis 
à ce  sujet.  En  176 7 , le  Vésuve  vomit  une  lave 
dont  l’écoulement  fut  si  rapide  , que  plusieurs 
personnes  qui  se  trouvaient  sur  les  lieux  eurent 
à peine  le  temps  de  s’enfuir.  En  1771 , un  épou- 
vantable torrent  étant  descendu  dans  le  canal 
de  l’Arena  , y parcourait  en  une  heure  l’espace 
de  quinze  cents  cannes  napolitaines.  En  1 y/6 , il 
s’échappa  du  sommet  de  la  montagne  un  courant 
avec  une  vitesse  d’un  mille  et  demi  par  quatorze 
minutes. 

Enfin  je  tiens  de  l’abbé  Ferrara  de  Catane,  la 
remarque  suivante  faite  sur  l’Etna  : « La  lave , 
y>  m’écrivait- il , qui  en  descendit  en  1792,  faisait 
» presqu’un  pas  à chaque  pulsation  de  mon  pouls, 

» qui  est  très-vif». 

Ces  exemples  suffisent  pour  montrer  que  les 

B 3 


22  VOYAGES 

laves  peuvent  se  mouvoir  avec  une  grande  vi- 
tesse 5 mais  je  pourrais  en  citer  d’autres  qui  prou- 
veraient que  leur  mouvement  est  souvent  très-lent» 
Plusieurs  causes  concourent  à accroître  ou  dimi- 
nuer en  elles  cette  faculté  de  parcourir , dans  un 
temps  donné  , un  espace  déterminé  : l’inclinaison 
plus  ou  moins  grande  du  plan  sur  lequel  elles 
coulent , la  distance  où  elles  se  trouvent  de  leur 
source.  En  général,  et  dans  quelque  circonstance 
qu’elles  soient  placées, leur  mouvement  sera  très- 
lent  , et  même  nul , si  de  nouvelles  matières  fon- 
dues ne  les  poussent  pas  incessamment  par-der- 
rière , et  ne  les  forcent  pas  d’avancer.  Souvent 
on  voit  un  torrent  de  lave  , à peine  sorti  du  vol- 
can, s’arrêter  sur  une  pente  très-rapide,  parce 
que  l’effusion  volcanique  cesse  tout-à-coup. 

Je  conviens  donc  que  si  l’on  n’avait  d’autres 
argumens  à produire  , pour  prouver  une  grande 
fluidité  dans  les  laves,  que  ceux  déduits  de  leur 
vitesse,  ils  nous  induiraient  en  erreur.  Il  y a plus  s 
alors  même  que  ces  laves  coulent  avec  une 
grande  rapidité , elles  ont  souvent  une  consis- 
tance et  une  ténacité  surprenantes.  Hamilton  dit, 
au  sujet  de  celle  du  Vésuve  parcourant  un  mille 
par  heure  , qu’il  avait  peine  à y enfoncer  la 
pointe  d’un  bâton,  et  que  de  grosses  pierres  qu’il 
lançait  contre  elle  de  toute  sa  force  ne  faisaient 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  23 
que  s’imprimer  légèrement  dans  sa  surface , et 
surnageaient  en  suivant  le  cours  du  torrent. 

Mon  voyage  à ce  volcan  me  fournit  l’occasion 
de  faire  une  remarque  semblable  sur  une  lave 
coulante  encaissée  dans  un  canal  étroit  et  pro- 
fond. Je  pris  plaisir  à y jeter  des  pierres  , et  je 
vis  qu’elles  ne  s’enfonçaient  que  du  tiers  de  leur 
volume,  après  quoi  le  courant  les  emportait.  Un 
torrent  plus  large  coulait  à l’air  libre  : la  chute 
de  grosses  pierres  n’y  causa  pas  la  moindre  dé- 
pression (1). 

Sérao  affirme  qu’en  frappant  avec  un  bâton  sur 
certains  courans  de  laves,  on  les  trouve  souvent 
si  dures , qu’elles  résonnent  sous  le  choc. 

En  parlant  de  l’éruption  du  Vésuve  de  1770, 
Bottis  rapporte  qu’un  de  ses  amis  voulut  estimer 
la  fluidité  d’un  ruisseau  de  lave  qui  parcourait 
quarante  palmes  dans  une  minute.  Il  prit  une 
massue  pour  l’enfoncer  dans  la  matière  fondue  5 
mais  , contre  son  attente , il  la  trouva  si  ténace , 
que  la  massue  put  à peine  y pénétrer , quoiqu’il 
la  poussât  de  toute  sa  force. 

Aussi  ne  suis-je  point  étonné  en  lisant  que  des 

(1)  J’ai  indiqué  quelques-uns  de  ces  faits  dans  le  pre- 
mier chapitre  de  cet  ouvrage  ; il  m’a  paru  convenable* 
de  les  rappeler  ici,  Note  de  l’auteur . 

B 4 


V O Y A GE  S 


personnes  ont  osé  marcher  sur  des  laves  courantes 
sans  en  éprouver  aucun  mal.  M.  Jamineau,  con- 
sul d’Angleterre  à Naples , ayant  été  voir  une 
éruption  du  Vésuve  en  1764,  un  de  ses  guides 
s’approcha  d’une  lave  qui  cheminait  lentement, 
et  la  traversa  en  courant.  Le  chevalier  Hamilton 
avec  un  de  ses  compatriotes , montrèrent  le  même 
courage  dans  la  grande  éruption  de  1779  5 mais 
leur  action  eut  un  motif  plus  réel.  Se  trouvant 
au  bord  d’une  lave  dont  la  progression  était  ex- 
trêmement lente  , et  qui  avait  cinquante  à soixante 
pieds  de  largeur  , les  fumées , les  bouffées  de 
chaleur  que  le  vent  leur  apportait  en  face  les 
incommodèrent  si  fort  , qu’ils  allaient  retourner 
sur  leurs  pas  sans  avoir  satisfait  leur  curiosité  , 
si  le  guide  qui  marchait  à leur  tête  , n’eût  pro- 
posé de  traverser  rapidement  la  lave  elle-même. 
Comme  celui-ci  en  donna  tout-à-la-fois  le  con- 
seil et  l’exemple,  Hamilton  le  suivit,  ainsi  que 
son  compagnon  , et  tous  les  trois  firent  le  trajet, 
sans  en  ressentir  d’autre  incommodité  qu’une 
forte  chaleur  aux  pieds  et  aux  jambes.  On  cite 
un  semblable  trait  de  hardiesse  du  marquis  Ga- 
liani , et  de  quelques  autres  personnes. 

ïl  est  évident  que  cette  ténacité  , cette  résis- 
tance dans  les  laves  courantes  est  une  consé- 
quence de  leur  exposition  à l’air  froid , dont  le 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  ^5 
contact  leur  enlève  une  quantité  de  calorique 
suffisante  pour  leur  faire  perdre  leur  fluidité  pri- 
mitive. Cette  soustraction  de  calorique  s’opérant 
avec  infiniment  plus  d’activité  à leur  surface , elles 
doivent  conserver  dans  leur  intérieur  un  degré 
considérable  de  liquidité  , alors  même  qu’elles 
paraissent  l’avoir  perdue  entièrement  au-dehors. 
C’est  ce  qu’observa  M.  Jamineau  à l’égard  de 
la  lave  courante  qu’il  traversa  ; son  enveloppe 
extérieure  était  si  dure  , que  la  chute  des  plus 
grosses  pierres  n’y  laissait  aucune  empreinte , 
tandis  qu’il  pouvait  aisément  enfoncer  un  petit 
bâton  dans  sa  masse  interne. 

Pendant  l’incendie  du  Vésuve  en  1 754 , le  Père 
Torré  ayant  rompu  la  croûte  d’un  rameau  de 
lave  qui  avait  cessé  de  couler , il  en  sortit  une 
matière  encore  liquide  et  ondoyante. 

Mais  il  n’est  pas  de  fait  de  ce  genre  plus  re- 
marquable que  celui  rapporté  par  Borelli  dans 
sa  description  de  l’éruption  de  l’Etna  de  1669. 
Le  fleuve  de  lave  sorti  de  Monte-Rosso , après 
avoir  incendié  et  couvert  de  ruines  les  villages , 
les  terres  et  les  fertiles  campagnes  qui  étaient 
sur  son  passage  , touchait  à la  ville  de  Catane  • 
déjà  il  avait  gagné  la  hauteur  de  ses  remparts  , 
il  allait  se  précipiter  sur  cette  cité  florissante  , 
lorsque  des  citoyens  , dans  ce  terrible  moment, 


26 


VOYAGES 


imaginèrent  de  percer  avec  des  marteaux , des 
pics  et  autres  instrumens  semblables  , le  flanc 
de  la  lave  déjà  endurcie  à sa  surface,  afin  que 
la  matière  intérieure,  encore  fluide,  pût  en  sortir,  *' 
et  prendre  une  autre  direction  : le  plus  heureux 
succès  couronna  cette  courageuse  entreprise.  A 
peine  l’enveloppe  fut-  elle  brisée  que  la  lave  s’é- 
chappa, et  coula  vers  le  lieu  où  l’on  voulait  la 
diriger.  Je  ne  sais  par  quelle  fatalité  pour  Catane 
ce  travail  ne  fut  pas  continué  autant  que  le  be- 
soin l’exigeait. 

A ne  considérer  que  l’extérieur  des  laves  cou- 
rantes , il  est  donc  vrai  de  dire  que  leur  vitesse 
n’est  point  la  mesure  de  leur  fluidité  ; il  faut  les 
observer  dans  leur  intérieur  pour  se  convaincre 
que  cette  fluidité  est  très-considérable  ; elle  a 
dû  être  excessive  dans  certaines  éruptions  que 
nous  avons  citées , et  sur-tout  dans  la  dernière. 
Celle-ci  éclata  dans  le  Monte-Rosso  , et  la  lave 
s’avança  jusqu’à  la  mer  en  parcourant  un  espace 
de  plus  de  quatorze  milles.  Cependant , à peine 
eut-elle  franchi  ses  barrières,  qu’elle  perdit  toute 
communication  avec  le  volcan.  La  croûte  qui  se 
forma  à sa  superficie  était  capable  sans  doute  de 
maintenir  plus  ou  moins  sa  chaleur  intérieure  5 
mais  à mesure  que  la  lave  cheminait , et  que  son 
tronc,  d’unique  qu’il  était  dans  le  principe  * se 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  27 
divisait  en  plusieurs  rameaux,  sa  chaleur,  qui 
se  communiquait  successivement  et  sans  inter- 
ruption aux  parois  de  ces  nouveaux  canaux  , 
devait  nécessairement  s’affaiblir.  Combien  était 
donc  prodigieuse  la  fluidité  de  cette  lave  en  sor- 
tant de  la  fournaise  volcanique  , puisque , malgré 
les  pertes  continuelles  de  chaleur  qu’elle  éprouva 
sur  un  espace  de  quatorze  milles , elle  parut  en- 
core liquide  au  bout  d’un  si  long  trajet  ! 

Je  dois  ajouter  que  ce  volcan  a vomi  des  laves 
qui  ont  fait  de  bien  plus  longs  voyages.  Il  en  est 
dont  le  cours  ne  s’est  arrêté  qu’après  avoir  fran- 
chi un  espace  de  dix-huit , de  vingt,  quelquefois 
de  trente  milles.  Telle  est  celle  de  l’éruption  ci- 
tée par  Hamilton , et  dont  j’ai  vu  moi-même  la 
trace , qui  , descendant  du  cratère  supérieur  de 
l’Etna  , et  occupant  un  canal  de  quinze  milles 
de  largeur  , alla  s’engloutir  dans  la  mer  de  Tau- 
rominum. 

Mais  de  toutes  les  éruptions  volcaniques  dont 
l’histoire  nous  ait  conservé  la  mémoire , il  n’en 
est  point  de  plus  remarquable , par  l’extension 
de  ses  laves,  que  celle  d’Islande  de  1783.  Elles 
se  divisèrent  en  douze  fleuves,  qui  couvrirent  une 
surface  de  quatre-vingt-quatorze  milles  italiens 
en  longueur , et  de  cinquante  milles  en  largeur. 
Conçoit- on  comment  ces  matières  peuvent  cou- 


VOYAGES 


28 

1er  et  se  répandre  à de  si  grandes  distances,  sans 
leur  supposer  une  extrême  fluidité, au  moins  dans 
leurs  parties  intérieures  ! 

Ainsi , soit  que  Ton  considère  les  laves  à l’instant 
qu’elles  s’échappent  comme  des  jets  d’eau,  par 
les  fissures  des  monts  volcaniques  , ou  que , vi- 
brées  en  petits  morceaux  et  saisies  par  l’air  froid , 
elles  retiennent  encore  de  leur  mollesse  après  leur 
chute  ; soit  qu’on  les  contemple  au  fond  du  cra- 
tère , où  elles  frémissent  et  bouillonnent  5 soit 
qu’on  les  observe  au  moment  que , brisant  leurs 
digues  , elles  se  précipitent  comme  des  torrens  , 
dans  toutes  ces  circonstances  , il  est  indubitable 
qu’elles  ne  soient  douées  d’une  excessive  fluidité , 
laquelle  ne  peut  être  produite  à son  tour  que 
par  un  degré  proportionné  de  calorique. 

Tels  sont,  à mon  avis  , les  plus  forts  argumens 
en  faveur  de  l’énergie  des  feux  volcaniques.  Main- 
tenant il  convient  de  rapporter  ceux  que  leur 
opposent  les  partisans  de  l’opinion  contraire.  On 
peut  aisément  réduire  ces  derniers  argumens  à 
un  seul , qui  est  que  les  pierres  et  les  rochers 
passent  à l’état  de  lave  par  l’action  de  ce  feu  sans 
se  dénaturer , et  sans  éprouver  aucun  change- 
ment essentiel. 

Sage  et  Deîuc  sont  les  premiers  qui  en  ont  fait 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  29 
la  remarque.  Ayant  vu  que  les  laves  se  vitrifient 
plus  parfaitement  dans  certains  fourneaux  de  ver- 
rerie que  dans  les  volcans  5 que  si  elles  renferment 
des  schorls  intacts  , ces  cristaux  s’y  fondent,  ils 
en  ont  conclu  que  l’activité  de  ces  fourneaux  est 
supérieure  à celle  des  volcans. 

Mais  Dolomieu  accorde  encore  moins  d’éner- 
gie au  feu  volcanique.  Les  ouvrages  de  ce  natu- 
raliste ofFrent  souvent  des  considérations  ingé- 
nieuses sur  ce  point  de  physique.  Dans  son  voyage 
aux  îles  de  Lipari , il  observe  que  certaines  laves 
des  Salines  sont  en  tout  parfaitement  semblables 
au  porphyre  auquel  elles  paraissent  devoir  leur 
origine  5 que  l’on  y reconnaît  la  même  pâte,  les 
mêmes  taches  de  feld-spathj  que  ces  laves  sont 
une  preuve  que  les  feux  volcaniques  n’altèrent 
pas  toujours  essentiellement  les  matières  sou- 
mises à leur  action  5 qu’ils  leur  donnent  un  genre 
de  fluidité  qui  ne  change  pas  absolument  leur 
contexture  naturelle ? et  que  la  fusion  des  laves 
n’est  pas  la  même  que  celle  que  nous  opérons 
dans  nos  fourneaux , où , par  la  vitrification , nous 
dénaturons  réellement  toutes  les  substances  que 
nous  traitons.  En  parlant  de  la  lave  de  l’Etna 
de  1669,  et  des  schorls  et  des  feld-spaths  qui 
s’y  trouvaient  renfermés  dans  leur  état  d’inté- 
grité , il  ajoute  que  le  feu  volcanique  agit  seule- 


3o 


VOYAGES 


ment  comme  dissolvant , qu’il  dilate  les  corps  9 
et  s’introduit  entre  leurs  molécules  de  manière 
à les  faire  glisser  les  unes  sur  les  autres  ; que 
lorsqu’il  se  dissipe , il  laisse  les  différentes  subs- 
tances à-peu-près  dans  le  même  état  qu’il  les  a 
trouvées.  Ce  naturaliste  compare  ce  phénomène 
avec  celui  de  l’eau  dans  la  solution  des  sels  qui 
participent  alors  à la  fluidité  du  menstrue , et 
qui  redeviennent  concrets  par  son  évaporation. 

Dans  l’introduction  à son  catalogue  raisonné 
des  produits  de  l’Etna  , il  insiste  sur  son  idée  5 
non-seulement  il  parle  de  l’impuissanpe  du  feu 
volcanique  à vitrifier  les  schorls,  quoiqu’ils  soient 
en  eux-mêmes  très-fusibles , et  en  infère  que  ce 
feu  n’a  point  d’intensité  ,*  mais  il  fait  voir  com- 
ment ce  même  feu , en  fondant  les  bases  pier- 
reuses , n’altère  pas  même  leur  contexture. 

Enfin  cet  auteur  soutient , dans  un  mémoire 
sur  les  basaltes,  ce  qu’il  a avancé  précédemment. 
« Je  le  répéterai  encore,  dit-il , les  laves  ne  sont 
»pas  des  vitrifications;  leur  fluidité  est  semblable 
»à  celle  des  métaux  en  fusion  , elle  ne  change 
» point  l’ordre  et  la  manière  d’être  des  parties 
» constituantes  des  laves  ; après  avoir  coulé,  elles 
» reprennent,  comme  les  métaux,  le  grain,  le 
» tissu,  et  tous  les  caractères  de  leurs  basesprimi- 
^ives,  efFet  que  dans  nos  fourneaux  nous  ne 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  5i 
y> pouvons  produire  sur  les  pierres,  puisque  nous 
»ne  saurions  les  amollir  avec  le  feu  sans  changer 
»la  manière  avec  laquelle  elles  sont  agrégées, 
t Le  feu  des  volcans  n’a  pas  cette  intensité  qu’on 
»lui  suppose  f et  il  produit  ses  effets  plutôt  par 
» l’extension  et  la  durée  de  son  action  , que  par 
»son  activité  (1)  » . 

Voilà  l’argument  exposé  dans  tout  son  jour. 

En  soumettant  à l’action  des  fourneaux  les 
productions  volcaniques , j’avais  plusieurs  vues  5 
mais  je  voulais  sur-tout  connaître  les  changemens 
que  le  feu  produit  en  elles.  J’ai  constamment 
observé  que  les  caractères  des  roches  primor- 
diales étaient  effacés  par  la  vitrification , et  que 
la  fusion  des  schorls  s’opérait,  sinon  toujours, 
du  moins  très-fréquemment.  Quand  je  me  suis 
occupé  des  laves  euganéennes  abondantes  en 
micas  et  en  feld- spaths  , j’ai  montré  que  ces  deux 
genres  de  pierres  sont  le  plus  souvent  fusibles 
dans  les  fourneaux.  Enfin  , en  plusieurs  endroits 
de  cet  ouvrage  , j’ai  observé  qu’il  n’arrive  jamais 
que  les  roches  et  les  pierres  non  volcaniques  se  fon- 
dent au  feu  ordinaire  sans  perdre  leurs  linéamens 
naturels.  Ainsi , les  faits  sont  vrais, d’après  lesquels 
on  conclut  que  les  feux  volcaniques  manquent 


(1)  Journal  de  physique,  t.  XXXVII,  an»  1790. 


3n  VOYAGES 

d’énergie  , et  cette  conclusion  est  très-spécieuse. 
Donnons-lui  , par  le  raisonnement  suivant,  toute 
îa  force  dont  elle  est  susceptible.  i°.  Le  feu  des 
volcans  est  moins  efficace , moins  actif  que  le 
feu  ordinaire  s’il  ne  touche  pas  , ou  du  moins  s’il 
ne  cause  que  peu  d’altération  à la  contexture 
des  roches  qu’il  met  en  fusion  , tandis  que  le 
second  la  détruit  en  les  fondant.  20.  Le  feu  des 
volcans  est  moins  efficace  , moins  actif  que  le  feu 
ordinaire  s’il  est  impuissant  â fondre  lesschorls,les 
feld-spaths  et  les  micas  , tandis  que  le  second  en 
opère  plus  ou  moins  la  fusion.  Or,  l’une  et  l’autre 
propositions  sont  démontrées  par  les  faits  , donc 
le  feu  volcanique  est  moins  efficace  que  le  feu 
ordinaire. 

J’avouerai  ingénument  que,  voyant  continuel- 
lement des  laves  à schorls  et  à feld-spaths  dont 
le  tissu  primitif  était  parfaitement  conservé  , se 
dénaturer  dans  leur  refusion  et  n’être  plus  re- 
connaissables , toute  mon  attention  se  dirigeant 
alors  sur  ces  objets  de  comparaison  , plus  d’une 
fois  j’ai  cru  que  le  feu  ordinaire  surpassait  en 
énergie  celui  des  volcans  , et  cette  croyance  , je 
n’ai  pas  su  la  dissimuler  en  rendant  compte  de 
mon  travail  $ mais  ayant  ensuite  médité  sur  ce 
qui  a été  écrit  pour  et  contre  la  puissance  du 
feu  volcanique,  les  argumens  qui  la  défendaient 

m’ont 

\ 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  55 
m’ont  paru  plus  péremptoires  que  ceux  qui  la 
combattaient.  Cependant  je  ne  nierai  point  qu’il 
n’y  ait  des  cas  où  cette  puissance  est  médiocre , 
ou  meme  très-faible,  cela  dépendant  du  dévelop- 
pement plus  ou  moins  grand  du  calorique  rassem- 
blé dans  les  foyers  des  volcans. 

Quant  à Pinaîtération  du  tissu  primordial  des 
roches  converties  en  laves , et  l’infusibilité  des 
schorls  et  des  feîd- spaths  , je  pense  que  l’on 
doit  attribuer  l’une  et  l’autre  , non  à un  manque 
d’activité  , mais  à une  manière  d’agir  du  feu  vol- 
canique , différente  de  celle  du  feu  ordinaire , 
et  qui  ne  nous  est  pas  encore  suffisamment  con- 
nue. En  examinant  quelle  était  l’intensité  de  ce 
dernier  feu, nécessaire  pour  la  fusion  de  certaines 
laves  et  des  schorls  qu’elles  renfermaient , j’ai 
•vu  la  base  des  unes  se  fondre  par  un  degré  infé- 
rieur à celui  qu’exigeait  la  fusion  de  ses  schorls  , 
et  la  base  des  autres  attendre  un  degré  supé- 
rieur , de  manière  que  le  feu  qui  liquéfiait  alors 
les  schorls,  était  impuissant  à liquéfier  la  base 
des  laves  qui  les  contenaient.  Et  cependant,  dans 
ces  dernières  laves, le  feu  volcanique  avait  opéré 
tout  le  contraire  ; il  avait  liquéfié  les  bases  sans 
toucher  aux  schorls. 

J’ai  prouvé , chapitre  XVI , que  les  grenats 
du  Vésuve  sont  infusibles  au  fourneau,  et  qu’avec 

Tome  C s 


34  VOYAGES 

un  feu  d’une  plus  haute  température  Ton  n’ob~ 
tient  que  difficilement  leur  fusion.  Cependant  il 
est  des  laves  à base  de  pierre  de  corne  qui  en 
renferment  de  vitrifiés  à moitié  par  les  incendies 
de  ce  volcan.  On  y voit  aussi  des  schorls  en  par- 
faite vitrification  , comme  le  démontre  Gioéni 
dans  sa  Lithologie  du  Vésuve.  Joinville  a trouvé 
des  grenats  et  des  schorls  fondus  dans  les  laves 
de  Civita- Castellana  (i).  Ces  grenats , dont  j’ai 
recueilli  des  échantillons  sur  les  lieux  , je  les  ai 
indiqués  dans  mon  chapitre  III , en  observant 
qu’ils  étaient  semblables  à ceux  du  Vésuve  5 ils 
existent  en  partie  dans  une  lave  à base  de  pierre 
de  corne  , où , parmi  une  multitude  d’autres  in- 
tacts et  cristallisés , on  en  voit  en  effet  quelques- 
uns  vitrifiés  et  informes.  Une  chose  remarquable, 
c’est  que  la  lave  qui  les  renferme  , quoiqu’un 
peu  vitrifiée  elle-même , n’a  point  perdu  le  ca- 
ractère de  sa  roche.  Au  reste  cesgrenats,  comme 
ceux  du  Vésuve  , sont  infusibles  au  feu  du  four- 
neau, quoique  leur  base  y tombe  dans  une  vitri- 
fication parfaite. 

Ces  faits  prouvent , i°.  qu’il  n’est  pas  toujours 
vrai  que  le  feu  volcanique  soit  insuffisant  pour 
la  fusion  des  schorls  3 s°.  qu’il  est  doué  dans  eer- 


(1)  Voyez  le  Journal  de  physique  ; an.  1788. 


55 


DANS  LÉS  DEUX  S I C I L E S. 
tains  cas  d’une  grande  énergie  , puisqu’il  vitrifie 
des  grenats 5 5°.  qu’il  y a dans  sa  manière  d’opé- 
rer quelqu’artifice  que  nous  ne  connaissons  point, 
puisque  dans  le  moment  qu’il  vitrifie  et  défigure 
ces  grenats , il  laisse  à leur  base  des  caractères 
suffisans  pour  la  faire  reconnaître.  Et  remarquez 
que  ces  cristaux  sont  réfractaires  dans  nos  four- 
neaux , tandis  que  leur  base  est  très-fusible. 

Mais  il  est  une  autre  voie  de  démonstration, 
par  laquelle  on  parvient  facilement  à se  con- 
vaincre de  la  fausseté  des  inductions  que  les  par- 
tisans de  cette  opinion  tirent  de  la  comparaison 
des  effets  du  feu  des  fourneaux  avec  ceux  du 
feu  des  volcans  5 car  si  on  les  considéré  sous  un 
autre  aspect , ils  prouvent  contre  leur  système. 
Que  l’on  se  rappelle  que  la  plupart  des  laves 
auxquelles  j’ài  fait  subir  la  fusion , formaient  à la 
partie  supérieure  des  creusets  , tantôt  un  plan 
horizontal , tantôt  un  creux  , tantôt  une  émi- 
nence 5 que  plusieurs  , dans  leur  actuelle  refu- 
sion , déversaient  par  les  bords  des  creusets , 
coulaient  le  long  de  leurs  parois  extérieures,  et 
se  répandaient  à l’entour  en  formant  de  petits 
ruisseaux.  La  facilité  avec  laquelle  ces  laves  se 
liquéfiaient , et  leur  déversement  qui  en  était  la 
suite , me  faisaient  penser  que  dans  cet  état  elles 
jouissaient  d’une  grande  fluidité  5 mais  lorsque 

C a 

M 


VOYAGES 


36 

je  voulus  m’en  assurer  par  l’expérience,  quelle 
fut  ma  surprise  de  leur  trouver  une  ténacité  , 
une  consistance  très-décidée  ! Fondues  depuis 
plusieurs  heures  dans  les  creusets,  bouillonnantes, 
j’essayais  d’y  plonger  un  fer  taillé  en  pointe  ; mais 
toute  ma  force  n’était  pas  capable  de  le  faire 
entrer  jusqu’au  fond  ; souvent  la  lave  ne  se  lais- 
sait pénétrer  que  de  quelques  lignes  5 l’empreinte 
du  trou  restait  après  la  levée  du  fer  , quoique 
le  feu  continuât  d’agir,  et  elle  ne  s’effaçait  qu’au 
bout  de  neuf  ou  dix  minutes.  Si  , armé  d’une 
longue  tenaille  de  fer,  je  saisissais  et  soulevais  les 
creusets  dans  le  fourneau  , en  les  tenant  ren- 
versés la  bouche  en  bas , la  lave  ne  coulait  point  ; 
seulement , au  bout  d’un  quart-d’heure  environ , 
elle  poussait  en  dehors  une  langue  de  matière 
très-mince,  et  ce  n’était  qu’avec  peine  que  je 
parvenais  à la  tordre  parle  moyen  d’une  seconde 
tenaille. 

Ces  phénomènes  nouveaux  pour  moi  m’éton- 
naient ; je  répétai  l’expérience  en  grand  5 je  fis 
fondre  mes  laves  dans  de  vastes  creusets  d’ar- 
gile 5 mais  les  effets  furent  les  mêmes,  soit  que 
je  voulusse  y enfoncer  un  fer  pointu  , soit  que 
je  retournasse  les  creusets  sens  dessus  dessous. 

Je  n’oubliai  point  de  me  servir  des  laves  que 
je  connaissais  pour  avoir  été  douées  d’une  grande 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  Zj 
fluidité  alors  qu’elles  s’ouvrirent  une  issue  par  les 
flancs  du  volcan  , telles  que  la  lave  de  l’Etna 
de  i66c)  > qui  parcourut  quatorze  milles  $ celle 
qui  en  parcourut  trente  , et  se  jeta  dans  la  mer 
près  de  Taurominum  ; enfin  plusieurs  autres  du 
même  volcan  qui  formèrent  de  longs  courans. 

En  me  livrant  à ces  curieuses  recherches , j’es- 
sayai encore  si  les  laves , tenues  long-temps  dans 
le  fourneau , perdraient  leur  ténacité  , et  acquer- 
raient à la  longue  une  fluidité  telle  que  celle 
dont  elles  jouissaient  en  sortant  de  la  bouche  des 
volcans.  J’en  exposai  un  grand  nombre  , con- 
jointement avec  des  verres  volcaniques  poreux, 
à l’action  non  interrompue  du  feu  pendant  qua- 
rante jours.  Voici  le  résultat.  La  masse  de  chaque 
lave  et  de  chaque  verre  avait  considérablement 
diminué  dans  les  creusets  par  l’évaporation.  Les 
pores  des  verres  étaient  détruits  en  grande  par- 
tie ; quelques  laves  avaient  aussi  perdu  les  leurs, 
d’autres  en  avaient  acquis  un  plus  grand  nombre. 
La  vitrification  de  chacun  de  ces  corps  était  de- 
venue plus  parfaite  j mais  leur  liquidité  n’en  était 
pas  plus  avancée  , et  ils  résistaient  également  à 
la  pointe  du  fer. 

Je  traitai  donc  ces  laves  avec  un  feu  plus 
énergique,  celui  de  réverbère  dans  un  fourneau 
chimique.  Là , elles  se  ramollirent  davantage  , 

C 3 


VOYAGES 


38 

et  se  réduisirent  à l’état  de  pâte  molle.  La  pointe 
du  fer  les  pénétrait , et  P empreinte  du  trou  ne 
tardait  pas  à s’effacer.  En  renversant  les  creusets, 
elles  coulaient  en  bas  lentement , comme  fait  la 
poix  quand  elle  commence  à se  tondre. 

Enfin  j’employai  le  gaz  oxigènej  je  plaçai  de 
petits  morceaux  de  lave  entre  des  charbons  ar- 
dens  attisés  par  cet  agent  si  puissant.  Alors,  pres- 
qu’en  un  moment , la  lave  rougit  et  prit  la  forme 
d’un  globule  , qui  s’écoulait  liquide  comme  l’eau 
quand  le  charbon  sur  lequel  il  était  en  repos 
venait  à pencher. 

Cette  résistance  des  laves  refondues  au  four- 
neau de  verrerie  , cette  mollesse  qu’elles  ac- 
quièrent avec  le  feu  plus  énergique  d’un  four- 
neau chimique,  cette  fluidité  qu’elles  contractent 
avec  l’oxigène , tous  ces  effets  arrivent  également 
en  traitant  de  la  même  manière  certaines  roches 
non  volcaniques. 

Le  lecteur  apperçoit  déjà  les  conséquences 
immédiates  de  ces  expériences.  Si  le  feu  d’un 
fourneau  de  verrerie  , en  fondant  les  laves  et  les 
roches  non  volcaniques  ne  les  rend  point  fluides, 
mais  que  pour  les  rendre  telles  , il  faille  em- 
ployer un  feu  beaucoup  plus  actif  \ si  d’un  autre 
coté  le  feu  volcanique  opère  en  elles  cette  fîui- 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  og 

dite  qui  est  nécessaire  pour  qu’elles  puissent  cou- 
ler, pourquoi  ne  conclurait- on  pas  que  ce  der- 
nier feu  est  plus  efficace  que  le  premier? 

Cependant  il  ne  faut  pas  oublier  que  le  feu 
du  fourneau  , en  vitrifiant  les  laves , fond  aussi 
les  schorls  et  les  feld-spaths  , tandis  que  celui 
des  volcans  laisse  ces  cristaux  intacts.  Mais  de- 
vons-nous uniquement  en  rapporter  la  cause  à 
sa  prétendue  faiblesse  ? 

Quoique , par  la  multitude  des  faits  cités , il 
paraisse  évidemment  que  la  fluidité  des  laves  qui 
s’écoulent  le  long  des  montagnes  ignivotnes  est 
l’effet  du  fluide  igné  dont  elles  sont  abondamment 
pénétrées  , je  ne  laisserai  point  de  discuter  deux 
raisonnemens  de  Doîomieu  , tendant  à prouver 
que  les  laves  peuvent  devenir  fluides  sans  le  con- 
cours d’un  fort  calorique.  Il  dit , en  premier  lieu, 
que  le  feu  des  volcans  produit  ses  effets  plutôt 
par  la  durée  de  son  action  que  par  son  activité  $ 
que , trop  faible  pour  altérer  les  rocbes  et  fondre 
les  cristallisations  de  scborl  et  de  feld-spath,  ce- 
pendant , en  s’appliquant  long- temps  à elles,  il 
est  capable  de  les  dilater  , d’écarter  leurs  molé- 
cules et  de  les  faire  couler  5 en  second  lieu,  que 
le  soufre , qui  ne  manque  jamais  dans  les  vol- 
cans , est  propre  à provoquer  fortement  leur 
fusion. 


VOYAGES 


4° 

C’est  encore  la  voie  de  l’expérience  que  j’aî 
tentée  pour  connaître  jusqu’à  quel  point  sont 
fondées  ces  deux  hypothèses.  Quant  à la  pre- 
mière , j’ai  cherché  ce  que  deviendraient  des 
pierres  exposées  très-long-temps  à un  degré  de 
feu  toujours  égal,  mais  trop  faible  pour  les  fondre 
avec  une  certaine  célérité/  Les  fourneaux  de 
verrerie  établis  à Pavie  me  parurent  très-propres 
à remplir  mon  objet.  Leur  feu  est  sensiblement 
égal  tout  le  temps  qu’ils  tiennent  du  verre  en 
fusion  j c’est-à-dire  quarante-cinq  jours  environ  ; 
seulement  on  lui  donne  un  peu  plus  d’intensité 
pendant  la  quinzaine  suivante  , destinée  à cuire 
et  à travailler  le  cristal.  Une  longue  habitude 
suffît  aux  ouvriers  pour  s’assurer  de  cette  égalité 
de  feu.  Le  verre  fondu  dans  des  padelle  ( c’est 
ainsi  qu’ils  nomment  les  grands  vases  d’argile 
dont  ils  se  servent)  est  susceptible  d’une  liquidité 
plus  ou  moins  grande  , suivant  l’intensité  du  feu 
qu’il  reçoit.  Si  sa  liquidité  est  trop  grande , il  n’est 
plus  propre  à être  mis  en  œuvre,  parce  qu’il  ne 
s’attache  point  aux  tubes  de  fer  destinés  à le 
souffler,  et  coule  au  moment  qu’on  le  tire  du  four- 
neau; si  elle  est  trop  faible,  autre  inconvénient , 
car  il  n’est  pas  en  état  d’être  soufflé.  Les  ouvriers 
sont  par  conséquent  obligés  de  trouver  ce  point 
de  liquidité,  et  de  savoir  le  fixer  par  un  degré 
de  feu  déterminé  et  toujours  égal.  Ils  en  jugent 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  4l 
aussi  par  la  couleur , qui  doit  être  d’un  rouge 
enflammé  tirant  un  peu  sur  le  blanc  ; s’il  y a 
excès  de  liquidité  , le  verre  prend  une  blancheur 
très-vive  que  l’œil  ne  peut  supporter  ; s’il  y a 
défaut > il  paraît  d’un  rouge  foncé  et  éteint.  Cette 
règle  pouvait  , au  besoin  , m’avertir  de  l’égalité 
de  feu  que  je  cherchais;  mais  j’en  suivis  une  plus 
précise  au  moyen  du  pyromètre  de  Wedgwood. 
Je  plaçai  quatre  petits  cylindres  d’argile  , avec 
leur  moufïle  , dans  un  endroit  du  fourneau  ser- 
vant à mes  expériences;  j’en  levai  deux  au  bout 
de  deux  jours  , et  j’y  laissai  les  autres  pendant 
quarante- cinq  jours.  Ayant  ensuite  mesuré  et 
comparé  le  retrait  des  premiers  avec  celui  des 
derniers  , je  ne  trouvai  presque  point  de  diffé- 
rence. J’eus  donc  la  certitude  physique  de  l’éga- 
lité du  calorique  pendant  tout  cet  intervalle  de 
temps. 

A l’égard  des  pierres  destinées  pour  ces  nou- 
velles épreuves  , j’en  pris  qui  avaient,  été  réfrac- 
taires au  feu  de  fourneau  durant  une  exposition 
de  deux  à trois  jours , telles  que  des  feld^spaths 
en  masse  , des  pétro-silex , quoique  leurs  congé- 
nères se  fussent  fondus  dans  les  mêmes  circons- 
tances de  temps  et  de  lieu.  J’y  ajoutai  les  six 
pierres  de  poix  citées  au  chapitre  XX,  qui,  en 
quarante-huit  heures,  ne  purent  se  liquéfier. 


VOYAGES 


ainsi  que  le  silex,  ou  pierre  à fusil  rouge , tirée 
de  la  carrière  de  la  Battaglia  dans  les  monts  Eu- 
ganéens.  Toutes  ces  pierres  , au  nombre  de  dix- 
huit,  furent  exposées  dans  le  fourneau  pendant 
quarante-cinq  jours , et  y soutinrent  l’action  d’un 
feu  toujours  égal.  Chaque  jour  j’avais  soin  de  les 
visiter , de  les  examiner  l’une  après  l’autre  , de 
noter  les  changemens  qui  leur  arrivaient.  Je  se- 
rais coupable  d’une  ennuyeuse  prolixité  envers 
mes  lecteurs,  si  je  donnais  ici  le  journal  de  ces 
observations  ; il  suffira  à mon  but  de  leur  en 
tracer  les  principales  circonstances  avec  les  ré- 
sultats. D’abord,  pas  une  pierre  qui  ne  se  soit  plus 
ou  moins  vitrifiée  ; dans  les  unes,  la  vitrification 
a commencé  après  le  onzième  jour  ; dans  les 
autres , elle  s’est  manifestée  quelquefois  plutôt , 
quelquefois  plus  tard  : ici  les  morceaux  se  sont 
simplement  attachés  ensemble  sans  former  un 
tout  bien  lié  ; là  , la  fusion  a été  générale.  La 
vitrification  s’est  formée  avec  une  extrême  len- 
teur^ dans  le  principe  , elle  a paru  comme  une 
écorce  déliée , qui  s’est  ensuite  épaissie  , et  a 
gagné  le  centre.  Ce  verre  étincelait  sous  le  bri- 
quet ; il  était  compacte  , très-pur,  transparent, 
sans  couleur  , ou  bien  tirant  sur  le  jaune  ou  sur 
le  bleu.  La  pierre  à fusil  des  monts  Euganéens 
s’est  montrée  une  des  plus  rébelles  à la  vitrifi- 
cation» Il  est  vrai  qu’au  bout  du  troisième  jour  s 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  43 
les  morceaux  ont  commencé  de  s’aglutiner  en- 
semble 3 mais  le  vingt-cinquième  s’est  écoulé  , 
que  l'écorce  vitreuse  avait  à peine  l’épaisseur  de 
deux  lignes.  Arrivés  au  terme  de  quarante-cinq 
jours,  leur  noyau  ne  manifestait  qu’une  simple 
calcination.  Il  en  fut  de  même  des  deux  pierres 
de  poix  3 mais  les  quatre  autres  se  fondirent  plei- 
nement. 

Le  fourneau  où  j’avais  fait  ces  expériences  ne 
pouvait  plus  me  servir  de  l’année  , attendu  que 
les  verriers  s’étaient  mis  immédiatement  à tra- 
vailler le  cristal , qui  exige  , comme  je  l’ai  dit, 
une  augmentation  de  feu.  Mais , vers  le  même 
temps,  ils  en  allumèrent  un  second  pour  le  verre 
ordinaire  3 car  la  ville  de  Pavie  a deux  fourneaux 
de  ce  genre  , et  ce  sont  les  mêmes  ouvriers  qui, 
ayant  travaillé  dans  l’un  , vont  travailler  dans 
l’autre.  L’idée  me  prit  de  faire  passer  du  premier 
fourneau  dans  le  second  les  pierres  qui , pendant 
le  cours  de  l'expérience,  n’avaient  reçu  qu’une 
très-faible  vitrification  dans  leur  intérieur.  Elles 
subirent  ainsi  une  nouvelle  épreuve  de  quarante- 
cinq  jours , en  tout  quatre-vingt-dix  jours  d’ex- 
position à un  degré  de  feu  également  soutenu. 
Cette  prolongation  ne  fut  pas  sans  efFet  5 la  vitri- 
fication pénétra  jusque  dans  le  noyau  des  pierres 
de  poix  et  de  la  pierre  à fusil  , et  je  ne  doute 


VOYAGES 


44 

pas  qu’en  étendant  encore  îa  durée  de  ce  même 
feu , elle  n’eût  été  entière  et  parfaite. 

Ceci  m’apporta  des  connaissances  que  je  n’a- 
vais pas.  Auparavant , si  je  voyais  que  l’action 
du  fourneau  , prolongée  de  quelques  jours  seu- 
lement , ne  suffisait  pas  pour  la  fusion  des  pierres, 
je  les  appelais  réfractaires  ou  infusibles.  J’igno- 
rais les  effets  d’un  feu  égal  et  long-temps  sou- 
tenu  j qui  vient  à bout  de  vaincre  leur  résistance  ÿ 
et  l’expérience  me  démontra  que  sa  durée  équi- 
vaut , pour  opérer  la  fusion  des  corps,  à l’action 
plus  vive  , mais  aussi  plus  prompte  , d’un  feu 
supérieur. 

En  réfléchissant  sur  l’efficacité  que  le  feu  ac- 
quiert par  sa  prolongation  , je  crus  pouvoir  l’ex- 
pliquer d’une  manière  plausible.  Cet  agent  com- 
mence d’abord  par  calciner  les  pierres  ; il  les 
dépouille  de  quelques-unes  de  leurs  parties  , et 
altère  plus  ou  moins  leur  contexture.  En  conti- 
nuant d’agir,  il  ne  les  trouve  plus  dans  le  même 
état , et  cependant  son  action  fait  naître  en  elles 
de  nouvelles  combinaisons  ; d’autres  changejmens 
succèdent  aux  premiers  , et  amènent  enfin  les 
modifications  au  moyen  desquelles  ces  corps  ac- 
quièrent la  condition  nécessaire  pour  se  fondre. 
Mais  si  l’on  suppose  un  feu  plus  actif,  il  opé- 
rera en  peu  de  jours  ce  que  l’autre  n’a  pu 

r 


BANS  LES  DEUX  SICILE  S.  45 
effectuer  que  dans  la  longue  succession  du 
temps. 

Faisons  maintenant  l’application  de  ces  faits  à 
l’hypothèse  de  Dolomieu  , qui  pense  que  le  feu 
volcanique  agit  plus  par  sa  durée  que  par  sa 
force.  Je  vois  bien  comment  sa  continuité  peut 
suppléer  à sa  faiblesse  pour  liquéfier  les  roches, 
je  comprends  comment  il  doit  gagner  en  appli- 
cation constante  ce  qu’il  perd  en  activité  5 mais 
je  ne  conçois  pas  comment  la  liquéfaction  des 
roches , dans  ce  cas , n’entraîne  pas  celle  des 
schorlset  desfeld-spaths,  et  la  destruction  de  leur 
propre  contexture.  Voilà  du  moins  les  effets  que 
j’ai  observés  dans  les  pierres  de  mes  précédentes 
expériences.  Ces  effets,  me  dira-t-on, ne  sont  pas 
applicables  aux  volcans,  et  l’on  me  citera  l’exem- 
ple du  Stromboli  , dont  les  matières  projetées 
retombent  continuellement  dans  son  cratère,  su- 
bissent pendant  une  longue  succession  de  temps 
l’action  de  ses  feux,  et  ne  perdent  pas  pour  cela 
leurs  caractères  primitifs.  Je  réponds  que  ce  phé- 
nomène ne  prouve  pas  un  défaut  d’activité  dans 
ces  feux,  mais  qu’il  indique  plutôt  en  eux  une 
manière  d’agir  toute  particulière.  J’ai  déjà  fait 
cette  remarquent  j’aurai  occasion  d’y  revenir. 

Je  passe  au  second  raisonnement  de  Dolomieu , 
relativement  au  soufre  considéré , en  plusieurs 


VOYAGES 


46 

endroits  de  ses  ouvrages,  comme  un  véritable 
fondant.  On  lit , dans  son  Catalogue  raisonné  des 
productions  de  l’Etna,  page  167,  ces  paroles  re- 
marquables : « Une  pierre  très  - ferrugineuse, 
»chaufFée  jusqu’au  rouge,  et  mise  en  contact 
»avec  un  bâton  de  soufre,  éprouve  un  effet  pres- 
que semblable  à celui  d’un  morceau  de  fer  qui, 
» dans  les  mêmes  circonstances , brûle , se  calcine, 
»et  devient  instantanément  fluide  par  l’action  du 
» soufre  ». 

Pour  découvrir  si  en  efFet  le  soufre  facilite  la 
fusion  des  pierres  qui  d’ordinaire  servent  de  base 
aux  laves , telles  que  les  rocbes  de  corne , les 
pétro-silex,  les  schorls  en  masse,  j’en  choisis 
parmi  celles-là  qui  n’exigent  pas  beaucoup  de 
temps  pour  entrer  en  fusion  dans  le  fourneau. 
Avant  de  les  soumettre  à l’expérience  , je  cher- 
chai à m’assurer  d’un  terme  de  comparaison  au 
moyen  duquel  je  pusse  mesurer  mes  résultats.  A 
cet  efFet,  je  fis  fabriquer  et  ensuite  cuire  six 
creusets  d’argile,  ayant  chacun  un  pied  et  demi 
de  hauteur  , sept  pouces  de  largeur  dans  le 
fond , étroits  vers  le  sommet , et  se  terminant  par 
une  ouverture  circulaire  d’une  ligne  et  demie , 
laquelle  s’élargissait  en  manière  d’entonnoir.  Je 
remplis  un  de  ces  creusets  , jusqu’au  bord  , 
ÿi’un  pétro  - silex  pulvérisé  , et  un  autre  jus- 


,1 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  ij 
qu’aux  trois  quarts  de  sa  hauteur,  de  soufre  en 
poudre  ; le  surplus  de  la  capacité  fut  occupé  par 
du  meme  pétro  silex  pulvérisé.  Je  disposai  de 
même  et  alternativement  les  quatre  creusets  res- 
tans  , en  y employant  de  la  pierre  de  corne  et  du 
schorl  en  masse.  Par  ce  moyen  j’établissais  un 
terme  de  comparaison  entre  les  pierres  qui  se  fon- 
draient au  fourneau  sans  la  participation  du  soufre, 
et  celles  du  même  genre  qui  se  fondraient  avec 
son  concours.  Ce  minéral  ne  pouvait  être  mieux 
choisi,  il  provenait  de  Pile  de  Vulcano,  où  jel’avais 
recueilli.  Comme  il  était  indispensable  que  chaque 
creuset  éprouvât  le  même  degré  de  feu  , je  m’as- 
surai de  cette  égalité  avec  le  pyromètre. 

Au  bout  de  treize  minutes  , le  soufre  contenu 
dans  les  trois  creusets  commença  à s’en  exhaler 
sous  la  forme  d’une  fumée  rougeâtre  et  légère 
qui  s’élevait  par  les  entonnoirs.  J’avais  pratiqué  à 
dessein  cette  étroite  ouverture  pour  laisser  échap- 
per le  soufre  \ car  si  les  creusets  avaient  été  par- 
faitement clos , ils  se  seraient  aisément  brisés 
par  l’effort  des  exhalaisons  sulfureuses,  et  d’ail- 
leurs l’étranglement  de  ce  passage  était  propre 
à conserver  long-temps  l’inflammation  du  soufre. 
La  fumée  s’accrut  et  durait  encore,  que  la  pierre 
de  corne  dans  les  deux  creusets  commença  à se 
fondre  , ce  qui  arriva  au  bout  de  cinquante- 


VOYAGES 


48 

trois  minutes  de  feu.  Je  ne  m’apperçus  point  que 
le  soufre  eût  accéléré  l’effet. 

Un  commencement  de  fusion  se  manifesta  au 
bout  de  soixante-cinq  minutes  dans  le  creuset 
sans  soufre,  où  était  le  pétro-silex;  mais  elle  ne 
parut  pas  plutôt  dans  le  creuset  contenant  le 
soufre , qui  fuma  pendant  cinquante-huit  minutes. 
En  brisant  ces  deux  creusets,  je  ne  remarquai 
aucune  différence  dans  le  degré  de  vitrification 
de  l’un  et  de  l’autre  pétro-silex.  Le  schorl  en 
masse  m’offrit  un  semblable  résultat.  Ainsi  ces 
trois  différentes  pierres  se  fondirent  également 
sans  le  concours  et  avec  le  concours  du  soufre, 
et  je  ne  vis  point  que  ce  minéral  en  eût  précipité 
la  fusion. 

Plusieurs  physiciens  pensent  que  la  pyrite  est 
l’aliment  des  feux  souterrains,  et  en  même  temps 
la  source  du  soufre  sublimé  par  les  volcans.  Je 
répétai  mes  expériences  avec  six  creusets  prépa- 
rés de  la  même  manière , excepté  qu’au  lieu  de 
soufre  j’employai  la  pyrite. 

Celle-ci  était  en  décomposition,  et  abondait 
en  acide  sulfurique  5 mais  la  fusion  des  pierres 
arriva  aussi  promptement  dans  les  creusets  qui 
en  étaient  privés,  que  dans  ceux  qui  en  conte- 
naient. 


Dolomieu 


DANS  LES  DEUX  SIC  ILE  S.  4$ 

Doîomieu  prétend  que  si  une  pierre  ferrugi- 
neuse en  incandescence , vient  à être  touchée  par 
un  morceau  de  soufre ^ en  un  instant , et  comme 
le  fer  dans  les  mêmes  circonstances,  elle  tombe 
en  fluidité.  Ainsi , suivant  ce  naturaliste , des  laves 
ferrugineuses  fondues  dans  les  creusets,  devraient 
acquérir  plus  de  fluidité  qu’à  l’ordinaire  en  y 
faisant  brûler  du  soufre. 

On  pense  bien  que  ma  méthode  expérimentale 
ne  m’abandonna  pas  dans  cette  occasion.  Je 
remplis  plusieurs  creusets  de  laves  chargées  de 
fer  ; quand  elles  furent  en  fusion , un  homme  te- 
nant une  cuiller  de  fer,  armée  d’un  long  manche 
et  pleine  de  soufre  fondu  et  enflammé  , sans 
déplacer  les  creusets  et  les  tirer  hors  du  fourneau, 
y versa  le  minéral  5 et  moi , pendant  cette  opéra- 
tion, et  tandis  que  le  soufre  bouillait  dans  les  creu- 
sets, se  sublimait  en  une  fumée  épaisse  et  rougeâ- 
tre , et  couvrait  toute  la  surface  des  laves,  j’é- 
prouvais avec  un  fer  pointu,  leur  résistance  , et 
j’observais  si  elles  acquéraient  une  plus  grande 
liquidité;  mais  cela  n’arriva  point.  Après  l’entière 
dissipation  du  soufre,  elles  conservaient  encore 
le  même  degré  de  ténacité  qu’elles  avaient  avant 
que  le  soufre  les  eût  touchées. 

Je  fis  cette  expérience  sur  sept  laves,  sans 
Tome  IV \ D 


VOYAGES 


appercevoir  aucune  circonstance  favorable  à 
l’hypothèse  de  Dolomieu. 

Si  le  feu  du  soufre  aide  de  celui  du  fourneau, 
n’avait  pu  exciter  la  fusion  de  ces  pierres  , à plus 
forte  raison  était -il  incapable  de  les  fondre  en 
agissant  par  sa  seule  flamme , avivée  par  un  cou- 
rant d’air  dans  un  fourneau  chimique  : c’est  de 
quoi  je  me  suis  convaincu.  J’ajouterai  même  que 
je  n’en  ai  pas  obtenu  davantage  en  l’animant  avec 
le  gaz  oxigène  produit  par  le  mélange  de  deux 
tiers  de  soufre  et  un  tiers  de  nitre. 

Voilà  des  faits  positifs  , et  je  n’y  trouve  rien 
qui  m’autorise  à croire  que  le  soufre  serve  de 
fondant  aux  pierres  qui  passent  à l’état  de  lave, 
ou  qu’il  facilite  leur  fluidité. 

Mais  il  est  une  autre  opinion  de  ce  naturaliste 
que  je  veux  examiner,  car  elle  touche  aussi  à la 
question  qui  nous  occupe.  Les  laves , dit-il , sont 
pénétrées  par  un  double  calorique  , l’un  qui  leur 
a été  communiqué  dans  le  foyer  des  volcans  , 
l’autre  qui  leur  est  propre , et  qui  se  développe 
par  une  véritable  combustion.  Au  moyen  de  ce 
second  calorique , leur  fluidité  se  conserve  plus 
long-temps  que  cela  n’arriverait  si  elles  n’avaient 
reçu  que  le  premier  ; on  comprend  par-là  com- 
ment certaines  laves  font  de  très-courts  trajets 


DANS  LES  DEUX  S I C I L E S.  5l 
dans  des  temps  très-longs  ; comment  leur  com- 
bustion ressemble  tantôt  à celle  du  phosphore 
d’urine  , tantôt  manifeste  une  vraie  flamme  qui 
souvent  est  bleue  , ou  diversement  colorée. 

Sans  doute  l’existence  de  cette  combustion  ne 
saurait  être  mieux  fondée  que  sur  les  effets  qu’on 
lui  attribue.  Si  Dolomieu  eût  vu  de  ses  propres 
yeux  cette  flamme  colorée  qui  brille  à la  surface 
des  courans  de  laves,  je  n’aurais  rien  à répliquer; 
mais  il  en  parle  en  général  et  d’une  manière  vague. 
J’ai  peine  à croire  que  s’il  eût  été  témoin  lui- 
même  de  ce  phénomène  , il  n’en  eût  pas  détaillé 
les  circonstances  pour  concilier  plus  de  foi  à une 
hypothèse  toute  nouvelle.  A la  vérité,  il  promet, 
dans  son  introduction  au  Catalogue  des  produo- 
tions  de  l’Etna  , de  la  démontrer  par  une  suite 
d’observations , qui  ne  peuvent  manquer  d’être 
accueillies  et  lues  avec  avidité  par  les  physiciens. 
En  attendant , je  rapporterai  ici  quelques  faits 
qui  ne  s’accordent  point  avec  la  supposition  de 
ces  flammes.  Je  les  tiens  d’auteurs  qui  ont  eu  cent 
fois  sous  les  yeux  des  laves  courantes  , qui  en 
ont  décrit  les  particularités  avec  la  plus  scrupu- 
leuse exactitude , sans  aucune  prévention  ni  es- 
prit de  parti , tels  que  Sérao , Torré,  Bottis  et 
Hamilton. 

Le  premier,  parlant  en  général  des  laves  que 

D 2 


VOYAGES 


le  Vésuve  vomissait  de  son  temps  , observe  que 
lorsqu’on  les  regardait  de  nuit  à une  grande 
distance  , elles  jetaient  une  lumière  non  res - 
plendissante  comme  la  flamme  vive  y mais 
éteinte  sombre  y comme  celle  des  corps  rou- 
gis qui  brûlent  sans  flamme . Quand  il  donne 
les  détails  de  la  lave  de  1767,  il  ne  dit  point 
qu’il  l’ait  vue  enflammée. 

Le  Père  Torré  , qui  raconte  les  principales  cir- 
constances de  l’éruption  du  Vésuve  de  1761  s 
assure  qu’il  n’apparaissait  aucun  feu  visible 
à la  surface  du  torrent . Ce  même  auteur  donne 
Phistoire  de  plusieurs  autres  éruptions  5 il  en  dé- 
crit les  plus  petits  phénomènes  , mais'  il  ne  fait 
jamais  mention  de  flammes  qui  leur  fussent  pro- 
pres. Seulement,  aux  pages  55  et  76  de  son  ou- 
vrage, il  fait  cette  remarque  : La  nuit , eji  obser- 
vant la  surface  de  la  lave,  même  dans  les  lieux 
où  elle  était  refroidie  , on  voyait  des  flammes 
de  soufre  en  sortir  de  divers  endroits  , et  s’é- 
teindre subitement.  Mais , outre  que  cette  lave 
n’était  plus  ardente  , les  flammes  apperçues  pro- 
venaient du  soufre  : elles  sont  très -fréquentes 
dans  les  volcans  , et  ne  font  rien  à notre  sujet. 

J’ouvre  le  livre  du  professeur  Bottis  , intitulé  r 
Histoire  des  divers  incendies  du  Vésuve  il 
ne  renferme  presque  pas  une  page  où  je  rie 


DANS  LES  BEUX  S I C I L E S.  5S 
rencontre  la  description  de  quelques  laves  cou- 
rantes; mais  je  n’y  vois  pas  la  plus  légère  indi- 
cation de  flammes.  Il  est  vrai  que  cet  auteur  em- 
ploie souvent  les  expressions  de  torrent  enflam- 
mé y fleuve  de  feu  ,*  mais  elles  sont  purement 
emphatiques,  et  plus  d’une  fois  je  m’en  suis  servi 
moi-même,  sans  vouloir  dire  autre  chose  que  des 
laves  fortement  pénétrées  par  le  feu. 

Hamilton  , qui  s’est  approché  du  cratère  du 
Vésuve  alors  que  la  lave  en  découlait  avec  abon- 
dance, ne  dit  point  qu’elle  fût  enflammée,  mais 
il  remarque  simplement  qu’elle  avait  l’appa- 
rence d’un  métal  embrasé  et  fondu  dans  le 
fourneau . A l’égard  du  phénomène  de  la  com- 
bustion , cela  arrive  y dit  - il , quand  la  lave 
déterre  et  emporte  un  arbre  y alors  il  s’élève 
à sa  surface  une  flamme  vive  y je  ré  en  ai  ja- 
mais vu  d’autre . Il  avertit  ici  de  l’équivoque  N 
où  l’on  peut  tomber  , en  prenant  pour  la  flamme 
d’une  lave  la  fumée  qui  s’élève  à sa  surface,  et 
qui , la  nuit,  en  a toute  l’apparence. 

Les  observations  que  j’ai  faites  moi-même  dans 
mes  voyages  au  Vésuve , à l’Etna  et  à Stromboli , 
s’accordent  avec  les  précédentes.  En  parlant 
d’une  lave  qui  coulait  dans  une  caverne  du  Vé- 
suve , j’ai  remarqué  que  sa  surface  avait  la 
rougeur  de  la  braise  sans  jeter  aucune  flamme, 

D 5 


VOYAGES 


54 

J’ai  rapporté  un  phénomène  analogue  touchant 
les  laves  qui  gisaient  dans  deux  grottes  de  la 
même  montagne , et  en  décrivant  celle  qui  cou- 
lait sur  terre  3 j’ai  dit  que  sa  rougeur  était  moins 
vive  que  celle  des  précédentes . 

La  lave  bouillonnante  au  fond  du  cratère  de 
l’Etna  ne  manifestait  point  de  flamme  $ elle  avait 
l’aspect  d’une  matière  liquide  et  embrasée . 

Mais  une  occasion  favorable  de  découvrir  cette 
combustion  était  sans  doute  celle  que  m’ofFrait 
la  fournaise  volcanique  de  Stromboli , soit  par 
ma  grande  proximité  de  sa  lave  montante  et  des- 
cendante , soit  par  la  facilité  que  j’avais  de  la 
considérer  pendant  les  heures  de  la  nuit.  Cepen- 
dant je  n’ai  rien  vu  qui  pût  m’en  faire  soupçonner 
l’existence  3 et  voici  les  expressions  dont  je  me 
suis  servi  en  rendant  compte  des  efFets  dont  j’ai 
été  témoin  : La  lave  du  cratère  ne  brûle  point 
à sa  surface  d’une  flamme  visible  , pas  même 
au  moment  que  ses  huiles  éclatent , mais  elle 
brille  d’une  lumière  ardente  et  très-vive  : je 
ne  saurais  mieux  la  comparer  qu’au  verre 
fondu  dans  un  fourneau  en  activité. 

Je  sais  que  , pour  soutenir  son  assertion  5 Dolo- 
mieu  a recours  à une  lave  de  l’Etna  qui  coula 
pendant  l’espace  de  dix  ans  , et  ne  parcourut r 


DANS  LES  DEUX  S I C I L E S.  55 
selon  lui , qu’un  mille  d’étendue.  D’abord  il  se 
trompe  ; le  trajet  de  cette  lave  fut  de  moitié 
plus  long,  du  moins  c’est  ainsi  que  le  rapporte 
l’historien  des  éruptions  de  l’Etna  , Alphonse 
Borelli.  «En  1614,  un  nouveau  gouffre  s’ouvrit 
» au-dessus  de  la  ville  de  Tyssa  ; il  en  sortit  éga- 
lement une  matière  enflammée  3 mais  son  cours 
» était  si  lent,  que  pendant  dix  ans  qu’elle  conti- 
» nua  de  couler , elle  ne  parcourut  que  l’espace 
»*de  deux  milles  (1)». 

Ensuite  , il  me  paraît  que  l’on  peut  expliquer 
l’excessive  lenteur  de  cette  lave  sans  supposer 
qu’elle  dût  brûler  par  elle-même , et  continuer 
par  conséquent  de  couler  tant  que  dura  en  elle 
l’aliment  de  la  combustion.  Outre  plusieurs  causes 
qui  concourent  à donner  plus  ou  moins  de  ra- 
pidité aux  laves , il  est  certain  que  leur  progres- 
sion dépend  beaucoup  de  l’inclinaison  du  terrein 
sur  lequel  elles  coulent.  Si  le  torrent  suit  un  plan 
horizontal , si  même  il  est  forcé  de  monter  au 
lieu  de  descendre , comme  cela  arrive  quelque- 
fois dans  les  sites  montueux  , sa  marche  sera 


(1)  Deinde,  anno  i6i4  , nova  vorago  supra  oppidum 
Tyssæ  , seu  Rondatici  aperta  est,  e qua  efHuxit  pariter 
materia  ignita  cursu  tam  lento  et  torpido , ut  intra  decem 
annos  quibus  perpetuo  effluxit , duo  tantum  milliaria 
pertransierit. 

D 4 


56  VOYAGES 

très-lente,  et  voilà  peut-être  le  cas  où  s’est  trou- 
vée la  lave  de  1714*  Sa  lente  progression  pourrait 
encore  être  attribuée  à la  dispersion  du  calorique 
qu’elle  recevait  du  volcan  5 ce  calorique  se  trou- 
vait peut-être  dans  un  tel  état  d’affaiblissement , 
qu’il  suffisait  à peine  à la  faire  couler.  Quoi  qu’il 
en  soit , si  les  roches  renfermaient  en  elles  un 
principe  essentiel  de  combustion  qui  se  dévelop- 
pât en  flamme  vive  dans  leur  fusion  volcanique  , 
il  est  évident  que  ce  phénomène  devrait  égale- 
ment se  manifester  dans  ces  mêmes  roches  lors- 
qu’elles se  fondent  dans  le  fourneau  5 et  cepen- 
dant elles  n’y  donnent  jamais  le  moindre  indice 
de  combustion  ni  de  flamme. 

J’ignore  quel  degré  de  confiance  les  physiciens 
accorderont  à l’hypothèse  que  je  viens  de  discu- 
ter 3 pour  moi,  je  ne  puis  m’empêcher  de  la 
regarder  comme  douteuse , incertaine,  tant  que 
son  auteur  ne  produira  pas  des  faits  propres  à 
en  démontrer  la  réalité  $ jusqu’à  présent  j’ai  vu 
dans  les  effets  du  feu  volcanique  une  grande 
énergie  en  beaucoup  de  circonstances  , et  une 
manière  d’agir  qui  probablement  ne  nous  sera 
jamais  parfaitement  connue.  Cette  énergie  est 
prouvée  par  de  nombreux  et  solides  argumens  5 
ils  ne  sauraient  être  affaiblis  par  des  faits  dont 
la  cause  est  liée  à une  opération  toute  particu- 


3)  ANS  LES  DEUX  SICILE  S.  5j 
lière  de  ces  feux.  J’en  ai  apporté  plusieurs  exem- 
ples , mais  en  voici  un  nouveau  qui  vient  à l’ap- 
pui. Pendant  mon  séjour  à Naples,  je  me  pro- 
curai quelques  échantillons  de  cette  lave  du 
Vésuve  observée  parBottis  au  fond  d’une  grotte, 
où  elle  était  pénétrée  d’une  si  grande  abondance 
de  calorique,  qu’elle  fondait  subitement  les  sco- 
ries et  les  morceaux  de  laves  poreuses  qu’on  lui 
jetait.  A l’examen  de  ces  échantillons,  dont  la 
contexture  n’était  pas  effacée , je  vis  qu’ils  avaient 
pour  base  une  pierre  de  corne  qui  renfermait  des 
cristaux  de  schorl  parfaitement  conservés  $ ce- 
pendant cette  lave  et  ces  schorls,  traités  au  four^ 
neau,  s’y  vitrifièrent  en  peu  d’heures.  Comment 
concevoir  que  ces  corps  restent  intacts  dans  un 
feu  très-violent , et  passent  à l’état  de  verre  dans 
un  feu  modéré  , sans  supposer  que  l’énergie  du 
premier  est  unie  à certaines  circonstances  , à cer- 
tains principes  propres  à en  conserver  le  tissu  , 
mais  qu’on  n’est  pas  encore  parvenu  à con- 
naître } 

J’ai  pensé  , avec  plusieurs  physiciens  , que  les 
soufres  et  les  pétroles  donnent  naissance  aux 
volcans  , et  les  entretiennent  5 j’avoue  cependant 
que  cette  opinion  est  fort  hypothétique , et  que 
dans  le  fait , nous  ignorons  le  véritable  aliment 
des  feux  souterrains  5 mais , quel  que  soit  cet 


VOYAGES 


58 

aliment  , toujours  est- il  certain  qu’en  brûlant, 
il  se  trouve  dans  des  circonstances  différentes  de 
celles  qui  accompagnent  les  matières  en  com- 
bustion dans  nos  fourneaux,  lesquelles  ne  brûlent 
qu’avec  le  secours  de  l’air  atmosphérique , tandis 
que  les  abîmes  où  commencent  les  embrasemens 
volcaniques  en  sont  privés.  Une  multitude  d’îles 
sont  sorties  du  fond  de  la  mer  5 ce  phénomène 
s’est  renouvelé  de  nos  jours  5 nous  avons  vu , 
en  1784,  deux  îles  s’élever  du  sein  de  la  mer 
d’Islande  , et  l’une , au  rapport  de  Pennant , oc- 
cuper une  place  où  les  eaux  avaient  cinq  cents 
pieds  de  profondeur.  Pourrait-on  supposer  l’exis- 
tence de  l’air  que  nous  respirons  dans  ces  goufTres 
sous-marins,  où  s’allument  cependant  les  matières 
qui  produisent  et  alimentent  les  volcans  ? Il  faut 
donc  renoncer  à expliquer  jamais  cette  opération 
de  la  nature,  ou  recourir,  pour  s’en  rendre  raison, 
à un  développement  d’oxigène , hypothèse  qui 
n’a  rien  que  d’admissible.  Si  pourtant  ce  gaz  était 
pur  , il  nourrirait  un  feu  qui  vitrifierait  tout , et 
réduirait  les  matières  en  une  masse  homogène. 
Mais  avec  combien  de  substances  hétérogènes 
ne  doit-il  pas  être  uni  ? substances  qui  proba- 
blement produisent  ces  accidens  singuliers  que 
nous  ne  concevons  point , qui  font  agir  ce  feu 
avec  une  grande  énergie , et  lui  ôtent  en  même 
temps  la  faculté  d’altérer  la  contexture  des 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  £9 
pierres  qu’il  réduit  en  fusion.  Parmi  ces  subs- 
tances > il  faut  compter  les  fluides  aériformes,  tels 
que  le  gaz  acide  carbonique , le  gaz  acide  mu- 
riatique , l’hydrogène, l’azote,  &c.  qui  s’exhalent 
pour  l’ordinaire  des  volcans , et  qui,  mêlés  avec 
l’oxigène  en  diverses  proportions  , doivent  mo  - 
difier  plus  ou  moins  , et  ses  propriétés , et  les  feux 
qu’il  anime  , et  les  pierres  sur  lesquelles,  ces  feux 
agissent.  On  doit  encore  y admettre  le  concours 
des  sels,  tels  que  les  sulfates  d’alumine  et  de  fer, 
les  muriates  d’ammoniaque  et  de  soude  , qui 
adhèrent  souvent  aux  parois  des  cratères.  A la 
vérité , les  corps  salins  facilitent  la  vitrification 
des  pierres , mais  nous  ignorons  les  produits  de 
la  combinaison  simultanée  de  plusieurs  sels,  sur- 
tout quand  ils  se  décomposent  dans  les  foyers 
volcaniques. 

A ; ■ 

Il  est  encore  possible  que  l’eau,  unie  avec  le 
feu,  fasse  naître  des  combinaisons  impossibles  à 
l’art  humain.  Ainsi  pense  Faujas,  persuadé  qu’il 
est  du  mystère  qui  enveloppe  les  corps  travaillés 
par  le  feu  volcanique.  Je  ne  saurais  mieux  termi- 
ner cette  discussion  qu’en  citant  l’autorité  de  cet 
habile  naturaliste  : voici  son  opinion.  « Je  serais 
» porté  à croire  que  le  fluide  aqueux  , poussé  à 
» un  degré  d’ébullition  et  d’incandescence  dont  les 
»feux  de  nos  faibles  fourneaux  ne  nous  donnent 


6o  VOYAGES 

» aucune  idée,  est  quelquefois  en  concours  avec 
»le  feu  sourd  et  concentré  qui  règne  dans  les 
» immenses  fournaises  volcaniques,  et  qu*il  en 
» résulte  une  multitude  de  combinaisons  incon- 
nues sur  les  pierres  et  les  terres  qui  séjournent 
»des  siècles  entiers  dans  ces  gouffres  ardens  où 
»le  feu  , qui  tend  à détruire,  a pour  ennemie 
» l’eau , qui  crée  incessamment , et  qui  lui  oppose 
toutes  les  formes  et  les  modifications  que  la  raa- 
» tière  est  susceptible  de  prendre  » . 


v 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  6l 

CHAPITRE  XXIV. 

Détails  sur  le  climat , les  productions , V agri- 
culture et  le  commerce  des  îles  Æoliennes . 
JMLœurs  et  usages  des  habitans . 


J’ai  remonté  jusqu’à  l’origine  desîlesÆoliennes; 
je  les  ai  considérées  dans  leurs  rapports  avec  les 
feux  volcaniques  ; j’ai  décrit  les  matières  dont 
elles  sont  formées  ; il  me  reste  à indiquer  les 
plantes  qui  y végètent , les  animaux  sédentaires 
qui  y vivent , ceux  qui , ne  se  fixant  nulle  part , 
ne  viennent  y prendre  asyle  que  pendant  un  cer- 
tain temps  de  l’année;  à tracer  enfin  le  caractère, 
les  mœurs , l’industrie  des  hommes  qui  les  ha- 
bitent, et  j’aurai  rempli  ma  tâche,  et  la  pro- 
messe que  j’ai  faite  dans  introduction  de  cet 
ouvrage. 

HP  A RI,  la  plus  grande  des  Æoliennes,  est 
aussi  la  plus  peuplée  ; on  y compte  neuf  à dix 
mille  habitans.  La  majeure  partie  de  cette  po- 
pulation est  fournie  par  la  ville  , dont  la  haute 
antiquité  remonte  au-delà  de  la  guerre  de  Troye, 


62 


VOYAGES 


On  peut  se  représenter  le  sol  de  Lipari  comme 
divisé  en  quatre  parties  : deux  et  demie  sont  en 
culture,  le  reste  est  couvert  de  bois  ou  stérile  5 
mais  cette  stérilité  diminue  à mesure  que  le 
nombre  des  habitans  augmente;  une  plus  grande 
consommation  de  denrées  les  met  dans  la  né- 
cessité de  travailler  sans  cesse  à de  nouveaux 
défrichemens. 

L’île  produit  du  coton,  des  légumes,  des  olives, 
le  tout  en  petite  quantité.  Le  froment  y est 
excellent.  Sa  récolte  s’élève  annuellement  de 
quinze  cents  à deux  mille  mesures,  ou  salmes 
siciliennes  : cela  suffit  à peine  aux  besoins  des 
citadins. 

Mais  la  richesse  de  Pile  consiste  dans  ses  vi- 
gnobles , qui  fournissent  des  vins  de  différentes 
qualités.  La  plus  commune,  celle  dont  les  habi- 
tans  font  leur  boisson  ordinaire,  est  si  abondante , 
que  l’on  peut  en  exporter  deux  à trois  mille  bar- 
riques par  an  sans  que  le  pays  en  soufFre.  Le 
vigneron  exprime  le  jus  des  raisins  sur  les  lieux; 
il  le  renferme  dans  des  outres,  et  le  transporte 
de  cette  manière  dans  les  maisons  des  proprié- 
taires. 

Il  est  deux  autres  espèces  de  raisins  que  l’on 
fait  sécher  ; Pune  porte  le  nom  de  passola  , 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  65 
l’autre  celui  de  passolina  ; cette  dernière  est 
plus  généralement  connue  sous  la  dénomination 
de  raisin  de  Corinthe . On  prépare  annuellement 
onze  à douze  mille  barriques  de  la  première 
espèce 3 et  dix  mille  de  la  seconde 3 qui  entrent 
dans  le  commerce. 

Une  quatrième  espèce  de  raisin  produit  la  fa- 
meuse malvoisie  de  Lipari , dont  le  nom  seul  fait 
l’éloge 3 vin  de  couleur  ambrée  3 généreux  et 
suave  tout-à-la-fois 3 qui  inonde  la  bouche  d’un 
parfum  délicieux  , et  laisse  un  arrière-goût  de 
douceur  non  moins  agréable.  Mais  si  cette  es- 
pèce est  la  plus  précieuse  , elle  est  aussi  la  plus 
rare  ; à peine  fournit-elle  deux  mille  barriques 
de  vin , que  les  Liparotes  envoient  chez  l’étran^ 
ger.  Pendant  le  séjour  que  je  fis  dans  l’île 3 ce 
ne  fut  pas  sans  difficulté  que  je  parvins  à m’en 
procurer  de  quoi  seulement  ranimer  de  temps 
en  temps  mes  esprits  abattus  3 et  soutenir  mon 
courage  au  milieu  des  courses  pénibles  où  j’étais 
engagé. 

Pour  faire  cette  malvoisie  3 on  coupe  le  raisin 
lorsqu’il  est  parfaitement  mûr  3 ce  qu’il  annonce 
par  sa  belle  couleur  dorée,  et  sa  saveur  qui  est 
très- douce.  Après  avoir  ôté  des  grappes  tous  les 
mauvais  grains  3 on  les  laisse  exposées  au  soleil 
sur  des  nattes  de  roseaux  pendant  huit  ou  dix 


64  VOYAGES 

jours , et  davantage  , jusqu’à  ce  qu’elles  se  flé- 
trissent. Ces  grappes , ainsi  préparées,  sont  pla- 
cées sur  dès  aires  de  pierre  bien  propres  , entou- 
rées de  petits  murs  de  la  hauteur  de  deux  pieds. 
On  les  écrase  d’abord  avec  une  pierre  liée  à l’ex- 
trémité d’une  poutre,  ensuite  avec  les  pieds  nus, 
jusqu’à  ce  que  tout  le  jus  en  soit  exprimé.  Par 
un  trou  pratiqué  dans  l’aire,  ce  jus  coule  et  des- 
cend dans  une  autre  aire  semblable , mais  dont 
les  bords  sont  plus  élevés;  après  quoi  on  le  trans- 
vase dans  des  tonneaux  , où  il  fermente , se  pu- 
rifie , et  devient  bon  à boire  dans  le  courant  du 
mois  de  janvier  suivant. 

Les  vendanges  commencent  en  septembre  ; 
c’est  alors  que  les  citadins  sortent  de  l’enceinte 
de  leurs  murs , se  répandent  dans  les  campagnes , 
vont  habiter  leurs  petites  maisons  situées  auprès 
des  vignobles , et  s’abandonnent,  tant  que  les 
vendanges  durent , à la  joie  pure-et  innocente 
que  l’automne  leur  inspire.  Le  voyageur  étranger 
à qui  il  arrive  en  cette  saison , et  pendant  la  nuit , 
de  côtoyer  dans  une  barque  les  rivages  de  file  , 
est  agréablement  surpris  en  voyant  la  multitude 
de  lumières  qui  brillent  dans  toutes  ces  habita- 
tions champêtres  , et  jettent  çà  et  là  sur  la  cam- 
pagne des  clartés  vagues  et  incertaines. 

Le  figuier  d’Inde  ( cactus  opuntia , Lin.  ) est 


une 


BANS  S DEUX  SICILE  S.  65 
tme  autre  plante  utile  aux  Liparotes , quoiqu’elle 
ne  soit  pas  l’objet  d’un  commerce  extérieur.  Ghez 
nous,  cet  arbuste  ne  supporte  l’hiver  que  dans 
des  serres  chaudes  5 il  prend  peu  de  croissance  5 
ses  fruits  sont  petits  , maigres , et  ne  valent  rien. 
Mais  à Lipari,  et  dans  toutes  les  îles  Æoliennes, 
il  prospère  à merveille  , et  s’élève  jusqu’à  dix, 
et  même  quinze  pieds  de  hauteur  ; sa  tige  ac- 
quiert un  pied  de  diamètre  * et  quelquefois  da- 
vantage. Ses  fruits,  dont  la  grosseur  égale  unx 
œuf  de  poule  d’Inde  , sont  doux,  agréables,  et 
d’une  facile  digestion.  Avant  leur  maturité , ils 
ont  l’écorce  verte  5 en  mûrissant  , ils  prennent 
une  couleur  jaune  tirant  sur  le  rouge.  Cette 
plante  réussit  dans  toutes  les  expositions  3 mais 
la  plus  favorable  est  celle  du  midi.  Tout  terrain 
lui  convient  ; elle  croît  dans  les  crévasses  des 
laves  , dans  les  fentes  des  vieilles  murailles  ; les 
décombres  des  édifices  sont  également  propres 
à sa  végétation.  On  sait  que  ses  fruits  naissent  ati 
bord  des  feuilles;  le  nombre  en  est  indéterminé, 
mais  souvent  il  est  considérable  : j’en  ai  compté 
vingt-deux  sur  une  seule  feuille^  Ils  entrent  en 
maturité  au  commencement  d’août,  et  se  suc- 
cèdent jusqu’en  novembre.  Dans  les  lieux  les  plus 
exposés  aux  rayons  du  soleil , ils  continuent  à 
croître  et  à mûrir  au  milieu  même  de  l’hiver  | 
mais  sans  cela  on  peut  encore,  dans  cette  saison, 
Tome  E 


VOYAGES 


G5 

obtenir  ces  fruits  beaux  et  bons  , en  les  recueil- 
lant verts  en  automne  , pourvu  qu’on  ait  soin  de 
ne  pas  les  séparer  de  la  feuille  mère  , qui  leur 
fournit  une  nourriture  suffisante  pour  qu’ils  par- 
viennent à leur  maturité. 

Ces  fruits  se  mangent  pendant  la  plus  grande 
partie  de  l’année  , leur  grande  abondance  les 
maintient  à un  prix  très- bas.  Non- seulement 
ils  se  propagent  d’eux-mêmes , mais  on  a soin 
de  les  faire  multiplier  autour  des  habitations. 
La  chose  est  facile  , cette  plante  se  reproduisant 
par  ses  feuilles.  Elles  ont  la  forme  d’un  disque 
alongé  , plus  étroites  dans  une  extrémité  que 
dans  l’autre  5 aussi  les  appelle- 1- on  pelles  dans 
la  Sicile  , à cause  de  leur  ressemblance  avec 
cet  instrument  de  jardin.  Chaque  feuille  est 
épaisse  , charnue  ; ses  deux  surfaces  sont  par- 
semées de  petits  boutons,  ou  mamelons,  d’où 
naissent  une  multitude  de  petites  épines , au 
centre  desquelles  il  en  pousse  une  plus  grosse 
de  la  longueur  d’un  pouce.  Ces  boutons  n’ont 
qu’à  toucher  la  terre  pour  prendre  racine.  Il 
en  sort  une  feuille  radicale  qui  donne  naissance 
à d’autres  feuilles  , celles-ci  à de  nouvelles.  La 
radicale  , qui  était  plate  dans  le  principe  , s’ar- 
rondit avec  le  temps , s’alonge  , grossit  en  pro- 
portion des  feuilles  qui  pullulent  sur  elle  9 et 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S-  67 
forme  le  commencement  du  tronc  de  la  plante. 
Ce  tronc  qui  a quelquefois  , comme  nous  l’avons 
dit  , un  pied  de  diamètre  , est  composé  d’une 
série  de  feuilles  posées  verticalement  les  unes  sur 
les  autres  , et  réunies  ensemble  par  les  deux 
bouts. 

Tels  sont  les  végétaux  cultivés  par  les  Lipa- 
rotes  ; mais  les  raisins  font  le  seul  objet  de  leur 
commerce.  Le  bled  y croît  en  si  petite  quantité, 
que  ce  n’est  pas  la  peine  d’en  parler  ; cependant 
cette  récolte  serait  susceptible  d’une  grande 
amélioration  si  l’on  admettait  un  autre  système 
de  culture.  C’est  la  coutume  d’élever  les  vignes 
à deux  ou  trois  pieds  de  terre  , et  de  former  avec 
des  pieux  et  des  roseaux,  de  petits  carrés  où 
elles  sont  entrelacées.  Ces  vignes , avec  leurs 
branches  et  leurs  larges  feuilles  , interceptent 
les  rayons  du  soleil,  et  sont  cause  que  le  terrain 
qui  est  au-dessous  reste  inculte  et  sauvage.  Déjà 
quelques  Liparotes  , sentant  l’inconvénient  de 
cette  méthode  , ont  secoué  le  préjugé  national  • 
ils  ont  converti  ces  espaces  de  terrain  abandonné 
en  champs  de  bled  sans  nuire  à leurs  vendanges. 
Je  citerai  pour  exemple  la  pratique  de  l’abbé 
GaetanoTrovatini , de  qui  j’ai  parlé  ailleurs  avec 
éloge.  J’ai  vu  son  champ  5 il  n’est  pas  très-éten- 
du, ni  de  meilleure  qualité  que  les  autres,  ce- 

E 2 


VOYAGES 


68 

pendant  il  y fait  à-la-fois  une  moisson  de  bled 
et  des  vendanges  abondantes.  Au  lieu  de  ces 
étroits  carrés  de  vignes  que  Ton  appelle  pergole 3 
il  a planté  ses  ceps  en  espaliers  parallèles  , qui 
laissent  entr’eux  de  larges  plate-bandes  de  terre 
où  il  sème  à sillons  droits  du  froment,  selon  la 
méthode  de  Duhamel.  De  cette  manière  , les 
rayons  du  soleil  et  l’air  jouant  librement  au  mi- 
lieu des  espaliers , et  par-tout  la  terre  étant  soi- 
gneusement labourée,  chaque  grain  de  bled  croît 
et  multiplie  sans  que  les  vignes  cessent  d’être 
aussi  fécondes  que  celles  des  champs  voisins , 
plantées  selon  l’antique  usage.  Il  est  vrai  que 
l’abbé  Trovatinifut  d’abord  regardé  de  mauvais 
œil  par  ceux  qui  faisaient  la  triste  comparaison 
de  leur  champ  avec  le  sien  ; mais  quand  j’arrivai 
dans  File , son  exemple  avait  produit  un  bon 
effet,  et  on  commençait  à l’imiter.  Il  est  fâcheux 
pour  l’encouragement  et  le  perfectionnement  de 
Fagriculture  à Lipari , que  dom  Joseph  Cipola 
de  Palerme  , évêque  de  cette  île  et  des  adja- 
centes, n’aît  pas  vécu  quelques  années  de  plus; 
ce  digne  prélat  semblait  être  né  pour  changer 
la  face  de  ces  pays  à moitié  sauvages,  et  en  amé- 
liorer le  sort.  On  ne  peut  évaluer  le  nombre  d’oli- 
viers dont  il  les  a enrichis  ; la  seule  petite  île  de 
Panaria  en  possède  plus  de  trois  mille  pieds.  Il 
a aussi  introduit  le  mûrier , qui  réussit  parfaite-- 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  6g 
ment  $ j’en  ai  va  un  dans  la  basse  cour  de  sa  mai- 
son , planté  depuis  huit  ans , qui  ne  cédait  point 
en  grosseur  et  en  vigueur  à ceux  de  notre  Italie 
du  même  âge , et  croissant  dans  le  meilleur  sol. 
Les  figuiers  d’Inde  indigènes  dont  j’ai  parlé , ont 
le  fruit  de  couleur  jaune  en  dedans  : dom  Joseph 
Cipola  en  a fait  transporter  de  Palerme  une  autre 
espèce  qui  les  produit  rouges  et  délicieux.  Je 
desire  que  son  successeur , dont  j’ignore  le  nom  , 
suive  l’exemple  d’une  vie  ainsi  consacrée  à l’uti- 
lité publique. 

Mais  puisque  nous  en  sommes  revenus  aux 
figuiers  d’Inde,  je  veux  mettre  au  jour  une  idée 
qui , si  elle  était  jamais  réalisée , contribuerait 
autant  à la  prospérité  de  la  Sicile  que  des  îles 
Æoliennes.  Le  Mexique,  et  quelques  autres  pro- 
vinces de  l’Amérique  espagnole,  sont  les  pays  où 
l’on  recueille  l’insecte  cochenille  ; on  en  fait  un 
commerce  qui  s’élève  à plusieurs  millions  de 
livres  tournois  par  an.  Pourquoi  les  îles  dont  je 
parle  , qui  sont  à l’extrémité  la  plus  méridionale 
de  l’Italie  , et  la  Sicile,  qui  en  a été  séparée  par 
une  irruption  de  la  mer,  pourquoi , dis- je,  ces 
îles  ne  partageraient- elles  pas  avec  le  Mexique 
les  avantages  que  lui  procure  cette  précieuse 
couleur  ? Deux  choses  suffisent  pour  les  obtenir: 
la  plante  sur  laquelle  l’insecte  vit  et  se  multi- 

E 3 


VOYAGES 


7° 

plie  , et  la  possession  de  celui-ci  dans  les  lieux 
où  Ton  veut  le  propager.  Quant  au  premier  point, 
le  figuier  d’Inde  qui  croît  si  abondamment  dans 
les  îles  Æoliennes  et  la  Sicile  , est  justement  la 
plante  demandée.  On  dit  que  les  opuntia  dans  le 
Mexique,  quand  ils  sont  bien  cultivés  , s’élèvent 
à la  hauteur  de  huit  pieds , et  que  leurs  feuilles 
ont  presqu’un  pied  de  longueur  5 ceux  des  îles 
Æoliennes  et  de  la  Sicile  sont  d’une  plus  grande 
dimension,  et  dénotent  une  plus  grande  vigueur. 
Qui  empêcherait  que  les  cochenilles  n’y  prospé- 
rassent tout  aussi  bien  ? Le  ver-à-soie,  quoique 
originaire  des  Indes  , ne  naît-il  pas , ne  multi- 
plie-t-il pas  heureusement  par-tout  où  il  trouve 
des  feuilles  de  mûrier  ? La  seule  difficulté,  selon 
moi , serait  dans  le  transport  de  cet  insecte  vivi- 
pare à une  si  grande  distance  , difficulté  qui 
n’existe  pas  pour  les  vers-à-soie  ovipares , dont 
on  fait  voyager  les  œufs  par  tout  pays  sans  aucun 
danger.  Mais  comme  la  cochenille  vit  et  se  re- 
produit sur  les  feuilles  de  l’opuntia  , quel  risque 
y aurait-il  à la  transporter  avec  sa  plante  nour- 
ricière , que  l’on  placerait  dans  des  caisses  de 
terre,  et  que  l’on  embarquerait  dans  un  vaisseau 
qui  viendrait  du  Mexique  en  Sicile?  la  conserva- 
tion de  la  plante  n’assurerait-elle  pas  celle  de 
l’insecte  ? Quoi  qu’il  en  soit  de  cette  spéculation , 
l’espoir  fondé  du  succès  mériterait  bien  les  dé- 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S. 


71 

penses  et  les  peines  d’une  tentative.  Je  n’ignore 
pas  avec  quelle  jalousie  le  gouvernement  espa- 
gnol veille  à la  propriété  exclusive  de  cet  in- 
secte ÿ mais  cela  n’a  pas  empêché  que  des  voya- 
geurs français  ne  l’aient  enlevé  , et  heureuse- 
ment transporté  dans  leur  patrie.  Si  ce  vœu  était 
jamais  réalisé  en  faveur  de  l’Italie  5 il  contrarierait 
sans  doute  les  vues  politiques  de  la  cour  d’Es- 
pagnejmais  un  Italien , et  sur-tout  un  philosophe 
libre,  ne  doit  pas  moins  en  desirer  l’accomplisse- 
ment. 

[ i 

Les  ressources  que  les  Liparotes  tirent  de  la 
pêche  ne  sauraient  être  plus  faibles  , non  que 
les  poissons  leur  manquent  , mais  bien  les  pê- 
cheurs et  les  instrumens  nécessaires  pour  les 
prendre.  Ils  ne  connaissent  que  l’hameçon  , et 
ces  grands  filets  appelés  ramasses  , que  l’on 
déploie  fort  avant  dans  la  mer , et  que  l’on  ra- 
mène ensuite  contre  le  rivage.  Cette  pêche  n’a 
lieu  que  dans  le  port , encore  s’y  fait-elle  rare- 
ment dans  la  belle  saison  $ l’hiver  , quand  les  in- 
sulaires sont  pour  la  plupart  désœuvrés , ils  s’y 
livrent  davantage.  J’ai  assisté  quelquefois  à cette 
pêche  , moins  par  curiosité  que  pour  faire  em- 
piète de  quelques  poissons  pour  ma  petite  table  ; 
mais  si  le  jour  se  trouvait  malencontreux  pour 
les  pêcheurs  , il  était  fort  malheureux  pour  moi 

E 4 


/ 


VOYAGES 


7 2 

qui , attentif  à tous  leurs  mouvemens , épiais  mon 
dîner  au  fond  de  leurs  filets. 

Une  autre  pêche  des  insulaires  est  celle  du 
corail  , qui  se  fait  en  juin  et  en  juillet  autour  de 
Lipari  et  de  Yulcano.  Elle  me  procura  pendant 
mon  séjour  une  branche  de  corail  née  sur  un 
émail  volcanique  ^ morceau  rare  et  curieux  qui 
fut  pris  sous  Je  château  de  Lipari.  Quinze  barques 
sont  employées  à cette  pêche  \ mais  , soit  le  dé**» 
faut  des  instrumens  , soit  la  mal-adresse  des  pê- 
cheurs, elle  est  tout-à-fait  misérable.  Pendant 
le  cours  des  deux  mois  indiqués , le  produit  de 
chaque  barque  montée  par  huit  hommes  , ne 
s’élève  qu’à  dix  ou  quinze  rotoli  de  corail  5 le 
rotoli  est  de  deux  livres  et  demie , et  la  livre 
de  douze  onces. 

Autrefois  on  allait  le  pêcher  à la  distance  dé 
dix  milles  du  port  de  Lipari , dans  un  endroit 
nommé  la  Secca  di  Santa  Caterina  ; mais  quel- 
ques barquesy  ayant  fait  naufrage,  l’évêque 
d’alors  , qui  était  Dominicain  , fulmina  une  ex- 
communication contre  toutes  les  barques  qui 
auraient  dorénavant  l’audace  de  s’en  approcher. 

Dans  mes  excursions  maritimes  autour  des  îles 
Æoliennes,  je  n’ai  jamais  rencontré  de  ces  céta- 
çées  de  moyenne  grosseur  que  Von  voit  souvent 


BANS  LES  DEUX  SICILE  S.  75 

dans  les  autres  parages  de  la  Méditerranée  , tels 
que  des  dauphins,  sans  doute  parce  qu’ils  n’y 
trouvent  pas  la  pâture  qui  leur  convient.  Seule- 
ment, un  jour  que  la  mer  était  calme,  et  que 
jenavigeais  entre  Panaria  et  Vulcano,  je  vis  tout- 
à-coup  sortir  de  l’eau  un  gros  cétacée  du  genre 
des  physétères.  Au  long  étendard  qu’il  portait 
sur  le  dos , je  le  pris  pour  un  tursione  de  Linné. 
Il  nageait  à peu  de  distance  de  ma  barque , et 
je  l’observai  avec  toute  l’attention  dont  j’étais 
capable.  Les  matelots  , comme  les  naturalistes, 
savent  que  les  dauphins,  les  physétères  et  les 
baleines  ont  besoin  de  respirer  de  temps  en 
temps  , et  mettent  pour  cela  la  partie  supérieure 
de  leur  corps  à la  surface  de  l’eau  ; alors , par 
un  ou  deux  trous  qui  s’ouvrent  sur  leur  tête,  ils 
lancent  en  haut  un  ou  deux  jets  d’eau,  accom- 
pagnés de  Texpiration  de  l’air  qu’ils  avaient  pré- 
cédemment pris , et  en  inspirent  du  nouveau.  Ce 
cétacée  faisait  de  même  chaque  fois  qu’il  venait 
à flot  ; il  étendait  sur  l’eau  la  moitié  de  son  corps , 
ce  qui  me  donnait  la  facilité  de  le  mesurer  des 
yeux.  Sa  longueur  était  pour  le  moins  de  vingt- 
huit  pieds , et  sa  plus  grande  largeur  de  sept. 
La  nageoire  de  la  queue  en  avait  huit,  et  celle 
du  dos  en  avait  deux.  Chaque  expiration  pro- 
duisait un  sifflement  d’air  et  d’eau  , avec  un  jet 
qui  s’élevait  à la  hauteur  de  huit  à ne  uf  pieds 


VOYAGES 


74 

Un  moment  avant  que  la  projection  se  fît , la 
moitié  du  corps  de  l’animal  était  étendue  sur 
l’eau  , ensuite  il  replongeait  lentement.  Je  pris 
la  peine  de  noter  l’intervalle  qu’il  mettait  entre 
chaque  jet  : c’était  presque  toujours  seize  ou 
dix-sept  secondes.  Je  me  flattais  d’avoir  trouvé 
à-peu-près  la  mesure  du  temps  que  ce  cétacée 
pouvait  rester  dans  la  mer  sans  avoir  besoin  de 
respirer,  lorsque  tout-à-coup,  élevant  vertica- 
lement sa  queue  et  faisant  le  plongeon , il  dis- 
parut sans  qu’il  me  fût  possible  de  le  revoir. 
Certainement , s’il  avait  sorti  sa  tête  pendant  le 
gros  quart-d’heure  que  je  fus  à sa  recherche,  il 
n’aurait  pas  échappé  à mes  regards  attentifs , ni 
à ceux  de  mes  bateliers  , qui  se  portaient  de 
tous  côtés  sur  la  surface  tranquille  des  eaux.  J’ap- 
pris par-là  que  ce  physétère,  dont  l’organisation 
est  en  grande  partie  analogue  à celle  des  ani- 
maux à mamelles,  et  qui  se  trouve  comme  eux 
dans  la  nécessité  de  respirer,  peut  cependant  sus- 
pendre l’exercice  de  cette  fonction , et  en  sup- 
porter plus  facilement  que  les  autres  l'interrup- 
tion. 

Si  les  animaux  aquatiques  apportent  peu 
d’utilité  aux  Liparotes  , les  animaux  terrestres 
ne  leur  ofFrent  guère  de  plus  grandes  ressources. 
Ue  bétail , gros  et  menu  , est  très-rare  chez  eux. 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  J*> 

La  Sicile  leur  fournit  le  petit  nombre  de  bœufs 
et  de  vaches  qui  se  consomment  dans  leur  île  a 
encore  sont-ils  fort  maigres  : le  manque  de  pâ- 
turage en  est  la  seule  cause;  aussi  la  plus  grande 
partie  du  sol  cultivé  se  travaille  à la  main. 

Les  lapins  sont  les  seuls  quadrupèdes  sauvages 
que  le  pays  produit  ; ils  cherchent  les  lieux  mon- 
tueux,  et  établissent  leurs  terriers  dans  les  ma- 
tières volcaniques  que  leurs  pieds  peuvent  creu- 
ser, telles  que  les  tufFas.  On  les  prend  avec  le 
furet , et  cette  chasse  fait  l’amusement  des  ha- 
bitans.  Quoique  ce  petit  animal  soit  originaire 
d’Afrique  , il  vit  et  se  multiplie  dans  les  parties 
méridionales  de  l’Italie.  Il  est  de  la  grosseur  d’un 
chat  de  moyenne  taille  ; sa  physionomie  parti- 
cipe de  celle  de  la  belette  et  de  la  fouine.  Je 
l’ai  vu  très-  familier  à Lipari,  et  multipliant  dans 
les  maisons  des  habitans.  Quand  le  chasseur  veut 
s’en  servir,  il  l’emporte  dans  une  cage,  et  se  fait 
suivre  par  son  chien.  Celui-ci  est  bientôt  sur  la 
trace  du  gibier , le  poursuit  jusqu’à  l’entrée  de 
sa  retraite  , et  l’indique  à son  maître.  Alors  le 
chasseur  met  le  capestro  au  furet  ; c’est  une 
espèce  de  muselière  qui  l’empêche  de  mordre  , 
sans  quoi  il  profiterait  lui  seul  de  la  chasse , et 
laisserait  sa  victime  dans  le  trou  après  avoir  sucé 
son  sang.  Ainsi  bridé  , il  ne  fait  que  la  vexer  des 


VOYAGES 


76 

pieds  et  des  ongles , et  la  force  de  sortir  pour 
se  jeter  dans  un  filet  qui  est  à l’ouverture  du 
terrier.  Le  furet  vient  après  , et  se  laisse  re- 
mettre dans  sa  cage.  Ces  lapins  sont  plus  petits 
que  ceux  qui  sont  élevés  dans  la  domesticité  5 
ils  ont  le  poil  gris  comme  tous  les  lapins  sau- 
vages. Ce  n’est  pas  qu’ils  aient  une  origine  libre  f 
car  on  se  rappelle  encore  l’époque  où  les  pre- 
miers furent  apportés  par  un  paysan , et  aban- 
donnés dans  Pile , où  ils  multiplièrent  prodigieu- 
sement. Mais  la  nature,  quoique  corrompue  et 
gâtée  par  les  hommes , quand  elle  est  rendue 
à la  liberté,  restitue  aux  animaux  ces  formes, 
ces  habitudes  du  corps  dont  ils  jouissaient  dans 
leur  état  primitif. 

Les  oiseaux  sédentaires  à Lipari  sont  la  per*, 
drix  (1)  , le  verdier  (2) , le  pinson  (3) , le  char- 
donneret (4)  , la  chouette  (5)  et  le  corbeau  (6). 
Ce  dernier  habite  pour  l’ordinaire  les  champs 
cultivés  qui  sont  auprès  des  Etuves , et  niche 
sur  les  rochers  les  plus  escarpés , qui  ne  le  sont 


(1)  Per  dix.  Lin. 

(2)  Loxia  chloris.  Lin. 

(3)  Fringilla  domestica.  Lin. 

(4)  Fringilla  carduellis . Lin» 

(5)  Scops.  Lin. 

(6)  Corvus  corax.  Lin. 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  77 
pas  assez  pour  qu’on  ne  puisse  leur  enlever  quel- 
quefois leurs  petits. 

Quant  aux  oiseaux  errans  , je  n’en  ai  pas  vu 
un  seul.  On  met  dans  ce  nombre  les  diverses 
espèces  de  lari  et  le  pélican  charbonnier  (1) , 
qui  vont  et  viennent  à la  quête  de  leur  pâture, 
et  quittent  indifféremment  l’eau  salée  des  mers 
pour  l’eau  douce  des  rivières  et  des  étangs.  Ra- 
rement ils  se  montrent  dans  les  îles  Æoliennes  , 
ainsi  que  les  autres  oiseaux  aquatiques. 

Il  n’en  est  pas  de  même  des  oiseaux  de  pas- 
sage. Les  tourterelles  (2)  et  les  cailles  (3)  ar- 
rivent en  avril , et  s’arrêtent  pendant  quelques 
jours  : elles  reviennent  en  septembre  pour  quel- 
que temps  encore.  Les  hirondelles  font  plus , 
elles  nichent.  On  en  compte  diverses  espèces  : 
l’hirondelle  domestique  (4)  , l’hirondelle  de  fe- 
nêtre (3)  , le  martinet  commun  (6)  et  le  grand 
martinet  (7).  Ces  deux  derniers  font  leurs  nids 


(1)  F.  Carbo.  Lin. 

(2)  Columba  turtur.  Lin. 

(3)  Tetrao  coturnix.  Lin. 

(4)  Hirundo  rustica.  Lin. 

(5)  Hirundo  urbica.  Lin. 

(6)  Hirundo  apus.  Lin. 

(7)  Hirundo  melba . Lin* 


VOYAGES 


?8 

dans  les  fentes  des  rochers  et  des  murs  les  plus 
élevés  de  la  ville.  Quand  je  quittai  Pile  , c’était 
le  i5  octobre,  il  restait  encore  quelques  hiron- 
delles de  la  première  et  de  la  quatrième  espèce. 
Je  dois  observer  que  , deux  jours  auparavant, 
il  était  survenu  une  tempête  accompagnée  d’é- 
clairs, de  pluie  et  de  grêle  5 et  que  le  lendemain 
au  point  du  jour,  j’avais  vu  une  centaine  d’hi- 
rondelles domestiques  se  rassembler  au-dessus 
du  château  de  la  ville , et  partir  avec  un  vent 
de  sud-ouest.  Le  thermomètre  de  Réaumur  mar-* 
quait  ce  jour-là  i5°  au-dessus  de  zéro. 

En  causant  avec  l’abbé  Trovatini , et  d’autres 
insulaires  , des  habitudes  de  l’hirondelle,  quel- 
qu’un raconta  un  fait  que  j’avais  déjà  ouï  dire 
à Stromboli , et  auquel  je  reviendrai  alors  que 
je  traiterai  particulièrement  de  cette  île.  Ce  fait 
est  que  dans  l’hiver,  quand  les  jours  sont  sereins 
et  rians  , et  qu’il  souffle  un  vent  du  midi  , tantôt 
l’une  , tantôt  Pautre  des  quatre  espèces  d’hiron- 
delles indiquées , apparaissent  dans  les  rues  de 
Lipari , volent  ras-terre , et  se  font  tuer  par  les 
enfans  armés  de  longues  verges.  Les  deux  pre- 
mières se  laissent  prendre  à l’hameçon.  Les  en- 
fans  cachent  ce  piège  sous  une  plume  attachée 
à un  fil  qui  pend  à l’extrémité  d’un  roseau  ; ils 
se  cachent  eux-mêmes  derrière  l’angle  d’une 


DANS  LES  DEUX.  SI  CI  LE  S.  ?9 
maison  , agitent  la  plume  , et  la  font  voltiger  en 
Pair.  L’oiseau  porté  par  instinct  à saisir  les  ^*n- 
sectes  volans  , croit  en  voir  un  , accourt , ouvre 
le  bec  , et  reste  pris  au  piège. 

D’après  cela, il  est  bien  certain  que  ces  hiron- 
delles , à l’approche  de  l’hiver,  ne  passent  pas 
en  Afrique , comme  on  le  croit  communément, 
mais  qu’elles  s’arrêtent  dans  cette  île,  et  sortent 
de  leurs  retraites  dans  les  beaux  jours  de  l’hiver, 
pour  se  mettre  à la  quête  des  insectes. 

En  navigeant  autour  de  Lipari , j’ai  vu  une 
cinquième  espèce  d’hirondelles  , celles  de  ri- 
vage (i),  qui  font  leurs  nids  au  bord  des  fleuves, 
et  quelquefois  de  la  mer.  Elles  tournoyoient  au- 
tour d’un  rocher  de  tuffa  battu  par  les  flots  : les 
unes  entraient  dans  les  trous  qu’elles  y avaient 
pratiqués  , les  autres  en  sortaient.  Cette  espèce 
paraît  dans  l’île  au  mois  de  mars,  et  en  disparaît 
au  mois  d’octobre. 

Je  comptais  réunir  ces  observations , et  d’autres 
recueillies  en  divers  endroits  de  la  Sicile,  à celles 
que  j’ai  faites  dans  la  Lombardie  sur  ce  genre 
de  volatiles,  et  les  présenter  ici  en  un  seul  corps; 
mais  étant  revenu  depuis  au  même  sujet , j’ai 


(1)  j Hirundo  riparia.  Lin. 


8o 


V 0 Ÿ A G Ê S 


cru  devoir  , par  de  nouvelles  expériences,  jeter 
quelque  lumière  sur  une  question  de  physiologie 
qui  est  devenue  un  sujet  de  controverse  parmi 
les  naturalistes  , savoir  si  le  froid  fait  tomber  les 
hirondelles  en  léthargie  , question  que  j’avais 
déjà  touchée  dans  divers  mémoires  sur  la  physique 
végétale  et  animale.  J’ai  étendu  mes  recherches 
à d’autres  animaux  à sang  chaud  dont  l’organi* 
sation  est  susceptible  de  cette  modification,  prin- 
cipalement durant  l’hiver , tels  que  le  hérisson 
commun  (1)  , la  marmotte  (2) , la  taupe  mus- 
cardine  (3)  , la  chauve-souris  (4);  et  mon  travail 
s’est  si  fort  accru , que  je  suis  forcé  de  le  pu- 
blier à la  suite  de  mes  voyages,  dont  il  sera  le 
complément. 

Revenons  à Liparî.  Depuis  quelque  temps  les 
mariniers  se  livrent  à un  petit  commerce  exté- 
rieur; plusieurs  d’entre  eux  font  trafic  de  galant 
teries  > comme  ils  disent , à la  foire  de  Siniga- 
glia  5 ils  achètent  des  toiles , des  mousselines , 
des  voiles  , et  autres  marchandises  du  même 
genre , pour  la  valeur  de  treize  à quatorze  mille 


(1)  Brinaceus  europœus . Lin. 

(2)  Mus  marmota . Lin. 

(3)  Mus  avellanarius . Lin* 

(4)  Vespertilio . Lin« 


onces 


Ü ANS  LES  DEIÎX  SIC  ILES.  8l 
Onces  sicilienpes  , et  ils  les  vendent  à Messine  , 
à Catane  , à Païenne,  et  autres  lieux  de  la  Sicile. 
Si  le  profit  de  ce  commerce  retourne  à Lipari , 
et  enrichit  quelques  matelots  ■>  il  diminue  d’un 
autre  côté  la  pêche  , qui  devrait  être  une  source 
naturelle  de  richesses  pour  l’île  , et  renchérit 
beaucoup  le  prix  du  poisson. 

On  lit  dans  Strabon , Diodore  et  Dioscoride  , 
que  l’extraction  du  sulfate  d’alumine  faisait  une 
partie  considérable  des  revenus  de  l’île  : aujour- 
d’hui l’on  n’y  recueille  pas  une  parcelle  de  ce  seL 
J’en  ai  vu  quelques  efflorescences  en  divers  en- 
droits que  j’ai  indiqués  , mais  en  si  petite  quan- 
tité, qu’elles  ne  valent  certainement  pas  la  peine 
d’être  ramassées.  Sans  doute  la  veine  de  ce  mi- 
néral s’est  épuisée  ou  perdue  , à moins  que  l’on 
ne  suppose  , avec  plus  de  probabilité  , que  les 
insulaires  le  tiraient  de  l’îie  voisine  de  Vulcano , 
qui  en  est  abondamment  pourvue. 

L’état  civil  de  Lipari  est  Composé  d’un  juge 
criminel , du  fisc , d’un  gouverneur  militaire  qui 
est  pour  l’ordinaire  un  vieux  invalide  , et  d’un 
juge  civih 

Un  évêque  , dix-huit  chanoines  du  premier 
ordre,  quatorze  du  second  , cent  vingt  à cent 
trente  prêtres , forment  l’état  ecclésiastique. 

Tome  ÏV\  F 


02 


VOYAGES 


Ce  n’est  pas  le  talent  qui  manque  aux  Lipa- 
rotes  , c’est  l’instruction  et  l’enseignement.  En 
général  ils  ont  l’esprit  prompt  et  vif,  une  con- 
ception facile,  et  de  l’ardeur  pour  s’instruire. 
Si  quelque  étranger  de  mérite  aborde  chez  eux , 
ils  s’empressent  à l’interroger  pour  profiter  de  ses 
connaissances.  Ils  s’offrent  volontiers  à l’accom- 
pagner par- tout , lui  montrent  avec  satisfaction 
leurs  étuves  , leurs  bains  5 aucun  d’eux  n’ignore 
que  leur  pays  est  l’ouvrage  du  feu.  On  y dispute 
de  la  patrie  d’Æoîe , comme  en  Grèce  de  la  patrie 
d’Homère  : chaque  île  le  réclame  pour  elle.  Les 
Liparotes  sont  persuadés  que  leur  ville  était  le 
siège  de  son^petit  empire  ; et  ceux  qui  ont  quel- 
que teinture  de  belles-lettres,  savent,  au  besoin, 
alléguer  en  leur  faveur  l’autorité  d’Homère. 

Là,  point  de  mendians  : les  plus  pauvres  habi- 
tans  ont  encore  un  petit  champ  qu’ils  cultivent 
et  qui  les  nourrit. 

En  général  ils  sont  robustes  et  forts  ; ils  ont 
la  taille  haute  et  bien  prise  5 dans  l’enfance  ils 
portent  une  figure  agréable , un  teint  vif  et  ani- 
mé ; mais  cette  fleur  de  l’âge  tendre,  même  chez 
les  femmes  , se  flétrit  de  bonne  heure  5 exposés 
aux  rayons  d’un  soleil  brûlant , ils  en  reçoivent 
l’empreinte , et  l’incarnat  de  leur  visage  se  change 
en  couleur  de  bronze. 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  85 
Ainsi  que  dans  l’ancienne  Grèce  , c’est  une 
honte  à Lipari  , et  dans  les  autres  îles  , de  ne 
pas  savoir  nager  , manier  une  rame  , gouverner 
un  bateau.  Les  prêtres  , sur-tout  , sont  très-ha- 
biles dans  cet  art  ; la  plupart,  ainsi  que  les  mate- 
lots, portent  sur  leurs  bras  et  leurs  mains  l’image 
d’un  crucifix , ou  de  quelque  saint , tracée  en 
noir.  J’ai  vu  un  homme  très-opulent , revêtu  du 
titre  de  baron  et  marqué  de  ces  signes  indé- 
lébiles , parce  qu’autrefois  il  exerçait  l’état  de 
matelot. 

La  ville  de  Lipari  est  petite , ses  rues  sont  très- 
étroites  5 on  voit  quelques  canons  sur  les  murs 
de  son  château , qui  n’est  d’ailleurs  gardé  que 
par  une  faible  garnison.  Les  maisons  ont  un  air 
pauvre  et  mesquin  ; on  n’y  compte  que  trois 
édifices  un  peu  apparens  : Le  logement  de  l’évê- 
que , celui  du  gouverneur  et  l’église  cathédrale, 
qui  renferme  un  mobilier  précieux , des  vases  , 
et  entr’autres  une  belle  statue  d’argent  de  son 
patron  S.  Barthélemi , le  tout  provenu  des  lar- 
gesses du  peuple  , et  estimé  quatre-vingt-dix 
mille  écus  napolitains. 

STROMBOLI  est  situé  sous  le  même  degré 
de  latitude  que  Lipari,  c’est-à-dire,  sous  le 
trente* huitième  ; la  chaleur  y est  cependant  plus 

F a 


VOYAGES 


84 

vive  en  été,  sur-tout  près  de  la  mer  5 cela  pro- 
vient de  la  grande  quantité  de  sable  répandu  à 
sa  surface , qui,  échauffé  parles  rayons  du  soleil , 
produit  une  réverbération  très-forte  ; du  moins 
je  ne  me  suis  point  apperçu  que  le  volcan  con- 
tribuât à cette  surabondance  de  chaleur  ^par- 
tout où  Ton  creuse  la  terre , excepté  dans  le  voi- 
sinage du  volcan , on  îa  trouve  moins  chaude 
dans  l’intérieur  qu’à  la  superficie. 

L’hiver  n’y  est  point  rude  ; jamais  de  gelée  j 
s’il  tombe  un  jour  de  la  neige  , ce  qui  arrive  ra- 
rement , elle  fond  le  lendemain  j sa  plus  grande 
hauteur , quand  elle  prend  terre , est  de  deux 
pouces  5 une  chute  de  neige  de  la  hauteur  d’une 
palme , qui  eut  lieu  au  mois  de  novembre  , il  y 
a quelques  années , fut  regardée  dans  cette  île 
comme  un  phénomène  extraordinaire  qui  a fait 
époque  $ mais  sur  la  montagne  ce  météore  se 
montre  plus  souvent  ; la  cime  en  reste  quelque- 
fois blanchie  pendant  deux  semaines  , ce  qui 
prouve  que  son  élévation  au-dessus  du  niveau 
de  la  mer  est  encore  considérable. 

La  mer  autour  de  Stromboli  est  tempétueuse. 
Je  vais  citer  un  fait  qui  montre  combien  ses  ondes 
se  soulèvent  quand  elle  est  agitée.  A un  mille  du 
rivage  ,'  au  nord-est , gît  un  rocher  nommé  la 
pierre  de  [Stromboli , terminé  par  des  pointes 


1 /n , *?;  1 / v . 

BANS  LES  DEUX  SICILE  S.  85 
aiguës  et  tout  d’un  seul  morceau  ; sa  base  , me- 
surée au  niveau  de  l’eau , a un  quart  de  mille  , 
de  circonférence  ,'et  sa  plus  grande  hauteur  trois 
cents  pieds.  C’est  une  masse  de  lave  qui  pro- 
bablement tenait  autrefois  au  rivage  , et  en  a 
été  séparée  par  des  coups  de  mer.  Dans  les  tem- 
pêtes , les  vagues  atteignent  la  moitié  de  la  hau- 
teur de  ce  rocher , et  des  insulaires  m’ont  assuré 
qu’ils  les  ont  vues  en  deux  occasions  s’élever 
par-dessus  son  sommet.  L’agitation  de  la  mer 
n’étant  que  l’effet  de  celle  de  l’air  , on  conçoit 
comment  elle  devient  extrême  dans  le  voisinage 
de  Stromboli , où  les  vents  sont  plus  violens  , 
et  produisent  des  tourbillons  qui  dévastent  Pile  , 
emportent  les  plantations  , et  enlèvent  quelque- 
fois les  bateaux  amarés  à la  côte.  C’est  pour 
se  garantir  autant  qu’ils  peuvent  de  ces  terribles 
ouragans , que  les  insulaires  donnent  le  moins 
d’élévation  possible  à leurs  maisons. 

Le  rivage  n’a  ni  port  ni  anse  pour  servir  de 
refuge  aux  gros  navires  $ ils  cherchent  alors  un 
abri  sous  le  vent  de  l’île , et  courent  risque  de 
couler  à fond  quand  ils  veulent  éviter  d’échouer 
sur  le  sable  ; mais  les  felouques  de  l’île  étant 
légères  , on  les  tire  aisément  à terre  , et  on  les 
remet  en  mer  avec  la  même  facilité. 

I - 

Le  poisson  est  abondant,  volumineux,  sur- 

F 3 


i 


VOYAGES 


86 

tout  le  congre  et  la  murène.  Je  suis  resté  là  peu 
de  jours , mais  j’ài  vu  des  coups  de  filets  qui 
ont  rapporté  plus  que  toutes  les  pêches  réunies 
des  autres  îles  pendant  le  temps  que  j’y  ai  de- 
meuré. Ces  poissons  sont  excellens  $ leur  abon- 
dance provient  apparemment  de  la  chaleur  que 
les  bases  d’un  volcan  , où  brûle  depuis  tant  de 
siècles  un  feu  perpétuel , doivent  communiquer 
aux  eaux  environbantes  de  la  mer.  Vivant  dans 
une  température  douce  et  plus  propre  à la  re- 
production des  espèces  , il  ne  faut  pas  s’étonner 
s’ils  multiplient  davantage.  Cependant  les  insu- 
laires n’en  font  pas  ub  objet  de  commerce  5 ce 
qu’ils  en  prennent  ils  le  consomment  dansl’île, 
et  cette  ressource  est  encore  plus  agréable  aux 
étrangers  qu’à  eux  , qui  préfèrent  en  général 
la  viande  salée. 

On  voit  ici  les  mêmes  végétaux  qu’à  Lipari  y 
et  dans  la  même  proportion.  Le  plus  grand  profit 
des  habitans  est  dans  la  vente  de  leur  malvoisie 
qu’ils  portent  dans  cette  île  capitale , où  ils 
trouvent  aisément  à s’en  défaire.  Les  vignes  qui 
produisent  la  passola,la  passolina  et  la  malvoisie, 
sont  situées  au  bord  de  la  mer  , celles  qui  font 
le  vin  ordinaire  tapissent  les  flancs  de  la  mon- 
tagne. Dans  les  sites  les  plus  élevés  , on  les  en- 
toure de  fortes  palissades  pour  les  défendre  des 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  87 

vents.  On  ne  les  marie  pas  aux  arbres  , mais  on 
les  taille  en  vignobles.  Elles  forment  une  zone  qui 
s’étend  du  nord  à l’est , et  toutes  sont  plantées 
dans  le  sable  volcanique. 

Les  habitations  des  insulaires  semblent  sortir 
de  terre,  et  n’offrent  qu’un  assemblage  confus  de 
cahutes  et  de  cabanes  de  pêcheurs.  On  y compte 
environ  mille  âmes;  cette  population  qui  s’accroît 
depuis  quelques  années  , étend  le  défrichement 
des  bois  et  des  terres  stériles.  Le  volcan  ne  leur 
inspire  aucune  crainte  5 ne  voyant  jamais  sortir 
de  son  sein  de  ces  torrens  de  laves  qui  portent 
au  loin  la  dévastation , comme  ceux  du  Vésuve  et 
de  l’Etna,  ils  contemplent  sans  inquiétude  ses 
éruptions. 

Le  voyageur  Bridone  n’osa  point  aborder  dans 
cette  île , craignant , dit-il , d’être  attaqué  par 
ses  habitans  à demi-sauvages.  Cette  prévention 
n’avait  aucun  fondement  jDolomieu  en  a été  bien 
reçu  , et  moi-même  je  n’ai  qu’à  me  louer  de  leur 
accueil.  Le  caractère  de  ces  insulaires  est  celui 
de  tous  les  hommes  qui  vivent  loin  des  grandes 
villes  et  daus  l’isolement.  Leur  cœur  n’est  point 
corrompu  , et  dans  leur  simplicité  , ils  ne  cher+ 
chent  point  à étendre  le  petit  nombre  de  connais- 
sances qu’ils  ont  acquises  , et  qui  suffisent  à leur 
bonheur.  Leur  plus  grand  voyage  est  à Lipari  : 

F 4 


VOYAGES 


88 

cette  ville  , toute  petite  qu’elle  est  > leur  paraît 
très-grande , et  fait  le  sujet  de  leur  admiration. 

Sur  le  penchant  de  la  montagne , vers  l’est, 
et  à peu  d’élévation , on  trouve  une  petite  source 
d’eau  douce  qui  serait  loin  de  suffire  aux  besoins 
des  habitans  , si  à quelque  distance  de  là,  il  n’en 
jaillissait  une  autre  plus  considérable , et  qui  ne 
tarit  jamais  3 sans  ce  secours  le  pays  ne  pourrait 
subsister  , car  les  citernes  s’y  dessèchent  durant 
les  ardeurs  de  l’été.  Doîomieu,  qui  a visité  ces 
sources,  pense  qu’elles  n’ont  point  leur  réservoir 
au  sommet  de  la  montagne , qui  n’est  composé 
que  de  sable  , de  pierres  poreuses  incapables  de 
retenir  l’eau  5 selon  lui , elles  sont  produites  par 
l’évaporation  de  ce  fluide  que  le  feu  occasionne 
dans  l’intérieur  du  Stromboli  3 arrivées  à une  cer- 
taine hauteur , ces  vapeurs  se  condensent  comme 
dans  un  chapiteau  , et  rendues  à leur  état  primi- 
tif, elles  s’écoulent  par  divers  canaux , et  se  réu- 
nissent au  pied  de  la  montagne.  Cette  explication 
est  ingénieuse  et  satisfaisante^  cependant  on  peut 
également , sans  s’écarter  de  la  vraisemblance  , 
supposer  que  ces  sources  ont  leur  intarissable 
réservoir,  non  au  sommet  de  la  montagne  , que 
les  eaux  de  la  pluie  pénètrent  si  facilement,  mais 
dans  les  cavernes  de  l’intérieur  , où  elles  se  réu- 
nissent et  se  conservent.  Il  ne  serait  pas  raison- 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  89 

nable  d’objecter  que  le  feu  volcanique  réduirait 
en  vapeurs  ces  amas  d’eau , attendu  qu’ils  peu- 
vent se  trouver  placés  bors  de  la  spbère  de  son 
activité  , comme  les  deux  fontaines  qui  jaillissent 
à un  mille  de  distance  du  cratère  5 en  effet,  on 
ne  découvre  dans  leurs  environs  aucune  trace 
de  soupiraux  et  de  fumées  , malgré  la  porosité 
du  sol.  Au  reste , il  n’est  pas  rare  de  trouver 
dans  les  îles  de  la  mer  des  sources  qui  ne  tarissent 
point;  pourquoi  chercherait-on  à celles-ci  une 
explication  toute  particulière  , quand  on  peut 
leur  appliquer  la  cause  générale  qui  produit  ce 
phénomène  ? 

Stromboli  n’est  habité  par  aucun  oiseau  sta- 
tionnaire ; on  a essayé  d’y  faire  nicher  des  per- 
drix , mais  sans  succès.  Les  lapins  ont  mieux 
réussi  ; transportés  anciennement  dans  cette  île  , 
rendus  à leur  instinct  naturel  et  à leur  état  d’in- 
dépendance , ils  ont  établi  leur  domicile  dans  les 
parties  boisées  de  l’île  : ils  n’ont  à craindre  que 
le  fusil  ou  le  furet  du  chasseur. 

Les  oiseaux  de  passage  sont  les  mêmes  qu’à 
Lipari.  Dans  les  premiers  jours  d’octobre  , j’y  ai 
vu  voler  trois  hirondelles  de  cheminée , et  les 
habitans  m’ont  assuré  qu’elles  reparaissaient 
pendant  l’hiver , quand  il  soufflait  un  vent 
chaud. 


VOYAGES 


9° 

V U L C AN  O n’est  point  habité  et  ne  l’a  jamais 
été , selon  toute  apparence  : sans  doute  les  érup- 
tions de  ses  feux  en  sont  la  seule  cause.  Cette 
île  n’en  a pas  moins  été , dans  un  temps  , fort 
utile  au  commerce  de  Lipari  5 s’il  en  faut  croire 
Pierre  Campis  , l’historien  de  cette  ville  , ses 
habitans  en  tiraient  annuellement  quatre  mille 
cantara  de  soufre , et  six  cents  de  sulfate  d’alu- 
mine. J’ai  parlé  plus  haut  de  ce  soufre  , et  de 
la  difficulté  actuelle  de  le  recueillir  5 l’extraction 
du  sulfate  d’alumine  n’est  pas  moins  difficile,  à 
cause  des  nombreuses  fuihées  sulfureuses  et  de 
la  forte  chaleur  qui  s’exhalent  de  la  terre  par- 
tout où  ce  sel  abonde  , ce  qui  me  ferait  croire 
qu’au  temps  où  la  récolte  s’en  faisait  , Pétat 
volcanique  de  cette  île  était  différent  de  celui 
où  nous  la  voyons  aujourd’hui.  Mais  cette  terre 
abandonnée  pourrait  apporter  aux  Liparotes  un 
avantage  plus  réel  et  plus  durable, s’ils  y faisaient 
des  plantations  utiles  dans  la  partie  du  sud,  où, 
depuis  très  - long  - temps  , les  feux  souterrains 
n’ont  porté  aucune  atteinte.  Là  , on  trouve  une 
lave  ramollie , à demi  pulvérisée , semblable  à 
celle  de  Stromboli , où  l’on  a planté  des  vignes 
avec  succès.  Cette  pensée  n’était  point  étran- 
gère à l’abbé  Trovatini  et  à l’évêque  dont  j’ai 
parlé  : iis  s’y  complaisaient.  Etablir  dans  Vulcano 
un  système  de  culture  , semer  du  blé , planter 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  91 
des  vignes  et  des  arbres  fruitiers , tel  était  leur 
projet  favori.  L’évêque  avait  encore  une  autre 
idée  qu’il  me  communiqua,  et  à laquelle  j’avoue 
que  je  ne  m’attendais  pas  ; il  voulait  y faire 
construire  un  séminaire  pour  douze  jeunes  pay- 
sans qui  se  destineraient  au  service  de  sa  ca- 
thédrale et  des  églises  des  autres  îles , parce 
que , disait-il , étant  nés  et  élevés  dans  le  pays  , 
ils  en  seraient  plus  propres  à bien  s’acquitter  de 
leurs  fonctions.  Je  ne  sais  si  ces  louables  projets 
se  sont  réalisés  après  sa  mort;  mais  comme  les 
successeurs  sont  pour  l’ordinaire  peu  disposés  à 
suivre  les  vues  de  leurs  prédécesseurs  , j’ai  peur 
que  Vulcano  ne  reste  encore  long-temps  dans 
son  état  de  stérilité  et  d’abandon. 

DIDYMA,  ou,  comme  on  l’appelle  aujour- 
d’hui , les  Salines  y ofFre  un  aspect  bien  diffé- 
rent ; ses  rivages  sont  meublés  de  maisons,  et 
ses  champs  étalent  des  vignobles  qui  ne  le  cèdent 
point  en  qualité  à ceux  de  Lipari. 

A peu  de  distance  de  la  mer , près  Sainte- 
Marie  , est  une  fontaine  d’eau  douce  qui  flue 
continuellement.  Si  ^a  chaleur  de  certaines 
sources  ne  dénote  pas  toujours  la  présence  d’un 
volcan  , elle  est  du  moins  le  signe  d’une  effer- 
vescence souterraine.  J’ai  éprouvé  celle-ci  avec 


VOYAGES 


CJ2 

un  thermomètre,  mais  j’ai  trouvé  qu’elle  était  de 
deux  degrés  et  demi  moins  chaude  que  l’atmo- 
sphère (1).  Autrefois  elle  sourdait  presqu’au  ni- 
veau de  la  mer,  qui  se  mêlait  souvent  à ses  eaux, 
et  en  rendait  alors  l’usage  inutile  aux  habitans. 
Cet  inconvénient  ne  subsiste  plus  depuis  que  l’on 
a fait  une  coupure  verticale  au  rivage , par  le 
moyen  de  laquelle  elle  débouche  à quinze  pieds 
plus  haut.  Telle  est  son  abondance  , qu’elle  four- 
nit cinq  jets , chacun  d’un  pouce  de  diamètre 
environ , chose  extraordinaire  dans  une  petite  île 
volcanique.  L’ancienne  et  fausse  opinion  que  les 
sources  et  les  fleuves  dérivent  immédiatement 
de  la  mer  , n’ayant  plus  de  partisans , personne 
ne  contestera  que  celle-ci  ne  doive  son  origine 
aux  eaux  pluviales  qui  tombent  annuellement 
sur  cette  île  5 cependant  à l’époque  de  mon  arri- 
vée , neuf  mois  s’étaient  écoulés  sans  une  goutte 
de  pluie , et  cette  sécheresse  n’avait  point  dimi- 
nué le  volume  de  la  source.  Comment  expliquer 
ce  phénomène  ? Je  pense  qu’un  pays  travaillé 


(1)  Je  remarquerai  à cette  occasion  , qu’à  la  réserve 
de  quelques  sites  particuliers  de  Stromboli,  Yulcano  , 
Lipari , et  d’une  fontaine  de  Félicuda , le  thermomètre 
ne  m’a  point  indiqué  que  les  îles  Æoliennes , toutes  choses 
égales  d’ailleurs  , soient  plus  chaudes  que  Messine , les 
côtes  de  la  Calabre , et  autres  pays  volcaniques  circon- 
voisins.  Note  de  V auteur. 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  C)5' 
par  le  feu  renferme  de  nombreuses  et  vastes 
cavernes  qui  reçoivent , se  communiquent , et 
conservent  les  eaux  de  l’atmosphère.  En  sup- 
posant qu’une  source  ait  son  issue  sous  une  de 
ces  cavernes , qui  en  soit  le  réservoir  commun  , 
je  conçois  comment  elle  en  tire  un  aliment  per- 
pétuel , tant  que  la  quantité  d’eau  qui  s’écoule 
ne  surpasse  pas  celle  que  les  nuages  amassent 
chaque  année  dans  le  pays.  Cette  explication 
convient  également  à la  fontaine  de  Stromboli , 
dont  il  a été  question  plus  haut. 

En  décrivant  les  produits  volcaniques  de  l’an* 
cienne  Didyma  , j’ai  observé  qu’elle  portait  le 
nom  de  Salines  > à cause  du  muriate  de  soude 
que  l’on  en  retire.  Voici  la  manière  dont  se  fait 
cette  exploitation.  Sur  la  plage  , entre  l’est  et 
le  sud  , se  présente  un  lac  dont  le  circuit  est 
d’environ  un  mille  ; il  n’est  séparé  de  la  mer 
que  par  une  espèce  de  digue  formée  des  laves 
que  les  flots  ont  amoncelées  , et  tout  porte  à 
croire  qu’autrefois  c’était  un  petit  golfe  dont 
l’entrée  fut  ainsi  bouchée , non  -sans  qu’il  ne  se 
conservât  une  communication  entre  ses  eaux  et 
celles  de  la  mer.  Ce  lac  paraît  très-ancien  5 il 
a été  long-temps  négligé.  En  1700  5 on  voulut 
en  tirer  parti  , et  l’on  fit  venir  un  habitant  de 
Trepani  en  Sicile  5 exercé  dans  Tart  des  salines. 


g4  VOYAGES 

Il  commença  par  mettre  le  lac  à sec,  et  le  divisa 
ensuite  en  trente  carrés  , avec  leurs  bords  ex- 
haussés , pour  recevoir  l’eau  jusqu’à  une  hauteur 
donnée,  La  chaleur  du  soleil  en  causait  peu  à 
peu  l’évaporation  , et  il  restait , sur  les  parois 
et  le  fond  de  chaque  carré,  une  couche  de  sel 
que  l’on  recueillait.  Ce  procédé  a été  suivi  jusqu’à 
présent  , et  a fourni  par  année  deux  ou  trois 
récoltes  suffisantes  pour  les  besoins  des  habitans 
de  toutes  les  îles  Æoliennes. 

Les  insulaires  de  Didyma  , en  me  donnant  ces 
détails , me  racontèrent  un  fait  qui  mérite  d’être 
rapporté.  Une  violente  bourasque  ayant  poussé 
la  mer  dans  le  lac  , elle  y laissa  des  poissons  que 
nous  appelons  muge  > qui  continuèrent  à y vivre 
et  à y multiplier , malgré  l’excessive  salure  qui 
fut  la  suite  de  son  évaporation.  On  les  pêcha  au 
bout  de  quelque  temps , et  on  les  trouva  de  très- 
bon  goût.  Cette  particularité  me  causa  d?autant 
plus  de  surprise , que  j’avais  observé  quelques 
années  auparavant  près  de  Carrare,  à l’embou- 
chure du  fleuve  Magra , que  cette  même  espèce 
de  poisson  se  plaisait  dans  les  lieux  où  les  eaux 
du  fleuve  se  mêlant  à celles  de  la  mer,  étaient 
à peine  saumâtres  : c’est  là  que  les  pêcheurs  ten- 
daient leurs  filets  pour  les  prendre.  Cependant 
il  est  une  multitude  de  poissons  marins  qui  ne 


BANS  LES  DEUX  SICILE  S.  g5 
sauraient  vivre  dans  des  eaux  plus  salées  que  leur 
propre  élément.  A Chiozza , près  de  Venise , j’en 
ai  éprouvé  qui  périssaient  promptement  en  les 
mettant  dans  une  eau  saturée  de  sel  comme  celle 
du  lac  de  Didyma  , et  employée  au  même  usage. 
Cette  variété  de  tempérament  dans  des  êtres 
destinés  à peupler  les  mers  résulte  sans  doute  de 
la  diversité  de  leur  organisation;  si  nous  ignorons 
en  quoi  elle  consiste , c’est  moins  peut-être  par  la 
difficulté  de  le  découvrir  , que  par  l’insuffisance 
de  nos  recherches  dans  cette  partie  de  leur  éco- 
nomie animale. 

FÉLICUDA  et  ALICUDA  se  présentent 
les  dernières  à l’ouest.  Les  maisons  de  Félicuda 
sont  éparses  en  divers  endroits  de  l’île  ; elles  con- 
tiennent environ  six  cents  habitans.  Celles  d’Ali- 
cuda,  où  la  population  est  plus  faible,  n’occupent 
que  la  partie  de  l’est  et  du  sud-est;  le  reste  de 
l’île  n’cffre  que  des  rochers , des  ruines  et  des 
précipices.  Les  maisons,  ou,  pour  mieux  dire, 
les  cabanes  , ainsi  que  les  presbytères  de  ces 
deux  îles , sont  bâtis , non  au  pied  de  la  mon- 
tagne , ce  qui  paraîtrait  plus  naturel , mais  vers 
le  milieu  du  sommet.  Je  ne  pouvais  comprendre 
cette  préférence  donnée  à des  sites  aussi  âpres 
et  aussi  rapides  , tandis  que  vers  les  bords  de  la 


VOYAGES 


9S 

mer , dans  l’une  et  l’autre  île , il  régnait  des  plans 
doucement  inclinés  qui  auraient  dû  inviter  les 
habitans  à s’y  établir  $ mais  ils  m’apprirent  que 
Félicuda  et  Alicuda  , se  trouvant  par  leur  éloigne- 
ment hors  de  la  protection  de  leur  capitale , l’île 
de  Lipari,  elles  étaient  anciennement  infestées  de 
corsaires  turcs  , sur-tout  de  tunisiens  , qui  y dé* 
barquaient  à la  faveur  des  ténèbres  , surpre- 
naient dans  le  sommeil  les  insulaires  qui  habitaient 
le  bord  de  la  mer,  et  les  emmenaient  captifs, 
après  les  avoir  dépouillés  de  tout  ce  qu’ils  possé- 
daient. Ces  attaques  nocturnes  se  sont  renou- 
velées, même  de  nos  jours,  dans  les  deux  rivières 
de  Gênes.  Les  habitans  de  Félicuda  et  d’ Alicuda 
se  virent  donc  obligés  de  transporter  leurs  de- 
meures sur  les  hauteurs , où  le  danger  était  moins 
grand.  Bien  que  les  îles  Æoliennes  soient  encore 
exposées  à l’invasion  de  ces  pirates,  on  les  reçoit 
parfois  de  manière  à leur  ôter  l’envie  d’y  reve- 
nir 3 toujours  est-il  prudent  d’y  placer  les  habi- 
tations sur  les  lieux  élevés  d’où  l’on  peut  signaler 
leurs  manœuvres.  Voilà  pourquoi  on  tient  sur  la 
montagne  de  la  Garde  , à Lipari , une  sentinelle 
qui  veille  jour  et  nuit  : malgré  ces  précautions, 
on  tombe  quelquefois  dans  leurs  pièges.  Cachés 
derrière  un  rocher  , un  promontoire  , ou  une 
pointe  de  terre  , dès  qu’ils  apperçoivent  un  petit 
bâtiment,  ils  tombent  dessus  à l’improviste , s’en 

saisissent  3 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  97 
saisissent,  l’amarent  à leur  galère,  mettent  toutes 
leurs  voiles  au  vent  s’il  est  favorable , ou  fendent 
les  flots  avec  leurs  rames , et  gagnent  la  haute 
mer  en  se  moquant  des  pleurs  et  des  supplica- 
tions des  malheureux  qu’ils  ont  déjà  chargés  de 
chaînes.  J’avouerai  qu’en  navigeant  dans  ces  pa- 
rages , j’ai  eu  quelqu’inquiétude  sur  ma  propre 
sûreté  ; il  ne  m’était  point  agréable  de  penser 
que  je  pourrais  bien  aller  faire  , sur  les  cotes 
d’Afrique,  des  observations  d’un  genre  tout  diffé- 
rent de  celles  qui  étaient  l’objet  de  mon  voyage. 

Le  figuier  d’Inde,  l’olivier,  la  vigne , croissent 
dans  Alicuda  et  Félicuda.  Il  ne  s’y  trouve  pas  les 
espèces  de  raisins  qu’on  nomme  dans  les  autres 
îles  malvoisie  y passola  et  passolina  $ mais  on 
Fait  du  bon  vin  avec  celle  du  pays* 

On  recueille  aussi  de  l’orge  et  du  froment. 
Ces  deux  récoltes , y compris  le  produit  de  la 
vigne,  peuvent  s’évaluer  à la  somme  de  trois 
mille  écus  napolitains  pour  les  habitans  d’Alicuda, 
et  à un  tiers  de  plus  pour  ceux  de  Félicuda.  Elles 
suffisent  à la  consommation  des  premiers  5 mais 
elles  ne  satisfont  pas  aux  besoins  des  seconds  , 
attendu  qu’une  bonne  partie  de  leurs  terres  ap- 
partiennent aux  Liparotes. 


Il  est  difficile  d’imaginer  l’industrie, la  patience 

tfome  G 


VOYAGES 


98 

que  les  Alicudois  apportent  dans  la  culture  de 
leur  île.  A peine  y trouve-t-on  un  espace  de  terre 
labourable  de  l’étendue  de  quelques  perches  qui 
ne  soit  entrecoupé  de  pointes  de  rochers  , de 
blocs  de  laves , de  crevasses  5 cependant  ils  n’en 
perdent  rien  ; ils  piochent  dans  tous  les  coins\  et 
recoins , ils  mettent  tout  à profit  ; aussi  les  Li- 
parotes  disent  en  plaisantant  que  les  Alicudois 
travaillent  leurs  terres  avec  la  pointe  d’un  cou- 
teau. Quoi  qu’il  en  soit , ils  font  de  leurs  blés 
îe  meilleur  pain  qui  se  mange  dans  les  îles  Æo- 
liennes. 

Les  habitans  d’Aliçuda  et  de  Félicuda  s’oc- 
cupent peu  de  la  pêche,  et  n’emploient  que  l’ha- 
méçon.  Le  nombre  de  leurs  bateaux  pêcheurs 
ou  de  transport  se  réduit  à trois  ou  quatre  pour 
la  première  île , à cinq  ou  six  pour  la  seconde; 
quand  ils  s’en  sont  servis , ils  les  tirent  sur  le 
rivage , et  les  y laissent  tant  qu’ils  n’en  ont  pas 
besoin.  Un  ou  deux  de  ces  bateaux  appartien- 
nent à leurs  curés  , qui  les  louent  aux  voyageurs^ 
et  font  l’office  de  pilotes , et  même  de  rameurs 
dans  l’occasion  ; ces  bons  prêtres  vont  aussi  à 
la  pêche , et  tâchent  par  ces  moyens  de  suppléer 
à la  modicité  de  leur  revenu  , qui  n’est  que  d’en- 
viron douze  sequins  pour  chaque  paroisse. 

A Félicuda  , quand  le  mari  ou  la  femme  mou- 


BANS  LES  DEUX  SICILE  S.  99 
raît , les  plus  proches  parens  accompagnaient  le 
défunt  à l’église  en  manifestant  une  douleur  im- 
modérée. A peine  les  obsèques  étaient  termi- 
nées , qu’ils  se  jetaient  sur  le  corps  , l’embras- 
saient, le  baisaient,  lui  parlaient  à haute  voix, 
et  lui  donnaient  des  commissions  pour  l’autre 
monde.  Cet  usage  ridicule  , mais  qui  n’est  pas 
nouveau , a été  supprimé  par  le  curé  actuel. 

On  ne  voit  pas  couler  un  seul  filet  d’eau  vive 
et  potable  dans  les  deux  îles  : les  habitans  ont 
recours  à des  citernes , et  sont  exposés  à beau- 
coup souffrir  si  les  pluies  viennent  à manquer 
pendant  plusieurs  mois. 

Ils  tiennent  à grande  faveur  d’être  exempts 
de  toute  espèce  de  serpens  : chaque  île  prétend 
au  même  privilège  ; et  en  effet , je  n’y  ai  pas 
rencontré  un  seul  de  ces  reptiles.  La  raison  en 
est  simple;  ces  animaux  ne  sauraient  exister  dans 
des  lieux  où  les  insectes  dont  ils  font  leur  nourri- 
ture principale  sont  extrêmement  rares;  et  ceux- 
ei  n’y  multiplient  pas  , parce  qu’ils  ne  trouvent 
ni  herbes , ni  plantes  qui  les  fassent  vivre. 

Quant  aux  autres  amphibies  , je  n’ai  apperçu 
que  le  lézard  gris  et  verdâtre  (1).  Quelques  sau- 


G 2 


(1)  Lacerta  agilis.  Lin. 


100  VOYAGES 

terelles , la  fourmi-lion  , qui  creuse  ses  pièges 
dans  la  poussière  des  laves  et  des  ponces  (1),  sont 
les  seuls  insectes  que  j’aie  rencontrés. 

Mais  un  avantage  plus  réel  pour  tous  les  in- 
sulaires, c’est  l’exemption  de  toute  imposition 
royale  : ils  paient  seulement  la  dîme  à l’évêque  : 
les  Liparotes  en  sont  même  dispensés. 

Dans  un  état  si  pauvre  , et  en  apparence  si 
misérable,  ils  trouvent  pourtant  le  contentement 
de  l’ame.  Ulysse  n’aimait  pas  mieux  son  Ithaque 
qu’ils  n’aiment  leurs  chères  Æoliennes  ; ils  ne  les 
changeraient  pas  pour  les  îles  Fortunées.  Souvent 
je  suis  entré  dans  leurs  cabanes,  qui  ressemblent 
plus  à des  nids  appliqués  contre  les  rochers  qu’à 
des  habitations  humaines  5 une  lumière  pâle , 
incertaine  comme  celle  qui  pénètre  dans  les  ca- 
vernes , y laissait  à peine  distinguer  les  objets. 
Souvent  j’ai  assisté  à leurs  repas , où  les  mets 
les  plus  grossiers  étaient  étalés  sur  de  petites 
tables  brutes , et  le  plus  souvent  sur  la  terre  toute 
nue , qui  servait  à-la-fois  de  siège  aux  convives. 
Du  pain  d’orge  , des  fruits  sauvages , un  peu  de 
poisson  salé  et  de  l’eau  pure,  s’offraient  pour 
appaiser  leur  faim.  C’est  ici  le  séjour  de  la  misère 
et  de  la  douleur,  disais-je  en  moi-même  la  pre- 


(1)  iïlyrmeleon  formicarium.  Lin, 


loi 


DANS  DES  DEUX  SICILE  S. 
mière  fois  que  je  contemplai  cette  vie  indigente 3 
mais  en  l’examinant  de  plus  près , je  découvris 
sous  ces  toits  de  chaume,  et  auprès  de  ces  alimens 
grossiers , un  bonheur  digne  d’envie,  que  l’on  ne 
trouve  ni  dans  les  palais  des  grands , ni  à la  table 
des  rois;  je  veux  dire  une  hilarité  qui  brillait  sur 
le  visage  de  ces  pauvres  gens  ; une  paix , une 
joie  intérieure  qui  inondait  leurs  cœurs , et  se 
répandait  autour  d’eux.  Ces  cabanes , que  des 
hommes  opulens  n’eussent  regardées  qu’avec  mé- 
pris ou  pitié,  protégeaient  leur  repos;  et  ces  mets 
qu’ils  eussent  rejetés  comme  insipides  , assaison- 
nés par  la  faim  et  la  soif,  étaient  pour  eux  pleins 
de  goût  et  de  saveur. 

Mais  ce  qui  contribue  à attacher  si  fortement 
ces  insulaires  àleur  patrie,  c’est  sans  doute  l’heu- 
reuse influence  du  climat , et  la  pureté  de  l’air  si 
nécessaire  pour  conserver  en  nous  cette  harmonie 
entre  les  fluides  et  les  solides  qui  constitue  l’état  de 
santé.  Je  puis  me  citer  pour  exemple: malgré  mes 
courses  fatigantes  et  continuelles  sur  les  rochers 
de  ces  îles  ; malgré  mon  âge  avancé , qui  devait 
meles  rendre  encore  plus  pénibles,  je  me  sentais 
une  énergie , une  vigueur  de  corps  et  d’esprit , 
une  agilité  , enfin  un  bien-être  dans  toute  ma 
personne  que  je  n’avais  jamais  éprouvé  nulle  part, 
si  ce  n’est  sur  le  sommet  de  l’Etna.  Je  jouissais 

G 5 


102 


VOYAGES 


sur-tout  de  cette  liberté  d’esprit  , de  ce  dégage- 
ment des  sens  qui  me  permettait  de  penser,  de 
réfléchir  à toute  heure , à tout  moment  ; d’écrire 
mes  observations  quand  elles  se  présentaient , tan- 
dis que  dans  une  atmosphère  infectée  de  vapeurs 
grossières,  je  suis  incapable  de  toute  application 
après  mes  repas.  Quelle  différence,  me  disais- je 
alors  , entre  Pair  pur , Pair  céleste  que  je  respire 
ici, et  celui  des  plaines  marécageuses  de  la  Lom- 
bardie, environnées  d’eaux  stagnantes  et  corrom- 
pues , qui  enfantent  d’épais  nuages  pendant  l’hi- 
ver, et  des  fièvres  dangereuses  pendant  Pété;  où 
le  corps  et  l’esprit  s’engourdissent  également  ; 
où , pour  surcroît  de  tourment  et  d’ennui , des 
armées  de  grenouilles  chantent  nuit  et  jour,  et 
assourdissent  les  oreilles  de  leur  voix  rauque  et 
glapissante  ! 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S. 


CHAPITRE  XXV. 

Voyage  à Messine . Etat  de  cette  ville  après 
les  tremblemens  de  terre  de  iy83.  Détails 
concernant  cette  horrible  catastrophe. 


J e fis  mes  adieux  aux  îles  Æoliennes  le  i4  oc- 
tobre , et  je  m’embarquai  dans  une  felouque  de 
Lipari  pour  me  rendre  à Messine.  Ce  trajet , qui 
n’est  que  de  trente  milles  , m’occupa  un  jour 
entier , soit  parce  que  je  m’arrêtai  pour  exami- 
ner les  granits  de  Melazzo,soit  parce  que  le  vent 
manqua , et  qu’il  fallut  employer  la  rame.  Si  la 
partie  de  la  Sicile  que  je  côtoyais  ne  me  montrait 
point  dans  sa  structure  le  travail  du  feu,  elle  m’en 
rappelait  toujours  le  dangereux  voisinage  et  les 
conséquences  funestes  , je  veux  dire  ces  trem- 
blemens de  terre  qui  se  font  sentir  dans  les  envi- 
rons des  volcans , et  en  sont  l’effet  prochain  ou 
éloigné. 

Quelle  île  en  a plus  souffert  que  la  Sicile,  et  cela 
par  la  raison  qu’elle  renferme  dans  son  sein  les 
feux  de  l’Etna  ? Le  souvenir  du  bouleversement 
qu’elle  essuya  en  1785  était  encore  présent  à 

G 4 


VOYAGES 


loi 

tous  les  esprits  , on  se  montrait  du  doigt  les  lieu^ 
qui  en  avaient  été  le  théâtre  \ on  s’en  redisait  avec 
effroi  les  fatales  circonstances  , et  P on  croyait 
encore  assister  à ces  scènes  de  désespoir.  En  en* 
trant  dans  le  détroit  de  Messine  , quelques  Sici- 
liens qui  voyageaient  avec  moi,  m’avertirent  que 
je  passais  devant  une  plage  où  un  peuple  entier 
avait  trouvé  sa  ruine  : c’était  le  rivage  de  Scylîa. 
Une  forte  secousse  s’étant  fait  sentir  le  5 février 
à midi , tous  les  habitans  de  l’endroit  s’y  réfu- 
gièrent ; ils  croyaient  être  en  sûreté , lorsqu’à 
la  huitième  heure  de  la  nuit , selon  le  calcul  ita- 
lien , une  secousse  plus  terrible  que  la  précédente 
souleva  les  eaux  à une  hauteur  formidable , et 
les  précipita  sur  le  rivage.  Ainsi  furent  englouties 
plus  de  mille  personnes,  hommes,  femmes  et 
enfans  , avec  le  prince  de  l’endroit , sans  qu’il 
en  échappât  un  seul  qui  pût  retourner  à leurs 
maisons  désertes  , et  y pleurer  le  malheur  de  ses 
compatriotes.  Ces  vagues  furieuses  s’avancèrent 
dans  le  détroit , et  roulant  jusque  dans  le  port 
de  Messine  , elles  coulèrent  à fond  les  vaisseaux 
qui  étaient  à l’ancre, 

A mesure  que  j’approchais  de  cette  ville,  j’en 
découvrais  les  désastres.  L’enceinte  de  son  port, 
qui  offrait  auparavant  une  suite  continue  de  su- 
perbes palais  à trois  étages , nommée  la  Palazr 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  lo5 
zata  y dont  l’aspect  était  magnifique  , cette  en- 
ceinte ne  présentait  plus  que  des  ruines.  L’étage 
supérieur,  et  une  partie  de  celui  du  milieu  étaient 
renversés  ; l’inférieur  subsistait  encore , malgré 
ses  murs  entr’ouverts  par  de  larges  et  profondes 
crevasses. 

Mais  combien  ma  tristesse  redoubla  quand  je 
fus  entré  dans  cette  cité  naguère  si  florissante  ! 
A la  réserve  des  rues  les  plus  larges  et  les  plus 
fréquentées , toutes  les  autres  étaient  encom- 
brées des  débris  de  maisons  qui  en  bouchaient 
le  passage.  La  plupart  de  ces  maisons  étaient 
encore  dans  le  même  état  où  les  tremblemens 
de  terre  les  avaient  laissées  : celles-ci  détruites 
jusque  dans  leurs  fondemens  , celles-là  à moitié 
renversées,  et  se  soutenant  pour  ainsi  dire  en  l’air 
sur  leurs  propres  ruines.  Quelques-unes  avaient 
échappé  à la  destruction  générale  5 mais  les  murs 
en  étaient  si  endommagés , qu’elles  semblaient 
ne  se  tenir  debout  que  par  miracle.  Des  édifices 
publics,  celui  que  l’on  nomme  le  Dôme  souffrit 
le  moins  ; il  est  spacieux  , d’une  architecture 
gothique  5 on  y voit  plusieurs  colonnes  de  granit 
tirées  d’un  temple  grec  antique  qui  existait  au» 
trefois  sur  le  phare  , et  d’élégantes  mosaïques 
faites  avec  les  plus  beaux  jaspes  de  la  Sicile. 

Le  nombre  des  bâtimens  qui  s’écroulèrent  fut 


lc6  VOYAGES 

si  considérable,  que  les  Messinois  se  virent  forcés 
de  camper  dans  des  baraques  de  bois  : la  plupart 
de  ces  baraques  subsistaient  quand  j’arrivai  à 
Messine.  Cependant  On  commençait  à bâtir  de 
nouvelles  maisons  , mais  sur  un  plan  différent  du 
premier.  On  avait  observé  que  les  plus  hautes 
s’étaient  le  plus  ressenties  du  tremblement  5 on 
avait  vu  les  poutres  sortir  de  leur  place  par  la 
violence  des  secousses , agir  comme  des  béliers 
contre  les  murs,  et  causer  plus  de  mal  que  les 
secousses  elles-mêmes.  Pour  prévenir  ce  danger 
dans  l’avenir  , les  Messinois  donnaient  peu  d’élé- 
vation aux  édifices  5 au  lieu  de  murs  pleins,  ils 
avaient  adopté  une  charpente  en  bois , dont  les 
parties  étaient  liées  et  assemblées  de  manière  que 
le  corps  entier  pût  recevoir  et  suivre  le  mouve- 
ment que  lui  communiquerait  le  sol,  ce  qui  devait 
nécessairement  en  affaiblir  l’efFet , et  parer  au  plus 
grand  nombre  des  accidens. 

Six  ans  s’étaient  déjà  écoulés  depuis  le  désastre 
de  Messine,  et  ses  habitans  n’étaient  point  en- 
core revenus  de  l’étonnement , je  dirai  même  de 
la  stupidité  qui  accompagne  les  grandes  craintes. 
Toutes  les  circonstances  de  ce  terrible  événe- 
ment se  retraçaient  sans  cesse  à leur  esprit,  et  je 
ne  pouvais  les  écouter  sans  partager  leur  efFroi 
et  leur  douleur.  La  destruction  de  cette  ville  si 


DATÎS  LES  DEUX  S I C I L E S.  I07 
ancienne  , et  tant  de  fois  malheureuse,  fut  l’ou- 
vrage , non  d’un  seul  tremblement  de  terre , mais 
de  plusieurs  qui  se  succédèrent  du  5 au  7 février: 
celui  du  5 causa  le  plus  de  désastres  3 heureu- 
sement il  y eut  quelques  minutes  d'intervalle 
entre  la  première  et  la  seconde  secousse,  ce  qui 
donna  le  temps  aux  habitans  de  s’échapper  de 
leurs  maisons , et  de  se  réfugier  dans  la  campagne. 
Huit  cents  d’entr’eux  périrent  ; mais  ce  nombre, 
tout  considérable  qu’il  paraisse , fut  petit  en  com- 
paraison de  la  quantité  des  ruines. 

Dans  un  mémoire  sur  les  tremblemens  qu’é- 
prouva , dans  le  même  temps  , la  partie  de  la  Ca- 
labre qui  est  en  face  de  Messine,  il  est  dit  que  la 
première  secousse  fut  pressentie  et  annoncée  par 
les  chiens,  qui  se  mirent  à hurler  dans  la  villed’une 
manière  si  afFreuse , que  la  police  donna  l’ordre  de 
les  tuer  : les  habitans  m’ont  assuré  le  contraire.  Le 
seul  signe  précurseur  de  ce  fléau  fut  la  fuite  des 
hirondelles  de  mer,  et  autres  oiseaux  de  ce  genre, 
qui  passèrent  dans  les  montagnes  voisines, comme 
ils  ont  coutume  de  faire  à l’approche  des  tem- 
pêtes. Un  bruit  semblable  à celui  de  plusieurs 
chars  roulant  avec  rapidité  sur  un  pont  de  pierres, 
en  fut  l’annonce.  Au  même  instant , un  épais 
nuage  s'éleva  de  la  Calabre,  centre  de  la  com- 
motion. Elle  gagna  le  phare,  et  suivit  la  plage 


lo8  VOYAGES 

,{ 

jusqu’à  Messine  ; on  pouvait  observer  sa  direc- 
tion au  moyen  de  l’écroulement  successif  des  édi- 
fices. On  eût  dit  d’une  mine  qui  aurait  joué  de- 
puis cette  pointe  de  terre  jusque  dans  l’intérieur 
de  la  ville.  Le  choc  fut  violent,  et  le  mouvement 
très-irrégulier.  On  ne  remarqua  ni  feu , ni  étin- 
celle. Le  sol  de  la  plage  s’entr’ouvrit  par  fentes 
parallèles  entr’elles;  celles  qui  se  formèrent  dans 
toutes  les  collines  qui  terminent  la  ville  avaient 
la  même  disposition.  Ces  fentes  se  conservèrent 
en  quelques  endroits  pendant  plus  d’un  mois  ; 
mais  l’épouvante  des  habitansleur  ôta  la  curiosité 
de  les  mesurer.  Après  la  première  secousse , qui 
arriva  , comme  nous  l’avons  dit,  le  5 février  vers 
le  milieu  du  jour , la  terre  continua  de  trembler 
plus  ou  moins  jusqu’à  la  huitième  heure  de  la 
nuit,  qu’une  commotion  plus  violente,  la  même 
qui  causa  la  ruine  des  habitans  de  Scylla , acheva 
de  renverser  les  maisons  de  Messine,  d’autres 
commotions  se  succédèrent , et  le  7 du  même 
mois,  vers  la  vingt-deuxième  heure  du  jour,  il 
s’en  fit  une  qui  égalisa  leurs  débris  avec  le  sol. 
Depuis  cette  époque  jusqu’à  mon  arrivée  en 
Sicile  , on  y a éprouvé  divers  tremblemens  , 
mais  qui  ont  graduellement  diminué  de  violence. 
En  1789  et  1790,  on  a cru  s’appercevoir  de 
quatre  ou  cinq  secousses  , auxquelles  on  n’au- 
rait peut-être  pas  fait  attention  dans  un  pays 


DANS  LES  JD  EUX. SICILE  S.  log 
moins  suspect , et  habité  par  un  peuple  moins 
éveillé  sur  son  danger  (i). 

Les  pertes  de  Messine  furent  immenses.  Si  l’on 
considère  seulement  celle  de  ses  édifices,  on  peut 
dire  que,  des  quatre  parties  de  la  ville , deux 
furent  entièrement  rasées , une  à demi-renver- 
sée, et  l’autre  fort  endommagée.  Les  maisons 
situées  sur  le  penchant  des  collines  dont  le  granit 
fait  la  base , souffrirent  le  moins  ; celles  de  la 
plaine  et  du  bord  de  la  mer,  où  le  sol  est  moins 
ferme,  tombèrent  les  premières.  Le  mole  qui  ac- 
compagnait le  port  en  s’étendant  à plus  d’un 


(1)  Ce  n’est  pas  que,  dans  les  années  suivantes,  les 
Siciliens  n’aient  eu  de  justes  raisons  d’appréhender  de 
nouveaux  malheurs.  Voici  ce  que  l’abbé  Grano  m’écrivait 
de  Messine  le  11  mai  1792.  «Hier  nous  avons  eu  une 
journée  entière  pendant  laquelle  la  terre  n’a  cessé  de 
trembler.  Nous  avons  compté  jusqu’à  trente  secousses  ; 
mais  toutes  étaient  légères , et  elles  n’ont  causé  aucun 
dommage  » . 

Je  saisis  cette  occasion  de  témoigner  publiquement  ma 
reconnaissance  à cet  ami  des  sciences , qui  voulut  bien 
m’accompagner  dans  mes  diverses  excursions  aux  envi- 
rons de  Messine , et  me  communiquer  ses  lumières  : pré- 
sent , il  me  seconda  de  tout  son  pouvoir  ; absent , il  m’est 
encore  utile,  en  me  fournissant  les  renseigne  mens  dont 
j’ai  besoin  sur  son  pays.  Note  de  Vauteur. 


I io 


VOYAGES 


mille  en  longueur ^ dont  la  vue  était  si  belle,  et 
qui  formait  une  promenade  si  délicieuse,  ce  mole 
s’enfonça  dans  la  mer , et  il  n’en  resta  aucun 
vestige. 

Parmi  les  édifices  publics  qui  s’écroulèrent , on 
compte  d’abord  la  Palazzata  , ensuite  le  palais 
du  roi , celui  du  sénat , la  grande  loge  des  né- 
gocians,  le  college  et  son  temple,  la  cathédrale, 
la  maison  professe  des  ex-Jésuites , le  palais  de 
l’archevêque , la  basilique  de  Saint-Nicolas , le 
séminaire  des  clercs  , la  salle  des  tribunaux  , 
l’église  des  Théatins , celle  des  Carmes  et  du 
prieuré  de  Jérusalem.  Une  multitude  d’autres 
édifices  particuliers,  mais  d’une  belle  architec- 
ture, appartenans  à des  citoyens  opulens,  furent 
égalemens  détruits. 

On  peut  évaluer  ces  pertes  jusqu’à  un  certain 
point  5 mais  comment  calculer  celle  de  tant  de 
monumens  des  arts  , de  bibliothèques , de  ta- 
bleaux , qui  faisaient  la  gloire  de  Messine  ? 

Comment  estimer  la  valeur  de  toutes  les  ri- 
chesses ensevelies  sous  les  ruines,  ou  consumées 
par  les  incendies  qui  se  manifestèrent  dans  divers 
quartiers  de  la  ville  ? Il  faut  encore  y joindre  ce 
que  coûta  la  construction  des  baraques  destinées 
à recevoir  les  habitans  avec  les  restes  de  leur 


DANS  IES  DEUX  SICILE  S.  III 
mobilier,  ou  de  leurs  marchandises  sauvées  de  la 
destruction.  Ces  dépenses  furent  considérables 
par  le  prix  auquel  montèrent  d’abord  les  maté- 
riaux et  le  salaire  des  ouvriers. 

Et  cependant,  au  milieu  de  tant  de  bouîever- 
semens  et  de  pertes,  telle  fut  la  fidélité  des  né- 
gocians  messinois , qu’il  ne  se  déclara  pas  une 
seule  banqueroute  parmi  eux.  En  rendant  cet 
honneur  éclatant  au  commerce , ils  jetèrent  les 
nouveaux  fondemens  de  la  prospérité  de  Messine, 
et  méritèrent  bien  de  leur  patrie. 

Le  roi  des  deux  Siciles  n’a  rien  épargné  pour 
la  relever  ; il  l’a  soulagée  de  tout  impôt  ; il  lui 
a donné  des  sommes  considérables  ; il  lui  a ac- 
cordé la  franchise  de  son  port  et  des  magistrats 
de  son  choix.  Ces  bienfaits  l’aideront,  mais  le 
temps  seul  peut  lui  rendre  son  ancien  éclat. 

Aujourd’hui  la  plupart  des  maisons  sont  re- 
construites, et  nombre  d’habitans  sont  retournés 
dans  la  ville. 

Après  avoir  rendu  au  malheur  de  ce  pays  le 
tribut  que  l’humanité  réclamait  de  moi,  je  suivrai 
le  cours  des  observations  que  j’ai  faites  dans  ses 
environs  , et  qui  concernent  principalement  la 
nature  des  productions  du  détroit  de  mer,  jadis  si 
célèbre , qui  le  sépare  du  continent. 


112 


VOYAGES 


CHAPITRE  XXVI 

Observations  sur  Scylla  et  Carybde . 

Scylla  et  Carybde  , selon  la  fable,  étaient 
deux  monstres  marins  qui , placés  l’un  à droite  , 
l’autre  à gauche  du  détroit  de  Messine , avaient 
sans  cesse  la  bouche  ouverte  pour  engloutir  au 
passage  les  malheureux  navigateurs. 

« Là  sont  deux  monstres  redoutables , Scylla  à 
» droite,  Carybde  à gauche.  La  première  habite 
»le  creux  d’un  rocher;  lorsqu’elle  voit  passer  des 
» vaisseaux  dans  le  détroit,  elle  avance  la  tête 
»hors  de  son  antre,  et  les  attire  à elle  pour  les 
» faire  périr.  Depuis  la  tête  jusqu’à  la  ceinture, 
» c’est  une  Fille  d’une  beauté  séduisante  : poisson 
» énorme  dans  le  reste  de  son  corps , elle  a une 
» queue  de  dauphin  et  un  ventre  de  loup*  Pour 
» Carybde,  c’est  un  autre  monstre  sur  la  gauche, 
»du  côté  de  la  Sicile.  Trois  fois  le  jour  elle  en- 
» gloutit  les  flots  dans  un  profond  abîme , trois  fois 
»elle  les  vomit  et  les  lance  contre  le  ciel  (1)  ». 
Trad.  de  Desfontaines * 

(i)  Dextrum  Scylla  lattis,  lævum  implacata  Charybdis 
Obsidet , atque  imo  barathri  ter  gurgite  vastos 


Si 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S*  Ïl5 
Si  je  cite  des  vers  de  Virgile  , si  j’emploie  de 
* même  l’autorité  d’Homère  dans  un  ouvrage  qui 
semble  n’admettre  que  l’exactitude  et  la  pré- 
cision des  faits  , c’est  que  ces  grands  poètes 
avaient  étudié  la  nature  , et  que  leurs  fictions 
ingénieuses  mènent  souvent  sur  la  trace  de  la 
vérité,  et  donnent  lieu  à des  recherches  inté- 
ressantes. 

Curieux  de  connaître  ces  deux  écueils  fameux 
par  tant  de  naufrages,  je  pris  une  barque,  et  la 
dirigeai  d’abord  vers  Scylla.  C’est  un  rocher  très- 
élevé  situé  à douze  milles  de  Messine  , sur  les 
côtes  de  la  Calabre,  au-delà  duquel  est  bâtie  la 
petite  ville  qui  porte  son  nom.  Quoiqu’il  ne  fît 
point  de  vent , et  que  j’en  fusse  encore  à la  dis- 
tance de  deux  milles , je  commençai  à entendre 
un  frémissement,  un  murmure , et  je  dirai  presque 
un  bruit  semblable  à des  hurlemens  de  chiens, 
dont  je  ne  tardai  pas  à découvrir  la  véritable 
cause.  Ce  rocher,  coupé  à pic  sur  le  bord  de  la 


Sorbet  in  abruptum  fluctus , rursusque  sub  auras 
Erigit  alternos , et  sidéra  verberat  undâ. 

At  Scyllam  cæcis  cohibet  spelunca  latebris  , 

Ora  exsertantem , et  naves  in  saxa  trahentem. 
Prima  hominis  faciès , et  pulchro  pectore  virgo 
Pube  tenus  : postrema  immani  corpore  pristis  , 
Delphinûm  caudas  utero  commissa  luporum. 

Tome  ÏV~%  H 


lî£  VOYAGES 

mer,  renferme  à sa  base  plusieurs  cavernes, dont 
la  plus  spacieuse  est  appelée  Dragara  par  les 
habitans  de  l’endroit.  Les  ondes  entrant  avec  im- 
pétuosité dans  ces  cavités  profondes,  se  replient 
sur  elles-mêmes , se  brisent  , se  confondent , 
écument  de  toutes  parts  , et  produisent  tous  les 
bruits  divers  que  l’on  entend  au  loin.  Alors  je 
m’apperçus  pourquoi  Homère  , et  après  lui  Vir- 
gile , voulant  animer  Scylla  , et  le  peindre  avec 
ses  propres  couleurs, l’avaient  représenté  comme 
un  monstre  insidieux  caché  dans  l’obscurité  d’une 
vaste  caverne  , ayant  à ses  côtés  des  chiens 
aboyans  ou  des  loups , ce  qui  en  augmentait 
l’horreur. 

« Là,  habite  Scylla , qui  remplit  les  airs  d’hor- 
»ribles  hurlemens  pareils  aux  cris  lugubres  que 
» pousse  une  meute  aboyante  (i)  ». 

Mais  le  poète  grec  achève  mieux  son  tableau 
que  Virgile,  lorsqu’il  ajoute  que  ce  roc  est  si 
élevé,  que  sa  tête  est  toujours  couronnée  de 
nuages  5 et  qu’il  est  tellement  rapide  , lisse  et 
glissant , qu’aucun  mortel , fût-il  armé  de  vingt 


(1)  E "vba  tT’l/  'ZnvKKr)  vatet  S'stv'bv  tektMva  . 
TmV  UTOt  9 CCVïl  (Av  oVtf  iTKVhclKOÏ  vsoytKÏÏç 
TivëTdi, 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  Il5 
iras  et  de  vingt  pieds , ne  pourrait  le  gravir  jus- 
qu’à son  sommet* 

« De  ces  deux  rochers,  Pun  cache  dans  la  pro- 
fondeur des  cieux  sa  tête  pyramidale  toujours 
» environnée  de  sombres  nuages  ; jamais  , ni  dans 
fautomne  , ni  dans  le  printemps  , il  n’y  régna 
»la  sérénité.  Aucun  mortel , fût-il  un  monstrueux 
» géant  armé  de  vingt  bras  et  de  vingt  pieds, 
»ne  peut  gravir  jusqu’au  faîte  ni  en  descendre, 
tant  ce  rocher  est  lisse  dans  tout  son  contour, 
» semblable  à une  colonne  polie  et  luisante.  Au 
» centre  du  roc  s’ouvre  une  caverne  profonde  et 
» ténébreuse , gouffre  qui  s’étend  vers  l’occident, 
»et  qui  conduit  au  séjour  de  l’Erèbe.  Prudent 
» Ulysse,  passe  devant  ce  roc  d’un  vol  impé- 
tueux 5 &c.  (1)  ».  Trad.  de  Bitaubé . 

Tel  se  montrait  ce  rocher  il  y a environ  trois 
raille  ans  , tel  il  paraît  encore  aujourd’hui , sem- 
blable en  tout  à la  description  d^Homère. 

Une  si  grande  exactitude  dans  ce  premier 

(1)  Oî  S'va  cntorrehoi , 0 [tiv  ovpccvov  svpvv  tKcivei 

O’gs/n  Kopvcpîi , veqéfoi  S'é  (xiv 

'Kvaviïl  , T 0 fJJcV  OV-TOT*  2 pCOeT , OvJ'sTO  T cÙbpïl 

Ksivov  zyj1  &opvq>Yiv  , out’  h dzpet , ovt’ êv  ovrcopii 

Ou«Ts  K£V  jSpOTÙ?  cJLVY)p  , OU  KcLTcJL&lY\  , 

Oucf’  eî'ot  %éïp\ç  ys  èeUort , kcù  vrctS'sç  nsv  . 

n If  pu  ykp  hiç  êm  /rsp/^sTTtj  euviz. 

H 3 


VOYAGES 


1 16 

peintre  des  antiquités  de  la  nature , ne  laisse  aucun 
doute  que  la  surface  de  la  mer  ne  fût  de  son 
temps  à-peu-près  à la  même  élévation  où  elle 
est  aujourd’hui.  On  verrait  la  caverne  , et  même 
le  pied  du  rocher  à sec  , si  elle  s’était  seulement 
abaissée  de  quelques  toises  : les  grands  abaisse- 
mens  de  la  mer  sont  donc  bien  antérieurs  à l’é- 
poque où  vivait  flomère. 

Voilà  pour  la  position  et  la  nature  de  Scylla. 
Examinons  maintenant  ses  dangers.  Quoique  la 
marée  soit  presque  insensible  par  toute  l’étendue 
de  la  Méditerranée  , elle  se  fait  appercevoir  dans 
le  détroit  de  Messine  à raison  de  son  étrécisse- 
ment, et  elle  y est  réglée  comme  ailleurs  par  les 
élévations  et  les  dépressions  périodiques  des  eaux. 
Quand  le  vent  souffle  dans  la  direction  du  flux  ou 
du  courant , les  navires  n’ont  point  de  dangers 
à courir,  car  si  ces  deux  forces  leur  sont  con- 
traires , ils  sont  dans  la  nécessité  absolue  de  s’ar- 
rêter , et  de  jeter  l’ancre  à l’entrée  du  canal  5 si 
elles  leur  sont  favorables  , ils  passent  à pleines 
voiles  avec  la  rapidité  de  la  flèche.  Mais  lorsque 
le  vent  est  opposé  au  courant , et  que  le  pilote 
inexpérimenté  , ou  trop  confiant , lui  abandonne 
ses  voiles  pour  franchir  le  détroit , son  navire , 
combattu  par  deux  forces  contrairés  , va  se  bri- 
ser contre  le  rocher  de  Scylla  , ou  échouer  sur 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  ÏI7 
les  bancs  voisins , s’il  ne  réclame  de  prompts 
secours.  Voilà  pourquoi  vingt- quatre  matelots 
des  plus  hardis  et  des  plus  robustes  se  tiennent 
jour  et  nuit  sur  la  plage  de  Messine  5 au  premier 
coup  de  canon  d’un  vaisseau  en  perdition  , ils 
accourent,  et  le  remorquent  avec  leurs  barques. 
Comme  le  courant  n’occupe  jamais  toute  la  lar- 
geur du  détroit , qu’il  serpente  et  fait  plusieurs 
détours,  ces  matelots  , qui  connaissent  parfaite- 
ment sa  marche , savent  l’éviter  , et  soustraire 
le  vaisseau  aux  dangers  qui  l’environnent.  Mais 
si  le  pilote  qui  en  a le  gouvernement  dédaigne 
ces  secours , ou  néglige  de  les  demander,  quel- 
qu’habile  qu’il  soit , il  court  le  plus  grand  risque 
de  faire  naufrage.  Au  milieu  des  tournoiemens 
et  du  bouillonnement  des  ondes  , occasionnés 
d?un  côté  par  la  rapidité  du  courant,  et  de  l’autre 
par  la  violence  du  vent  qui  souffle  en  sens  con- 
traire , l’usage  de  la  sonde  devient  inutile  , les 
plus  gros  Gables  se  rompent,  les  ancres  ne  pren- 
nent point , parce  que  le  fond  est  rocailleux  , 
ou  si  elles  prennent , la  force  du  courant  leur 
fait  bientôt  lâcher  prise.  Enfin  tous  les  expédiens 
que  l’art  de  la  navigation  peut  suggérer  pour  ti- 
rer un  vaisseau  de  danger , ne  sont  ici  d’aucun 
secours  ; l’unique  moyen  de  salut  est  de  se  con- 
fier aux  soins , au  courage , à l’expérience  des 
matelots  messinois. 

H 3 


u8  voyages 

J’en  donnerais  plusieurs  exemples  que  m’ont 
rapportés  des  personnes  dignes  de  foi  pendant 
mon  séjour  à Messine , si  je  n’avais  été  témoin  moi- 
même  d’un  événement  qui  montre  que  ce  parti 
est  en  effet  le  seul  à prendre  dans  ces  fatales  cir- 
constances. Je  me  promenais  sur  les  hauteurs  des 
collines  qui  dominent  le  détroit  > lorsque  je  vis 
entrer  par  la  bouche  du  nord  un  bâtiment  mar- 
seillois  voguant  à pleines  voiles  3 et  ayant  pour  lui 
le  vent  et  le  courant.  Il  avait  déjà  fait  la  moitié 
du  chemin  , et  il  s’avançait  heureusement  vers 
le  port , lorsque  tout-à-coup  le  ciel  se  couvre 
d’épais  nuages  5 un  tourbillon  de  vent  soulève 
la  mer  contre  la  direction  du  courant , et  l’agite 
dans  tous  les  sens.  A peine  les  matelots  ont-ils 
le  temps  d’amener  les  voiles  ; de  toutes  parts  les 
vagues  entourent  et  assaillent  leur  malheureux 
navire.  Dans  cette  périlleuse  situation , soit  qu’ils 
suivissent  l’usage  pratiqué  en  mer  de  tirer  le  ca- 
non pour  demander  secours  aux  vaisseaux  qui 
navigent  dans  les  mêmes  parages  > soit  qu’ils 
n’ignorassent  pas  le  dévouement  des  Messinois, 
ils  donnemfce  signal  de  détresse , aussi-tôt  une 
barque  se  détache  du  rivage  de  Messine  , et 
vient  les  prendre  à la  remorque. 

Si  je  tremblai  pour  le  sort  de  ces  infortunés , 
menacés  à chaque  instant  d’être  engloutis  par 


BANS  LES  DEUX  SICILE  S.  Iiq 


les  flots , ce  fut  pour  moi  un  spectacle  d’admi- 
ration et  de  plaisir , de  voir  l’adresse  de  leurs 
libérateurs  à conduire  à travers  la  tempête  le 
bâtiment  qui  s’était  mis  sous  leur  protection. 
Eviter  le  fil  du  courant , arriver  quelquefois  jus- 
qu’au bord  pour  s’en  éloigner  ensuite  5 tourner 
le  timon  tantôt  à droite  , tantôt  à gauche  5 abais- 
ser les  voiles , les  ployer  à demi , les  déployer 
selon  que  le  vent  augmentait  ou  diminuait  5 élu- 
der l’impétuosité  des  vagues  en  coupant  les  unes 
avec  la  proue  , en  présentant  obliquement  le 
flanc  aux  autres  5 résister  et  céder  tour-à-tour 
à l’orage  , tel  fut  l’art  de  ces  braves  marins.  Du 
haut  de  la  colline  où  je  les  contemplais  , je  vis 
le  succès  couronner  leur  adresse  , et  le  bâtiment 
échappant  à un  naufrage  inévitable  entrer  heu^ 
reusement  dans  le  port  .. 


J’ai  dit  de  Scylla  ; parlons  maintenant  de  Ca- 
rybde.  Il  occupe  dans  le  détroit  un  espace  de 
mer  compris  entre  une  pointe  de  terre  nommée 
Pointe  sèche , et  une  autre  pointe  d’où  s’élève 
une  tour  appelée  la  Lanterne  y parce  qu’elle 
porte  à son  sommet  un  fanal , dont  la  lumière 
guide  pendant  la  nuit  les  vaisseaux  qui  entrent 
dans  Messine.  Presque  tous  les  auteurs  qui  en 
ont  écrit , s’accordent  à le  représenter  comme 
un  tourbillon  d’eau.  C’est  un  monstre,  dit  Ho- 

H 4 


120 


V O Y A G JE  S 


mère  , qui  trois  fois  le  jour  absorbe  Peau  > et 
trois  fois  la  rejette  (i). 

Virgile , en  se  conformant  à la  description  du 
poète  grec  , suppose  de  plus  un  abîme.  Strabon  , 
Isidore  , Tzetze  , Didime,  Eustache,  &c.  suivent 
la  même  opinion  , ët  BufFon  lui-même  l’adopte 
avec  une  entière  confiance  , en  plaçant  Carybde 
au  nombre  des  plus  célèbres  gouffres  de  la 
mer  (2).  Strabon  ajoute  que  les  débris  des  na- 
vires qu’il  engloutit  sont  portés  par  le  courant 
jusqu’au  rivage  de  Taurominum  , à trente  milles 
de  distance  (3).  Voici , à ce  sujet , ce  que  Pon 
raconte  d’un  Messinois  nommé  Colas  , hardi 
plongeur  , et  tellement  exercé  à rester  long- 
temps sous  l’eau  , qu’il  en  avait  acquis  le  surnom 
de  poisson.  On  dit  que  Frédéric,  roi  de  Sicile , 
étant  venu  exprès  à Messine  pour  éprouver  son 
habileté  , fit  jeter  une  tasse  d’or  dans  le  gouffre, 


(x)  . , . . S'Ta.  XoLjjv(Z£iï  cüra.ppoifiS'eî  fxéhctv  v'S'tip  . 
Tpiç  pev  yétp  Tccvlwtv  kif  X\ptù.Tl  , T pif  £,CLV*ppOi(U'ïl 

Asivov  . Ibid. 

(2)  « Le  Carybde , qui  est  près  du  détroit  de  Messine, 
» rejette  et  absorbe  les  eaux  trois  Fois  en  vingt-quatre 
» heures».  Théorie  de  la  terre . 

(3)  KelTcJnroHvTceV  eTê  , Kcù  S'iCtKvêivTCdV  TcL  VÜLVcLyiA 
wapciiTÙpsTcu  •TTp'QS  mova  t n?  T avpo[Ji.çyiotç.  1.  VI. 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  121 
et  l’invitant  à la  pêcher,  la  lui  promit  comme  la 
récompense  de  son  courage  ; que , victime  de 
la  cruelle  générosité  du  roi , cet  homme , après 
avoir  plongé  deux  fois , et  étonné  les  spectateurs 
par  sa  longue  absence  , ne  reparut  plus  la  troi- 
sième fois , et  que  son  cadavre  fut  trouvé  au 
bout  de  quelques  jours  sur  le  rivage  de  Tau- 
rominum. 

Telle  est  l’idée  qu’on  s’est  toujours  formée 
de  Carybde  ; on  se  l’est  représenté  comme  un 
tourbillon  d’eau  , et  les  voyageurs  éux-mêmes , 
tant  anciens  que  modernes  , n’en  ont  pas  parlé 
autrement  : ce  fait  valait  la  peine  d’être  vérifié. 

Carybde  , nommé  Calofaro  par  les  habitans , 
est  à sept  cent  cinquante  pieds  environ  du  rivage 
de  Messine.  Quelques  auteurs  prétendent  que  ce 
nom  lui  a été  donné  à cause  du  bouillonnement 
des  ondes  5 mais  il  dérive  de  et  çctpoç  , c’est- 
à-dire  belle  Tour , qui  est  celle  de  la  Lanterne  , 
dans  le  voisinage  de  laquelle  il  est  situé  (1). 


(1)  J’ai  observé  que  Messine,  et  d’autres  villes  de  la 
Sicile,  ont  conservé  beaucoup  de  termes  de  la  langue 
grecque,  qui  était  autrefois  celle  des  insulaires.  Je  citerai, 
pour  ne  pas  m’écarter  de  mon  sujet , le  mot  rema,  dont 
ils  se  servent  pour  désigner  le  courant  du  détroit;  ce  mot 
vient  de  plumet,  qui  signifie  flux.  Note  de  V auteur. 


Î22,  VOYAGES 

Le  phénomène  du  Calofaro  apparaît  lorsque 
le  courant  est  descendant.  Les  pilotes  appellent 
courant  ou  flux  descendant  celui  qui  vient  du 
nord  j et  flux  montant  celui  qui  vient  du  sud. 
Le  courant  monte  ou  descend  au  lever  ou  au 
coucher  de  la  lune  , et  ne  dure  pas  plus  de  six 
heures  dans  le  détroit;  mais  dans  l’intervalle  de 
l’un  et  de  l’autre  période  , il  y a un  repos  dont  la 
plus  longue  extension  est  d’une  heure  , et  la 
moindre  d’un  quart-d’heure. 

Quand  au  lever  ou  au  coucher  de  la  lune,  le 
courant  entre  par  le  nord,  il  fait  avec  le  rivage 
une  multitude  d’angles  d’incidence  qui  retardent 
sa  marche  ; souvent  il  emploie  près  de  deux 
heures  pour  arriver  au  Calofaro  ; quelquefois 
aussi  il  y parvient  très-rapidement , et  c’est  un 
signe  de  mauvais  temps. 

Je  profitai  de  ces  renseignemens  pour  régler 
ma  visite.  Les  quatre  matelots  chargés  de  me 
conduire  , s’appercevant  que  je  n’étais  pas  tout- 
à-fait  exempt  d’inquiétude  , m’encouragèrent , 
et  me  promirent,  non- seulement  de  me  mener 
au  bord  du  redoutable  Calofaro  , mais  de  me 
faire  passer  dessus  sans  le  moindre  accident.  Du 
rivage  , je  l’avais  vu  comme  un  groupe  de  flots 
tumultueux;  à mesure  que  j’approchais, ce  groupe 
semblait  s’étendre;  i]  me  paraissait  plus  agité, 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  120 
plus  éminent.  Quand  je  fus  auprès , je  m’arrêtai 
pour  le  considérer. 

On  entend  par  tourbillon  d’eau , ce  mouve- 
ment circulaire  qu’elle  prend  lorsqu’elle  est  mue 
par  deux  impulsions  contraires  : au  centre  de  ce 
mouvement , il  se  forme  une  cavité  cylindrique, 
dont  les  parois  intérieures  tournent  sur  elles- 
mêmes  en  spirale.  Mais  ici  je  n’observai  rien  de 
semblable  : c’était  un  espace  de  mer  ayant  tout 
au  plus  cent  pieds  de  circonférence,  où  l’onde 
bouillonnait,  s’élevait,  s’abaissait,  se  heurtait, 
sans  produire  le  moindre  tourbillon.  Tout  cela 
n’avait  rien  de  bien  efFrayant.  Ma  petite  barque 
s’avançait  au  milieu  de  ce  tumulte  d’eau  l’éprou- 
vant d’autre  inconvénient  que  d’être  un  peu  ba- 
lottée  ; mes  bateliers  n’eurent  d’autre  peine  que 
de  s’y  maintenir  avec  les  rames.  Il  me  fut  aisé  de 
tenter  quelques  expériences,  et  d’en  suivre  les 
résultats.  Je  m’étais  muni  à cet  effet  de  différens 
corps , les  uns  plus  pesans  que  l’eau , les  autres 
plus  légers.  J’observai  que  les  premiers  allaient 
au  fond,  et  ne  reparaissaient  plus  $ que  les  se- 
conds surnageaient , mais  que  l’agitation  du  Ca- 
lofaro  les  repoussait  bientôt  hors  de  la  sphère  de 
son  activité.  Cette  dernière  observation  m’indi- 
quait assez  qu’il  n’existait  aucun  goufFre  en  cet 
endroit , car  ce  goufFre  aurait  produit  un  tour- 


VOYAGES 


124 

billon  qui  aurait  attiré  et  englouti  les  corps  légers 
nageant  à la  sur  face  de  l’eau.  Cependant , curieux 
d’en  connaître  la  profondeur , j’y  fis  jeter  la 
sonde , elle  ne  rapporta  qu’environ  cinq  cents 
pieds  ; mais  il  est  remarquable  qu’au-delà  » vers 
le  milieu  du  détroit,  la  mer  a le  doublé  de  pro- 
fondeur. 

Tel  était  l’état  de  Carybde , lorsque  je  l’exa- 
minai 3 je  l’avais  vu  dans  le  calme,  il  pouvait  se 
montrer  autrement  dans  la  tempête.  Je  consul- 
tai là-dessus  les  pilotes  chargés  spécialement  par 
le  gouvernement  de  porter  secours  aux  vaisseaux 
étrangers  engagés  dans  le  détroit  par  les  temps 
orageux  : voici  le  résultat  de  leurs  informations. 
Quand  le  courant  et  le  vent  se  combattent , quand 
ce  dernier  sur- tout  vient  de  la  partie  du  sud-est, 
et  que  tous  les  deux  ont  atteint  leur  plus  haut 
degré  de  véhémence , le  bouillonnement , le  bri- 
sement des  ondes  à la  surface  du  Calofaro  est 
beaucoup  plus  impétueux  ; il  s’y  forme  trois  ou 
quatre  petits  toùrnoiemens  d’eau  et  davantage  , 
selon  que  la  sphère  du  Calofaro  embrasse  un  plus 
grand  espace.  Les  bâtimens  légers  que  le  vent  ou 
le  courant  entraînent  dans  cette  enceinte,  va- 
cillent , tournoyent , mais  ne  sont  point  engloutis  ; 
i ls  ne  coulent  à fond  que  dans  le  cas  où  les  vagues , 
en  se  précipitant  sur  eux , les  remplissent  d’eau. 


I 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  îi>5 
Quant  aux  gros  navires  , ils  s’y  trouvent  arrêtés 
tout-à-  coup  , et  restent  comme  immobiles  ; ni  le 
vent  ni  les  voiles  ne  peuvent  les  tirer  de-là;  après 
avoir  été  tourmentés  et  battus  des  flots,  si  les 
pilotes  du  pays  ne  viennent  les  remorquer  par  le 
droit  fil  du  courant , comme  ils  disent , ces  na- 
vires sont  poussés  contre  la  plage  voisine , où  est 
bâtie  la  tour  de  la  lanterne,  et  s’y  brisent  inévi- 
tablement (1). 

En  pesant  la  juste  valeur  de  ces  faits,  on  s’ap- 
perçoit  qu’il  y a beaucoup  à rabattre  de  tout  ce 
qui  a été  écrit  touchant  Carybde.  Ce  n’est  point 

(1)  Voici  à ce  sujet  l’extrait  d’une  lettre  que  m’a  écrite 
l’abbé  Grano  , de  Messine. 

« Il  n’y  a pas  vingt  jours  que  nous  avons  été  témoins 
» de  la  submersion , dans  le  Calofaro , d’une  polacre  na- 
» politaine , venant  de  la  Pouille  avec  une  cargaison  de 
» grains.  Il  s’était  élevé  un  vent  de  sud-est  très-impé- 
» tueux  ; le  navire  s’efforcait  de  gagner  le  port  à pleines 
» voiles , en  se  tenant  toujours  loin  du  Calofaro  ; mais  la 
» tête  ou  la  queue  du  courant , pour  me  servir  de  l’ex- 
» pression  de  nos  mariniers  , étant  déjà  entrée  par  le 
» pbare,  saisit  le  navire , et  l’entraîna  dans  le  Calofaro  ; 
))  là , ne  pouvant  faire  usage  de  ses  voiles , il  resta  quel- 
» que  temps  exposé  à toute  la  furie  des  flots , qui  finirent 
» par  l’entr’ouvrir  et  le  couler  à fond.  La  moitié  de  l’équi- 
» page  fut  sauvée , grâce  à la  promptitude  avec  laquelle 
n nos  mariniers  accoururent  au  secours  de  ces  malheu- 


» reux  ». 


VOYAGES 


126 

lin  tourbillon  , un  gouffre  d’eau  tournant  sur  lui- 
même,  attirant  et  engloutissant  les  navires  3 c’est, 
au  contraire,  une  surface  de  mer  peu  agitée , et 
qui  ne  couvre  aucun  danger  lorsque  le  courant 
diminue  et  approche  de  sa  fin  ; c’est  un  simple 
bouillonnement  d’eau,  mais  très  - impétueux , 
lorsque  le  courant  et  le  vent  sont  en  opposition  $ 
les  petits  tournoiemens  qui  s’y  engendrent  sont 
purement  accidentels , et  n’ont  rien  de  dange- 
reux. Enfin  Carybde  , dans  cette  dernière  cir- 
constance , bien  loin  d’attirer  les  navires, les  re- 
pousse et  les  chasse  loin  de  soi. 

Cette  erreur  est  née  et  s’est  perpétuée  comme 
tant  d’autres  touchant  les  choses  naturelles.  Ho- 
mère , en  racontant  le  voyage  d’Ulysse  dans  le 
détroit  de  Messine,  a,  le  premier,  représenté 
Carybde  comme  un  gouffre  immense  qui  absor- 
bait l’eau  et  la  revomissait  $ qui  engloutissait  les 
navires  et  les  hommes , citant  pour  exemple  plu- 
sieurs compagnons  de  son  héros , saisis  et  en- 
traînés par  ce  monstre.  Les  auteurs  qui  sont 
venus  après  Homère  , soit  poètes  ou  prosateurs, 
soit  historiens  ou  géographes,  l’ont  copié,  sans 
qu’aucun  d’eux  ait  pris  la  peine  de  se  transporter 
sur  les  lieux  pour  vérifier  le  fait.  Fazello  lui- 
même  , cet  historien  d’ailleurs  soigneux  et  exact 
en  tout  ce  qui  concerne  son  pays , ne  l’est  plus 


DANS  DES  DEUX  SICILE  S.  1 27 
quand  il  parle  de  Carybde  5 il  en  dit  assez  pour 
prouver  qu’il  ne  Ta  jamais  ni  vu  ni  observé  ; sa 
description  se  termine  par  la  supposition  com- 
mune , que  les  corps  engloutis  par  ce  gouffre  sont 
transportés  par  des  courans  sous-marins  , sur  la 
plage  de  Taurominum. 

Cluvier  est  le  seul  auteur  dont  le  récit  ferait 
croire  qu’il  a examiné  Carybde  de  près.  Je  trans- 
crirai ses  paroles  : 

a.  Et  moi-même  , m’étant  arrêté  plusieurs  jours 
» à Messine  pour  connaître  Carybde , je  pris  des 
» informations  des  habitans  du  lieu,  principal- 
ement des  nautonniers , soit  Siciliens  et  Italiens  , 
esoit  Belges  , Anglais  et  Français  qui  fréquentent 
eces  parages  5 mais  je  ne  pus  en  apprendre  rien 
»de  certain  , tant  ce  phénomène  était  pour  eux 
» obscur  et  inconnu.  Cependant  je  découvris  enfin 
»que  Carybde,  appelé  par  les  naturels  , en  langue 
edu  pays , Calofaro , était  un  courant  rapide, 

» formant  des  tourbillons  au-dessus  du  phare  de 
» Messine,  absorbant  les  eaux  dans  un  gouffre 
» immense , et  les  revomissant,  non  pas  trois  fois 
» chaque  jour,  comme  le  dit  Homère,  mais  toutes 
»les  fois  que  les  flots  se  précipitent  avec  plus  de 
» violence  dans  le  détroit  (1)  ». 

(1)  « Ego  sane  cum  Charybdis  noscendæ  gratîa  aliquot 
dies  Messanæ  subsisterem  , et  ab  hominibus  ejus  loci , 


VOYAGES 


128 

Mais  en  disant  qu’il  a découvert  Carybde,  cet 
auteur  n’exprime  point  qu’il  l’a  observé  à l’en- 
droit même  où  le  phénomène  existe.  Aurait -il 
omis  une  circonstance  aussi  essentielle  à sa  nar- 
ration , lui  qui  avait  tant  à cœur  de  s’assurer  de 
la  vérité  d’un  fait  établi  depuis  si  long-temps  dans 
l’opinion  publique,  et  sur  lequel  il  n’avait  pu  ob- 
tenir des  renseignemens  précis  et  certains  en 
s’adressant  aux  Messinois  eux-mêmes?  Tout  ce 
qu’on  doit  conclure  du  passage  cité  , c’est  que 
Cluvier  s’étant  transporté  sur  le  rivage  d’où  l’on 
apperçoit  Carybde , et  ayant  dirigé  ses  regards 
de  son  coté  ^pouvait , sans  manquer  de  fidélité, 
affirmer  qu’il  l’avait  réellement  découvert. 

Quant  à la  position  de  Garybde  dans  le  détroit 
de  Messine  , celle  que  lui  assigne  Homère  ne 


maxime  vero  nautis  , non  siculis  modo  , et  Italis,  sed  et 
Belgis , Britannis , et  Gallis,  qui  hoc  fretum  frequentes 
navigant,  diligentius  eam  rem  siscitarer,  nihil  omnino 
certi  ab  ipsis  perdiscere  potui , adeo  scilicet  toturo  ne- 
gotium  omnibus  obscurum  et  incognitum  erat.  Tandem 
tamen  reperi  Charybdim  , quæ  incolis  patriis  vocabulis 
dicitur  Calofaro  sub  prædicta  ad  Messanensem  portum 
pharo  esse  mare  rapide  fluens,  atque  in  vortices  actum  : 
quod  non  Tpîr  s-r’  , ut  tradit  Homerus,  id  est  sin- 

gulis  diebus  ter  absorbet  ingenti  gurgite  , removitque 
aquas,  sed  quolies  vehementiori  fluctu  fretum  comita- 
tur  ». 


cadre 


bans  les  deux  sïcîles.  129 
cadre  point  avec  nos  propres  observations.  Circé 
instruit  Ulysse  des  dangers  de  cette  navigation  , 
et  lui  dit  : (1)  «Là  sont  deux  rochers,  dont  l’un 
» touche  le  ciel  de  sa  tête  pyramidale...  Tu  verras 
» l’autre  moins  élevé , ô Ulysse  ; et  ces  deux  ro- 
» chers  sont  si  voisins,  que  ta  flèche  irait  de  l’un 
»à  l’autre.  Sur  ce  dernier  s’élève  un  Figuier  sau- 
»vage  chargé  d’un  feuillage  épais,  sous  lequel 
»la  redoutable  Carybde  absorbe  l’onde  noire  ». 

Le  premier  rocher  indiqué  ici  par  Homère  est 
Scylla , comme  il  le  dit  ensuite  5 près  du  second  , 
se  trouve  Carybde , et  la  distance  entre  l’un  et 
Vautre  n’est  que  d’un  trait  de  flèche , azv 
hoKrnvrzicLç.  Cependant  Carybde  est  actuelle- 
ment éloigné  de  douze millesde  Scylla.  Que  faut-ii 
penser  de  cette  différence  ? Que  le  poète  n’a 
voulu  employer  qu’une  hyperbole  ? mais  je  ne 
sais  s’il  pouvait  .se  permettre  une  telle  licence  * 
que  Carybde , dans  les  temps  passés,  était  en  effet 
très-près  de  Scylla,  et  que  la  révolution  des 
siècles  l’a  fait  changer  de  place,  et  l’a  transporté 
jusqu’au-delà  de  Messine  ? Cette  conjecture  ne 


(l)  O I Jg  S'vCO  (TKO^SKOl  , 0 [JLZV  OVpCtvlv  £VpVV  IKcLVSt  . . . « 

Tù?  J1’  irspov  (ncbvrehov  ^ct^cLKcorspov  O*  JW  feu  > 
TThunov  tLKKHK&v  üeù  Kêv  S'ioïrTevcrsta.ç  . 

T co  J’  zv  zpivzoç  k(TTt  (Azyetç  <pvAAoi $7  Tzênha? 

Tco  v7to  &ïici  XkpvfiS'ir  kvctppoi^sj  ykhctv  vS'cop; 

Tome  ir.  I 


VOYAGES 


i5o 

serait  pas  dépourvue  de  fondement , si  Le  détroit 
avait  éprouvé  quelque  révolution  considérable 
dans  ces  temps-là  ; mais  rien  ne  l’indique , ni  dans 
les  monumens  de  la  nature  , ni  dans  les  écrits  des 
auteurs  siciliens , qui  n’auraient  pas  passé  sous 
silence  un  tel  événement.  Nous  verrons,  au  cha- 
pitre XXIX  , que  la  seule  modification  que  le 
détroit  ait  reçue  dans  ce  siècle,  est  un  simple 
étrécissement  ; et  bien  avant  cette  époque,  Ca- 
rybde  existait  où  nous  le  voyons  aujourd’hui. 
Cela  est  prouvé , non-seulemént  par  une  très- 
ancienne  tradition  des  Messinois,  mais  par  le  té- 
moignage uniforme  des  écrivains  italiens,  latins, 
et  grecs  : Carybde,  dit  Fazello,  est  placé  du  côté 
de  la  Sicile , un  peu  au-dessus  de  Messine  (i). 

Tzetze  s’exprime  ainsi  : « Carybde  est  situé  près 
» Messine  (2)  ».  Strabon , après  avoir  fait  mention 
de  cette  ville , ajoute  : « Carybde  se  fait  voir  dans 
»le  détroit,  un  peu  avant  la  ville  (3)  ». 

Concluons  , de  ces  documens  historiques  , 
qu’Homère  a manqué  d’exactitude  à l’égard  de 
la  localité  de  ce  phénomène  ; ce  n’est  pas  lui 


(1)  « Charybdis,  ex  parle  Siciliæ,  paulo  supra  Mes- 
sanam  » . 

(2)  Y)  Xcipvfiflt  'TSfÙ  M tGMYW  €<Tt). 

(3)  Asimvt&u  ko,)  XàpvfiS'iç  ptx,p)ni  'Trp'à  noheM?  iv 
tm  rrç . 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  1 5 1 
faire  un  grand  tort  que  de  supposer  qu’il  a un  peu 
sommeillé  en  cet  endroit  de  son  long  ouvrage. 
Cependant  on  ne  peut  accuser  la  fidélité  de  ses 
autres  descriptions  touchant  la  Sicile*  On  y trouve 
une  vérité  d’expression  qui  fait  présumer  qu’il 
avait  voyagé  lui -même  dans  cette  île,  ou  du 
moins  qu’il  en  avait  reçu  des  détails  très- circons- 
tanciés. Le  tableau  de  Scylla  en  est  une  preuve  ; 
quant  à Carybde  et  son  gouffre  supposé , il  faut 
bien  convenir  , ou  qu’Homère  ne  s’était  jamais 
approché  de  ce  lieu,  ou  qu’il  n’en  avait  obtenu 
que  de  fausses  informations. 

Mais,  à propos  de  ces  deux  écueils,  a-t-il 
quelque  fondement  ce  mot , qui  cherche  à éviter 
Carybde  tombe  dans  Scylla , passé  en  proverbe 
chez  les  anciens,  et  appliqué  à ceux  qui , pour  fuir 
un  mal,  tombent  dans  un  mal  plus  grand?  J?en 
causais  avec  mes  braves  matelots  messinois,  qui 
m’assuraient  que  ce  danger  existait  réellement, 
et  que  les  navigateurs  en  étaient  quelquefois  les 
victimes,  quand  ils  ne  prenaient  pas  des  mesures 
promptes  et  efficaces  pour  le  prévenir.  Qu’un 
navire  , me  disaient-ils  , échappe  à la  fureur  de 
Carybde  , et  soit  poussé , par  une  forte  brise  de 
sud , le  long  du  détroit  vers  la  bouche  du  nord  , 
il  en  sortira  heureusement;  mais  que  vers  le  mi- 
lieu de  son  trajet,  il  soit  surpris  par  un  vent  de 

I 2 


VOYAGES 


l3l2 

sud-est  ; alors , dévié  de  son  droit  chemin  , com- 
battu par  deux  forces  contraires , et  ne  pouvant 
ni  avancer  ni  reculer , il  sera  forcé  de  suivre  une 
direction  moyenne  qui  le  portera  sur  Pécueil  de 
Scylla.  Ces  matelots  ajoutaient  que  dans  les  bou- 
rasques  , il  s’élève  fréquemment  un  vent  de  terre 
qui  descend  par  une  gorge  de  la  Calabre,  et 
pousse  les  vaisseaux  contre  ce  rocher. 

J’ai  lu  presque  tous  les  anciens  auteurs  qui 
ont  écrit  sur  ces  deux  écueils  5 pour  les  peindre, 
ils  ont  employé  les  couleurs  les  plus  sombres  5 
ils  en  ont  fait  le  siège  des  tempêtes  et  des  nau- 
frages. Toutes  ces  horreurs , toutes  ces  ruines 
ne  nous  frappent  plus  ; les  naufrages  sont  rares 
dans  le  détroit  de  Messine}  d’où  vient  cela  ? Scylla 
et  Carybde  auraient- ils  changé  de  nature  P se- 
raient-ils devenus  moins  dangereux  en  eux- 
mêmes  ? Mais  nous  avons  vu  que  le  premier  est 
encore  tel  aujourd’hui  qu’il  était  du  temps  d’Ho- 
mère ; quant  au  second,  le  rétrécissement  du 
détroit  devrait  le  rendre  plus  redoutable  qu’il 
n’était  autrefois  5 car  moins  un  canal  ou  un  bras 
de  mer  a d’ouverture , et  plus  le  passage  en  est 
difficile.  Je  crois  plutôt  que  la  raison  de  cette 
différence  est  dans  Part  de  la  navigation  , qui , 
laible  dans  ses  commencemens , n’osait  s’aven- 
turer en  pleine  mer,  mais  allait  terre  à terre. 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  T 35 
s’appuyant  r pour  ainsi  dire  , d’une  main  sur  le 
rivage.. 

Alter  remus  aqnas,.  alter  tibî  radat  arenas. 

Tutus  eris  ; medîo  maxima  turba  mari. 

Propert.  I.  3 . 

Mais  avec  le  temps , l’étude , l’expérience  y 
les  hommes  devenus  plus  instruits , plus  coura- 
geux r ont  osé  traverser  les  plus  vastes  mers  , 
se  confier  aux  tempêtes , et  se  rire  de  leurs  im- 
puissantes menaces. 

Quant  à la  mer  de  Messine , Je  n’ai  pas  besoin 
de  remonter  si  haut  pour  trouver  les  traces  d’une 
navigation  encore  enfantine  et  suivre  ses  progrès  ; 
le  siècle  présent  y comparé  au  siècle  passé,  peut 
m’en  fournir  le  tableau.  Cette  partie  de  l’Adria- 
tique qui  sépare  Venise  de  Rovigno  dans  l*Ist  rie,, 
n’est  certainement  pas  des  plus  favorables  pour 
les  navigateurs.  La  fréquence  des  coups  de  vent, 
les  hauts-fonds  qui  rompent  les  vagues,  et  leur 
donnent  des  impulsions  très  - irrégulières , sont 
des  dangers  réels,  et  très- propres  à faire  réfléchir 
ceux  qui  entreprennent  de  la  traverser.  Dans  le 
dix-septième  siècle  , les  naufrages  y étaient  si 
fréquens , que  les  habitans  de  Rovigno  qui,  pour 
des  affaires  indispensables , étaient  obligés  de  se 
transporter  à Venise  , se  tenaient  d’avance  pour 
morts  j et  s’ils  étaient  pères  de  famille , ils  ne 

I 3 


V O Y A G E s 


ï34 

manquaient  pas  de  faire  leur  testament  avant 
de  se  mettre  en  route.  Un  avocat  de  R.ovigno , 
nommé  Constantin  > homme  instruit , me  disait 
avoir  lu  plusieurs  de  ces  testamens,  que  Ton  con- 
serve dans  les  archives  publiques  de  cette  ville. 

Je  ne  dirai  pas  que  de  nos  jours  ce  trajet  ne 
soit  plus  qu’un  jeu,  un  divertissement,  il  faut  trop 
se  tenir  en  garde  contre  les  tempêtes  qui  y sont 
fréquentes  $ mais  elles  n’ont  plus  de  suites  fâ- 
cheuses ? trois  fois  j’ai  fait  le  voyage  sans  courir 
le  moindre  danger.  Cette  sécurité  est  due  au 
perfectionnement  de  l’art  nautique.  Outre  que 
l’expérience  et  l’instruction  manquaient  aux  an- 
ciens marins  de  Rovigno  , la  forme  et  la  cons^ 
truction  de  leurs  barques  étaient  si  mal  enten- 
dues, qu’elles  ne  pouvaient  tenir  contre  la  vio^* 
lence  du  vent  : elles  étaient  bientôt  surmontées 
et  englouties  par  les  vagues.  Celles  que  l’on  y 
construit  aujourd’hui  sont  larges , plates  et  très- 
solides  ; on  les  appelle  vulgairement  bracère  $ 
elles  peuvent  affronter  les  orages  , et  sont  en 
grande  réputation  dans  les  pays  çirconvoisins, 
Voilà  donc  un  espace  de  mer,  peu  étendu  à la 
vérité  , mais  fameux  anciennement  par  ses  nau- 
frages, qui  devient  chaque  jour  plus  praticable 
par  le  seul  ministère  de  l’art. 

Mais  pour  mieux  juger  comment  Carybde  et 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S. 


ï35 

Scylîa  , sans  changer  de  nature  , ont  pu  se  dé- 
pouiller insensiblement  de  la  terreur  qui  les  en- 
vironnait autrefois  , prenons  pour  exemple  un 
autre  site  non  moins  redoutable  dans  les  siècles 
passés  , le  Cap  de  Bonne-Espérance , notnmé  le 
Cap  des  Tefhpêtes  par  le  premier  navigateur 
qui  en  fit  la  découverte.  Là,  deux  grandes  mers 
descendent  le  long  des  Cotés  apposées  de  l’Afri- 
que, se  rencontrent  et  se  heurtéM  ènsetiiblê.  Un 
courant  rapide  tenant  du  süd-ôuest,  s’il  trouvé 
la  marée  et  le  vent  contraires ,~  engendre  des 
tourbillons  d’eau  capables  d’attirer  et  d’engloutir 
les  plus  gros  navires.  Des  rochers  épars  sur 
la  côte  brisent  les  vagues  impétueuses  , et  les 
soulèvent  à des  hauteurs  énormes  ; là  se  forment 
des  orages  d’autant  plus  terribles  qu’ils  par- 
courent sans  obstacle  un  vaste  océan.  Que  de 
soins  et  de  prudence  n’exigeait  pas  la  conduite 
d’un  vaisseau  destiné  à surmonter  ces  obstacles  ! 
Un  habile  pilote  qui  les  eût  plusieurs  fois  com- 
battus , des  mata  et  des  antennes  affermis  par  d’é- 
pais cordages,  des  haches  toutes  prêtes  pour  les 
abattre  au  premier  signal  quand  le  danger  l’exi- 
geait,une  ample  provision  de  cables  et  de  voiles; 
des  haubans  renforcés,  et  des  timons  de  rempla- 
cement ; les  matelots  liés  fortement  à leur  poste 
avec  des  cordes,  pour  n’être  pas  emportés  par 
les  coups  de  mer , les  passagers  renfermés  sous 

I 4 


VOYAGES 


136 

Je  pont  pour  laisser  la  manœuvre  libre,  l’artillerie 
calée  au  fond  du  vaisseau  pour  en  augmenter  le 
lest , les  sabords  bien  fermés  5 telles  étaient,  dans 
le  siècle  passé , les  précautions  des  navigateurs 
qui  doublaient  le  Cap  de  Bonne-Espérance.  Il 
en  faut  bien  moins  aujourd’hui , grâces  à l’expé- 
rience , aux  lumières  acquises  dans  cet  art  si  ti- 
mide dans  ses  commencemens , si  audacieux  dans 
ses  progrès  : Carybde  et  Scylla  n’ont  plus  rien  de 
terrible  que  leurs  noms , et  c’est  encore  à ses 
succès  que  nous  en  sommes  redevables. 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S. 


CHAPITRE  XXVII. 

Méduses  phosphoriques  observées  dans  le 
détroit  de  Messine . 

D ans  la  classe  des  animaux  à qui  nos  métho- 
distes ont  donné  le  nom  de  mollusques , à cause 
de  la  mollesse  de  leur  corps  , il  est  un  genre 
très-singulier  dont  les  espèces  ont  été  appelées 
méduses  par  Linnée  , gelées  de  mer  par  Réau- 
mur , et  orties  de  mer  par  quelques  autres  na- 
turalistes 3 tant  anciens  que  modernes.  Tous  ces 
noms  font  allusion  à certains  caractères  extérieurs 
de  ces  animaux , qui  en  les  touchant  piquent 
comme  les  orties-  plantes  $ en  les  maniant,  se 
fondent  dans  les  doigts  comme  de  la  gelée  ; en 
les  regardant , rappellent  par  leur  forme  étrange 
l’idée  d’une  tête  de  Méduse.  Aristote,  qui  écrivait 
en  Grèce  , et  Pline  , qui  long-temps  après  le  co- 
piait en  Italie  , en  ont  fait  mention  l’un  et  l’autre. 
Parmi  les  modernes , je  ne  connais  que  Réaumur 
qui , dans  les  actes  de  l’académie  des  sciences 
de  Paris,  année  1710 , a donné  des  considérations 
sur  la  manière  dont  se  meuvent  quelques  espèces 
de  méduses  , et  Dicquemare  , qui  a publié,  dans 
le  journal  de  l’abbé  Rozier,  plusieurs  mémoires 


l38  VOYAGES 

où  ii  examine  leur  structure  organique.  Mais  ces 
deux  écrivains  ne  parlent  en  aucune  manière  de 
la  phosphorescencè  qui  est  particulière  à cer- 
taines méduses.  J’ignore  si  ces  dernières  ont  été 
décrites  par  d’autres  \ je  sais  seulement  que  Lœ- 
fling  les  a rencontrées  , ainsi  que  le  rapporte 
Linnée.  « Ce  savant  voyageur , dit  - il , vit  en 
» haute  mer  3 entre  l’Espagne  et  l’Amérique  , des 
» méduses  et  autres  zoophites  dispersée  dans  les 
» eaux  , qui,  la  nuit  et  durant  le  calme  , brillaient 
£ comme  autant  de  flambeaux  $ mais  ces  clartés 
» disparaissaient  si-tôt  que  les  veiitâ  agitaient  la 
»mer  (l)  » . 

Ce  court  récit  est  sans  doute  plus  propre  à 
exciter  la  curiosité  qu’à  la  satisfaire.  Au  reste?, 
il  ne  faut  pas  s’étonner  si  nous  manquons  d’ob- 
servations sur  la  propriété  phosphorique  de  ces 
animaux  : ils  sont  très-rares  , ceux  qui  en  sont 
doués.  J’ai  eu  l’occasion  d’examiner  une  mul- 
titude de  méduses  , soit  dans  la  mer  Adriatique  , 
soit  dans  l’Archipel  et  le  bosphore  de  Thrace  ; 
je  n’en  ai  pas  trouvé  une  seule  qui  jetât  de  la 


(1)  « Doctissimus  Eoeflingius  inter  Hispaniatti  et 
Américain  vidit  in  alto  mari  médusas  alia que  zoophita, 
pacata  aqua , dispersa  per  æquora , et  noctu  instar  toti- 
dem  candelarum  lucere , et  exortis  ventis  sensim  subsi^ 
dere  , et  lucem  suffocari  » . 


BANS  LES  DEUX  SICILE  S.  l3q 
lumière.  Ce  phénomène  ne  s’est  offert  à mes  yeux 
que  dans  le  détroit  de  Messine  , une  nuit,  comme 
je  revenais  du  rocher  de  Scylla  à la  ville  , et 
j’ai  eu  tout  le  temps  nécessaire  pour  le  bien 
observer  pendant  un  séjour  de  plusieurs  semaines 
dans  le  pays , m’occupant  uniquement  de  la  re- 
cherche et  de  l’étude  de  ses  productions  natu- 
relles. Mais  je  n’en  donnerais  à mes  lecteurs 
qu’une  idée  vague  et  confuse  , si  je  ne  leur  mon- 
trais d’abord  l’organisation  de  ces  méduses , la 
manière  dont  elles  nagent  dans  l’eau  et  se  trans- 
portent d’un  lieu  à un  autre  , ces  deux  connais- 
sances préliminaires  étant  indispensables  pour 
l’intelligence  de  leur  propriété  phosphorique. 

* ; - " : ' ' . ' V ' V 

On  peut  comparer  la  forme  du  corps  de  ces 
méduses  à l’ombelle  des  champignons  , étant 
convexe  par-dessus,  concave  par-dessous  9 et 
ayant  deux  , trois,  ou  quatre  pouces  de  circon- 
férence, selon  la  grandeur  de  l’animal  5 et  de 
même  que  l’ombelle  des  champignons  va  en 
s’amincissant  vers  les  bords  , l’ombelle  des  mé- 
duses ( car  je  l’appellerai  ainsi  ) suit  une  dégra- 
dation d’épaisseur  jusqu’aux  extrémités,  qui  sont 
terminées  par  de  légères  franges.  Si  la  première 
est  attachée  à une  petite  colonne  centrale  qui 
lui  sert  de  support , la  seconde  adhère  dans  le 
milieu  de  sa  partie  concave  à quatre  corps  alon- 


VOYAGES 


l4o 

g es  et  cylindriques,  que  je  désignerai,  comme 
r.os  auteurs  méthodistes , sous  le  nom  de  tenta- 
cules. Outre  ces  quatre  corps  , il  y en  a huit 
autres  latéraux  , plus  minces  , inhérens  longitu- 
dinalement aux  parois  intérieures  de  l’ombelle; 
mais  ces  notions  générales  ont  besoin  de  quelque 
détail. 

L’ombelle  de  chaque  méduse  est  légèrement 
convexe  à l’extérieur  ; elle  y présente  une  sur- 
face très-lisse  , toujours  couverte  d’un  voile  hu- 
mide , même  après  que  l’animal  a été  tiré  h or* 
de  l’eau.  Sa  plus  grande  épaisseur  est  au  sommet  ; 
sa  moindre  vers  les  bords.  Dans  la  partie  la  plus 
élevée  de  sa  concavité  , on  remarque  une  ouver- 
ture qui  conduit  dans  une  espèce  de  bourse  gé- 
latineuse , communiquant  avec  quatre  trous  la- 
téraux. L’eau  de  la  mer  que  la  bourse  reçoit 
par  ces  trous,  en  sort  par  l’ouverture  5 et  celle 
qui  y pénètre  par  l’ouverture  se  dégage  par  les 
trous.  Je  ne  doute  pas  que  cette  ouverture  ne 
soit  la  bouche  de  l’animal , et  la  bourse  son  esto- 
mac , ou  du  moins  une  espèce  de  réceptacle  où 
se  digèrent  ses  alimens,  quoique  je  n’aie  jamais 
pu  les  y appercevoir. 

La  substance  de  l’ombelle  est  si  délicate , sî 
tendre  , qu’elle  se  laisse  couper  avec  un  fil  ; elle 
est  en  même  temps  si  transparente , qu’elle  ne 


DANS  lEJj  DEUX  8ICIEES.  141 
le  cède  pas  au  cristal  le  plus  pur.  Dans  presque 
toute  son  étendue  , ni  la  main  armée  du  scalpel 
anatomique , ni  l’œil  aidé  de  la  loupe,  ne  peuvent 
y découvrir  ces  vaisseaux,  ces  fibres,  et  autres 
parties  qui  se  manifestent  dans  la  plupart  des 
animaux.  Elle  a l’aspect  d’une  gelée  très-simple 
et  très-homogène  5 seulement  au  sommet  de  sa 
concavité , on  apperçoit  comme  quatre  petits 
écheveaux  de  longs  et  minces  corpuscules  en- 
tortillés en  forme  d’intestins,  adhérens  à un  amas 
confus  de  petits  tubes  de  couleur  argentine , dont 
les  parois  sont  assez  élastiques  pour  conserver 
leur  rotondité  après  avoir  été  coupées  transver- 
salement. Je  me  suis  convaincu,  par  un  examen 
attentif,  qu’ils  ne  conduisent  aucune  liqueur. 
Tant  d’analogie  avec  les  trachées  des  insectes, 
donnerait  à penser  que  ces  petits  tubes  rem- 
plissent les  mêmes  fonctions  5 quoi  qu’il  en  soit, 
je  les  distinguerai  par  l’épithète  de  trachéi- 
formes. 

De  plus,  si  l’on  examine  avec  la  même  atten- 
tion les  limbes  à la  partie  concave  de  Pombelle  , 
on  y reconnaîtra  une  autre  structure  organique, 
consistant  en  un  tissu  musculeux  très-délié  , qui 
part  des  extrémités,  et  s’étend  dans  l’espace  d’un 
demi -pouce,  quelquefois  d’un  pouce  entier, 
suivant  la  grandeur  de  l’animal.  Par-tout  où  ce 


VOYAGES 


î42 

tissu  existe  , la  transparence  de  l’ombelle  en  est 
un  peu  obscurcie* 

Parlons  maintenant  des  tentacules , et  com- 
mençons par  les  plus  gros  , qui  sont  au  nombre 
de  quatre.  Leur  partie  inférieure  s’avance  hors 
des  limbes  de  l’ombelle  , tandis  que  leur  partie 
supérieure  s’attache  à son  sommet , en  prenant 
par  le  milieu  de  l’ouverture  , ou  , comme  nous 
l’avons  appelée , de  la  bouche  de  l’animal.  Chaque 
tentacule  est  marquée  d’un  léger  sillon  longi- 
tudinal , terminé  par,  deux  appendices  membra- 
neuses que  baigne  une  humeur  gluante.  En  exa- 
minant de  près  ces  tentacules  , on  voit  qu’ils  sont 
composés  de  petits  cordons  musculeux  placés 
longitudinalement,  et  étroitement  unis.  Ce  fais- 
ceau de  cordons  renferme  dans  son  centre  un 
petit  canal  qui  , de  bas  en  haut , parcourt  toute 
la  longueur  du  tentacule.  On  apperçoit  ce  canal 
au  travers  , et  on  y découvre  des  molécules  glo- 
buleuses que  l’on  peut  mettre  en  mouvement  en 
pressant  du  doigt  le  tentacule  , ou  les  en  faire 
sortir , si  l’on  veut , en  le  coupant  transversa- 
lement. 

Les  huit  autres  tentacules  latéraux  sont  beau- 
coup plus  déliés  et  plus  longs  3 ils  paraissent , 
comme  les  premiers  , composés  de  parties  mus- 
culeuses , et  sont  percés  au  centre  dans  toute 


1)  A US  S LES  DEUX  SICILE  S.  l/fî 
leur  longueur.  Ainsi  ces  appendices  de  l’ombelle, 
tant  grosses  que  petites  , peuvent  être  considé- 
rées comme  des  vaisseaux  ou  canaux , quoiqu’elles 
soient  destinées  à d’autres  usages  que  j’indique- 
rai plus  bas.  Au  reste,  je  dois  prévenir  que  les 
recherches  les  plus  exactes  ? et  le  secours  des 
meilleurs  microscopes,  m’ont  été  inutiles  pour 
découvrir  une  circulation,  un  simple  mouvement 
de  liquides  dans  les  méduses  que  je  décris  : leur 
corps,  leurs  tentacules  sont  d’un  blanc  bleuâtre, 
transparent,  sans  mélange  d’autres  couleurs. 

Si  l’on  en  prend  une  dans  la  main  , elle  ne  se 
dissout  pas  subitement  3 elle  oppose  même  une 
légère  résistance  à la  pression.  Ce  n’est  qu’au 
bout  de  quelques  minutes  qu’elle  commence  et 
continue  à donner  de  l’eau.  Cette  effusion  n’est 
point  occasionnée  par  la  chaleur  ou  la  pression 
de  la  main  3 tout  au  plus  cette  dernière  cause 
Taccélère.  Si  on  place  l’animal  sur  une  table  , 
ou  sur  tout  autre  corps , il  ne  tarde  pas  à se 
fondre  goutte  à goutte  ? et  finit  par  se  convertir 
presque  tout  entier  en  une  liqueur  transparente, 
ce  qui  arrive  au  bout  d’un  jour  et  demi , ou  deux 
au  plus. 

Une  de  ces  méduses  pesait  cinquante  onces  5 
ayant  tenu  un  compte  exact  de  sa  réduction  en 
liqueur  , je  trouvai  que  le  poids  en  était  appro- 


I 


*44  VOYAGES 

chant  égal.  Ce  que  l’évaporation  avait  proba- 
blement enlevé  pendant  la  dissolution  de  l’ani- 
mal , et  ses  dépouilles , qui  consistaient  en  de 
minces  et  arides  pellicules  pesant  cinq  à six 
grains , pouvaient  passer  pour  le  déficit. 

Cette  liqueur  a le  goût  salé  de  l’eau  marine  5 
évaporée  à siccité , elle  laisse  au  fond  du  vase 
une  quantité  de  muriate  de  soude  presqu’égaîe 
à celle  que  fournirait  un  pareil  volume  d’eau 
de  mer. 

La  saveur  salée  de  c es  méduses  se  sent  en 
les  touchant  avec  la  langue , soit  pendant  leur 
dissolution  , soit  après  qu’elles  sont  récemment 
tirées  hors  de  la  mer  et  lavées  dans  l’eau  douce, 
pourvu  que  l’attouchement  ait  lieu  sur  une  cou- 
pure. Il  est  donc  évident  que  l’eau  marine  pé- 
nètre le  tissu  organique  de  ces  animaux,  et  cons- 
titue la  plus  grande  partie  de  leur  volume.  Ce 
fait  me  paraît  d’autant  plus  remarquable,  que 
de  tous  les  mollusques  marins  que  j’ai  examinés, 
ceux  - ci  sont  les  seuls  qui  m’en  aient  donné 
l’exemple. 

Je  dois  ajouter  que  leur  dissolution  s’opère, 
non-seulement  en  les  tenant  au  sec,  mais  encore 
dans  de  petits  vases  pleins  d’eau  de  mer,  lors- 
qu'on ne  la  renouvelle  pas  souvent.  La  cause 

est 


BANS  LES  BEUX  SICILE  S.  1 4^ 

est  la  même  pour  les  deux  cas  : ces  animaux 

se  trouvant  placés  hors  de  leur  état  naturel  , ils 

éprouvent  une  lésion  dans  leurs  parties  solides  5 

ces  parties  se  rompent , et  donnent  passage  aux 

liquides  qu’elles  renfermaient.  Ainsi  , bien  que 

leur  corps  ne  nous  offre,  dans  presque  toute  son 

étendue,  aucune  trace  apparente  d’organisation, 

elle  n’y  existe  pas  moins  3 ce  sera,  si  l’on  veut, 

une  substance  spongieuse  propre  à attirer  et  à 

retenir  l’eau  de  la  mer,  invisible  à cause  de  sa 

transparence  , et  de  l’extrême  finesse  de  son 

tissu. 

% 

Telle  est  la  forme  et  la  structure  de  nos  mé- 
duses 3 je  vais  décrire  maintenant  le  principal 
attribut  qui  les  caractérise  pour  de  véritables 
animaux,  je  veux  dire  leurs  mouvemens  natu- 
rels. Ces  mouvemens  ne  diffèrent  point  de  ceux 
des  méduses  non  phospboriques  5 ils  consistent  en 
une  contraction  et  une  dilatation  presque  con- 
tinuelles de  l’ombelle.  Si  , penché  sur  le  bord 
d’un  bateau  quand  la  mer  est  tranquille,  vous 
considérez  attentivement  une  méduse  qui  nage, 
vous  verrez  la  convexité  de  son  ombelle  se  por- 
ter dans  une  direction  oblique  au  niveau  de  la 
mer,  et  les  limbes  occuper  le  lieu  postérieur  3 
ensuite  ceux-ci,  au  bout  de  cinq  ou  six  secondes, 
se  contracter  subitement  , et  l’instant  d’après 

Tome  IJ ryr.  K 


146  VOYAGES 

s’alonger.  A la  première  contraction  ou  systole , 
la  méduse  se  tenant  constamment  plongée  dans 
Feau  , celle  qui  remplit  sa  concavité , poussée 
en  avant  par  ce  mouvement  , frappe  les  parois 
internes  de  l’ombelle  , et  l’animal  fait  un  pas  $ 
une  seconde  systole  succède  , produit  un  nou- 
veau choc  de  l’eau  , et  l’animal  fait  un  second 
pas.  La  systole  étant  toujours  suivie  de  la  dias- 
tole, l’animal  change  ainsi  de  place  , et  chemine 
lentement.  Pendant  ce  temps-là , les  tentacules 
débordent  la  circonférence  de  l’ombelle,  étendus 
en  long  et  réunis  ensemble.  Ce  mouvement  al- 
ternatif, que  j’appellerai  oscillation  , est  néces- 
saire à la  méduse  pour  nager,  et  se  transporter 
d’un  lieu  dans  un  autre  5 autrement' elle  irait 
au  fond , étant  spécifiquement  plus  pesante  que 
Feau  marine. 

J’ai  eu  la  preuve  de  cê  dernier  fait  dans  le 
canal  de  Messine  5 je  Fai  de  plus  vérifié  dans 
des  vases  remplis  d’eau  marine  où  j’avais  renfermé 
plusieurs  méduses , et  cette  expérience  m’a  ins- 
truit de  certaines  circonstances  relatives  à leur 
oscillation  , que  je  n’aurais  pu  saisir  en  ne  faisant 
que  les  observer  dans  leur  demeure  natale.  Par 
exemple  , j’ai  mesuré  , pendant  la  systole  , le 
raccourcissement  de  la  périphérie  de  l’ombelle  , 
qui  approche  de  celle  du  cercle  , il  était  de 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  I47 
deux,  trois  ou  quatre  lignes  au  plus.  Je  me  suis 
apperçu  que  l’oscillation  résidait  seulement  dans 
l’ombelle  , qu’elle  était  tout-à  fait  indépendante 
de  la  bourse  et  des  tentacules  grands  et  petits, 
puisqu’après  avoir  coupé  et  retranché  toutes  ces 
parties  , elle  n’en  continuait  ni  plus  ni  moins. 
Quoiqu’elle  se  manifestât  par  toute  l’étendue  de 
l’ombeile,  j’ai  encore  observé  qu’une  bonne  par- 
tie de  cette  ombelle  se  mouvait  comme  par  ac- 
quiescement. 

Les  expériences  suivantes  ne  m’ont  laissé  aucun 
doute  à cet  égard.  Par  une  section  transversale 
et  parallèle  aux  limbes,  j’enlevais,  vers  les  parties 
supérieures  , un  morceau  circulaire  d’ombelle 
du  diamètre  d’un  pouce  : ce  morceau  n’oscillait 
plus , et  était  insensible  à toute  espèce  de  sti- 
mulant 5 au  contraire  l'oscillation  se  montrait 
toujours,  et  continuait  long-temps  dans  le  reste 
de  l’ombelle.  Ce  reste,  je  le  diminuais  encore, 
en  retranchant  de  la  même  manière  une  nou- 
velle portion  circulaire  : nul  signe  d’oscillation 
dans  cette  portion  enlevée  ; mais  elle  continuait 
dans  la  partie  restante.  A la  fin , en  poursuivant 
ces  retranchemens,  je  suis  parvenu  à découvrir 
le  siège  et  Porigine  du  mouvement  oscillatoire 
dans  les  méduses.  J’ai  parlé  plus  haut  d’un  tissu 
musculeux  et  très-délié  qui , des  bords  de  l’om- 

K a 


VOYAGES 


14B 

belle  , s'avance  et  s'étend  sur  les  parois  internes* 
où  il  occupe  un  espace  déterminé.  Vu  à la  loupe, 
il  paraît  composé  d’un  nombre  innombrable  de 
petites  fibres  charnues , disposées  transversale- 
ment, parallèles  entr’elles,  et  intimement  adhé- 
rentes à la  substance  gélatineuse  de  l’ombelle. 
Tout  le  jeu  de  l’oscillation  dépend  de  l’action 
de  ces  fibres  transversales.  Chaque  fois  qu’elles 
s’accourcissent , la  portion  de  l’ombelle  à laquelle 
elles  sont  attachées  est  forcée  de  se  contracter, 
ce  qui  ne  peut  avoir  lieu  sans  que  le  reste  ne 
subisse  la  même  contraction  : voilà  le  mouve- 
ment de  systole.  Celui  de  diastole  naît  ensuite 
de  la  détention  de  ces  mêmes  fibres.  Ainsi,  en 
détachant  de  l’ombelle  une  portion  privée  de 
fibres , il  ne  faut  pas  s’étonner  de  n’y  apperce- 
voir  aucun  mouvement  oscillatoire , tandis  que 
ce  mouvement  continue  à se  manifester  dans  les 
parties  qui  en  sont  pourvues.  Voici  à cet  égard 
les  résultats  de  quelques  autres  expériences. 

, , V 

J’ai  découpé  dans  le  corps  d’une  méduse  un 
anneau  privé  de  fibres  3 je  l’ai  posé  à sec  sur 
une  table  pour  le  mieux  observer  : point  d’os- 
cillation. J’ai  enlevé  un  second  anneau  dont  les 
bords  participaient  au  tissu  musculeux  3 il  a os- 
cillé très -bien  et  pendant  long -temps.  Enfin 
j’ai  placé  sur  la  table  l’anneau  même  où  naissent 


BANS  LES  BEUX  SICILE  S.  l4ç 
et  se  propagent  les  fibres  , et  qui , dans  les  plus 
grandes  méduses,  a plus  d’un  pouce  de  largeur  ; 
c’était  une  chose  curieuse  de  suivre  ses  mouve- 
mens , et  de  voir  combien  il  se  rétrécissait  à 
chaque  systole. 

Il  y a plus  3 j’ai  coupé  transversalement  ce 
dernier  anneau  en  plusieurs  morceaux  3 alors  , 
chacun  en  oscillant  m’a  montré  clairement  le 
jeu  de  ses  fibres.  Je  les  ai  vues  se  raccourcir  su- 
bitement, et  le  morceau  devenir  plus  court  et 
plus  gros  3 un  moment  après  elles  revenaient  à 
leur  première  longueur,  et  le  morceau  rentrait 
dans  son  premier  état.  Je  ne  saurais  mieux  com- 
parer ces  mouveraens  qu’à  ceux  d’un  ver  de 
terre  qui,  pour  ramper,  s’alonge  et  s’amincit , 
puis  se  raccourcit  et  s’enfle. 

J’ai  ensuite  enlevé  avec  des  pincettes  très- 
fines  le  tissu  musculeux,  et  j’ai  vu  cesser  l’osciU 
Jation.  Elle  se  perdait  encore , si  Je  coupais  seu- 
lement les  fibres  en  plusieurs  endroits. 

Il  suit  de  ces  expériences,  i°.  que  le  siège 
de  l’oscillation  est  dans  le  tissu  musculeux  5 20.  que 
la  partie  gélatineuse  de  l’ombelle  oscille  par  la 
communication  immédiate  qu’elle  a , dans  ses 
parties  inférieures , avec  ce  tissu  3'  3°.  que  l’os- 
cillation ne  s’affaiblit  point,  encore  que  l’animal 

K 3 


VOYAGES 


soit  tiré  de  son  élément  naturel , et  placé  à sec. 
Dams  cette  positionnes  plus  grosses  méduses  con- 
tinuent d’osciller  pendant  vingt-quatre  heures  , 
malgré  la  dissolution  qu’elles  éprouvent,  et  où 
elles  perdent  les  deux  tiers  de  leur  volume.  Seu- 
lement, vers  la  fin  de  ce  temps,  l’oscillation  de- 
vient faible  , lente , interrompue.  Quand  on  la 
croit  tout-à-fait  éteinte  , souvent  elle  se  réveille 
par  le  frottement , ou  par  des  piqûres  dans  le 
tissu  musculeux  de  l’ombelle.  On  peut  encore 
la  ranimer  én  coupant  par  morceaux  l’anneau 
gélatineux. auquel  est  attaché  ce  tissu  : chaque 
morceau  reprend  alors  pour  quelque  temps  son 
mouvement  oscillatoire.  En  un  mot,  l’oscillation 
ne  disparaît  entièrement,  sinon  quand  l’agréga- 
tion  des  fibres  transversales  se  dessèche  ou  se 
corrompt , par  manque  ou  par  excès  d’humidité. 

Une  si  grande  persistance  de  mouvement  dans 
les  méduses  mourantes  et  dans  celles  qui  sont 
coupées  par  morceaux , devrait  passer  pour  une 
preuve  incontestable  que  ce  mouvement  est  in- 
dépendant de  la  volonté  de  l’animal , comme 
celui  du  cœur  d’une  grenouille,  d’une  tortue, 
d’un  serpent , qui  continue  après  que  ce  viscère 
a été  arraché  du  corps  de  ces  amphibies  5 ce- 
pendant je  n’oserais  l’assurer.  J’ai  examiné  plu- 
sieurs fois  la  natation  des  méduses  dans  les  hauts- 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  l5l 
fonds  du  canal  de  Messine;  j’en  ai  vu  qui  , après 
s’être  soutenues  quelque  temps  à fleur  d’eau , 
au  moyen  du  jeu  de  leurs  fibres  , cessaient 
d’osciller,  se  laissaient  aller  doucement  au  fond 
de  la  mer,  entraînées  par  leur  propre  poids  , et 
y restaient  immobiles  peridant  plus  d’une  demi- 
heure;  ensuite  elles  reprenaient  leur  mouvement, 
montaient  peu  à peu,  et  se  rendaient  à la  surface 
de  l’eau.  Telles  autres,  par  les  mêmes  moyens r 
se  contentaient  de  descendre  jusqu’à  une  cer- 
taine profondeur , et  puis  remontaient.  La  sup- 
pression et  le  retour  du  mouvement  dans  ces 
circonstances , ne  semblent-ils  pas  au  contraire 
dépendre  de  la  volonté  de  l’animal  ? Je  laisse  au 
lecteur  la  décision  de  cette  question. 

Je  dois  lui  rendre  compte  d’un  mouvement 
d’une  autre  nature  qui  a lieu  dans  tes  grands  ten- 
tacules, et  dans  les  corpuscules  en  forme  d’in- 
testins que  j’ai  décrits  ci-dessus.  A l’égard  des 
premiers,  pour  que  l'observation  soit  plus  facile, 
il  faut  les  détacher  du  corps  de  l’animal , en  les 
coupant  tout  proche  de  la  concavité  de  l'ombelle* 
à laquelle  ils  sont  fixés.  Si  dans  cet  état , l’ob~ 
servateur  les  pose  sur  la  paume  de  sa  main  , il 
les  verra  agités  d’un  léger  mouvement  convulsif, 
beaucoup  plus  sensible  dans  les  appendices  mem- 
braneuses , où  il  persiste  même  après  que  ces 

K 4 


l5i  VOYAGES 

dernières  parties  ont  été  séparées  du  tentacule  ; 
niais  cette  convulsion  cesse  bientôt  dans  ces  corps, 
malgré  qu’ils  soient  extraits  des  méduses  les  plus 
vivaces. 

Elle  est  plus  durable  et  plus  forte  dans  les 
corpuscules  en  forme  d’intestins,  qui  forment, 
comme  nous  avons  dit , quatre  amas  situés  au- 
près des  trous  latéraux  de  l’ombelle.  Soit  qu’on 
les  laisse  à leur  place  , soit  qu’on  les  enlève  pour 
les  étendre  sur  une  table  , ou  pour  les  mettre 
dans  l’eau  marine  , ils  présentent  les  mêmes  phé- 
nomènes que  l’on  observe  avec  surprise  dans  les 
intestins  tirés  , par  exemple, du  corps  vivant  d’un 
chien.  On  sait  que  pendant  quelque  temps , ces 
parties  sont  animées  du  mouvement  nommé  pé- 
ristaltique y c’est-à-dire  que  , semblables  aux 
vers,  elles  vont  et  viennent,  tantôt  d’un  côté, 
tantôt  d’un  autre  , par  ondulation.  On  sait  en- 
core qu’après  la  cessation  naturelle  de  ce  mou- 
vement, il  est  possible  de  le  réveiller,  du  moins 
pendant  un  certain  temps  , par  des  stimulans. 
La  même  chose  arrive  dans  les  corpuscules  en 
question  ; et  comme  j’ai  découvert  qu’ils  étaient 
concaves  intérieurement  , et  qu’ils  contenaient 
dans  leur  cavité  une  substance  liquide,  je  n’hé- 
site pas  à les  reconnaître  pour  de  véritables  in- 
testins. De  plus  , la  composition  de  leur  tunique 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  l55 
porte  un  caractère  particulier  5 elle  se  conserve 
entière,  et  persiste  dans  son  mouvement,  quand 
la  dissolution  a presqu’entièrement  consommé  le 
corps  de  l’animal. 

Après  avoir  exposé  l’organisation  et  les  mou- 
veraens  propres  à ces  méduses  , il  me  reste  à 
décrire  le  phénomène  de  leur  phosphorescence, 
qui  est  le  principal  objet  de  cette  discussion. 
Au  déclin  du  jour,  et  quand  la  nuit  commence 
à étendre  ses  voiles,  je  m’amuse  à parcourir  dans 
un  bateau  le  détroit  de  Messine  , allant  terre  à 
terre,  et  cherchant  les  endroits  où  la  mer  est 
en  plein  calme.  J’apperçois  d’abord  sous  les  eaux 
un  principe  de  lumière  qui,  à mesure  que  les 
ténèbres  augmentent,  s’accroît , devient  plus  in- 
tense, et  frappe  les  yeux  à cent  pas  de  distance. 
J’approche  : c’est  une  méduse  semblable  à un 
flambeau  vivant.  Les  brillans  rayons  qu’elle  me 
renvoie  me  permettent  de  discerner  laTorme  de 
son  corps , quoiqu’il  soit  souvent  à trente-cinq 
pieds  sous  l’eau.  Comme  l’animal  se  transporte 
en  oscillant  d’un  lieu  dans  un  autre , cette  lu- 
mière est  errante  et  elle  varie  d’intensité;  elle  est 
plus  forte  dans  le  mouvement  de  contraction  que 
dans  celui  de  dilatation.  Souvent  elle  se  montre 
sans  interruption  pendant  une  demi -heure  et 
davantage;  souvent  elle  s’éteint  subitement,  et  ' 


ne  reparaît  qu’au  bout  d’un  certain  temps.  Cette 
interruption  fait  déjà  soupçonner  que  la  lumière 
des  méduses  dépend  de  leur  oscillation  qu’elles 
ont  la  faculté  de  suspendre  , semblable  au  phos- 
phore des  mouches  luisantes  terrestres  et  ma- 
rines , qui  brille  à chaque  vibration  de  leur 
corps  , et  s’éteint  dans  les  momens  de  repos  ; 
mais  ce  soupçon  n’est  pas  facile  à vérifier  dans 
le  détroit  de  Messine.  Observons  nbs  méduses 
dans  de  grands  vases  pleins  d’eau  marine  , où 
elles  resteront  plusieurs  jours  vivantes , si  nous 
avons  soin  de  renouveler  fréquemment  l’eau  (i). 
Leur  phosphorescence  n’est  point  inférieure  à 
celle  qu’elles  manifestent  dans  la  mer.  Tant  que 
leur  oscillation  dure , la  lumière  brille  sans  in- 
terruption ; faisons  attention  qu’elle  est  plus  forte 
dans  la.systole  que  dans  la  diastole,  comme  nous 
l’avions  déjà  remarqué.  Mais  le  mouvement  ve- 
nant à s’affaiblir , ou  à se  perdre  par  intervalles, 
la  lumière  diminue  et  s’affaiblit  tellement,  qu’elle 
paraît  entièrement  éteinte. 

J’en  peux  fournir  un  exemple.  Dans  la  chambre 
où  je  couchais  à Messine,  je  tenais  depuis  plu- 


(1)  Il  est  inutile  de  prévenir  que  cette  expérience 
et  les  suivantes  ont  été  faites  dans  Fobscuriîé  de  la  ituit. 
Note  de  l’auteur . 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  l5  n 
sieurs  jours  des  méduses  dans  des  seaux  pleins 
d’eau  de  mer.  Ayant  oublié  de  renouveler  l’eau 
dans  un  de  ces  seaux,  les  méduses  qui  y étaient 
renfermées  pâtirent  beaucoup  , et  n’oscillaient 
plus  quand  je  les  visitai.  C’était  un  soir , peu 
après  le  coucher  du  soleil  ; leur  phosphore  ne 
brillait  plus  , sinon  quand  je  prenais  l’animal  dans 
la  main , et  que  j’excitais  pour  quelque  temps 
son  oscillation.  Occupé  à noter  dans  mon  journal 
les  choses  que  j’avais  observées  pendant  le  jour, 
trois  heures  s’écoulèrent 5 je  renouvelai  ma  visite: 
tout  dans  le  vase  me  parut  complètement  obs- 
cur, malgré  ma  précaution  de  transporter  ailleurs 
la  lampe  qui  éclairait  ma  chambre.  Cependant 
m’étant  levé  avant  le  jour  , je  m’approchai  du 
seau,  et  je  découvris  avec  surprise  que  mes  mé- 
duses mourantes  , et  abandonnées  à un  parfait 
repos , ne  laissaient  pas  de  jeter  une  lumière  , 
pâle  à la  vérité,  mais  très-sensible,  qui  me  frappa 
avant  que  je  fusse  arrivé  jusqu’à  elles. 

Il  était  important  de  répéter  cette  expérience 
sur  d’autres  méduses  , c’est  ce  que  je  fis  avec 
un  égal  succès.  J’ajouterai  qu’elles  ne  cessaient 
de  briller  que  lorsqu’elles  entraient  en  putré- 
faction après  avoir  cessé  de  vivre.  Ainsi,  on  ne 
peut  pas  dire  que  la  phosphorescence  dans  ces 
animaux  agisse  par  intervalles , et  soit  dépéri- 


VOYAGES 


dante  de  leurs  oscillations  5 ces  mouvemens  ne 
font  que  donner  plus  d’éclat , plus  de  vivacité 
à leur  lumière  3 elle  brille  par  elle-même,  et 
se  montre  , quoique  faible,  dans  les  intervalles 
de  repos.  Mais  pour  l’appercevoir  dans  cet  état, 
il  faut  que  les  yeux  soient  purgés  de  toute  image 
étrangère;  et  moi-même  je  ne  parvins  à la  dé- 
couvrir qu’après  un  sommeil  de  plusieurs  heures 
dans  une  chambre  très~obscure.  Cette  leçon  me 
fut  très  utile  pour  les  expériences  qui  me  res- 
taient à faire  sur  la  propriété  phosphorique  de 
ces  animaux. 

Poursuivons.  Au  lieu  de  les  tenir  plongés  dans 
leur  propre  élément,  si  on  les  laisse,  à sec,  la 
lumière  continue  à se  manifester  très-brillante 
tant  que  dure  l’oscillation;  elle  décroît  à mesure 
que  ce  mouvement  diminue,  ce  qui  arrive  éga- 
lement dans  l’eau  ; et  alors  même  , dans  les  in- 
tervalles de  repos,  cette  faible  lueur  frappe  en- 
core les  yeux. 

Mais  voici  un  fait  singulier.  Une  méduse  était 
étendue  depuis  vingt-deux  heures  sur  une  feuille 
de  papier  blanc  ; elle  ne  vivait  plus  , et  déjà  la 
majeure  partie  de  son  corps  était  tombée  en 
dissolution  : toute  trace  lumineuse  avait  disparu. 
Sur  ma  table  était  un  verre  plein  d’eau  de  puits  ; 
sans  trop  y songer,  je  pris  cette  méduse  et  la 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  107 
jetai  dans  le  verre  ; elle  tomba  subitement  au 
fond  3 où  elle  resta  immobile  5 mais  quelle  fut 
ma  surprise  de  la  voir  reprendre  incontinent  sa 
lumière  , et  jeter  une  clarté  assez  grande  pour 
qu’à  sa  faveur  je  pusse  lire  de  gros  caractères! 
L’eau  devint  en  même  temps  très-lumineuse  : 
mon  doigt  plongé  dedans  se  faisait  appercevoir 
très-distinctement.  Pensant  que  la  même  chose 
arriverait  j et  peut-être  avec  plus  de  succès,  si 
je  substituais  l’eau  de  la  mer  à l’eau  douce  , 
j’ôtai  celle-ci  pour  la  remplacer  par  celle-là.  A 
l’instant  toute  lumière  disparut  ; je  restituai  l’eau 
douce , etle  phosphore  brilla  comme  aupara- 
vant. 

Je  ne  trouvai  point  d’explication  à ce  fait;  je 
l’aurais  cru  purement  accidentel , si  je  ne  l’avais 
reproduit  à volonté  dans  les  mêmes  circonstances. 
Un  autre  phénomène  analogue  à celui-  ci , et  dont 
je  ne  sus  pas  mieux  me  rendre  raison , fut  le  sui- 
vant. J’avais  à sec  sur  ma  fenêtre  une  méduse 
morte , qui  depuis  quelque  temps  se  trouvait 
complètement  obscure.  Comme  je  l’observaîs 
dans  les  ténèbres  de  la  nuit,  il  survint  une  pluie 
légère,  et  je  vis,  à ma  grande  surprise  , què 
chaque  goutte  qui  tombait  sur  elle  se  transfor- 
mait à l’instant  en  une  brillante  lumière  , de 
manière  qu’elle  en  fut  bientôt  toute  resplen- 


1 58  VOYAGES 

dissante.  Je  voulus  imiter  cette  pluie  avec  un 
arrosoir  plein  d’eau  marine,  mais  ce  Tut  vaine- 
ment. 

Nous  avons  considéré  jusqu’ici  la  lumière  des 
méduses  telie  qu’elle  s’offre  d’elle-même  5 exa- 
minons maintenant  jusqu’à  quel  point  l’art  est 
capable  de  l’exciter.  Une  commotion  donnée 
aux  parties  du  corps  de  l’animal  est  non- seule- 
ment propre  à l’accroître  , mais  à la  ranimer 
quand  elle  paraît  éteinte.  Je  pêche  une  méduse, 
et  la  place  immédiatement  dans  un  vasej  sa  lu- 
mière phosphorique  conserve  le  même  éclat  5 
je  prends  cette  méduse  entre  mes  doigts  , je 
l’agite  dans  son  vase  , ou  seulement  je  lui  fais 
sentir  le  frottement  de  ma  main  ; aussi-tôt  sa 
lumière  redouble.  Si  en  y séjournant  long-temps 
sa  propriété  phosphorique  s’affaiblit  , je  puis  la 
ranimer  par  une  friction  : le  même  effet  a lieu 
en  tenant  l’animal  au  sec.  Enfin  , quand  toute 
apparence  de  lumière  est  effacée , il  est  encore 
en  mon  pouvoir  de  la  reproduire.  Mais  ces  ac- 
croissemens,  ces  régénérations  phosphoriques  ne 
constituent  qu’un  état  passager  qui  cesse  pres- 
tp’en  même  temps  que  sa  cause,  et  pour  les 
susciter  , il  faut  que  l’animal  conserve  encore 
quelqu’intégrité  dans  ses  parties. 

Soit  qu’on  le  stimule  , soit  qu’on  le  laisse  en 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  1DQ 
repos,  sa  propriété  phosphorique  se  commu- 
nique au  fluide  dans  lequel  il  est  plongé.  L’eau 
douce  est  plus  propre  à la  recevoir  que  l’eau 
salée  : toutes  choses  égales  d’ailleurs , la  clarté 
de  la  première  est  presque  double  de  celle  de 
la  seconde. 

% 

C’est  par  ce  moyen  que  je  créai  divers  phos- 
phores artificiels  pour  tenter  quelques  expé- 
riences. Ayant  versé  dans  un  vase  de  cristal  treize 
onces  d’eau  de  citerne,  j'y  exprimai  deux  grosses 
méduses  récemment  pêchées  dans  la  mer.  L’eau 
devint  trouble  , mais  en  même  temps  si  resplen- 
dissante, qu'elle  éclairait  parfaitement  ma  cham- 
bre. Ce  phosphore  ne  dura  pas  long -temps  ; 
vingt-deux  minutes  s’étaient  à peine  écoulées, 
qu’il  commença  à s’éclipser  5 il  disparut  entière* 
ment  au  bout  d’une  heure  et  demie.  Ici  comme 
dans  le  corps  même  de  l’animal , la  commotion 
servit  à le  ressusciter.  Chaque  fois  que  j’agitais 
l’eau,  soit  avec  un  petit  bâton  , soit  avec  la  main, 
elle  redevenait  brillante;  sa  clarté  cependant  al- 
lait en  s’affaiblissant  à mesure  que  le  temps  s’é- 
coulait. Je  remarquai  toutefois  que  plus  l’agita- 
tion de  l’eau  était  forte , plus  le  phosphorè  ac- 
quérait d’intensité  ; mais  l’efFet  cessait  en  même 
temps  que  sa  cause  , comme  nous  l’avons  dit  à 
l’égard  des  méduses. 


VOYAGES 


i6o 

Le  calorique  est  un  second  stimulant  propre 
à renouveler  la  phosphorescence  de  l’eau  quand 
l’effet  du  premier  est  usé.  J’agitais  vainement 
celle  où  j’avais  exprimé  des  méduses  , elle  ne 
donnait  plus  de  lumière  ; sa  température  appro- 
chait alors  du  vingt-quatrième  degré  du  thermo- 
mètre de  Réaumur  \ je  la  poussai  au  trentième 
degré,  et  beau  reprit  sa  vertu  phosphorique  : un 
peu  plus  de  chaleur  rendit  son  éclat  plust  vif  j 
mais  l’excès  lui  fut  fatal,  et  l’éteignit  entière- 
ment. 

Je  répétai  ces  expériences  avec  d’autres  li- 
queurs : telle  que  l’on  n’aurait  pas  soupçonnée 
propre  à s’imboire  de  la  lumière  des  méduses, 
la  retint  parfaitement , comme  l’urine  humaine 
par  exemple  , qui , .par  l’intensité  et  la  durée 
de  sa  phosphorescence,  ne  se  montra  pas  infé- 
rieure à l’eau  douce.  Mais  aucun  fluide  ne  se 
comporta  mieux  à cet  égard  que  le  lait  : une 
seule  méduse  exprimée  dans  vingt-sept  onces  de 
lait  de  vache  le  rendit  si  resplendissant , qu’à 
trois  pieds  de  distance  , on  pouvait  lire  les  ca- 
ractères d’une  lettre.  La  durée  de  ce  phosphore 
fut  aussi  plus  longue  : au  bout  de  onze  heures, 
il  conservait  encore  quelque  lumière.  Quand  il 
l’eut  entièrement  perdue  , je  la  lui  rendis  en  agi- 
tant la  liqueur.  Ce  moyen  étant  devenu  impuis- 
sant , 


BANS  LES  DEUX  S ICI  LE  S.  l6l 

sant  , je  me  servis  du  calorique  avec  un  égal 
succès. 

Ayant  communiqué  à ce  lait  le  phosphore 
d’une  nouvelle  méduse  , je  le  versai  de  ma  hau- 
teur sur  le  plancher  de  ma  chambre.  Il  forma 
en  l’air  une  espèce  de  petite  cataracte  très- 
blanche,  très-brillante  ; et  en  touchant  le  sol, 
il  créa  subitement  comme  un  lac  de  lumière  qui 
ne  tarda  pas  à s’obscurcir , et  qui  finit  par  s’é- 
teindre totalement  au  bout  de  cinq  minutes. 

Je  plongeai  la  main  dans  du  lait  en  phospho- 
rescence , et  la  retirant  subitement , je  la  vis 
tonte  argentée  ; ce  brillant  se  dissipa  bientôt , 
mais  il  se  reproduisit  momentanément  par  le  frot- 
tement. Cette  lumière  phosphorique  s’attachait 
non-seulement  à la  chair  , mais  au  linge  , ainsi 
que  je  le  remarquai  sur  un  essuie-main  dont  les 
bords  avaient  trempé  dans  la  liqueur.  Il  rede- 
venait lumineux,  soit  en  le  frottant,  soit  en  le 
chauffant. 

Pendant  le  cours  de  ces  expériences  nocturnes, 
j’eus  occasion  de  reconnaître  combien  la  forte 
percussion  de  cette  liqueur  contre  un  obstacle 
très-dur  , est  capable  de  ranimer  en  elle  Je  phos- 
phore éteint.  Ayant  jeté  par  la  fenêtre  du  lait 
qui  ne  produisait  plus  de  lumière , malgré  qu% 
Tome  IF'.  h 


lf)2  VOYAGES 

je  l’agitasse  dans  son  vase  , je  le  vis  à l’instant 
du  choc  contre  le  pavé  de  la  rue  , briller  d’une 
clarté , passagère  à la  vérité,  mais  très-vive. 

Au  reste  , ces  phénomènes  s’offraient  dans 
d’autres  liqueurs  , particulièrement  dans  l’eau 
douce  : le  lait  ne  l’emportait  sur  elle  que  par 
l’éclat  et  la  ténacité  de  son  phosphore. 

Après  avoir  observé  les  diverses  modifications 
de  cette  lumière  -,  il  me  restait  à savoir  si  elle 
s’étendait  dans  tout  le  corps  des  méduses , ou 
seulement  dans  quelques  parties.  Ce  dernier 
examen  , ainsi  que  le  précédent , ne  pouvait 
se  faire  dans  leur  élément  natal.  Outre  qu’en 
nageant , leurs  tentacules  restent  couverts  en 
partie  par  l’ombelle  , le  mouvement  qu’elles  se 
donnent,  et  celui  de  la  mer,  ne  laissent  distin- 
guer en  elles  qu’un  globe  lumineux.  Je  pris  donc 
le  parti  de  les  placer  dans  des  bocaux  de  verre 
emplis  d’eau  marine  , à travers  lesquels  je  dé- 
couvrais leur  corps  tout  entier  quand  il  brillait 
dans  l’obscurité.  Il  me  parut  d’abord  que  la  lu- 
mière était  générale  , mais  plus  vive  dans  les 
grands  tentacules  et  dans  les  bords  de  l’ombelle. 
Ne  sachant  si  elle  existait  par  elle- même , ici 
plus  forte  et  là  plus  faible , j’attendis,  pour  m’en 
assurer,  que  l’oscillation  cessât  par  la  mort  pro- 
chaine de  l’animal.  Nous  avons  dit  comment  sa 


DANS  LES  DE 'U  X. SICILE  S.  l63 
propriété  phosphorique  lui  survit  , et  les  pré- 
cautions qu’il  faut  prendre  pour  l’appercevoir. 
Dans  cet  état  de  repos  absolu  , les  bords  seuls, 
à l’exception  du  reste  de  l’ombelle,  jetaient  une 
faible  lueur;  elle  se  montrait  encore,  mais  moins 
faible,  dans  les  grands  tentacules.  Alors  je  ne 
doutai  plus  que  le  véritable  siège  du  phosphore 
ne  fût  dans  ces  parties  éclairées  : les  expériences 
suivantes  me  prouvèrent  que  je  ne  me  trompais 
pas. 

Que  l’on  fasse  une  section  circulaire  dans  l’om- 
belle d’une  méduse  vivante  , de  manière  que  ses 
limbes  ne  forment  plus  qu’un  anneau  qui  ait  cinq 
à six  lignes  de  largeur  ; que  l’on  passe  le  doigt 
sous  cet  anneau  , il  brillera  à l’instant  dans  la 
partie  touchée.  Si  on  le  coupe  ensuite  en  plusieurs 
morceaux,  chacun  donnera  de  la  lumière  en  le 
touchant,  et  continuera  d’en  donner  pendant  un 
certain  temps.  Au  contraire  , le  reste  de  l’om- 
belle dépouillée  de  ses  tentacules  et  de  ses  lim- 
bes, restera  totalement  obscur,  malgré  tous  les 
stimulans  imaginables. 

On  a vu  plus  haut  que  toute  cette  partie  bril- 
lante qui  forme  l’anneau  , est  revêtue  en  dedans 
d’un  tissu  musculeux  : serait-ce  là  le  générateur, 
ou  du  moins  le  coopérateur  du  phosphore  ? Non  ; 
car  ayant  réussi  à détacher  et  à enlever  ce  tissu, 

L 3 


! 


VOYAGES 


l64 

la  phosphorescence  se  manifesta  comme  aupa- 
ravant.  Mais  cette  lumière  dépend  , comme  on 
va  le  voir , d’une  humeur  un  peu  dense  et  vis- 
queuse qui  baigne  le  fond  de  l’ombelle. 

Il  n’est  point  de  partie  dans  la  méduse  qui  soit 
plus  brillante  què  les  grands  tentacules.  Qu’on 
les  prenne  , soit  réunis , soit  séparés  > entre  le 
pouce  et  l’index  3 que  d’un  bout  à l’autre  on  les 
parcoure  de  ces  deux  doigts  , il  s’engendrera  un 
vif  sillon  de  lumière  dont  la  durée  sera  de  quel- 
ques secondes.  Le  même  phénomène  aura  lieu 
si  on  les  détache  de  l’animal.  On  peut  le  répéter 
à volonté  huit , dix , et  même  douze  fois  , avec 
cette  seule  différence,  que  la  lumière  s’affaiblit 
graduellement.  La  raison  en  est  évidente  : la 
phosphorescence  ayant  son  siège  dans  une  hu- 
meur visqueuse  qui  s’attache  aux  doigts , chaque 
frottement  en  emporte  une  portion  3 l’humeur 
s’épuise  et  la  lumière  s’éteint.  Les  frictions  opè- 
rent de  la  même  manière  sur  les  limbes  , et  sur 
la  bourse  attachée  au  sommet  de  la  concavité 
de  l’ombelle  , qui  sont  imprégnés  , quoique  plus 
faiblement , de  cette  humeur.  Quelques  recher- 
ches que  j’aie  faites  , je  n’ai  pu  découvrir  dans 
ces  mollusques  d’autres  parties  qui  fussent  douées 
de  lumière.  Elles  se  réduisent  à trois  : les  grands 
tentacules  , où  la  phosphorescence  domine  3 les 


PANS  LES  DEUX  SICILES.  lb5 
limbes  de  l’ombelle , où  elle  règne  plus  faible- 
ment ; et  la  bourse , où  son  action  est  encore 
moins  sensible.  Cette  dernière  partie  commu- 
nique , comme  nous  l’avons  dit,  avec  l’ouverture 
de  l’ombelle,  qui  est  peut-être  la  boucbe  de 
l’animal. 

Que  ce  pbospbore  consiste  dans  l’humeur  vis- 
queuse, c’est  de  quoi  les  faits  suivans  ne  permet- 
tent pas  de  douter.  Dans  l’obscurité  de  la  nuit , 
touchez  avec  le  pouce  et  l’index  Tune  ou  l’autre 
des  trois  parties  indiquées,  l’humeur  s’attachera 
à vos  doigts , et  les  fera  briller  d’une  vive  lu- 
mière. Pressez  les  grands  tentacules  dans  votre 
main,  et  ouvrez-la  3 vous  la  trouverez  tout- à-la- 
fois  lumineuse  et  gluante.  Répétez  ce  jeu  3 vous 
verrez  reparaître  le  même  phénomène  tant  qu’il 
restera  quelques  particules  d’humeur  dans  les 
parties  touchées  3 mais  du  moment  qu’elles  en 
seront  tout-à-fait  dépouillées , vous  aurez  beau 
faire,  le  phénomène  ne  se  reproduira  plus.  Pal- 
pez ensuite  le  reste  du  corps  de  l’animal , vos 
doigts  ne  contracteront  aucune  viscosité , et  ne 
brilleront  par  conséquent  d’aucune  lumière.  Ra- 
massez avec  la  lame  d’un  couteau  cette  subs- 
tance visqueuse  , faites-la  tomber  dans  un  verre 
plein  d’eau  ou  de  lait,  remuez  ce  mélange  avec 
une  spatule  , il  deviendra  phosphorique.  Expri- 

L 3 


VOYAGES 


l66 

iriez  dans  les  mêmes  fluides  le  corps  même  de 
l’animal  dépouillé  de  ses  tentacules,  de  ses  limbes 
et  de  sa  bourse  , vous  n’en  obtiendrez  aucun 
effet  semblable.  Mais  pour  que  l’humeur  soit  plei- 
nement douée  de  sa  vertu  phosphorique,  il  faut 
qu’elle  soit  récente  , ou  du  moins  extraite  peu 
après  la  mort  de  la  méduse  , autrement,  n’étant 
plus  capable  de  luire  par  elle-même , elle  peut 
encore  moins  communiquer  de  la  lumière  à des 
corps  étrangers. 

Nous  remarquerons  ici  une  différence  très- 
essentielle  entre  les  méduses  du  détroit  de  Mes- 
sine , et  celles  que  j’ai  eu  occasion  d’observer 
dans  d’autres  mers.  Ces  dernières , soit  pendant 
leur  vie , soit  peu  de  temps  après  leur  mort , 
ne  sont  point  phosphoriques;  elles  ne  le  devien- 
nent que  lorsqu’elles  tombent  en  pourriture  , 
tandis  que  les  premières  produisent  des  effets 
opposés. 

Il  est  donc  constant  que  la  liqueur  qui  s’en- 
gendre de  la  dissolution  de  nos  méduses  est  d’une 
autre  nature  que  celle  qui  produit  le  phosphore. 
La  première  s’étend  et  pénètre  dans  tout  le  corps  | 
la  seconde  a son  siège  dans  trois  de  ses  parties 
seulement. 

Toutefois  joignons  aux  preuves  précédentes 


DANS  LES  DEUX  S I C I L E S.  167 
les  deux  faits  suivans.  Après  avoir  exprimé  des 
grands  tentacules  l’humeur  visqueuse,  leur  phos- 
phorescence cessait  5 mais  ils  n’en  continuaient 
pas  moins  de  se  résoudre  en  liqueur.  De  plus  , 
en  coupant  transversalement  ces  parties  pendant 
la  vie  de  l’animal,  c’est-à-dire,  dans  le  teipps 
qu’elles  jetaient  le  plus  de  lumière,  le  plan  de 
l’incision  restait  dans  l’obscurité  , malgré  l’écou- 
lement très-abondant  du  produit  de  la  dissolu- 
tion : la  surface  seule  des  tentacules  où  réside 
la  substance  phosphorique  paraissait  éclairée. 
Je  n’ai  pu  , faute  de  moyens  , analyser  chimi- 
quement ces  deux  liqueurs  j'mais  elles  se  faisaient 
suffisamment  distinguer  parleur  saveur.La  liqueur 
de  dissolution  , chargée  de  muriate  de  soude  , 
n’incommodait  point  l’organe  du  goût  : la  liqueur 
ph  osphorique  lui  causait  toujours  une  sensation 
douloureuse.  Deux  fois  j’ai  essayé  d’en  goûter 
avec  le  bout  de  la  langue  t et  j’y  ai  ressenti  une 
impression  brûlante  qui  a duré  plus  d’un  jour. 
Il  en  tomba  par  hasard  une  goutte  sur  mon  œil , 
qui  fut  suivie  d’une  douleur  très-cuisante.  Enfin, 
quand  j’avais  touché  pendant  quelque  temps  ces 
animaux , la  peau  même  de  ma  main  en  était 
afFectée. 

Les  méduses  phosphoriques  du  détroit  de  Mes- 
sine ne  sont  pas  les  seules  dont  l’attouchement 

L 4 


VOYAGES 


168 

provoque  ces  sensations  cuisantes;  j’en  ai  trouvé 
dans  le  golfe  de  la  Spezia  qui  , sans  être  lumi- 
neuses , causaient  les  mêmes  effets.  Aristote  et 
Pline  n’avaient  donc  pas  tort  de  donner  le  nom 
d 'orties  à ces  mollusques  , quoique  leur  genre 
comprenne  des  espèces  très-innocentes  , telles 
que  celles  des  cotes  du  Poitou  décrites  par  Réau- 
mur,  et  d’autres  que  j’ai  rencontrées  moi-même 
dans  le  bosphore  de  Thrace. 

Encore  quelques  remarques, et  j’aurai  terminé 
l’histoire  de  mes  méduses.  Je  les  observais  en 
octobre  ; à cette  époque  de  l’année  elles  étaient 
très-abondantes, et  se  plaisaient  particulièrement 
dans  les  eaux  calmes.  Ce  qu’il  y a de  certain  3 
c’est  qu’elles  ne  peuvent  résister  aux  vagues  , 
qui  les  poussent  et  les  laissent  à sec  sur  le  ri- 
vage. A Messine  , on  les  appelle  brorrii  ; les  ha- 
bitans  m’ont  assuré  qu’ils  en  voyaient  en  tout 
temps  dans  leur  canal.  Durant  le  cours  de  mes 
navigations  autour  des  îles  Æoliennes , je  n’ai 
su  en  découvrir  que  deux , et  ce  fut  près  de 
Vulcano.  A Lipari  elles  sont  très-communes;  on 
les  appelle  chandelles  de  mer . 

Une  fois  je  vis  un  petit  poisson  qui  s’était 
pris  à l’humeur  visqueuse  des  tentacules  d’une 
méduse.  Les  pêcheurs  de  l’endroit  m’assurèrent 
que  cela  arrivait  fréquemment.  Ces  appendices 


ï)  A N S LES  DEUX  SICILES.  lGg 
des  méduses  leur  seraient -elles  données,  non- 
seulement  pour  répandre  de  la  lumière  , mais 
pour  leur  servir  comme  de  gluau  pour  attra- 
per les  petits  êtres  vivans  dont  elles  font  leur 
nourriture  ? Pline  le  pensait  ainsi  : son  opinion 
n’était  pas  dépourvue  de  fondement. 

Je  suis  porté  à croire  que  ces  animaux  sont 
habiles  à se  propager  sans  le  concours  d’un  autre 
individu  de  leur  espèce , et  je  tire  cette  conjec- 
ture, non  de  ce  que  je  n’en  ai  jamais  rencontré 
deux  accouplés  ensemble , mais  de  ce  que  j’ai 
constamment  observé  en  eux  une  parfaite  simi- 
litude d’organes.  L’extrême  transparence  de  leur 
corps  m’en  laissait  découvrir  tout  l’intérieur.  J’ai 
souvent  cherché  à reconnaître  s’ils  étaient  ovi- 
pares ou  vivipares  , sans  parvenir  à éclaircir  mes 
doutes  ; j’ai  apperçu  seulement  dans  l’ombelle 
des  grandes  méduses,  à peu  de  distance  des  tubes 
trachéïformes , comme  un  amas  de  petites  boules 
qui  n’existaient  point  dans  les  jeunes  méduses  5 
plus  leur  ombelle  acquérait  de  grosseur,  plus 
ces  petits  corps  sphériques  devenaient  apparensj 
d’où  j’ai  présumé  que  ce  pouvait  être  des  œufs  5 
mais  le  temps  ne  m’a  pas  permis  de  donner  des 
suites  à cette  observation. 

On  pourrait  caractériser  ainsi  cette  nouvelle 
espèce  de  méduse  : Médusa  phospkorea , orbi - 


VOYAGES 


IJO 

cularis  , convexiuscula  , margine  fimbriato  3 
subtus  quinque  cavitatibus  9 tentaculis  quatuor 
crassioribus  centralibus , octo  tenuioribus  la - 
teralibus  longioribus . 

Je  terminerai  ce  chapitre  en  faisant  mention 
d’autres  petits  animaux  phosphoriques  des  mêmes 
parages  , à qui  on  a donné  le  nom  de  mouches 
marines  luisantes . Vianelli  de  Chiozza  a été  le 
premier  à les  faire  connaître , en  prouvant  que 
les  lumières  errantes  qui  brillent  pendant  les  nuits 
obscures  à la  surface  de  la  mer  dans  la  lagune 
de  Venise , sur-tout  quand  elle  est  sillonnée  par 
les  gondoles , ou  frappée  par  les  rames , pro- 
viennent de  ces  petites  mouches  très-multipliées 
en  cet  endroit.  Ce  n’est  pas  cependant  la  seule 
partie  de  la  Méditerranée  où  elles  soient  répan- 
dues : j’en  ai  découvert  dans  la  rivière  de  Gênes 
cinq  nouvelles  espèces  , que  j’ai  décrites  dans 
les  Mémoires  de  la  Société  italienne  , tome  II  , 
page  2. 

Cês  phosphores  vivans  ne  m’ont  point  apparu 
dans  la  mer  qui  baigne  les  îles  de  Lipari  5 mais 
je  les  ai  retrouvés  sur  les  côtes  de  la  Sicile  , dans 
les  hauts-fonds  tapissés  d’algues.  Ces  plantes , 
dans  les  ténèbres  de  la  nuit,  semblaient  étinceler, 
sur-tout  en  les  agitant  avec  le  bout  d’une  rame. 
J’en  saisis  plusieurs  touffes,  et  je  découvris  que 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  171 

la  cause  du  phénomène  résidait  dans  une  multi- 
tude de  ces  mouches  qui  étaient  attachées  à l’al- 
gue. Pour  les  examiner  à mon  aise  , je  mis  mon 
paquet  d’herbe  dans  un  vase  plein  d’eau  de  mer 
que  j’emportai  avec  moi  à Messine.  M’étant  ren- 
fermé dans  une  chambre  obscure  , je  parvins  à 
les  détacher  de  la  feuille  d’algue  , soit  en  les 
saisissant  doucement  avec  la  pointe  des  doigts , 
guidé  par  la  lumière  qu’elles  renvoyaient  , et  qui 
m’indiquait  l’endroit  précis  où  elles  étaient  fixées, 
soit  en  secouant  la  plante  dans  l’eau,  après  avoir 
mis  un  linge  au  fond  du  vase.  Elles  y tombaient 
parce  qu’elles  étaient  spécifiquement  plus  pe- 
santes , et  le  linge  qui  les  avait  reçues  parais- 
sait tout  couvert  de  points  brillans.  Alors  il  me 
fut  facile  de  les  observer  avec  une  loupe , et  j’y 
distinguai  deux  espèces  différentes.  Comme  ces 
deux  espèces  se  rapportent  à celles  que  j’ai  ren- 
contrées en  allant  à Constantinople,  je  me  réserve 
de  les  décrire  dans  la  relation  que  je  publierai 
incessamment  de  ce  dernier  voyage.  En  atten- 
dant, on  saura  que  ces  petites  mouches  phos- 
phoriques  dont  l’existence  a été  ignorée  si  long- 
temps , quoiqu’elles  se  montrassent  à tous  les 
yeux,  n’habitent  pas  seulement  la  lagune  de  Ve- 
nise , mais  encore  la  mer  de  Sicile  et  de  l’Archipel , 
celle  de  Marmara , le  détroit  de  Constantinople 
et  la  mer  Noire, 


VOYAGES 


CHAPITRE  XXVIII. 

ulres  mollusques  découverts  dans  le  détroit 
de  JSlessine . 

îi  a mer  de  Messine  m’avait  offert  une  recréa- 
tion aussi  amusante  qu’instructive  , dans  le  spec- 
tacle de  ses  méduses  phosphoriques  jouant  à la 
surface  de  ses  eaux.  Les  divers  animaux  qu’elle 
recèle  dans  son  sein  n’étaient  ni  moins  curieux , 
ni  moins  intéressans  à connaître.  Je  parvins  , au 
moyen  des  filets  qui  servent  à la  pêche  du  corail, 
à me  procurer  ceux  dont  je  vais  donner  la  des- 
cription. 

I.  Nouvelle  espèce  d’ascidie  dont  le  genre 
est  ainsi  défini  par  Linné  : Corpus  fiscum  y te - 
retiusculum  > vaginans.  ud perturœ  binœ  ad 
summitatem  : altéra  humiliore . 

Sa  forme  et  ses  dimensions  naturelles  sont  re- 
présentées dans  la  planche  VII  , fig.  i.  Deux 
autres  petits  animaux  de  son  espèce  (BC),  dont 
nous  ferons  abstraction  pour  le  moment,  sont 
attachés  à son  corps. 

Cette  ascidie  n’est  point  errante  dans  la  mer$ 
on  la  trouve  toujours  enracinée  par  son  extrémité 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  175 
inférieure  aux  rochers,  aux  pierres  , ou  à d’au- 
tres matières  solides  ( fig.  1 , G ).  Son  extrémité 
supérieure  se  partage  en  deux  becs  obtus  et  sail- 
lans , l’un  plus  gros  et  plus  élevé , l’autre  plus 
petit  et  plus  bas.  Ces  deux  becs  ont  à leur  centre 
une  ouverture  qui  se  ferme  quand  l’animal  est 
tiré  hors  de  l’eau  ; qufs’ouvre  peu  à peu , et  reste 
en  cet  état  quand  on  le  plonge  dans  un  verre 
plein  d’eau  de  mer , et  que  le  fluide  agité  par 
l’immersion  a repris  son  assiette  (fig.  2,  M N J. 
L’ouverture  supérieure  se  montre  plus  grande  que 
l’inférieure  3 la  première  représente  une  étoile  à 
huit  rayons,  la  seconde  une  étoile  à sept  rayons. 
Si  Ton  donne  une  commotion  au  vase , l’animal 
ferme  à-la- fois  ses  deux  ouvertures  avec  moins 
de  lenteur  qu’il  n’en  met  à les  ouvrir. 

Il  est  des  mollusques  de  mer,  tels  que  certaines 
olotures , qui , pris  simplement  dans  la  main  , 
lancent  comme  un  jet , l’eau  qu’ils  avaient  en- 
gloutie. L’ascidie  dont  il  est  ici  question  la  re- 
çoit également  par  ses  ouvertures  5 elle  s’en  sa- 
ture en  quelque  façon  , mais  ne  s’en  dessaisit  pas 
si  l’on  se  contente  de  la  manier  légèrement  : il 
faut  la  comprimer  5 alors  son  eau  s’échappe  et 
jaillit  en  l’air.  Quand  elle  est  entièrement  vide, 
elle  paraît  ridée  et  flétrie  ; mais  il  suffit  de  lui 
redonner  de  l’eau  pour  qu’elle  rouvre  ses  orifices. 


VOYAGES 


174 

en  remplisse  son  corps  , et  devienne  aussi  ronde 
qu’auparavant. 

Dans  les  diverses  études  que  j’ai  faites  des 
productions  organiques  de  la  mer  , j’ai  connu 
par  expérience  de  petits  animaux  qui , en  absor- 
bant l’eau  par  la  bouche  , excitaient  dans  ce 
fluide  une  espèce  de  tourbillon.  Mon  ascidie  n’a 
pas  ce  pouvoir  : l’eau  y entre  presqu’insensible- 
ment,  en  occupant  peu  à peu  son  vide  intérieur. 
Il  est  facile  de  suivre  des  yeux  ses  progrès  avec 
la  plus  grande  précision , en  la  teignant  de  co- 
chenille 5 car  l’animal  peut , sans  incommodité 
apparente  , vivre  pendant  plusieurs  heures  dans 
cette  teinture.  On  voit  alors,  sur-tout  avec  le 
secours  d’une  loupe  , les  atomes  rouges  de  la  co- 
chenille pénétrer  lentement  avec  l’eau  dans  les 
deux  orifices  , et  remplir  le  vide  de  l’animal  , 
sans  qu’il  s’engendre  dans  le  fluide  coloré  aucun 
tournoiement.  Au  bout  de  quelque  temps  , le 
mouvement  lent  des  atomes  s’arrête,  c’est-à- 
dire  , quand  la  cavité  intérieure  est  occupée  par 
le  fluide.  On  peut  le  faire  sortir  de  nouveau  du 
corps  de  l’animal  en  le  comprimant  entre  les 
doigts,  et  recommencer,  si  l’on  veut,  l’expé- 
rience. 

Si, après  avoir  vidé  ce  mollusque,  on  le  plonge 
dans  un  vase , en  tenant  un  de  ses  orifices  hprs 


D À N $ L E S D E U X S I C IL  E S.  170 
de  l’eau  , celui  qui  se  trouve  dans  le  fluide  , 
soit  le  supérieur,  soit  l’inférieur  , en  sature  plei- 
nement le  corps  de  l’anirnal , ce  qui  prouve  qu’il 
existe  une  communication  entr’eux.  En  voici 
une  autre  démonstration.  Si , au  moyen  d’un 
petit  tube,  on  fait  entrer  de  l’air  par  l’orifice 
supérieur,  il  sort  par  l’inférieur  , et  réciproque- 
ment 5 de  plus  , si  l’on  en  bouche  un  pendant 
que  l’on  souffle  dans  l’autre  , l’animai  s’enfle 
comme  une  outre , sans  que  l’àir  trouve  d’issue 
ailleurs. 

Au  reste  , il  paraît  certain  que  l’ouverture  su- 
périeure fait  les  fonctions  de  la  bouche,  et  l’in- 
férieure celles  de  l’anus.  J’ai  vu  des  ascidies  se 
décharger , par  cette  dernière  voie  , de  matières 
qui  avaient  toute  l’apparence  d’être  excrémen- 
teu  ses. 

A la  réserve  de  l’action  d’ouvrir  et  de  fermer 
lentement  ses  deux  orifices,  l’espèce  que  nous 
décrivons  ne  manifeste  aucun  mouvement , de 
quelque  manière  que  l’on  s’y  prenne  pour  la 
stimuler  , soit  en  la  piquant,  soit  en  la  coupant 
par  morceaux. 

Les  plus  grandes  ont  à-peu-près  deux  pouces 
de  longueur  sur  un  de  largeur  ; elles  augmentent 
de  volume  à mesure  qu’elles  prennent  de  l’âge  : 


VOYAGES 

j’en  ai  vu  qui  n’avaient  pas  encore  plus  de  deux 
ligues  de  grosseur.  Leur  couleur  est  cendrée  ti- 
rant sur  l’azur  , semi-transparente , et  presque 
semblable  à celle  de  la  calcédoine  vulgaire.  Pour 
l’ordinaire,  elles  ont  la  peau  lisse  à l’extérieur  5 
quelquefois  raboteuse  , à cause  des  petits  lima- 
çons qui  s’attachent  sur  leur  dos  et  sur  leurs 
flancs,  de  manière  qu’une  ascidie  devient  souvent 
le  support  de  plusieurs  êtres  vivans.  En  faisant 
une  incision  longitudinale  à la  peau,  sans  offenser 
les  parties  intérieures  , on  la  trouve  dure , co- 
riace , et  on  s’apperçoit  qu’elle  n’est  autre  chose 
qu’une  gaîne  qui  enveloppe  et  protège  le  corps 
mou  et  tendre  de  l’animal  : on  peut  la  lui  enlever 
sans  lacération  3 car , à l’exception  de  la  région 
des  orifices , où  elle  a quelque  adhésion , par 
tout  le  reste  du  corps  elle  est  presque  libre. 

La  figure  3 représente  cette  peau  coriace 
coupée  longitudinalement,  et  se  tenant  debout 
par  sa  seule  consistance  et  son  élasticité.  La  fi- 
gure 4 expose  le  corps  dépouillé  de  l’animal , 
avec  ses  deux  becs  obtus  et  leurs  ouvertures 
radiées. 

Dans  cet  état,  il  paraît  presque  gélatineux 3 
plongé  dans  l’eau,  il  ouvre  comme  auparavant 
ses  deux  orifices  3 et  s’il  est  vide  , il  se  remplit 
comme  à l’ordinaire  de  ce  fluide.  Sa  couleur  est 

d’un 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  177 
d’un  blanc  délicat , excepté  près  du  grand  orifice  , 
où  elle  est  tachetée  de  points  rouges.  En  l’op- 
posant aux  rayons  du  soleil  , on  y remarque  deux 
ordres  de  filets  très-nombreux,  les  uns  placés 
longitudinalement,  les  autres  par  le  travers.  Pour 
rendre  ces  deux  ordres  très- distincts  , il  suffit  de 
mettre  l’animal  dans  l’eau-de-vie  , ou  de  le  gon- 
fler outre  mesure  ( fig.  5 ). 

Quand  on  examine  attentivement  ces  filets  , 
on  s’apperçoit  que  ce  sont  autant  de  muscles 
qui  laissent  entr’eux  de  petits  espaces  quadran- 
gulaires , et  sont  destinés  par  la  nature  , les  lon- 
gitudinaux à raccourcir  par  leur  action  la  lon- 
gueur du  corps  , les  transversaux  à opérer  le 
même  effet  sur  la  largeur.  Ce  double  mouvement, 
quoique  très-léger,  est  visible  dans  le  corps  dé- 
pouillé de  sa  peau  : il  ne  l’est  plus  quand  il  en 
est  revêtu.  Les  muscles  tournent  autour  des  deux 
orifices  , et  cela  pour  les  fermer  à la  volonté  de 
l’animal.  La  figure  5 exprime  ce  tissu  muscu- 
leux i on  y voit  en  outre  plusieurs  lignes  noires 
avec  des  directions  irrégulières  , qui  s’entre- 
coupent , et  forment  des  anastomoses  comme  les 
rameaux  de  Yisis  noble  ; ces  lignes  représentent 
de  petits  faisceaux  très-déliés  qui  s’entrelacent 
dans  les  muscles,  et  dont  je  n’ai  pu  découvrir 
l’usage. 

Tome  Ifrf  M 


VOYAGES 


î78 

L’animal  étant  nu  , si  on  lui  ôte  son  eau  pour 
la  remplacer  avec  de  l’air , on  découvrira  dans 
son  intérieur  un  canal  dont  le  fond  est  en  forme 
de  poire  ; il  correspond  à la  partie  inférieure  du 
corps  , s’élève  en  s’amincissant , fait  deux  cour- 
bures sur  lui-même,  et  va  aboutir  au  petit  ori- 
fice F G H (fig.  6). 

En  comprimant  légèrement  ce  canal,  soit  à 
sa  base , soit  dans  ses  parties  du  milieu , on  en 
fait  sortir  , par  l’orifice  où  il  aboutit,  une  abon- 
dance de  matière  grenue  qui , vue  au  microscope, 
est  comme  un  amas  de  petites  vessies  dont  cha- 
cune renferme  un  globule  centrai  de  couleur 
jaune  , l’un  et  l’autre  si  délicats  , qu’au  moindre 
attouchement  ils  se  décomposent  ( fig.  7 ).  A l’ex- 
ception de  ce  canal  et  de  celui  qui  fait  la  com- 
munication entre  les  deux  orifices  , et  encore  du 
double  ordre  de  muscles  enveloppés  de  faisceaux 
irréguliers , tout  le  reste  du  corps  est  composé 
départies  tellement  muqueuses  et  similaires,  que 
je  n’ai  su  y distinguer  aucun  autre  viscère , ou 
organe  caractérisé. 

Mais  que  penser  des  globules  renfermés  dans 
ces  vessies  transparentes  ? sont-ce  les  œufs  ou  les 
fétus  de  l’animal  ? Avant  d’exposer  ce  que  je 
soupçonne  à cet  égard,  je  dois  porter  un  moment 
l’attention  du  lecteur  sur  les  petites  ascidies  que 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  17g 
l’on  trouve  par  fois  attachées  aux  grandes  ï on 
en  voit  deux  dans  cette  situation,  figure  1 et  2. 
L’une , C , adhère  uniquement  à la  grosse  ascidie  3 
l’autre , B , tient  en  partie  à la  concrétion  marine 
dans  laquelle  la  grosse  ascidie  est  enracinée.  Leg 
deux  petites  sont  en  tout  semblables  aux  adultes  3 
elles  ont , comme  ces  dernières,  leurs  vessies  et 
leurs  globules  5 la  seule  différence  est  dans  la 
quantité , qui  est  moindre.  J’en  ai  trouvé  d’aussi 
jeunes  qui  étaient  solitaires  et  fixées  aux  rochers 
sous-marins  5 mais  j’ai  voulu  observer  de  préfé- 
rence celles  qui  naissent  et  se  développent  sur 
le  corps  des  autres  , pour  découvrir  s’il  était  des 
liens  qui  unissent  les  premières  aux  secondes.  J’ai 
reconnu  qu’il  n’existait  aucune  communication 
interne,  et  que  l’adhésion  ne  tenait  qu’à  la  peau. 
Ceci  est  clairement  exposé  dans  la  figure  3 , 
où  l’on  voit  une  peau  évidée  , à laquelle  sont 
restées  attachées  les  deux  petites  ascidies  B,  C * 
qui  n’ont  souffert  nullement  de  cette  opération. 
De  plus,  il  est  possible  de  les  séparer  sans  écor- 
cher leur  peau , ce  qui  prouve  que  si  elles  se 
collent  ensemble , c’est  uniquement  par  le  moyen 
d’un  suc  visqueux  qui  baigne  toujours  ces  ascidies 
dans  leur  premier  âge.  Ce  suc  est  encore  la  cause 
que  d’autres  petits  animaux  étrangers  s’y  at- 
tachent , comme  nous  l’avons  remarqué  plus 
haut. 


M a 


VOYAGES 


i8o 

Cette  observation  démontre  que  la  génération 
de  cette  espèce  d'ascidie  n’a  aucun  rapport  avec 
celle  des  polypes  décrits  par  Tretnbley , hydra 
viridis  ; h . fusca  ; h.  grisea  , Linn.  quoiqu’au 
premier  abord  on  soit  tenté  de  croire  le  contraire  : 
mais  les  petits  polypes  pullulent  sur  les  grands, 
et  leur  corps  est  une  continuation  de  celui  de  leur 
mère.  Cependant  je  ne  serais  pas  éloigné  de  pen- 
ser que  ces  globules  microscopiques  renfermés 
dans  des  vessies,  constituent  les  œufs  ou  les  rudi- 
mens  de  nos  mollusques  ; qu’en  sortant  de  leur 
canal,  ils  restent  attachés  au  corps  de  la  mère  5 
et  que,  dans  cette  situation  , ils  se  développent 
et  croissent, ce  qu’ils  font  également  s’ils  viennent 
à tomber  et  à se  fixer  sur  d’autres  matières  so- 
lides dans  le  fond  de  la  mer.  Au  reste,  ceci  n’est 
qu’une  conjecture , et  je  laisse  à des  physiciens 
plus  heureux  que  moi  le  soin  de  la  vérifier  ou 
de  la  détruire. 

En  comparant  les  diverses  espèces  d’ascidies 
décrites  par  les  naturalistes , je  trouve  que  celle 
qui  a le  plus  de  rapport  avec  la  mienne  est  le 
tethyum  de  Bohadsch , qu’il  a caractérisé  de  la 
manière  suivante  : Tethium  corïaceum , asperum 
coccineum  y organorum  orificiis  setis  exiguis 
munitis  (1)5  et  que  Linnée,  en  le  plaçant  dans 


(1)  De  quibusdam  animalibus  mariais . Dresdæ,  1761. 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  1 B 1 
îe  genre  des  ascidies  , a défini  ainsi  : ^4 scidîa 
scabra  tuberculis  coccineis.  Mais  si  ce  mollusque 
a quelque  ressemblance  avec  le  mien,  il  en  diffère 
par  des  traits  essentiels.  Sans  parler  de  sa  taille 
qui  est  toujours  plus  considérable  , de  sa  couleur 
qui  est  rouge , de  sa  peau  qui  est  raboteuse  et 
grenue  , je  ferai  remarquer  que  son  ouverture 
supérieure  est  en  forme  de  croix,  que  l’inférieure 
est  triangulaire , et  que  les  bords  des  deux  orifices 
sont  garnis  de  petites  soies  : caractères  qui  ne 
se  rencontrent  pas  dans  notre  mollusque. 

On  pourrait  le  définir  de  la  manière  suivante  : 
u4scidia  coriace  a lœvis  subdiafana  ; apertura 
superiore  octogona  ,•  humiliore  eptagona . 

IL  Après  avoir  arraché  le  corail  du  fond  de 
la  mer,  si  on  le  plonge  subitement  dans  un  vase 
plein  d’eau  marine,  on  découvre  souvent  sur  ses 
rameaux  un  petit  animal  qui , par  la  bizarrerie, 
la  singularité  de  sa  forme  , mérite  quelqu’atten- 
tîon.  Il  est  représenté  dans  la  figure  8 un  peu 
au-dessus  de  sa  grandeur  naturelle , pour  le 
rendre  plus  apparent.  Sa  tête  M s’élargit  des 
deux  côtés  ; sa  bouche  est  placée  au-dessous. 
Ses  tentacules  latéraux  sont  au  nombre  de  onze, 
cinq  à gauche  et  six  à droite.  La  privation  d’un 
sixième  tentacule  au  côté  gauche  n est  point 
accidentelle  : sur  treize  individus  que  j’ai  exa- 

M 3 


VOYAGES 


182 

minés  , je  n’en  ai  pas  trouvé  un  seul  autrement 
configuré.  Les  deux  tentacules  antérieurs  H,  I , 
sont  rétractiles  comme  ceux  de  l’escargot  5 l’ani- 
mal peut  les  retirer  dans  les  deux  étuis  X , Z , et  les 
en  faire  sortir  à volonté  ; quant  aux  neuf  autres  jls 
gardent  toujours  la  même  position  où  on  les  voit 
représentés,  soit  que  l’animal  se  meuve,  soit  qu’il 
t'este  en  repos.  De  ces  derniers , il  y en  a sept 
terminés  par  trois  dents,  qui  sont  O , R,  T,  V, 
L , Q , S ; et  deux  terminés  par  quatre  dents,  P, 
N.  La  pointe  Y , forme  l’extrémité  inférieure  de 
l’animal.  Quand  on  le  tire  de  l’eau , on  le  trouve 
revêtu  d’une  humeur  visqueuse  qui  s’attache  aux 
doigts  , et  s’alonge  en  petits  fils  comme  celle 
qui  enveloppe  l’escargot.  Son  corps  est  assez 
charnu,  d’un  gris  cendré  tirant  sur  le  jaune,  et 
marqué  tout  le  long  du  dos  par  une  bandelette 
de  couleur  plus  claire  où  l’on  apperçoit  un  mou- 
vement régulier  de  contraction  et  de  dilatation. 
J’ai  pensé  que  c’était-là  le  cœur  , ou  quelque 
organe  analogue  , tel  que  celui  qui  se  présente 
au  dos  des  chenilles  et  d’autres  insectes.  Il  ne* 
nage  point,  mais  il  se  traîne  et  rampe  sur  les  ra- 
meaux du  corail  à la  manière  des  vers  terrestres 
et  aquatiques,  s’alongeant  et  se  contractant  tour- 
à-tour.  La  partie  inférieure  de  son  corps , que 
l’on  pourrait  appeler  ses  pieds , a beaucoup  d’a- 
nalogie avec  celle  des  limaçons.  Quoiqu’il  soit 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  1 83 
incapable  de  nager , il  peut,  en  se  gonflant  , venir 
à fleur  d’eau. 

Placé  au  sec,  il  garde  encore  la  vie  quelque 
temps  5 mais  il  meurt  promptement  si  on  le  plonge 
dans  l’eau  douce.  J’ai  éprouvé  que  cette  eau  est 
un  poison  très-actif  pour  la  plupart  des  petits 
animaux  marins , et  qu’elle  peut  même  en  peu 
d’instans  décomposer  leurs  membres. 

J’ai  du  regret  de  laisser  imparfaite  l’histoire 
de  ce  curieux  animal  5 mais  , faute  de  loisir  , je 
n’ai  pu  porter  plus  loin  mes  observations.  Dans 
quel  genre  le  placerons-nous  ? Les  mollusques 
avec  lesquels  il  paraît  avoir  le  plus  d’affinité,  sont 
les  limaçons  et  les  doris 5 cependant  les  caractères 
de  ces  deux  genres  ne  lui  conviennent  point  , 
comme  on  peut  s’en  assurer  en  consultant  Linnée. 
Doit-il  constituer  un  genre  nouveau?  c’est  ce 
que  je  laisse  à décider  aux  naturalistes  plus  versés 
que  moi  dans  ces  matières. 

III.  On  sait  que  les  escares  sont  une  espèce 
de  croûte  mince  , composée  pour  l’ordinaire 
d’une  substance  calcaire,  qui  se  trouve  à la  sur- 
face des  corps  solides  sous-marins  où  elle  est 
comme  enracinée , et  qui  présente  plusieurs  or- 
dres divergens  de  cellules,  au  fond  desquelles 
sont  implantés  de  petits  polypes  munis  de  bras 

M 4 


VOYAGES 


3 84 

filamenteux.  Divers  auteurs  anciens  et  modernes 
en  ont  parlé , et  après  Linnée,  ce  genre  de  zoo- 
phite  a été  augmenté  d’un  grand  nombre  d’es- 
pèces par  Pallas  , qui  ne  les  a observées  pour 
la  plupart  que  dans  leur  état  de  mort , et  ne 
les  a décrites  que  d’après  leurs  dépouilles  con- 
servées dans  divers  cabinets  d’histoire  naturelle; 
mais  la  nature  a tellement  multiplié  et  diversifié 
les  substances  organiques  dans  le  sein  du  vaste 
Océan  , que,  malgré  la  découverte  de  tant  d’es- 
pèces , il  n’est  pas  difficile  d’en  trouver  encore 
de  nouvelles.  Telle  est  peut-être  celle  qui  vé- 
gète sur  les  coraux  , et  autres  corps  sous- marins 
du  détroit  de  Messine  , simple  dans  ses  commen- 
cemens,  se  ramifiant  dans  ses  progrès,  et  s’éten- 
dant jusqu’à  couvrir  de  ses  ramifications  les  corps 
auxquels  elle  s’est  attachée.  La  figure  9 en 
donne  une  représentation  au  microscope  : on  la 
voit  un  peu  plus  que  naissante.  Elle  est  formée 
de  petites  cellules  applaties  et  ovales, d’une  subs- 
tance membraneuse  et  calcaire  ; chacune  pré- 
sente dans  sa  partie  supérieure  une  petite  bouche 
avec  une  saillie  longitudinale  au-dessous.  Je  puis 
. dire  que  j’ai  vu  cette  production  s’engendrer  sous 
mes  yeux,  en  la  tenant  dans  un  vase  rempli  d’eau 
marine  souvent  renouvelée.  D’abord  il  n’existait 
que  le  tronc  A D formé  de  quatre  cellules  A, 
B , C,  D , chacune  logeant  son  polype.  Ce  tronc 


1 85 


DANS  XES  DEUX  SICILE  S. 
crut  dans  une  direction  perpendiculaire,  et  pous- 
sa deux  rameaux  latéraux  ÎX) , E M.  Alors  les 
polypes  des  quatre  cellules  inférieures  périrent 
et  il  en  naquit  six  autres , savoir  deux , S , X , dans 
la  partie  alongée  du  tronc , et  quatre,  I,  L,  Z , V, 
dans  les  deux  rameaux.  J’ai  presque  toujours 
„ observé  que  les  plus  anciennes  cellules  perdent 
leurs  habitans , et  que  * par  une  sorte  de  com- 
pensation, les  nouvelles  en  acquièrent  ; mais  ces 
dernières  ne  les  possèdent  point,  ou  ne  les  ma- 
nifestent pas  incontinent  après  leur  formation. 
Ainsi , dans  le  temps  que  les  six  polypes  en  ques- 
tion apparurent , les  quatre  cellules  supérieures 
O , N , P,  M , n’en  produisaient  point  encore  au- 
dehors. 

Cette  escare  continua  de  pousser  successive- 
ment de  nombreux  rameaux  qui  se  pressèrent 
les  uns  contre  les  autres.  J?ai  cru  inutile  d’en 
donner  la  figure  entière , ce  que  j’en  ai  montré 
suffît  pour  mon  objet.  Elle  s’étendit  en  forme 
de  croûte  très-mince , de  nature  calcaire  , qui , 
éprouvée  par  l’acide  nitrique  délayé  dans  de 
l’eau , se  décomposa  en  peu  d’instans  avec  effer- 
vescence. 

Passons  maintenant  aux  polypes,  qui  en  étaient 
la  partie  la  plus  intéressante.  Je  plaçai  un  mor- 
ceau de  l’escare  dans  un  verre  de  montre  que 


VOYAGES 


iS  G 

Remplis  d’eau  marine.  Cette  eau  étant  parfai- 
tement calme,  je  vis,  au  moyen  de  ma  loupe, 
les  polypes  sortir  des  cellules  en  manière  de  pe- 
tits cylindres,  avec  leurs  bras  déployés  au  som- 
met. La  figure  g montre  six  de  ces  polypes  ; 
chacun  était  muni  d’environ  douze  bras,  qui,  par 
leur  position , représentaient  presqu’une  cloche 
renversée.  Ces  bras,  en  s’agitant  continuellement, 
engendraient  un  mouvement  circulaire  dansl’eau, 
et  ce  mouvement  la  faisait  accourir  dans  le  fond 
de  la  cloche  , où  était  placée  la  bouche  de  l’ani- 
mal. En  recevant  l’eau  , il  'se  rendait  ainsi  maître 
des  corpuscules  qui  y flottaient  , et  il  pouvait 
choisir  les  plus  convenables  à sa  nourriture.  Au 
reste , cet  artifice  est  commun  à une  infinité  de 
petits  animaux  marins  auxquels  la  nature  a re- 
fusé la  liberté  de  changer  de  place , et  qui  vivent 
et  meurent  aux  lieux  où  ils  sont  fixés.  Ne  pouvant 
aller  à la  quête  des  alimens , les  alimens  les  vien- 
nent chercher. 

Quand,  par  accident, il  se  faisait  une  commo- 
tion dans  l’eau  , ou  que  je  l’agitais  à dessein  , 
mes  polypes  , fermant  leurs  bras  , se  retiraient 
incontinent  dans  les  cellules  par  un  petit  trou 
rond  pratiqué  à leur  sommet.  Ils  y restaient  ca- 
chés jusqu’à  ce  que  l’eau  eût  repris  son  état 
de  repos  5 alors  , sortant  de  nouveau  , ils  éten- 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  187 
daîent  leurs  bras  et  recommençaient  leur  jeu. 
Souvent  ils  rentraient  tout- à -coup  dans  leurs 
demeures  sans  qu’aucun  mouvement  parût  trou- 
bler le  calme  de  l’eau.  La  transparence  des  cel- 
lules permettait  de  les  contempler  dans  leur  in- 
térieur 3 le  corps  courbé  en  arc  , et  les  bras 
groupés  ensemble  : leur  couleur  jaunâtre  aidait 
encore  mieux  à les  faire  remarquer.  Je  les  ai 
vus  se  mouvoir  dans  leurs  retraites;  et , quoique 
je  ne  me  sois  point  apperçu  qu’ils  y fussent  fixés 
par  la  partie  inférieure  de  leurs  corps , cependant 
j’ai  soupçonné  une  adhérence  dans  cette  partie  3 
parce  qu’elle  restait  constamment  en  contact 
avec  un  point  de  la  cellule  dans  les  divers  mou- 
vemens  qu’ils  se  donnaient. 

Au  bout  de  quelques  jours  ils  ne  sortirent 
plus  , mais  ils  continuèrent  de  se  mouvoir  dans 
leur  habitation  ; ensuite  ils  cessèrent  de  vivre , 
et  je  pus  encore  observer  leurs  cadavres  à moitié 
consumés.  Pendant  ce  temps-  là , de  nouvelles 
cellules  pullulaient  avec  de  nouveaux  polypes. 
Ceux-ci  parurent  d’abord  immobiles  , bientôt  ils 
s’animèrent , sortirent  de  leurs  cellules  , et  agi- 
tant leurs  bras  , formèrent , comme  leurs  pré- 
décesseurs , de  petits  tourbillons  dans  l’eau. 

A l’inspection  de  la  figure  g , on  s’apperçoit 
que  chaque  nouvelle  cellule  s’attache  à l’ancienn  e 


VOYAGES 


l88 

par  la  partie  voisine  du  trou  qui  sert  d’issue  au 
polype  : je  ne  doute  pas  que  ces  cellules  et  leurs 
hôtes  ne  doivent  leur  origine  à des  germes  ou  ru- 
dimens  provenus  de  vieux  polypes,  quoique ,, par 
leur  petitesse , ces  germes  échappent  à la  vue. 

Voici  comment  je  caractérise  cette  espèce 
d’escare  : j Escara  membranaceo-calcareci  ^ ra - 
mosa  j cellalis  ovatîs  subcompressis 3 facie  una 
porosis  , polypis  retractilibus . 

IV.  La  description  de  l’animal  suivant  confir- 
mera une  découverte  que  je  fis  pour  la  première 
fois  en  1786,  étant  à Constantinople  , et  me  li- 
vrant à l’étude  des  productions  organiques  du 
Bosphore  de  Thrace  ; je  veux  parler  de  la  cir- 
culation des  fluides  dans  certains  polypes , phé- 
nomène qui  s’est  représenté  à mes  yeux  dans  un 
polype  du  détroit  de  Messine.  Ayant  amené  dans 
mes  filets* quelques  feuilles  de  plantes  marines, 
j’en  remarquai  une  qui  portait  sur  ses  bords  une 
sorte  de  duvet.  Curieux  d’examiner  ce  que  ce 
pouvait  être  , j’en  pris  un  morceau , que  je  posai 
incontinent  dans  un  verre  concave  rempli  d’eau 
marine.  Je  m’apperçus  alors  que  ce  duvet  n’était 
autre  chose  qu’un  réceptacle  de  polypes  que  la 
figure  1 o représente  dans  sa  grandeur  naturelle. 

A B est  le  morceau  d’herbe  couronné  de  chaque 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  1 89 
coté  par  une  multitude  de  polypes.  A l’exception 
de  trois  qui  sont  ramifiés  , tous  les  autres  sont 
simples.  Ils  sont  attachés  par  la  jambe  , et  s’élè- 
vent dans  une  direction  perpendiculaire  à l’herbe 
qui  leur  sert  de  support.  Mais  pour  distinguer 
la  forme  et  l’organisation  d’un  si  petit  animal, 
il  faut  le  considérer  au  microscope  ; alors  son 
image  s’ofFre  telle  qu’on  la  voit  dans  la  figure  1 1 . 

Il  paraît  d’abord  que  l’adhésion  C C du  polype 
avec  l’herbe  s’effectue  sans  l’aide  de  racines  ou 
de  barbillons,  et  que  l’animal  y tient  immédia- 
tement par  sa  jambe.  Elle  s’élargit  dans  sa  par- 
tie supérieure  , et  prend  la  forme  d’une  poire  , 
HEM  S : je  donnerai  à cette  partie  le  nom  de 
cloche. 

Au-dessus  de  la  cavité  M E de  cette  cloche , 
s’élève  un  globe  un  peu  applati , dont  le  centre 
est  percé  d’un  petit  trou  N : nous  verrons  plus 
bas  que  ce  trou  est  la  bouche  de  l'animal. 

Sous  le  globe  et  à la  base  de  la  cloche,  s’é- 
tendent ses  bras  terminés  en  pointe.  J’en  ai  comp- 
té quinze  dans  cet  individu 5 mais  le  nombre  n’en 
est  pas  fixé , et  j’ai  vu  d’autres  individus  de  son 
espèce  qui  en  avaient  plus  ou  moins. 

En  donnant  une  secousse  à l’eau,  l’animal  les 
fait  rentrer  dans  la  cloche;  il  y cache  aussi  cette 


VOYAGES 


1€)Q 

partie  de  lui-même  qui  a la  forme  d’un  globe. 
Le  reste  du  corps  et  la  jambe  restent  toujours 
dans  une  parfaite  immobilité. 

Ses  bras  étendus  , tels  qu’on  les  voit  ici , sont 
représentés  dans  un  état  de  repos  et  d’inaction, 
mais  il  les  agite  à volonté  5 comme  l’escare  , il  sait 
au  besoin  produire  dans  l’eau  un  mouvement  cir- 
culaire qui  l’attire  vers  sa  bouche. 

Pour  s’assurer  que  l’orifice  N est  l’organe  qui 
en  fait  les  fonctions , il  suffit  que  l’observateur 
se  place  de  manière  que  son  œil  puisse  le  fixer 
verticalement  de  haut  en  bas.  Dans  cette  situa- 
tion , il  verra  cet  orifice  s’élargir  , se  rétrécir , 
se  fermer,  s’ouvrir,  recevoir  les  atomes  flottans 
apportés  par  le  tourbillon  d’eau  qu’excite  le 
polype , et  ces  alimens  descendre  dans  un  petit 
canal  contigu  avec  la  bouche , et  d’autant  plus 
aisé  à distinguer  que  l’on  aura  eu  soin  de  donner 
à l’eau  une  teinture  légère.  C’est  encore  au  moyen 
de  ces  divers  mouvemens  que  le  globe,  au  som- 
met duquel  est  située  la  bouche , prend  des 
formes  diverses. 

Les  polypes  de  la  figure  10  furent,  non  les 
uniques , mais  les  premiers  qui  me  tombèrent 
sous  la  main  5 j’en  découvris  ensuite  des  multi- 
tudes de  la  même  espèce  sur  d’autres  rameaux 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  igt 
de  fucus.  Les  plus  grands  avalent  quatre  lignes 
de  longueur,  les  plus  petits  une  demi -ligne  5 
et  ces  derniers,  tenus  dans  une  eau  souvent  re- 
nouvelée , ne  tardèrent  pas  d’acquérir  la  gran- 
deur des  premiers.  Leur  couleur  blanche  les  fai- 
sait aisément  distinguer  à l’œil  nu  de  l’herbe  à 
laquelle  ils  étaient  attachés  3 en  les  regardant 
avec  une  loupe,  ils  paraissaient  transparens,  et 
cette  transparence  permettait  de  contempler  la 
circulation  de  leurs  humeurs. 

Le  long  de  la  jambe  C C R S de  chaque  po~ 
tyPe  > on  voit  une  colonne  d’atomes  qui  s’élève 
et  passe  par  l’axe  de  la  cloche.  Je  crus  d’abord 
que  ces  atomes  faisaient  partie  de  l’organisation 
de  l’animal  : point  du  tout  ; ils  étaient,  non  fixes, 
mais  mobiles  , et  destinés  à la  fonction  que  rem- 
plissent les  globules  rouges  du  sang  dans  les  ani- 
maux d’un  ordre  supérieur.  Or  voici  comment 
la  nature  a déterminé  dans  nos  polypes  le  mou- 
vement de  ces  atomes.  Au  bout  de  cinq  ou  six 
minutes , on  les  voit  monter  rapidement  du  fond 
de  la  jambe  C C , et  pénétrer  dans  le  milieu 
longitudinal  de  la  cloche  M C R S.  Cependant 
leur  nombre  diminue  dans  la  jambe  3 ils  se  réu- 
nissent presque  tous  dans  la  cloche  , et  y pro- 
duisent , par  leur  mouvement  général,  une  sorte 
d’ébullition  qui  dure  quelques  secondes;  ensuite 


VOYAGES 


3()S 

ils  descendent  par  le  même  chemin  qu’ils  ont 
pris  en  montant  , et  se  reportent  à l’extrémité 
inférieure  C C de  la  jambe.  Là  , ils  restent  en 
repos  pendant  un  court  intervalle  , et  c’est  en 
les  voyant  dans  cet  état  que  je  les  avais  pris  pour 
une  portion  solide  de  l’animal  ; mais  bientôt , 
animés  deleur  premier  mouvement, ils  remontent 
le  long  de  la  jambe,  se  réunissent  dans  la  cloche, 
y reproduisent  une  ébullition  intestine,  et  redes- 
cendent à la  place  d’où  ils  sont  partis.  Cette  al- 
ternative de  repos  et  d’ascension  est  constante  y 
régulière  5 sans  doute  elle  suppose  l’existence 
d’un  canal  longitudinal , mais  je  n’ai  pu  en  ap- 
psrcevoir  l’orifice  à cause  de  la  transparence  des 
polypes. 

De  tous  ceux  que  j’ai  examinés , je  n’en  ai 
pas  trouvé  un  seul , grand  ou  petit , qui  n’ait 
manifesté  cette  circulation  régulière  , et  telle 
que  je  l’ai  décrite  quand  l’animal  était  plein  de 
vie, mais  plus  ou  moins  altérée  quand  il  sôuffrait  : 
ce  qui  arrivait  toutes  les  fois  qu’il  était  tenu  dans 
une  eau  non  renouvelée.  Alors  le  mouvement 
des  atomes  finissait  au  milieu  de  son  cours  sans 
jamais  se  réveiller , ou  s’il  se  réveillait  après  un 
certain  intervalle  , c’était  avec  peine  et  pour  peu 
de  temps  5 ou  bien  il  conservait  sa  régularité  ? 
mais  ne  procédait  plus  qu’avec  une  extrême  len- 
teur. 


BANS  LES  BEUX  S ICI  LE  S.  lg  5 

teur.  Je  ne  puis  m’empêcher  de  remarquer  ici 
l’accord  qui  règne  entre  ces  phénomènes  , et 
ceux  de  la  circulation  languissante  de  certains 
animaux  de  diverse  température  que  j’ai  observés 
et  décrits  dans  un  autre  ouvrage  (i).  Au  reste  , 
pour  mieux  appercevoir  celle  de  nos  polypes  , 
il  faut  les  regarder  j non  dans  le  sens  de  leur 
longueur  i mais  en  travers  5 autrement  le  canal 
des  alimens  situé  dans  le  premier  sens  3 étant  plus 
ou  moins  embarrassé  de  matières  avalées  par 
l’animal , troublerait  la  vue  des  atomes  cireu- 
lans. 

j’eus  la  curiosité  de  couper  transversalement 
la  jambe  de  plusieurs  de  ces  polypes  , et  d’en 
placer  d’autres,  entiers  et  pleins  de  vie , dans  l’eau 
douce.  Attentif  aux  résultats,  voici  ce  que  j’ob- 
servai : dans  les  premiers,  les  atomes  fluides  qui 
font  l’office  du  sang  ayant  abandonné  leur  mou- 
vement périodique , s’épanchèrent  par  l’incision , 
comme  le  sang  qui  coule  d’une  veine  ouverte; 
dans  les  seconds , la  circulation  s’étant  arrêtée 
tout-à-coup  , les  bras  de  l’animal  devinrent  lan- 
guissans  et  pendans  le  long  de  son  corps , qui 
bientôt  éprouva  une  entière  décomposition. 


(1)  Fenomeni  délia  circolazioné  considerata  nel  giro 
universale  de’  vasL 

Tome  IfT', 


N 


VOYAGES 


194 

J’en  plongeai  quelques-uns  dans  un  vase  d’eau 
marine  échauffée  à trente-huit  degrés,  et  par 
conséquent  d’une  température  bien  supérieure 
à celle  de  la  mer.  Ils  périrent  tous  au  même 
instant  : mais  la  plupart  des  animaux  qui  habitent 
cet  élément  sont  sujets  à y vivre  dans  des  tem- 
pératures inégales  , et  ces  mêmes  polypes  se 
portaient  très-bien  dans  l’eau  des  vases  où  je 
les  tenais , quand  la  chaleur  de  l’atmosphère 
marquait  vingt  et  un  degrés.  Cette  chaleur  était 
sans  contredit  beaucoup  plus  forte  que  celle  des 
fonds  de  mer  où  ils  croissent  et  multiplient. 

Mais  quel  est  le  principe  efficient  de  cette  cir- 
culation ? quelle  force  détermine  les  atomes  à 
se  mouvoir  le  long  de  la  jambe  des  polypes  , à 
se  porter  dans  l’intérieur  de  la  cloche,  et  quelle 
autre  force  contraire  les  en  fait  descendre?  Il 
faut  éloigner  ici  toute  idée  de  cœur , ou  d’or- 
gane analogue , tel  que  serait  la  grande  artère 
de  certains  insectes,  de  certains  vers  , qui  s’étend 
à fleur  de  peau  le  long  de  leur  dos  , et  chasse, 
par  un  mouvement  de  systole  très-sensible  , le 
sang  de  la  partie  postérieure  de  leur  corps  à 
la  partie  antérieure  ; du  moins  je  n’ai  discerné 
rien  de  semblable  dans  le  corps  de  nos  polypes. 
On  pourrait  supposer  que  les  parois  delà  cloche, 
trop  distendues  par  l’affluence  des  atomes,  font 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  1Ç)5 
effort  pour  revenir  à leur  place , et  obligent  ces 
atomes  à retourner  dans  la  jambe,  où  ils  trouvent 
moins  de  résistance  5 que  la  jambe  à son  tour 
se  remplissant  de  ces  atomes  , et  se  dilatant  pour 
les  recevoir , vient  ensuite  à se  resserrer  par  sa 
force  naturelle , et  repousse  les  atomes  dans  les 
parties  supérieures  du  polype.  Mais  , outre  que 
cette  hypothèse  est  précaire  , elle  ne  satisfait 
pas  à tous  les  phénomènes  , et  faute  de  données 
suffisantes , le  problème  reste  indécis. 

On  objectera  peut-être  que  le  mouvement 
décrit  n’est  point  une  circulation  réelle , les  atomes 
allant  et  venant  toujours  par  le  même  vaisseau  ; 
que  la  véritable  circulation  suppose  un  double 
système  de  vaisseaux,  les  uns  portant  le  fluide 
sanguin  du  centre  aux  extrémités  du  corps,  les 
autres  le  reconduisant  des  extrémités  au  centre. 

En  effet , c’est  ainsi  que  nous  la  découvrons 
dans  les  animaux  que  nous  avons  nommés  par- 
faits  ; mais  dans  ceux  que  nous  appelons  im - 
parfaits  , quoique  diversement  modifiée , elle 
n’en  est  pas  moins  réelle  : nous  devons  lui  con- 
server son  nom  propre  , comme  nous  faisons  à 
l’égard  de  certains  viscères  ou  organes  qui,  dans 
le  passage  des  animaux  parfaits  à ceux  qui  le 
sont  moins , restent  privés  de  quelques-unes  de 
leurs  parties.  Par  exemple, le  coeur  dans  l’homme, 

N 2 


VOYAGES 


Ï9S 

dans  les  quadrupèdes , dans  les  oiseaux , est  muni 
d’une  double  oreillette  et  d’un  double  ventricule. 
Dans  les  amphibies , dans  les  poissons,  cet  organe 
n’a  qu’une  seule  oreillette , qu’un  seul  ventricule; 
néanmoins  nous  l’appelons  cœur,  parce  qu’il  en 
remplit  les  fonctions.  Nous  donnons  le  même  nofü 
au  vaisseau  artériel  des  insectes , des  vers , parce 
qu’il  se  dilate  et  se  contracte  tour- à-tour.  Les 
poumons , les  trachées-artères  n’ont  pas  d’autre 
dénomination  dans  les  êtres  placés  au  rang  le 
plus  bas  de  l’échelle  animale, quoique  ces  viscères 
y présentent  une  structure , une  configuration 
bien  différentes  de  celles  qu’ils  ont  dans  les  ani- 
maux des  classes  supérieures.  Il  en  est  ainsi  de 
la  circulation  : dans  l’homme , dans  les  quadru- 
pèdes , dans  les  oiseaux  elle  est  très-active  ; elle 
l’est  moins  dans  les  animaux  des  classes  infé- 
rieures ; elle  y suit  graduellement  des  voies  plus 
courtes,  plus  simples  ; elle  arrive  enfin  jusqu’au 
point  de  conduire  le  fluide  vital  par  un  seul  canal 
où  il  va  et  vient,  comme  dans  nos  polypes  : elle 
n’en  est  pas  pour  cela  ni  moins  complète , ni 
moins  parfaite  dans  ces  petits  êtres  que  dans  les 
grands.  Du  reste,  je  renvoie,  pour  la  connais- 
sance de  ces  difFérens  systèmes  de  circulation, 
à la  relation  de  mon  voyage  à Constantinople 
que  je  publierai  bientôt.  Je  crois  avoir  suffisam- 
ment montré  dans  mes  autres  ouvrages , que 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  I97 
l’étude  de  cette  branche  de  physiologie  ne  m’est 
pas  étrangère  : celui  que  j’annonce  ici  contien- 
dra un  long  chapitre  relatif  à cette  fonction  dans 
les  animaux  marins. 

Pour  terminer  l’histoire  de  ces  polypes , dont 
l’espèce  me  paraît  nouvelle,  j’en  donnerai  la  dé- 
finition suivante  : Polypus  nudus  , sœpius  sim- 
plex y pedunculatus  , affixus  y corpore  campa - 
nulato  y cirrhis  subulatis  y retractilibus  , cir - 
culationem  humorum  exerens. 

Y.  Voici  finalement  un  cinquième  animal  du 
genre  des  mollusques  qui,  bien  qu’il  soit  connu, 
mérite  un  nouvel  examen,  ne  fut- ce  que  pour 
éclaircir  une  question  long-temps  agitée  par  les 
naturalistes. 

On  sait  que  les  oursins  de  mer  sont  armés 
d’épines , et  munis  d’une  multitude  de  tentacules 
qu'ils  étendent  ou  resserrent  à volonté  5 mais  on 
n’est  point  d’accord  si  ce  sont  les  épines  ou  bien  les 
tentacules  qui  font  l’office  de  pieds,  et  servent  au 
mouvement  progressif  de  l’animal.  Long-temps 
auparavant  , je  m’étais  déjà  occupé  de  cette 
recherche  dans  le  golfe  de  la  Spezzia  5 mes  ob- 
servations portèrent  sur  Yechinus  esculentus  de 
Linnée  , et  j’en  rendis  compte  dans  les  Mémoires 
delà  Société  italienne, tome  II,  page  n .Voici  quel 

N 5 


VOYAGES 


198 

en  fut  le  résultat.  Quand  je  plaçais  ces  oursins 
hors  de  l’eau  , situation  où  ils  peuvent  vivre  quel- 
que temps , les  mouvemens  courts  et  progressifs 
qu’ils  faisaient  quelquefois  s’exécutaient  unique* 
ment  par  le  moyen  de  leurs  épines  agitées;  mais 
quand  je  les  plongeais  dans  l’eau  marine , ces 
mouvemens  n’étaient  dûs  qu’à  leurs  tentacules. 

Je  reviens  au  détroit  de  Messine.  Assistant  un 
jour  à la  pêche  du  corail  , les  filets  amenèrent 
cinq  oursins  spatagues  ; je  les  mis  incontinent 
dans  un  baquet  d’eau  de  mer  pour  les  porter 
à la  ville,  où  je  me  proposais  de  les  examiner 
à loisir.  Chemin  faisant  je  m’apperçus  que,  mal- 
gré l’agitation  de  l’eau  occasionnée  par  le  bal- 
lottement de  la  barque , mes  cinq  oursins  étaient 
montés  le  long  des  parois  du  baquet,  presque 
jusqu’au  sommet,  où  ils  restaient  attachés  par 
leurs  tentacules  v ce  qui  me  prouva  que  dans 
cette  espèce  , ces  parties  ne  servent  pas  seule- 
ment à fixer  l’animal  à la  place  où  il  veut  s’arrê- 
ter^ mais  à l’en  faire  changer  à volonté  , ses 
épines  étant  trop  rigides  pour  avoir  pu  l’aider 
dans  son  ascension  au  bord  du  baquet.  J’eus  de 
la  peine  à les  en  détacher,  et  pour  découvrir 
comment  s’exerçait  le  mécanisme  de  leurs  mou- 
vemens , je  les  plaçai  dans  le  fond  d’un  vase  de 
cristal  à parois  lisses  et  verticales  empli  d’eaji 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  199 
marine.  Mon  attention  se  dirigea  d’abord  sur  un 
d’eux  que  j’avais  posé  à la  renverse , c’est-à-dire , 
la  bouche  en-dessus , attendu  qu’en  se  mouvant 
librement  dans  la  mer  , ils  la  portent  toujours 
en-dessous.  Cette  situation  était  en  effet  violente 
pour  ranimai  5 il  chercha  à se  redresser,  et  pour 
y parvenir , il  commença  par  étendre  d’un  côté 
une  cinquantaine  de  tentacules,  en  les  alongeant 
le  plus  qu’il  pouvait , et  s’attacha  par  leur  ex-' 
trémité  au  fond  du  vase  ; cela  fait , il  les  rac- 
courcit de  manière  qu’alors  son  corps  se  souleva 
un  peu  et  resta  posé  sur  le  côté  5 ensuite  il  dé- 
ploya d’autres  tentacules  en  les  dirigeant  dans 
le  même  sens,  et  par  leur  moyen,  s’accrocha 
un  peu  plus  loin  au  fond  du  vase  5 alors,  déta- 
chant les  premiers  et  raccourcissant  les  seconds, 
il  fit  encore  une  petite  révolution  sur  lui-même. 
Au  moyen  de  cette  opération  répétée  trois  ou 
quatre  fois,  la  bouche,  qui  auparavant  regardait 
le  ciel,  se  trouva  dirigée  vers  la  terre,  et  l’animal, 
de  renversé  qu’il  était,  se  remit  dans  sa  position 
naturelle.  Les  seuls  tentacules  furent  les  auteurs 
de  ces  mouvemens  : les  épines  ne  firent  que  s’ou- 
vrir pour  leur  donner  plus  de  liberté  d’agir.  En 
continuant  de  les  dilater  et  de  les  contracter, 
l’oursin  s’avança  sous  les  parois  du  vase  , et  les 
gravit  assez  promptement  jusqu’à  la  surface  de 
L’eau. 


200;  VOYAGES 

Les  épines  contribuaient  si  peu  à ses  mouve- 
mens,  qu’après  les  lui  avoir  coupées,  il  n’était 
pas  moins  libre  d’agir  : il  se  redressait  de  même, 
marchait  de  même , soit  sur  le  fond  du  vase  , 
soit  le  long  de  ses  parois. 

J’ai  dit  que  pour  détacher  ces  animaux,  il  fallait 
user  d’une  certaine  force.  Curieux  d’en  mesu- 
rer le  degré,  je  suspendis  un  morceau  de  plomb 
du  poids  de  trente-deux  onces  aux  épines  d’un 
oursin  qui  s’était  fixé  contre  un  vase  de  verre, 
un  demi-pouce  environ  au-dessus  du  niveau  de 
l’eau  : il  tint  ferme.  J’augmentai  la  charge  once 
par  once  3 à la  trente-neuvième  les  tentacules 
abandonnèrent  le  verre. 

Mais  quelle  pouvait  être  la  cause  d’une  adhé- 
sion si  forte  à un  corps  aussi  lisse  que  le  verre  ? 
l’examen  suivant  me  mit  sur  la  voie  de  la  dé- 
couvrir. J’observai,  à travers  les  parois  du  vase, 
les  tentacules  au  moment  que  l’oursin  les  alon- 
geait  pour  les  attacher,  et  je  vis  que  chacun  était 
terminé  par  un  mamelon  percé  dans  le  milieu. 
Je  fis  une  incision  à l’un  d’eux  jusqu’à  la  racine, 
et  le  regardant  dans  une  position  horizontale  avec 
le  microscope  , je  découvris  que  le  trou  que 
j’avais  apperçu  à son  extrémité  était  l’orifice 
d’un  canal  qui  s’étendait  du  fond  au  sommet  du 
tentacule  , et  s’enfonçait  dans  le  corps  de  l’anJ- 


201 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S. 
mal*  Je  pris  ensuite  un  autre  tentacule  > je  le 
pressai  légèrement , et  j’en  fis  sortir  par  le  trou 
une  petite  goutte  de  liqueur  dense  et  très-gluante. 
C’est  donc  avec  ce  gluten  que  les  oursins  se 
collent  et  se  fixent  par -tout  où  il  leur  plaît. 
La  transparence  de  leurs  tentacules  rae  permet- 
tait , avec  l’aide  d’une  bonne  loupe , de  voir  à 
travers  les  parois  du  vase  l’industrie  dont  ils  usaient 
pour  cette  opération.  Après  y avoir  appliqué 
leurs  mamelons  , et  chassé  l’eau  du  point  de 
contact,  ils  en  élargissaient  l’orifice , où  se  for- 
mait à l’instant  un  vide  qui  se  remplissait  de  glu- 
ten. Les  tentacules  , ainsi  cimentés  par  leurs  ex- 
trémités,ressemblaient  à autant  de  cordons  qui 
attachaient  l’animal  à la  surface  du  verre. 

Réaumur  a observé  que  les  lépas,  pour  se  dé- 
tacher des  rochers  sous-marins  auxquels  ils  se 
collent  fortement,  laissent  échapper  un  filet  d’eau 
qui  rompt  leurs  liens.  Je  n’ai  point  remarqué  cela 
dans  nos  oursins  $ il  m’a  paru  qu’ils  employaient 
un  autre  moyen  pour  remplir  le  même  but  : c’é- 
tait d’agiter  leurs  tentacules  et  d’en  tordre  l’ex- 
trémité , de  manière  que  l’eau  trouvant  un  pas- 
sage entre  le  mamelon  et  le  verre , dissolvait  en 
un  moment  le  gluten. 

Voilà  donc  deux  fonctions  propres  aux  ten- 
tacules de  ces  oursins  ; l’une  de  leur  servir  de 


202  VOYAGES 

pieds  pour  marcher  et  pour  s’accrocher,  l’autre 
de  les  tenir  en  arrêt  au  fond  de  la  mer  et  dans 
les  lieux  qu’ils  choisissent.  Cette  dernière  faculté 
leur  était  indispensable  pour  éluder  la  fureur  des 
tempêtes  , sur-tout  à ceux  qui  vivent  dans  le 
détroit  de  Messine , où  la  mer  est  continuelle- 
ment agitée  ; sans  cette  providence  de  la  nature , 
jouets  des  ondes,  comment  ces  êtres  fragiles  évi- 
teraient-ils d’être  roulés  et  déchirés  sur  les  ro- 
chers ? 

Jusque-là  je  les  avais  observés  dans  leur  élé- 
ment naturel , je  voulus  savoir  de  quelle  manière 
ils  se  comporteraient  hors  de  F eau  . Dans  cette 
situation , ona  remarqué  constamment  qu’ils  ne 
sortent  jamais  leurs  tentacules  5 un  mouvement 
progressif , s’il  avait  lieu  , ne  pouvait  s’attendre 
que  de  leurs  épines.  J’en  posai  deux  sur  un  plan 
horizontal  à la  renverse  , la  bouche  en  haut.  Ils 
commencèrent  par  agiter  leurs  épines  en  difFé— 
rens  sens  , cherchant  à se  redresser , mais  inu- 
tilement. Leurs  efforts  ressemblaient  à ceux  d’une 
tortue  renversée  qui  veut  se  relever  $ ils  décri- 
vaient comme  elle  de  très-petits  espaces , mais 
avec  beaucoup  plus  de  lenteur.  Je  les  mis  dans 
leur  position  naturelle  ; alors  les  épines  infé- 
rieures qui  portaient  le  corps  , entrèrent  dans 
une  agitation  lente , mais  presque  continuelle  * 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  2o5 
qui  les  fit  un  peu  cheminer  , non  sans  une  peine 
extrême. 

Ces  observations  sur  l’oursin  spatague  , que 
personne  avant  moi  n’avait  faites  sur  aucune  es- 
pèce de  ce  genre  , s’accordent  avec  ce  que  j’ai 
raconté  de  l’oursin  du  golfe  de.  la  Spezzia.  Il 
en  résulte  que  les  naturalistes  qui  prétendent  que 
les  épines  sont  les  seuls  moteurs  de  ces  animaux, 
et  ceux  qui  attribuent  cette  fonction  uniquement 
aux  tentacules  , se  trompent  les  uns  et  les  autres. 
Le  principe  mouvant  est  partagé  , avec  cette 
seule  différence  qu’il  est  bien  plus  actif  dans  les 
tentacules  que  dans  les  épines. 

Je  ne  parlerai  point  des  madrépores  , des  cel- 
lulaires , des  sertulaires  qui  se  sont  trouvées  prises 
dans  mes  filets , parce  que  les  espèces  en  sont 
connues , et  que  d’ailleurs  j’ai  donné  tout  mon 
temps  à l’examen  des  mollusques.  Il  me  suffit 
d’indiquer  ces  productions  organisées  , comme 
faisant  partie  des  animaux  marins  du  détroit  de 
Messine. 


2o4 


VOYAGES 


CHAPITRE  XXIX. 

Pêche  du  corail. 

Malgré  l’agitation  continuelle  des  eaux  dans 
le  détroit  de  Messine , on  y fait  en  toute  saison 
îa  pêche  du  corail  (1).  Les  pêcheurs  sont  des 
Messinois , tous  gens  robustes , expérimentés  , 
qui  savent  surmonter  et  la  peine  et  le  danger. 

L’instrument  dont  ils  se  servent  pour  détacher 
les  coraux,  et  les  enlever  aux  rochers  où  ils  sont 
implantés  , ne  diffère  pas  essentiellement  de  celui 
qui  est  figuré  et  décrit  dans  Phistoire  de  la  mer 
du  comte  Marsilli.  Cet  instrument  est  composé 
de  deux  morceaux  de  bois  assemblés  à angles 
droits,  et  portant  un  filet  à chaque  extrémité. 
Au  milieu  est  attachée  une  grosse  pierre  pour 
en  faciliter  l’immersion.  Lié  fortement  par  cette 
partie  à une  corde  dont  l’autre  bout  est  dans 
la  main  des  pêcheurs  , ils  le  promènent  ainsi  dans 
les  profondeurs  où  végète  le  corail , tâchant  de 
l’accrocher  avec  les  filets,  de  l’envelopper,  et 
de  l’attirer  à eux. 


(i)  Isis  nobilis . Linn, 


DANS  tES  DEUX  SICILE  S. 

J’ai  dit  que  cet  instrument  ne  diffère  pas  essen- 
tiellement de  celui  qui  a été  décrit  par  le  natu- 
raliste de  Bologne  , et  qu’il  a vu  en  usage  en 
d’autres  pays.  J’observerai  cependant  que  l’ins- 
trument des  Messinois  est  plus  grand,  et  qu’il 
est  chargé  au  milieu  d’un  poids  plus  considé- 
rable , à raison  de  l’impétuosité  des  courans , qui, 
sans  cette  précaution  , l’emporteraient  inévita- 
blement avant  qu’il  eût  touché  le  fond.  De  plus 
ils  le  lancent  par  la  poupe  de  la  barque  , jamais 
par  le  côté  , comme  on  le  voit  dans  la  figure  de 
Marsilli  : sans  doute  à cause  du  danger  qu’en 
opérant  ainsi , le  poids  de  l’instrument , uni  à 
l’action  du  courant , ne  la  fît  chavirer. 

Cette  pêche  se  fait  dans  le  détroit , à partir 
des  bouches  du  phare  jusqu’en  face  de  l’église 
de  la  Grotte  , dans  une  longueur  de  six  milles. 
Hors  de  cet  espace  on  ne  pêche  point  , soit  qu’il 
n’existe  pas  de  rochers  sur  lesquels  naisse  le 
corail , soit  que  ces  rochers  gisent  à des  pro- 
fondeurs qui  mettent  les  instrumens  hors  d’état 
d’agir , ou  que  la  violence  des  courans  ne  per- 
mette pas  aux  barques  de  s’y  arrêter  long- 
temps (i). 


(1)  De  vieux  mariniers  m’ont  assuré  qu’autrefois  , 
çntre  Stromboli  et  le  cap  Vatican,  on  faisait  la  pêche 


2o  6 


VOYAGES 


Cependant  il  y a environ  six  ans  que  Pon  a 
découvert  deux  rochers  situés  au  sud  , et  à huit 
milles  de  distance  de  la  ville  en  face  du  canal 
de  Saint-Etienne  * abondamment  pourvus  d’ex- 
cellens  coraux.  Voilà  les  seuls  endroits  où  les 
Messinois  ont  coutume  de  pêcher  cette  produc- 
tion marine  ; et  quant  à présent } ils  n’en  étendent 
pas  la  recherche  au  - delà  de  leur  canal. 

Les  rochers  qui  lui  servent  de  support  gisent 
presqu’au  milieu  du  détroit  à diverses  profon- 
deurs , depuis  trois  cent  cinquante  pieds  jus- 
qu’à six  cent  cinquante.  Plus  on  s’approche  de 
l’embouchure  du  phare  , plus  le  fond  de  la  mer 
s’abaisse.  Là  , on  ne  jette  plus  les  filets  , parce 
que  les  rochers  , disent  les  coraillers  , sont  à 
mille  pieds  de  profondeur. 

Les  cavités , les  grottes , sont  les  lieux  que 
l’on  sonde  avec  les  filets  pour  en  extirper  les 
coraux  5 ce  n’est  pas  qu’ils  ne  naissent  également 
en-dehors  et  sur  leurs  flancs , mais  ils  s’y  mul- 
tiplient moins.  On  observe  constamment  que 
chaque  branche  est  perpendiculaire  au  plan  sur 


du  corail  ; mais  qu’elle  fut  abandonnée  à cause  du  danger 
que  couraient  les  barques , qui  , dans  ces  parages  , ne 
trouvaient  aucun  abri  contre  les  vents  d’ouest  ; sud-ouest 
ou  nord-ouest.  Note  de  V auteur. 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  207 
lequel  elle  a pris  naissance  , ne  se  contournant 
jamais  pour  suivre  une  direction  latérale. 

Leur  multiplication  est  beaucoup  plus  abon- 
dante dans  les  expositions  de  Test  que  dans  celles 
du  sud.  On  en  trouve  rarement  dans  les  sites  de 
l’ouest  : ceux  du  nord  n’en  produisent  jamais. 
Les  coraux  qui  croissent  sous  l’aspect  du  levant 
sont  plus  gros  , plus  colorés  que  les  autres.  Les 
divers  degrés  de  profondeur  sont  encore  des  cir- 
constances qui  influent  sur  ces  deux  qualités 
précieuses.  Plus  ils  s’enfoncent  dans  la  mer , 
moins  ils  acquièrent  de  grosseur  et  de  couleur. 
Leur  plus  grande  hauteur  ne  s’élève  pas  à un 
pied  5 leur  grosseur  ordinaire  est  celle  du  petit 
doigt  , en  quoi  ils  sont  un  peu  inférieurs  aux 
coraux  des  cotes  de  Trapani  et  de  Barbarie  5 
mais  ils  surpassent  ces  derniers  par  la  vivacité 
de  la  couleur.  Cette  différence , d’après  le  dire 
des  pêcheurs  , provient  de  ce  que  leurs  coraux 
naissent  dans  une  mer  perpétuellement  agitée 
jusque  dans  ses  fondemens  par  les  courans  et 
par  les  vents. 

Quant  à la  couleur  , on  distingue  trois  sortes 
de  corail  : le  rouge , le  vermeil  et  le  blanc.  Le 
premier  se  subdivise  en  rouge  cramoisi  foncé, 
et  en  rouge  plus  clair.  Le  vermeil  est  très-rare, 
mais  le  blanc  est  commun  , tant  le  blanc  clair 


VOYAGES 


£08 

que  le  terne  ^ qui  sont  compris  sous  la  même 
dénomination. 

Les  coraillers  ont  divisé  l’espace  où  ils  pêchent 
dans  le  détroit  en  dix  portions.  Chaque  année 
ils  ne  jettent  leurs  filets  que  dans  une  seule  de 
ces  portions  , et  n’y  reviennent  qu’au  bout  de 
dix  ans.  Cet  intervalle  décennal,  disent-ils,  est 
nécessaire  au  corail  pour  qu’il  acquière  son  en- 
tier accroissement.  En  effet,  quand  ils  manquent 
à cette  règle , ils  trouvent  le  corail  plus  petit 
et  moins  consistant  : l’intensité  de  sa  couleur  est 
toujours  en  raison  du  nombre  des  années  écou- 
lées depuis  la  première  pêche.  Passé  le  terme 
de  dix  ans , ils  sont  persuadés  que  le  corail  croît, 
non  plus  en  hauteur, mais  seulement  en  grosseur, 
laquelle  a pourtant  ses  limites.  Ils  ont  observé 
que  le  corail  extrait  du  fond  qui  avoisine  Saint- 
Etienne  , lieu  où  de  mémoire  d’homme  on  n’a- 
vait jamais  pêché , quoique  d’une  couleur  très- 
foncée  , ne  surpassait  pas  en  hauteur  le  corail 
ordinaire  : il  était  seulement  d’un  tiers  plus 
gros* 

Dix-huit  à vingt  barques , chacune  montée 
de  huit  hommes , font  de  conserve  cette  pêche. 
La  quantité  de  corail  qui  en  est  le  produit  peut 
monter  par  an  à douze  quintaux  siciliens.  Le 
quintal  est  de  deux  cent  cinquante  livres,  et  la 

livre 


DÀftS  tES  DEUX  siCILÉS.  2 Ô§ 
livre  de  douze  onces  : le  bénéfice  dédomiiiage  de 
la  peine.  Cependant  ce  n’est  pour  ces  pêcheurs 
qu’une  occupation  secondaire,  et  à laquelle  ils  ne 
se  livrent  que  lorsqu’ils  ne  peuvent  pas  trouver 
ün  autre  emploi  plus  lucratif  de  leur  temps* 

On  voit  que  je  ne  pouvais  recevoir  ces  ren- 
seignemens  de  mains  plus  sûres , puisqu’ils  m’é- 
taient donnés  par  les  coraillers  eux-mêmes 5 ce- 
pendant je  fus  curieux  d’assister  à leur  pêche  3 
et  ils  en  firent  une  tout  exprès  pour  me  procurer 
cette  satisfaction.  A l’instant  qu’ils  amenaient  des 
branches  de  corail , je  les  détachais  des  filets  , 
et  les  plongeais  dans  des  vases  pleins  d’eau  ma- 
rine : c’était  le  moyeu  de  faire  sortir  les  polypes 
hors  de  leurs  cellules,  à quoi  ils  ne  manquaient 
pas  aussi-tôt  que  le  calme  était  établi  dans  les 
vases.  Je  les  examinai  avec  d’autant  plus  de  cu- 
riosité que  leur  spectacle  était  nouveau  pour 
moi.  Mais  qu’aurais-je  pu  ajouter  aux  observa^ 
tions  de  Peysonnel  , de  Jussieu , de  Guettard  , 
de  Donati , et  à celles  plus  récentes  de  Cavolini  ? 
Ces  auteurs  ne  semblent -ils  pas  ne  plus  rien 
laisser  à desirer  sur  la  connaissance  et  les  habi^ 
tudes  naturelles  de  ces  petits  êtres  organisés  ? 
Tout  ce  que  me  permit  cet  examen  , fut  de 
rectifier  les  idées  du  comte  Marsilli  sur  quelques 
points  relatifs  à leur  histoire. 

Tome 


O 


510 


VOYAGES 

Selon  cet  auteur,  les  sites  propres  à la  végé- 
tation du  corail  sont  ceux  où  la  mer  est  tran- 
quille et  les  eaux  dormantes  ; puis  il  ajoute  que 
ce  zoophyte  se  propage  plus  sous  l’influence  du 
sud  que  sous  celle  de  l’ouest , mais  qu’il  ne  vé- 
gète point  sous  l’aspect  du  nord. 

Quant  à la  première  observation , elle  n’est 
pas  générale , puisque  le  corail  naît , croît , et 
atteint  sa  perfection  dans  une  mer  aussi  profon- 
dément troublée  et  agitée  que  celle  du  détroit 
de  Messine.  Tout  ce  qu’on  peut  dire  , est  qu’il 
n’y  arrive  pas  à ce  degré  d’extension  dont  il  jouit 
ailleurs. 

Quant  à la  seconde  , elle  s’accorde  avec  ce 
que  m’ont  dit  les  pêcheurs  de  Messine,  excepté 
qu’ici  l’aspect  du  levant  est  le  plus  favorable  , 
tandis  que  dans  les  sites  maritimes  visités  par 
Marsilli , l’aspect  du  midi  est  celui  qui  influe  le 
plus  $ur  sa  végétation. 

Ce  naturaliste  établit  que  la  moindre  profon- 
deur où  croît  le  corail  est  de  dix  pieds  , la  plus 
grande  de  sept  cent  cinquante , la  moyenne  et 
la  plus  ordinaire  entre  soixante  et  cent  vingt- 
cinq. 

A Messine  , comme  nous  l’avons  remarqué, 
on  le  pêche  à trois  cettt  cinquante  pieds  jusqu’à 


ait 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S. 
six  cent  cinquante.  Ce  n’est  pas  qu’il  ne  pût  y vé- 
géter plus  près  de  la  surface  des  eaux , mais  les 
rochers  qui  gisent  dans  le  détroit  ne  s’en  ap- 
prochent pas  davantage.  De  même , il  est  pro- 
bable qu’on  y trouverait  ce  zoophyte  végétant 
au-dessous  de  six  cent  cinquante  pieds,  si  Ton 
se  donnait  la  peine  de  le  chercher  5 mais  les 
pêcheurs  ne  se  soucieraient  pas  d’une  tâche  aussi 
laborieuse.  On  voit  par-là  que , si  l’information 
de  Marsilli  se  rapporte  à celle  des  Messinois , 
quant  à ce  qui  regarde  la  plus  grande  et  la 
plus  petite  profondeur  où  naît  le  corail , elle 
difFère  à l’égard  de  la  moyenne  et  la  plus  ordi- 
naire, selon  lui,  qu’il  fixe  entre  soixante  et  cent 
vingt -cinq  pieds,  puisque  sa  végétation  n’est 
ni  moins  complète,  ni  moins  abondante  sur  des 
fonds  beaucoup  plus  bas  , tels  que  ceux  du 
détroit  de  Messine  , qui  ont  depuis  trois  cent 
cinquante  pieds  jusqu’à  six  cent  cinquante  de 
profondeur. 

Les  pêcheurs  de  Marsilli  étaient  dans  l’opinion 
que  le  corail  végétant  sur  les  sites  les  moins 
profonds  où  il  croît  le  plus  rapidement , par- 
venait à peine  en  dix  ans  à un  demi -pied  de 
hauteur. 

Je  ne  veux  point  révoquer  en  doute  leur  asser- 
tion 5 elle  peut  être  appuyée  sur  quelque  fait 

O 2 


212 


voyages 
local  ; mais  il  ne  faudrait  pas  rétendre  plus  loin: 
les  coraux  de  Messine,  dans  le  même  espace  de 
temps,  acquièrent  leur  plus  grande  hauteur,  qui 
est  d’environ  un  pied.  On  en  vit  une  preuve  bien 
frappante  à la  première  pêche  qui  se  fit  au  ro- 
cher de  Saint-Etienne  nouvellement  découvert , 
et  où  les  coraux  avaient  eu  tout  le  temps  de^ 
parvenir  à leur  maturité  naturelle.  Cependant, 
bien  qu’ils  fussent  un  peu  plus  gros,  ils  ne  sur- 
passaient pas  en  hauteur  ceux  que  les  coraillers, 
au  bout  de  tous  les  dix  ans , extraient  des  ro- 
chers qui  depuis  un  temps  immémorial  servent 
à cette  pêche. 

Marsilli  affirme  qu’ils  naissent  et  croissent  sous 
la  seule  voûte  des  cavernes  , et  que  leurs  ra- 
meaux sont  toujours  tournés  vers  le  centre  de 
la  terre. 

Ce  n’est  pas,  à la  vérité,  chose  rare  de  trouver 
le  corail  suspendu  à la  voûte  des  grottes  marines 
avec  ses  rameaux  dirigés  de  haut  en  bas;  mais 
il  n’en  est  pas  moins  certain  qu’il  végète  égale- 
ment en-dehors , qu’il  s’attache  et  croît  sur  les 
pierres  au  fond  de  la  mer , sur  les  coquilles  et 
dépouilles  des  testacées  , enfin  sur  tout  corps 
solide , et  qu’alors  il  dirige  constamment  ses  ra- 
meaux vers  le  ciel.  Plusieurs  fois,  dans  les  filets 
des  pêcheurs,  j’ai  trouvé  des  coquilles  d’huître  et 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  2l3 
de  came  auxquelles  adhéraient  de  petites  bran- 
ches de  corail.  Quelques  années  auparavant,  ces 
mêmes  pêcheurs  avaient  tiré  du  fond  de  la  mer 
un  vase  de  terre  cuite  fêlé , dont  la  surface  in- 
térieure était  tapissée  de  corail  qui  avait  ses 
branches  dirigées  vers  l’orifice,  et  même  quel- 
ques rameaux  qui  s’élevaient  par-dessus.  En  par- 
lant de  la  pêche  qui  se  fait  autour  de  Lipari , 
chapitre  XXIV,  j’ai  cité  un  morceau  d’émail 
volcanique  portant  une  branche  de  corail , qui 
fut  pêché  au  fond  de  la  mer  sous  le  château 
de  cette  ville. 

Ces  faits  prouvent  non-seulement  que  ce  zoo- 
phyte  ne  naît  pas  toujours  dans  l’intérieur  des 
grottes  marines , mais  encore  qu’il  porte  quel- 
quefois ses  rameaux  dirigés  vers  le  ciel. 

Sa  couleur  naturelle  , selon  Marsilli , est  entre 
le  rouge  foncé  et  le  blanc  tirant  sur  la  couleur 
de  chair.  Quant  aux  coraux  parfaitement  blancs, 
il  assure  qu’il  n’en  a jamais  vu  de  semblables 
revêtus  de  leur  écorce,  et  dans  leur  fraîcheur; 
qu’à  la  vérité , on  parvient  à les  blanchir  en  les 
faisant  bouillir  dans  la  cire  et  dans  le  lait.  Le 
naturaliste  Pallas  dit, dans  son  Traité  sur  les  zoo 
phytes , qu’il  a vu  à Londres  , dans  le  muséum 
britannique,  une  belle  branche  de  corail  de  cou- 
leur de  lait , une  autre  de  couleur  de  chair  très- 

O 3 


•> 

VOYAGES 


2l4 

vive  $ maïs  il  n’ose  garantir  que  ces  couleurs? 
fussent  naturelles. 

Les  pêches  du  détroit  de  Messine  détruisent 
tous  ces  doutes 5 elles  procurent  des  coraux  blancs 
aussi-bien  que  des  coraux  rouges.  Ceux  que  l’on 
pêcha  en  ma  présence  furent  tous  de  cette  der- 
nière couleur  5 mais  à mon  départ  de  Messine, 
l’abbé  Grano  j savant  naturaliste,  et  mon  ami, 
connaissant  le;  désir  que  j’avais  de  posséder  quel- 
ques coraux  blancs  de  son  pays,  promit  de  me 
satisfaire.  En  effet , peu  de  temps  après  mon 
arrivée  à Pavie , je  reçus  de  lui  une  série  de 
rameaux  qui , par  nuances , passent  du  rouge 
plus  ou  moins  vif  au  gris  foncé  , du  gris  foncé 
au  gris  clair,  et  du  gris  clair  au  blanc  pur.  Cette 
collection  précieuse  est  maintenant  déposée  au 
muséum  impérial.  Je  vais  donner  une  courte  in- 
dication des  morceaux  les  plus  remarquables. 

I.  Ecorce  couleur  de  cire  laque  5 corail  cou- 
leur de  pourpre  5 transparence  légère  à l’extré- 
mité des  rameaux. 

II.  Ecorce  semblable  y corail  d’un  rouge  moins 
vif. 

III.  Ecorce  gris -livide  5 corail  gris  avec  un 
léger  nuage  rougeâtre. 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  Sl5 

IV.  Du  même  tronc  sortent  quatre  rameaux 
distincts  : trois  ont  l’écorce  d’un  rouge  pâle  ; le 
corail  en  est  blanc  tirant  un  peu  sur  le  rouge  ; 
le  quatrième  a l’écorce  blanchâtre  , et  cette 
couleur  domine  encore  plus  dans  son  intérieur. 

V.  Je  réunis  sous  ce  numéro  trois  branches 
dont  l’écorce , comme  l’intérieur  du  tronc  , ont 
la  blancheur  du  lait. 

Voici  de  plus  qüfeîqués  observations  sur  la 
structure  des  parties  Corticales  et  des  parties 
solides  de  ces  derniers.  Quant  à l’écorce  , elle 
est  blanche  , friable,  et  se  détache  avec  l’ongle; 
sur  les  coraux  où  elle  est  entière  et  bien  con- 
servée , on  remarque  qu’elle  s’élève  çà  et  là  en 
petites  tumeurs  conoïdes  ouvertes  au  sommet , 
et  présentant  une  bouche  à huit  rayons  , qui 
conduit  dans  l’intérieur  des  cellules,  jadis  habi- 
tées par  les  polypes. 

La  substance  intérieure  du  corail , que  Ton 
peut  appeler  le  squelette  ou  l’os  de  l’animal , 
est  sillonnée  à sa  surface  par  des  stries  longi- 
tudinales très-déliées  ; sa  solidité  égale  celle  des 
pierres  les  plus  dures;  en  la  rompant  en  travers, 
on  s’apperçoit  qu’elle  est  lamelleuse.  Soumise  à 
l’action  de  l’acide  nitrique  , elle  se  décompose  , 
et  se  dissout  toute  entière  avec  la  plus  grande 

o 4 


si6  voyages 

effervescence  > comme  ferait  le  carbonate  cal" 

caire. 

On  peut  juger  par-là  de  la  parfaite  ressem- 
blance , ou  , pour  mieux  dire  , de  l’identité  du 
corail  blanc  avec  le  rouge  : l’accident  de  la  cou- 
leur paraît  en  faire  toute  la  différence. 

Il  y a plus  ; les  bouches  dés  cellules  de  l’écorce 
du  corail  blanc  étant  à huit  rayons  comme  celles 
du  corail  rouge  , on  doit  en  inférer  que  les  po- 
lypes , dans  l’un  et  dans  l’autre , ont  la  même 
Structure  , et  ne  forment  par  conséquent  qu’une 
seule  espèce  ayant  huit  tentacules. 

Mon  intention , en  écrivant  ces  remarques  , 
n’a  point  été  de  déprécier  l’ouvrage  du  comte 
Marsilli.  Malgré  l’erreur  très-grande  où  il  est 
tombé  en  prenant  pour  des  fleurs  les  polypes 
du  corail , persuadé  ainsi  que  la  foule  des  bota- 
nistes, que  cette  production  marine  n’était  qu’un 
végétal , son  travail  et  l’ensemble  de  ses  obser- 
vations seront  toujours  dignes  d’éloges, 

Les  anciens  croyaient  que  ce  zoophyte,  sous 
les  eaux  de  la  mer  , se  trouvait  dans  un  état 
de  mollesse  qu’il  ne  perdait  qu’au  contact  de 
l’air.  C’est  un  préjugé  que  les  naturalistes  mo- 
dernes ont  détruit.  Les  coraillers  de  Messine  , 
sans  autre  maître  que  leur  propre  expérience  , 


ï)  À N S LES  DEUX  S I C I L E S.  217 
sont  convaincus  , comme  ces  derniers  , que 
le  corail  se  durcit  dans  la  mer  5 cependant  ils 
prétendent  que  son  degré  de  consistance  est 
en  raison  de  son  degré  de  maturité,  et  que  le 
jeune  corail  n’est  point  aussi  dur  que  celui  qui 
a acquis  toute  sa  croissance.  Je  n’ai  pu  vérifier 
le  fait , attendu  qu’il  aurait  fallu  pour  cela , et 
contre  l’expresse  défense  des  loix,  jeter  les  filets 
dans  une  des  dix  portions  du  détroit  avant  le 
terme  révolu  de  dix  ans  5 mais,  par  une  analo- 
gie tirée  des  végétaux  et  des  animaux,  j’adop- 
terais sans  peine  cette  dernière  opinion*1 

Les  pêcheurs  sur  le  témoignage  desquels  Mar- 
silli  a fondé  en  grande  partie  ses  observations  , 
et  les  Messinois  que  j’ai  consultés  pour  établit 
les  miennes , sont  également  d’avis  que  plus  on 
descend  dans  la  mer , plus  on  trouve  les  coraux 
petits.  Ayant  interrogé  là  - dessus  d’autres  pê- 
cheurs, tels  que  ceux  qui  se  transportent,  soit 
sur  les  côtes  de  Barbarie  , soit  sur  celles  de  la 
Sardaigne  ou  de  la  Corse  , j’en  ai  reçu  la  même 
réponse.  Il  paraît  donc  que  cette  observation 
est  universelle  et  constante.  Mais  d’où  vient  une 
telle  différence  ? Si  les  coraux  ne  se  pêchaient 
jamais  que  dans  les  endroits  où  parvient  la  cha- 
leur du  soleil , ou  du  moins  sa  lumière , on  pour- 
rait soupçonner  que  l’un  ou  l’autre  de  ces  prin- 


V O Y A G E S 


5l8 

cîpes  influe  plus  ou  moins  sur  leur  accroisse- 
ment •,  mais  il  est  certain  qu’ils  végètent  souvent 
sur  des  bas-fonds , où  pas  un  atome  de  lumière 
solaire  ne  petit  atteindre  , encore  moins  la  cha- 
leur de  cet  astre,  en  admettant  toutefois  le  calcul 
des  physiciens,suivant  lequel  la  lumière  du  soleil 
ne  pénètre  dans  la  mer  que  jusqu’à  six  cents  pieds 
de  profondeur,  et  sa  chaleur  ne  s’étend  qu’à  un 
quart  de  cette  distance.  D’après  les  observations 
de  Marsilli,  on  rencontre  des  coraux  à sept  cent 
cinquante  pieds  au-dessous  du  niveau  de  la  mer  5 
et  cependant  si  l’on  rejette  ces  deux  principes, 
lumière  et  chaleur,  comme  impuissans  , où  en 
trouver  un  autre  qui  puisse  influer  plus  directe- 
ment surleur  croissance  , et  expliquer  comment, 
à mesure  qu’ils  s’élèvent  vers  la  surface  de  la 
mer , ils  parviennent  à de  plus  grands  dévelop- 
pera ens. 

Dira-t-on  que  la  pression  de  l’eau  à de  grandes 
profondeurs  leur  oppose  un  obstaçle  ? Mais  cet 
obstacle  , si  c’en  était  un  , agirait  de  même  sur 
une  infinité  de  petites  plantes  , de  petits  vers 
d’une  conformation  aussi  tendre , aussi  délicate 
que  les  polypes  des  coraux  , et  qui  naissent , 
vivent  et  croissent  dans  les  mêmes  sites , et  à 
des  profondeurs  égales. 

Donati  assure  que  des  rameaux  rompus  et  dé- 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  2IQ 
tachés  de  la  tige  du  corail,  continuent  de  vivre 
et  de  multiplier  dans  la  mer.  Je  n’hésite  point 
aie  croire,  pourvu  que  ces  rameaux  rèncontrent 
un  point  d’appui  stable  auquel  ils  puissent  s’atta- 
cher par  le  moyen  de  leur  gluten.  Autrement, 
s’ils  tombent  sur  le  sable  mobile , ils  deviennent 
le  jouet  des  ondes  , et  je  suis  persuadé  qu’ils  ne 
sauraient  éviter  de  périr.  Tel  fut , je  pense  J 
l’accident  survenu  à deux  rameaux  écorcés,  et 
par  conséquent  privés  de  vie  , que  je  trouvai 
pris  dans  les  filets  de  mes  pêcheurs  de  Messine. 
Ils  me  confirmèrent  eux- mêmes  dans  mon  opi^# 
nion  , me  disant  qu’ils  amenaient  quelquefois  di* 
fond  de  la  mer  des  coraux  vivans , mais  toujours 
attachés  par  leurs  troncs  , soit  à une  écaille , à 
une  pierre , à un  fragment  de  terre  cuite , ja^ 
mais  au  sable  pur.  En  entrant  avec  eux  dans 
ces  détails , je  m’apperçus  avec  plaisir  que  le 
secret  de  la  génération  de  ce  zoophyte  ne  leur 
était  pas  tout-à-fait  inconnu  ; ils  me  racontaient 
que  souvent  ils  avaient  remarqué  sur  des  matières 
dures  enlevées  du  fond  de  la  mer,  les  germes  du 
corail, qu’ils  décrivaient  comme  une  petite  tache 
rouge  avec  un  bouton  implanté  dans  ces  matières, 
tantôt  fragile  et  teudre,  tantôt  durci , de  la  cou- 
leur et  de  la  nature  du  corail  ordinaire. 

Vitaliani  et  Marsilli  font  mention  de  certains 


22Q 


VOYAGES 


rameaux  percés  par  des  vers  lithopliages.  Ce  fait 
n’était  point  non  plus  étranger  à mes  Messinois; 
souvent  il  leur  arrive  d’en  pêcher  de  semblables, 
soit  au  fond  de  la  mer  , soit  dans  les  cavernes, 
ou  sur  les  flancs  des  rochers  sous- marins.  Ces 
rameaux  se  trouvent  tantôt  séparés  du  tronc , 
où  pour  l’ordinaire  les  attaques  des  vers  sont 
plus  multipliées , tantôt  attachés  aux  corps  qui 
leur  servaient  d’appui.  On  ne  remarque  cet  acci- 
dent que  dans  ceux  qui  sont  secs  , soit  que  leur 
siccité  provienne  de  vieillesse , soit  qu’elle  ait 
été  causée  par  leur  séparation  d’avec  leur  base  5 
ce  qui  arrive , tantôt  par  le  choc  de  quelque 
poisson , principalement  de  ceux  qui  habitent 
dans  les  creux  des  rochers,  tantôt  par  la  chute 
d’une  pierre,  ou  par  l’effort  même  des  filets  qui 
les  déracinent, et  ne  s’en  saisissent  pas  toujours. 


DANS  LES  DEUX  S I C I L E S.  22t 

CHAPITRE  XXX. 

Pêche  de  V espadon. 

Avant  de  quitter  le  détroit  de  Messine,  j’aî 
pensé  que  le  lecteur  verrait  avec  plaisir  quel- 
ques détails  sur  deux  autres  pêches  qui  y sont 
en  usage  5 l’une  de  l’espadon , l’autre  du  chien 
de  mer  : la  première  fera  le  sujet  de  ce  chapitre, 
la  seconde  celui  du  chapitre  suivant. 

On  prend  l’espadon , xiphias  ensis , tantôt 
avec  la  lance  , tantôt  avec  la  palimadara  , es- 
pèce de  filet  à mailles  très-serrées.  Cette  pêche 
commence  vers  la  mi-avril  et  continue  jusqu’à 
la  mi- septembre.  Depuis  la  mi-avril  jusqu’à  la 
fin  de  juin , elle  se  pratique  le  long  des  côtes 
de  la  Calabre  ; passé  cette  époque , elle  a lieu 
près  des  côtes  de  la  Sicile.  La  raison  en  est  que 
l’espadon  , depuis  avril  jusqu’à  la  fin  de  juin , 
entrant  par  le  phare , longe  le  rivage  de  la  Ca-  — 
labre  sans  jamais  s’approcher  de  la  Sicile  , et 
que  depuis  juillet  jusqu’à  la  mi-septembre,  en- 
trant dans  le  détroit  par  la  bouche  du  sud , il 
suit  la  route  opposée.  Est-ce  la  pâture  qui  l’at- 
tire ainsi  alternativement  d’un  côté  à l’autre  ? 


VOYAGES 


322 

est-ce  le  même  poisson  qui  passe  et  repasse  ? 
je  Tignore  5 ce  qu’il  y a de  sûr , c’est  qu’il  ne 
côtoyé  la  Sicile  que  quand  il  fraye  ; on  voit  alors 
les  mâles  courir  après  les  femelles  : souvent  une 
seule  a plusieurs  poursuivans.  L’occasion  est  belle 
pour  les  surprendre  ; car  une  fois  que  la  femelle 
est  tuée,  les  mâles  ne  s’en  éloignent  point , et 
se  laissent  facilement  approcher. 

Il  paraît  certain  que  cette  espèce  de  poisson 
se  propage  dans  la  mer  de  Sicile  et  de  Gênes. 
En  effet , depuis  novembre  jusqu’aux  premiers 
jours  de  mars , on  en  prend  chaque  année  dans 
le  détroit  de  Messine  du  poids  de  demi-livre 
jusqu’à  douze  livres.  Vers  la  fin  de  l’automne 
et  pendant  l’hiver , j’en  ai  vu  vendre  à Gênes 
de  très-petits  qui  avaient  été  pêchés  près  des 
côtes. 

Quant  à Messine  , ce  n’est  que  depuis  peu 
que  l’on  y pratique  une  aussi  mince  pêche,  non 
que  les  habitans  ignorassent  la  fréquentation  de 
petits  espadons  le  long  de  leurs  côtes  , mais  ils 
n’avaient  pas  encore  imaginé  des  filets  propres 
à les  prendre  , tels  que  la  palimadara , qui  a 
quatre-vingts  et  tant  de  pieds  de  longueur  sur 
quinze  de  largeur,  et  dont  les  mailles  étroites, 
tissues  avec  de  fortes  ficelles  , emprisonnent  des 
poissons  de  toute  grandeur,  tandis  que  la  lance. 


225 


DANS  LES  DEUX  SI  CI  LE  S. 
dont  autrefois  ils  se  servaient  uniquement, n’etait 
bonne  qu’à  attaquer  les  plus  gros  qui  se  portent 
è la  surface  de  l’eau  : voilà  pourquoi  le  nombre 
de  ceux  - ci  diminue.  Par  une  pêche  trop  pré- 
maturée, on  détruit  à pure  perte,  non- seule- 
ment un  nombre  infini  de  ces  poissons , mais 
on  arrête  la  reproduction  de  l’espèce. 

Ce  dégât  ruineux  et  barbare  , je  l’ai  vu  s’opé- 
rer sans  ménagement  en  d’autres  parages  de  la 
Méditerranée , et  sur  - tout  en  face  de  Porto- 
Venere  dans  le  pays  de  Gênes  , où  l’on  pêche 
avec  les  bilancelles.  Ce  sont  deux  bâtimens  à 
grandes  voiles  latines , marchant  l’un  à côté  de 
l’autre  , auxquels  est  attaché , moyennant  deux 
grosses  cordes  de  chanvre  , un  filet  d’une  pro- 
digieuse extension  qui  descend  jusqu’au  fond  de 
la  mer.  Traîné  par  les  deux  bilancelles  voguant 
à pleines  voiles  , de  ses  mailles  étroites  il  enve- 
loppe tout  ce  qui  se  trouve  snr  son  passage. 
Pendant  les  vacances  de  1783  , m’occupant  d’é- 
tudes relatives  à l’histoire  des  animaux  marins 
des  environs  de  Porto-Venere , dont  j’ai  ensuite 
publié  un  essai  dans  les  Mémoires  de  la  Société 
italienne  , j’assistai  plusieurs  fois  à cette  pêche, 
et  je  ne  puis  dire  combien  de  petits  poissons 
en  étaient  la  victime  3 n’étant  bons  à rien , on 
les  rejetait  dans  la  mer,  mais  tout  mutilés,  et 


224  VOYAGES 

déjà  morts  par  le  froissement  qu’ils  avaient  éprou* 
vé  dans  les  mailles  du  filet.  J’écrivis  contre  cette 
manie  destructrice  , et  je  représentai  avec  force 
tout  le  dommage  qui  en  résultait.  On  me  ré-- 
pondit  , à la  vérité , qu’il  existait  une  loi  à Gênes 
qui  prohibait  l’usage , ou , pour  mieux  dire  3 l’abus 
des  bilancelles;  mais  cela  n’empêche  pas  qu’il 
ne  sorte  chaque  année  du  golfe  de  la  Spezzia 
trois  ou  quatre  paires  de  ces  bâtimens  qui  , ga- 
gnant la  haute  mer,  vont  se  livrer  à cette  pêche. 
Il  y a plus  \ le  gouverneur  du  lieu  , qui  devrait 
surveiller  l’exécution  de  la  loi , est  le  premier  â 
favoriser,  moyennant  une  somme  d’argent,  l’abus 
qu’elle  proscrit. 

A l’époque  où  j’arrivai  à Messine , on  n’em- 
ployait pas  encore  la  palimadara,  et  la  pêche  à la 
lance  tirait  à sa  fin.  Voici  comment  elle  se  pra- 
tique. Les  pêcheurs  sont  pourvus  d’une  barque 
qu’ils  appellent  luntre ,*  sa  longueur  est  dedix-huit 
pieds  sur  huit  de  largeur  et  quatre  de  hauteur. 
Sa  proue  est  plus  spacieuse  que  sa  poupe  pour 
donner  plus  d’aisance  à celui  qui  tient  la  lance. 
Au  milieu  est  planté  un  mât  de  dix- sept  pieds 
de  haut,  muni  de  quelques  marches  pour  y mon- 
ter, et  d’une  table  ronde  à son  sommet  où  se 
place  l’homme  qui  doit  faire  l’office  d’explora- 
teur, Ce  mât , qui  se  nomme  fariere  > est  tra- 
versé 


i)  ANS  tES  DEUX  StCILES.  22§ 
Versé  près  de  sa  base  par  une  pièce  de  bois  de 
dix-huit  pieds  de  long , coupant  à angles  droits 
la  barque  dans  sa  largeur.  A chaque  bout  de 
cette  traverse  qui  dépassé  d’un  pied  et  demi 
les  bords  de  la  barque  , est  attachée  une  rame 
qu’un  homme  fait  agir  5 ürt  troisième  placé  au 
milieu , d’une  main  tenant  la  rame  droite  , de 
l’autre  la  rame  gauche  , sert  de  timonier,  règle 
le  mouvement  des  rames  , et  dirige  la  barque. 
Son  emploi  est  encore  de  monter  sur  le  mât , 
d’observer  l’espadon , de  le  suivre  attentivement 
des  yeux  , de  l’indiquer  de  la  main  ou  de  la 
Voix  aux  rameurs  du  milieu  secondés  par  deux 
autres  dont  les  rames  plus  petites  sont  attachées 
à la  poupe  5 c’est  ainsi  qu’ils  voguent  continuel- 
lement, poursuivant  sans  relâche  le  poisson  qui 
fait  mille  tours  et  détours , et  semble  les  défier 
à la  course.  La  lance  pour  le  frapper  est  faite 
de  bois  de  charme  qui  se  plie  difficilement. 
Sa  longueur  est  de  douze  pieds.  Le  fer  qui  la 
termine  a sept  pouces  de  long  5 il  est  armé  la- 
téralement de  deux  autres  fers  appelés  oreilles  ÿ 
également  tranchans  et  aigus  , mais  mobiles.  On 
les  fixe  d’abord  pour  assurer  la  main  du  lancier 
au  moment  qu’il  va  frapper  ; quand  le  coup  est 
parti , ces  deux  fers  latéraux  se  séparent  du  fer 
principal  et  rendent  sa  blessure  plus  large.  Ce 
fer  n’est  pas  fixé  dans  le  bois,  il  y est  seulement 
Tome  IV \ P 


VOYAGES 


2 2 6 

adapté  de  manière  qu’après  le  coup  il  s’en  dé- 
tache et  reste  plongé  dans  la  blessure  ; le  bois 
et  le  fer  sont  attachés  à une  corde  qu’un  homme 
tient  dans  la  main  , et  au  moyen  de  laquelle  le 
poisson  se  traîne  encore  derrière  la  barque.  Cette 
corde,  grosse  comme  le  petit  doigt,  a six  cents 
pieds  de  long. 

Cependant  ces  préparatifs  ne  se  terminent  pas 
là  5 quand  les  espadons  côtoyent  la  Calabre  , il 
est  nécessaire  d’avoir  deux  autres  explorateurs 
montés  sur  les  rochers  et  sur  les  écueils  qui 
bordent  la  côte  ; de  même , quand  ces  poissons 
prennent  leur  route  le  long  de  la  Sicile  $ mais 
ici , faute  d’écueils  et  de  rochers  , les  explora- 
teurs se  tiennent  au  sommet  de  deux  mâts  de 
quatre-vingts  pieds  de  haut  liés  à deux  grandes 
barques , lesquelles  sont  ancrées  au  rivage , et 
distantes  l’une  de  l’autre  d’un  jet  de  pierre. 

Tout  étant  disposé  , voici  l’ordre  de  la  pêche. 
Lorsque  les  deux  explorateurs  perchés  sur  la 
cime  des  rochers  ou  des  mâts  jugent  de  loin 
l’approche  d’un  espadon , au  changement  de  la 
couleur  de  l’eau  sous  la  surface  de  laquelle  ce 
poisson  nage,  ils  le  signalent  de  la  main  aux 
pêcheurs  qui  accourent  avec  leur  barque  , et 
ils  ne  cessent  de  crier  et  de  faire  des  signes,  que 
lorsque  l’autre  explorateur  monté  sur  le  fariere 


î)  ÂÏÏS  LES  DEUX  SICILE  S.  22*} 

Va  découvert  et  le  suit  des  yeux.  A la  voix  de 
celui-ci  , la  barque  vogue  tantôt  à droite  , tan- 
tôt à gauche  , tandis  que  le  lancier , debout  sur 
la  proue , l’arme  en  main  , cherche  à le  tenir 
sous  le  coup.  Quand  le  poisson  est  à la  portée 
de  la  lance  .,  l’explorateur  descend  de  son  mât  3 
se  met  au  milieu  des  deux  rames  , les  dirige 
selon  les  signes  que  lui  fait  le  lancier  3 celui-ci  sai- 
sissant le  moment  favorable , frappe  sa  proie  sou^ 
vent  à la  distance  de  dix  pieds.  Aussi-tôt  après 
le  coup,  il  lui  lâche  la  corde  qu’il  tient  en  main 
pour  lui  donner  calme  > dit -‘il,  tandis  que  la 
barque  voguant  à toutes  rames  , suit  le  poisson 
blessé  jusqu’à  ce  qu’il  ait  perdu  ses  forces  5 alors 
il  monte  à la  surface  de  l’eau  5 les  pêcheurs  s’en 
approchent  , le  tirent  à eux  avec  un  crochet 
de  fer , et  le  transportent  sur  le  rivage.  Quel- 
quefois il  arrive  que  l’espadon  , furieux  de  sa 
blessure  , s’élance  contre  la  barque  et  la  perce 
de  son  épée  5 aussi  les  pêcheurs  se  tiennent-ils 
sur  leur  garde  au  moment  de  l’abordage,  sur- 
tout si  l’animal  est  d’une  grandeur  considérable 
et  qu’il  paraisse  conserver  de  la  vie.  Quelquefois 
il  se  sauve  de  leur  poursuite  , soit  que  le  coup 
n’ait  pas  pénétré  assez  profondément , soit  que 
la  corde  vienne  à se  rompre  en  lui  laissant  le 
fer  dans  la  blessure.  Si  elle  n’est  que  légère,  il 
en  guérit  promptement,  plusieurs  ayant  été  pria 

P a 


VOYAGES 


220 

couverts  de  cicatrices  5 si  elle  est  profonde  3 ïî 
meurt  infailliblement  3 et  devient  la  proie  des 
autres  poissons  , ou  du  premier  occupant.  Le 
poids  ordinaire  de  l’espadon  est  de  cent  à deux 
cents  livres  5 mais  il  y en  a qui  pèsent  jusqu’à 
trois  cents  livres. 


DANS  LE,  S DEUX  SICILE  S.  229 

CHAPITRE  XXXI. 

Pêche  des  chiens  de  mer . 

Ces  poissons  appartiennent  au  genre  des  squales: 
ce  n’est  qu’accidentellement  qu’on  en  prend  dans 
le  détroit  de  Messine,  soit  parce  qu’ils  n’ont  point 
de  passages  réguliers  et  périodiques , soit  parce 
que  leur  chair  coriace  n’est  point  bonne  à man- 
ger et  qu’il  y a toujours  du  danger  à les  atta- 
quer. Leur  hardiesse  est  si  grande,  qu’ils  vont 
assaillir  les  hommes  jusque  dans  l’intérieur  du 
port.  Un  pêcheur  s’y  baignant  un  jour  , fut  sur- 
pris par  un  de  ces  poissons  qui  lui  trancha  net 
la  cuisse.  Peu  de  temps  après  le  vorace  animal 
fut  tué  aux  environs  du  phare , et  on  retrouva 
dans  son  corps  cette  cuisse  entière  telle  qu’il 
l’avait  engloutie. 

Cet  événement , qui  eut  lieu  quelque  temps 
avant  mon  arrivée  à Messine , et  qui  me  fut 
attesté  par  les  habitans , n’étonnera  point  ceux 
qui  connaissent  la  voracité  de  ces  monstres  ma- 
rins. De  pareils  exemples  ne  sont  point  rares 
dans  la  Méditerranée.  Il  y a peu  d’années , près 
Nervi , et  à Chiavari  dans  la  rivière  de  Gênes  , 

P 5 


V O Y À G E S 


q5q 

ils  dévorèrent  deux  personnes  qui  se  baignaient 
au  bord  de  la  mer.  En  passant  par  Nice , en  1 y85  > 
on  m’apporta  les  mâchoires  d’un  de  ces  poissons* 
dans  l’estomac  duquel  on  avait  trouvé  un  enfant 
tout  entier.  Je  conserve  ,çes  mâchoires  armées 
de  leurs  dents*  leur  ouverture  est  telle  qu’elle 
ne  laisse  pas  douter  un  moment  de  la  possibilité 
du  fait  * qui  d’ailleurs  avait  eu  toute  la  ville  pour 
témoin.  Nicolës  Stenone , dans  sa  Notomie  de 
la  tête  d’un  chien  de  mer  saisi  â la  distance  de 
quelques  milles  du  port  de  Livourne  * observe 
que  le  diaipètré  transversal  de  la  boqche,  pris 
de  l’angle  d’une  mâchoire  à l’autre  * avait  une 
coudée  de  long , mesure  de  Florence  ; et  que 
le  second  diamètre*  perpendiculaire  au  premier* 
embrassait  les  quatre  cinquièmes  de  cette  cou- 
dée. Ce  n’est  donc  point  merveille  de  trouver 
dans  les  estomacs  de  ces  animaux  des  hommes 
entiers  , püîsque  leur  bouche  est  très-capable 
de  les  recevoir  (i). 

On  en  lit  un  exemple  bien  mémorable  dans 
l’ouvrage  de  Brunnih  intitulé  : Ichtiologia  Mas$i - 
liensis . Je  le  rapporterai  dans  les  propres  termes 
de  l’auteur*  parce  qu’il  y a joint  des  circonstances 
qui  sont  garantes  de  sa  véracité.  « Dans  le  temps 


(i)  E14m.  royoh 


DANS  LES  DEUX  S I C I L E S.  23l 
»que  j’étais  à Marseille,  dit-il , on  y prit  un  pois- 
»son  de  cette  espèce  ( squalus  carcarias  ) de  la 
» longueur  de  quinze  pieds.  Deux  années  aupa- 
ravant on  avait  tué  sur  les  cotes  , entre  Cassis 
»et  la  Ciotat,  un  autre  chien  de  mer  encore  plus 
» grand.  On  lui  trouva  dans  l’estomac  deux  scom- 
»bres  peu  endommagés  , et  un  homme  entier 
»avec  son  vêtement  intact , qui  tous  paraissaient 
» avoir  été  dévorés  depuis  peu  de  temps.  Entre 
» plusieurs  témoins  oculaires  de  ce  fait,  je  puis 
5> nommer  M.  Garnier,  secrétaire  du  roi , qui  di- 
rige dans  la  ville  de  Cassis  une  belle  manufac- 
»ture  de  corail  rouge  , au  moyen  de  laquelle  il 
svfait  vivre  une  multitude  de  pauvres  gens  5 et 
»M.  Boyer,  curé  de  là  Ciotat , tous  les  deux  fort 
» instruits  et  dignes  de  foi  (1)  ». 


(1)  « Capiebatur  tempore  quo  Massiliæ  fui  , piscis 
ejus  speciei  (squalus  carcarias)  quindecim  pedum  lon- 
gitudine.  Major  duos  abhinc  annos  occidebatur  hærens 
in  littore  urbes  inter  Cassidem  et  la  Ciotat.  Yentriculo 
tenuit  duos  scombros  thynnos , parum  læsos , liominem- 
que  integrum  cum  vestitu  omnino  intactum , omnes  ut 
apparuit  breve  ante  tempus  devoratos.  Testes  oculâti  , 
inter  multos  alios , fuere  dominus  Garnier , secretarius 
régis  Galliæ  , qui  præclara  corallii  rubri  fabrica  urbis 
Cassidis  pauperes  sublevat  multos , ut  et  rev.  dominus 
Boyer,  parochus  urbis  la  Ciotat  dictæj  uterque  erudi- 
tione  simul  ac  fide  satis  pollentes  » . 

p 4 


VOYAGES 


&3a 

Cette  ampleur  naturelle  de  bouche  et  de 
gueule  dans  les  chiens  de  mer , est  encore  sus- 
ceptible de  s’étendre,  davantage  par  la  grande 
élasticité  dçs  os  maxillaires  qui  sont  de  nature 
cartilagineuse  : c’est  ainsi  que  les  serpens  peuvent, 
au  moyen  de  la  dilatation  de  leurs  mâchoires  , 
engloutir  des  animaux  plus  volumineux  qu’eux,  et 
qu’une  vipère  avale  facilement  une  taupe  qui  est 
deux  fois  plus  grosse  qu’elle. 

Pendant  mon  séjour  à Messine , n’ayant  pas; 
eu  l’occasion  d’assister  à la  capture  d’aucun  chien 
de  mer,  je  ne  puis  rien  dire  de  la  manière  dont 
on  s’y  prend  pour  les  attaquer  et  s’en  rendre 
maître  ; je  me  bornerai  à décrire  un  de  ces  pois- 
sons d’une  grosseur  asse?;  considérable , qui  fut 
tué  dans  le  détroit  quelque  temps  après  mon 
départ , et  dont  l’abbé  Grano  eut  soin  de  m’en- 
voyer la  dépouille  à Pavie.  Quoique  cet  animal 
se  rapproche  par  certains  caractères  du  squalus 
maximus  de  Linnée  , il  en  diffère  si  essentielle- 
ment par  d’autres,  que  je  crois  pouvoir  le  donner 
pour  une  espèce  nouvelle.  Je  m’arrêterai  prin- 
cipalement à ses  divers  ordres  de  dents  , à leur 
configuration , leur  position  respective  sur  le  plan 
des  mâchoires,  et  à quelques  Autres  circonstances 
non  moins  propres  à fixer  les  vrais  caractères 
de  çet  animal  et  à nous  mettre  en  état  de  1© 


DANS  LES  DEUX  SIC  ILE  S.  ^55 
comparer  avec  les  espèces  connues  du  même 
genre. 

Son  corps,  depuis l’extrémité  d u museau  j usqu  à 
la  racine  de  la  queue , a huit  pieds  neuf  pouces 
de  long;  il  est  un  peu  applati  sur  le  dos,  et  sa  plus 
grande  circonférence  est  de  cinq  pieds  un  pouce 
et  demi.  Le  museau  est  pointu,  la  tête  arrondie; 
l’ouverture  transversale  de  la  bouche  placée  sous 
le  museau,  a sept  pouces  et  demi  de  diamètre  : 
en  la  mesurant  de  haut  en  bas,  elle  a sept  pouces. 
La  mâchoire  supérieure  est  plus  longue  que  l’in- 
férieure ; elles  s’arrondissent  un  peu  vers  le  mi- 
lieu , la  première  moins  que  la  seconde. 

Entre  la  pointe  du  museau  et  les  yeux,  il 
existe  deux  trous  à-peu-près  rectangulaires  ; la 
longueur  du  plus  grand  côté  , posé  horizontale- 
ment, est  de  sept  lignes;  celle  du  plus  petit,  posé 
verticalement,  est  de  trois  lignes.  Ces  deux  trous 
percent  à travers  la  peau  de  l’animal. 

Les  yeux , assez  grands,  sont  situés  aux  deux 
côtés  de  la  tête.  Les  soupiraux,  qui  se  présentent 
de  chaque  côté  au  nombre  de  cinq  dans  la  région 
du  cou  , un  peu  éloignés  les  uns  des  autres  , 
correspondent  par  leur  grandeur  au  volume  de 
l’animal  : ils  sont  plus  longs  à mesure  qu’ils  se 
rapprochent  de  la  tête.  La  nageoire  antérieure 


VOYAGES 


234 

dorsale , placée  au-dessous  vers  la  moitié  du  corps, 
a trois  pouces  de  longueur  ; elle  est  ronde  à son 
extrémité , et  se  réunit  à une  appendice  lancéolée 
qui  se  dirige  vers  la  queue. 

Les  deux  nageoires  pectorales  sont  posées 
horizontalement  ; elles  ont  chacune  deux  pieds 
de  longueur  et  un  de  largeur  à l’endroit  où  elles 
s’attachent  au  corps  ; leur  origine  se  trouve  im- 
médiatement au-dessous  du  dernier  soupirail  le 
plus  éloigné  de  la  tête. 

Les  nageoires  du  ventre  ont  l’une  et  l’autre 
deux  pouces  de  longueur  ; elles  sont  lancéolées 
au  sommet  avec  une  appendice  dirigée  vers  la 
queue.  La  nageoire  de  l’anus  est  arrondie  à son 
extrémité  ; sa  longueur  est  de  deux  pouces;  elle 
est  située  un  peu  au-dessous  de  la  région  de  la 
nageoire  postérieure  dorsale. 

La  queue  est  à deux  lobes  , ou  pour  mieux 
dire,  à deux  pointes  ; elle  est  formée  de  deux  na- 
geoires , découpées  en  manière  de  croissant  : la 
partie  dominante  a vingt-deux  pouces  de  long. 

La  couleur  du  dos  et  des  côtés  est  d’un  gris 
tirant  sur  le  brun  : le  dessous  du  corps  est  un 
peu  plus  clair. 

Les  dents  de  la  mâchoire  inférieure  sont  au 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S-  2^5 
nombre  de  soixante-quatre  , laissant  au  milieu 
un  espace  vide  de  la  largeur  d’un  pouce.  Elles 
forment  autant  de  groupes  séparés  les  uns  des 
autres  : la  direction  de  ces  groupes  est  trans- 
versale du  dehors  au  - dedans  de  la  mâchoire. 
Chaque  groupe  résulte  de  quatre  rangées  de 
dents  , à la  réserve  de  ceux  qui  avoisinent  l’es- 
pace vide  , lesquels,  au  nombre  de  quatre,  deux 
de  chaque  côté  , sont  composés  chacun  de  cinq 
rangées.  Ces  dents  qui  ne  sont  point  contiguës 
à cause  de  la  séparation  des  groupes,  ont  une 
blancheur  éclatante  ; elles  sont  un  peu  courbes 
avec  la  pointe  plus  ou  moins  penchée  vers  le 
gosier»  La  face  qui  regarde  l’extérieur  de  la 
bouche  est  à peine  convexe  : la  face  opposée 
l’est  davantage.  Les  bords  sont  anguleux,  tran* 
chans , mais  non  pas  faits  en  forme  de  scie  ; les 
pointes  sont  très -aiguës.  Les  plus  petites  dents 
gisent  à la  racine  de  la  mâchoire  $ elles  ont  quatre 
lignes  de  long  , et  à leur  base  trois  lignes  et 
demie.  Mais  à mesure  qu’elles  s’approchent  du 
milieu  de  la  mâchoire,  elles  croissent  en  dimen- 
sion et  arrivent  jusqu’à  quinze  lignes  en  longueur 
sur  sept  et  demie  en  largeur. 

Ce  que  nous  avons  dit  des  groupes,  du  nombre , 
de  la  forme  et  de  la  grandeur  des  dents  de  la 
mâchoire  inférieure , peut  s’appliquer  à celles 


s36 


VOYAGES 


que  présente  la  mâchoire  supérieure;  seulement 
on  n’y  trouve  point  les  quatre  groupes  à cinq 
rangées  de  dents  : tous  en  contiennent  quatre,  et 
pas  davantage.  De  plus  elles  sont  droites , et  si 
l’on  y apperçoit  par-ci  par-là  quelque  courbure , 
cette  déviation  est  presqu’insensible. 

Quelques  dents  de  la  première  rangée  dans 
les  deux  mâchoires  étaient  brisées , soit  que  cet 
accident  fût  l’effet  des  combats  que  l’animal  avait 
livrés  à d’autres  poissons,  soit  qu’il  les  eût  perdues 
en  dévorant  sa  proie. 

Au  reste , ce  ne  sont  point  des  alvéoles  qui 
contiennent  les  dents,  elles  sont  toutes  implan- 
tées dans  une  chair  dure  et  fongeuse.  Mais  il  faut 
remarquer  que  la  première  rangée  saille  hors 
de  la  bouche , et  qu’elle  est  presque  verticale 
au  plan  des  mâchoires  ; que  les  autres  rangées 
sont  appuyées  horizontalement  sur  le  plan  avec 
les  pointes  tournées  vers  le  gosier , et  en  tout 
ou  en  partie  ensevelies  dans  la  chair  fongeuse: 
c’est  en  préparant  la  dépouille  de  ce  squale 
pour  le  placer  dans  le  musée  de  Pavie  , que 
j’ai  oté  cette  chair  et  soulevé  les  dents  , pour 
que  leur  système  entier  fût  visible.  J’ajouterai 
que  dans  les  deux  mâchoires,  il  y avait  des  dents 
de  la  dernière  rangée  encore  tendres  à leur  base , 
semi  - cartilagineuses  , et  que  leur  cavité  inté- 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  û!5j 
rîeure  était  pleine  d’une  substance  blanchâtre  et 
très-tendre. 

Pour  s’assurer  si  ce  squale  est  véritablement 
de  l’espèce  connue  sous  le  nom  de  squale  très - 
grand y il  conviendrait  de  comparer  ma  descrip- 
tion avec  celles  que  les  naturalistes  nous  ont 
données  de  ce  dernier.  La  meilleure , fournie  par 
Gunner,  se  trouve  dans  les  Mémoires  de  l’aca- 
démie de  Norwège  que  je  n’ai  pu  me  procurer  ; 
mais,  au  dire  deBroussonnet,  elle  est  encore  très- 
incomplète  (1).  Linnée,  qui  s’est  servi  de  cette 
description , en  a tiré  les  caractères  suivans  : 

Squalus  maximus  dentibus  caninis  y pinna 
dors  ali  anteriore  majore . 

Habitat  in  oceano  arctico  y victitans  me - 
dusis. 

Corpus  magnitudine  certans  cum  balœnis  , 
similUmum  S.  Carthariœ  , sed  absque  fora - 
minulo  ante  aut  post  oculos.  Pinna  ani  parva 
paulo  post  regionem  pinnœ  dorsalis  poste- 
rions. 

Au  surplus,  d’après  le  témoignage  de  Fabri- 
cius  (2),  ce  grand  animal  se  nourrit,  non-seu- 


(1)  Voyez  Rozier  , an.  1785. 

(2)  Vid,  Fauna  Groenl . 


VOYAGES 


üS8 

lement  de  méduses  , mais  de  marsouins  et  autres 
petits  cétacées  qu’il  avale  tout  entiers. 

Résumons  les  caractères  de  Linnée  : les  dents 
canines  , la  nageoire  antérieure  dorsale  plus 
grande  que  la  postérieure  3 celle  de  l’anus  si- 
tuée un  peu  derrière  la  région  de  la  nageoire 
dorsale  postérieure  ; privation  du  petit  trou,  tant 
en  avant  des  yeux  que  derrière. 

Cette  description  se  met  en  concordance  avec 
la  mienne  , à la  réserve  des  dents  qui  étant  dans 
leur  longueur  anguleuses  et  tranchantes  , n’ont 
pas  proprement  la  forme  des  canines  3 et  du 
petit  trou  au-dessus  des  yeux  qui, selon  Linnée 
ou  plutôt  Gunner , n’existe  pas  dans  le  squale 
très-grand. 

La  réalité , la  permanence  de  ces  deux  traits 
caractéristiques  dans  l’espèce  de  squale  que  je 
donne  comme  nouvelle  , sont  confirmées  par 
l’exemple  d’un  autre  squale  beaucoup  plus  petit 
qui  fut  pêché  dans  la  mer  de  Marseille  en  1781, 
époque  où  je  me  rendis  moi-même  dans  cette  ville 
pour  y travailler  à une  collection  de  poissons  que 
je  destinais  au  musée  de  Pavie.  Ce  squale  , me- 
suré de  la  pointe  du  museau  jusqu’à  l’origine  de 
la  queue  , a cinq  pieds  et  demi  de  long  sur  deux 
pieds  sept  pouces  de  circonférence.  Il  cadre 


DANS  LES  DEUX  SICILES.  209 

parfaitement  avec  chacun  des  caractères  indi- 
qués ci-dessus.  Les  angles  solides  , longitudinaux 
et  très-aigus  des  dents , y sont  très-sensibles  ; 
on  y remarque  également  les  deux  trous  dont 
j’ai  parlé  , situés  au  - dessus  des  yeux  à la  dis- 
tance d’un  pouce  neuf  lignes , et  éloignés  de 
la  pointe  du  museau  de  trois  pouces  et  demi. 
Je  me  rappelle  que  lorsque  j’en  fis  l’acquisi- 
tion à Marseille  , c’est-à-dire,  peu  de  temps 
après  qu’il  fut  pêché,  j’introduisis  la  sonde  dans 
les  deux  trous,  et  qu’elle  pénétra  jusque  dans 
la  bouche. 

Des  dents  anguleuses  dans  leur  longueur,  des 
trous  à la  tempe , sont  deux  particularités  qui 
doivent  compter  sans  doute  pour  des  caractères 
distinctifs  5 sur-tout  les  trous  qui , avec  la  nageoire 
de  l’anus  , ont  servi  à Broussonnet  de  fondement 
pour  diviser  les  chiens  de  mer  en  trois  ordres  : 
le  premier  embrassant  les  espèces  munies  de 
cette  nageoire  et  de  trous  à la  tempe  5 le  second 
comprenant  celles  qui  ont  cette  nageoire  et  point 
de  trous  5 le  troisième  réunissant  les  autres  espèces 
pourvues  de  trous,  et  non  de  la  nageoire.  Et 
comme  le  squale  très-grand  décrit  par  Gunner 
manque  de  frous , il  se  trouve  ainsi  placé  dans 
le  second  ordre. 

Il  faut  donc  conclure  de  là , ou  que  Gunner 


VOYAGES 


%40 

est  un  observateur  inexact  qui  n’a  point  fait  at- 
tention  à ces  dents  anguleuses , à ces  trous  dont 
nous  parlons } ou  que  le  poisson  qu’il  a décrit 
est  d’une  espèce  différente  du  mien , ce  qui  me 
paraît  heaucoup  plus  vraisemblable.  En  efFet , 
comment  n’aurait-il  pas  apperçu  deux  choses 
qui  sautent  aux  yeux  à la  première  inspection? 
Remarquôns  encore  que  ce  squale  nommé  très- 
grand  par  Gunner,  par  Linnée  , par  Brousson- 
net , est  habitant  des  mers  du  nord  5 que  celui 
dont  j’ai  donné  la  description  vit  dans  la  Médi- 
terranée j où  son  espèce  n’est  pas  rare  5 qu’il 
se  laisse  souvent  prendre  en  été  dans  le  canal 
de  Messine  ? qu’il  parvient  même  à une  gros- 
seur trois  ou  quatre  fois  plus  considérable 
que  celui  dont  la  dépouille  m’a  été  envoyée  à 
Pavie. 

J’ai  fait  observer , qu’à  la  réserve  de  la  pre- 
mière rangée  de  dents  qui  est  saillante , les 
autres  rangées  , posées  horizontalement  avec 
leurs  pointes  tournées  vers  le  gosier,  sont  en- 
sevelies dans  la  chair  5 que  leurs  racines  y sont 
plongées  sans  alvéoles  qui  les  reçoivent.  Cet 
arrangement  se  retrouve  dans  le  squalus  car- 
caria  , comme  l’a  remarqué  Sterion  : Intel - 
riores  ( ordines  dentium  ) inferiora  versus 
recurvati  gingivarum  molli  et  fungosa  carnet 

ita 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  . 0^1 
ita  delitescebant  clausi , ut  non  nisi  resectis 
gingivis  in  conspectum  prodirent . 

Mais  ensuite  voici  comment  cet  auteur  s’ex- 
prime sur  l’utilité  de  ces  dents  : Cui  usui  dentes 
ita  incurvatos  natura  destinarit , n'on  perspi - 
cio  , ciim  carnes  intra  sepulti  escœ  commi - 
nuendœ  nulla  ratione  potuerint  inservire.  lie- 
tinendæ  prœdœ  , ne  dijfugiat  y forsitan  et  dif- 
fringendœ  majori  y quam  quœ  ventrem  subire 
possit y primi  ordinis  inserviunt  : reliqui  vero , 
nisi  materiœ  necessitate  dicantur  facti  y non 
video  cujus  gratiâ  sint  confecti . 

Ainsi  ces  nombreuses  dents  couchées  sur  les 
mâchoires  du  squale,  et  recouvertes  d’une  chair 
molle  et  fongeuse  , ne  lui  sont  d’aucun  usage, 
suivant  ce  naturaliste.  Mais  les  ichthyoîogistes 
n’ignorent  pas  qu’Hérissant  n’était  pas  de  cet  avis, 
lui  qui  a trouvé  dans  l’examen  de  plusieurs  mâ- 
choires de  chien  de  mer  , que  les  dents  plus 
ou  moins  ensevelies  dans  ces  chairs , sônt  des 
dents  de  réserve  destinées  à remplacer  celles  de 
la  rangée  antérieure  $ que  si  une  ou  plusieurs 
de  ces  premières  viennent  à manquer,  les  autres 
situées  plus  bas  se  soulèvent,  et  vont  occuper 
leur  place  (1). 


(1)  Mémoires  de  FÀcadémie , an.  1 74g. 

Tome  1) Q 


242  VOYAGES 

Le  musée  de  Pavie  possédant  un  petit  squale 
requin  , et  quelques  mâchoires  de  cette  espèce 
de  poisson  , on  pense  bien  que  la  curiosité  dut 
m’inviter  à examiner  ce  fait,  et  à porter  à-la— 
fois  mon  attention  sur  les  dents  du  squale  de 
Messine,  qui  ont  à-peu-près  la  même  position. 

Le  requin  du  musée  fut  acheté  l’année  der- 
nière sur  les  côtes  d’Afrique  par  l’abbé  Rosa, 
un  des  conservateurs  de  cet  établissement.  Il  n’a 
que  six  pieds  de  long  sur  trois  pieds  quatre  pouces 
de  circonférence  : c’est  un  pygmée,  en  compa- 
raison des  adultes  de  son  espèce.  La  première 
rangée  des  dents  de  la  mâchoire  supérieure 
saille  à peine  hors  de  la  bouche  5 leurs  pointes 
sont  légèrement  courbées  vers  l’intérieur  du  go- 
sier. La  seconde  rangée  est  plus  inclinée  dans  le 
même  sens  ; les  autres  rangées  sont  applaties 
sous  celles-là  , et  s’y  cachent  en  partie.  Les  plus 
grandes  dents  ont  quatre  lignes  et  demie  de  long 
sur  trois  et  demie  de  large.  On  voit  les  mêmes 
dispositions  dans  la  mâchoire  inférieure,  excepté 
que  les  dents  plus  petites  ne  sont  pas  découpées 
en  manière  de  scie  comme  les  précédentes.  Mais 
le  dessèchement  et  la  dureté  de  ces  mâchoires 
auxquelles  je  ne  pouvais  toucher  sans  gâter  l’ani- 
mal , ne  me  permirent  pas  d’enlever  la  chair 
fongeuse,  et  de  mettre  les  dents  à découvert. 


DANS  LES  DEUX  SICILE  3.  ^43 

Je  revins  donc  aux  mâchoires  isolées  que 
possédait  le  muséum  , et  pouvant  en  disposer 
avec  liberté , j’en  pris  deux  que  je  fis  macérer 
dans  l’eau  à l’effet  de  les  ramollir.  Voici  le 
résultat  de  mes  observations.  Les  dents  de  la 
mâchoire  supérieure  étaient  triangulaires , plates 
en  dehors  3 à peine  convexes  en  dedans,  dé- 
coupées en  manière  de  scie  sur  les  bords,  ayant 
huit  lignes  de  long  sur  six  lignes  de  large  à leur 
base  : j’entends  celles  qui  avoisinaient  la  pointe 
de  la  mâchoire , ou  qui  gisaient  latéralement  à 
quelque  distance  5 car  pour  les  autres  situées 
près  du  gosier , elles  étaient  beaucoup  plus  pe- 
tites. Les  rangées  s’offraient  au  nombre  de  quatre. 
Les  dents  de  la  première  s’élevaient  presque  ver- 
ticalement sur  le  plan  de  la  mâchoire  avec  leurs 
pointes  recourbées.  Il  en  manquait  quatre , et 
on  ne  voyait  pas  qu’elles  eussent  encore  été  rem- 
placées par  celles  de  la  seconde  rangée.  Cepen- 
dant un  nombre  égal  de  ces  dernières,  corres- 
pondantes aux  absentes,  s’étaient  déjà  soulevées 
et  poussées  en  avant,  et  on  pouvait  juger  qu’avec 
le  temps  elles  auraient  pris  leurs  places.  Quant 
aux  autres  dents  de  la  seconde  rangée  9 elles 
étaient  couchées  presqu’horizontaîement  et  en- 
sevelies dans  la  chair  fongeuse  , ainsi  que  les 
dents  de  la  troisième  et  quatrième  rangée.  Une 
sorte  de  régularité  s’offrait  dans  leur  disposition  : 

Q a 


VOYAGES 


244 

les  dents  de  la  seconde  rangée  reposaient  sur 
les  dents  de  la  troisième,  et  celles-ci  sur  les 
dents  de  la  quatrième.  On  remarquait  encore , 
après  avoir  enlevé  la  chair  qui  couvrait  ces  der- 
rières, que  leur  tissu  était  tendre,  ou  du  moins 
qu’elles  n’avaient  pas  acquis  la  dureté  des  autres. 

En  considérant  les  dents  de  la  mâchoire  infé- 
rieure , je  n’ai  su  découvrir  d’autre  différence, 
sinon  qu’elles  étaient  proportionnellement  plus 
petites  ; d’ailleurs  elles  convenaient  dans  toutes 
les  circonstances  précédentes  , sans  en  excepter 
leurs  limbes  découpés  en  forme  de  scie.  A la 
réserve  de  la  première  rangée,  les  trois  suivantes 
étaient  plus  ou  moins  ensevelies  dans  la  chair 
maxillaire.  On  observait,  de  plus,  deux  dents 
appartenant  à la  première  rangée  , rompues  à 
leurs  racines;  la  fossette  longue  et  mince  où  elles 
avaient  été  implantées  paraissait  déjà  remplie  en 
partie  par  les  deux  correspondantes  de  la  seconde 
rangée , qui  étaient  venues  occuper  leur  place. 

Ainsi  je  restai  convaincu  que  les  dents  de  la 
seconde  rangée  dans  le  squale  requin  ne  lui  sont 
point  inutiles, materiœ  necessitate  facti , comme 
le  dit  Stenon  , mais  qu’elles  sont  destinées  par 
la  nature  à suppléer  celles  de  la  première  rangée 
quand  elles  se  perdent  : observation  ingénieuse 
dont  tout  le  mérite  appartient  à Hérissant,  mais 


])  A N S LES  DEUX  SICILE  S. 


qui  ne  m’en  a pas  procuré  moins  de  plaisir  en 
la  répétant  d’après  lui.  Comme  les  dents  de  la 
troisième  et  quatrième  rangée  sont  également 
adhérentes  à la  chair  fongeuse  qui  est  mobile 
dans  les  parties  antérieures  de  la  bouché,  je  ne 
fais  aucun  doute  que  lorsqu’il  se  rompt  des  dents 
de  la  seconde  rangée  qui  ont  déjà  pris  place 
dans  la  première  , celles  de  la  troisième  ne  vien- 
nent les  suppléer , et  après  elles  celles  de  la  qua- 
trième ; de  manière  que  les  trois  rangées  posté- 
rieures peuvent  être  regardées  comme  les  sup- 
pléantes de  la  première. 


Pendant  que  j’examinais  ces  deux  mâchoires 
et  que  je  considérais  l’ample  contour  de  leurs 
bords , c’est-à-dire  , celui  même  de  la  bouche 
de  l’animal , contour  qui  embrassait  alors  trente 
pouces  et  demi  malgré  la  petitesse  des  dents  dont 
les  plus  grandes  avaient  , comme  je  l’ai  dit , huit 
lignes  de  long  sur  six  de  large,  je  me  mis  à réflé- 
chir sur  l’énorme  capacité  de  gosier , et  par  con- 
séquent de  corps,  que  la  nature  a départie  à cette 
espèce  de  poisson  , dont  les  dents  fossiles,  connues 
sous  la  dénomination  impropre  de  glossopèti'es  , 
atteignent  quelquefois  la  longueur  de  plusieurs 
pouces.  J’avais  en  ce  moment  sous  les  yeux  un 
de  ces  glossopètres , qui  comportait  trente-deux 

lignes  de  circonférence  à sa  base  sur  trente-cinq 

Q 3 


VOYAGES 


246 

de  hauteur  , et  qui  , vu  sous  tous  les  sens , ne 
pouvait  être  plus  semblable  aux  dents  en  forme 
de  scie  du  requin  de  la  collection  du  muséum. 
Or , si  ce  dernier  animal  , dont  les  dents  n’ont 
que  trois  lignes  et  demie  de  large  sur  quatre 
lignes  et  demie  de  haut,  offre  un  corps  de  six 
pieds  de  longueur  sur  trois  de  largeur  quel  était 
donc  le  volume  du  requin  qui  a laissé  sa  dent  gi- 
gantesque dans  la  terre?  Quelle  bouche  énorme! 
quel  gosier  ! 

Ce  n’est  pas  tout  ; j’ai  supposé  que  le  glosso- 
pètre  faisait  partie  des  grandes  dents  situées  vers 
l’extrémité  de  la  mâchoire , et  saillantes  hors  de  la 
bouche  ; mais  s’il  était  de  l’ordre  des  petites  si- 
tuées vers  les  racines  de  la  mâchoire,  la  propor- 
tion augmenterait  en  raison  de  cette  différence. 

Quoique  l’on  pêche  aujourd’hui  des  requins 
d’un  volume  considérable  , ils  sont  bien  éloignés 
d’avoir  les  dimensions  qu’indique  la  dent  fossile 
dont  je  viens  de  parler.  Ce  n’est  point  là  un  sujet 
de  surprise  pour  ceux  qui  savent  qu’il  existe  dans 
le  sein  de  la  terre  , des  dents  , des  os  fossiles, 
dont  la  grandeur  témoigne  qu’ils  ont  appartenu 
à des  individus  infiniment  plus  gros  que  ceux 
de  la  même  espèce  qui  vivent  actuellement,  et 
qui  multiplient  dans  les  parties  connues  du  globe. 
Telles  sont  , par  exemple , ces  défenses  d’élé- 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  2/<7 
phans  d’une  longueur  démesurée  qui  nous  vien~ 
nent  de  l’Asie  et  de  l’Afrique.  On  peut  lire  à ce 
sujet  un  Mémoire  aussi  curieux  qu’instructif  de 
l’abbé  Fortis,  intitulé  : Dell 9 ossa  d ’ eleùmti  de ’ 
monti  di  Romagnano  nel  V'eronese . En  1791, 
à quinze  milles  de  Pavie,  on  pêcba  dans  le  Pô , en 
face  d’Arena>un  crâne  de  daim  ( cervus  dama), 
qui  fut  jugé  digne  d’entrer  dans  la  collection  des 
os  fossiles  du  musée.  Il  est  parfaitement  conservé 
dans  son  état  naturel  d’os , garni  de  ses  dents  : 
une  corne  lui  manque.  La  grandeur  de  son  vo- 
lume en  fait  seul  la  rareté , car  il  est  bien  deux 
fois  et  demie  plus  gros  que  les  têtes  de  ses  sem- 
blables auxquelles  je  l’ai  comparé,  en  choisissant 
dans  l’espèce  ceux  qui , étant  nés  et' ayant  vécu 
dans  l’état  de  liberté,  étaient  parvenus  à leur  en- 
tière croissance  : il  faut  en  dire  autant  de  la  corne 
qui  lui  reste.  L’année  suivante  j’achetai , pour  le 
même  musée  , un  énorme  fémur  d’éléphant  tiré 
d’un  endroit  où,  quelque  temps  auparavant  , on 
avait  pêché  un  crâne  qui  paraissait  être  celui  d’un 
bœuf,  mais  d’une  grosseur  gigantesque. 

Pour  revenir  aux  requins,  peut-être  en  ver- 
rait-on  encore  qui  parviendraient  à ces  grandes 
dimensions  dont  leurs  antiques  dépouilles  font 
foi , si  les  hommes  ne  leur  livraient  une  guerre 
continuelle,  et  ne  les  détruisaient  avant  le  temps 

Q 4 


*vs8  Voyages 

de  leur  ender  développement , autant  pour  se 
défaire  de  ces  redoutables  ennemis,  que  pour 
l’utilité  que  leur  apportent  et  leur  chair,  et  leur 
graisse,  et  leur  peau.  D’ailleurs  les  appétits  glou- 
tons du  requin  l’attirent  aisément  dans  les  pièges 
qu’on  lui  tend.  C’est  ainsi  que  dans  les  mers  du 
nord  lorsqu’on  fit  pour  la  première  fois  la  pêche 
de  la  baleine  , il  s’en  trouva  d’une  grandeur  dé-, 
mesurée  qui  tombèrent  au  pouvoir  des  pêcheurs. 
Ces  énormes  baleines  disparurent  insensiblement, 
et  Ton  n’en  voit  plus  de  telles  aujourd’hui. 

Linnée  donne  au  squale  requin  six  rangées  de 
dents  découpées  en  manière  de  scie.  Je  n’en  ai 
compté  que  quatre  , mais  j’ai  en  même  temps 
observé  que  les  dents  de  la  dernière  étaient 
molles  , et  n’avaient  probablement  commencé  à 
se  développer  qu’après  celles  des  rangées  anté- 
rieures 5 d’où  je  présume  que  les  rangées  pos- 
térieures ne  se  manifestent  qu’à  la  suite  les  unes 
des  autres.  Quant  à la  forme  des  dents , j’ai  dit 
que  celles  de  la  mâchoire  inférieure  du  petit  re- 
quin du  musée  n’offraient  point  de  découpures 
aux  limbes  en  manière  de  scie,  mais  que  ces  dé- 
coupures se  manifestaient  dansles  deux  mâchoires 
plus  grandes  d’un  autre  individu. 

Je  tire  de  là  deux  conséquences  5 i°.  qu’il 
pousse  avec  le  temps  à ces  animaux  des  dents  qui, 


DANS  LES  DE  U X SICILES.  ^49 
dans  le  principe  , n’apparaissaient  point  ; 2°.  que 
ces  dents  sont  sujettes  à des  modifications,  telles 
que  des  découpures  aux  limbes.  C’est  ainsi  que 
les  dents  enfermées  dans  les  alvéoles  du  museau 
osseux  et  très-alongé  du  poisson  scie  , squalus 
sega  ; ne  se  manifestent  point  dans  les  premiers 
temps  de  son  existence. 

Mais  un  phénomène  plus  remarquable,  et  qui 
paraît  constant  dans  tous  les  âges  du  requin,  est 
sa  faculté  de  regagner  en  quelque  sorte  ses  dents 
perdues.  La  nature  a-t-elle  borné  cette  faculté 
à lui  seul , ou  l’a-t-elle  départie  à d’autres  pois- 
sons qui  auraient  également  plusieurs  rangées  de 
dents,  non  implantées  dans  les  os  maxillaires, 
mais  dans  une  chair  molle  , recourbées  vers  le 
gosier  (j’entends  celles  des  rangées  postérieures), 
et  couvertes  par  la  chair  des  mâchoires?  Ces  trois 
circonstances  s’offrent  dans  le  squale  de  Messine, 
qui  cependant  ne  paraît  point  jouir  de  la  même 
prérogative.  Il  lui  manque  plusieurs  dents  de  la 
première  rangée  3 les  correspondantes  de  la  se- 
conde ne  se  sont  point  soulevées,  elles  conservent 
au  contraire  la  même  courbure  en  arrière  qu’ont 
toutes  les  autres  de  leur  ordre. 

Avant  de  terminer  cette  dissertation  , qui  m’a 
paru  propre  à intéresser  les  naturalistes,  je  pro- 
duirai un  fait  semblable  à celui  que  je  viens  de 


VOYAGES 


$5o 

rapporter  ; je  l’ai  trouvé  dans  la  denture  très- 
singulière  de  deux  mâchoires  venues  de  Hollande 
avec  d’autres  poissons  exotiques  , et  déposées 
dans  le  musée  de  Pavie.  A leur  inspection,  j’ai 
jugé  que  le  poisson  auquel  elles  ont  appartenu 
était  un  très -gros  squale,  mais  d’une  espèce 
inconnue  ; du  moins  je  n’ai  rien  lu  dans  les  livrés 
qui  se  rapportât  aux  deux  mâchoires  que  je  vais 
décrire. 

Leur  ouverture  est  d’environ  trois  pieds  et 
demi  : un  homme  de  taille  moyenne  pourrait  y 
passer  aisément.  La  mâchoire  supérieure,  arron- 
die par-devant , est  garnie  de  cinq  rangées  de 
dents;  la  première  et  la  seconde  représentent 
comme  autant  de  peignes  qu’il  y a de  dents , 
avec  cette  différence  que  les  plus  voisins  de  la 
base  , et  celui  du  milieu  de  la  mâchoire  , sont 
plus  petits.  Chaque  peigne  est  denté  des  deux 
côtés;  il  porte  dix  denticules  de  part  et  d’autre  , 
très-aigus  par  la  pointe  , recourbés  vers  la  base 
de  la  mâchoire  , et  successivement  plus  grands  à 
mesure  qu’ils  s’approchent  du  milieu  de  la  mâ- 
choire. Le  côté  supérieur  saille  hors  de  la  bouche  : 
l’inférieur  est  tourné  vers  le  bas.  Ces  deux  côtés 
ne  sont  point  parallèles,  mais  ils  forment  avec  le 
corps  du  peigne  un  plan  qui  va  en  se  rétrécissant 
vers  la  base  de  la  mâchoire , et  s’élargissant  par 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  25l 
conséquent  dans  le  sens  opposé.  Les  peignes  , 
j’entends  toujouiVpar  cette  image  les  dents  de  la 
première  et  seconde  rangée,  sont  contigus,  ne 
laissant  entr’eux  , à leur  sommet , qu’un  petit 
espace  obtusangle  : ils  s’attachent  avec  solidité, 
dans  leur  milieu  longitudinal , à la  chair  semi- 
cartilagineuse  de  la  mâchoire. 

Telles  sont  les  principales  circonstances  qui 
s’offrent  dans  la  première  et  seconde  rangée  ; 
mais  sous  celle-ci  il  en  naît  une  troisième , sous  la 
troisième  une  quatrième,  sous  la  quatrième  une 
cinquième.  Chacune  de  ces  dernières  représente 
également  autant  de  peignes  dentés  , dont  les 
divisions  sont  au  nombre  de  dix , et  absolument 
semblables  à celles  des  deux  rangées  supérieures. 
Toute  la  différence  consiste  en  ce  que  ces  peignes 
ne  sont  dentés  que  d’un  côté,  l’autre  restant  for- 
tement attaché  aux  chairs  maxillaires.  Au  sur- 
plus , il  faut  noter  qu’à  la  seule  réserve  de  la 
première  rangée , les  autres  sont  profondément 
ensevelies  sous  une  couche  de  chair  fongeuse  , 
qu’il  est  nécessaire  d’enlever  pour  les  mettre  à 
découvert. 

Je  passe  sous  silence  une  multitude  d’autres 
petites  dents  lisses,  obtuses  , situées  aux  racines 
de  la  mâchoire , et  placées  au-dessous  des  dents 
à peigne.  Quant  à celles-ci  qui  forment  cinq 


VOYAGES 


25s 

rangées  , si  on  multiplie  ce  nombre  par  treize , 
on  aura  soixante-cinq  dents  à peigne  pour  tout 
le  contour  de  la  mâchoire.  A la  vérité  , il  en 
manque  une  des  plus  grandes  dans  la  première 
rangée  $ mais  sa  place  reste.  Cette  privation  n’é- 
tait pas  récente  à l’époque  où  l’on  prit  le  poisson, 
car  la  chair  fongeuse  couvrait  la  cicatrice  , et 
y formait  une  éminence  anguleuse  de  quelque 
épaisseur.  Or  , si  la  seconde  rangée  des  dents 
avait  été  destinée  par  la  nature  à suppléer  celles 
de  la  première,  la  dent  sous-correspondante  à 
l’absente  , dans  l’exemple'  que  nous  avons  sous 
les  yeux,  n’eût-elle  pas  pris  sa  place,  ou  du  moins 
ne  se  fût-elle  pas  soulevée  pour  s’en  approcher? 
Mais  il  n’en  est  rien , et  cette  prétendue  dent 
supplémentaire  a conservé  la  même  position  , 
la  même  direction  que  ses  compagnes, couvertes 
comme  elle  d’une  couche  de  chair  fongeuse. 

On  voit,  planche  VIII,  la  représentation  de  la 
mâchoire  supérieure  que  nous  venons  de  dé- 
crire: la  lettre  A indique  la  place  de  la  dent  qui 
manque. 

La  mâchoire  inférieure  , plus  courte  que  la 
supérieure,  plus  effilée  dans  le  milieu,  est  armée 
d’une  denture  bien  différente.  Chaque  dent,  de 
deux  tiers  plus  petite  que  celles  à peigne , est 
tantôt  à deux  pointes , tantôt  à trois  ou  à quatre. 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  z53 
sans  suivre  de  règle  constante  , et  les  pointes 
penchent  vers  les  cotes  de  la  mâchoire  : la 
planche  VIII  qui  représente  les  deux  mâchoires, 
en  laisse  voir  quelques-unes  5 elles  forment  trois 
rangées  , et  chaque  rangée  dans  son  contour 
embrasse  quatorze  dents.  Celles  de  la  première 
ont  une  direction  presque  verticale  5 celles  de 
la  seconde  et  de  la  troisième  sont , comme  à 
l’ordinaire  , couchées  et  recouvertes  par  la  chair 
fongeuse  : toutes  y sont  profondément  enraci- 
nées. Plusieurs  dents  manquent  dans  la  première 
rangée,  et  n’ont  point  été  remplacées  par  celles 
de  la  seconde  ; nulle  apparence  même  que  celles- 
ci  dussent  les  remplacer,  puisqu’elles  sont  restées 
dans  leur  situation  primitive. 

L’exemple  de  ce  squale  inconnu , et  de  celui 
qui  fut  pris  à Messine  et  dont  j’ai  donné  la  descrip- 
tion, nous  prouve  que  malgré  la  conformation  et 
la  position  relative  des  dents , semblables  à celles 
dn  squale  requin,  il  est  dans  ce  genre  des  espèces 
qui  ne  jouissent  pas  du  même  privilège,  c’est-à- 
dire,  dont  les  dents  inférieures  ne  sont  point  des- 
tinées par  la  nature  à remplacer  les  dents  supé- 
rieures. 

Mais  si  ces  dents  ainsi  tournées  vers  le  gosier  * 
et  enveloppées  de  chair,  n’ont  point  la  faculté 
de  se  relever , et  ne  sont  point  mises  là  comme  en 


VOYAGES 


2%4 

réserve  pour  venir  prendre  la  place  de  celles  qui 
tombent  , soit  naturellement  3 soit  accidentelle- 
ment > quel  est  donc  leur  usage  ? Certainement 
si  durant  la  vie  de  l’animal  elles  gardent  dans 
sa  bouche  la  même  situation  , elles  lui  sont  inu- 
tiles pour  saisir  sa  proie  , pour  Parrêter,  pour 
la  briser  ; il  ne  doit  trouver  non  plus  en  elles  ni 
moyens  d’attaque  t ni  moyens  de  défense  contre 
ses  ennemis  $ car  on  sait  que  ces  espèces  de  pois- 
sons se  livrent  continuellement  de  violens  com- 
bats. Dirons-nous  ici  avec  raison  ce  que  Stenon 
disait  à tort  des  squales  requins , reliqui  vero 
( les  dents  des  rangées  postérieures  ) , nisi  ma - 
ieriœ  necessitate  clicantur  facti  , non  video 
cujus  gratiâ  sint  confecti  ? 

Je  suis  bien  loin  de  vouloir  juger  les  fins  de 
la  nature  5 elle  en  a que  nous  ignorons  profon- 
dément , et  peut-être  que  nous  ne  pénétrerons 
jamais. Toutefois  elle  en  a aussi  d’assez  manifestes 
pour  que  nous  ne  restions  pas  dans  l’incertitude 
à leur  égard.  Il  n’est  pas  douteux , par  exemple , 
que  dans  plusieurs  animaux  les  dents  ne  soient 
une  arme  offensive  et  défensive } en  même  temps 
qu’elles  servent  à la  trituration  et  à la  mastication 
des  ali  mens  j mais  elles  ne  sont  données  à d’autres 
animaux  que  pour  saisir  leur  proie  , qu’ils  en- 
gloutissent ensuite  et  font  passer  toute  entière 


h 


DANS  LES  DEUX  SICILE  S.  s55 
dans  leur  estomac.  Les  squales  requins  ne  mâ- 
chent point,  et  cela  leur  est  commun  avec  une 
infinité  d’autres  poissons  • mais  ils  se  servent  de 
leurs  dents  antérieures  pour  s’emparer  des  ani- 
maux dont  ils  font  leur  pâture  , et  cès  dents 
venant  à leur  manquer , elles  sont  remplacées 
par  les  dents  postérieures  , telle  étant  la  destina- 
tion de  ces  dernières. 

Les  deux  espèces  que  j’ai  décrites  ne  peuvent 
de  même  employer  que  les  dents  de  la  première 
rangée , puisqu’elles  sont  les  seules  saillantes  dans 
leur  bouche.  Mais  si  elles  tombent , soit  natu- 
rellement , soit  par  accident , la  perte , comme 
on  l’a  vu  , en  est  irréparable  $ nulle  ressource 
pour  eux  dans  celles  de  la  seconde , de  la  troi- 
sième et  de  la  quatrième  rangée.  Mais  doit-on 
pour  cela  les  appeler  inutiles  ? une  telle  pré- 
somption n’est  pas  dans  ma  pensée.  On  en  jugeait 
ainsi  des  dents  postérieures  des  squales  requins  5 
mais  un  examen  plus  approfondi  de  leurs  mâ- 
choires nous  a ensuite  découvert  leur  véritable 
usage.  Je  n’ai  observé  et  comparé  que  celles 
de  deux  individus  d’espèce  différente 5 si  j’avais 
été  à portée  d’étendre  ces  recherches  à un  plus 
grand  nombre , peut-être  en  aurais- je  obtenu  des 
preuves  que  je  ne  soupçonne  pas , sur-tout  en 
les  observant  dans  des  âges  divers. 


2 5$  VOYAGES,  ÛC . 

En  attendant,  profitons  de  la  leçon  qui  s’offre 
à nous  dans  ces  remarques  5 soyons  circonspects 
dans  l’emploi  des  argumens  fondés  sur  la  seule 
analogie  : pouvait- elle  être  plus  grande  entre  les 
circonstances  qui , dans  les  squales  requins,  ac- 
compagnent les  dents  des  rangées  inférieures  , 
et  celles  qui  se  combinent  avec  les  mêmes  ran- 
gées dans  les  deux  squales  ci  dessus  décrits?  Com- 
bien il  était  facile  d’argumenter  en  soutenant  que 
ces  rangées  étant  suppléantes  dans  les  premiers  , 
elles  devaient  l’être  dans  les  deux  autres  ! et  ce- 
pendant l’observation  a décidé  le  contraire. 

Dans  le  cours  de  cette  dissertation  , j’ai  consi- 
déré les  squales  comme  faisant  partie  de  la  classe 
des  poissons  , quoique  Linnée  les  ait  rangés  au 
nombre  des  amphibies,  parmi  lesquels  il  compte 
aussi  les  raies , les  lamproies , &c.  parce  qu’ils  sont 
pourvus,  selon  lui,  de  véritables  poumons;  mais 
Vicq-d’Azyr  a démontré  l’inexistence  de  ce  vis- 
cère dans  ces  animaux,  et  moi-même  j’ai  confirmé 
quelque  part  les  preuves  qu’il  en  a données  (1). 

(1)  Voyez  Opusc.  scelt.  di  Milano,  ann.  tjS3yt.  VL 
FIN  I)  U TOME  QUATRIÈME. 


TABLE 


Zbnt  ■ 4. 


Fia.  III 


« 


'<* 


TABLE  ET  SOMMAIRES 


des  chapitres  contenus  dans  ce  quatrième 
volume. 

chapitre  xxiii,  page  1.  Considérations 
sur  ly  activité  des  feux  volcaniques . 

Opinions  contraires  snr  cette  activité  : les  uns  veulent 
qu’elle  soit  très-grande  , les  autres  très-faible.  Exa- 
men des  argumens  favorables  à la  première  opinion. 
Argument  déduit  des  effets  produits  par  le  feu  d’une 
lave  coulante,  et  comparés  à ceux  du  feu  ordinaire. 
Ardeur  de  cette  lave  au  moment  de  sa  sortie,  supé- 
rieure à celle  que  les  fourneaux  peuvent  communiquer. 
Second  argument  déduit  de  la  promptitude  avec  la  - 
quelle se  liquéfia  un  morceau  de  lave  froide  jeté  sur 
une  lave  en  fusion  : liquéfaction  plus  prompte  que 
celle  qui  s’opère  dans  les  fourneaux.  Troisième  argu- 
ment déduit  de  la  conservation  d’un  calorique  très- 
énergique  dans  les  laves  long-temps  après  qu’elles 
ont  cessé  de  couler.  Quatrième  argument  déduit  de 
la  fusion  de  grands  amas  de  pierres  qui  se  sont  trou- 
vés sur  le  passage  des  laves  fluenles,  et  des  grands 
espaces  de  pays  que  ces  laves  ont  parcourus.  Cin- 
quième argument  déduit  de  la  grande  difficulté  que 
l’on  éprouve  à liquéfier  dans  les  fourneaux  le  verre 
volcanique  d’Islande.  Sixième  argument  déduit  de 
l’ébullition  de  l’eau  de  la  mer  causée  par  des  incendies 

Tome  IV.  R 


^58  TABLE  ET  SOMMAIRES 

volcaniques.  Septième  et  dernier  argument  déduit  d© 
la  grande  fluidité  des laves*en  plusieurs  circonstances. 

Les  argumens  employés  par  les  partisans  de  l’opinioH 
contraire  pour  prouver  la  faiblesse  des  feux  volca- 
niques peuvent  aisément  se  réduire  à un  seul , qui 
est  que  les  pierres  , en  passant  à l’état  de  lave , n’é- 
prouvent aucun  changement  essentiel , et  que  leurs 
schorls  ne  se  fondent  point,  tandis  que  le  feu  ordi- 
naire détruit , par  la  vitrification , les  caractères  pri- 
mordiaux de  ces  mêmes  pierres  , et  opère  pour  l’or- 
dinaire la  fusion  des  schorls.  Cet  argument  est  plus 
spécieux  que  solide.  Il  n’est  pas  toujours  vrai  que 
les  feux  volcaniques  soient  insuflisans  pour  fondre  les 
schorls;  bien  plus,  ils  fondent  quelquefois  les  grenats 
du  Vésuve,  réfractaires  dans  nos  fourneaux.  La  faible 
altération  qui  se  remarque  dans  les  caractères  primi- 
tifs des  laves  ne  doit  point  être  attribuée -à  la  faiblesse 
des  feux  volcaniques , mais  à leur  manière  d’agir  toute 
particulière  Feux  des  fourneaux  très-propres  à fondre 
les  roches  , tant  volcaniques  que  naturelles  ; mais  in- 
sufîisans  pour  leur  communiquer  une  véritable  flui- 
dité : si  l’on  veut  l’obtenir , il  faut  employer  un  feu 
beaucoup  plus  actif.  Jusqu’à  quel  point  est  fondée  l’opi- 
nion de  ceux  qui  prétendent  que  le  feu  volcanique 
agit  plutôt  par  sa  durée  que  par  son  activité.  Un  feu 
de  fourneau  tou  j ours  égal  parvient  à liquéfier  les  roches 
par  sa  seule  durée,  mais  en  même  temps  il  en  détruit 
le  tissu,  comme  il  le  détruirait  s’il  était  doué  d’une  plus 
grande  activité.  On  recherche  si  le  soufre  sert  de  fon- 
dant aux  pierres  qui  passent  à l’état  de  lave  , ou  s’il 
facilite  leur  fusion  : une  longue  série  de  faits  démontre 


B Ê S CHAPITRES. 

le  contraire.  Les  laves  , outre  le  calorique  qu’elles  re- 
çoivent des  incendies  souterrains,  n’en  ont  point  un 
qui  leur  soit  propre  , et  qui  se  développe  par  une  véri- 
table combustion  à la  manière  des  corps  inflammables. 
Expériences  à ce  sujet.  Nous  n’avons  aucune  idée  claire 
de  l’action  du  feu  volcanique.  Incertitude  où  nous 
sommes  sur  la  qualité  des  alimens  de  ce  feu.  Le  gaz 
oxigène  est  probablement  l’auteur  et  le  conservateur 
des  incendies  souterrains  ; il  est  propre  à produire  des 
combinaisons  particulières  dans  les  substances  pier- 
reuses qu’il  investit  quand  il  se  trouve  mêlé  avec 
d’autres  gaz  et  avec  des  substances  salines.  L’eau  unie 
nu  feu  peut  encore  concourir  à produire  ces  sortes  de 
combinaisons. 

chapitre  xxiv j page  6 1.  Détails  sur  le 
climat , les  productions  , V agriculture  et  le 
commerce  des  îles  Æoliennes.  Mœurs  et 
usages  des  habitans . 

LIP  ART.  Population  de  cette  île.  Plantes  utiles  que 
l’on  y cultive.  Les  vins  font  l’objet  principal  du  com- 
merce des  insulaires.  Leur  malvoisie  est  fameuse.  Mé- 
thode pour  la  faire.  Rareté  du  bled  : moyens  d’en 
augmenter  les  récoltes  par  une  culture  différente. 
Prodigieuse  fécondité  des  figuiers  d’Inde , tant  à Li- 
pari  que  dans  les  autres  îles  Æoliennes.  Goût  délicieux 
de  leurs  fruits.  Description  de  cet  arbuste  : facilité 
de  le  multiplier  par-tout.  Projet  de  le  rendre  plus 
utile  , en  nourrissant  avec  ses  feuilles  l’insecte  coche- 
nille , comme  on  nourrit  le  vers-à-soie  avec  celles  du 
mûrier.  Poissons  et  corail  que  l’on  pêche  aux  environ» 

R s 


26q  table  et  sommaires 

de  Lipari.  Notice  sur  un  physétère  qui  parut  dan3 
cette  mer  pendant  que  l’auteur  la  parcourait.  Avec  une 
organisation  à-peu-près  semblable  à celle  des  animaux 
à mamelles  , il  peut  cependant  rester  plus  long-temps 
sous  l’eau.  Rareté  des  animaux  à Lipari  : quelle  en  est 
la  cause.  Lapins  , les  seuls  quadrupèdes  de  l’île.  Chasse 
agréable  qu’on  en  fait  avec  le  furet.  Oiseaux  de  rési- 
dence en  petit  nombre.  Oiseaux  voyageurs  s’arrêtent 
rarement  sur  ses  rivages.  Hirondelles  sont  passagères 
chez  nous  : là  , résidentes.  Manière  de  les  prendre 
dans  la  ville  pendant  l’hiver.  Commerce  extérieur  in- 
troduit à Lipari.  Comment  on  doit  entendre  Strabon, 
Diodore  et  Dioscoride,  lorsqu’ils  affirment  que  le  sul- 
fate d’alumine  était  d’un  produit  considérable  pour 
Lipari.  Son  état  civil  et  ecclésiastique.  Caractère  de 
ses  habitans. 

STROMBOLI.  Grande  chaleur  que  l’on  y éprouve; 
produite,  non  par  le  volcan , mais  par  le  soleil.  Nature 
du  climat.  Ouragans.  Mer  tempétueuse.  Rivages  dé- 
nués de  port.  Forme  des  barques  employées  par  les 
insulaires.  Abondance  du  poisson , paraît  un  effet  de 
la  chaleur  du  volcan  communiquée  aux  eaux  de  la  mer» 
Plantes.  Malvoisie  , principal  produit  de  l’île.  Vigno- 
bles ; manière  de  les  abriter  contre  les  vents.  Popu- 
lation. Le  volcan  n’inspire  aucune  crainte.  Hospitalité 
des  insulaires:  leur  caractère.  Fontaine  permanente  : 
son  origine.  Animaux  qui  se  rencontrent  dans  File. 

Y U LC  A N O,  île  inhabitée.  Grande  abondance  du  sulfate 
d’alumine  qu’on  en  tirait  autrefois  Difficulté  actuelle 
de  l’extraire.  Elle  est  susceptible  de  culture. 


DES  CHAPITRES.  1 

LES  SALINES.  Ses  vignobles  abondans.  Fontaine 
qui  jaillit  au  bord  du  rivage  ; doit  son  origine  et  son 
entretien  aux  eaux  de  la  pluie.  Muriate  de  soude  four- 
ni par  un  lac  voisin  de  la  mer.  Méthode  pour  l’ex- 
traire. 

FÉLICUDA  et  ALICUDA.  Population  de  ces  deux  îles. 
Maisons  bâties  sur  les  hauteurs  pour  se  mettre  à l’abri 
des  incursions  des  Barbaresques  qui  infestaient  autre- 
fois les  îles  ^Éoliennes.  Elles  n’en  sont  pas  encore 
exemptes.  Justes  craintes  des  voyageurs  qui  navigant 
dans  ces  parages.  Végétaux  de  Félicuda  et  d’Alicuda. 
Le  froment  qui  croît  dans  la  première  est  excellent. 
Industrie  des  habitans  qui  le  cultivent.  Leurs  barques 
et  l’usage  qu’ils  en  font.  Superstition  abolie.  Les  îles 
Æoliennes,  en  général,  sont  exemptes  de  serpens,  et 
pourquoi.  Contentement  inaltérable  de  ces  insulaires. 
Salubrité  de  l’air  qu’ils  respirent.  Avantages  qu’en 
éprouve  l’auteur  pendant  son  séjour.  Comparaison 
entre  l’atmosphère  de  ces  îles  et  celle  des  plaines  de 
la  Lombardie. 

chapitre  xxv,  page  io3.  Voyage  à Mes- 
sine. Etat  de  cette  mile  après  les  tremble - 
mens  de  terre  de  178 3.  Détails  concernant 
cette  horrible  catastrophe . 

Habit  ans  de  Scylla  engloutis  dans  la  mer.  Palais  ren- 
versés autour  du  port  de  Messine.  Ecroulement  et 
ruines  d’un  nombre  prodigieux  de  maisons  Baraques 
de  bois  où  se  retirèrent  les  Messinois  pendant  la  cons- 
truction de  nouvelles  maisons  plus  propres  à résister 

R 3 


202  TABLE  ET  SOMMAIRES' 

aux  trembîemens  de  terre.  Description  des  secousse® 
qui  se  firent  sentir;  événemens  qui  les  précédèrent  y 
événemens  qui  les  suivirent.  Edifices  bâtis  sur  le  gra- 
nit furent  moins  endommagés  que  les  autres.  Le  mole 
fondé  sur  un  sol  mobile  , croula  et  fut  enseveli  dans 
la  mer.  Enumération  des  édifices  les  plus  remarquables 
qui  furent  détruits.  Calcul  des  pertes  immenses  de 
cette  ville.  Empressement  du  roi  de  Naples  pour  la 
soulager. 

chapitre  xxvi,  page  ii 2.  Observations 
sur  Scylla  et  Cary  b de. 

Murmure  semblable  à des  aboyemens  de  chiens,  se 
fait  entendre  à Eapproche  du  rocher  de  Scylla;  il  est 
occasionné  par  le  battement  des  flots  de  la  mer.  Des- 
cription d’Homère  et  de  Virgile.  Le  rocher  de  Scylla 
se  montre  encore  tel  aujourd’hui  qu’il  était  du  temps 
du  poète  grec.  La  mer  n’a  éprouvé  aucun  abaissement 
sensible  depuis  cette  époque.  Danger  imminent  d’é- 
chouer contre  ce  rocher  quand  le  courant  va  du  sud 
au  nord.  Matelots  de  Messine  destinés  par  le  gouver- 
nement à porter  secours  au:*  vaisseaux.  Description 
d’une  tempête  dans  le  détroit.  Prompts  secours  don- 
nés à un  vaisseau  en  perdition.  Situation  précise  de 
Carybde.  Carybde  a passé  jusqu’à  nos  jours  pour  un 
tourbillon  d’eau.  On  a prétendu  que  les  débris  des 
navires  engloutis  par  le  tourbillon  étaient  revomis  à 
trente  milles  plus  loin  ; fait  rapporté  à ce  sujet.  Cou- 
rant du  détroit , tantôt  ascendant , tantôt  descendant. 
Visite  de  l’auteur  à Carybde.  Apparence  sous  laquelle 
il  se  montre.  Ce  n’est  point  un  tourbillon , mais  un 


DES  CHAPITRES. 


265 


simple  bouillonnement  d'eau.  Ce  que  deviennent  les 
corps  que  l’on  y laisse  tomber.  Profondeur  de  la  mer 
à cet  endroit.  Comment  les  vaisseaux  qui  y sont  pous- 
sés peuvent  courir  des  dangers.  Naufrage  récent.  Les 
auteurs  qui  ont  écrit  de  Carybde  ne  l’ont  point  vu. 
Sa  distance  de  Scylla  est  de  douze  milles.  Erreur 
d’Homère  à ce  sujet.  Carybde  et  Scylla,  autrefois 
célèbres  par  les  tempêtes  et  les  naufrages , ne  sont 
plus  si  redoutables , et  pourquoi. 

chapitre  xxvn,  page  1 57.  Méduses 
phosphoriques  observées  dans  le  détroit  de 
Messine . 

D’o  u leur  vient  ce  nom.  Pourquoi  on  les  appelle  encore 
gelées  et  orties  de  mer.  Peu  d’auteurs  en  ont  écrit , 
aucun  n’a  fait  leur  histoire.  Ce  qu’en  dit  Lœfling  excite 
la  curiosité , mais  ne  la  satisfait  pas.  Méduses  phospho- 
riques sont  rares  en  comparaison  des  méduses  non 
phosphoriques.  L’auteur  a l’avantage  de  rencontrer 
un  grand  nombre  des  premières  dans  le  détroit  de 
Messine.  Leur  organisation  , leur  manière  de  nager 
dans  la  mer , deux  choses  nécessaires  à savoir  pour 
l’intelligence  de  leur  propriété  phosphorique.  Forme 
de  leur  corps  semblable  à l’orhbelle  d’un  champignon, 
concave  dessous,  convexe  dessus.  Cette  ombelle  est 
munie  de  douze  tentacules.  Sa  structure  indique  une 
bouche  et  un  estomac.  Grande  simplicité  de  son  orga- 
nisation. On  y appercoit  de  petits  corps  qui  ont  la 
forme  d’intestins  et  de  trachées.  Léger  tissu  muscu- 
leux dans  ses  parties  internes.  Description  des  ten- 
tacules. Aucune  apparence  de  circulation  d’humeurs. 

R 4 


table  et  sommaires 

Comment  ces  méduses  se  dissolvent.  Eau  marine  com- 
pose la  plus  grande  partie  du  volume  de  ces  animaux. 
Indices  de  quelque  organisation  dans  les  parties  mêmes 
des  méduses  où  l’œil  n’en  apperçoit  aucune.  Mouve- 
ment de  systole  et  de  diastole  dans  leur  ombelle  au 
moyen  duquel  elles  cheminent  dans  la  mer.  Sans  ce 
mouvement  alternatif  elles  tomberaient  au  fond.  Son 
siège  est  seulement  dans  le  tissu  musculeux.  Il  con- 
tinue quand  la  méduse  est  tirée  hors  de  l'eau  : il  cesse 
quand  le  tissu  musculeux  se  corrompt.  Les  faits  ne 
décident  pas  clairement  si  ce  mouvement  est  indépen- 
dant de  la  volonté  de  l'animal.  Les  corpuscules  en 
forme  d’intestins  et  de  trachées  apperçus  dans  la  cavité 
de  l'ombelle  , jouissent  de  mouvemens  particuliers. 
Indices  que  les  premiers  sont  de  véritables  intestins. 
Phosphorescence  des  méduses  observée  de  nuit  dans 
la  mer  et  dans  des  vases  emplis  d’eau  marine  ; plus 
forte  dans  la  systole , moins  forte  dans  la  diastole  , 
très-petite  dans  les  intervalles  de  repos.  Ne  s’éteint 
point  entièrement,  sinon  après  la  mort  de  l’animal, 
et  quand  il  commence  à se  corrompre.  Précautions 
à prendre  pour  appercevoir  une  phosphorescence  très- 
faible.  Phénomènes  s .mblables  dans  les  méduses  mortes 
et  mises  au  sec.  Si  l’on  plonge  dans  l’eau  douce  des 
méduses  mortes  et  en  partie  dissoutes,  elles  reprennent 
subitement  leur  lumière  , et  la  communiquent  à l’eau. 
Ce  phénomène  n'a  pas  lieu  dans  l’eau  de  mer.  La  pluie 
en  tombant  sur  les  méduses  dont  le  phosphore  paraît 
éteint , le  ravive  : cela  n’arrive  point  en  les  arrosant 
de  même  avec  l’eau  delà  mer.  Une  friction  artificielle 
augmente  leur  lumière , et  la  rallume  quand  elle  ne 
brille  plus.  Par  le  moyen  de  cette  friction  , la  phos- 


DES  CHAPITRES.  205 

phorescence  se  communique  à l’eau.  Cette  communi- 
cation se  fait  beaucoup  mieux  avec  Peau  douce  qu’avec 
l’eau  salée.  Brillantes  clartés  phosphoriques  dans  une 
eau  de  puits  où  l’on  avait  pressuré  quelques  méduses. 
Quand  ces  phosphores  ne  brillent  plus , il  suffit  d’a- 
giter l’eau  pour  les  faire  reparaître.  Un  calorique  ar- 
tificiel , supérieur  à celui  de  l’atmosphère  , est  capable 
d’y  renouveler  la  lumière  quand  l’agitation  ne  la  re- 
produit plus.  Ce  phosphore  brille  dans  l’urine  hu- 
maine comme  dans  l’eau  douce,  beaucoup  mieux  dans 
le  lait.  Phénomènes  observés  à cet  égard.  La  percus- 
sion du  lait  suffit  pour  faire  renaître  sa  phosphores- 
cence. Cette  liqueur  préférable  pour  ces  expériences 
à toutes  les  autres  liqueurs.  Le  phosphore  des  méduses 
ne  s’étend  pas  à tout  leur  corps.  L’ombelle  en  est  pri- 
vée , à l’exception  de  ses  bords.  Il  réside  principale- 
ment dans  les  grands  tentacules.  On  l’apperçoit  moins 
dans  la  bourse  qui  communique  avec  une  ouverture 
de  l’ombelle , ouverture  qui  paraît  être  la  bouche  de 
l’animal.  Il  consiste  dans  une  humeur  un  peu  dense  et 
gluante  qui  baigne  les  trois  parties  indiquées.  Pour 
que  cette  humeur  manifeste  sa  propriété  phosphorique, 
elle  doit  être  récente.  Différence  entre  ces  méduses  et 
celles  qui  ne  deviennent  phosphoriques  que  lors- 
qu’elles tombent  en  pourriture.  Deux  humeurs  dans 
ces  dernières  , l’une  très  - abondante , salée  , et  non 
désagréable  au  goût;  l’autre  très-rare,  brûlante,  et 
d’une  saveur  désagréable.  Dans  cette  dernière  , réside 
uniquement  la  lumière.  Les  méduses  habitent  pour 
l’ordinaire  les  parages  où  la  mer  est  calme.  Leurs 
divers  noms  à Messine  et  dans  les  îles  Æoliennes. 
Probabilité  que  les  petits  poissons  leur  servent  d’ali- 


266  TABLE  ET  SOMMAIRES 

menl.  Leur  manière  de  les  prendre.  L’auteur  soup- 
çonne qu’elles  sont  de  vrais  hermaphrodites.  Carac- 
tère de  cette  nouvelle  espèce  de  méduse  dont  il  a don- 
né la  description.  Deux  sortes  de  mouches  de  mer  lui- 
santes vues  par  l’auteur  dans  son  voyage  en  Sicile,  et 
semblables  à celles  qu’il  avait  rencontrées  quelques 
années  auparavant  dans  l’Archipel  et  la  mer  Noire. 

chapitre  xxvm,  page  172.  Autres  mol- 
lusques découverts  dans  le  détroit  de  Mes - 
sine . 

I.  Description  d’une  nouvelle  espèces  d’ascidie.  Deux 
ouvertures,  l’une  supérieure,  l’autre  inférieure,  don- 
nent entrée  dans  son  corps  à l’eau  marine.  Compri- 
mée entre  les  doigts,  cette  eau  en  sort  sous  la  forme 
de  deux  jets.  Elle  s’insinue  dans  l’intérieur  de  l’ani- 
mal sans  produire  de  tournoiement.  Communication 
entre  les  deux  ouvertures.  La  supérieure  semble  faire 
ia  fonction  de  la  bouche , l’inférieure  celle  de  l’anus. 
Nul  autre  mouvement  dans  ce  mollusque  , sinon  d’ou- 
vrir et  de  fermer  ses  deux  ouvertures.  Sa  grandeur 
ordinaire  et  sa  couleur.  Petits  animaux  qui  s’y  at- 
tachent. La  peau  coriace  dont  il  est  revêtu  est  comme 
un  étui  qui  enferme  et  protège  son  corps  extrême- 
ment mou  et  tendre.  Dépouillé  de  cette  peau , il  con- 
tinue , comme  auparavant , d’attirer  l’eau  par  ses  ou- 
vertures. Petits  muscles  longitudinaux  et  transversaux 
destinés  à produire  quelques  légers  mouvemens  inté- 
rieurs, mais  qui  ne  sont  perceptibles  que  lorsque  l’a- 
nimal est  dépouillé  de  sa  peau.  Canal  en  forme  de 
poire  aboutissant  à l’ouverture  inférieure.  Vessies 


DES  CHAPITRES.  267 

semi-transparentes  contenant  dans  leur  centre  un  glo- 
bule. Petites  ascidies  attachées  aux  grandes  sans  com- 
munication interne.  Suc  visqueux  , cause  de  cette 
adhérence.  Leur  génération  différente  de  celle  des 
polypes  décrits  par  Trembley.  Conjecture  que  les 
globules  renfermés  dans  ces  vessies  sont  les  œufs  ou 
les  rudimens  de  cette  espèce  de  mollusque.  Caractère 
qui  la  distingue  de  celle  appelée  tethyum  par  Bohadsch. 
Sa  nomenclature. 

II.  Petit  animal  à tentacules  très-singulier,  adhérent  aux 
coraux  pêchés  dans  le  détroit  de  Messine.  Sa  descrip- 
tion. Mouvement  de  systole  et  de  diastole  dans  le  filet 
longitudinal  du  dos.  Eau  douce  est  un  poison  pour 
cet  animal.  Incertitude  sur  le  genre  de  mollusque 
auquel  il  appartient. 

III.  Escare  rameuse  végétant  sur  les  coraux  non  décrite 
jusqu’à  présent.  Ses  accroissemens,  ses  polypes.  Pe- 
tits tournoiemens  qu’ils  forment  dans  l’eau , au  moyen 
desquels  les  atomes  propres  à les  nourrir  sont  portés 
jusque  dans  leur  bouche.  Le  mouvement  de  leurs  bras 
cause  de  ces  tournoiemens.  Comment  les  polypes  se 
retirent  à volonté  dans  leurs  cellules.  Adhésion  qu’ils 
ont  avec  le  fond  de  ces  cellules.  Polypes  qui  cessent 
de  vivre  dans  les  vieilles  cellules  , remplacés  par 
d’autres  qui  en  reproduisent  de  nouvelles.  Il  est  vrai- 
semblable que  les  nouvelles  cellules  et  les  nouveaux 
polypes  sont  le  développement  du  germe  d’un  vieux 
polype.  Nomenclature  de  cette  escare. 

IV.  Autre  espèce  de  polype  du  canal  de  Messine  où  l’on 
apperçoit  la  circulation  des  humeurs.  Sa  description. 
Anomalie  dans  cette  circulation  occasionnée  par  di- 


268  TABLE  ET  SOMMAIRES 

verses  circonstances.  A quel  degré  de  chaleur  ce  po- 
lype continue  de  vivre  hors  de  la  mer  ; à quel  autre 
il  périt.  Aucun  principe  actif  apparent  n’est  l’auteur 
de  cette  circulation.  Considérée  en  elle-même , elle 
est  aussi  entière , aussi  parfaite  que  celle  qui  s’observe 
dans  les  êtres  qui  occupent  un  plus  haut  degré  de 
l’échelle  animale.  Définition  de  ce  polype. 

Y.  Observations  sur  les  mouvemens  de  quelques  oursins, 
spatagus , pêchés  au  fond  du  détroit  de  Messine.  Ils  se 
meuvent  spontanément , changent  de  place  , et  se 
fixent  à volonté  au  moyen  de  leurs  tentacules,  malgré 
l’agitation  des  eaux  où  ils  sont  plongés.  Singulière 
manière  dont  ils  font  jouer  leurs  tentacules  pour  opé- 
rer ces  mouvemens.  Les  épines  n’y  prennent  aucune 
part.  Poids  requis  pour  vaincre  la  force  des  tenta- 
cules qui  tiennent  l’oursin  attaché  aux  parois  d’un 
vase  de  verre.  Humeur  visqueuse  sortant  de  chaque 
tentacule  , cause  de  l’adhésion.  Artifice  dont  use  l’our- 
sin pour  se  débarrasser  de  ces  liens.  Tentacules  qui 
restent  toujours  dans  le  corps  quand  l’animal  est  hors 
de  l’eau.  L’agitation  des  épines  ne  produit  dans  cette 
dernière  circonstance  que  peu  ou  point  de  mouve- 
ment progressif  dans  l’animal. 

chapitre  xxix,  page  so4.  Pêche  du 
corail. 

Elle  est  pénible  et  dangereuse.  Instrumens  nécessaires, 
et  manière  de  s’en  servir.  Lieux  reconnus  dans  le 
détroit  de  Messine  pour  être  propres  à cette  pêche. 
Profondeurs  diverses  où  se  trouve  le  corail.  Sites  qu’il 


DES  CHAPITRES,  269 

habite  de  préférence.  Comparaison  de  ce  corail  avec 
celui  de  Trépani  et  des  côtes  de  Barbarie.  Variété  de 
ses  couleurs.  Il  lui  faut  dix  ans  pour  parvenir  à sa 
maturité.  Bénéfice  annuel  que  Ton  en  retire.  Opinion 
du  comte  de  Marsigli  sur  cette  production  marine. 
Erreurs  de  croire,  i°.  que  les  lieux  tranquilles  de  la 
mer  sont  les  seuls  propres  à sa  végétation  : elle  pros- 
père à des  profondeurs  beaucoup  plus  grande  qu’il 
ne  pensait.  20.  Que  là  où  elle  croît  avec  le  plus  de 
vigueur  , elle  arrive  à peine  en  dix  ans  à un  demi- 
pied  de  hauteur.  3°.  Qu’elle  ne  se  reproduit  et  ne 
croît  que  dans  les  cavernes,  et  que  ses  rameaux  sont 
toujours  dirigés  vers  le  centre  de  la  terre,  4°.  Que 
sa  couleur  est  constamment  rouge.  Coraux  blancs  , 
Coraux  de  diverses  couleurs.  Celui  qui  est  blanc  ne 
diffère  du  rouge  que  par  la  couleur.  L’erreur  de  Mar- 
sigli , qui  prétendait  que  les  polypes  du  corail  étaient 
autant  de  fleurs , a donné  lieu  à la  découverte  d’une 
vérité  aussi  inattendue  qu’importante.  Les  pêcheurs 
de  Messine  croient  que  le  corail  qui  n’est  pas  parvenu 
à sa  maturité  a moins  de  consistance  que  celui  qui 
est  mûr.  Celte  opinion  n’est  pas  sans  fondement.  Le 
corail  dans  la  mer  n’a  point  de  mollesse  : il  ne  s’en- 
durcit pas  à l’air  comme  le  pensaient  les  anciens.  Diffi- 
culté d’expliquer  pourquoi  sa  croissance  diminue  en 
raison  de  la  profondeur  où  il  se  trouve.  En  quel  sens 
on  doit  prendre  l’observation  de  Donati , que  les  ra- 
meaux rompus  et  détachés  de  la  tige  du  corail  conti- 
nuent à vivre  et  à multiplier  dans  la  mer.  La  véritable 
génération  des  coraux  n’est  pas  inconnue  aux  pêcheurs 
messinois.  Leur  opinion  sur  les  coraux  morts  qu’ils 
trouvent  quelquefois  percés  par  des  vers  lithophages. 


*2  JO  TABLE  ET  SOMMAIRES 


chapitre  xxx,  page  221.  Pêche  des 
espadons . 

Deux  manières  de  prendre  ces  poissons  dans  le  détroit 
de  Messine  : l’une  avec  la  lance,  l’autre  avec  un  filet 
nommé  palimadara . En  quel  temps  on  fait  usage  de 
la  lance.  Passages  périodiques  des  espadons  dans  le 
détroit,  tantôt  le  long  des  côtes  de  la  Calabre,  tantôt 
le  long  de  celles  de  la  Sicile , selon  la  diversité  des 
saisons.  11  paraît  que  ces  poissons  multiplient  dans  la 
mer  de  la  Sicile.  On  ne  se  sert  de  la  lance  que  pour 
les  gros  espadons  5 mais  avec  la  palimadara  on  en  prend 
de  toute  grandeur.  L’usage  de  ce  filet  nuit  en  général 
à la  multiplication  du  poisson  : les  plus  petits  s’y  pren- 
nent comme  les  plus  gros.  Barque  de  forme  particu- 
lière pour  la  pêche  à la  lance  , et  instrumens  néces- 
saires pour  la  capture  de  l’espadon.  Adresse  des  pê- 
cheurs à les  découvrir , à lancer  le  coup  et  à s’en 
saisir.  Poids  ordinaire  de  ces  poissons  dans  le  détroit 
de  Messine. 

chapitre  xxxi,  page  229.  Pêche  des 
chiens  de  mer. 

Espèces  diverses  de  squales.  La  pêche  en  est  dange- 
reuse à cause  des  gros  poissons  de  ce  genre  qui  passent 
quelquefois  dans  le  détroit  de  Messine , tels  entr’autres 
ceux  que  l’on  nomme  chiens  de  mer.  Exemples  de  leur 
fureur  exercée  contre  les  hommes  dans  le  port  même 
de  Messine.  Autres  accidens  non  moins  funestes  occa- 
sionnés par  eux  dans  d’autres  parties  de  la  Méditerra- 


DES  CHAPITRES.  2.J  1 

née.  Enorme  largeur  de  leur  bouche  capable  d’en- 
gloutir un  homme  entier.  On  en  a trouvé  quelque- 
fois dans  leur  estomac.  Dépouille  d’un  gros  squale 
du  détroit  de  Messine  envoyée  à l’auteur  après  son 
retour  en  Lombardie.  Ses  caractères  d’après  l’habitude 
extérieure  du  corps.  Plusieurs  ordres  de  dents  , et 
leur  configuration.  Ces  caractères  cadrent  en  partie, 
non  en  totalité  , avec  ceux  du  squalus  maximus  décrit 
par  les  naturalistes , ce  qui  fait  soupçonner  que  ce 
poisson  fait  une  espèce  différente  et  non  connue.  Rap- 
ports sensibles  entre  la  position  de  ses  dents  et  celle  des 
dents  du  squalus  carcaria.  Opinion  de  Stenone  que  la 
plupart  des  dents  des  chiens  de  mer  ne  leur  sont  d’au- 
cune utilité.  Hérissant  a combattu  cette  erreur  , et 
l’auteur  achève  de  la  détruire  par  plusieurs  observa- 
tions. Grosseur  de  ces  poissons , fut  plus  considérable 
autrefois  qu’elle  ne  l’est  aujourd’hui.  Comparaison 
entre  les  dents  fossiles  et  les  dents  naturelles  de  ces 
animaux.  Os  fossiles  de  divers  animaux  d’un  autre 
genre  : comparés  aux  os  naturels  , ils  offrent  la  même 
disposition.  Changement  dans  la  configuration  des 
dents  de  chiens  de  mer  : leur  nombre  augmente  à 
mesure  qu’ils  avancent  en  âge.  Dents  de  réserve  ren- 
fermées dans  leurs  mâchoires , qui  suppléent  à celles 
qui  viennent  à leur  manquer,  soit  naturellement,  soit 
par  violence.  Le  squale  de  Messine  ci-dessus  cité  ne 
jouit  pas  de  cet  avantage  , quoique  les  circonstances 
de  ses  dents  soient  absolument  les  mêmes.  Singulière 
structure  des  dents  d’une  autre  espèce  de  squale.  Ou- 
verture prodigieuse  de  sa  bouche.  Cependant  il  n’y 
existe  point  de  dents  de  réserve , comme  il  y en  a 
dans  les  chiens  de  mer.  Inutilité  apparente  de  plu- 


27  2 TABLE  ET  SOMMAIRES,^. 

sieurs  ordres  de  dents  dans  ce  poisson  , et  dans  celui 
décrit  par  l’auteur  : elles  sont  ensevelies  sous  la  chair 
fangeuse  des  mâchoires.  Examens  ultérieurs  à faire 
avant  d’en  juger  ainsi.  Comment  l’analogie  , alors 
même  qu’elle  paraît  la  plus  complète,  peut  induire 
en  erreur.  Raisons  pour  ranger  dans  la  classe  des  pois- 
sons les  squales  que  Linnée  a transportés  dans  celle* 
de  ces  amphibies. 


riN  DELA  TABLE  DU  TOME  QUATRIÈME. 

V ■ • - . : • • tuV 


\ 


- 


I 


'h