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Bâte
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VOYAGES
DANS
LES DEUX SICILE S.
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VOYAGES
DANS LES DEUX SICILES
ET DANS
QUELQUES PARTIES DES APENNINS,
Par Spallanzani , Professeur THistoire naturelle
dans Puniversité de Pavie.
! Traduits de V Italien par G . TOSCAN , Bibliothécaire
du Muséum national d’ Histoire naturelle de Taris ^
avec des notes du cit. F A UJAS-DE-St.-Fond.
TOME TROISIÈME.
A PARIS,
Chez Mar ad an , Libraire, rue Pavée- André -des -Arcs,
n°. 16.
AN VIII,
' - 7
l
VOYAGES
DANS
LES DEUX SICILES.
CHAPITRE XVI.
; " t
Description de Vintérieur de Vile de Lipari .
SECONDE PARTIE.
O N parvient difficilement à la connaissance
exacte de la disposition intérieure d’un pays mon*
tueux et volcanisé , si Ton ne commence par se
former une idée juste de son ensemble. Il faut
pour cela se placer au sommet de la montagne
la plus élevée , la bien examiner , porter ensuite
ses regards sur les monts inférieurs qui l’envi-
ronnent, observer leurs formes, leurs entrela-
cemens , les relations qu’ils ont entr’eux et avec
la montagne principale.
Après avoir fait le tour de Pile de Lipari et
Tome III . A
2
VOYAGE S
étudié ses rivages, je me transportai sur le mont
Saint-^4ngelo , situé au nord de la ville : c’est le
plateau le plus éminent de l’île. En la considérant
de cette hauteur, je ne lui trouvai point cette figure
conique qui est propre aux îles de Stromboli et
de Vulcanô; elle me parut au contraire fort irré-
gulière , et ne me laissa voir que divers groupes
de montagnes à moitié dégradées , et disposées
d’une manière très-confuse. Je jugeai que les
feux volcaniques avaient travaillé cette île en
tous sens 5 que , par la proximité de leurs foyers,
ils n’avaient pu former ces cônes distincts qui
sont si bien exprimés sur le Vésuve , sur l’Etna;
et que les éruptions des volcans supérieurs s’étant
répandues sur les volcans inférieurs , n’avaient
produit que désordre et confusion.
De la cime de l’Etna, je découvrais au-dessous
de moi une multitude de cratères bien caracté-
risés ; ici je ne pus en reconnaître distinctement
un seul. Je vis à la vérité des creux , des en-
foncemens , qui probablement étaient autrefois
des bouches volcaniques ; mais elles ne con-
servaient plus la figure d’un entonnoir , soit que
des éruptions subséquentes les eussent démolies
et comblées en partie , soit que le temps eût
opéré leur ruine.
Doîomieu remarqua sur la cime du Saint -
DANS Ll 8 DEUX 5ICILES. 3
yingelo un bassin , ou plaine circulaire entourée
de collines, dont l’escarpement regardait l’inté-
rieur de l’enceinte , et il les prit pour les vestiges
d’un ancien cratère. Après avoir examiné ce lieu,
je ne trouvai pas sa conjecture invraisemblable.
Il se persuada que cette montagne était la prin-
cipale et la première de l’île 3 qu’elle se forma
avant toutes les autres 3 qu’elle devint le premier
soupirail du volcan , et servit de base et de point
d’appui à toutes celles qui s’élevèrent postérieu-
rement. J’adoptai son idée , mais je ne pus m’em-
pêcher de l’appliquer également à la montagne
délia Guardia , située au sud , peu inférieure
au Saint-^d ngelo en hauteur, et faisant corps
à part. Je pensai que deux volcans distincts
avaient donné naissance à ces deux montagnes;
qu’elles sortirent presqu’en même temps du sein
de la mer ; qu’elles formèrent dans le principe
deux petites îles qui , s’étant étendues peu à peu,
se réunirent en une seule par leurs bases 3 que
cette île unique se fortifia, s’accrut à mesure
qu’il survint de nouvelles éruptions, et qu’elle
acquit ainsi une extension bien plus considérable
que celle dont elle jouit aujourd’hui 5 puisque
les dévastations que la mer exerce sur ses ri-
vages, et les dégradations que les eaux pluviales
amènent dans son intérieur , lui causent une dé-
perdition continuelle de matières.
A 2
VOYAGES
4
_ Je descendis du mont Saint - ^ ingelo pour
aller visiter celui délia Guardia . Autant son
approche est difficile du côté delà mer , où elle
est défendue par des escarpemens de laves dé-
nuées de végétation et d’un aspect horrible, au-
tant elle est facile et commode du côté de la
terre , où ses pentes sont douces , couvertes de
vignobles qui croissent sur un fond de tuffa ,
‘substance volcanique la moins rebelle à la cul-
ture. Parvenu sur son sommet, je me confirmai
dans l’opinion que cette montagne ne dérive
point de celle de Saint-^dngelo , tant par son
éloignement , que par un large vallon qui les
sépare de l’est à l’ouest, et qu’elle ne doit sa
formation qu’à elle-même.
Ayant suffisamment examiné ces deux mon-
tagnes , les plus éminentes de l’île , je me mis
à parcourir les monts inférieurs. Je cherchai vai-
nement les vestiges des anciens cratères $ leurs
véritables formes se sont perdues dans le mé-
lange des matières qu’ils ont vomies 5 les siècles
écoulés depuis cette époque en ont beaucoup
accru la confusion 5 et, à la réserve de quelques
petites plaines , de quelques pentes praticables
que les insulaires sont parvenus à façonner à la
culture , Lipari ne présente qu’un amas de dé-
bris, de précipices , et de rophers qui menacent
DANS LES DEUX SICILE S. 5
incessamment d’une chute prochaine. Les ma-
tières qui composent ces ruines sont des ponces,
des émaux , des verres , que je me dispenserai
de décrire, parce qu’ils sont analogues aux subs-
tances de ce genre dont j’ai donné la descrip-
tion.
Les Liparotes m’ayant parlé d’une caverne
située dans une petite plaine nommée la Thalle ,
distante de la ville d’un quart de mille à l’ouest,
j’eus la curiosité de la visiter. Elle a son ouver-
ture dans un rocher de lave décomposée 3 un
homme peut y entrer debout 5 sa profondeur est
d’environ cinquante pas. Ses parois sont tapissées
d’efflorescences de muriate d’ammoniaque. J’en
trouvai aussi dans une petite grotte voisine, creu-
sée dans le même rocher. Ce sel s’est engendré
par sublimation 3 réduit en vapeurs par les feux
souterrains , il s’est élevé , et s’est attaché aux
surfaces intérieures des deux cavernes. On le
voit ainsi se former dans beaucoup de volcans
brûlans 3 mais ici , ni les feux , ni les vapeurs
ammoniacales ne donnent plus aucun signe d’ac-
tivité.
Je rencontrai dans cette courte promenade
une brèche volcanique 3 elle gisait en gros mor-
ceaux isolés , et rien ne put m’indiquer d’où elle
tirait son origine 3 mais l’hétérogénéité des ma-
6
VOYAGES
tières dont elle était composée attira mon atten-
tion. Sa substance dominante était une lave ter-
reuse d’un gris bleuâtre , d’un grain grossier et
peu dur, qui contenait les corps suivans.
i°. Des fragmens de deux sortes de laves ,1’une
noire et l’autre grise. La première avait une cas-
sure écailleuse : elle mettait en mouvement l’ai-
J i
guiile aimantée à la distance de deux lignes. La
seconde avait une surface raboteuse, une cassure
inégale; elle étincelait sous le choc du briquet,
et elle renfermait des lames de feld-spath. Ces
deux laves avaient pour base la pierre de corne;
elles exhalaient une forte odeur d’argile.
2°. Des fragmens d’une lave vitreuse , dont la
couleur formait une belle nuance entre le vert
et le bleu ; par son poli , par la netteté de sa
cassure , par son aspect et son peu de dureté,
elle ressemblait à la pierre de poix.
3°. Des fragmens d’une pierre ponce cendrée
et compacte.
4°. Des fragmens d’un verre blanchâtre el
semi-transparent.
5°. Des fragmens d’un verre sans couleur, et
presqu’aussi transparent que le verre artificiel.
Le plus considérable avait quatorze lignes de
DANS LES DEUX SI C I L E S. J
longueur sur huit de largeur : il était de meme
enseveli dans la brèche.
On ne pouvait pas dire que ces cinq espèces
de productions volcaniques fissent partie de la
pâte de la lave, car chaque morceau avait des
cassures , des angles très-distincts 5 il était facile
de les détacher tout entiers en rompant la lave
avec adresse. Celle-ci avait donc une origine
postérieure. En coulant , elle avait enveloppé
toutes ces substances étrangères , et en avait
formé un seul corps.
Il me vint un doute en faisant ces observa-
tions. Quoique les fragmens de la lave vitreuse
parussent à Pœil et au tact extrêmement polis,
cependant, en les regardant à une forte loupe,
je m’apperçus que leur surface était couverte
de petites gerçures. Je remarquai le même acci-
dent dans divers morceaux des deux verres. Un
courant d’eau avait-il' passé sur ces substances
alors qu’elles étaient embrasées? avaient- elles
éprouvé un coup subit d’air froid? ou bien étant
déjà froides elles-mêmes, avaient-elles été sur-
prises par la lave enflammée ? Ces trois causes
peuvent produire le même efFet.
Les étuves de Liparî étant l’objet qui excite
le plus la curiosité des voyageurs , je ne devais
8 VOYAGES
pas manquer de les visiter. Mais je puis dire que
le trajet me procura encore plus d’instruction
que les étuves elles-mêmes. Elles sotit situées à
l’ouest > à quatre milles de la ville , un peu au-
delà de la cime d’un mont le plus éminent de
File 5 après ceux de Saint- .Angelo et de la
Guardia . Je pris pour m’y rendre le chemin le
plus commode, celui de la ville. Il est en grande
partie l’ouvrage des eaux pluviales , qui l’ont
creusé dans une masse immense de tuffa. J’ai
parlé plusieurs fois dans le cours de cet ouvrage,
mais presque toujours par incident, du tuffa vol-
canique : celui-ci mérite une discussion parti-
culière.
On se rappellera que , dès le commencement,
en discourant sur les tuffas du Pausiiippe , j’ai
dit , et j’ai cherché à prouver qu’ils étaient des
produits d’éruptions boueuses , sans nier cepen-
dant que cette sorte de substance ne pût être
quelquefois le résultat de l’agrégation des cen-
dres , des sables, et autres matières subtiles vo-
mies par les volcans, pénétrées , consolidées par
les eaux pluviales , ou par celles de la mer alors
qu’elles couvraient les bases des montagnes igni-
vomes et les rivages (î). Quant au tuffa de Li-
(i) Voyez le chap, IL
pari ,•
DANS LES DEUX SICILES. 9
par! , il me paraît avoir été le dépôt d’un courant
boueux. Il se termine à quelques centaines de pas
de la ville, et se prolonge sans interruption jus-
qu’au sommet du mont des Etuves. Ce mont ,
comme la plupart des autres * est très-varié dans
la disposition de ses plans 5 il a des pentes douces ,
il en à de rapides ; ses coupes sont tantôt hori-
zontales , tantôt verticales. Cependant le tuffa
qui le recouvre prend exactement les mêmes
formes , et suit les mêmes directions. Sa surface
est quelquefois ridée et ondoyante. Enfin dans
sa marche il a les sinuosités , les détours , les
mouvemens des courans de lave les mieux ca-
ractérisés. Dans les endroits où il a été profou-
dément sillonné par les eaux des pluies , on ap-
perçoit ses couches superposées les unes sur les
autres. Je pense donc qu’il faut rapporter son
origine à un torrent de matières fangeuses qui
s’est écoulé du mont des Etuves. Le Vésuve ,
î’Etna , l’Hécla fournissent beaucoup d’exemples
de ces éruptions par voie humide.
Une seule difficulté , mais facile à résoudre ,
se présente dans mon hypothèse. Si un torrent
d’eau et de boue, sortant du mont des Etuves,
se fut ainsi répandu au loin 5 après la cessation du
mouvement , les matières les, plus pesantes au-
raient dû, suivant les loix de la gravité, des-
Tomç III. B
1.0 VOYAGES
cendre au fond , et les plus légères occuper la
surface. Cependant on y découvre , à peu de pro-
fondeur , de grosses masses de laves , d’émaux
et de verres. Ne peut-on pas supposer , avec
toute vraisemblance , que ces corps furent lan-
cés par des bouches enflammées sur le tuffa
quelque temps après son écoulement, et que
le trouvant déjà consolidé , ils ne purent s’y en-
foncer davantage ?
Mais , outre la position de cette matière tuffa-
cée , et sa direction sinueuse sur la croupe et
les flancs de la montagne , qui montrent qu’elle
a coulé , sa nature propre le témoigne évidem-
ment. Ce n’est point, comme dans d’autres tuf-
fas , une agrégation de cendres et de sables ,
un détritus de schorls et de feld-spaths , de laves
décomposées et devenues terreuses , cimentés
par l’action de l’eau , et consolidés au point de
former des masses propres à être taillées, et à
servir dans les constructions 5 mais c’est une
terre seulement argileuse , qui n’a pas plus de
consistance que le limon endurci des fleuves.
Sa couleur est d’un gris foncé 3 sa contexture a
je ne sais quoi de grenu 3 on la brise , on la
réduit en poudre en la pressant entre les doigts.
Elle est légère 5 elle happe à la langue 3 elle
exhale une faible odeur d’argile 3 plongée dans
DANS LES DEUX SICILE S. Il
l’eau 3 elle l’attire avec avidité, et s’en pénètre
de toute part.
Le feu du fourneau , en la colorant d’abord
d’un rouge brun , ensuite d’un noir de fer , la
durcit au point qu’elle fait feu avec le briquet.
Elle ne se vitrifie pourtant pas , mais elle prend
seulement à sa surface un vernis vitreux.
L’épaisseur de ce tuffa varie suivant la place
qu’il occupe sur la montagne. Ici cette épaisseur
n’est que de quelques pieds j là elle est de plu-
sieurs toises ; ailleurs elle est si considérable que,
malgré les excavations formées par les pluies ,
on ne peut appercevoir le fond du tuffa. Mais
par-tout où ce fond est à découvert , j’ai cons-
tamment remarqué que le tuffa repose sur un
lit de ponces , partie pulvérisées , partie en
morceaux détachés qui ont souvent une forme
globuleuse : elles sont de l’espèce la plus légère.
Ces pierres avaient donc été vomies antérieure-
ment sur la montagne des Etuves par un volcan
enflammé.
Mais voici un phénomène inattendu que m’a
présenté ce tuffa. En le brisant , j’ai découvert
dans ses fractures des corpuscules noirs que je
n’ai pas eu de peine à reconnaître pour de véri-
tables charbons par leur couleur , leur légéreté,
B 2
12
V G Y A G- E 8
leur sécheresse , leur friabilité et leur peu de
dureté. Il y en a qui , touchés par le feu à l’air
libre, fument et se changent en braise ; d’autres
qui donnent une petite flamme, et ceux-là ne
sont pas parfaitement réduits en charbon 5 on y
découvre les parties fibreuses du bois. Ces char-
bons forment de petits cylindres longs de deux
ou trois lignes jusqu’à douze ou quatorze , et
gros à proportion. Ils paraissent avoir appartenu
à des rameaux d’arbres ou d’arbustes. Ils sont
ensevelis dans le tuffa à diverses profondeurs , et
se trouvent clair-semés dans toute son étendue.
Cet accident , qui n’avait pas encore été ob-
servé , que je sache, dans les tuffas volcaniques,
pourrait faire penser que les deux voies , l’hu-
mide et la sèche , se sont combinées ensemble
pour donner naissance au torrent fangeux du
mont des Etuves , et que le feu l’a pénétré au
point de le rendre capable de brûler, et de con-
vertir en charbon les végétaux qu’il rencontrait
sur sa route. Cette explication n’est pas sans
difficulté , et le lecteur , qui s’en apperçoît sans
doute, trouvera peut-être plus de vraisemblance
à supposer qu’une grêle brûlante d’une époque
antérieure était tombée sur les faibles plantes
qui végétaient çàet là dans cette montagne aridej
qu’elle les avait brûlées sans les consumer entîè-
DANS LES DEUX SICILES. l3
rement , et que leurs débris charbonneux préexis-
taient à l’inondation terreuse qui les a envelop-
pés dans son cours.
J’ai dit que les eaux des pluies avaient creusé
ce tuffa en plusieurs endroits de la montagne.
C’est dans ces profondes excavations , et sur
le chemin des Etuves , que l’on trouve plu-
sieurs corps volcaniques qui méritent une des-
cription particulière. Ce sont d’abord des frag-
mens d’émàil de diverses grosseurs qui ,. lisses
au-dehors , ont: cependant la cassure anguleuse.
Leur couleur est un bleu pâle ; leur aspect est
peu brillant; ils ont peu de dureté, et tombent
en éclats sous le choc du briquet. Ce défaut de
dureté provient de ce qu’ils sont pleins de fis-
sures; peut-être les ont-ils contractées dans leur
état d’incandescence , en tombant dans le tuffa ,
qui n’avait pas encore perdu son humidité. Les
feld-spaths renfermés dans ces émaux ont éprou-
vé le même accident, et sans doute par la même
cause.
On trouve dans ces lieux une autre espèce
d’émail, remarquable par certains petits corps
étrangers disséminés dans sa masse. Je n’ai pu
les analyser par la voie humide ; mais leurs ca-
ractères sensibles réunis à ceux qu’ils m’ont four-
nis^par la voie sèche , les classent parmi les gre-
B 3
VOYAGES
14
nats. Je n’en avais pas encore rencontré de sem-
blables dans les productions volcaniques. En gé-
néral ils ont la figure d’un bulbe 5 leur couleur
est noirâtre , tirant quelquefois sur le rouge 5 leur
surface polie et lustrée, leur cassure lamelieuse,
vitreuse , capable de rayer le verre. Les plus
gros ont trois lignes et demie , ils sont opaques 5
les plus petits ont un tiers de ligne , ils sont semi-
transparens. Ils étincellent sous le briquet , se
fondent au fourneau , et se convertissent en un
émail noir et scoriacé. Cet ensemble de carac-
tères les rapproche beaucoup des grenats. Et
qu’importe s’ils ne sont pas cristallisés , puisque
l’on sait qu’il existe des grenats qui n’ont aucune
forme déterminée ?
Pendant que j’étais occupé de cette analyse,
il me prit envie d’en comparer les résultats avec
ceux que j’obtiendrais de l’analyse des grenats
du Vésuve , recueillis sur le mont Somma qui,
comme on sait , est l’antique volcan de ce nom.
J’en choisis quatre espèces différentes, dont voici
la description.
La première existe dans une lave à base de
pierre de corne , d’un gris jaunâtre ; ses surfaces
sont inégales , et sa consistance s’est affaiblie jus-
qu’à devenir presque terreuse parla grande alté-
ration que lui ont causée , non les exhalaisons
DANS LES DEUX SICILES. l5
sulfureuses, mais les impressions de l’atmosphère.
Les grenats qu’elle renferme en abondance sont
également altérés , ils ont perdu une partie de
leur lustre natif, et sont devenus friables à cause
de la multitude de gerçures qu’ils ont contrac-
tées. Cependant ils conservent encore quelques
traits de leur caractère vitreux. Leur couleur est
entre le blanc et le gris ; ils sont à peine trans-
parens dans leurs parties les plus minces. Au
premier aspect on les prend pour des globes
parfaits 5 mais en les détachant de la pierre ma-
trice , ce qui est facile, on s’apperçoit qu’ils sont
taillés à facettes , sans pouvoir cependant en re-
connaître le nombre , attendu que la plupart
des angles ont été effacés par le temps. Tout
ce que je puis dire à cet égard, c’est qu’ayant
réussi à diviser quelques-uns de ces grenats en
deux hémisphères , j’ai remarqué que le péri-
mètre de chacune était octogone. J’ai eu en
même temps la facilité de distinguer leur tissu,
formé de feuillets très-déliés et circulaires. Au
reste , ces grenats varient de grandeur , depuis
un sixième de ligne jusqu’à quatre lignes et
demie.
Le feu a fondu en un émail compacte , de
couleur de poix , la lave matrice 5 il a laissé in-
tacts les grenats , qui seulement se sont blanchis
B 4
VOYAGES
lG
davantage , et sont devenus p!us vitreux et plus
durs. Le contraste de leu-r couleur avec le fond
de l’émail en faisait ressortir une foule d’autres
plus petits , qui étaient invisibles dans la lave ,
et qui, malgré leur extrême délicatesse, s’étaient
également maintenus dans leur intégrité.
Les grenats de la seconde espèce, enveloppés
dans une lave à base de roche de corne molle ,
sont plus gros et tout-à-fait opaques $ ils sont
blancs comme la neige , et plus brillans dans leur
cassure que les précédens. Les uns ont une figure
globuleuse, et une cristallisation très-distincte 5
mais il est impossible d’en compter les facettes,
parce qu’on ne peut les extraire de la lave sans
les rompre : les autres ne manifestent que des
formes très-irrégulières.
Il en est qui renferment de petits schorls pris-
matiques , de la couleur et du lustre de l’as-
phalte. Ces cristaux étaient sans doute tout for-
més lorsqu’ils ont été enveloppés par le suc gre-
natique.
Tous ces grenats sont restés infusibles au four-
neau 5 mais la lave s’est fondue en une scorie
cellulaire.
La troisième espèce est étroitement liée à une
DANS LES DEUX SICILES. 17
lave pesante, à base de pierre de corne ,de coq-
leur de fer, compacte , mais pas assez dure pour
faire feu avec le briquet. Les grenats ont une
couleur blanche tirant sur le jaune; leur épais-
seur est d’environ quatre lignes ; la plupart sont
fendus de manière que les fentes représentent à
la surface comme une fleur ronde polypétale.
Le feu a fondu , non la lave, mais les grenats,
qui ont pris la couleur du cuivre rouge.
Ceux de la quatrième et dernière espèce por-
tent vingt-quatre facettes; ils sont transparens,
blancs et vitreux; leur matrice est une lave com-
pacte à base de pierre de corne, d’une odeur
argileuse.
La lave s’est fondue en un émail noir : les
grenats sont restés intacts.
En rapprochant les grenats du Vésuve de ceux
de Lipari , et comparant les résultats des expé-
riences 9 on voit qu’ils se ressemblent par leur
structure , tant vitreuse que lamelleuse ; mais
qu’ils diffèrent par la manière dont ils se laissent
affecter par le feu. Les premiers tombent facile-
ment en fusion. ^ les seconds sont réfractaires.
N’ayant pu réussir à fondre ces quatre der-
nières espèces de grenats , même en soutenant
VOYAGES
18
le feu pendant plusieurs jours, j’eus recours au
gaz oxigène. Alors leur fusion s’opéra , mais len-
tement. Leur lave-matrice coulait déjà comme
du verre , qu’ils- étaient encore intacts ; enfin ils
se fondirent, mais sans s’incorporer à la lave, et
former avec elle un tout homogène.
Les chimistes et les naturalistes qui avant moi
ont traité avec le feu les grenats du Vésuve , ont
eu des résultats semblables aux miens. Bergman
dit qu’on réussit à les fondre au chalumeau , mais
en se servant d’un feu très-énergique (1). Saus-
sure raconte qu’une lave à œil de perdrix qu’il
avait détachée du mont Somma , donna un pro-
duit noir et vitrifié $ mais que les grains po-
lyèdres de cette lave parurent inaltérables au
milieu du feu le plus violent. Il est clair que par
ces grains polyèdres , Saussure entendait ce que
j’appelle , moi et d’autres naturalistes, des gre-
nats (2). Quant à l’action du gaz oxigène sur
ces cristaux, voici ce que dit Ehrmann dans son
Traité de Vair du feu : « Le granit du Vésuve,
» blanc, opaque, se distingue des granits pro-
»prement dits , en ce qu’il se fond très-difficile—
(1) De productis Vulcaniis ,
(2) Voyage dans les Alpes, vol, 1.
DANS LES DEUX SICILE S. 19
vment par le gaz oxigène , et se résout enfin,
» dans un bouillonnement continuel , en une masse
» parfaitement semblable au quartz, même dans
»la cassure, et qui craque également sous la
»dent » .
Ce bouillonnement dont parle Ehrmann , je
l’ai vu dans mes quatre espèces de grenats quand
ils étaient en fusion. La première et la troisième
m’ont donné de même deux petites masses sem-
blables au quartz 5 mais la seconde et la qua-
trième sont devenues spongieuses. Il est possible
que cet auteur n’ait fait ses expériences que sur
une seule espèce.
Quelques naturalistes pensent que les grenats
du Vésuve ont improprement cette dénomina-
tion ; i°. parce qu’ils sont privés de fer 5 20. parce
qu’ils sont difficiles à fondre ; 5°. parce que leurs
parties constituantes ne sont pas dosées dans les
mêmes proportions que celles des vrais grenats.
Pour moi , je ne trouve point ces raisons suffi-
santes pour les exclure du genre où ils ont été
placés jusqu’à présent. Il est vrai que le fer entre
pour l’ordinaire dans la composition des grenats,
mais il n’en constitue pas l’essence , comme le
remarque très-bien le chimiste Bergman , qui ,
dans l’analyse des grenats transparens, n’a trouvé
que quatre centièmes de ce métal colorant. C’est
2 a VOYAGES
à son absence qu’il faut sans doute attribuer la
grande difficulté de leur fusion. Quant aux parties
constituantes , le même chimiste les place dans
l’ordre suivant, relatif à leur quantité respective ,
silice , alumine et chaux , ordre qui s’observe
dans les plus purs grenats de la Bohême, analysés
par Achard. Cette distribution de principes se
reconnaît aussi dans les grenats du Vésuve , où
Bergman a trouvé environ cinquante-cinq par-
ties de silice , trente-neuf d’alumine et six de
chaux ; et si la proportion de la silice avec l’alu-
mine n’est pas la même dans ces deux pierres_,
la différence n’est pas assez grande pour devoir
en faire deux genres différens ; pour s’en con-
vaincre, il suffit de comparer les deux nombres 55
et 39, exprimant la silice et l’alumine dans les
grenats du Vésuve , aux nombres 48 et 3o , dési-
gnant les mêmes terres dans ceux de Bohême ,
analysés par le chimiste de Berlin.
Pour revenir aux grenats de Lipari, ils n’ont
pas avec leur base une adhérence aussi forte que
celle que l’on remarque pour l’ordinaire dans les
feld- spaths et dans les schorls ; mais, comme
toutes les pierres de leur genre , ils y sont im-
plantés de manière qu’ils peuvent se détacher
sans se rompre , laissant dans l’émail l’empreinte
exacte de leur figure. Cet émail, compacte, pe-
21
( DANS LES DEUX SICILES.
sant , gris-cendré, gît en morceaux isolés dans
le tuffa et sur le chemin des Etuves : c’est la
première production volcanique qui frappe les
yeux en sortant de la ville.
Plus loin on rencontre des mélanges curieux
d’une terre blanche, argileuse, avec un émail
noir. Ces deux substances sont tellement pétries
ensemble, et confondues l’une dans l’autre, que
l’on ne saurait trouver une petite masse de cette
terre de la grosseur d’un pois , qui ne renfermât
plusieurs écailles d’émail, et vice versa . La terre
a une odeur d’argile très-sensible , et happe à
la langue.
Dans les endroits où se présentent ces mé-
langes , on retrouve l’émail à grenats ; mais ceux-
ci sont plus gros , et se rapprochent davantage
de la forme sphérique. L’émail est aussi plus re-
marquable, en ce qu’il fait corps avec plusieurs
morceaux de laves à base de pierre de corne,
qui contiennent également des grenats.
Je vais décrire quatre autres espèces de laves
chacune à base de pierre de corne, qui se sont
offertes sur mon chemin en morceaux isolés.
La première a la cassure fibreuse et la couleur
du fer ’j elle est un peu poreuse , et assez dure
2 2
VOYAGES
pour faire feu avec le briquet. Elle agit sur Pai-
guille aimantée à la distance d’une ligne et un
quart : elle répand une odeur terreuse , et elle
renferme des feld-spaths.
La seconde, plus tendre que compacte , a une
couleur grise tirant sur le noir. Des feld-spaths
rhomboïdaux occupent presque la moitié de son
volume.
La troisième ne diffère de la seconde qu’en ce
qu’elle est un peu plus compacte et plus dure.
Les feld-spaths y sont moins abondans.
La quatrième , qui surpasse les trois précé-
dentes en solidité , en pesanteur, en dureté, a
une couleur noire , ferrugineuse 3 sa cassure est
terreuse ; elle s’attache un peu à la langue , et
fait sentir l’odeur de l’argile : elle met en mou-
vement l’aiguille aimantée à la distance d’une
demi-ligne.
Ces laves , traitées avec le feu , se fondent en
scories vitreuses : les feld-spaths sont réfrac-
taires.
J’ai passé rapidement sur ces quatre produc-
tions volcaniques, pour m’arrêterplus long-temps
sur une autre moins abondante , qui se fait dis-
tinguer par ses belles chrysolites. C’est une lave
23
DANS LES DEUX S ICI LE S.
à base de pierre de corne molle , d’un brun fon-
cé y très -inégale dans la cassure , à cause des ger-
çures qui empêchent la liaison de ses parties.
Elle étincelle faiblement sous le choc de l’acier 5
elle répand une faible odeur d’argile , et met
en mouvement l’aiguille aimantée à la distance
d’une ligne : elle est légère et sonore. Je laisse
de côté quelques écailles de feld-spaths qui y
sont incorporées , pour venir à l’examen des
chrysolites.
Une certaine nuance entre le vert et le jaune ,
suffit pour les faire distinguer à la surface de la
lave qui a souffert les impressions de l’atmosphère
et des météores 5 mais elles brillent des plus vives
couleurs dans les cassures fraîches 5 on y voij: le
jaune de l’or \ le vert tendre de l’herbe , et le
rouge du feu adouci par une teinte de pourpre.
Si on les expose aux rayons du soleil , et qu’on
les regarde sous certains angles , les couleurs
paraissent plus vives , et leur mélange plus pi-
quant. Elles n’ont pour la plupart aucune forme
déterminée , quelques - unes seulement repré-
sentent un prisme quadrangulaîre. Leur cassure
est vitreuse, très -brillante 5 tantôt lisse, tantôt
rude , suivant la manière dont se brisent les pe-
tites lames qui entrent dans leur composition.
Les morceaux en sont anguleux et semi-trans-
VOYAGES
H
parens. Ces chrysolites étincellent sous îe bri-
quet , et poupent le verre avec autant de facilité
que le ferait îe cristal de roche. Les plus grandes
ont environ trois lignes et demie de longueur ;
les plus petites sont à peine perceptibles. La lave
les saisit avec tant de force , qu’on ne peut les
en extraire que par fragmens.
Le feu du fourneau et celui du chalumeau,
bien loin de fondre ces petites pierres , ne\ les
altèrent pas même dans leur couleur et leur
tissu. Le seul gaz oxigène les décolore et les
fait couler en boule blanche, mais sans lustre*
On ignorait, à la vérité, qu’il existât à Lipari
des chrysolites volcaniques , mais les naturalistes
en avaient découvert dans d’autres pays volca-
nisés ; telles sont celles du Vivarais et du Velay*
décrites par Faujas , et celles de l’Etna par Do-
îomieu. En les comparant avec les miennes , je
leur trouve des rapports et des différences qu’il
est bon de rapporter ici.
Les chrysolites observées et décrites par Fau-
jas sont formées de la réunion de petits grains
de sable plus ou moins fins , plus ou moins adhé-
rens , âpres au toucher, irréguliers, se présen-
tant quelquefois comme des croûtes ou de pe-
tites écailles , mais conformés pour l’ordinaire
DANS LES DEUX SICILE S. ü5
en manière de fragmens anguleux qui s’encastrent
les uns dans les autres.
Les clirysolites de Lipari ne se présentent pas
ainsi 5 leurs molécules , vues au microscope ,
n’offrent rien de grenu $ elles sont au contraire
toujours lisses , toujours vitreuses, et leur aspect
ne varie point, soit qu’on les considère dans leur
ensemble , ou séparément.
Une autre différence essentielle est dans leurs
dimensions. Les chrysolites de Lipari ont tout au
plus quelques lignes d’épaisseur ; les chrysolites
du Vivarais etdu Velay vont jusqu’à peser plu-
sieurs livres.
Une seule propriété leur est commune , celle
de résister au feu le plus vif, le plus soutenu des
fourneaux ordinaires, et de ne se fondre que par
l’intervention du gaz oxigène. Au reste , elles
ont des couleurs qui se ressemblent : le vert et le
jaune de la topaze brillent dans les unes et dans
les autres.
Quant aux chrysolites de l’Etna, les unes sont
sans formes déterminées , les autres cristallisées
en prismes tétragones ou hexagones , avec une
pyramide quelquefois hexagone. Leur cassure
est en partie conchoïde , en partie lamelleuse ;
leur dureté est plus grande que celle du quartz \
Tome III. C
VOYAGES
26
leur couleur est un jaune tirant sur le vert avec
des teintes variées 5 enfin elles sont fusibles par
un feu très-violent. On voit dans cette descrip-
tion en quoi elles se rapprochent ou s’éloignent
de celles de Lipari. Dolomieu ne détermine pas
leur grandeur , mais elle ne saurait être consi-
dérable , puisqu’il les appelle des grains. En
effet, les chrysolites que j’ai pu voir dans quel-
ques laves de l’Etna m’ont paru très-petites.
Si j’ai donné la qualification de volcanique
aux chrysolites de Lipari , ce n’est pas tant pour
les avoir trouvées dans une lave , que pour les
distinguer de la gemme proprement dite chry-
solite , en reconnaissant , avec plusieurs habiles
minéralogistes , que les pierres volcaniques qui ,
parleurs couleurs jaunes et vertes , ressemblent
à cette gemme , et sont pour cela nommées
chrysolites , en diffèrent par leurs principes
prochains , et par divers caractères extérieurs.
Toutefois , en admettant cette dénomination , je
suis persuadé que celles dont j’ai donné la des-
cription ne peuvent, en raison des propriétés
qui les distinguent , se rapporter au genre des
schorls , où divers naturalistes ont coutume de
placer les chrysolites des volcans (1).
(1) Rien n’est plus propre à démontrer combien la ma-
JJÀNS LES BEUX SICILES. 27
ïl me reste à parler d’une pierre qui est la
dernière de celles que j’ai rencontrées dans ma
"" ~ “
nie de changer les anciens mots est nuisible à la science ,
que l’exemple de la chrysolite des volcans.
La pierre très- remarquable connue sous ce nom par
les naturalistes qui font leur étude principale des vol-
cans , tels que Ferber , Forlis , Gioenni , Rome de Lille ,
Sage, Dolornieu , Nosé et autres , avaient reçu le nom
de chrysolite des volcans , parce que cette pierre avait les
plus grands rapports de couleur , de pesanteur, de dure-
té et de principes conslituans, avec la chrysolite gemme,
que Yallerius a définie sous le nom de chrysolithes gemma
pellucidissima , duritie sexta , colore viridi subjlavo. Wall.
Min. p. 243, spec. 109.
Ainsi la dénomination de chrysolite des volcans avait
parmi les naturalistes une acception claire et positive ,
lorsque Werner imagina de changer, de son autorité
privée , ce nom , pour lui en substituer un qu'il tira
déjà couleur, c'est-à-dire, du caractère le plus équi-
voque, en l’appelant divine , c’est-à-dire couleur d’o-
live , tandis que la pierre dont il s’agit n'a point cette
couleur, et que sa nuance est au contraire d’un vert plus
ou moins clair, mêlé très-souvent d’une teinte jaunâtre.
Mais comme le néologisme était en faveur , ce nom fut
sur-le-champ adopté , d'abord par les chimistes, et en-
suite par un grand nombre de naturalistes ; ce qui les
obligea de désigner cette pierre par une synonymie de
plus, en l’appelant d’abord chrysolite des volcans de tels
et tels auteurs, et divine de Werner. Il résulta de cette
C a
3
VOYAGES
route. Elle gît près des Etuves , sur la pente
de la montagne. C’est un porphyre à base de
innovation un premier embarras au sujet de la connais-
sance et de la description de cette pierre.
Les clioses restèrent en cet état jusqtdà ce que , plu-
sieurs années après , le célèbre Klaproth imagina d’ana-
lyser , avec sa sagacité ordinaire , la chrysolite des vol-
cans , et il reconnut qu’elle avait , à très-peu do chose
près , les mêmes principes constitutifs que la chrysolite
pierre gemme , ce qui prouvait que ceux qui avaient
donné le nom de chrysolite des volcans à la pierre de
cette espèce , qu’on trouve en si grande quantité dans
certaines laves, avaient été fondés à l’appeler ainsi.
Les chimistes qui marchaient sous l’étendard de Kla-
proth ayant répété ses analyses , convinrent qu’il avait
raison, et voilà que le nom de chrysolite des volcans fut
restitué à la pierre , et que le mot d’olivine fut renvoyé
à Werner. Ce fait démontre combien il est dangereux
pour les sciences humaines de changer des noms dont
l’acception est déterminée, et qu’un long usage a sanc-
tionnés , ce mot fût-il mauvais en lui-même.
Il résulta de ce nouveau changement , que les minéral
logistes qui eurent occasion de parler de la chrysolite
des volcans furent obligés , pour se faire entendre , de
la désigner dans la synonymie, i°. par le nom de chry-
solite des volcans des ancierts naturalistes ; 2°. par le nom
d '‘divine de Werner ; 3°. par le nom de chrysolite des
volcans d’après l’analyse de Klaproth. Il fallut donc re-
29
DANS LES DEUX S I C I L E S.
pétro - silex , renfermant des feld - spaths en
lames , brillans dans les cassures , et des schorls
venir sur ses pas, après avoir jeté cette epine dans la
science.
Mais comme il était dans la destinée de cette pierre de
passer d’un nom à un autre, il arriva que Dolomieu , en
analysant la chrysolite gemme qui avait servi de compa-
raison à Klaproth lorsqu’il analysa la chrysolite des vol-
cans , crut reconnaître que la chrysolite gemme de Valle-
rius, de Romé de Lille , de Sage, et de tous les minéra-
logistes suédois , allemands et autres , n’était plus une
chrysolite , mais un péridot. Ce nouveau nom ne manqua
pas d'être accueilli, et lorsqu’on demanda à ce naturaliste
ce qu’il fallait faire du mot de chrysolite dont Pline ,
Théophraste , et tous les minéralogistes avaient fait usage
jusqu’à ce jour, sans l’excepter lui-même, il répondit
qu’il fallait le bannir. Ainsi, malgré sa haute antiquité
et tous ses titres , la chrysolite disparut , le péridot la
remplaça ; et lorsque dorénavant des minéralogistes ins-
truits découvriront des chrysolites dans de nouveaux
volcans, ils seront forcés , pour se faire entendre, d’ajou-
ter une symonymie de plus aux trois précédentes.
Vainement pourra- t-on dire que l’analyse chimique
du péridot a plus de rapport avec ce qu’on appelait la
chrysolite qu’avec toute autre pierre , et que la chryso-
Jite des volcans a elle-même de grands rapports avec le
péridot , tout cela est bien loin de prouver qu’il faille
changer le nom de chrysolite des volcans. Je crois au
contraire que si l’on veut enfin s’entendre , il faut Iut
restituer son nom primitif, qui était entendu de tout le
C 3
Oc VOYAGES
noirâtres et informes. Sa couleur est celie de la
trique cuite ; on le trouve en blocs isolés, et
monde , qui était consigné dans les auteurs qui les pre-
miers ont défriché les terreins volcaniques, et en ont fait
connaître les nombreux produits ; tandis que ceux qui
sont venus long' temps après eux , et qui ont profité de
tous leurs travaux, semblent prendre à tâche d’embrouil-
ler de plus en plus la science. S'ils s'étaient donné la
peine d'examiner avec attention la nature sur les lieux , ils
auraient été à portée de vérifier que la chrysolite des vol-
cans forme des masses extrêmement volumineuses pesant
quelquefois soixante à quatre-vingts livres *, qu’elle n’est
formée que de l’agrégation d’une multitude de très-pe-
tits fragmens anguleux et irréguliers d’une pierre plus
ou moins brillante , plus ou moins transparente , plus
ou moins dure , plus ou moins altérée, qui peut avoir
des principes analogues à ceux du péridot par l’analyse
chimique , mais qui en diffère essentiellement par la ma-
nière dont elle s’altère et se décompose, par les masses
qu’elle forme , par les lieux où elle se trouve: son ana-
logue , si nous pouvons nous exprimer ainsi , n’ayant été
reconnu jusqu’à présent que dans les déjections volca-
niques. Sans doute ces caractères sont bien sufîisans pour
engager les naturalistes qui ont véritablement à cœur le
progrès de la science , à lui restituer le nom qu’elle était
en possession d’avoir depuis si long-temps , sauf à don-
ner , à la suite de la description de cette pierre , l’ana-
lyse exacte de ses principes constitutifs , et d’ajouter,
si l’on veut , que les mêmes élémens se trouvent , en
tout ou en partie, dans la pierre gemme connue sous
le nom de péridot. F .
DANS LES DEUX SICILE S. 3l
il en est tel qui peut peser plusieurs milliers de
livres. Sa cassure est compacte , écailleuse; il se
brise en morceaux irréguliers , transparens dans
les angles : il étincelle faiblement sous le briquet.
La couleur de sa base a teint en rouge les feld-
spaths , accident qui se remarque dans certains
porphyres orientaux.
Mais ce porphyre , rejeté du sein du volcan ,
a-t-il souffert la fusion, ou bien se trouve-t-il
dans son état naturel , n’ayant éprouvé tout au
plus qu’une simple calcination ? Je ne saurais dé-
cider positivement cette question ; mais la se-
conde conjecture me paraît la plus vraisem-
blable, ayant remarqué dans les parties même
les plus internes de ce porphyre, certaine altéra-
tion qui paraît être l’effet d’une véritable calci-
nation.
La pâte de cette roche s’est ramollie au four-
neau : les feld-spaths se sont conservés intacts ;
les schorls se sont vitrifiés.
Les excavations , les larges et profonds sillons
creusés par les eaux des pluies , et s’étendant
du pied de la montagne jusqu’au sommet, m’ont
donné la facilité de découvrir et de décrire toutes
ces substances pierreuses ; hors de-là on ne voit
que la croûte nue et superficielle du tuffa. Ces
C 4
VOYAGES
Sa-
substances n’ont point coulé $ elles se trouvent
dans un état d’isolement qui fait croire que, lan-
cées en l’air par les bouches volcaniques , elles
sont venues tomber et s’ensevelir dans le tuffa.
Quand on a atteint le sommet de la montagne,
onvoit s’ouvrir àl’ouest une plaine spacieuse où le
tuffa , devenu terreux, est employé à la culture
du froment et des vignobles. Des morceaux de
verre semi- transparent et noirâtre brillent à sa
surface : c’est un des plus purs et des plus éclatans
que fournisse File. Curieux d’en connaître l’ori-
gine, je ne tardai pas à la découvrir en faisant
creuser dans le lieu même. La couche de tuffa
n’a environ que trois ou quatre pieds d’épaisseur ;
au-dessous gisent les pierres ponces. C’est avec ces
pierres que se trouve mêlé en abondance le verre
que la charrue, ou d’autres instrumens aratoires,
ramène à la surface de la terre , lorsqu’on la pré-
pare pour recevoir les semences.
A l’extrémité de la plaine , se trouvent les
Etuves , situées sur une pente douce d’environ
deux cents pieds de longueur. Quelque préven-
tion favorable qu’un voyageur ait pu concevoir
pour elles d’après leur renommée , elle doit s’é-
vanouir en leur présence. C’est un groupe de
quatre ou cinq excavations en forme de grottes,
plus semblables aux tannières des ours qu’à des
/
DANS LES DEUX SICILE S. 33
habitations d’hommes , et où l’art se montre in-
finiment plus près de son enfance que dans les
cabanes des castors. Chaque grotte a dans le
fond un soupirail naturel qui donne entrée aux
vapeurs chaudes et humides , et une ouverture
en haut qui procure leur sortie. J’entrai dans une
de ces grottes , mais je ne pus y rester long-
temps, moins à cause de la chaleur , car le ther-
momètre n’y montait qu’à quarante-huit degrés
deux tiers , que de je ne sais quoi de suffocant
qui remplissait son atmosphère intérieure. Ces
Etuves n’en ont plus que le nom 5 elles sont pour
ainsi dire abandonnées 5 mais quand elles con-
serveraient leurs vertus, et seraient avantageuses
dans certaines maladies , comment pourrait-on
s’en servir puisqu’elles manquent des commo-
dités les plus indispensables à des malades?
A l’époque où Doîomîeu visita ces Etuves ,
tout le terrein environnant était pénétré de
vapeurs brûlantes qui, sous la forme d’une fu-
mée épaisse , s’élevaient par de petites ouver-
tures naturelles d’un ou deux pouces de dia-
mètre 5 mais , comme il arrive presque toujours
dans les volcans où la présence du Feu se ma-
nifeste plus ou moins , les choses avaient bien
changé depuis ce temps-là. Je n’y trouvai plus
qu’un trou d’environ un pouce de diamètre, d’où
VOYAGES
54
sortait de temps en temps une fumée très -lé-
gère sentant le soufre. L’ayant agrandi , je dé-
couvris à l’entour des pyrites molles qui s’étaient
engendrées par l’union du fer avec le soufre. Au
reste , j’ai été assuré par l’abbé Trovatini , dont
j’ai déjà produit l’autorité dans cet ouvrage, que
dans certain temps il s’exhale encore autour des
Etuves des bouffées de fumée , et je dois ajouter
que, non-seulement je sentis une odeur de soufre
. en approchant de ce lieu , mais qu’ayant fouillé
dans le sol à la profondeur d’un pied, je trouvai
et cette odeur plus forte , et la chaleur plus
considérable. Ces étuves, et les bains chauds
dont je parlerai plus bas , sont les seuls monu-
mens de File qui attestent la présence d’une in-
flammation sulfureuse , et d’un volcan où couvent
encore les dernières étincelles de son embrase-
ment (i).
(i) J’ai prouvé, dans le chapitre XIII, que les dé-
compositions des divers produits de Stromboli et de
Yulcano sont occasionnées , non par l’acide muriatique
auquel Sage prétend que Ton doit rapporter les princi-
pales altérations des volcans , mais par les exhalaisons
acido-sulfureuses. Je pense avec Dolomieu , que les dé-
compositions qui se font remarquer aux environs des
Etuves de Lipari proviennent de la même cause, et l’on
ne peut en douter , quand on voit les restes de fumées
sulfureuses qui s’en exhalent, et l’abondan ce des sulfates
de chaux qui y régnent. Nvte de l’auteur .
DANS LES DEUX S I C I L E S. 35
Après avoir décrit: les Etuves de Lipari telles
qu’elles existaient de son temps , Dolomieu exa-
mine les altérations que les vapeurs acido -sulfu-
reuses ont fait subir aux laves de ce lieu ; il
dit que j non- seulement elles sont devenues plus
tendres , plus légères , mais qu’en perdant leurs
couleurs primitives , elles ont pris une teinte
blanche, avec des couleurs superficielles et inté-
rieures, jaunes, rouges, violettes, et toutes les
autres nuances que peuvent produire les oxides
de fer. Il observe qu’elles sont revêtues pour la
plupart d’une croûte épaisse de sulfate de chaux
qui pénètre souvent jusque dans leur intérieur ;
et que d’autres sont recouvertes d’une croûte de
mine de fer limoneuse. Il explique ensuite, d’une
manière très- claire, comment la combinaison de
l’acide sulfureux avec les diverses terres dont une
lave est composée , peut la rendre plus légère
et diversement colorée.
Comme j’ai fait trois voyages aux Etuves pour
y étudier avec soin ces diverses décompositions ,
je peux ajouter quelques observations nouvelles
à ce qu’en a dit notre voyageur français.
Il était important de savoir à quel genre de
laves , prises dans l’état où les laisse le feu ,
appartenaient celles que je voyais ici dans un état
d’altération. Les expériences que j’avais déjà ten-
VOYAGES'
36
téès, soit à la Solfatare de Pouzzole ,$oit ailleurs,
m’ayant appris que leur décomposition va pour
l’ordinaire en diminuant de la surface au centre,
je pensai que, pour en obtenir les connaissances
que je desirais , le meilleur moyen était de creu-
ser dans leur intérieur, jusqu’à ce que je fusse
parvenu au point où elles sont parfaitement
saines. Si la plupart d’entr’elles portent une cou-
leur blanche tirant sur le rouge, il en est encore
qui conservent des teintes sombres. Je commen-
çai par examiner ces dernières ; et , présentant
leur surface à la lumière du soleil , j’y vis je ne
sais quoi de brillant qui m’engagea à les obser-
ver au microscope. Alors je découvris une agré-
gation d’innombrables globules de fer hématite
qui s’étendaient comme un voile sur ces laves. J’en
détachai plusieurs sans toucher aux parties in-
ternes, et les ayant triturés , ils me donnèrent une
poussière de couleur rouge semblable à celle de
l’hématite noirâtre. C’était donc un dépôt d’oxide
martial conformé en globules 5 sous ce dépôt, il y
en avait un autre d’oxide de fer rouge , mais ter-
reux 5 ensuite ces laves me parurent blanches ,
à la réserve de quelques stries d’un rouge noi-
râtre , parallèles entr’elles , et légèrement om-
brées d’une teinte jaunâtre. Elles étaient tendres,
légères , compactes 5 elles s’attachaient à la lan-
gue , se laissaient pénétrer par l’eau ; pâteuses
DANS LES DEUX S I C I L £ S. 5 J
comme Pargile , elles n’en avaient pas l’odeur 5
semblables à des laves simples , elles paraissaient
ne point receler de corps étrangers. Leur cassure
conchoïde, et le son qu’elles rendaient sous le
marteau , son analogue à celui de certains pétro-
silex , me donnèrent quelque soupçon qu’elles
appartenaient à ce genre de roche. Ce soupçon
se fortifia à mesure que je pénétrai dans leur in-
térieur. A la profondeur de deux pieds , je vis
la couleur grise remplacer la blanche , et toutes
les autres apparences , s’affaiblissant peu à peu ,
laisser aux laves un aspect siliceux ; là , elles
commençaient à donner quelques étincelles sous
le choc du briquet. Enfin , plus intérieurement,
elles manifestaient avec évidence leur base de
pétro-silex , mêlée avec de petits schorîs qui n’é-
taient point apparens dans les parties décompo-
sées, probablement parce que la décomposition
les avait aussi gagnés.
J’observai à-peu-près les mêmes gradations
dans les laves qui, à leurs surfaces, paraissent
blanches avec des nuances rouges. Insensible-
ment le rouge s’évanouissait dans leur intérieur $
le blanc cédait peu à peu la place au gris , qui
acquérait du lustre. Ces laves prenaient de la
dureté , et finissaient par se montrer avec tous
les caractères du pétro- silex.
38
VOYAGES
Une d’elles , diaprée de blanc et de rouge fleur
de pêche , était piquée à sa surface de points
pulvérulens : c’étaient des feld-spaths décompo-
sés, mais qui conservaient encore un reste de
cristallisation. Cette lave, plus altérée que les
autres par les acides, avait plus de mollesse, plus
de tendance à la friabilité. Cependant , à deux
pieds de profondeur , elle était dure , pesante et
grise , et les feld-spaths y reparaissaient entiers
dans sa base pétro-siliceuse.
Dans la description que j’ai donnée des divers
produits de la Solfatare de Pouzzole , on a vu
que ces cristaux résistent fortement à l’action
des acides , et que souvent même ils en sont à
peine atteints , que leur base est déjà tombée
dans une décomposition complète. Si donc les
feld-spaths de la lave actuelle sont autant alté-
rés que leur base , il faut en conclure que les
acides ont exercé dans ce lieu une influence bien
puissante. En général, j’ai trouvé cette espèce
de lave pâteuse , et presque savonneuse , carac-
tère qui accompagne d’ordinaire de semblables
décompositions.
Je ferai encore mention d’une brèche volca-
nique , ayant pour base le pétro-silex , où l’ac-
tion des acides n’a pénétré que de quelques
pouces. Cette base , même à sa surface , n’a pas
DANS LES DEUX SIC ÎLE S. 5$
tout -à- fait perdu sa couleur naturelle , sem-
blable à celle du fer. On y trouve incorporées
de petites masses irrégulières de laves blanchies ,
et qui tombent en poussière : celles-ci ont donc
cédé plus facilement à la décomposition. Cepen-
dant si Ton pénètre plus loin dans l’intérieur de
la brèche , on les retrouve intactes , et on re-
connaît que ce sont des fragmens de laves à pierre
de corne.
Quoique la plupart des laves des Etuves de
Lipari aient beaucoup souffert de l’impression
des vapeurs acido - sulfureuses , il en est pour-
tant qui ne donnent aucun signe d’altération. Je
me contenterai de citer une de ces dernières ,
qui me parut aussi bien conservée que si elle
avait été formée la veille par le feu volcanique.
Elle saillit hors de terre en grosses masses; elle
a la couleur du fer , le grain très-compacte , la
cassure conchoïde ; les morceaux en sont tran-
chans par les bords, et étincelans sous le choc
de l’acier. On doit la ranger parmi les laves les
plus pesantes et les plus dures : elle met en mou-
vement l’aiguille aimantée à la distance de deux
lignes ; sa base est un pétro-silex qui renferme
des aiguilles très-brillantes de feld-spath. Il est
donc certain que les acides ne l’ont point en-
dommagée , non qu’ils soient impuissans à son
VOYAGES
4o
égard, mais sans doute parce qu’ils ne l’ont £as
attaquée.
Le sol sous lequel s’étend le foyer d’un incen-
die volcanique a des ouvertures, des soupiraux
qui dorment passage aux fumées sulfureuses , et
les laves qui se trouvent dans leur voisinage en
sont plus ou moins affectées 3 mais il a aussi des
parties impénétrables à ces mêmes fumées , où
les laves ne sont exposées à d’autres influences
qu’à celles du temps. J’ai vu cette dissémination
de vapeurs sulfureuses sur le Vésuve , l’Etna , le
Stromboli, et j?ai eu soin de le faire remarquer
à mes lecteurs. Ici la décomposition s’étend à un
si grand nombre de laves , et les pénètre pour
la plupart si profondément , que l’on doit sup-
poser que ces vapeurs se sont ouvert des passages
en une infinité d’endroits , et qu’elles ont existé
long-temps. Cependant leur énergie peut quel-
quefois suppléer à leur durée. J’ai été témoin
sur le Vésuve de l’éruption d’une lave. Déjà plu-
sieurs rameaux latéraux avaient cessé de se mou-
voir ; j’en vis deux entr’autres qui , pour s’être
laissé pénétrer par un nuage épais de ces vapeurs,
étaient déjà à demi-décomposés , quoiqu’ils fus-
sent dérivés d’un courant qui avait débouché de-
puis peu de mois par les flancs de la montagne.
Il faut encore convenir que les diverses qualités
des
DANS LES DEUX SICILES. 4l
des laves, en tant qu’elles contiennent plus ou
moins de principes calcaires , argileux et mar-
tiaux, tous susceptibles de combinaison avec les
acides sulfureux , influent toujours sur leur dé-
composition, et la rendent plus ou moins facile.
La décomposition influe à son tour sur la fu-
sibilité des laves. Quand elles sont saines , elles
se fondent sans difficulté ; quand elles renfer-
ment un principe d’altération , elles résistent
plus long-temps à l’action du feu ; enfin quand
la décomposition les a tout- à- fait gagnées ,
elles sont réfractaires, La raison de ces diffé-
rences est claire. Le feu agit d’autant moins sur
les terres qu’elles sont plus pures , et si on les lui
soumet isolément, il ne les fond point, à moins
que l’on n’élève sa puissance au plus haut degré.
Mais leur mélange en facilite la fusion ; elles se
servent réciproquement de flux , sur-tout quand
l’alumine et la chaux se trouvent combinées avec
la silice dans le rapport respectif d’un à trois. Je
n’ai point traité de laves où je n’aie rencontré ces
trois terres ; et quoiqu’elles n’y existassent pas
dans la proportion ci-dessus, leur mélange suffisait
pour que j’en obtinsse la fusion. Mais la chaux
qui sert de fondant à la silice par la voie sèche ,
s’affaiblit considérablement dans la décomposi-
tion des laves , en formant le sulfate de chaux
Tome III . D
VOYAGES
par son intime union avec l’acide sulfureux. Voilà
donc un premier obstacle à leur fusion : nous en
trouverons un second dans la diminution de l’alu-
mine qui , se combinant avec le même acide ,
forme le sulfate d’alumine que les pluies dissol-
vent et entraînent avec elles ( 1 ), Enfin la priva-
tion du fer peut être comptée pour un troisième
obstacle qui s’oppose à la fusion des laves dé-
composées.
Tous ces sulfates, unis à la plupart des laves
des Etuves , forment aux yeux du naturaliste un
spectacle agréable. Leurs couleurs sont très- va-
riées ; les plus tranchantes sont le rose , le violet ,
l’orangé , et elles ont d’autant plus d’éclat, qu’elles
reposent pour l’ordinaire sur un fond très-blanc.
Ces sulfates varient dans leur structure ; on
peut en compter de trois sortes : la première est
composée de lames parallèles , très- déliées , étroh
tement unies, lustrées, compactes et opaques.
Ces lames forment des couches qui ont quelque-
(1) Pour ôter toute équivoque, il est bon de répéter
ici ce que j'ai dit chap. II , que les prétendues méta-
morphoses delà silice et autres terres en argile, n’existent
point dans la décomposition des laves: au contraire cette
dernière terre éprouve dans ce cas une diminution par
la raison alléguée. Note de l’auteur .
DANS LES DEUX SICILE S. 43
fois un pied d’épaisseur. Ces couches se dé-
tachent facilement des laves auxquelles elles
adhèrent.
La seconde est filamenteuse ; les filamens sont
parallèles ou étoilés 5 dans le dernier cas , ils
constituent des espèces de pyramides dont le
sommet se réurï^ au centre de l’étoile , et la
base à la circonférence. On en trouve de très-
gros morceaux uniquement formés par l’agré-
gation de ces pyramides.
La troisième est composée de lames fines et
brillantes , un peu élastiques , transparentes et
très-tendres. Elle a la cristallisation indétermi-
née du sulfate de chaux, ou pierre spéculaire;
mais ce sulfate est rare , et ses cristaux sont
toujours très-petits.
Quant aux couleurs rouges , jaunes ou vio-
lettes dont se parent les laves décomposées, il
est évident qu’elles sont produites par le fer qui
préexistait dans ces laves , et qui , altéré lui-
même par les acides , se modifie de plusieurs
manières , et engendre toute cette variété de
teintes. C’est encore ce métal oxidé qui colore
diversement les sulfates de chaux , sulfates for-
més par la combinaison de l’acide sulfureux avec
la chaux, qui , ayant perdu son adhésion avec
D a
VOYAGES
44
les principes constituans des laves , est restée h
découvert ; mais c’est par la privation entière de
ce métal que les laves entièrement décomposées
blanchissent. En effets elles n’agissent plus sur
l’aiguille aimantée, tandis que les autres l’attirent
constamment.
Je terminerai cette discussion sur les produc-
tions des Etuves de Lipari par quelques obser-
vations relatives à diverses espèces de zéolites
que j’ai découvertes dans les environs. Je les no-
terai chacune séparément , en y joignant la des-
cription de leur matrice.
Première espèce * Sa matrice est une lave à
base de pierre de corne , teinte d’un brun foncé ,
grenue dans la cassure , et qui étincelle à peine
sous le choc de l’acier. Elle ne paraît pas alté-
rée par l’acide sulfureux. Elle est parsemée de
petites cavités oblongues presque toutes dirigées
dans le même sens, et qui probablement se sont
formées pendant son écoulement. C’est dans ces
cavités que l’on trouve la zéolite. Au premier
aspect on la prendrait pour une stalactite de cal-
cédoine ; elle est mammelonée , ou en forme de
grappe de raisin ; sa couleur est un blanc bleuâtre
et perlé 5 sa cassure est siliceuse , un peu transpa-
rente. Mais elle a trois propriétés qui la caracté-
risent : la première est de former une gelée avec
DANS LES DEUX SICILE S. 45
les acides minéraux ; la seconde est de jeter des
lueurs phosphoriques semblables à réclair, quand
elle est sur le point de se fondre 5 la troisième est
de se gonfler et de bouillonner, pour ainsi dire,
dans la fusion. Quoique chacun de ces caractères
ne soit pas privativement celui des zéolites, ce-
pendant leur réunion suffit pour en fixer la na-
ture. Il faut donc placer celle-ci au rang des
zéolitesqui n’ont aucune forme déterminée. Ses
grains ou mammelons n’adhérant à la lave que
par quelques points , peuvent s’en détacher tout
entiers. Les plus gros ont cinq lignes de longueur
sur deux ou trois de largeur. La forme en grappe
est la plus ordinaire à cette zéolite : elle prend
quelquefois celle d’un globule alongé qui rem-
plit toute la cavité où il se trouve. Au reste , il
s’en faut beaucoup que chaque cellule enferme
une de ces pierres $ sur cent , il y en a , pour
Je moins, quatre-vingt-dix de vides. Quant à
leur couleur , elles sont en général salies par
une poussière ferrugineuse de couleur oran-
gée.
Le chalumeau a de la peine à fondre cette
zéolite y il faut plusieurs secondes , avec le gaz
oxigène , pour obtenir sa fusion complète. Elle
se convertit alors en un émail blanc comme la
neige et rempli de bulles. Elle jette, comme je
B 3
VOYAGES
4S
l’ai déjà remarqué , de petites lueurs phospho-
riques semblables à réclair, quand elle est sur
le point de se fendre 5 elle bouillonne et se gonfle
quand elle est dans une fusion complète.
Seconde espèce . On la trouve dans quelques
morceaux de la lave précédente; mais elle a des
caractères qui lui sont particuliers. Elle a enduit
d’un léger vernis les cavités de la lave, et formé
par-là des géodes, qui pourtant ne sont pas in-
térieurement cristallisées. Cette zéolite , dont la
couleur tire sur le blanc , est plus transparente
que la précédente; elle coupe le verre aussi bien
que le ferait le cristal de roche. Les acides miné-
raux n’ont aucune prise sur elle , même étant ré-
duite en poudre, tandis qu’ils font une gelée avec
la zéolite de la première espèce. En se fondant au
gaz oxigène, elle jette un éclair léger et brillant ;
elle bouillonne , et se convertit en un globule
vitreux et blanc.
Il n’est pas rare de trouver dans ces géodes de
petites lames de sulfate de chaux transparentes.
Pour m’assurer de la nature de ce sulfate, j’en ai
mis cent grains pulvérisés dans six cents d’eau
distillée et bouillante. La solution s’est faite , et
l’acide oxalique a précipité la chaux.
Troisième espèce . Elle paraît sous la forme
DANS LES DEUX SICILES. 4?
de globules ovoïdes , salis à leur surface par un
nuage terreux, mais très- blancs dans l’intérieur.
Ils sont composés de petits faisceaux de fibres
opaques , striés , soyeux et lustrés , qui partant
du centre des globules , divergent à la circon-
férence, et se présentent comme autant de cônes
renversés. Ces globules, dont les plus grands ont
quatre lignes de diamètre , existent dans les ca-
vités d’une lave argileuse , légère , friable , et
les remplissent entièrement. Quelquefois, au lieu
de globules , on y trouve de petits groupes de
zéolites à facettes , mais si confuses , qu’on ne
peut en déterminer la cristallisation. On voit
seulement qu’elles dérivent de la même subs-
tance ; que , dans le cas où cette substance a
été assez abondante pour remplir toute une ca-
vité de la lave , elle a engendré des faisceaux de
fibres qui ont pris extérieurement une forme
sphérique; que dans le cas contraire, et lorsqu’il
lui est resté un espace libre, elle s’est plus ou
moins cristallisée , en laissant toutefois un petit
vide dans le milieu , ce qui donne aux groupes
de pierres qu’elle a formées le caractère de la
géode.
Le chalumeau fond très- promptement, et met
en ébullition cette troisième espèce de zéolite.
Une lueur phosphorique annonce sa fusion , et
D 4
48 VOYAGES
il en résulte un globule perlé , vitreux , semi-
transparent , très-abondant en bulles. Si l’on brise
ce globule, ce qui ne peut se faire que d’un coup
de marteau fortement appuyé, on obtient des
éclats dont les pointes sont propres à couper
profondément le verre.
Cette zéolite , plongée dans les acides , s’at-
tache bientôt au vase sous la forme d’une croûte,
qui ne tarde pas à son tour de se résoudre en
une gelée transparente et tremblante, semblable
à celle de la corne de cerf.
Quatrième espèce. Sa matrice est une lave à
base de pierre de corne qui constitue deux es-
pèces , ou , si l’on veut , deux variétés. La pre-
mière est grenue , rude au toucher et friable.
La seconde est un peu moelleuse ; elle a de la
finesse dans le grain et de la solidité : toutes les
deux sont grises et sentent Pargile. Les zéolites
renfermées dans ces deux laves paraissent sous la
forme de globules de diverses grosseurs , mais
vides en dedans , et formant autant de géodes
dont la cristallisation est plus ou moins avan-
cée. En l’examinant dans ses divers degrés de
perfection , on voit que lorsque la substance
de la zéolite s’est trouvée trop à l’étroit dans
les cavités de la lave , les prismes tétraèdres ré-
sultans de sa cristallisation n’ont été qu’ébau-
DANS LES DEUX S I C I L E S. 49
chés • que lorsqu’elle a joui d’un peu plusxTes-
pace , leur organisation a été moins imparfaite ;
et qu’enfm , lorsqu’elle a pu s’étendre librement ,
ils ont pris tout leur développement. Chaque
prisme a quatre faces , et il est tronqué. Il faut
cependant en excepter un petit nombre qui sont
terminés par une pyramide tétraèdre. Les uns
ont la blancheur du lait et sont semi-transpa-
rens : les autres ont la limpidité des cristaux
quartzeux.
Ces gaodes se fondent très-facilement au cha-
lumeau 5 elles offrent les phénomènes ordinaires
de l’ébullition et de la phosphorescence. Les
produits qui résultent de leur fusion et de leur
mélange avec les acides, sont semblables à ceux
des zéolites de la troisième espèce. La gelée
qu’elles forment dans ce dernier cas est seule-
ment un peu moins visqueuse.
Cinquième espèce. Une lave argileuse teinte
en gris foncé , légère , et ayant une consistance
terreuse, renferme cette cinquième espèce de
zéolite , qui se montre sous la forme de petites
sphères blanches comme la neige. Elles sont
très-nombreuses, et occupent chacune une ca-
vité de la lave. Elles varient dans leur grosseur:
les plus petites ont à peine un tiers de ligne ,
et les plus grandes trois lignes. Leur surface est
5 o
VOYAGES
un peu raboteuse , à cause d'une multitude d«
points qui , vus à la loupe , se font reconnaître
pour les bases de petits prismes tétraèdres tron-
qués.
En ouvrant ces sphères , on s’apperçoit que
les prismes se prolongent au-dedans5 et s’avancent
en s’amincissant jusqu’au centre 5 ou , pour parler
plus juste , que les sphères ne sont elles-mêmes
que le résultat des prismes assemblés et unis dans
leur longueur. La portion des prisme plongée
dans les sphères est opaque ; mais un certain degré
de transparence caractérise celle qui en sort. Il
faut observer que , quoique le plus grand nombre
des sphères soit entièrement solide, il en est plu-
sieurs qui ont une cavité ronde dans le centre , oc-
cupant quelquefois un dixième de leur volume.
Cette zéolîte est la plus tendre de toutes celles
dont j’ai parlé jusqu’à présent. On peut , avec
un couteau , la racler et l’entamer.
Sixième et dernière espèce . La lave précé-
dente sert également de matrice à cette zéolite,
une des plus belles que les naturalistes aient
découvertes. EÜeest organisée en petits cristaux
transparens , limpides , qui réfléchissent la lu-
mière avec vivacité , et brillent comme des dia-
raans. Ils tapissent les cavités de la lave ; mais
DANS LES DEUX SICILE S. 5 1
ils y sont inégalement répartis. Les plus grands
ont environ une ligne , les plus petits en ont à
peine le quart. Il n’est pas facile de les obser-
ver sur la lave ; mais on parvient , avec de l’a-
dresse , à en détacher quelques-uns , et alors
on peut les examiner à la loupe sous toutes leurs
faces. Chaque cristal est aplati dans sa partie
qui repose sur la lave; dans tout le reste, il
affecte une forme globuleuse , et manifeste sa
cristallisation. Les cristaux isolés y je veux dire
ceux qui se sont formés sans s’attacher à d’autres
cristaux, ont dix-huit facettes à cinq ou à quatre
côtés , jamais à trois 5 mais ils sont très -rares.
Tous les autres sont agrégés ensemble , et grou-
pés confusément. Quoique plusieurs d’entr’eux
le disputent en transparence avec le plus beau
cristal de roche , ils lui sont bien inférieurs en
dureté, puisqu’à peine ils rayent le verre.
J’avais d’abord pensé que cette zéolite n’était
qu’une simple modification de la cinquième es-
pèce qui s’était cristallisée quand elle avait trou-
vé un espace libre \ mais l’observation m’a fait
changer de sentiment. J’ai vu souvent les petites
sphères blanches qui constituent la cinquième
espèce , n’occuper que la moitié de la cavité
de la lave , sans jamais prendre la forme de la
sixième espèce, et jfai constamment observé que ,
VOYAGES
5%
dans ce cas , leurs prismes tétraèdres sortent
davantage hors de la convexité de la sphère, et
ont plus de transparence.
Cette différence d’organisation en amène une
autre dans les résultats , quand on soumet à l’ac-
tion du feu et des acides ces deux zéolites.
Les acides n’agissent pas sensiblement sur la
sixième espèce, et cependant ils réduisent la cin-
quième en flocons gélatineux. Le feu, au bout
d’une demi-heure , convertit la sixième en pe-
tites gouttes de verre transparent , et ne fait que
ramollir la cinquième, qui, pour se fondre, exige
un plus long temps. Le petit globule qui en ré-
sulte alors, est un verre opaque, couleur de lait.
Du reste, j’ai observé, en traitant ces deux es-
pèces de zéolites avec le gaz oxigène , qu’elles
jouissent l’une et l’autre de la propriété de jeter
une lueur phosphorique à l’instant de leur fu-
sion.
L’examen que je venais de faire des zéolites
de Lipari , me donna l’idée de rapprocher les
résultats que j’en avais obtenus, de ceux que
m’ofFriraient les zéolites d’Islande , uqui passent
pour jouir au plus haut degré de la propriété de
se dissoudre en un corps gélatineux. Celle que je
choisis pour cette expérience était très-blanche 5
DANS LES J) EUX SIC ILE S. 53
elle présentait un groupe de petits faisceaux co-
niques étroitement aglutinés, et croisés en divers
sens , dont les extrémités divergentes se termi-
naient en une multitude d’aiguilles configurées
en cylindres imparfaits. Plongée dans les acides,
cette zéolite me donna promptement une gelée
très-belle , à la vérité , mais non supérieure à
celle de la troisième et quatrième espèce de Li-
pari. Elle se gonfla dans le fourneau , devint très-
légère , mais ne se fondit pas. Traitée avec le
gaz oxigène ’ elle se convertit en un émail cou-
leur de lait , dur et rempli de bulles.
Je voulus ensuite savoir quels étaient les rap-
ports qui existaient entre les zéolites de Lipari
et celles des autres pays , observées par divers
naturalistes. J’en comparai les descriptions , et je
reconnus que la première espèce est très-ana-
logue à la zéolite de Ferrbe , que Born a décrite
dans son Lithophylacium , en disant qu’elle res-
semblait à la calcédoine stalactite.
La seconde espèce a la dureté de quelques
zéolites cristallisées de Pîle des Cyclopes de l’Et-
na. Ces dernières, comme l’a observé Dolomieu,
et comme je l’ai éprouvé moi-même, le cèdent
peu, à cet égard, au cristal de roche.
Les trois autres espèces ne différent pas essen-
^ ,/ -
VOYAGES
54
tielîement de celles qui ont été trouvées dans
Pisle de Ferrée , dans le Vivarais , &c. et qui ont
été décrites par Vallerius, Born > Bergmann et
Faujas.
La sixième espèce est nouvelle ; du moins je
ne connais aucun auteur qui ait parlé d’une zéo-
lite dont les cristaux isolés portent constamment
dix-huit facettes 5 et quant à ses qualités, j’ignore
s’il en existe qui aient autant d’éclat et de trans-
parence.
Il paraît que le cube est la forme primitive de
la zéolite , celle qu’elle prend toujours quand sa
cristallisation ne rencontre aucun obstacle. Cette
forme se modifie plus ou moins suivant les cir-
constances. Ainsi la première et la seconde es-
pèce de Lipari sont irrégulières $ la troisième ma-
nifeste un principe de cristallisation ; les prismes
tétraèdres de la quatrième et de la cinquième , et
les cristaux de la sixième , sont probablement
des modifications de la forme primitive. Enfin ,
je connais des zéolites cristallisées à vingt-quatre
et $ trente facettes.
Quelques naturalistes prétendent que la zéo-
lite de Ferroe , la plus blanche et la plus pure
des zéolites , est la seule qui fournisse un verre
blaac et transparent. Je donne la préférence au
DANS LES DEUX SICILE S. 55
verre de la sixième espèce de Lipari ; sa couleur
est aqueuse , et sa transparence égale à celle
du cristal quartzeux. Je ne connais que les cris-
taux zéolitiques des îles des Cyclopes qui puissent
en produire d’aussi parfait.
Tous les minéralogistes savent que Cronstedt
a été le premier à distinguer cette pierre des
carbonates de chaux avec lesquels on la con-
fondait , et à mettre au jour quelques-unes de
ses principales qualités. Il observa que les acides
minéraux ne faisaient point effervescence avec
elle j mais qu’ils la dissolvaient lentement en un
corps gélatineux. Cette dissolution lente , cette
conversion en gelée, n’ont pas toutefois une pro-
priété si inhérente aux zéolites , qu’il ne s’en
trouve plusieurs que les acides les plus concen-
trés ne peuvent attaquer. Des six espèces de
Lipari, on a vu que la troisième et la quatrième
se convertissaient promptement en une gelée
transparente 5 que la première et la cinquième
n’étaient pas aussi propres à cette conversion ;
et qu’enfm la seconde et la sixième s’y refu-
saient absolument.
Pelletier , dans son analyse de la zéoîite de
Fîle Ferroe , a montré qu’il entrait dans sa com-
position vingt parties d’alumine , huit de chaux.
VOYAGES
56
cinquante de silice , et vingt - deux de flegme.
Bergmann, Mey er, Klaproth , ont analysé d’autres
zéoiites. Les miennes étaient si petites, et j’en
possédais si peu , que je n’ai pu tenter sur elles
une longue suite d’expériences 5 cependant j’en
ai fait assez pour m’assurer que la seconde et
la sixième espèce contiennent une plus forte dose
de silice que la zéolite analysée par Pelletier , et
c’est peut-être la cause qui les empêche de for-
mer un sédiment gélatineux. La surabondance
de la terre quartzeuse ne permettant pas aux
acides l’extraction de la chaux et de l’alumine ,
les principes constituans se maintiennent dans
leur étroite union.
Non-seulement la dissolution gélatineuse n’est
pas une propriété générale des zéoiites , mais
elle ne leur appartient pas exclusivement ; l’ex-
périence a démontré qu’elle est commune à plu-
sieurs pierres où les principes constituans étant
les mêmes , se trouvent combinés dans une cer-
taine proportion. En réfléchissant sur cette iden-
tité de principes qui est la cause de leur conver-
sion en gelée , il me vint en idée de faire un
essai dont je donnerai ici le résultat. Les grenats
décolorés du Vésuve contiennent, selon Berg-
mann , cinquante-cinq parties de silice , trente-
neuf d’alumine et six de chaux. Comme j’en avais
fait
DANS LES DEUX SICILE S. O?
fait une abondante récolte au Vésuve, j’imaginai
de les traiter avec les acides de la même manière
que les zéolites. Les trois premières espèces dont
j’ai donné 'plus haut l’indication , ne manifestè-
rent aucun signe de dissolution , même après les
avoir réduites en pckidre. Il en fut autrement
de la quatrième. Je n’employai pas, à la vérité ,
les grenats décrits sous cette espèce, car mon
expérience eût été sans effet ; mais j’en pris
d’analogues qui avaient été extrêmement ra-
mollis par l’acide sulfureux , quoiqu’ils con-
servassent encore leurs vingt -quatre facettes.
L’acide nitrique les convertit au bout de treize
heures en une gelée qui n’était pas , à la vé-
rité , aussi belle que celle des zéolites. Il faut
en conclure que cette aptitude à se dissoudre,
ils la tenaient de l’altération qu’ils avaient éprou-
vée , altération qui permettait à l’acide nitrique
de les pénétrer , et d’agir sur eux comme il agit
sur les zéolites.
On a cru que les zéolites étaient une pro-
duction particulière aux pays volcanisés , parce
que c’est-là qu’on a coutume de les trouver \
mes recherches pourraient fortifier cette opi-
nion , si Linné , Cromstedt et d’autres natura-
listes , n’avaient donné des preuves incontes-
tables de leur existence dans des contrées ou
Tome II L E
VOYAGES
53
Ton n’apperçoit aucuns vestiges des feux volca-
niques (1).
C’est encore un fait mis hors de doute que les
zéolites des volcans ne doivent point leur origine
au feu; qu’elles y sont purement adventices, non
dans le sens qu’elles ont préexisté aux éruptions
(i) Nul doute que l’on ne trouve la zéolite dans les
pays où il n’y a aucune trace de volcan. L’exemple que
je vais citer d’après ce que j’ai vu moi-même sur les
lieux , servira à confirmer cette vérité , et à jeter en même
temps quelque lumière sur un point de fait qui n’est pàs
encore parfaitement éclairci.
En visitant cette année les environs d’Oberstein , dont
toutes les montagnes ne sont composées que d’une roche
porphyrique très-variée , je poussai ma route jusqu’à
Reichenbach , en suivant toujours les mêmes roches por-
phyriques. Mon intention était de faire une étude ap-
profondie des belles zéolites mêlées de cuivre qu’on
trouve dans ce dernier lieu.
Reichenbach est un petit village bâti sur un plateau
entouré de terres cultivées qui ne sont formées que
d'une terre porphyrique produite par la décompositioh
spontanée d’une roche de la même nature ; de manière
qu’en fouillant à huit à dix pouces de profondeur , on
trouve la roche à nu , et que la terre , examinée à la
loupe , offre les mêmes élémens. Des portions assez con-
sidérables de ce porphyre ont une teinte verdâtre très-
vive; quelquefois elles sont colorées d’un verd bleuâtre;
DANS LES DEUX SICILE S.
et qu’elles ont été enveloppées par les laves et
incorporées en elles, comme le prétend un cé-
lèbre volcaniste , mais, en tant qu’elles se sont
engendrées après l’extinction des incendies, au
moyen des eaux qui ont transporté et déposé
leurs parties constituantes dans les cavités des
laves , où les différentes combinaisons, de leurs
et cette couleur , qu'on croirait due au fer, est néanmoins
le produit d'un oxide de cuivre mêlé d’un peu de zinc,
ainsi que je m'en suis assuré.
Des noyaux de zéolite , dont quelques-uns pèsent
jusqu’à six livres , ont résisté à la décomposition qu’a
éprouvée le porphyre dans les parties qui ont été livrées
à la culture. C’est là qu’il faut aller à la recherche des
zéolites, particulièrement lorsqu’on vient de labourer les
terres; ce qui met à découvert des noyaux isolés qu’on
ne verrait point sans cela. Le hasard a fait que je m’y
suis trouvé dans cette circonstance favorable , et après
avoir parcouru un demi-mille de terrein superficiel , seul
endroit où l’on rencontre des zéolites, j'ai eu la satisfac-
tion d’en recueillir environ vingt livres en divers mor-
ceaux.
Il faut observer qu’un des plus considérables renferme
non-seulement plus de six onces de cuivre natif en plaques
compactes , susceptibles d'être limées , mais qu’il est
adhérent à une portion de roche porphyrique. La zéolife
est radiée , d’un blanc un peu verdâtre , formant gelée
avec les acides ; en un mot , ayant tous les caractères
d’une véritable zéolite.. Celle-ci est d’ailleurs très-con-
E 2
V O Y A G £ S
affinités en ont formé des corps tantôt informes ,
tantôt cristallisés , suivant les circonstances. On
reconnaît évidemment cette génération dans ces
beaux groupes de petites pierres quartzeuses que
fai découverts dans certaines laves du rivage de
Lipari en face de Vulc.ano ; on îa reconnaît dans
les zéoiites dont fai donné la description , et sur-
arme des minéralogistes. Comme il existe des morreaux
qui pèsent au-delà de sept à huit livres, je demande à
présent ce que deviendrait cette matière , si un incendie
souterrain se manifestait dans les environs de Reichen-
bach, où l’on trouve en outre des agathes, des noyaux
globuleux de spath calcaire dans la roche porphyrique à
base de trapp ? Il est évident que les feux volcaniques
qui agissent sur les matières pierreuses d’une manière
qui diffère totalement de celle produite par le feu ordi-
naire des fourneaux , se comporterait ici comme dans
les volcans éteints du Padouan, où l’on découvre un®
multitude de globules de spath calcaire, des calcédoines t
des agathes, et beaucoup de zéoiites; c’est-à-dire que
la zéolite de Reichenbaçh serait saisie par la lave envi-
ronnante , et qu'il en serait de même du mandelstein des
Allemands , ou toodstone des Anglais , c’est-à-dire , des
globules de spath calcaire dont ce porphyre est lardé.
Il arriverait sans doute , si le volcan que nous supposons
ici existait sous les eaux de la mer , qu’à la longue le
fluide aqueux opérerait des déplacemens et des cristal-
lisations secondaires, tant calcaires que zéoîîtiques; mais
il n’en serait pas moins Certain que Ces matières se se
raient trouvées primitivement engagées dans \% roche
DANS LES DEUX SICILE S. 6l
tout dans celles dont les cristaux prismatiques ont
leur base sur les parois cellulaires des laves.
Je terminerai cette discussion par quelques
considérations sur le gisement des zéolites vol-
caniques. Dolomieu est persuadé qu’elles ne se
trouvent que dans les lieux qui ont été couverts
porphyrique volcanisée. Cet exemple s’accorde avec les
deux opinions différentes soutenues par les naturalistes:
la première , que la plupart des zéolites qui existent en
petits cristaux dans les cavités de certaines laves , y ont
été secondairement déposées par l’eau ; la seconde , que
la matière qui a fourni à tant de cristallisations existait
auparavant , et a été saisie par la lave ; et que cette ma-
tière à été le magasin où les eaux se sont approvisionnées
des molécules ^éolitiques , auxquelles il serait difficile
d’attribuer une autre origine. En effet, d’où pourraient
dériver les élémens de la zéolite que l’on découvre
quelquefois en noyaux compactes dans le centre des ba-
saltes les plus durs, et les plus susceptibles de recevoir
le poli? Dira-t-on que ces élémens se trouvaient dans
le basalte même? Mais l’eau qui les aurait déplacés pour
les réunir dans des cavités , quelquefois considérables ,
aurait nécessairement opéré dans la contexture du ba-
salte, des vides , des espèces de réseaux, dans les places
même où ces molécules auraient été saisies pour être
transportées ailleurs; et dès -lors cette lave basaltique
n’aurait plus ses pores serrés. Je renvoie , pour abréger
cette note, à un mémoire particulier que je me propa#*
de publier sur les zéolites de Reich enba ch. F
E 5
62 VOYAGE S
par les eaux de la mer. En effet , il a observé
une immense quantité de testacées marins à deux
cents toises au-dessus des laves zéolitiques des
lies des Cyclopes et des montagnes de Trezza.
On peut en dire autant des montagnes volca-
niques du Vicentin , où Ton voit à -la -fois de
belles zéolites, et des dépouilles d’animaux ma-
rins. Mais ces témoignages que l’auteur français
produit en faveur de son sentiment , quelqu’irré-
fragabies qu’ils soient en eux-mêmes , ne peuvent
lui fournir que des conséquences particulières, et
applicables aux seules zéolites qu’il a observées.
Quant à celles de Lipari , on s’imagine bien que
j’ai fait l’examen le plus attentif du site qu’elles
occupent. La première espèce se rencontre à
deux cents pieds environ de distance des Etuves
dans la direction de la ville de Lipari ; les autres
sont éparses sur l’escarpement de la montagne
qui regarde le sud. Mais je puis assurer que ces
lieux, et les îles Æoliennes en général, n’offrent
ni dépouilles j ni empreintes de plantes ou d’ani-
maux marins. Ce n’est pas là sans doute une
démonstration physique que le sol de ces îles
n’a pas été anciennement couvert par les eaux
de la mer j il est possible que les dépôts marins
qu’on y chercherait vainement aujourd’hui, aient
été détruits par une cause quelconque, et les
causes de destruction ne manquent point dans
î) A N S L DEUX SICILE S. 63
un pays travaillé par le feu 5 mais il faut convenir
que l’absence de ces depots nous prive d’un des
plus beaux témoignages que la mer puisse laisser
de ses inondations , et que dans des lieux où tout
est volcanique , il est difficile d’imaginer des
preuves qui suppléent à celle-là.
Que l’eau soit le principe générateur des zéo-
lites , et non le feu , c’est ce que prouvent suffi-
samment l’eau de cristallisation plus ou moins
abondante qu’elles renferment , et leur présence
dans des contrées qui n’ont jamais été volcani-
sées * telles que plusieurs provinces de la Suède 5
que cette eau soit quelquefois provenue de la
mer , c’est ce dont on ne peut douter d’après
les observations de Dolomieu ; mais il n’en est
pas moins démontré que , dans certains cas , les
zéolites doivent leur génération à l’eau douce >
et Bergman nous en fournit un exemple. Il existe.,
dit-il , dans l’Islande , près de Laugarnes , une
eau thermale qui est bouillante en sortant de
terre. Tant qu’elle conserve sa chaleur , elle ne
laisse après elle aucun sédiment 5 mais loin de sa
source, et quand elle est refroidie, elle dépose
au fond de son lit un sédiment véritablement
zéolitique , ainsi que le prouve l’analyse que
j’en ai faite (1). Cette eau étant très -chaude,
(1) Opusc. v. III.
E 4
VOYAGES
64
ajoute Bergman , elle tient en dissolution la ma-
tière de la zéolite , qui l’abandonne ensuite , et
se précipite sous la forme de stalactite , lorsque
son dissolvant , en perdant sa chaleur , n’a plus
le pouvoir de la soutenir. Ce fait est important,
et l’explication qu’en donne Bergman convient
parfaitement aux zéolites qui se forment dans les
volcans. En efFet , des eaux , soit douces , soit
salées , fortement échaufFées par les feux sou-
terrains, doivent dissoudre les substances zéo-
îitiques , et quand ces eaux viennent à se refroi-
dir 5 il est naturel qu’elles les déposent dans les
cavités des laves, où ces substances tantôt se
cristallisent, tantôt ne prennent que des formes
irrégulières, suivant les circonstanceso
Lorsque l’on a atteint le sommet de la mon-
tagne des Etuves , on se trouve à l’extrémité de
File , et l’on voit tout-à-coup la mer au-dessous
de soi , à environ quatre cent soixante pieds de
profondeur. Si l’on tourne ensuite vers le sud ,
on découvre plusieurs sources d’eau chaude ; une
d’elles forme les bains de Lipari, dont l’existence
est aussi ancienne que celle des Etuves, et dont
Fusage est également abandonné. En poursuivant
sa route dans la même direction, on rencontre
de nouveau des laves- décomposées qui ressem-
blent aux laves des Etuves ; elles sont teintes d©
DANS LES DEUX SICILES. 65
couleurs très-variées , et couvertes çà et là de
croûtes de sulfate de chaux.
Eu réunissant par la pensée tous ces amas de
laves décomposées, qui formeraient une aire de
plusieurs milles, on s’étonne, et on se demande
s’il est en Europe une contrée voîcanisée où les
vapeurs sulfureuses émanées des incendies sou-
terrains , aient eu une aussi grande extension.
Celles de la Solfatare de Pouzzole qui ont blan-
chi son cratère , et que les historiens de ce vol-
can n’ont jamais vues ni décrites sans l’expression
de la surprise , ne sont rien pour l’étendue en
comparaison des premières ; et cependant , de
tant d’exhalaisons qui ont dû sortir du sein de
cette île pour en couvrir un aussi grand espace,
il ne reste plus aujourd’hui que quelques fumées
très-légères aux environs des Etuves , où elles
s’élèvent à peine de terre.
Je fis trois voyages dans ce lieu. Aux deux
premiers , j’en revins par le chemin que j’avais
pris en allant , et qui est creusé dans le tuffa j
mais au troisième , je repassai par Campa Bian -
co y par le mont délia Castagna > et de-là je me
transportai de nouveau sur la haute montagne de
Saint- udngelo . J’avais déjà observé que les monts
délia Castagna et de Campo Bianco étaient
entièrement composés de ponces et de verre.
/
66 VOYAGES
Mais ici , je pus embrasser de mes regards tout
l’espace que ces substances vitrifiées occupent
dans l’île , et m’en représenter le tableau. Sous le
tufFa recouvrant les pentes du mont des Etuves,
et le vaste plateau qui est à son sommet , s’étend
un lit de ponces, de verres et d’émaux; à un
quart de mille des Etuves , du côté de Campo
JBianco , le tufFa disparaît , et l’on voit à nu les
ponces qui vont se réunir à celles de ce dernier
endroit. Ce n’est pas tout : on les suit encore dans
le chemin qui conduit à Saint-^dngelo , et cette
montagne en est couverte elle-même. Par-tout
au milieu de ces ponces , on découvre des verres.
En faisant entrer dans ce dénombrement les
autres parties de l’île où régnent de semblables
substances , je n’exagérerai point en disant que
les deux tiers de Lipari , qui a dix-neuf milles
et dêmi de circonférence, sont vitrifiés.
A l’aspect de cette immense vitrification , la
première idée qui s’offrira au lecteur sera peut-
être celle qui me frappa moi-même en arrivant
dans ces lieux. Je me dis : Il faut que le feu
eit agi ici avec une grande violence ! Mais l’ex-
périence m’apprit ensuite qu’il n’était pas né-
cessaire de supposer une si puissante énergie
dans les embrasemens souterrains pour produire
cet amas de vitrifications , quelqu’un orme qui!
DANS LES DEUX S 1 C I L E S. 67
soit. Sans doute la chaleur nécessaire pour for-
mer des ponces , des émaux , des verres , doit
être plus forte que celle qui opère la simple
fusion des laves, lorsque ces substances recon-
naissent la même base. Mais , à en jugeç par la
nature des roches d’où sont provenues les mon-
tagnes vitrifiées de Lipari , il n’a pas fallu un
surcroît de chaleur bien considérable. Ces roches
sont en général des feld-spaths, des pétro-silex,
des pierres de corne. Quant à ces dernières , on
a vu avec quelle facilité elles se vitrifient au feu
des fourneaux de verrerie qui n’est pas des plus
violens 5 on a vu que ce feu suffit encore pour
convertir en verre plusieurs pétro-silex et quel-
ques feld-spaths 3 et qu’enfin les verres, les
ponces , les émaux de Lipari subissent tous dans
ces mêmes fourneaux une refonte complète. Il
y a plus , je crois avoir des preuves directes que
le feu volcanique a été inférieur à celui des four-
neaux. Ces preuves, je les tire de quelques subs-
tances réfractaires , soit cristallisées , soit infor-
mes, qui se trouvaient incorporées aux verres ,
aux ponces , aux émaux , et qui , dans mes ex-
périences , se sont complètement fondues.
Cependant je ne puis nier que les feux vol-
caniques de Lipari n’aient été , en quelques cir-
constances , très-énergiques , si , comme l’a ob-
> \
VOYAGES
68
serve Dolomieu , iis sont parvenus à fondre le
granit composé de quartz , de feld-spath et de
mica y et à le convertir en pierre ponce»
Les anciens nous ont laissé quelques rensei-
gnemens sur l’état des incendies qui se mani-
festaient de leur temps à Stromboli et à Yuîcano $
mais ils ont gardé un silence absolu sur les an-
tiques feux de L’île des Salines , et de ce groupe
d’écueils qui probablement faisaient autrefois
partie de l’île Evonymos . On peut cependant
assurer, d’après l’autorité de Diodore de Sicile,
que la vulcanisation de ces deux îles leur était
connue. En effet , cet historien dit formellement
que toutes les îles Æoîiennes avaient été sujettes
à de grandes éruptions de feux , et que de son
temps on en voyait encore les cratères avec leurs
bouches (i).
Quant à Lîparî , la tradition ne leur avait rien
appris touchant les embrasemens de cette île.
Elle existait avant la guerre de Troye ; quand
cette ville fut tombée au pouvoir des Grecs ,
Ulysse retournant dans ses états, aborda àLipari,
(i) « Elles ont toutes de grandes ouvertures par les-
quelles elles vomissent du feu : les cratères qui s’y sont
formés, et les bouches , sont encore vkibles jusqu’à pré-
sent b>.
DANS LES DEUX SICILES. %
où le bon accueil et l’hospitalité du roi Æole le
retinrent pendant un mois entier (1). Et quoique
Homère dans ses récits ait pu se livrer à quelques
Fictions, on doit croire cependant qu’il n’aurait
pas nommé cette île , encore moins la ville, si
elles n’avaient pas existé quand il publia son
poème : ce qui fait une époque de trois mille ans
environ. En consultant les monumens historiques,
on peut encore reculer cette époque au temps
où régnait Liparos , qui donna son nom à cette
île , laquelle portait auparavant celui de Melo-
gvnis , ou 3îeligunis. Mais voici une réflexion
qui donnera une idée plus juste de sa haute an-
tiquité. Une île formée par les dépôts et la re-
traite successive des eaux peut devenir bientôt
habitable et propre à la culture ; il n’en est pas
Ae même quand elle a été l’ouvrage du feu et
des éruptions ,dont les matières exigent un temps
(1) u Nous parvenons heureusement à Plie d’Æolie qui
flotte sur les mers,, et où règne le fils d’Hyppotes,Æole>
Pami des immortels. Un rempart indestructible d’airain,
bordé de roches lisses, ëscarpées, céint Pilé entière. .. ».
«C’est dans la ville et le palais de ce roi que nous
arrivons -, il me reçoit , m’accueille durant un mois avec
amitié ; il ne cessait de m’interroger sur Ilion , sur la
flotte des Grecs et sur leur retour ». Odyssée, chant X f
trad. de Bitanbé.
VOYAGES
7Ô
incomparablement plus long pour arriver à leur
décomposition. Si donc Lipari , pendant que
Troye subsistait encore , était habitée , cultivée ,
et avait une ville , qui ne voit pas combien de
siècles ont dû s’écouler depuis son origine jusqu’à
cette époque ?
A compter du temps où l’histoire a commencé
de faire mention de cette île jusqu’à nos jours,
on est fondé à croire qu’il ne s’y est manifesté
aucune véritable éruption ou courant de laves ;
les historiens n’auraient pas manqué de rappor-
ter cet événement, aussi remarquable sans doute
que les éruptions de Stromboli et de Vulcano,
dont ils ont rappelé les époques. Aristote est le
seul qui parle des feux de Lipari ; mais ils n’é-
taient visibles , ajoute - 1 - il , que pendant la
nuit (1). Les écrivains qui sont venus après lui
n’en disent plus rien , et je conclus de ce silence
général, que Lipari était parvenue à son plus
haut degré d’accroissement avant que les hommes
eussent connaissance de son existence. Cepen-
dant beaucoup de laves de cette île sont encore
intactes , sur-tout celles qui portent un caractère
vitreux; les émaux, les verres, n’ont subi aucune
(1) « Il est dit aussi qu’il y a dans Lipari un feu qui
n'est visible que pendant la nuit ». In Mirandis.
DANS LES DEUX. SICILE Si 71
altération , et il est démontré que ces corps
existent depuis plus de trois raille ans ! Quelle
est donc la trempe que le feu leur donne , pour
les mettre à l’abri des injures du temps pendant
une si longue succession de siècles ?
En fondant l’ancienneté de Lipari sur le té-
moignage d’Homère , je n’ai point voulu exclure
les autres îles ses compagnes, comme si elles
étaient d’un âge postérieur $ je suis au con-
traire très-persuadé , d’après les documens his-
toriques , que toutes ces îles étaient contempo-
raines : si le poète grec ne parle que de Lipari,
c’est qu’elle était la plus grande , la plus fertile,
la plus fameuse, le siège de l’empire d’Æole,
et le lieu de sa résidence.
VOYAGES
7*
CHAPITRE XV II.
Félicuda .
Pour achever mon voyage aux îles Æoliennes,
il me restait à visiter Félicuda et Alicuda , situées
à Fèxtrémité de ce petit archipel vers l’ouest.
J’étais d’autant plus curieux d’examiner ces deux
îles , qu’elles n’avaient été décrites par aucun
naturaliste. Dolomieu , qui eût été si propre à
bien remplir cette tâche , ne les avait vues que
dé loin rs&ns y aborder , parce qu’elles se trou-
vaient trop éloignées de sa route.
Je partis de Lipari pour Félicuda , distante de
vingt-trois milles, dans la matinée du 7 octobre.
Je fis ce trajet en quatre heures. Cette île n’a
point de port, mais elle offre deux anses , l’une
au sud 3 l’autre au nord-est, capables de rece-
voir de petits bâtimens. Quand le vent défend
l’entrée de l’une, on peut se réfugier dans l’autre :
toutes les deux sont également abritées par la
montagne. Je débarquai dans l’anse du nord-est :
elle est surmontée par des rochers de lavesj ainsi ,
dès mon arrivée, je pus remplir le principal ob-
jet de mes recherches , et m’assurer de la voîca-
aiiation de cette île. Je me mis à parcourir le
coté
DANS LES DEUX SICILE S. 7-3.
coté qui regarde le sud-est, et je vis aussi-tôt,
épars à la surface de quelques petits champs ,des
pierres ponces , des verres, des émaux.
Persuadé de l’antique existence du feu dans
cette île , je résolus cje la côtoyer le jour suivant
pour en étudier les rivages. Elle a neuf milles
de circonférence. Je commençai par l’examen
des laves qui environnent l’anse où j’avais abordé.
Ces laves ont pour base un feld-spath d’une pâte
écailleuse , grisâtre , peu compacte , qui jette de
faibles étincelles sous le choc du briquet , et at-
tire l’aiguille aimantée. Dans cette pâte sont en-
castrées des aiguilles d’un schorl noir et fibreux,
et de petites masses de feld-spath qui se font
aisément distinguer de la base par leur blancheur,
leur semi-transparence et leur éclat. Cette lave
forme une portion de l’enceinte de l’anse ; en
plusieurs endroits elle est fendue dans sa lon-
gueur; on y observe des espaces vides, arrondis ,
du diamètre de plusieurs pouces , qui régnent
dans son intérieur , et la font ressembler en quel-
que sorte à un gâteau d’abeilles. Ces cellules
m’ont paru produites, non par l’action des mé-
téores, mais par les substances élastiques con-
tenues dans la lave en fusion. Il est vrai que l’air
de la mer altère facilement les fossiles exposés
à son action. J’en ai vu des exemples surprenais
Tome III. F
/
,74 VOYAGES
sur des rochers situés au bord de la Méditerra-
née , le long des deux rivières de Gênes , particu-
lièrement à Porto- Venere dans le golfe de la
Spezia , et à Lerici. Les tours , les édifices ma-
ritimes portent aussi les marques de ses ravages 5
mais je ne crois pas qu’ils soient nulle part com-
parables à ceux qu’éprouve la ville de Comma-
chio dans le Ferrarois , construite au milieu d’un
marais salé. La corrosion s’attache tellement à
ses maisons , qu’il faut s’qccuper sans cesse de
les réparer; c’est ce dont fai été témoin moi-
même dans un court séjour que j’y ai fait au
mois d’octobre ] 792. Mais cet air de mer n’altère
pas indifféremment toutes sortes de fossiles ; il
semble s’exercer principalement sur les pierres
calcaires 3 cependant il en ménage quelques-
unes , comme le marbre d’Istrie , avec lequel
sont bâtis les palais de Venise , qui, malgré leur
ancienneté , n’ont souffert aucun dommage.
Quant aux substances pierreuses sorties du sein
des volcans, j’ai observé que l’air de mer leur
nuisait très-peu ; et la lave littorale dont j’ai fait
mention ayant des cavités jusque dans son feld-
spath , qui est une des pierres les plus inalté-
rables, je suis d’autant plus convaincu qu’elle ne
les doit qu’à l’action des gaz élastiques.
Après cet examen, je sortis de l’anse du nord-
DANS LES DEUX SICILE S. 7 5
est en rasant Pile au nord. Je m’étais à peine
avancé de cinquante pas, que je vis devant moi
un rocher de la hauteur de trente pieds environ ,
et d’une largeur égale , coupé à pic sur la mer.
J’apperçus dans sa structure un accident que les
productions des îles Æoliennes ne m’avaient en-
core offert nulle part : la lave se divisait en prismes.
Je poussai ma barque sous le rocher afin de le
considérer de plus près. Sa partie supérieure , à
partir de la hauteur de douze pieds environ au-
dessus du niveau de la mer, était lisse, et présentait
un plan égal. Sa partie inférieure était marquée
de légers sillons longitudinaux qui formaient des
prismes à trois côtés inégaux, le côté postérieur
restant attaché au rocher , ou , pour mieux dire ,
faisant corps avec sa masse. Curieux de savoir s>’ils
se prolongeaient sous l’eau , j’employai une res-
source que je me ménageais toujours dans mes
navigations. Je répandis de l’huile d’olive à l’en-
tour pour abattre le brisement des flots qui en
troublaient la surface 5 alors je vis clairement
que ces prismes s’enfonçaient à quelque pro-
fondeur dans la mer : les plus gros avaient un
pied et demi de largeur.
Cette lave prismatique mérite une description
détaillée. Sa base est une pierre de corne cou-
leur de fer , tellement compacte , que l’on n’y
F *
7 6 VOYAGES
saurait appercevoir la plus petite bulle. Les mor-
ceaux en sont transparens par les bords, et étîn-
eelans sous le cboc de l’acier. Ils ne prennent
aucune forme déterminée , ils reçoivent un poli
sans lustre , et sont attirables à l’aimant à la dis-
tance d’environ trois lignes. Cette lave étant
broyée se réduit en une poudre couleur de
cendre , impalpable , qui s’attache aux doigts.
Elle renferme des grains d’un feld-spath non
cristallisé , et beaucoup de petits schorls oblongs
et rhomboïdaux.
Traitée avec le feu, elle se fond en un émail
dur, couleur de poix, qui n’a point abandonné
sa vertu magnétique : les feld-spaths sont ré-
fractaires.
Le lieu où s’élève ce rocher prismatique se
nomme Fila diSacca . Au-delà, le rivage, dans
l’étendue de deux milles , ne présente que des
laves ordinaires , à l’exception d’une seule qui
manifeste des ébauches de prismes : ils sont un
peu plus sensibles près de la surface de l’eau.
On arrive ensuite à un endroit nommé Sac -
cagne } où s’élève un groupe de rochers , dont
l’un s’appelle le Rocher percé , parce qu’il est
à jour dans le milieu ; les barques peuvent passer
au travers. On reconnaît des formes prismatiques
dans la lave de ces rochers.
DANS LES DÏÜX SlCILES. 77
A cinquante pas plus loin est une caverne spa-
cieuse formée dans la lave du rivage ; elle porte
le nom de la Grotte du Bœuf marin , qui lui
vient peut-être de ce qu’elle a servi ancienne-
ment de retraite à des phoques , qui aux îles
de Lipari , comme dans beaucoup d’autres con-
trées , s’appellent veaux marins . L’ouverture
de cette caverne est ovale dans sa partie su-
périeure. Elle a soixante pieds de largeur sur
quarante de hauteur. Son intérieur offre d’abord
une espèce de vestibule , ensuite une vaste salle
d’environ deux ' cents pieds de longueur , sur
soixante de largeur et quarante de hauteur. La
mer y entre , et son choc s’amortissant au pas-
sage , une petite barque peut trouver dans cet
asylê un abri contre la tempête.
• . : .)
Il ne faut pas croire que cette caverne soit
tapissée de stalactites à la manière de celles des
pays montueux ; non-seulement on ne remarque
contre ses parois aucun empâtement humide ,
mais la pierre dont elle est formée doit elle-
même son origine au feu 5 c’est une lave qui
porte les caractères suivans. Sa base de schorl
en masse , est médiocrement poreuse , un peu
légère , étincelante sous le choc de l’acier 5 iné-
gale dans la cassure ; elle répand une odeur
d’argile, et elle attire l’aiguille aimantée à la
F 3
VOYAGES
78
distance d’une demi-ligne. Sa couleur est grise ,
mais entrecoupée par des feld~spaths rhomboï-
daux d’un blanc luisant. Traitée avec le feu ,
elle se convertit en un émail opaque et plein de
bulles. La fusion , loin de lui enlever son magné-
tisme , ne fait que P accroître. L’éclat des feld-
spaths s’amortit : la blancheur leur reste , et
n’en est que plus apparente sur le fond noir de
l’émail.
Ce rocher de lave, coupé à pic sur la mer,
est figuré par des prismes longitudinaux , plus
grands que ceux décrits ci-dessus. Il est digne
de remarque que ces prismes, dont l’extrémité
inférieure plonge dans Peau , ne s’élèvent au-
dessus de sa surface que de huit ou neuf pieds
environ.
Mais que penser de l’origine de la caverne ?
faut-il l’attribuer aux flots de la mer, et dire
Qu’ils ont pu miner lentement le massif de laves,
et y pratiquer cette énorme solution de conti-
nuité ? J’en doute , attendu que Peau est à peine
entrée dans la caverne , qu’elle perd toute son
impétuosité , et que d’ailleurs la lave est assez
dure pour ne pas céder facilement au choc des
vagues. Il me paraît plus naturel de rapporter
cet effet à l’action des gaz qui se sont dévelop-
pés pendant la fluidité de la lave. On voit dans
BANS LES DEUX SICILE S. 79
l’Etna des cavernes bien plus profondes produites
par une cause semblable.
Après avoir passé la Grotte du Bœuf marin >
on trouve un mélange de tufFa et de lave : la sin-
gulière alternative de leurs couches mérite un mo-
ment-d’attention. Elles forment une cote élevée
qui a son inclinaison vers la mer. Le tufFa règne
au sommet ; au-dessous est une couche de lave ,
qui repose elle-même sur une couche de tufFa ;
ces deux matières se suivent ainsi dans un ordre
alternatif. La mer avait fait une déchirure à cette
côte qui me donna le moyen de compter onze
couches de tufFa , et autant de laves placées
entre deux. Le feu et l’eau ont donc concouru
alternativement à former cette partie du rivage
de l’îïe.
Les laves des onze couches sont de la même
espèce. Leur base commune est la pierre de
corne ; cette base renferme des schorîs, des feld-
spaths; son aspect est terreux 3 noirâtre 3 elle ré-
pand une odeur d’argile; elle met en mouvement
l’aiguille aimantée à la distance de deux lignes.
Traitée avec le feu3 elle se convertit en un émail
opaque , noir comme la poix 3 et dont le magné-
tisme est plus fort que celui de la lave avant sa
fusion.
Quant aux couches de tufFa 3 elles ne difFèrent
F 4 '
8o
VOYAGES
point essentiellement entr’eîies; elles sont com-
posées de petits grumeaux argileux formant une
pâte incohérente et friable plus ou moins co-
lorée par une rouille ferrugineuse jaunâtre. On
y trouve , comme dans les couches de lave 3
un grand nombre de schoris , avec cette diffé-
rence que ceux-ci peuvent se détacher aisé-
ment tout entiers , à cause de la mollesse du
ciment qui les lie. Malgré cela , il est difficile
d’en déterminer la cristallisation : l’obstacle ne
vient pas de leur petitesse , car plusieurs ont
deux lignes de longueur, mais de leur réunion
en groupes. Ceux qui sont isolés représentent
un prisme hexagone , terminé par deux pyra-
mides trièdres. Au reste , tous ces schoris sont
noirs , brillans dans la cassure , un peu fibreux ;
en un mot , ils ressemblent parfaitement , dans
leur structure , aux schoris incorporés dans les
couches de la lave.
Traité avec le feu , ce tuffa se colore d’abord
en rouge et s’endurcit ; il manifeste alors une ver-
tu magnétique qu’il n’avait pas auparavant. Si
l’on pousse plus loin l’épreuve , il se fond en
une scorie noire ^poreuse , attirable à l’aimant;
on y découvre des feld-spaths blancs qui n’étaient
point visibles dans le tuffa. Les schoris se vitri-
fient à moitié en prenant une teinte verdâtre.
DANS LES DEUX SICILE S. 8l
Le reste de mon voyage autour de l’ile jus-
qu’au point d’où j’étais parti , ne me fournit rien
de remarquable , si ce n’est l’apparition de nou-
velles laves prismatiques semblables aux pre-
mières.
Avant de perdre de vue ces sortes de laves,
qui forment une bonne partie des rivages de
FéIicudayj’observerai ]°. que leurs prismes sont
toujours à trois faces , dont l’une est adhérente
à la lave 5 n°. que leur direction n’est jamais
ni oblique , ni transversale , mais perpendiculaire
sur la mer 5 3°. qu’ils ne sont point articulés
comme ceux de l’Etna et d’autres pays volca-
niques , mais qu’ils forment chacun un cordon
continu ; 4°- que leur partie inférieure plonge
dans l’eau ; 5°. que ces laves prismatiques sont
à base de pierre de corne , ou de schorl en
masse.
Je passe maintenant à la description de l’inté-
rieur de l’île. Vue à peu de distance en mer ,
elle paraît comme un groupe de montagnes ,
dont la plus élevée est au centre. Celle-ci a
environ cinq cents toises de hauteur au-dessus
du niveau de la mer. Je m’y acheminai , en pre-
nant ma direction à l’est , parce que la montée
me parut plus praticable de ce côté. Tantôt elle
offre des escarpemens rapides et pénibles à gra-
8s
VOYAGES
vir, tantôt des pentes douces qui invitent au
repos. Parvenu au sommet , j’y découvris un vaste
bassin nommé la Fosse des fougères y parce que
ces plantes y croissent en abondance : on les en
avait extirpées tout récemment , dans l’idée de
les remplacer par du froment au printemps sui-
vant. La circonférence de ce bassin est d’envi-
ron un demi-mille* ses parois sont inclinées, et
sa profondeur actuelle est de quarante pieds.
C?était-là sans doute l’antique cratère du volcan,
celui qui le premier a concouru , par ses érup-
tions, à la formation de l’île. En effet, la figure
extérieure de ce cratère correspond à sa figure
intérieure ; c’est un cône tronqué d’où les laves
partent comme d’un centre, et divergent en
rayons. Celles qui ont leur direction au nord-
ouest descendent par une pente rapide dans la
mer. Le sol de ce bassin, que l’on préparait à
recevoir du froment , était une coucbe de tuffa
friable qui recouvrait la lave.
• ; .. l . . ' ' | g
Sur les flancs de cette montagne centrale s’é-
lèvent trois croupes 5 la première a son inclinai-
son gu sud , et va se réunir à une autre mon-
tagne ; la seconde se dirige à l’est , la troisième
à l’ouest. Placé au sommet le plus éminent de
l’île , et embrassant de mes regards toute son
étendue , j’étais attentif si je découvrirais encor e
DANS LES DEUX SICILE S. 85
quelques vestiges d’antiques cratères 5 je crus en
appercevoir dans la partie du sud-est. Je me
transportai sur le lieu. C’était un monticule d’en-
viron deux milles de circuit, formant une espèce
de cône tronqué au sommet. Sa troncature , un
peu évidée , présentait une cavité au fond de
laquelle gisaient des morceaux de laves à moitié
ensevelis dans un tufFa terreux , tandis qu’au-
dehors plusieurs courans en recouvraient la par-
tie convexe,
A l’exception de ces cratères, dont le dernier
m’a laissé quelques doutes , je n’ai rien vu dans
l’île qui portât le vrai caractère d’une bouche
volcanique^les enfoncemens,îes fosses^ les trous
que l’on y découvre en plusieurs endroits, n’en
sont que des apparences trop équivoques.
J’ai décrit les laves principales des rivages de
Félicuda ; je vais maintenant parler de celles qui
se trouvent dans l’intérieur de i’îîe. Je puis les
réduire à trois espèces , en passant sous silence
les variétés.
La base de la première est une pierre de corne
noire tirant sur le gris ; sa cassure , assez bril-
lante , ne laisse voir aucuns pores $ elle étincelle
fortement sous le choc de l’acier. Les morceaux
qu’on obtient en la brisant , n’ont que des
V O Y A G E 'S
formes indécises ; ils sont susceptibles de poli ,
et mettent en mouvement l’aiguille aimantée à la
distance d’une ligne et trois quarts. On trouve
dans cette lave de petits grains de quartz, d’a-
bondantes écailles de feld-spath, et de brillantes
aiguilles de schorl.
Traitée avec le feu , elle se convertit en un
émail noir, écumeux , opaque. Les schorls se
fondent : les quartz, les* feld-spaths sont réfrac-
taires.
Cette lave ressemble beaucoup à la prisma-
tique dont j’ai donné plus haut la description ,
quoiqu’elle n’en ait pas la configuration régu-
lière.
La seconde espèce a la même base que la pré-
cédente 5 sa dureté , sa pesanteur sont médiocres 5
elle a un aspect cendré , terreux, compacte 5 elle
s’attache légèrement à la langue , et répand une
odeur d’argile. Ses schorls sont rhomboïdaux ,
écailleux , de couleur violette.
Elle ne fait que se ramollir au fourneau : les
schorls s’y maintiennent dans leur intégrité.
La troisième espèce a pour base un schorl en
masse, noir, sans pores , un peu pesant, grenu
dans la cassure. On trouve trois sortes de pierres
DANS le ES DEUX SICILES. 85
hétérogènes mêlées à la pâte de cette lave. Des
particules quartzeuses , indécises dans leurs for-
mes, se distinguant par leur blancheur ; de petits
feld'Spaths peu nombreux ; des schorls rhomboï-
daux d’un noir tirant sur le violet, remarquables
par leur abondance et leur grosseur , qui va
quelquefois jusqu’à six lignes.,
Les feld-spaths , les grains quartzeux , sont
réfractaires 3 leur base , très-fusible , produit un
émail opaque, luisant, poreux.
L’intérieur de File , autant qu’on en peut juger
par les matières qui se montrent à sa surface,
paraît composé de ces trois espèces délavés et de
leurs variétés 3 elles ont formé des courans 3 mais
leur haute antiquité en a fait disparaître les tu-
meurs , les cascades , les replis , les ondulations ,
que l’on remarque dans les laves nouvelles , et
même dans. celle d’un âge moyen.' Et si l’on n’y
voit plus ni scories , ni laves scoriacées , c’est
sans doute à la même cause qu’il faut l’attribuer:
leur tissu lâche et peu solide , la place même
qu’elles prennent ordinairement à la surface des
courans , les exposent plus que les autres à Féda-
cité du temps.
On a vu dans ma relation de Lipari , combien
cette île avait été sujette aux vapeurs acido-
J
r o y a ù- e 5
sulfureuses. C’est tout le contraire à Félicuda *
du moins je n’y ai pas découvert une seule lave
qui parût avoir été attaquée par cet agent : elles
n’ont souffert que de l’influence du temps et des
météores 3 mais cette influence a été si puissante ,
que si je ne les avais fait briser à la profondeur
de plusieurs pieds pour examiner leurs parties
intérieures , j’aurais souvent pris des laves de
même espèce pour des laves tout-à-fait opposées,
et d’autant plus différentes d’elîes-mêmes , que
les surfaces étaient plus éloignées du centre.
Telles sont les diverses laves qui composent
File de Félicuda : il me reste à parler des autres
substances volcaniques qui s’y trouvent réunies.
Le tuffa en est une , et les lieux qu’il occupe
sont les seuls où la culture apporte quelque profit
aux insulaires : il est en général friable, léger,
spongieux, et de nature argileuse.
Parmi ce tuffa gisent des verres et des ponces.
Je décrirai séparément ces deux substances, en
commençant par les verres.
Mes. premiers pas dans l’île m’en avaient fait
découvrir plusieurs échantillons 3 des recherches
plus exactes me convainquirent ensuite que ces
verres existaient, non parmi les laves , mais dans
la terre labourée des champs. Les habitans eux-
r
DANS LES DEUX SICILES. 8?
mêmes appuyèrent mon observation de leurs té-
moignages : me voyant à la quête de ces pro-
ductions , ils m’en apportèrent abondamment ,
sans avoir d’autre peine à prendre que celle de
les ramasser à la superficie de leurs champs.
Cependant ce n’était là que des morceaux isolés;
peut-être la mine existait au-dessous ; il fallait
s’en assurer par une excavation. Je fis creuser
une fosse de huit pieds de profondeur et de cinq
de largeur. Je trouvai d’abord une couche de
terreau tuffacé de l’épaisseur de deux pieds , mê-
lé avec quelques éclats de verre ; plus bas , le
terreau n’avait point été entamé par la charrue :
il renfermait , comme la couche supérieure, des
verres isolés. Cet examen, que je continuai jus-
qu’au fond de la fosse , me fit voir constamment
les mêmes matières et le même arrangement.
Il me fut donc démontré que le verre des
champs labourés avait son siège dans le tuffa ;
mais , à ses formes anguleuses , à ses pointes ai-
guës , à ses arêtes vives et tranchantes , à ses
stries ondoyantes , à tous ces accidens de forme
et de figure tels qu’on les observe dans les
verres j soit volcaniques , soit artificiels, qui ont
été brisés par un choc violent , je ne pus croire
que celui-ci fût sorti dans cet état d’une bouche
volcanique. Je trouvai plus naturel de penser
VOYAGES
88
qu’après avoir été formé par les embrasemens
souterrains , une convulsion de la terre , ou quel-
qu’agent impétueux, le réduisit ainsi en éclats.
Les plus grands morceaux ont cinq pouces et
demi de longueur, et deux d’épaisseur. Il en est
qui ne le cèdent point en lustre, en transparen-
ce, au plus beau verre de Lipari $ d’autres sont
moins limpides , et ont une couleur cendrée ou
grise j il s’en trouve enfin dont la transparence
est presque nulle , et ceux-là tiennent davantage
de la nature des émaux. Ils sont tous très-com-
pactes , étinceîans sous le briquet , et propres
à rayer le verre artificiel. Plusieurs renferment
de ces corpuscules blancs que j’ai vus et décrits
dans quelques verres de Lipari , et ces corpus-
cules ne manifestent pas en eux-mêmes ce degré
de vitrification dont jouissent les autres parties.
On rencontre aussi , mais rarement , des mor-
ceaux qui , au lieu de corpuscules , présentent
d’un côté un verre très - noir , de l’autre une
simple lave. Nous avons remarqué des combinai-
sons semblables dans les verres de Lipari. Cette
lave , au reste , qui forme un tout continu avec
le verre de Félicuda , a une couleur cendrée : sa
base est un pétro-silex.
Traité avec le feu , ce verre , comme toutes
les
DANS LES DEUX SICILES. 8g
les productions volcaniques de ce genre , se di-
late et s’étend comme une écume vitreuse.
Quant aux pierres ponces enveloppées dans
le tufFa , elles ne forment jamais de grandes
masses. On les trouve en morceaux détachés
d’un volume peu considérable ; les plus gros
excèdent à peine la grosseur du poing. Elles sont
en général plus abondantes que les verres; il suffit
de remuer la superficie des tufFas en friche pour
les en faire sortir par centaines.
Le lieu que j’habitais à Félicuda s’appelle la
Thalle délia Chie sa ; c’est une petite plaine à
l’est de l’île , occupée parle presbytère, humble
édifice qui convient à la pauvreté du pays. Là
principalement, et sur une côte spacieuse située
au sud , abondent les pierres ponces , tant à la
surface du tufFa que dans 1 intérieur.
Il y en a de deux qualités : les unes sont cel-
lulaires, friables, poreuses; elles surnagent sur
l’eau ; les autres sont compactes , pesantes, sans
pores; elles ont la cassure lisse, et pourtant elles
manifestent les vrais caractères de ce genre de
pierres. Elles sont tantôt rougeâtres, tantôt jau-
nes , tantôt grises, et renferment une multitude
de lames feld spathiques, vitreuses et brillantes.
Entr’autres observations sur les ponces des
Tome III . G
VOYAGES
9°
volcans , fai remarqué qu’au lieu de se gonfler
au fourneau , et de se transformer en un corps
plein de bulles , comme il arrive aux verres et
aux émaux compactes, elles diminuent de vo-
lume. Leurs pores, si elles en ont , disparaissent,
ou du moins se resserrent , et elles en deviennent
plus pesantes. Cette observation convient en tout
point aux ponces de Félicuda , qui donnent pour
résultat un émail noir, luisant , piqué de petites
taches blanchâtres : ce sont les feld-spaths de-
venus blancs après avoir perdu leur éclat et leur
transparence. Cet émail met en mouvement l’ai-
guille aimantée à une ligne de distance , bien
qu’il n’ait pas la moindre vertu magnétique lors-
qu’il est dans l’état dé pierre ponce.
L’examen que j’ai fait de ces pierres ne m’a
pas permis de penser qu’elles aient jamais formé
des courans , soit parce qu’elles gisent constam-
ment en morceaux détachés , soit parce que
leurs pores n’ont pas une direction commune ,
telle qu’on l’observe dans les ponces qui ont
coulé à la manière des laves. Les pores , dans
ces dernières, ont une figure plus ou moins alon-
gée : dans celles de Félicuda , ils sont presque
toujours orbiculaires. Je présume que celles-ci
ont été lancées dans les airs à diverses reprises par
les volcans ^ et avec d’autant plus de fondement.
DANS LES DEUX S I C I L E S. gi
que la plupart se montrent sous une forme glo-
buleuse.
Mais je croirais n’avoir donné qu’une descrip-
tion imparfaite des productions de Félicuda , si
je ne parlais pas d’une autre substance ,_ dont
l’existence est un nouveau témoignage de la vol-
canisation de cette île ; je veux dire la pouzzo-
lane que l’on y rencontre en plusieurs endroits,
détritus de ponces , de ruffas et de laves. Les
insulaires s’en servent pour bâtir, et voici la mé-
thode qu’ils suivent à cet égard. Ils tirent de la
Sicile la pierre calcaire , et, pour plus de com-
modité , ils la prennent au bord de la mer. Cette
pierre, placée dans de petits fourneaux , devient
une bonne chaux au bout de quarante heures
de feu. Ils en mêlent un tiers avec deux tiers de
pouzzolane détrempée dans l’eau, et obtiennent
un ciment très -propre à lier les laves qui leur
tiennent lieu de briques et de pierres. Pour don-
ner , comme ils disent , plus de force et de soli-
dité à ce ciment, ils y incorporent des ponces
concassées.
Au reste , les laves sont les matériaux dont on
se sert pour bâtir, non-seulement à Félicuda,
mais dans tout l’archipel Æolien , et chacun em-
ploie celles de sa propre île. Dans tous les pays,
en général, les habitans des campagnes, comme
G 2
VOYAGES
çeux des villes , ne vont pas chercher ailleurs
que dans leurs environs , sur-tout si le pays est
montueux , les pierres dont ils construisent leurs
maisons ; aussi ma coutume , en voyageant , est-
elle d’examiner les matériaux qui entrent dans
la construction des villages , des châteaux , des
villes par où je passe : cet examen m’a souvent
guidé et éclairé dans mes recherches 5 il m’a fa-
cilité plus d’une fois la connaissance des fossiles
du pays.
Pour réunir en un seul tableau les diverses pro-
ductions de Félicuda, on y compte des verres,
des ponces , des tufFas , de la pouzzolane , des
laves à bases de schorl, de feld-spath en masse et
de pierre de corne ; mais on n’y voit plus rien qui
puisse indiquer la présence d’un feu souterrain ;
pas même des eaux thermales , qui n’en sont
quelquefois que des signes équivoques.
J’ai été sur-tout très-attentif à examiner si ,
parmi ces diverses productions , je n’en rencon-
trerais pas qui n’eussent point éprouvé l’action
du feu. Je puis dire en avoir vu une seule , qui
était un morceau de granit isolé gisant sur le
rivage , près la Grotte du Bœuf- Marin. Le
mica , le feld-spath , le quartz , en composaient
les élémens ; le mica , tantôt noir, tantôt blanc
et argentin, formait des groupes où le noir do mi-
DAÏNS LES DEUX SICILE S. gS
naît; le quartz, disposé én petites niasses semi-
transparentes, était moelleux au toucher, d’une
cassure vitreuse et brillante, d’une couleur entre
l’azur et le blanc $ le feld-spath , plus abondant
que les deux autres principes , et qui était par
conséquent la base de cette roche , présentait
de petites masses à surfaces inégales, lamelleuses
dans la cassure, transparentes dans les angles,
et d’un blanc de lait changeant. Aucun de ces
trois éléraens ne manifestait une cristallisation
décidée. Je crois ne pas me tromper en assurant
que ce granit n’avait point été touché par le
feu. En efFet; je ne l’eus pas laissé un quart-
d’heure dans le fourneau, qu’il s’altéra sensi-
blement, et que toutes ses parties en furent af-
fectées. Le mica devint pulvérulent ; le quartz
parut très-friable , plein de gerçures 5 il perdit
sa transparence , son éclat vitreux , et acquit
une blancheur absolue. Le feld-spath, non moins
friable , perdit aussi sa couleur changeante , et
blanchit davantage 5 aussi ne faut-il pas s’étonner
si , d’un coup léger de marteau , je réduisis alors
cette roche en petits morceaux, tandis que dans
son état naturel, j’avais peine à en détacher quel-
ques fragmens. Au reste , je pus ensuite la te-
nir au feu pendant plusieurs jours , sans que le
quartz et le mica donnassent le moindre signe
de fusion 5 le feld-spath seul devint un peu onc-
G 3
$4 VOYAGE»
tueux dans ses angles : expérience qui s’accorde
dans ses résultats avec celles que j’ai faites sur
des roches de ce genre , chap.'XII.
Mais ce granit a-t-il été lancé dans son état
d’intégrité par un volcan de l’île , ou y a-t-il été
apporté fortuitement? Cette dernière conjecture
me paraît la plus vraisemblable. En effets il ne
gisait point dans l’intérieur des terres, mais sur
le bord du rivage ; les flots de la mer l’avaient
écorné , et rien n’empêche de croire qu’il ait
été roulé par les ondes depuis le cap Melazzo
en Sicile , où cette espèce de granit règne en
grandes masses, jusqu’à Félicuda, qui n’en est
distant que de cinquante-quatre milles.
c
DANS LES DEUX SICILE S. 95
CHAPITRE XVIII.
ydlicuda.
Xi e 1 5 octobre , au lever du soleil , je m’embar-
quai dans un bateau à quatre rames, conduit par
le curé de Félicuda , qui passait dans son île
pour un excellent marin , et je fis route pour
Alicuda. Un vent léger soufflait en poupe ; le
ciel était serein , la mer tranquille 5 je voyais de-
vant moi , à la distance de dix milles seulement ,
la terre où je devais aborder, et je me flattais
d’y arriver promptement 5 mais à peine eûmes-
nous fait la moitié du chemin , que le vent com-
mença à fraîchir 3 bientôt il souffla avec tant
d’impétuosité , que notre bateau , malgré sa voile
larguée , allait encore plus vite qu’auparavant ,
et courait le plus grand risque de se briser sur
les rochers d’Alicuda , dont nous étions très-près.
Cette île n’a ni anse , ni port ; et , par un oubli
inexcusable des matelots , nous nous trouvions
dépourvus d’ancre , et sans espoir de prendre
fond avant d’arriver sur la côte. Cependant la
mer devenait toujours plus mauvaise ; ses vagues,
qui auraient peu inquiété un vaisseau de haut
bord , tourmentaient sans relâche notre petit
G 4
96 VOYAGES
bateau , le frappant tantôt d’un côté, tantôt d’un
autre, et le faisant quelquefois tournoyer sur
lui-même. Plus nous approchions de l’île , plus
le danger paraissait inévitable. Etonnés de notre
situation 5 mais non découragés , nous délibérions
sur le parti qui nous restait à prendre. Cherche-
rions-nous à échouer sur une plage sablonneuse,
secondés par l’effort et la direction des vagues ,
et nous élançant à cet instant hors du bateau ,
tâcherions-nous de gagner la terre? ou valait-ii
mieux , en évitant l’île , s’aventurer sur la haute
mer , et tenter les hasards de la fortune ?
Dans cette perplexité , voilà deux hommes
qui nous apparaissent sur les hauteurs de l’île ;
ils descendent à la hâte vers nous 5 bientôt ils
sont sur le rivage. Alors l’un d’eux , d’une voix
forte qui se fait entendre à travers le bruit des
flots, nous crie de ne pas nous éloigner, de
tenir ferme où nous étions , tandis qu’il allait
employer tous les moyens de nous sauver et
de nous amener à terre. C’était , comme je le
sus ensuite , le curé d’Alicuda , qui , ayant vu
de loin la grandeur de notre péril , accourait
avec quatre insulaires pour nous porter secours.
Ils s’étaient munis à cet effet de pelles, de bêches,
et d’une grosse poulie. Tandis qu’ils fixaient la
poulie sur le rivage , et qu’ils y pratiquaient un
DANS LES DEUX SICILE S. 97
plan incliné pour l’exécution de leurs desseins,
les matelots de notre côté faisaient en ramant
tous leurs efforts pour éviter d’approcher da-
vantage de la terre , dont nous n’étions éloignés
que de quinze pieds ; et moi , secondé de mon
domestique , je vidais sans relâche l’eau qui en-
trait dans la barque , et qui l’aurait indubita-
blement coulée à fond. Quand tout fut prêt sur
le rivage , nous y lançâmes une corde mise en
peloton , dont nous tenions un des bouts. Plu-
sieurs fois le coup manqua 3 mais enfin la corde
fut saisie par un des insulaires , qui la fit passer
dans la poulie pendant que nous l’attachions for-
tement à la proue. Alors , au premier flot qui
se précipita sur le rivage , les insulaires tirèrent
la corde, et nous fûmes portés en un clin d’œil
sur le plan incliné 3 mais le flot revenant impé-
tueusement sur lui-même , nous chassa de nou-
veau dans la mer. Le choc fut si violent que -
la corde se rompit , et nous ôta tout espoir de
nous sauver à terre. Dans ce moment si déses-
pérant , nous vîmes le bon curé se frapper le
front , et donner tons les signes de la plus vive
consternation. Pour nous , nous étions déjà réso-
lus de nous éloigner de l’île , et de suivre, à tout
événement , l’impulsion du vent et des flots ;
mais nous en fûmes détournés par les insulaires,
qui nous criaient que notre frêle barque ne ré-
98 VOYAGES
sisterait point aux vagues de la haute mer; que
le risque serait beaucoup moindre en côtoyant
l’île au nord , où il serait possible de rencontrer
quelque petite gorge moins battue de la tem-
pête, et qu’enfm ils nous suivraient du rivage,
et ne négligeraient rien pour nous secourir. Nous
quittâmes donc ce lieu, et tirant au nord, après
avoir vogué une demi- heure entre l’espérance
et la crainte , nous parvînmes à pousser notre
barque çlans le creux d’un rocher , dont les si-
nuosités amortissaient l’agitation de la mer. C’est
là que nous prîmes terre avec l’aide du bon curé
et de ses paroissiens, pour qui je conserve une
éternelle reconnaissance. Il nous reçut avec la
plus vive tendresse , et nous témoigna les sen-
timens de la plus généreuse hospitalité. Je lui
présentai une lettre circulaire de l’évêque de
Lipari , qui me recommandait à chaque curé des
îles Æoliennes , et les priait de me rendre les
services qui dépendraient d’eux; mais celui d’A-
licuda n’avait pas attendu cette recommandation
pour voler à mon secours, et son humanité avait
déjà prévenu tous mes besoins.
La matinée étant fort avancée , je consacrai
le reste du jour au repos, et lorsque la nuit vint,
je résolus de la passer dans ma barque , qui avait
été tirée sur le rivage. Mon libérateur , car je
DANS LES DEUX SICILE S. 99
puis donner ce titre au curé d’Alicuda , voyant
que j’étais trop accablé pour monter jusqu’à son
habitation , située dans une partie élevée de l’ile ,
en avait fait venir un matelas et des toiles pour
me garantir de l’humidité : il voulut aussi me
faire partager sa table frugale , et il me donna
quelques bouteilles d’une excellente malvoisie
de Lipari , qui me fortifia et ranima mes es-
prits.
Le lendemain et le jour suivant furent em-
ployés à l’étude des productions volcaniques de
Pile. On sait la réflexion de ce philosophe grec,
qui 3 s’échappant du naufrage , et abordant aux
rivages de Rhodes 5 vît des figures de géométrie
tracées sur le sable , et s’écria dans sa joie :
V~oilà des traces d’hommes ! Pour moi qui ,
jeté de même par la tempête sur les rivages
d’Alicuda , avais déjà éprouvé les empressemens
de la plus tendre hospitalité , et qui ne desirais
plus que de poursuivre l’objet de mes recherches,
je pus m’écrier dès le premier pas : Je vois ici
des traces du feu ! C’étaient des verres , des
émaux , des ponces qui s’offraient à mes regards ,
et qui , semblables à ceux de Félicuda , gisaient
légalement parmi des matières tuffacées. Mais
voyant que la mer s’était calmée pendant la
nuit, et me promettait une navigation heureu’se
*00 VOYAGES
autour de file , j’entrepris d’abord l’examen de
ses rivages. Je vais en décrire les productions
volcaniques les plus remarquables, sans pouvoir
cependant désigner par des noms les lieux où je
les ai vues : les deux insulaires qui m’accompa-
gnaient ne les savaient point eux -mêmes, ou
plutôt ces rivages n’ont point de dénomination
fixe. Je me contenterai d’en rapporter les diffé-
rentes distances au point de mon départ.
Je m’embarquai dans la partie de l’est , et
tirant au nord , je rencontrai d’abord des rochers
entiers composés de globes de lave noirâtre , à
base de pétro-silex , poreuse, mais pesante, à
cause de la densité des parties solides 5 un peu
lustrée , très-dure, affectant dans la cassure une
figure conchoïde , attirable à l’aimant , étince-
lante sous le choc de l’acier. Elle renferme peu
de feîd-spaths, mais beaucoup de schorls. Ces
globes, de diverses grandeurs, et dont quelques-
uns ont un pied de diamètre, sont détachés les
uns des autres : leur disposition n’est jamais par
couches ; ils constituent seulement d’énormes
monceaux.
Comment cette lave s’est- elle ainsi divisée et
configurée ? Faut-il attribuer sa forme sphérique
à l’agitation de la mer pendant une époque où
ses eaux l’auraient couverte, car, pour aujour-*
DANS LES DEUX SICILE S. loi
d’hui , tous ces amas de globes sont placés à
quelques toises au-dessus de son niveau? Dans
mes excursions sur les rivages des autres îles
Æoliennes et de l’Etna , j’ai souvent rencontré
de pareilles boules de laves , et même des boules
d’émaux et de verres , qui faisaient connaître
clairement qu’elles avaient été arrondies par le
frottement des eaux, comme il arrive aux cail-
loux roulés par les fleuves. J’en ai cité plusieurs
exemples dans le cours de cet ouvrage. Mais
ces morceaux de lave arrondis par l’action des
eaux paraissent plus ou moins lisses à leur sur-
face, au lieu que les globes d’Alicuda sont ra-
boteux , et couverts d’aspérités si fragiles , que
le moindre frottement aurait dû les efFacer. Ils
ont , en outre , conservé un certain aspect bril-
lant et scoriacé , très-semblable à celui des mor-
ceaux de laves qui sortent du volcan actuel de
Stromboli. Ces considérations me portent à croire
que les globes en question ont été lancés en laves
liquides par un volcan d’Alicuda, et qu’ils ont
contracté dans les airs leur forme sphérique : les
montagnes ignivomes offrent plus d’un exemple
d’un pareil phénomène.
En allant un mille et demi plus loin vers le
nord , on découvre une autre lave non divisée
et configurée en globes, mais s’étendant au large,
I 02
VOYAGES
et tombant dans la mer comme une cataracte.
Sa base est le pétro-silex 3 elle a la couleur du
fer ; sa cassure est siliceuse , ou plutôt vitreuse 5
elle est pleine de cristallisations schorlacées. Qui
a vu des laves sorties récemment d’une bouche
volcanique, croirait celle-ci d’une date nouvelle.
Elle offre ce lustre , cette fraîcheur naturelle aux
laves qui n’ont pas encore éprouvé les impres-
sions de l’atmosphère : on dirait de ces scories
de fer que l’on trouve dans les boutiques des
forgerons. Je possède des échantillons de l’érup-
tion de l’Etna de 1787 , qui ne sont pas d’une
meilleure conservation. Cependant la lave dont
je parle est de la plus haute antiquité 3 son exis-
tence remonte au-delà même des temps histo-
riques qui ne retracent aucun souvenir des em-
brasemens d’Alicuda.
J’ai cru devoir faire Cette remarque pour con-
firmer la vérité de ce que j’ai dit touchant 1 in-
certitude des jugemens que l’on porte sur l’an-
cienneté plus ou moins grande des laves, quand
on veut la calculer d’après le degré plus ou moins
sensible de décomposition qu’elles manifestent.
Cette donnée serait plus juste si les laves étaient
de même nature , et si elles étaient toujours afFec-
tées par les mêmes causes extérieures 3 mais ,
par la seule différence de leur caractère , il en
DANS LES DEUX SICILE S. 1O0
est telle qui peut, dans le cours de dix années,
s’altérer considérablement , et même se change^
en terre ; et telle autre se conserver parfaite-
ment pendant l’espace de plusieurs siècles.
À un mille au-delà , la côte montueuse de Pile
s’applanit un peu 5 on y trouve des masses isolées
de porphyre qui ne paraissent point avoir été
touchées par le feu. Ce porphyre est à base de
pétro-silex 5 il a une couleur de brique cuite 5
il étincelle sous le briquet 3 il est très-compacte
et sans pores , à la réserve de quelques cavités
placées à sa surface, et revêtues en dedans d’une
croûte mince et blanche de carbonate de chaux,
dans lesquelles se trouvent quelquefois des cris-
taux congénères. Ces petites géodes , engendrées
par filtration , se décomposent promptement par
l’acide nitrique , et se dissolvent avec efferves-
cence. Au reste , ces roches porphyriques sont
aussi dures , aussi polies , aussi lustrées que celles
d’Egypte ; elles contiennent des schorls, et sur-
tout quantité de feld-spaths cubiques, lamelleux,
et d’un blanc changeant.
Traitées avec le feu, elles noircissent au bout
de quelques heures, se fondent ensuite , et se
convertissent en un émail noir , compacte , très^
poli, attirable à l’aimant : les feld-spaths y res-
tent entiers.
VOYAGES
104
Les deux laves que j’ai citées précédemment ,
dont la première s’est divisée en globes , la se-
conde a coulé en ruisseau , peuvent être consi-
dérées comme étant de même espèce 5 l’une et
l’autre ont pour base le pétro-silex j elles con-
tiennent également des schorls et des feîd-spaths,
et sont par conséquent porphyriques. Mais le
porphyre que je viens de décrire a aussi pour
base le pétro-silex : ces trois productions dé-
rivent donc de la même roche, avec la diffé-
rence qu’une partie de cette roche, a éprouvé la
fusion, et Fautre est restée intacte.
Plus loin la côte s’élève rapidement y elle est
recouverte de tuffa , après le tuffa on revoit les
laves sous l’aspect de larges ruisseaux 5 elles sont
à base de pierre de corne , légères , poreuses ,
pénétrables à l’eau 5 elles ont de la peine à étin-
celer sous le briquet , qui les écorne à chaque
coup : elles sont âpres au toucher, et sentent Par-
odie. On distingue aisément leurs nombreux feld-
spaths, placés sur un fond rouge obscur. Les uns
manifestent un degré de calcination , et sont
friables ; les autres n’ont souffert aucune altéra-
tion : différence qui doit être attribuée à leurs
diverses qualités , et non à l’action plus ou moins
vive du feu , puisque la lave qui les contient tous
est uniformément affectée par cet agent.
Alicuda
' . ‘ .. \
DANS LES DEUX SICILE S. lo5
Alicuda comporte environ six milles de circon-
férence. J’en avais déjà parcouru la moitié : le
reste de mon voyage ne m’offrit rien de nouveau.
Je vis par-tout la même nature de laves , avec
des variétés trop peu remarquables pour valoir
la peine d’être rapportées. Mais il me serait im-
possible de peindre les sombres horreurs de ses
rivages : tout y est dégradé , bouleversé 5 et le
temps 5 opérant de concert avec les feux volca-
niques et les vagues impétueuses de la mer ,
n’a, dans aucun lieu du monde , accumulé autant
de ruines.
Ici 3 de hautes chaussées de laves ont été rom-
pues par les flots , qui en ont fait des écueils au
milieu des eaux, surmontés de pics menaçans,
et environnés d’afFreux précipices.
Là 3 elles ont formé des escarpemens taillés
à pic sur la mer , avec de larges saillies à leur
sommet : on dirait d’une voûte suspendue en
l’air , et prête à s’abîmer.
Ailleurs , ce sont , non des masses solides ,
mais des monceaux de globes sans liaison. Rien
de plus dangereux que d’en tenter l’escalade.
J’ai vu de gros faucons s’abattre sur ces rochers
mobiles , qui venant à rouler sous leurs pieds ,
Tome III . H
VOYAGES
10S
les entraînaient avec eux , et les précipitaient
dans la mer.
Plus loin, des laves de diverses espèces, sem-
blables à des ruines , s’appuient les unes sur les
autres , s’étayent entr’ elles , et s’élèvent ainsi à
de grandes hauteurs.
Sur ces côtes désertes, les hommes n’ont frayé
ni routes , ni sentiers 5 on y voit seulement ser-
penter d’étroites rigoles creusées par les pluies :
c’est par-là que je pénétrai dans l’intérieur de l’île
quand la tempête m’eut jeté sur ses bords. Un
faux pas m’eût coûté la vie, et j’étais dans cette
pénible situation du Dante quand il gravissait les
rochers sourcilleux de son enfer :
Suivant un solitaire et périlleux chemin ,
Parmi des rocs affreux où le pied tremble, glisse
Et n’évite le précipice
Qu’avec le secours de la main (1).
Après avoir suffisamment reconnu les rivages
d’Alicuda , je portai mes recherches dans l’inté-
rieur de l’île 5 mais je ne pus pénétrer que dans
la partie de l’est et du sud-est : par-tout ailleurs
elle est inaccessible. Quand on la regarde sur
(1) Froseguendo la solinga via
Fra le schegge , e tra rocchi de lo scoglio
Lo piè senza la man non spedia.
DANS LES DEUX SICILES. 107
mer, à deux ou trois milles de distance du côté
du sud-est , elle paraît comme un cône obtus ,
avec une cavité profonde dans un de ses flancs.
C’est une illusion d’optique produite parlesimple
abaissement d’un monticule. Il n’y a là aucune
ressemblance de cratère : j’en ai cherché vaine-
ment des traces sur les côtes de l’île ; c’est à son
sommet seulement que j’ai cru en af>percevoir.
Là , existe un bassin , peu profond à la vérité, mais
ayant presque ufi demi-mille de circonférence.
Les laves qui forment son enceinte escarpée,
semblent partir de là comme d’un centre com-
mun pour se répandre dans l’intérieur de Pile.
Elles sont en général à base de pétro-silex , ou
de pierre de corne, plus ou moins abondantes
en feld-spaths , et revêtues d’un enduit jaunâtre
et friable , qui provi ent d’un principe de décom-
position. En les examinant au fond des ravins,
et dans leurs déchirures profondes, j’ai jugé, p^r
leurs différentes couches , qu’elles avaient coule
à diverses époques.
Dolomieu dit , dans son voyage , que les deux
îles de Félicuda et d’Alicuda lui parurent l’une
et l’autre formées d’une seule montagne conique
ouverte d’un côté (1).
(1) Iles de Lipari , p. 99.
H 2
VOYAGES
108
Cette séparation est dans l’ordre des choses
possibles 5 mais j’ai des raisons de penser autre-
ment. Si le choc de la mer, un tremblement de
terre , ou toute autre cause puissante , eût divisé
en deux cette unique montagne conique , ne se-
rait-il pas resté dans la mémoire des hommes
quelques traces des phénomènes qui concou-
rurent à produire un effet si terrible? D’ailleurs,
en considérant attentivement les deux îles , on
leur trouve à chacune les élémens de leur propre
génération 5 chacune porte à son sommet les
vestiges de son cratère primitif, d’où les laves
partent comme d’un point central , descendent
par ses flancs, et courent à la mer. Ces observa-
tions locales n’étaient point à la portée du natu-
raliste français , qui se contenta de voir Félicuda
et Alicuda du sommet de la haute montagne des
Salines , la première de ces îles lui restant à la
distance de vingt-cinq milles , et la seconde à
celle de trente- cinq milles. Dans un tel éloigne-
ment, elles devaient paraître très-voisines l’une
de l’autre 5 aussi jugea-t-il qu’elles n’étaient sé-
parées que de cinq milles , tandis qu’en réalité
elles le sont du double. Ce rapprochement appa-
rent l’induisit facilement à croire qu’elles ne fai-
saient autrefois qu’un seul corps, et à supposer
qu’une cause quelconque l’aurait dans la suite
divisé en deux parties.
DANS LES DEUX SICILE S. log
Toujours placé au sommet des Salines , Doîo-
mieu jugea que la distance de Félicuda à Cé-
phaîu, sur les côtes de la Sicile , était de vingt
milles ; elle est cependant de quarante - cinq
milles. Une illusion d’optique s’attache à tous
les objets que l’on voit de loin; elle disparaît à
mesure que l’on s’approche; et deux édifices,
deux montagnes qui paraissent se toucher dans
le lointain, sont souvent très- éloignés l’un de
l’autre.
On a vu , dans le chapitre précédent , que les
productions volcaniques de Félicuda sont des
laves à base de pierre de corne , de schorl et de
feld-spath , des pierres ponces, des tufFas et des
verres. Ces trois dernières substances se trouvent
à Alicuda ; mais les laves y sont pour la plupart
à base de pétro-silex. Les feux qui ont coopéré
à la formation de ces deux îles n’y donnent plus
aucun signe d’existence ; tout au plus on pour-
rait conjecturer qu’il y a encore dans l’intérieur
de Félicuda, quelques restes de ses incendies,
en voyant au nord de cette île une source d’eau
chaude et sulfureuse qui sort d’un rocher de
lave , un peu au-dessus du niveau de la rner.
Les documens que les anciens nous ont trans-
missur ces deux îles, sont en très-petit nombre.
Leurs noms étaient Phenicusa et Ericusa . Le
H 3
I 10
V O Y A G È S
premier dérivait du grec <&oivi% , Somao? , un pal-
mier , parce que , dit Aristote , cette île produi-
sait beaucoup d’arbres de cette espèce (1); le
second de E ptjû<r<r* , bruyère , parce que cette
plante croissait en abondance dans cette seconde
île (2). Strabon confirme ces étymologies (5).
Quant à leur état présent , on peut dire que les
bruyères sont communes à Alicuda ; mais que
ni Félicuda, ni les autres Æoliennes, ne pro-
duisent pas un seul palmier. Si ces auteurs ne
parlent point des embrasemens de ces deux îles,
c’est qu’apparemment ils étaient éteints, comme
ceux de Didyme et d’Evonymos.
(1) On dit que dans une des îles Æoliennes , il croît
beaucoup de palmiers, et que c’est de-là qu’elle a été
appelée Phenicode , ou des Palmiers. In mirandis.
(2) Ericuse , une des îles Æoliennes , ainsi appelée
d’une plante, erica , bruyère.
(3) On compte encore Ericuse et Phenicuse , ainsi
appelées de deux plantes , la bruyère et le palmier .
Li>. VL
DANS LES DEUX SICILE S.
I 1 l
CHAPITRE XIX.
Considérations relatives à la volcanisaiion dès
îles Æoliennes . Recherches sur V origine dès
basaltes .
L a forme y la grandeur et la structure des îles
Æoliennes , les diverses matières qui les com-
posent, et les roches primitives d’où ces matières
dérivent; leurs incendies souterrains, les phéno-
mènes qui les accompagnent , et les révolutions
qui les suivent ; la comparaison de leurs feux
actuels avec ceux des temps passés , tels sont
les grands objets sur lesquels mon attention s’est
portée en traçant l’histoire volcanique de cet
archipel : je la terminerai par quelques réflexions
générales.
J’avais examiné ces îles depuis leur sommet
jusqu’à leurs rivages , baignés par les eaux de
la mer. Il était difficile de pénétrer plus loin ;
cependant l’importance de cette recherche mé-
ritait de nouveaux efforts de ma part, et je pensai
qu’il serait aussi curieux qu’utile de connaître
H 4
1 12
y O Y A G E S
quelle est la nature des bas-fonds qui environ-
nent et séparent ces îles. Quant aux instrumens
dont je me suis servi pour parvenir à mon but,
ils sont très - simples. Là où la mer avait peu
de profondeur, je mettais en usage la grande
tenaille de Donati (i), armée de fortes dents , et
ajustée à une ou plusieurs perches. Cette tenaille
se serre à volonté par le moyen d’une petite
corde , et quand elle a saisi les corps qui sont
au fond de l’eau , elle ne les lâche plus : alors
on l’enlève avec sa capture. En d’autres endroits,
j’employais avec succès les filets des pêcheurs
de corail ; c’est ainsi que je suis parvenu à établir
les observations suivantes, non-seulement sur des
corps isolés et errans , mais sur ceux qui adhé-
raient au fond même de la mer : ce dont je
jugeais par leur cassure toute fraîche.
I. Le lit du canal qui sépare Vulcano de Lipari ,
et Lipari des Salines, est entièrement volcanique :
les matières y sont les mêmes que celles qui se
trouvent sur les bords opposés.
IL Les racines de ces îles, qui en certains
endroits s’enfoncent perpendiculairement , en
d’autres s’étendent horizontalement , ofFrent la
(1) Voyez son Essai sur Eliistoire naturelle de la mer
Adriatique. ,
DANS LES DEUX SIC ILE S. I l3
même analogie avec les produits qui sont à la
surface du sol , et dont j’ai donné la description.
III. Les eaux étant très-profondes entre Lipari
et Panaria j je ne pus arracher du lit de la mer
aucun corps pierreux 5 j’amenai seulement avec
le filet à corail des animaux testacées et crusta-
cées , les uns vivans , les autres morts , enve-
loppés dans du gravier et du sable , et formant
avec ces matières , qui toutefois étaient volca-
niques j une croûte plus ou moins épaisse.
IV. Entre les Salines et Félicuda , Félicuda
et Alicuda , à égale distance de leurs bords op-
posés , je parvins à arracher onze fragmens de
roche qui , par leur résistance et par leur cassure,
me firent juger qu’ils tenaient immédiatement
au lit solide et pierreux de la mer. Sept de ces
morceaux, tant grands que petits, furent pê-
chés dans le premier poste , et quatre dans le
second. Ceux-ci avaient pour base un pétro-silex
presqu’opaque, étincelant, compacte, d’un grain
écailleux et Fin , coloré d’un blanc livide dans
deux fragmens , et de gris dans les deux autres:
ceux-là , une pierre de corne d’un noir verdâtre ,
et médiocrement dure.
V. Tous ces fragmens , à ne considérer que
leur base et leurs cristallisations de schorls et
1 l4 VOYAGES
de feld-spaths , ne différaient point dans leurs
élémens des laves Æoliennes; mais leur contex-
ture montrait que le feu n’avait point affecté les
roches dont ils avaient été détachés : par exemple,
les molécules du pétro - silex étaient plus étroi-
tement unies entr’ elles , plus dures ; elles avaient
un œil plus siliceux que dans les laves dérivées
de cette roche; et le tissu de la pierre de corne,
sans rien laisser appercevoir de fibreux , était
aussi plus serré que celui de cette même pierre
lorsqu’elle a éprouvé la fusion.
Ces observations peuvent répandre quelque
lumière sur la génération des îles Æoliennes. Il
en résulte , i°. que la portion de ces îles qui est
plongée dans la mer , et celle qui s’élève au-
dessus, ont également souffert faction du feu.
2°. Que Vulcano, Lipari et les Salines , forment
un groupe de substances volcanisées , qui, dans
le principe , n’a renfermé vraisemblablement
qu’un seul feu central , lequel s’étant divisé en
trois rameaux , et s’étant pratiqué une issue par
trois bouches distinctes , a jeté les fondemens de
ces trois îles. On conçoit comment cet incendie,
par ses ramifications subalternes , et par la dé-
jection de nouvelles matières, a pu leur donner
successivement toute l’extension qu’elles ont au-
jourd’hui. Il ne reste plus de signes sensibles de
DANS LES DEUX SICILE S. Il5
îa présence de ce feu dans les entrailles des Sa-
lines : Lipari n’en manifeste que de très-faibles ;
mais toute son activité semble s’etre concentrée
dans Vulcano. 3°. Qu’Alicuda , Féîicuda et les
Salines, n’ont aucune communication volcanique,
du moins dans le lit de la mer qui les sépare ,
puisque les matières qui composent cé lit ne
portent point les impressions du feu. 4°* Que ces
trois dernières îles , et peut-être encore Strom-
boli 3 gisent dans le voisinage de leurs rocbes
analogues et primitives. 5°. Que la parfaite res-
semblance des schorls et des feld-spaths renfer-
més dans ces roches , soit qu’elles aient été sou-
mises à l’action du feu , soit qu’elles y aient été
soustraites , prouve , dans l’un et l’autre cas , que
ces cristaux n’ont point été saisis par les laves
courantes , et qu’ils ne se sont pas formés non
plus dans leur refroidissement.
Dès le commencement de cet ouvrage, j’avais
produit quelques faits analogues. J’en trouve avec
plaisir la confirmation dans ce dernier résultat ,
sur-tout ayant appris depuis qu’un célèbre na-
turaliste était d’opinion que les schorls des laves
se sont formés pendant que celles-ci se conden-
saient et perdaient leur chaleur. « Alors , pen-
» sait- il, les molécules homogènes séparées des
» hétérogènes , dans le mélange de la fusion , ont
VOYAGES
I l6
»dû, par les loix de leur affinité , se réunir en
» petites masses cristallisées». Non - seulement
cette théorie est démentie par les observations
ci-dessus , mais elle n’est pas même dans l’ordre
des opérations de la nature. En effet, je ne vois
pas, dans l’hypothèse de ce naturaliste, pour-
quoi les schorls des laves , fondus avec elles au
fourneau , n’y reparaîtraient pas quand celles-ci
ont repris toute leur dureté après avoir été ex-
posées à l’air libre. Cependant , de toute cette
multitude de laves que j’ai traitées au feu , au-
cune n’a reproduit ses schorls , quoique la plu-
part soient restées long-temps dans l’état de fu-
sion , et que je les aie à dessein laissé refroidir
avec lenteur et en repos, sachant combien ces
deux circonstances favorisent la formation des
cristaux. Si quelquefois je retrouvais des schorls
dans ces laves refondues , c’est qu’ils étaient ré-
fractaires au feu , ce dont je me suis assuré en
les exposant isolément à son action.
Au reste , les onze morceaux de roches pri-
mordiales détachés de ces fonds de mer , ont
éprouvé dans le fourneau les changemens des
laves congénères traitées de la même manière :
les feld-spaths sont restés réfractaires.
Les îles de Lipari , à l’exception de Vulcano ,
qui fait une espèce de coude ; s’étendent près-
DANS LES DEUX SICILE S. I17
qu’en ligne droite dans la longueur de cinquante
milles : Stromboli est la première à l’est , et
Alicuda la dernière à l’ouest. Ce n’est pas le seul
exemple d’un volcan qui, en projetant des îles
ou des montagnes, les ait ainsi alignées. Les Mo-
luques produites par les feux souterrains courent
dans la direction de l’équateur sous lequel elles
sont situées. Quand, en 1707, il s’éleva , près
de Santorin dans l’Archipel une nouvelle île , on
en vit à quelque distance d’autres plus petites ,
au nombre de dix-sept, sortir également du fond
de la mer , et se placer en ligne droite. Elles
apparaissaient comme une chaîne de gros rochers
noirâtres qui, croissant à vue d’œil , et se rappro-
chant les uns des autres, vinrent enfin à s’unir,
et à former une île seule qui se joignit ensuite
àla première (1). L’éruption du Vésuve en 1760
nous fournit un exemple non moins remarquable
de cette direction des monts volcaniques 5 car
des îles ne sont elles-mêmes que des monts en-
sevelis en partie dans les eaux. Comme cet évé-
ment peut répandre quelque lumière sur la gé-
nération de celles qui nous occupent , je l’expo-
serai dans ses principaux détails , d’après la re-
lation exacte du t professeur Bottis, qui en fut
témoin oculaire.
(1) Vallisneri oper. in-fol. t. 2.
VOYAGES
ll8
La terre trembla aux environs du Vésuve , et
ses secousses redoublées s’étendirent à la distance
de quinze milles. Alors on vit s’ouvrir par les flancs
déchirés de la montagne , dans le canton de la
Torre del Greco quinze volcans , dont huit
furent ensevelis bientôt après , et disparurent
sous un torrent de lave échappé de l’un d’eux.
Les sept restans ne cessèrent de vomir des subs-
tances enflammées qui , retombant à-plomb au-
tour de leurs cratères , formèrent dans le court
espace de dix jours sept monticules de diverses
hauteurs , et disposés en lignes droites. La déton-
nation de ces volcans ressemblait tantôt à un
coup de tonnerre, tantôt à la décharge de plu-
sieurs canons. Plusieurs pierres , et même des
plus grosses , étaient vibrées à neuf cent-soixante
pieds dans les airs , et venaient tomber à une
distance considérable de leur cratère. Au milieu
de ce fracas , toutes les terres environnantes trem-
blaient ; un bruit affreux retentissait de toutes
parts. Enfin, au bout du dixième jour, les érup-
tions cessèrent; les monticules s’étant peu à peu
refroidis , on put les observer de près ; les uns
avaient à leur sommet un véritable cratère fait
en manière d’entonnoir renversé ; les autres un
simple trou plus ou moins profond.
La naissance des îles Æoliennes étant anté-
DAÎTS LES DEUX SICILE S. 11$
rieure à toute tradition humaine , on ignore ,
à la vérité , si elle a eu une seule ou plusieurs
époques ; niais le fait que je viens de rapporter
démontre la possibilité de la production simulta-
née de ces îles ; il fait voir comment , dans un
court espace de temps, ces huit îles , ou plutôt
leurs premiers rudimens, car j’ai prouvé qu’elles
avaient reçu des accroissemens successifs , au-
raient pu sortir du sein de la mer. Les matières
inflammables et génératrices des Moluques dans
l’Asie, de la chaîne d’îlettes près de Santorin ,
des monts Yésuviens et des Æoliennes, formaient
évidemment sous terre une zone droite beau-
coup plus longue que large. Mous pourrions en-
trevoir une explication du phénomène qui nous
occupe , en nous rappelant qu’il existe sous terre
en plusieurs endroits , tant dans les substances
tendres , que dans les plus solides et les plus
dures , des fentes perpendiculaires à l’horizon.
Alors , s’il s’y trouve en abondance des matières
propres à produire des volcans ; si elles font des
masses séparées , et qu’elles viennent à s’enflam-
mer , il en naîtra des monts ignivomes disposés
en ligne droite , et plus ou moins considérables ,
selon la quantité des matières projetées.
On a vu, par les détails où je suis entré tou-
chant les îles de Lipari , que les substances com-
120
VOYAGES
bustibles qui les ont produites ont existé quel-
quefois dans les granits , comme à Panaria et
à Basiluzzo , mais le plus souvent dans des roches
à base de pétro-silex , de pierre de corne et de
feld-spath ; que celles de Stromboli , à quelque
profondeur qu’on les y suppose ensevelies , eu
égard à la masse de l’île qui s’est formée de leurs
éruptions successives, ont leur foyer dans la roche
de corne ; qu’en dernière analyse , les matières
de ces îles sont en très-grande partie porphy-
riques ; enfin , que dans les fonds de mer qui les
séparent , on trouve ce genre de roche existant
en plusieurs endroits dans son état naturel.
En comparant les produits des porphyres vol-
canisés et des porphyres naturels traités avec le
feu, j’ai parlé de ceux d’Egypte qui sont rouges;
et, d’après l’analyse faite par Bayen et rapportée
par Lamétherie , d’un porphyre d’Egypte de la
même couleur , et semblable à ceux que j’éprou-
vais, j’ai dit que leur base me paraissait être une
pierre de corne, et non un pétro-silex. Mais,
n’ayant pas alors le loisir de les analyser moi-
même, je renvoyai cette opération à un moment
plus opportun , et je me réservai d’en parler dans
mon ouvrage quand l’occasion s’en présenterait.
J’en transcrirai donc ici le résultat, et je con-
firmerai de cette manière un fait qui me laissait
quelque
121
DANS LES DEUX SICILE S.
quelque doute , à savoir que la base de ces por-
phyres n’est point un pétro-silex , puisque j’y ai
trouvé la magnésie , qui n’existe pas dans cette
dernière roche ; mais que cette base approche
beaucoup de la nature de la pierre de corne, si
toutefois elle n’en a pas toutes les parties consti-
tuantes. Cette expérience analytique prouvera en
même temps que j’ai eu raison d’appeler porphy-
riques les laves à base de pierre de corne mêlées
de feld-spaths, si nombreuses dans ces îles.
i
Les porphyres rouges d’Egypte sur lesquels
j’ai opéré sont de deux espèces 5 la première est
décrite tome 2 , page 89 ; la seconde diffère
par sa couleur qui est moins vive , et par une
plus grande affluence de feld-spaths. Il est évi-
dent que , pour l’exactitude de l’expérience, le
fond de ces deux roches devait être débarrassé
des schorls et des feld spaths.
Premier -porphyre.
Silice un peu rouge . . . , 80,
Alumine 7,
Chaux 3,
Magnésie 2,
Fer 6 ,
Tome III \ I
122
VOYAGES
Second porphyre.
Silice
Alumine
Chaux . .
Magnésie
Fer . . :
n
— J
Outre les laves porphyriques qui abondent
dans ces îles , on y trouve beaucoup de tufFas.
Stromboli se fait distinguer , non - seulement
par les phénomènes de son volcan , mais par la
production de son beau fer spéculaire ; Lipari
par ses chrysolites , ses zéolites , et l’excessive
quantité de ponces et de verres qu’elle ren-
ferme. Je ne puis me le rappeler sans éton-
nement, sur -tout après avoir découvert, au
moyen de mes tenailles et de mes filets , que
ces mêmes substances vitrifiées s’étendent en-
core sous mer , et vont se réunir à celles qui
abondent au nord et au nord-est de Vulcano $
de sorte que ces deux îles comprennent un amas
de vitrifications , qui a pour le moins quinze
milles de circonférence. On ne saurait réfléchir
sur ce phénomène sans se demander s’il est par-
ticulier à ce pays , ou commun à d’autres ré-
gions volcaniques.
DANS LES DEUX SICILE S. 12$
Pour obtenir sur ce point des notions sa-
tisfaisantesil faudrait que nous eussions pour
tous les volcans du globe, brûlans ou éteints,
une minéralogie telle que celle qui a été faite
par Faujas , Giôeni , Dolomieu , Dietrich et moi ,
pour le Vivarais , le Vélay , les îles Ponces , le
Vésuve, l’Etna, les Æoliennes et les montagnes
du Vieux-Brissac 5 mais cette ressource nous
manque absolument. La plupart de ceux qui ,
par hasard ou par curiosité , ont vu des volcans
en activité , n’en représentent dans leurs narra-
tions que les phénomènes les plus communs et
les plus généraux , moins propres à éclairer l’es-
prit qu’à surprendre et frapper l’imagination»
Tremblemens de terre ; agitation de la mer sans
tempête ; mouvemens qui tantôt la font replier
sur elle-même et découvrir ses rivages , tantôt
la poussent hors de ses limites , et la répandent
au loin sur les campagnes ; mugissemens , ton*
nerres souterrains ; Frémissemens et murmures
dans l’air , soleil obscurci en plein midi par un
brouillard épais ; tourbillons impétueux de fu-
mées, de cendres, et de flammes qui s’échappent
des bouches volcaniques 5 grêles de pierres em-
brasées et fondues lancées vers le ciel ; torrens
de laves , de soufre , de bitumes liquéfiés inon-
dant les vallées, et portant par-tout la désola-
tion , l’épouvante et la mort $ îles produites par
I 2
VOYAGES
124
des éruptions sous-marines, s’élevant tout-à-coup
du sein des flots , tandis que d’autres, ébranlées
dans leurs fondemens, s’engloutissent et dispa-
raissent à jamais. Tels sont , en abrégé, les évé-
nemens ordinaires des volcans du globe , et les
tableaux que nous en offrent les récits des voya-
geurs. Ces tableaux ne sont sans doute ni affai-
blis, ni exagérés, ni oiseux ; mais il leur manque
une partie essentielle , je veux dire la description
litbologique des corps vomis par ces mêmes vol-
cans. Toutefois les verres et les ponces ayant
des caractères trop sensibles pour ne pas se faire
reconnaître aux personnes même les moins ver-
sées dans cette science , on doit croire à l’exis-
tence de ces substances lorsque les voyageurs
en font une mention expresse. Ainsi nous savons
que l’Islande , qui n’est qu’un groupe de volcans
éteints ou brûlans, renferme beaucoup de verres
auxquels on a donné improprement le nom d’a-
gathes , parce que ces verres en ont l’éclat et
la beauté; que les éruptions actuelles fournissent
souvent des pierres ponces : mais personne n’a
jamais dit qu’il y existât des montagnes entières
formées de ces substances.
On assure que les îles de Ferrçë sont volca-
niques , et que l’on trouve dans des laves les
fameuses zéolites quelles produisent. Jacobson
DANS LES DEUX S I C I L E S. !s5
I
Debes a donné une description de ces dix-sept
îles , où il ne fait mention d’aucune espèce de
substances vitrifiées ; ce qui nous autorise à croire
qu’en effet il n’y en existe point.
La Norvège et la Laponie ont des volcans qui ,
selon Pennant et d’autres voyageurs , éclatent
et produisent quelquefois de violentes éruptions.
Mais leurs relations ne nous apprennent rien de
plus.
En s’éloignant de ces contrées glaciales , si
l’on parcourt l’Allemagne , la Hongrie , on y
reconnaîtra des traces d’embrasemens souter-
rains 5 mais les substances vitrifiées s’y offriront
rarement. J'ai cherché vainement Vagathe
d'Islande et la vraie pierre ponce ^ dit Die-
tricb dans son mémoire sur les volcans du Vieux-
Brissac.
Que l’on s’approche encore plus des climats
tempérés, et que l’on parcoure les volcans éteints
de la France, la même disette s’y fera remar-
quer. Je ne puis en donner un témoignage plus
fidèle que celui de Faujas 3 qui les a si bien vus
et décrits.
Mais il n’en est pas de même de l’Italie , con-
trée où le feu a tant exercé son empire. Les
I 3
VOYAGES
126
ponces , les verres , les émaux ne sont point rares
dans les environs de Naples 5 Herculanum , Pom-
péïa , Mlsène , Monte-Nuovo , l’Ecueildes pierres
brûlées , les îles Ponces , Procida , Ischia et la
Vallée de Metelona , en contiennent en abon-
dance. Actuellement même le Vésuve en produit
quelquefois , ce qui arrive très- rarement au vol-
can de l’Etna.
Si Pon en croyait quelques écrivains modernes,
les montagnes volcaniques Euganéennes seraient
de verre ; mais l’équivoque où ils sont tombés
a été facilement découverte, comme on le verra
dans le chapitre suivant , où j’indiquerai les di-
verses productions de ces montagnes.
Le seul endroit de l’Europe qui égale ou sur-
passe même Lipari et Vulcano par l’abondance
des pierres ponces , c’est l’île de Santorin. Il faut
écouter sur cet article deux voyageurs célèbres,
Thevenot et Tournefort , qui ont vu cette île à
des époques différentes. Le premier y aborda
en i665. Il observe d’abord que la plupart des
insulaires demeuraient dans des grottes qu’ils
avaient faites sous la terre , qui est fort légère
et aisée à remuer , étant toute -pierre de ponce:
Ensuite il raconte un fait qui vient trop bien
à notre sujet pour ne pas le citer. « Il y a ,
dit-il, environ dix-huit ans que, durant la nuit
DANS LES DEUX S I C I L E S. 12J
s>d’un certain dimanche, commença dans le port
»de Santorin un très-grand bruit , lequel s’en-
tendit jusqu’à Chio , qui en est éloigné de plus
»de deux cent milles , mais de telle sorte, qu’on
»crut à Chio que c’était l’armée vénitienne qui
» combattait contre celle des Turcs , ce qui fit
»que, dès le matin, chacun monta aux lieux
»les plus élevés pour en être spectateur, et je
»me souviens que le révérend Père Bernard,
» supérieur des Capucins de Chio , homme vé-
nérable et très-digne de foi, me conta qu’il
»y avait été trompé comme les autres, car il
»crut, aussi -bien qu’eux, entendre plusieurs
5> coups de canon 5 cependant ils ne virent rien;
» et en effet , ce fut un feu qui se prit dans la
» terre du fond du port de Santorin , et y fit un
tel effet , que , depuis le matin jusqu’au soir ,
»il sortit du fond de la mer quantité de pierres
»de ponce , qui montaient en haut avec tant de
»roideur et tant de bruit , qu’on eût dit que ce
» fussent autant de coups de canon; et cela infec-
ta tellement l’air , que dans ladite île de San-
torin il mourut quantité de personnes , et plu-
» sieurs de la même île en perdirent la vue , qu’ils
» recouvrèrent pourtant quelques jours après.
» Cette infection s’étendit aussi loin que le bruit
»qui l’avait précédée ; car , non-seulement dans
» cette île , mais même à Chio et à Smirne , tout
VOYAGES
1*28
» l’argent devint rouge^, soit quil fût dans les.
» coffres ou dans les poches, et nos religieux de-
»meurans en ces lieux-là me dirent que tous leurs
» calices en étaient devenus rouges. Au bout de
» quelques jours cette infection se dissipa, et l’ar-
»gent reprit sa première couleur. Ces pierres de
» ponce qui sortirent de là couvrirent tellement
»la mer de l’Archipel, que durant quelque temps,
» quand il régnait de certains vents , il y avait des
» ports qui en étaient bouchés en façon qu’il n’en
» pouvait sortir aucune barque, pour petite qu’elle
» Fût , que ceux qui étaient dedans ne se fissent
»ie chemin au travers de ces pierres de ponce
»avec quelques pieux, et on en voit encore à
» présent par toute la mer Méditerranée, mais
» en petite quantité , cela s’étant dispersé çà et
$ là » .
Tournefort, après avoir remarqué d’après Hé-
rodote que cette île s’appelait anciennement Cal-
liste , ou la très-belle , ajoute : « Ses anciens
»habitans ne la reconnaîtraient pas aujourd’hui 5
selle n5est couverte que de pierre ponce , ou ,
»pour mieux dire, elle en est une carrière où
»l’on peut la tailler par gros quartiers, comme on
» coupe les autres pierres dans leurs carrières » .
Ces deux voyageurs lui donnent trente - six
milles de circonférence , ce qui montre combien
DANS LES DEUX SICILE S. 129
est énorme raccumulation de ces substances vol-
caniques. Il est cependant à remarquer que ni
Thevenot , ni Tournefort , ni ceux qui ont donné
dans la suite de nouvelles relations de Santorin,
ne disent point qu’ils yv aient trouvé des verres :
preuve que ses feux souterrains n’en ont jamais
produit.
Si de l’Europe nous passons aux autres parties
du globe , nous les verrons également travaillées
par un grand nombre de volcans. Il serait super-
flu de les nommer ici chacun en particulier ;
Faujas, BufFon , &c. ont donné ïa liste de tons
ceux qui sont connus : j’en dirai seulement ce
qui peut convenir à mon sujet.
On compte un volcan dans l’île de Ternate en
Asie , un autre dans leKamschatka qui vomissent
des pierres ponces.
L’Afrique en renferme sur lesquels nous avons
peu de renseignemens , à l’exception de celui
du pic de Ténériffe , un des plus élevés du globe *
et qui a été soigneusement décrit, quant à sa po-
sition , sa hauteur , sa forme , son cratère et ses
fumées brûlantes , par Borda. Pourquoi ne nous
a-t-il pas fait connaître de même les matières
qui le composent ? mais il se contente de dire
que ce sont des sables , des pierres calcinées
VOYAGES
noires et rouges , des sels de différentes es -
pèces (i). „
Il n’est pas douteux que les hautes montagnes
de l’Amérique , comme Chimboraço , Cottopaxi ,
Çangaï , Pichencha , &c. ne forment une chaîne
de volcans enflammés, la plus grande qui existe
dans la nature. Bouguer , à qui nous en devons
la connaissance , a bien plus excité notre curio-
sité qu’il ne l’a satisfaite. Quant à l’objet actuel
de nos recherches , il nous apprend seulement
que quelques montagnes des environs de Quito
ne sont formées , à une grande profondeur , que
de scories de ponces de fragmens de pierres
brûlées (2). Il ne fait aucune mention de verres
volcaniques , et cependant l’on sait que la pierre
de Gallinaço est un verre de ce genre de la plus
grande beauté dont , au rapport de Godin , il
existe une mine à quelques journées de Quito.
Ainsi , dans ces ébauches de descriptions li-
thologiques , si nous nous arrêtons à la partie qui
concerne les verres , nous trouvons que cette
production est peu commune , et que les volcans
brûlans ou éteints qui en fournissent , comme
(1) Voyages en diverses parties de l’Europe.
(2) Mém de TAcad. roy. des sciences, 1744.
J)ANS LES DEUX SICILE s. 1 5 1
dans les environs de Naples , dans l’Islande et
le Pérou , ne peuvent à cet égard se comparer
à ceux de Lipari et de Vulcano. Il faut en dire
autant d’Alicuda et de Félicuda, dont les verres,
quoiqu’abondans en plusieurs endroits, ne sont
cependant que des éclats et des débris. Je ferais
la même réflexion pour les ponces, si File de
Santorin à elle seule n’égalait , ou ne surpassait
même , dans ce genre de productions , les deux
îles Æoliennes réunies.
Maintenant , en considérant sous un point de
vue général les volcans du globe , on voit que ,
quoiqu’ils aient converti en laves une infini-
té de roches , d’où se sont formées des mon-
tagnes et des îles considérables , cependant
c’est une chose rare qu’ils les aient vitrifiées.
Ce phénomène n’est pas plus fréquent aujour-
d’hui qu’il ne l’était dans les temps passés. En
réfléchissant sur les immenses vitrifications de
Yulcano et de Lipari , presque toutes dérivées
du feld-spath et du pétro-silex , j’avais pensé
que leur affluence dans ces deux endroits , et
leur disette en d’autres pays , provenaient de
ce que ces deux genres de roche abondaient là
et manquaient ici ; mais le contraire m’a été
prouvé par les faits. J’ai vu dans beaucoup de
régions volcaniques l’une et l’autre roche con-
VOYAGES
l32
verties en laves, sans laisser trace de verre. D’ail-
leurs n’existe-t-il pas des ponces qui ont pour base,
soit la pierre de corne, soit l’asbeste ou le granit?
Rapportons la cause du phénomène ci-dessus aux
diverses modifications du feu volcanique, qui n’a
pas toujours l’activité nécessaire pour vitrifier les
matières qu’il investit, et convenons toutefois que
les feld-spaths et les pétro-silex passent plus faci-
lement à l’état de vitrification. Pour produire une
lave, il est un degré de feu donné : il en faut un plus
efficace pour la changer en ponce. La lave , celle
du moinsqui est compacte, retient pour l’ordinaire
le grain , la dureté , quelquefois le poids et la cou-
leur de la roche d’où elle dérive ; mais la plus
grande partie de ces qualités extérieures s’éva-
nouit dans îa ponce par l’action plus énergique du
feu. Cette action doit redoubler dans la formation
du verre, où îa finesse et l’homogénéité de la pâte
exclut jusqu’aux moindres linéamens du tissu
primitif.
J’ai observé plusieurs fois , et j’ai décrit ces
passages gradués de lave en ponce et de ponce
en verre , qui se font voir dans un seul et même
produit volcanique. J’ai encore remarqué des
laves passant immédiatement à Fétat de verre
parfait, ce qui doit avoir lieu quand elles reçoi-
vent un coup de feu supérieur à celui qui serait
DANS LES DEUX SICILE S. 1 53
necessaire pour les convertir en ponce. Au moyen
de cette théorie , on conçoit aisément pourquoi
certains volcans produisent des ponces sans ja-
mais produire des verres , comme il est arrivé
à Santorin. Les feux de son volcan ont eu un
degré d’activité suffisant pour former des sub-
stances du premier genre , mais trop faible pour
en former du second.Telle est l’éruption racontée
par Thevenot. D’autres combinaisons ont eu lieu
dans les volcans d’ischia, du Vésuve, des champs
Phlégréens , de Vulcano , de Lipari , de Félicuda
et d’Alicuda , où les verres sont mêlés avec les
ponces et les laves. Ici les feux ont varié dans leur
activité , et ont agi d’une manière inégale.
Au reste, si la production des laves compactes
est un secret que la nature s’est réservé jusqu’à
présent, puisque nous ne pouvons l’imiter avec
le feu factice , à plus forte raison ignorons-nous
comment elle procède à celle des ponces. De
tant de laves et de roches primordiales, de celles
même d’où dérivent le plus souvent les ponces,
telles que le pétro-silex et le feld-spath, que j’ai
fondues au fourneau , jamais il ne m’est arrivé
d’obtenir un produit que je pusse qualifier de
véritable ponce. Tous portaient à l’extérieur
les caractères des verres , des émaux , ou des
scories. Les chimistes qui ont exercé des com-
l34 VOYAGES
binaisons si nombreuses, si variées sur les terres ,
n’ont pas mieux réussi que je sache; et quoique
l’on puisse remarquer quelquefois dans les fours
à chaux la conversion de certaines pierres en
verre, on n’y trouve rien qui ressemble aux laves,
et encore moins aux ponces des volcans. Cepen-
dant on ne saurait objecter que le feu y est trop
violent pour produire le léger degré de vitrifi-
cation qui caractérise les ponces ; car , m’étant
servi d’un feu plus faible , ou il ne fondait pas
les matières mises en expérience , ou en les fon-
dant il les vitrifiait plus ou moins, mais non comme
les ponces.
La couleur de ces pierres varie ; il y en a de
noires , il y en a de blanches comme la neige ,
et voilà pourquoi la montagne de Lipari , qui
en est le grand magasin , s’appelle Campo Bian-
co : on devait autrefois l’appeler Campo Nero $
du moins il est certain qu’à leur naissance elles
ont cette couleur. Bottis, dans son histoire des
éruptions du Vésuve , observe que celles qui
sortaient de ce volcan étaient noires, et que , les
ayant comparées avec les blanches de Pompéïa,
il leur avait trouvé la même structure : ce sont
vraisemblablement les impressions de l’air qui
les font blanchir.
Avant de mettre fin à ces considérations sur
BANS LES DEUX SICILE S. l3 5
les îles Æoliennes, je veux parler d’un fait qui
divise d’opinion les naturalistes modernes. Il est
question des laves basaltiformes. Celles que j’ai
rencontrées dans le cratère de Yulcano et sur
les rivages de Félicuda, m’ont rappelé , par leur
configuration , les recherches faites en ces der-
niers temps sur l’origine des basaltes. Qui rap-
porterait tout ce qui a été écrit à ce sujet , rem-
plirait des volumes. Je suis bien éloigné de pren-
dre cet ennui et de le donner au lecteur, d’au-
tant plus que cette question, si débattue autrefois,
peut , à ce qu’il me semble , se décider en peu
de mots. La plupart des disputes littéraires ne
viennent souvent que de ce qu’on n’a pas bien
posé la question ,. ou plutôt de ce qu’on n’a pas
défini avec clarté et précision la chose dont il
s’agit. Avant de rechercher si les basaltes sont
l’ouvrage des eaux ou du feu , il fallait établir
ce que l’on entend par le mot basalte > ou plutôt
ce que les anciens ont entendu quand ils ont don-
né ce nom à certaines pierres. Le basalte 9 au
rapport de Strabon et de Pline , était une pierre
opaque et solide , de la dureté et de la couleur
du fer, figurée en prismes, originaire de l’Ethio-
pie , et employée par les Egyptiens pour les
statues , les sarcophages , les mortiers et autres
ustensiles. Voilà la première donnée du pro-
blème 5 il ne restait plus qu’à s’assurer si cette
l56 V O Y A G E S
pierre était volcanique , en allant dans les lieux
qui la produisent, çt en examinant attentivement
le pays. Personne n’a formé cette entreprise ;
mais Dolomieu , qui a été si utile aux progrès
de la lithologie, a cherché à Rome les moyens
d’y suppléer. Entre un grand nombre de monu-
mens aussi précieux pour les artistes que pour
les philosophes , on voit dans cette capitale plu-
sieurs statues , sarcophages et mortiers , venus
de la haute Egypte , qui ont tous les caractères
attribués aux basaltes , et qui en retiennent le
nom. Le naturaliste français , après les avoir étu-
diés avec le plus grand soin , nous assure que
ces pierres ne portent aucune empreinte du feu.
Il y a vu d’autres antiquités égyptiennes en ba-
salte vert qui change de couleur , et prend une
teinte brune semblable à celle du bronze, à la
moindre chaleur qu’il reçoit 5 ce qui prouve que
les basaltes vôrts n’ont jamais éprouvé l’action
du feu (1).
Ce que les anciens nommaient basalte > est
donc une pierre formée par la voie humide •
Les observations de Dolomieu sur la nature de
cette pierre s’accordent parfaitement avec celles
de Bergman sur les trapps , lesquels ayant la
(1) Journal de physique, t. ^7, an. 1790.
meme
BANS LES BEUX SICILE S. l5j
même origine , présentent les mêmes caractères
extérieurs et intérieurs (1).
‘Werner prenant le mot basalte dans un sens
plus étendu , comprend sous cette dénomination
toutes les pierres en forme de colonne prisma-
tique; il prétend qu’elles ont une même origine ,
ce qu’il prouve par les basaltes de la colline de
Scheibenberg, qui sont l’effet d’une précipitation
par le moyen de l’eau 5 et il en tire cette con-
clusion générale : que tous les basaltes sont for-
més par la voie humide (2).
Autant je suis porté à louer sa découverte ,
autant je suis éloigné d’admettre sa conclu-
sion. Si plusieurs basaltes , dans le sens de cet
auteur i doivent leur origine à l’eau > il n’en est
pas moins vrai que d’autres la doivent au feu.
Sans recourir à des relations étrangères pour y*
chercher des faits à l’appui de cette vérité 3 je
me bornerai à retracer ici ce que j’ai vu tou-
chant les laves basaltiques de Yulcano et de
Félicuda. Les premières se trouvaient dans l’in-
térieur même du cratère de File , où elles for-
maient un ordre de prismes articulés , ayant les
côtés et les angles inégaux. Ces prismes étaient
(1) De productis Vulcaniis.
(2) Journal de physique , t. 38 , an. 1791.
Tome III. K
VOYAGES
ï38
adossés à un massif de lave avec laquelle ils fai-
saient corps $ quelques-uns seulement s’en étaient ,
détachés , et gisaient étendus au fond du cratère.
J’en ai donné une exacte description. Les se-
condes étaient des laves littorales qui se divisaient
en prismes un peu au-dessus de la surface de
l’eau. Or , il est évident que dans ces deux sites,
Porigine de ces basaltes est volcanique. Que faut-
il en conclure? que la nature arrive souvent
aux mêmes résultats par des voies différentes. Cet
exemple n’est pas le seul que nous puissions
citer. Une des grandes opérations de la nature
dans le règne fossile est la cristallisation. Quoi-
qu’elle soit très-fréquemment le résultat de la
voie humide , elle l’est aussi de la voie sèche.
Le fer, par exemple, se cristallise dans le sein
de la terre , tant par le moyen de l’eau que par
celui du feu. Tel est, pour ce dernier cas, le
beau fer spécuîaire de Stromboli $ et si d’autres
métaux se trouvaient dans le sein des volcans ,
si les circonstances nécessaires à leur cristallisa-
tion concouraient à la produire, il est indubitable
qu’elle s’obtiendrait par le feu, comme elle s’ob-
tient par l’eau dans les mines : c’est ce qui arrive
dans les creusets toutes les fois que l’on use de
certaines précautions 5 les substances métalliques
y prennent une disposition régulière et symé-
trique.
DANS LES DEUX SICILE S. l3q
Il en faut dire autant des basaltes , dont la
configuration prismatique n’est pas, à la vérité,
une cristallisation parfaite, mais qui en a la plus
spécieuse apparence. L’observation nous apprend
que la même combinaison de terres , selon les
circonstances , se modèle en prismes par la voie
humide comme par la voie sèche. Le trapp des
montagnes de la Suède est prismatique , quoique
ces montagnes soient d’origine aqueuse • et la
pierre de corne, très-analogue au trapp, a la
même configuration à Félicuda , quoiqu’elle y
soit dans l’état de lave. Enfin , d’autres laves
basaltiques de Félicuda ont pour base le schorl
en masse , et celles du cratère de Yulcano , le
pétro-silex, tandis que ces deux roches, suivant
Dolomieu , entrent dans la composition de quel-
ques basaltes égyptiens qui sont l’ouvrage des
eaux. Ces deux agens , l’eau et le feu , ne sont
donc pas , dans leur manière d’opérer, aussi di-
vers que l’on pourrait le croire. La figure pris-
matique par voie humide se détermine dans la
terre molle par l’évaporation de l’eau , au moyen
de laquelle les parties , en se séchant et se reti-
rant sur elles-mêmes , se fendent en morceaux
polygones. On avait déjà remarqué ce phéno-
mène dans les terres marneuses pénétrées d’eau
et exposées à l’air ; je l’ai souvent observé dans
la vase des fleuves qu’on fait sécher au soleil
K a
VOYAGES
3 4 O
pour en fabriquer de la poteriè : elle se divise
par la dessication en tablettes polyèdres. J’ai vu
diverses laves prendre des configurations sem-
blables dans le retrait qu’elles subissent par la
privation du feu qui les tenait en fluidité.
Il me semble donc que toute dispute sur l’ori-
gine des basaltes doit cesser. Il n?y aurait point
eu division d’opinions à cet égard si, au lieu de
généraliser les idées et de fabriquer des systèmes,
on s’en fût rapporté, sanspartiaiité, à ses propres
observations comme à celles d’autrui. Quelques
volcanistes ayant découvert que divers basaltes
avaient été formés par le feu , en ont inféré que
tous les autres étaient également l’ouvrage de
cet élément. En conséquence de ce principe, ils
ont tracé , sur plusieurs parties du globe , des
lignes ou zones indiquant , par les basaltes qui
s’y montrent , des volcans éteints , et formant
ainsi le tableau le plus exagéré des bouleverse-
mens occasionnés par les embrasemens souter-
rains. D’autres physiciens , au contraire , ayant
reconnu dans quelques-unes de ces pierres l’ou-
vrage de l’eau , n’ont pas hésité à croire que cet
élément en était le générateur universel : aucun
d’eux n’a saisi la vérité. Les basaltes , considérés
isolément , ne portent point de caractère qui dé-
cide exclusivement de leur origine : les circons-
DANS LES DEUX SICILES. l4l
tances locales peuvent seules déterminer au-
quel des deux principes ils appartiennent. On
doit donc examiner avec attention si les lieux
de leur existence portent des marques certaines
de volcanisation. Cela même ne suffit pas tou-
jours 5 il est des collines , des montagnes dont
la formation est due aux deux grands agens de
la nature , Peau et le feu 5 alors il faut redoubler
d’attention , la porter tour-à-tour sur les subs-
tances d’origine aqueuse , et sur celles d’origine
ignée qui s’y rencontrent , et découvrir, par leurs
relations avec les basaltes, lequel des deux priu
cipes en est le générateur.
Mais il se présente ici une seconde question
non moins curieuse que la précédente. Pourquoi
certaines laves prennent-elles une configuration
prismatique à l’exception de tant d’autres ? Si
cela dépendait du refroidissement , toutes les
laves , en cessant de couler , devraient se con-
figurer de même. Le premier qui a élevé cette
difficulté est Deluc , dans le second tome de ses
Voyages j et il a cru la résoudre en disant que
la condensation subite est une donnée nécessaire
du phénomène , et que les laves prismatiques sont
uniquement celles qui l’ont éprouvée en coulant
dans la mer. Il y ajoute quelques autres circons- ^
tances secondaires , telles qu’une plus grande
K 3
lis V O Y A G E S
homogénéité , et une attraction mutuelle dans
leurs parties.
Dolomieu est du même sentiment , en avouant
toutefois que les laves poreuses peuvent égale-
ment se conformer en prismes. Si l’assertion du
physicien genevois n’est qu’une pure hypothèse,
celle du physicien français est appuyée sur des
faits, et je dois les discuter. Il observe que tous
les courans de laves de l’Etna dont l’histoire a
transmis les époques , ont constamment éprouvé
deux effets dans leur refroidissement. Ceux qui se
sont condensés lentement à l’air libre se sont di-
visés , par le retrait de leurs parties, en masses in-
formes 5 ceux qui, en se précipitant dans la mer,
se sont coagulés subitement, ont pris un retrait
plus régulier; ils se sont divisés en colonnes pris-
matiques , mais seulement dans les parties qui
se trouvaient en contact avec l’eau de la mer.
Tout le rivage, depuis Catane jusqu’au château
de Jaci , lui en a offert des exemples. La fameuse
lave de 1669, quoique peu propre à produire
cet effet , étant parvenue à la mer en petite
quantité et dans un état spongieux , ne laisse pas
de manifester une sorte de configuration pris-
matique.
Et moi aussi j’ai , dans mes voyages , porté
l’attention la plus réfléchie sur ce phénomène ;
DANS LES DEUX SICILE S. 1/0
je n’ai pas pris la peine de faire le tour des ri-
vages des îles Æoliennes , de l’Etna, d’ischia,
sans songer à examiner les courans de laves qui
se plongent dans la mer. J’ai vu , en plusieurs
endroits de Félicuda , ces prismes gravés dans
la partie des laves en contact avec l’eau , et jus-
que dans celle qui s’élève de quelques pieds au-
dessus de son niveau. Sans doute la situation de
ces prismes prouvait clairement qu’ils s’étaient
formés par l’immersion des laves dans la mer,
dont les eaux , à cette époque , montaient jus-
qu’au point où l’on voit paraître les premiers
linéamens de leur configuration. Mais si ce fait
est favorable à -Fopinion de Dolomieu , d’autres
lui sont contraires. J’ai observé dans cette meme
île de Félicuda une multitude de rochers de
laves baignés par la mer 5 j’en ai rencontré aux
Salines , à Lipari , à Stromboli , à Panaria , à Basi-
luzzo , à Vulcano , qui tous ensemble formeraient
peut-être une zone de soixante milles de longueur,
et ces laves ne manifestaient nulle part la moindre
disposition à se configurer en prismes.
En allant par mer de Messine à Catane , et
revenant de Catane à Messine , j’ai eu le loisir
d’examiner cette partie des rivages de la Sicile,
qui , dans une longueur de vingt-trois milles en-
viron , est toute volcanique. Pendant un tiers de
K 4
VOYAGES
1 44
la route , c’est-à-dire , depuis Catane jusqu’au
château de Jaci , on ne voit que des laves figu-
rées en prismes plus ou moins réguliers ; mais
plus loin jusqu’à Messine, les laves qui tombent
également à-plomb dans la mer ne présentent
çà et là que des crevasses irrégulières 5 elles ne
forment que des blocs anguleux , et cet accident
leur est commun avec toute espèce de lave qui,
dans le refroidissement , se gerce et se divise plus
ou moins.
Les rivages d’ischia sont peut-être ceux qui ,
par la multitude de leurs laves , les directions
qu’elles suivent , les angles divers qu’elles for-
ment en tombant dans la mer, devaient me four-
nir le plus d’occasions d’observer le phénomène
de la configuration prismatique 5 mais j’ai dit et
je répète qu’il n’y existe pas.
On a beaucoup parlé des laves prismatiques
du Vésuve situées sous le parc de Portici. Pen-
dant mon séjour à Naples , je n’eus pas le loisir
de les visiter 5 mais j’ai su depuis qu’elles avaient
été examinées par le chevalier Gioeni , et que
ces fameux prismes avaient disparu devant cet
observateur éclairé, Voici ses propres paroles :
« J’ai voulu m’assurer de l’existen ce des basaltes
» qu’on m’avait indiqués au bord de la mer , sous
»le parc royal cje Portici , mais je n’y ai vu
DANS LES DEUX SICILE S. 1 4^
>> qu’un courant de lave compacte avec des fentes
» perpendiculaires très- irrégulières , d’où résul-
tent des pilastres quadrangulaires , quelquefois
trapézoïdes , que l’on emploie dans des cons-
tructions d’édifices. Les tufs et certaines terres
»sont sujettes à se fendre de même , et l’appa-
tente régularité de forme qu’elles contractent,
»ne peut en imposer à quiconque est exercé à
» reconnaître la vraie cause de cet accident ».
Les faits que je viens de citer , et dont je
garantis l’exactitude , démontrent que les laves
fluantes qui , en tombant dans la mer, éprouvent
une condensation subite , ne prennent pas toutes
pour cela des formes prismatiques.
Peut-être m’objectera~t-on que les prismes
existaient anciennement dans les laves que j’ai
examinées , mais que l’action puissante des flots
pendant une si longue succession de siècles les
a minés insensiblement, et les a fait disparaître.
Il suffît d’un peu d’attention pour reconnaître
la faiblesse de cet argument. Que les eaux de
la mer aient pu attaquer les prismes dans quel-
ques laves et les réduire à rien , cela est pos-
sible ; mais comment les auraient-elles anéan-
tis dans toutes, et sur une aussi longue étendue
de pays ? comment Félicuda , seule entre les îles
VOYAGES
146
Æoliennes , les a-t-elle conservés intacts , tandis
que par-tout ailleurs il n’en existe aucune trace?
Féiicuda n’est-elle donc pas exposée comme les
autres aux ravages de la mer ! Une seconde ré-
flexion ne doit pas nous échapper. Il est certain
que la plupart de ces îles se sont formées par
des éruptions successives. Cette formation gra-
duelle se manifeste dans des crevasses très-pro-
fondes que la mer a pratiquées en certains en-
droits , et où l’on découvre jusqu’à cinq ou six
lits de laves diverses placés les uns sur les autres.
Les laves intérieures , plus anciennes que les ex-
térieures , ayant coulé également dans la mer,
il est évident que si ces dernières étaient deve-
nues prismatiques par le seul contact des eaux,
les premières auraient dû subir la même modi-
fication, et leur position les ayant mises à l’abri
du choc des vagues , elles paraîtraient encore
aujourd’hui avec leur configuration prismatique.
Il n’en est rien pourtant , et il faut admettre ,
comme une vérité constante , qu’une infinité de
laves diverses peuvent se précipiter dans les eaux
de la mer, sans que la condensation subite qu’elles
éprouvent alors, change en la moindre chose leuf
aspect intérieur.
Il y a plus 5 la configuration prismatique n’est
pas toujours une conséquence de leur immersion.
DANS LES DEUX SICILE S. 1 47
Elle a lieu quelquefois dans l’air libre : le cratère
de Yulcano nous en fournit un exemple. Là ,
certainement nous pouvons dire que l’eau de
la mer n’est pas intervenue. Un fait tout sem-
blable a été rapporte par le chevalier Gioeni :
« J’ai observé , dit-il , des colonnes basaltiques
» presque sur la cime de l’Etna, au niveau de
>> la base de son grand cratère, où très-proba-
blement la mer n’est jamais arrivée. J’ai trouvé
» plusieurs fois des basaltes polyèdres parfaite-
»ment caractérisés dans des excavations faites
»de main d’homme, dans le centre des laves sor-
ties des flancs de cette montagne à des époques
» très-postérieures à la retraite de la mer ».
Je manquerais cependant à la sincérité dont
je me suis fait un devoir, si je ne rappelais ici
l’opinion toute entière de Dolomieu , qui convient
que les laves peuvent prendre une figure prisma-
tique dans l’air , si toutefois elles entrent dans
quelque crevasse où elles viennent à se refroidir
subitement ; et il en apporte des exemples qu’il
a vus dans les îles Ponces. Ma seule remarque
à cet égard, c’est que la circonstance d’une cre-
vasse n’est pas d’une absolue nécessité, puisqu’il
existe des laves , comme celles du cratère de
Yulcano , qui se sont configurées en prismes
dans un lieu ouvert et libre ; comme celles du
148 voyages
sommet de l’Etna dont le chevalier Gioeni a
donné la description $ car s’il les eût trouvées
encaissées à la manière dont parle Dolomieu ,
il n’eût pas omis de le dire.
Quelle sera donc la conclusion générale que
nous tirerons de tous ces faits ? la voici. i°. Il
est des laves basaltiques qui ont reçu cette mo-
dification en se coagulant dans la mer. 20. Il
en est d’autres qui l’ont reçue dans l’air libre.
5°. Enfin il en existe qui s’y sont refusées dans
l’un et l’autre cas.
Il semble que ces diversités devraient naître de
la nature diverse des laves. Ce qui lé ferait croire ,
c’est de voir des terres imbibées d’eau qui, lors-
qu’elles sont argileuses, prennent dans leur dessi-
cation des formes plus ou moins prismatiques. Je
l’ai éprouvé moi-même, en faisant entrer dans une
fosse l’eau d’un torrent troublée par une marne
argileuse 5 elle y laissait un dépôt qui , en se
séchant , se divisait en morceaux polyèdres ; mais
si c’était de la craie ou de la marne calcaire ,
la plupart de ces morceaux n’adoptaient aucune
forme régulière. Cependant si l’on porte une at-
tention plus réfléchie sur les laves , on s’apper-
cevra qu’elles procèdent différemment. Par exem-
ple, celles en prismes de Féîicuda ont pour base
le schorl en masse 5 mais leurs congénères dans la
DANS LES DEUX SICILES. l4c)
même île , formant comme elles des murs ver-
ticaux sur la mer , n’en sont pas moins lisses dans
toute l’étendue de leur surface. On peut faire la
même remarque à l’égard de quelques laves lit-
torales de l’Etna entre Messine et Catane , qui
sont à base de pierre de corne. Elles offrent une
surface polie, tandis que d’autres laves de même
nature, situées entre Jaci-Réale et Catane, sont
sillonnées en prismes.
La densité , la solidité de la matière n’entrent
pas non plus comme condition nécessaire dans
cette sorte de cristallisation. J’ai vu sur les ri-
vages de plusieurs îles Æoliennes des laves sans
forme déterminée, plus compactes que les ba-
saltes de Félicuda.
Quelle sera donc la circonstance intrinsèque
aux laves qui les détermine à se fendre prisma-
tiquement? je l’ignore. Mais pourquoi la cher-
cher en elles et dans leur constitution particu-
lière , plutôt que dans les causes extérieures et
accidentelles? C’est sans doute la réflexion que
Dolomieu a faite , quand il a voulu expliquer
ce phénomène par le refroidissement subit et
la contraction instantanée des laves. J’ai cité des
faits qui ne s’accordent pas toujours avec ceux
que ce physicien apporte en preuve de son opi-
nion 5 mais ne pourrait-on pas leur appliquer le
même principe , en usant de quelque modifica-
tion, pour rendre raison des différences? Eclair-
cissons cela par deux exemples, l’un concernant
les laves qui se sont figurées en prismes au seul
contact de l’atmosphère, comme dans le cratère
de Yulcano et sur Je sommet de l’Etna; l’autre
regardant celles qui se sont refusées à cette con-
figuration dans leur contact avec l’eau de la mer,
ainsi qu’on le voit en quelques endroits des ri-
vages de l’Etna , à Ischia , et dans toutes les
Æoliennes , à l’exception de Félicuda.
Dans le premier cas , pourquoi une lave , sans
tomber dans une crevasse, comme l’exige Dolo-
mieu , n’éprouverait-elle pas un retrait subit par la
seule impression de l’atmosphère ? Il suffit qu’elle
soit promptement dégagée du calorique qui la
pénétrait et la tenait en fluidité. Ce dégagement
sera prompt si elle a peu d’épaisseur ; car plus un
corps est mince , moins il met de temps à se dé-
pouiller de la chaleur qui lui a été communiquée.
La contraction rapide dont nous parlons, pourrait
encore avoir sa cause dans l’état accidentel de
l’atmosphère, si, par exemple, il s’élevait un vent
très-vif et très-froid. Cette dernière conjecture me
paraît d’autant plus fondée, que j’ai eu souvent
l’occasion de la vérifier dans des laves fondues au
fourneau. Quand je leur laissais perdre peu à peu
DANS LES DEUX S I C I L E S. l5l
leur chaleur , elles ne contractaient que quelques
gerçures peu profondes et irrégulières ; mais si ,
pendant l’hiver, en les sortant du fourneau, je
les transportais sur-le-champ à l’air froid, les
gerçures, outre qu’elles gagnaient davantagedans
l’intérieur , se découpaient de manière qu’il en
résultait souvent de petits prismes qui se déta-
chaient aisément de la masse.
b--:'
Quant aux laves qui coulent dans la mer , il
est certain que , pour devenir prismatiques , il
faut qu’elles soient dans un grand degré d’effer-
vescence et de dilatation, c’est-à-dire, fortement
pénétrées par le fluide igné , sans cela le retrait
nécessaire pour produire les prismes n’aurait pas
lieu. La privation de cette effervescence sera le
cas de beaucoup de courans qui , descendant du
haut des monts volcaniques jusqu’à leurs rivages,
perdent pendant cette longue route une grande
partie de leur chaleur , et n’en conservent que
ce qu’il en faut pour se mouvoir 5 encore ce
mouvement ne se prolongerait- il pas jusqu’au
bout , s’il n’était aidé par la force de gravité des
laves, qui souvent tombent perpendiculairement
dans la mer.
C’est ainsi que j’expliquerais comment des laves
prismatiques se sont formées sans le concours de
l'eau , et comment d’aulres n’ont pris aucune
V O Y A Qr E S
l5z
forme régulière au sein même de la mer. Au
reste , je laisse à chacun son opinion , et quand
on aura sur ce fait important des idées préfé-
rables aux miennes , qui ne sont que conjectu-
rales , je les adopterai volontiers, et avec une
sincère reconnaissance pour celui qui me les
communiquera.
CHAPITRE
DANS LES DEUX SICILE S. l53
CHAPITRE XX.
Digression sur diverses -productions volca-
niques des monts Euganéens (i).
A. près avoir amassé pendant l’année 1788,
pour le muséum de Pavie, une ample collection
des productions volcaniques des deux Siciles ,
je formai le projet d’employer les vacances de
l’année suivante à y réunir celles des montagnes
de Padoue , dont les volcans sont éteints depuis
un temps immémorial. Ce voyage me fut d’au-
tant plus agréable , que j’eus pour compagnon
le marquis Orologio de Padoue , qui connaissait
(1) Les monts Euganéens, qui tirent leur nom d’un
ancien peuple d’origine grecque que l’on croit y avoir
habité , s’élèvent au milieu de la plaine , à une lieue et
demie de Padoue, et sont en partie volcaniques , en par-
tie de formation marine. Ils forment une île qui a environ
dix lieues de périmètre , et ne sont eux-mêmes qu’un
groupe de petits îlots coniques. Le peuple Euganéen s’ap-
pelait ainsi par une sorte de prétention à la noblesse. Ce
nom dérive de la particule sv , benè , et du verbe y€vo(xctt ,
; fiascor , ou genitus sum . Les Uenètes, ou Venètes, leurs
voisins, avaient la même morgue; ils s'appelaient A iveroi,
gloriosi , d’ct/J/o?, gloria.
Tome lll\ L
l54 VOYAGES
parfaitement les lieux et leurs productions, sur
lesquelles il avait déjà publié des observations
intéressantes. Nos excursions dans ces montagnes
me donnèrent le temps et la facilité d’en bien
examiner la structure , de recueillir et décrire
les objets les plus propres à remplir mes vues,
qui étaient de comparer les roches du Padouan
avec celles des autres régions volcaniques que
j’avais visitées , afin de juger par-là des diverses
modifications que le feu leur a fait subir : ces
études comparatives ne peuvent manquer d’é-
tendre nos connaissances sur la nature des phé-
nomènes volcaniques (1).
Je me rendis donc , au mois de septembre 1 7 Bq,
à Giaria , chez le marquis Orologio , qui y pos-
(1) Il paraîtra peut-être superflu de donner ici une
nouvelle description des productions des monts Euga-
néens, après le Catalogue raisonné qu’en a publié Strange.
Mais , outre que nous avons vu les objets différemment ,
nous avons encore eu un but différent dans notre travail :
le mien a été de les décrire , et de les caractériser avec
méthode ; celui de Strange d’en donner une simple indi-
cation. Je ne crois point diminuer le mérite de cet au-
teur en ajoutant que ses indications sont souvent peu
sûres , défaut qu’il faut attribuer au temps où il a écrit :
ce n’est que depuis quelques années que l’on veut et
que l’on met de la précision dans la minéralogie des
volcans. Note de l’auteur.
DANS LES DEUX S I C I L E S. l55
sède une maison de campagne délicieuse , située
presqu’au pied des monts Euganéens , et sans
perdre de temps , nous commençâmes par exami-
ner les fossiles de Monte-Castello. C’est une petite
montagne boisée d’où sortent plusieurs pointes
de rochers adhérens , et formés de trois sortes de
laves.
La première , à base argileuse , a une pâte
grossière , noirâtre , parsemée de paillettes lui-
santes de mica noir, et marquée de petites taches
rougeâtres, semblables aux taches de feld-spath
qui se voient dans certains porphyres orientaux.
Ces taches ne sont autre chose que des écailles
de feld-spath accompagnées de quelques schorls
noirs.
La seconde , colorée de gris tirant sur le blanc ,
se fait prendre au premier coup-d’œil pour un
carbonate de chaux; mais quand on la regarde
de près dans sa cassure , on voit qu’elle a pour
base une pierre de corne dure , renfermant
quelques micas noirs et des points de feld-spath.
La troisième , ainsi que quelques variétés qui
en différent peu , a également pour base la pierre
de corne. Sa couleur est un gris terne ; sa pâte
terreuse a une odeur d’argile : outre un grand
nombre de micas noirs très -déliés, elle ren-
L a
VOYAGES
lS6
ferme de grosses lames rectangulaires de feld-
spath.
Les schorls, les micas , les feld- spaths de ces
trois laves se fondent dans le creuset avec leur
base 3 qui devient une scorie émaillée et cellu-
laire.
Quoique ces trois sortes de roche ne paraissent
pas avoir coulé 5 et qu’elles n’aient pas la poro-
sité de certaines laves, je n’ai pas hésité à leur
en donner le nom, parce qu’elles font partie in-
tégrante d’un mont tout volcanique , et qu’elles
appartiennent à un genre de pierre existant dans
ces montagnes , qui a subi la fusion, et dont je
parlerai dans la suite.
Au milieu des laves désignées ci-dessus, on
trouve des morceaux de pétro-silex d’un grain
très-fin. Comme ils sont errans, je ne saurais dire
s’ils ont été touchés par le feu , ou si le volcan les
a rejetés dans leur état naturel. Chacun de ces
morceaux embrasse des cristallisations de mica ,
de schorl et de feîd-spath , qui se fondent au
fourneau avec leur base pétro-siliceuse.
Du mont Castello , je passai au mont voisin
du Donati : son sommet est à deux têtes. Je dé-
tachai de sa masse pierreuse , tant dans le haut
que dans le bas , divers morceaux , et après les
D ANS LES DEUX SICILE S. l5y
avoir comparés , je vis que les laves du mont
Donati pouvaient se réduire à deux espèces ,
l’une ayant pour base le pétro- silex, l’autre la
pierre de corne.
La première présente une cassure nette et
quelquefois conchoïde, un tissu fin et compacte y
avec une certaine abondance de schorls et de
feld-spaths rhomboïdaux. Traitée avec le feu,
elle donne pour résultat un verre blanc , ou
les cristallisations ci-dessus sont pleinement fon-
dues.
La seconde est molle ; elle a un tissu terreux y
une odeur argileuse; elle abonde pour l’ordinaire
en feld- spaths , en schorls cristallisés , en micas
noirs hexagones. Une des laves de cette espèce
donne les marques les plus sensibles d’avoir coulé.
On y voit à la surface , et jusque dans le centre , un
nombre infini de bulles , dont la grandeur varie
depuis les plus petites , qui sont à peine percep-
tibles, jusqu’aux plus grandes, qui ont un demi-
pouce de diamètre. Leur figure est ovale dans
la plupart, et le plus grand diamètre est toujours
dirigé vers le même côté. Cette observation
prouve en premier lieu que la roche dont nous
parlons a été tenue en fluidité par le feu, puisque
cette circonstance était nécessaire à la forma-
tion des bulles ; en second lieu , qu’elle a été en
L S
VOYAGES
l58
mouvement , puisque ces bulles se sont plus ou
moins alongées. Ces conséquences sont d’autant
plus justes , que nous avons eu souvent l’occasion
d’en vérifier l’exactitude dans les laves de Lipari.
Au reste, plusieurs de ces bulles se sont remplies
de carbonate calcaire cristallisé , effet de l’infil-
tration des eaux.
Cette même lave est encore remarquable par
v la grosseur de ses scborls rhomboïdaux , dont
quelques-uns ont dix à douze lignes de longueur.
Leur couleur est noirâtre, leur cassure écailleuse $
les faces en sont si vives, si lustrées , qu’elles ri-
valisent les plus beaux cristaux de fer spéculaire.
Solitaires ou incorporés à la lave , ils se fondent
également au fourneau , et se changent en un
émail noir compacte, étincelant sous le briquet,
et d’un lustre peu inférieur à celui des schorls
eux-mêmes. La fusion réussit aussi bien dans les
autres laves à base de pierre de corne : les schorls,
les feld-spaths, les micas s’y vitrifient.
Je me rendis ensuite à Monte- Rosso, fameux
par ses colonnes prismatiques : Ferber les avait
indiquées 5 Strange les a décrites (1). Elles sont ,
dit-il , perpendiculaires à l’horizon , parallèles
entr’ elles , diversifiées dans leur forme, dans leur
(1) Opiuç. Scelt . di Milano, t. 1, in- 4°.
DANS LES DEUX SICILE S. 169
grandeur , et semblent adhérentes avec la masse
du rocher. Parvenu sur les lieux , je trouvai sa
description conforme à la vérité; mais je dois au
lecteur des détails plus étendus sur la nature de
cette colonnade que Strange appelle granitique.
Au-dedans et au-dehors des prismes , on recon-
naît d’abord le feld-spath , le mica et le schorl.
Le premier, disposé en rhomboïdes d’une ou deux
lignes au plus de longueur, sur moitié environ
de largeur , est serai -diaphane , blanc , un peu
terne à la surface, très-brillant dans la cassure,
qui est chatoyante. Le second est noir en grande
partie, quelquefois d’un jaune doré ; il forme de
petits prismes applatis , hexaèdres , opaques , la-
melleux , très-brillans : les plus grands n’excèdent
pas une ligne. Le troisième , moins abondant que
les deux autres, est linéaire. Ces trois substances
sont renfermées dans une pâte pétro-siliceuse ,
devenue terreuse par décomposition, et presque
friable à la surface des colonnes , ou elle a une
couleur de feuille morte. Mais intérieurement elle
conserve le caractère du pétro-silex : elle donne
des étincelles avec le briquet , et sa couleur est
d’un gns tirant sur le noir. Traitée avec le feu ,
elle se convertit en un émail noirâtre qui con-
tracte des bulles peu nombreuses, mais grandes:
le schorl subit une fusion complète , ce qui n’ar-
rive pas tout-à-fait au feld-spath.
L 4 *
. 1 '
VOYAGES
160
On voit par Panalyse de cette roche qu’elle
n’est pas proprement granitique , selon la défi-
nition des naturalistes et des chimistes , qui ap-
pellent granit une pierre composée de deux ou
plusieurs substances souvent cristallisées , unies
ensemble sans apparence de ciment qui leur
serve de lien. Ici 5 le mica , le schorl , le feld-
spath sont enveloppés d’une pâte siliceuse 3 d’où
il faut conclure que la matière de ces colonnes
tient de la nature du porphyre , ainsi que la masse
de Monte-Rosso, qui est à-peu-près toute com-
posée de la même roche.
Sous le groupe de basaîtes5on trouve un grand
nombre de globes de la même matière , qui ne
sont probablement que des morceaux détachés
des colonnes , et arrondis dans leurs angles par
l’action du temps et des météores aqueux. Le
roulement des eaux n’y a eu aucune part , car
on ne voit là nulle trace de ruisseau ou de torrent.
D’ailleurs , l’altération éprouvée par ces globes
est très-sensible.
Monte-Rosso est isolé ; sa circonférence est
d’environ un mille et demi. On voit à sa base
une excavation faite par les moines Bénédictins
de Praglia pour en extraire des pierres. Cette
carrière est abandonnée 5 mais elle m’a servi à
DANS LES DEUX SICILE S. l6ï
reconnaître, dans l’intérieur de la montagne, des
formes prismatiques , quoiqu’elles n’y soient pas
aussi bien caractérisées que dans les colonnes.
Je suis persuadé que si on creusait ailleurs , on
en trouverait de semblables.
Ce lieu n’est pas le seul qui abonde en roches
prismatiques : Monte-Ortone en offre des amas
prodigieux , elles sont , à la vérité , grossièrement
figurées, mais très-reconnaissables. C’est une lave
d’un gris cendré, à base de pétro-silex, marquée
en divers endroits par des zones déliées et rou-
geâtres , parallèles entr’elles. Elle renferme des
feld-spaths rhomboïdaux , luisans , diaphanes ,
avec quelques paillettes noires et hexagones de
mica. Placée dans le fourneau , cette lave se
convertit en un émail d’un gris tirant sur le noir.
Les feld-spaths et les micas se fondent avec elle.
Monte-Ortone a aussi diverses excavations où
l’on trouve des prismes informes 5 et quand on
suit le chemin qui conduit à Praglia , on voit
leurs têtes saillir hors des flancs et des sommités
de la montagne , qui est toute composée de la
lave que je viens de décrire. Son détritus pro-
duit un terreau où les oliviers prospèrent. Cette
décomposition a également lieu à Monte-Rosso,
où la terre est en bonne partie une trituration
de mica, de feld-spath et de schorl.
VOYAGES
ï6z
Les monts Euganéens présentent des masses
pour la plupart coniques : les unes isolées , les
autres contiguës par leurs bases. Outre les laves t
qui en font la matière principale, on y rencontre
quelques roches calcaires. Les Vénitiens tirent
beaucoup de profitde ces deux genres de pierres;
ils se servent des premières, qu’ils appellent ma-
segne , pour paver les grands chemins , et des
secondes pour faire de la chaux. Aussi trouve-
t-on dans ces montagnes plusieurs carrières , les
unes en activité , les autres abandonnées , parce
qu’elles étaient épuisées. Celles de Monte-Rosso
et de Monte-Ortone , que je venais de visiter ,
m’inspirèrent le désir d’en voir d’autres. Il me
parut que ces excavations , en pénétrant dans
l’intérieur des substances que je cherchais à con-
naître , m’en offriraient le moyen le plus sûr et
le plus facile. Je me transportai donc à Monte-
Merlo , où l’on a creusé dans la lave un puits
des plus profonds. Pour en extraire des blocs
qui sont très - durs , voici le moyen hardi que
l’on emploie. Un homme lié à une corde par le
milieu du corps , se fait descendre le long des
parois verticales du puits ; quand il est parvenu
à l’endroit qu’il doit attaquer , on lie l’autre
extrémité de la corde au-dessus de l’ouverture.
L’homme , ainsi suspendu, introduit un pic dans
les fissures de la pierre , l’ébranle et l’arrache.
DANS LES DEUX S I C I L E S. l63
Quelquefois il prépare des mines , et les fait
jouer.
Dans cette carrière , et dans une autre située
aux environs, mais qui n’est pas aussi profonde,
la lave est véritablement granitique , ayant pour
base le feld- spath dans une proportion telle,
qu’il compose à lui seul la plus grande partie de
la roche. Comme il est en tout semblable à celui
de Monte-Ortone et de Monte-Rosso, je ne le
décrirai pas. Je remarquerai seulement qu’outre
ce feld-spath , qui s’annonce par son éclat et ses
autres caractères sensibles, on y trouve certaines
taches blanches dont la nature ne se laisse pas
saisir au premier coup-d’œil ; mais quand on les
considère attentivement , et sous certains angles
de réflexion de lumière , on reconnaît que ce
sont de vrais feld- spaths en partie calcinés. A
ces cristaux , se joignent des micas hexagones
et des points de schorl.
Ce granit fondu par le feu des vo’cans , me
rappela la grande activité qu’il faut communi-
quer au feu ordinaire pour en obtenir la fusion
des granits naturels , et même des granits vol-
caniques dont j?ai parlé dans le chapitre XII.
Cependant je réfléchis ensuite qu’il n’était peut-
être pas besoin d’un si haut degré de puissance
pour fondre celui-ci, attendu qu’il était privé du
VOYAGES
16 4
quartz , un des élémens les plus réfractaires à la
fusion. En effet , après avoir soutenu long-temps
Faction du fourneau, il se convertit en un verre noir
presqu’homogène, où quelques feld-spaths se fai-
saient encore distinguer par des taches blanches.
J’ai parlé du mica noir comme un des compo-
sans de ce granit. J’ajouterai que si on l’enlève
à la roche volcanique , et qu’on l’approche du
barreau aimanté , il s’y attache comme le ferait
un grain de fer. Cette propriété est commune à
tous les micas noirs des roches volcaniques dont
j’ai fait mention jusqu’à présent, et de presque
toutes celles que j’indiquerai dans la suite. Avant
mon départ pour les monts Euganéens , le cé-
lèbre naturaliste Arduino m’avait fait remarquer
ce phénomène à( Venise, où la plupart des rues
sont pavées de roches que l’on tire des mon-
tagnes de Padoue. A la vérité , il croyait que ces
paillettes noires et brillantes étaient plutôt des
particules de fer que des micas; mais on ne con-
serve aucun doute à cet égard quand , avec le
secours de la loupe , on voit leur tissu formé de
petites lames très-fines , très-délicates , un peu
transparentes , flexibles sous la pointe d’une ai-
guille , et se détachant l’une de l’autre. D’ailleurs
elles se vitrifient dans le creuset, et le verre qu’elles
produisent est semi-transparent et noirâtre.
DANS LES DEUX S I C I L E S. l65
Je n’ai point remarqué cette propriété magné-
tique dans les micas des granits non affectés par le
feu volcanique. A mon retour par terre de Cons-
tantinople en Italie , j’avais recueilli un grand
nombre d’échantillons de cette roche dans les
montagnes qui se trouvaient sur mon passage , et
dans des lieux où je savais que les volcans n’avaient
point agi ; j’en possédais d’autres qui apparte-
naient à nos Alpes. J’ai éprouvé avec le'barreau
aimanté les micas qu’ils contenaient, et pas un,
quelle qu’en fût la couleur, n’a donné des signes
d’attraction 3 mais ils ont acquis cette vertu après
avoir été exposés quelque temps au feu. Ainsi les
micas des monts Euganéens qui la possèdent ,
nous prouvent qu’ils ont subi l’action de cet
agent , et nous donnent une nouvelle confirma-
tion de la volcanisation de cette contrée.
Avant de quitter les carrières de Monte-Merlo,
je raconterai deux faits qui méritent queîqu’at-
tention.
Il n’est pas rare de trouver dans la lave graniti-
que, des noyaux de quartz pur de diverses gros-
seurs , depuis un pouce jusqu’à cinq, étincelans
sous le briquet , teints d’une couleur légère
d’améthiste, diaphanes , onctueux, solides, sans
figure déterminée. Mais comment ces noyaux
quartzeux, qui sont très-sains, existent-ils dans
VOYAGES
J 66
l’intérieur de ce granit volcanique ? Etaient-ils
formés avant l’embrasement ? je ne saurais le
croire 5 car le feu les aurait altérés, il les aurait
dépouillés de leur transparence, il les aurait ger-
cés et rendus friables : tout cela arrive à ce même
quartz quand on le tient quelque temps au four-
neau. Je dirai plus 5 ayant laissé , pendant un
quart-d’heure seulement , deux de ces noyaux
dans un creuset posé sur des charbons ardens,
ils perdirent leur couleur d’améthiste, blanchi-
rent, se couvrirent de gerçures, et devinrent
sensiblement friables.
Ces petites masses de quartz auraient- elles été
ramassées par la lave, comme il arrive quelque-
fois aux corps étrangers qui se trouvent sur le
chemin des torrens volcaniques ? Ce n’est pas
mon sentiment ; je pensé au contraire qu’elles
ont été produites après le refroidissement de la
lave , par la filtration de l’eau qui , chargée de
molécules de quartz , les a déposées dans ses
cavités , et les en a remplies peu à peu : c’est
ainsi que se sont formés les globes de calcédoine
dans les laves de Lipari.
L’autre fait est analogue à celui-ci , et peut
s’expliquer de la même manière. Il s’agit de quel-
ques groupes de schorl qui se sont introduits
dans cette même lave , et que l’on y découvre
DANS LES DEUX SICILES. 167
comme le quartz , en la mettant en pièces. Il
sont formés de prismes rhomboïdaux tellement
pressés et confus , qu’il n’en est aucun que l’on
puisse détacher dans son intégrité. Ils ne diffè-
rent que par la grandeur, de ceux qui existent
dans la lave cellulaire à base de pierre de corne
du mont Donati. Ainsi que tous les schorls des
monts Euganéens, ils concourent à prouver la
volcanisation de ce pays, en manifestant la même
faculté dont jouissent les micas noirs , c’est-
à-dire leur magnétisme. Le baron Dietrich ,
dans sa description des volcans du Vieux Brissac ,
démontre que l’action des schorls noirs cristalli-
sés sur l’aimant , est une qualité qui n’appar-
tient qu’à ceux qui sont volcanisés. Quoique je
n’aie cité à ce sujet que les schorls du Monte-
Rosso de l’Etna, remarquables par leur puissance
magnétique, je n’ai pas laissé d’en éprouver une
multitude d’autres provenant des champs Phlé-
gréens et des îles Æoliennes 5 je puis assurer qu’ils
possédaient tous la même vertu 5 mais elle ne s’est
point manifestée dans onze espèces de schorls de
toutes couleurs , dont les uns avaient été déta-
chés des granits naturels , les autres avaient été
trouvés errans.
Quant à la génération de ces groupes de schorls
dans la lave granitique, je l’attribue, comme
VOYAGES
l68
celle du quartz , à la filtration des eaux , avec
cette différence , qu’au lieu de n’adopter aucune
forme régulière , ils se sont cristallisés d’une ma-
nière confuse , sans doute à cause de la plus
grande tendance de leurs molécules intégrantes
à prendre une forme déterminée.
Après avoir visité les carrières de roclies volca-
niques , je me transportai dans les carrières de
pierre à chaux , qui ne sont pas rares dans ce
pays , telles que celles de la Battaglia , des
Frassinelle, et de S. Giacomo , situées sur les
pentes de Monte-Grande, au-dessus de Teolo.
Avant d'atteindre les laves de la Battaglia , on
rencontre une roche calcaire qui s’exfolie en
lames horizontales. La carrière que l’on y a ou-
verte est vaste , taillée à pic 5 elle a en quelques
endroits quarante-cinq à cinquante pieds de pro-
fondeur , et fournit une pierre excellente pour
faire de la chaux. Cette pierre est disposée par
lits de diverse épaisseur , depuis un pouce jus-
qu’à un pied , parallèles entr’eux et avec l’ho-
rizon. Dans les monts Euganéens , par-tout où
il existe de la roche calcaire , il se trouve aussi
des silex , ou pierres à fusil. Ici , on en voit un
grand nombre $ plusieurs sont en combinaison
avec la pierre à chaux, de manière à faire croire
que cette dernière s’est transformée en silex.
Mais
DANS LES DEUX SICILE S. l6q
Mais pour rendre sensible cette apparence de
métamorphose , il est nécessaire de décrire Tune
et l’autre de ces substances.
La substance calcaire est blanche, compacte,
peu pesante , composée de particules impal-
pables, douce au toucher; la cassure est nette,
quelquefois conchoïde , avec des fragmens ob-
tus et irréguliers. Elle se dissout avec efferves-
cence dans les acides. On y apperçoit , tant au-
dehors qu’au-dedans , de petites taches dentri-
tiques qui , semées sur le fond blanchâtre de la
pierre , ne sont pas sans élégance.
Le silex a une couleur de chair foncée , quel-
quefois brune et même noire ; son grain est très-
compacte, très-fin; sa cassure lisse , conchoïde;
les fragmens én sont anguleux , aigus aux extré-
mités , semi-transparens. Il est pesant ; la lime
ne l’entame pas , et l’acier le fait étinceler vi-
vement. Malgré tant de dureté , la plupart de
ces silex se réduisent en éclats sous le marteau.
Tantôt ils sont placés entre les lits de roche cal-
caire , tantôt ils paraissent n’en former qu’une
prolongation ; à la vérité , la division est quel-
quefois tranchante, mais plus souvent encore les
nuances en sont insensibles , et alors il est facile
de se laisser tromper par l’apparence , et de
croire , avec quelques naturalistes , qu’il y a
Tome III. M
170 V O Y A Gr E S
transformation de la chaux en silex. Prenons pouf
exemple un morceau 5 il est blanc en certains
endroits; cette blancheur s’évanouit insensible-
ment , se perd dans une ombre rougeâtre qui
va croissant, et la pierre prend enfin cette cou-
leur rouge , brune ou noire , qui est le propre
du silex. Sa dureté suit les différentes nuances
de la couleur , et devient successivement plus
grande. Là où la pierre est blanche, elle ne produit
aucune étincelle sous le choc du briquet ; là où
elle est d’un rouge pâle , elle n’en donne que de
faibles : elle en fait jaillir de très-vives quand elle
est d’un rouge vif , ou qu’elle est noire. Il y a.
plus ; si d’un bout à l’autre on y étend de l’acide
nitrique , il se fait une effervescence dans la par-
tie blanche ; mais cette effervescence diminue
graduellement en passant de teintes en teintes*
et tout mouvement cesse là où la rougeur est
très-foncée , et où l’acier produit de fortes étin-
celles. Toutefois ces caractères ne décident rien
pour le chimiste. La diversité des couleurs ne
différencie point les espèces dans les trois règnes ;
la dureté et la scintillation n’excluent point la
présence de la terre calcaire ; et bien qu’on ait
fait de l’incapacité d’étinceler sous le choc du
briquet un caractère distinctif de la pierre à
chaux , il n’en est pas moins démontré que plu-
sieurs pierres de ce genre jouissent de cette fa-
DANS LES DEUX SICILE S. Î7I
culte. Je possède quelques échantillons de marbre
de Carrare qui jettent beaucoup d’étincelles,
sur-tout dans les endroits où ils sont spathiques*
On peut en dire autant de l’effervescence 3 il est
des pierres calcaires que les acides dissolvent
sans y exciter aucun mouvement.
Pour savoir donc à quoi m’en tènir sur cette
prétendue transformation de la chaux en silex, je
pensai qu’il fallait recourir à l’analyse chimique *
et lui soumettre des fragmens du même morceau,
les uns blancs , les autres passant du blanc au
rouge : ceux-ci d’un rouge clair , ceux-là d’un
rouge foncé. En voici les résultats. Dans les pre-
miers fragmens , je trouvai une dose de chaux
très-forte , et une petite de terre siliceuse ( je
passe sous silence le gaz carbonique et le peu
d’alumine qui y existaient ) 3 dans les seconds ,
une forte dose de chaux , et une médiocre de
terre siliceuse 3 dans les troisièmes > une dose
médiocre de chaux , et une forte de terre sili-
ceuse 3 enfin dans les quatrièmes , une dose très-
forte de terre siliceuse , et une très-petite de
chaux. Ces faits me dispensèrent de recourir à
des métamorphoses imaginaires pour expliquer
les gradations dont j’ai parlé. Les silex qui cons-
tituent une même couche avec la pierre calcaire,
annoncent qu’ils ont été produits en même temps,
M a
175 VOYAGES
c’est-à-dire , à l’époque où les eaux de îa mer,
chargées de particules calcaires et siliceuses, en
ont abandonné dans ce lieu les nombreux sédi-
mens. Quand ces dernières se sont trouvées réu-
nies ensemble en grande abondance, elles se sont
aglutinées par la force d’affinité , et ont formé ,
par la précipitation , des couches siliceuses en
continuation avec les calcaires. Quand, au con-
traire , les particules siliceuses se sont trouvées
en moins grand nombre relativement aux cal-
caires , elles se sont unies à ces dernières, et ont
formé les mélanges des deux terres dans les pro=
portions indiquées par les analyses précédentes.
Il ne faut pas oublier que ces silex n’ont pas
toujours une connexion directe avec la pierre
calcaire $ ils s’y trouvent quelquefois interposés
sous la forme de globes , ou de lentilles revêtues
d’une croûte grisâtre , telle qu’on en voit sur
une multitude de cailloux de ce genre. Il est
possible que îa génération de ces globes , de
ces lentilles siliceuses , soit postérieure , et que
la filtration les ait produites après la formation
des lits calcaires.
Je ne dirai rien des autres carrières ouvertes
dans diverses parties des monts Euganéens : elles
ne m’ont fourni aucune nouvelle remarque à
ajouter aux précédentes.
DANS LES DEUX SICILE S. 1-73
Mais , pour revenir aux productions volca-
niques , je parlerai d\me espèce de lave très-
curieuse. Près de Teolo , s’élève une petite col-
line appelée le mont du Boldu y composée
principalement de globes pierreux de diverses
grosseurs , dont la contexture présente des cou-
ches étroitement liées avec un noyau central.
Ces globes , de couleur ferrugineuse , sont par-
semés de points brillans que l’on prendrait pour
des micas ; mais en les examinant avec atten-
tion, on découvre que ces points sont autant de
particules de pierre de poix , dite pechstein par
les Allemands., Vues au grand jour , elles pa-
raissent de couleur plus ou moins blonde, et
chacune est douée d’un certain degré de trans-
parence. Elles sont , non combinées , mais unies
mécaniquement à une base de pierre de corne
molle et grenue. Traités avec le feu, ces globes
se fondent en un émail noir, opaque, solide et
compacte.
Cette observation me donna lieu de croire que
je trouverais dans queîqu’endroit des monts Eu-
ganéens la lave résiniforme. Je la découvris en
effet dans une petit© vallée au sud, située sous
Bajamonte. Elle y constitue un filon de trente-
cinq pieds environ de longueur, et de neuf pieds
et demi de largeur. Elle est très-altérée à la sur-
M 3
VOYAGES
Iji
face, et se brise facilement sous les doigts : in-*
térieurement elle est moins molle , mais encore
friable. Les morceaux qui se trouvent rompus
dans le filon prennent souvent une forme ovoïde,
et cette forme reparaît encore quand on les ré*
duit en plus petits morceaux. On sait qu’en hu-
mectant une pierre brute , on produit sur elle
l’effet d’un demi-poli ; pour faire ressortir la
couleur de celle-ci , il faut donc la mouiller ;
alors elle prend le véritable aspect de la pierre
de poix. Elle présente en quelques endroits des
teintes d’un rouge tantôt pâle , tantôt foncé ,
quelquefois tirant sur le jaune , et on dirait de
l’ambre; en d’autres, un mélange léger de bleu,
de vert , de blanc. Sa cassure est toujours irré-
gulière , inégale à la surface , peu luisante , et
transparente dans les bords. Elle renferme des
feîd-spaths disposés en tables , friables, peu bril-
lans , distribués inégalement dans sa pâte : elle
se brise à chaque coup de briquet , et ne donne
aucune étincelle.
L’action du feu , soutenue pendant quelques
heures, ôte à cette lave ses propres couleurs,
et lui en donne une cendrée 3 elle lui enlève sa
friabilité, sa mollesse, et la met en état de pouvoir
fournir quelques étincelles : elle ressemble alors à
une pâte de porcelaine, Si l’on prolonge l’épreuve,
DANS LES DEUX 5ICILES. 178
îa couleur cendrée reste 5 on voit se former un
grand nombre de bulles , et la lave se convertit
en un émail homogène et vésiculaire : les feld-
spaths se fondent,
La petite vallée de Bajamonte n’est pas ce-
pendant le seul endroit qui fournisse cette espèce
de lave 5 j’en ai trouvé ailleurs , et d’abord je
nommerai le mont Sieva et ses environs. Elle y
forme des bancs ou filons , dont les directions
sont tantôt obliques , tantôt perpendiculaires à
l’horizon. Un de ces derniers filons possède ab-
solument la couleur , le lustre de la pierre de
poix : il renferme des feld- spaths. Extérieure-
ment sa lave ne diffère point de la précédente ;
on y découvre cependant une particularité qui
la rend précieuse aux yeux du volcaniste. Les
pierres ponces sont un genre de productions qui
dénotent visiblement l’action du feu. Un voya-
geur qui rencontrerait dans les montagnes un
filon dont l’origine lui paraîtrait incertaine, mais
qui le verrait passer immédiatement à l’état de
ponce, ne se tromperait point en le jugeant
volcanique. C’est ce qui m’est arrivé en exami-
nant la roche en question , laquelle renferme des
groupes plus ou moins gros de ponces fibreuses,
légères , cellulaires , non pas simplement en-
castrés , mais formant un seul corps avec elle ^
M 4
1
VOYAGES
S 76
de manière que ces ponces paraissent être des
parties même de la roche , qui , par un coup
de feu plus fort , ou peut-être par une plus grande
facilité à se vitrifier , ont passé à cet état»
Outre une lave à base de pétro- silex, très-
semblable au pétro-silex naturel par sa densité ,
quoique fusible au fourneau, le mont Sieva four-
nit un filon de lave résiniforme d’une plus grande
extension , posé presque verticalement. Elle a
la couleur de la résine , un lustre agréable , de
la finesse dans le grain , de la compacité 5 mais
elle n’a pas assez de dureté pour étinceler sous
le choc de l’acier. Sa cassure est lisse et nette ;
ses fragmens sont irréguliers , seini-transparens
aux extrémités : elle renferme des feld-spaths
qui ont l’aspect vitreux.
Au reste cette lave , telle que je viens de la
décrire , ne compose pas à elle seule tout le
filon 5 elle ne forme que de petits morceaux
étroitement liés par une substance pierreuse qui
leur a servi de gluten , ou , si l’on veut , de ci-
ment. Ces morceaux n’ont point été roulés et
arrondis 5 ils sont au contraire irréguliers et aigus
dans les angles. Il parait de-là que cette lave
a été déchirée et réduite en éclats par une force
quelconque, mais puissante, et qu’ensuite les
débris en ont été saisis par une substance pier-
DAirs LES DEUX SICILE S. IJJ
reuse ; et cette substance bien examinée , ne pa-
raît être qu’une poussière très- fine de la même
lave qui s’est aglutinée , et , de plus, a enveloppé
d’autres petits corps étrangers.
Au Cataïo , terre appartenant au marquis des
Obizzi , on voit des brèches semblables au pied
de la montagne , où Ton a pratiqué de pro-
fondes carrières $ elles sont liées par un ciment
congénère : la seule différence est que les frag-
mens de lave résiniforme sont beaucoup plus
petits.
Dans un autre endroit de cette montagne ,
la même lave reparaît 5 mais ce n’est plus sous
la forme de brèche : elle est disposée par petits
filons , et ressemble beaucoup à celle de Ba-
jamonte.
Les expériences auxquelles j’ai soumis la pre-
mièrei espèce de lave résiniforme , je les ai ré-
pétées sur les suivantes, sans en excepter la base
des brèches ci-dessus indiquées , et j’en ai ob-
tenu la même qualité d’émail cendré et cellu-
laire.
J’ai dit que ces laves ressemblent à la pierre
de poix 5 elles en diffèrent cependant par une
propriété remarquable qui consiste dans une
VOYAGES
178
facilité extrême à tomber en fusion , tandis que
la pierre de poix est réfractaire à un feu violent.
Ayant à ma disposition plusieurs pierres de
poix non volcaniques, je voulus en faire l’essai au
fourneau. J’en choisis neuf : trois de l’île d’Elbe 5
une cendrée et presqu’opaque , une semi-trans-
parente et jaunâtre, une opaque et tirant sur le
noir • trois d’Allemagne , une jaune , une rouge,
une noire , et chacune opaque 5 trois des Pyré-
nées, une rouge, une verdâtre , et une tenant
le milieu entre le vert et le bleu pâle , chacune
peu transparente dans les angles. Les six pre-
mières , après avoir été tourmentées par le feu
pendant quarante-huit heures, n’ont donné au-
cun signe de liquéfaction ; elles sont devenues
blanches, très - légères , et friables entre les
doigts. Il n’en a pas été de même de celles des
Pyrénées , qui se sont converties en un très-bel
émail blanc, étincelant sous le briquet, et plein
de petites bulles. Les pierres de poix de la Saxe
qui existent dans des lieux non volcanisés , sont
de même fusibles à un feu très-modéré , comme
l’a observé Lamétherie.
On a donné diverses analyses de la pierre de
poix , ou pechstein. Bergman en a extrait une
forte dose de silice , une moindre d’alumine , eE
une plus petite de chaux.
DANS LES DEUX SICILES. I79
Une autre pierre de ce genre y analysée par
Wiegleb } a donné :
Silice ...... 65.
Alumine . 16.
Fer 5 .
Les quatorze parties restantes pour compléter
le nombre de cent ont été perdues dans l’opé~
ration.
Une troisième pierre a fourni à Gmelin :
Silice go.
Alumine 7.
Fer 3,
Les laves résiniformes des monts Euganéens
n’avaient point encore été analysées chimique-
ment 5 je voulus faire ce travail sur les trois dont
j’ai parlé. En voici les résultats :
I. Lave résiniforme au-dessous de Bajamonte „
Silice
71*
Alumine .....
18.
Chaux
4 ■
Fer
5.
l8o VOYAGES
II. Lave rêsiniforme du mont Sieva en très-
beaux morceaux , et bien conservés .
'Silice : .... j3 {.
Alumine .......... 14.
Chaux . . y ........ 8.
Fer 5 f
N \
III. Lave rêsiniforme du mont Sieva qui sert de
ciment ou de base aux morceaux ci-dessus.
Silice . . 68
Alumine *19.
Chaux 8.
Fer ............ 2.
En comparant ces trois analyses de laves ré-
siniformes des montagnes de Padoue avec celles
de Bergman , de Wiegleb et de Gmeiin, on voit
que la partie dominante dans les six pierres est
la terre siliceuse 5 que l’alumine s’y trouve en
dose médiocre ou petite, ainsi que la chaux et
le fer. Il est donc évident qu’elles appartiennent
au même genre. L’infusibilité qui est propre à
certaines pierres de poix non volcaniques, n’est
pas une différence essentielle 5 il en est d’elles
comme des pétro-silex, dont les uns se fondent,
et les autres sont réfractaires. Au reste, ce n’est
pas une propriété commune à toutes les laves rési-
I
DANS LES DEUX SICÏLES. iBl
niformes , que celle de se liquéfier avec facilité ;
le mont du Mussato, dont je parlerai bientôt,
contient des laves de ce genre , qui exigent un
feu soutenu pendant plusieurs jours de suite pour
se fondre entièrement. Celles des îles Ponces ,
qui sont d’un blond pâle , qui ont la cassure nette
et lisse , ne font , au bout de quelques heures ,
que se colorer d’un rouge foncé , et ne tombent
en fusion qu’au bout de trente heures.
Il est remarquable que presque toutes les
laves résiniformes , quelle qu’en soit la couleur,
rougissent dès qu’elles sentent l’action du feu.
Ce sont ces laves , très-abondantes dans les
monts Euganéens , qui donnèrent lieu à l’erreur
du Père Terzi , religieux Bénédictin 5 il les prit
pour de grands amas de verre , et fit part de
sa découverte dans des lettres publiées il y a
quelques années. Entr’autres lieux cités, il disait
en avoir trouvé de gros filons dans le mont du
Mussato et à Brécalon. La nouvelle causa de la
surprise aux naturalistes de Padoue , et sur-tout
à l’abbé Fortis, qui ayant plusieurs fois parcouru
ce pays pour en examiner les fossiles, n’y avait
jamais rencontré du verre. Pour s’assurer du
fait , il se transporta de nouveau sur les lieux,
reconnut l’équivoque du Père Terzi , et détrom-
pa le public dans un écrit plein de savoir , inti-
1É2 , V O Ÿ A G E a
talé : Mémoires sur diverses parties des mon *
tagnes de Padoue .
En 17g 2 5 au mois de septembre , le marquis
Antonio Orologio et moi , nous allâmes visiter
cet habile physicien dans sa maison de campagne
de Galzignano $ il nous conduisit au mont du
Mussato , dans l’endroit même où le Père Terzi
avait cru voir de gros filons de verre. Nous y
reconnûmes tous les trois une simple lave résini-
forme analogue aux précédentes , et constituant
deux espèces distinctes, La première est entre-
coupée par de petites veines de terre blanche ,
laquelle s’attache à la langue et sent l’argile. Au
moyen de ces veines , la lave paraît divisée en
compartimens. Elle renferme divers corps étran-
gers très-remarquables ; ce sont de petits frag-
mens de roche de corne , manifestant cette po-
rosité qui caractérise les vraies laves y tel entre
autre un fragment de la grosseur de deux pouces
renfermé dans un des échantillons de cette lave,
que j’ai déposé au muséum de Pavie. Ce frag-
ment de roche de corne est parfaitement con-
servé et très-poreux : ses pores arrondis et ellip-
tiques, indiquent qu’il a fait partie d’un courant.
La seconde espèce , à en juger par mes échan-
tillons, est analogue à la première, tant par la
pâte que par la couleur semblable à celle de la
DANS LES DEUX SICILE S. J 83
térébenthine, mais plus foncée et moins vive*
Elle en diffère en ce qu’elle forme des masses
par elle-même, et qu’elle abonde en feld-spaths
irréguliers , peu ou point brillans.
De toutes les laves résiniformes que j’ai ren^
contrées dans les monts Euganéens, cette der-
nière est la plus compacte , la plus pesante , la
plus dure • mais les yeux suffisent pour saisir la
différence qu’il y a entre ces sortes de laves et
le verre volcanique. L’idée de ce verre est prise
de celle que nous nous sommes formée du verre
artificiel , et nous savons que la nature de ce
dernier est d’avoir de la transparence , de jeter
un grand éclat, d’être composé de particules
imperceptibles , de se rompre en morceaux an-
guleux dont les bords sont minces , les pointes
tranchantes et aiguës ; d’avoir la cassure lisse et
glissante, ou striée, ondoyante et courbe. Aucun
de ces caractères n’est étranger au verre vol-
canique , tandis que dans la lave résiniforme ,
on voit une surface terne , une pâte fine , à la
vérité , mais non comparable à celle du verre ;
une cassure moins lisse, point tranchante 3 déplus,
sa transparence est très-faible et souvent nulle.
Elle se distingue encore du verre volcanique par
un moindre degré de dureté. Celui - ci , pour
l’ordinaire , est assez dur pour tirer des étincelles
184 VOYAGES
de l’acier, tandis que la lave résiniforme n’en
produit aucune , et se brise à chaque coup de
briquet. Enfin le poids est comparativement plus
grand dans le verre que dans la lave.
Mais si le Père Terzî voulait ne conserver au-
cun doute sur la nature de ces filons ,* il n’aurait
qu’à en faire fondre un petit morceau dans le
creuset j le résultat serait un véritable émail
ayant un aspect vitreux, qui n’apparaissait point
auparavant dans la la^e. Ainsi cette substance
doit être exclue , non-seulement de la classe des
verres volcaniques , mais encore de celle des
émaux.
Dans une de nos excursions , le marquis Oro-
logio et moi , nous nous rendîmes à Praglia ,
et nous visitâmes l’antique monastère des Bé-
nédictins , où nous fûmes reçus avec beaucoup
d’empressement parle Père Terzi. Il nous mon-
tra la collection volcanique qu’il avait faite dans
les monts Euganéens, et nous fit présent de quel-
ques morceaux qui méritent une description par-
ticulière.
Le premier est un amalgame de feld-spaths
irréguliers , blancs , friables, et de schorls noirs,
prismatiques , brillans , et très-analogues à cer-
taines espèces de tourmaline. Traité avec le feu,
cet
BANS LES DEUX SICILE S. l8§
oet amalgame se fond en un émail très-noir ,
très-dense , et parsemé de points blancs , c’est-
à-dire , de feld-spatbs à demi-vitrifiés : les schorls
sont attirables à l'aimant à la distance d’une ligne
et quatre cinquièmes. D’après l’indication du
Père Terzi , on trouve cette production à Schi-
vanoïa.
Le second , provenant de .Monte-Merio , pré-
sente une agrégation de felçUspaths très-blancs et
lui&ans, de couleur changeante et semi-cristalli-
sés ; ils se fondent dans le creusent en un verre
blanc, un peu spongieux , mais dur.
Le troisième , du même lieu ; sè fait prendre
au premier aspect pour une pierre ponce, parce
qu’il surnage sur l’eau. Mais quand on l’examine
attentivement , on ne voitqu’une scorie vitreuse,
assez dure dans ses parties solides pour tirer
des étincelles du briquet , gonflée et rendue
spongieuse^par l’action du feu et des substances
aeriformes : elle se vitrifie parfaitement dan$ le
creuset.
Le quatrième et le cinquième , l’un de Mas-
eabo près Praglia, l’autre de Tramonte, n’étaient
que des laves résmiformes que le Père Terzi pre-
nait pour des verres.
Je n’eus pas le temps de vérifier ces indica-
Tomelll. N
1 86 VOYAGES
tions locales ; sans doute elles étaient exactes,
je puis du moins l’assurer quant aux deux autres
productions dont je vais parler, les ayant re-
vues dans Ips endroits mômes que ce religieux
m’av.ajt désignés.
L’une gît au pied d’un rocher élevé , nom-
mé la Pendise , et forme un filon qui court de
l’est à l’ouest : c’est un de ceux que le Père
Terzi avait qualifiés de verre. Certainement si ,
après en" avoir enlevé l’écorce qui est en dé-
composition , et a par conséquent perdu la plu-
part de ses caractères , on le considère en bloc ,
on croit voir une véritable substance vitreuse.
L’aspect en est lisse et brillant, un peu onc-
tueux /qualité propre à certains verres volca-
niques moins parfaits que les autres. Mais en le
considérant dans la cassure , on n’en retrouve
plus les caractères 3 point de finesse dans la pâte,
point de stries ondoyantes à la surface , point
de tranchant dans les bords et dans les angles.
Sans crainte de se blesser , on peut en rouler
les fragmens entre les doigts, ce qu’on ne ferait
pas impunément avec le verre volcanique. On
sait d’ailleurs que les roches primordiales qui
passent à l’état de verre par l’action des feux
souterrains ne sont plus reconnaissables, qu’elles
perdent leur structure primitive , et qu’elles se
DANS LES DEUX SICILE S. 187
réduisent avec les substances étrangères qui y
sont renfermées , telles que les scborls et les
feld-spaths, en une masse similaire et homo-
gène. Mais la roche ci-dessus ne dément point
son origine ; on s’apperçoit qu’elle dérive d’un
pétro-silex vert obscur, dont la cassure est un
peu écailleuse et conchoïde , le grain médiocre-
ment fin , qui n’étincelle point avec le briquet,
et n’a qu’un léger degré de transparence dans
les bords. Les feld-spaths et les micas , au lien
de faire avec sa base une pâte homogène , s’y
sont maintenus dans une conservation parfaite.
Dans les endroits où le pétro-silex n’a pas été
altéré , il est impossible de déterminer la cris-
tallisation des feld - spaths ; mais , comjne ils
tiennent peu dans la croûte superficielle où la
base a été en partie détruite , il est aisé de les
en détacher entiers , et l’on voit que ce sont
de petits cristaux prismatiques, à faces tétraè-
dres , rectangulaires. On ne peut donc donner
le nom de verre à cette roche : on doit tout au
plus la reconnaître pour une lave vitreuse.
A coté de ce filon de roche volcanique , il
existe une autre roche congénère , qui renferme
également des micas et des feld-spaths de même
nature; sa couleur est d’un vert clair; sa dureté
est plus grande , mais elle n’a pas le lustre de
N 2 ,
1 88 VOYAGES'
îa première. Ces deux roches , placées dans fe
creuset , se convertissent en un émail cendré ;
les teid-spatns se fondent entièrement $ les micas
sont réfractaires, et paraissent comme autant de
points noirâtres dans l’émail.
î/âutre production m’avait été indiquée par
îè *Pkrè Terzi près de l’église de Valsanzibio, il t
m’en avait parlé comme d’un verre errant ; et
en ‘effet, l’échantillon qu’il me montra chez lui
ine parut en avoir tous les caractères 5 il était
hoir, etfaisait feu avec le briquet. Je me félicitai
àvëë lùi de son' heureuse découverte , et n’eus^
rien ae plus pressé que de me rendre à Val-
sanzibio pour me mettre à la quête de ce verre.
3’ëh trouvai en effet plusieurs morceaux , non
‘sous terre , ou tenant à Un rocher , mais épars
à là surface dès champs ou sur les chemins r
ce qui me lit tiaître quelque doute. Ayant in-
terrogé les nabi tari s dû lieu , ils me dirent que
dés bergers avaient enlevé ces verres aux gro-
tesques qui embellissent les fontaines du jardin
de Barbarigo , et que les ayant ensuite trouvés
inutiles , ils les avaient jetés çà et là. C’était la
vérité, car m’étant approché de ces fontaines,
je vis que les verres qui y tenaient encore étaient
semblables à ceux que j’avais rencontrés dans
les châîüps, et je sus par le jardinier qu’ils avaient
DANS IBS DJCX SÏCILES.
été pris dans les scories des fourneaux de Mu-
raoo près V enise.
Je ne citerai plus qu’un échantillon de U col-
lection volcanique du Père Terzi. C’était encore,
selon lui , un verre de volcan trouvé à Monte-
Merlo. N’ayant pas été sur les lieux , je ne puis
prononcer sur son origine, }\ était noir, compacte
et pesant. Peut-être provenait-il des eiobrase-
mens souterrains de ce pays, éteints depuis tant
de siècles. Strange lui-même, dans son Catalogue
raisonné , n°. 62 , fait mention de quelques mor-
ceaux solitaires de verre fossile trouvés dans les
monts Euganéens. Quoi qu’il en soit , celui des
fourneaux de Murano doit nous apprendre à sus-
pendre notre jugement sur l’état volcanique d’un
pays , quand nous n’en avons d’autre indice que
quelques morceaux errans de verre , de scorie,
ou de telle autre substance travaillée par le feu;
et quand tout nous prouverait que ce feu a été
volcanique, encore devrions-nous être en doute
sur la volcanisation même du pays. J’en puis
apporter un exemple , qui s’offrit à moi dans
l’excursion que je fis au sommet du Cap-Colonne,
promontoire de l’Attique, distant de vingt et un
milles d’Athènes , en 1785, allant à Constantino-
ple avec le chevalier Zulian , ambassadeur de Ye-
nise. Là , je fus surpris de voir éparses sur la terra
N 3
VOYAGES
îgo
des pierres ponces ; car , d’ailleurs , la montagne
ne me présentait aucun signe de volcanisation.
Elles étaient de l’espèce légère qui se soutient à la
surface de Feau , et globuleuses , ce qui me fit
soupçonner qu’elles avaient été roulées. En des-
cendant de ce promontoire, j’allai vers la plage
près d’une langue étroite de terre battue par les
flots j et j’y trouvai trois ponces semblables qui
m’éclairèrent sur l’origine de celles qui existaient
au sommet de la montagne , à cent-soixante pieds
de hauteur, où elles avaient été indubitablement
transportées par les hommes $ car les unes et
les autres étaient du nombre de celles que les
courans de la mer amènent sur les rivages : il
est à croire qu’elles provenaient de quelqu’île
volcanique de l’Archipel , peut-être de Santorin ,
qui en est une mine inépuisable.
Les raisons que l’on a de douter de certaines
relations qui disent d’un pays qu’il est volca-
nique, par cela seul qu’on y voit des corps er-
rans portant l’empreinte des feux souterrains ,
peuvent également s’appliquer à d’autres rela-
tions , qui assurent la même chose sur des fon-
demens non moins incertains. Ici , dit-on , il a
existé un volcan , parce que les matières sont
noires , et que par conséquent elles dénotent
Faction du feu y là , parce que l’on voit des
PANS LES DEUX SICILE S. 1(^£
laves qui ont déchiré le sein d’une montagne ,
ou des bancs de roches volcaniques interposés
dans ses crevasses.
Ils ne sont pas rares } les auteurs qui , sans autre
spécification , usent de telles expressions , ou
d’autres équivalentes , pour annoncer à leurs
lecteurs la découverte de quelqu’ancien volcan
éteint. Je ne nie pas que le fait qu’ils avancent
ne puisse être vrai , mais je soutiens que les ca-
ractères qu’ils lui assignent sont équivoques , et
même trompeurs. Si plusieurs substances vol-
caniques sont noires , à divers degrés ; si cette
couleur s’y conserve pendant une longue suite
de siècles , comme dans les laves des îles Æo-
liennes , il en est d’autres où elle s’évapore et
se perd avec le temps , comme dans la plupart
des laves du Vésuve et de l’Etna , qui , plus ou
moins noires dans le principe , finissent par res-
sembler à de la terre commune. Il suffit de jeter
les yeux sur les éruptions récentes , sur celles
du moyen âge , et sur les plus anciennes de
ces deux volcans , pour se convaincrê de cette
mutation de couleur. Il y a plus $ les laves mê-
mes très -récentes ne sont pas toujours noires.
Souvent des roches primordiales , après avoir
été tourmentées par le feu } retiennent encore
la couleur qui leur est propre. Ainsi telle lave
■N 4
V O Ÿ A G E S
ï52
éstî noire parce que c’était ta couleur de sa roche*
k pierre de corne par exemple ; une autre est
grise* cendrée ou blanche * parce qu’elle dérive
du feld- spath ou du pétro -silex. Cette diversité
de couleur * noire * grise * cendrée * ou plus ou
moins blanche * appartenant aux roches primi-
tives * se remarque jusque dans les émaux et
îês verres qui proviennent de ces mêmes roches
fondues dans le creuset. Il est donc évident que
la simple couleur des matières est un signe équi-
voque de leur vulcanisation.
Mais on n’avance rien de plus concluant *
quand on se bo’rne à dire qu’il existe dans un
pays des bancs de roches volcaniques ; cette
assertion est trop vague pour satisfaire l’esprit.
Dans l’état actuel de nos connaissances* on exige
de l’exactitude et de la précision. On demandera
à un relateur qui dit * fai vu des matières vol-
caniques * quelle est la nature de ces matières ;
sont -ce des cendres* des verres * des émaux ,
des scories , des laves ? On lui demandera de les
désigner par leurs propres caractères; car enfin *
l’avancement de la science dépend de l’exacti-
tude et de la clarté des descriptions. C’est ainsi
que procèdent les meilleurs voîcanistes * à la
tête desquels se distingue Faujas-Saint-Fond *
dont l’ouvrage intitulé : Minéralogie des vol -
DANS LES DEUX SICILE S. lcj3
cans , doit servir de guide et de modèle en ce
genre.
Je placerai ici une réflexion générale sur les
laves , qui m’est venue en considérant la struc-
ture des monts Euganéens. Chacun sait que l’on
donne le nom de lave à une substance pierreuse
qui s’est fondue et a coulé. Ainsi , quand une
montagne conique porte à son sommet un bassin
en forme d’entonnoir renversé , ou du moins en
conserve des traces sensibles ; quand de ce bas-
sin , comme d’un centre commun , les couches
de roche vont se dirigeant avec un mouvement
d’ondulation vers les parties inférieures , ou pré-
sentent à leur surface des tumeurs , des inégali-
tés , on ne peut méconnaître la présence des
laves. On a la même certitude , lorsqu’ayant
d’ailleurs des preuves de la volcanisation d’une
montagne , on voit les couches de roche se di-
riger du sommet vers la base avec les mêmes
ondulations, quoique toute trace de cratère soit
effacée. Plusieurs îles de l’archipel Æoîien sont
dans ce dernier cas; mais quel est l’observateur
qui s’est transporté sur la cime de leurs monts ,
et n’a pas reconnu , à la disposition du sol , l’efFet
des courans de lave ? Cependant il y a tel pays
travaillé par le feu , où le manque de ces circons-
tances locales peut faire douter si les roches
VOYAGES
*94
volcanisées qui s’offrent à la vue ont véritable-
ment coulé. J’éprouvai cette incertitude en par-
courant pour la première fois les monts Euga-
néens 3 et j’étais d’autant plus disposé à suspendre
mon jugement, que j’en trouvais le motif dans
mes propres observations. En réfléchissant sur la
possibilité que les roches de ces monts n’eussent
jamais coulé , quoiqu’elles manifestassent inté-
rieurement des marques sensibles du feu, je me
rappelai certains résultats de mes expériences
précédentes sur les roches primordiales et sur
les laves, dont je vais rendre compte succincte-
ment, pour ne pas trop m’écarter de mon objet
principal.
J’ai fait mention, dans le chapitre XI, de plu-
sieurs porphyres à bases de pierre de corne et
de pétro-silex , qui se sont fondus dans le creu-
set. Voici ce que l’on y observe un peu de temps
avant que la fusion arrive. Les morceaux, d’abord
raboteux et anguleux , acquièrent une surface
lisse et vitreuse 3 dans l’intérieur , le grain prend
un aspect qui tient plus du vitreux que du si-
liceux, et cela se voit même dans les porphyres
à base de pierre de corne ayant une apparence
terreuse. Ils s’attachent ensemble par quelques
points , mais n’en conservent pas moins leurs
angles et leur figure primitive. Cette dernière
DANS LES DEUX SICILE S. lCp
circonstance a lieu dans les expériences sui-
vantes.
Le feld-spath du mont Saint -Gothard , ou
Yadulaire du Père Pini , perd sa couleur cha-
toyante , sa diaphanéité , blanchit dans son in-
térieur, y devient un demi-émail, et présente
au-dehors un aspect vitreux.
Dans les feld-spaths d’ischia , la vitrification
pénètre de quelques lignes leur surface.
Il existe une terre employée pour certaines
poteries de Pavie , et nommée biella, du lieu d’ou
on la tire. Cette terre est composée d’alumine ,
de terre siliceuse , et d’un peu de chaux. En
général , elle est réfractaire aux fourneaux de
verrerie ; cependant elle est sujette à se fondre
lorsque la dose de chaux y est combinée en plus
grande proportion. Ayant fait avec cette terre
de petits globes et de petits cubes , et les ayant
placés dans le creuset , je vis , au bout de quatre
ou cinq heures , que la vitrification les avait pé-
nétrés de deux tiers de ligne , et môme d’une
ligne entière , et -que leurs centres étaient de-
venus semi-vitreux.
Des efFets analogues s’observent dans les laves.
Elles prennent à leur surface un aspect vitreux
qui s’affaiblit vers les parties centrales. Plusieurs
VOYAGES’
196
manifestent même dans ces parties des points
vitreux, quoiqu’àuparavant elles ne renfermas-
sent pas un seul atome de verre. En général ,
on n'y reconnaît plus le grain et le tissu de la
roche dont elles dérivent , et on les prendrait
toutes pour autant de laves vitreuses.
Voilà donc un grand nombre de productions
fossiles qui ont l’apparence de laves ., et de laves
vitreuses , sans avoir jamais éprouvé de fusion 5
témoins les morceaux de roche des expériences
ci-dessus, qui , sortant du fourneau , ont reparu
avec la configuration qu’ils avaient avant d*y
entrer.
Instruit par ces faits, j’avoue que, visitant pour
la première fois les monts Euganéens, et voyant
un théâtre de choses bien différent de celui que
m’avaient offert les îles Æoîiennes , l’Etna , le
Vésuve , je doutai s’ils devaient leur origine aux
éruptions volcaniques , ou s’ils préexistaient aux
incendies souterrains qui, dans ce dernier cas,
n’auraient fait que les pénétrer , agir fortement
sur eux en y gravant çà et là leurs traces ineffa-
çables, et les auraient laissés à leur place tels que
nous les voyons aujourd’hui. Mais je fus bientôt
convaincu que ces amas immenses de roches
avaient été formés par des éruptions ignées, ou
courans de laves ; et je trouvai dans le phéno-
1) ANS LES DEUX SI CIL ES, 1$?
mène de leur porosité , un garant de la vérité
de mon opinion. En effet , les gaz élastiques gé-
nérateurs de ces pores , de ces cellules , pour-
raient-ils ainsi les former dans les roclies > si elles
n’étaient ramollies au point de céder à l’effort
expansif de ces substances aériformes , effort qui
ne peut avoir lieu que dans leur liquéfaction ac-
tuelle ? en ceci l’expérience est d’accord avec le
raisonnement. Quand mes porphyres à base de
pétro-silex ou de pierre de corne } et généra-
lement les laves compactes que j’ai soumises à
l’action du feu , ont contracté on simple vernis
vitreux , sans que les morceaux en soient venus
à s’aglutiner, et à former une seule masse uni-
forme , les bulles ne se sont point montrées 5
mais lorsque la fusion s’est accomplie > les bulles
ont paru en grand nombre „ et d’autant plus
grosses , que ces substances éprouvaient uri
degré de liquéfaction plus considérable. La po-
rosité dans les roches volcaniques est donc un
signe certain qu’elles ont coulé. C’est le cas où
se froncent la plupart de celles des monts Eu
ganéens : j?en ai déjà cité quelques-unes , je
vais donner l’indication des autres.
La première forme la pente d’une montagne
dont j’ai oublié 'le nom , ayant omis de Le noter
dans mon journal. Elle est à base de pierre de
y O Y A O E s
198
corne , parsemée de cristaux feld-spathiques, et
pleine , tant à la surface que dans le centre , de
bulles rondes , telles que les fluides aériformes
les produisent dans les laves.
Une autre des plus remarquables par la gros-
seur et le nombre de ses bulles , gît le long du
chemin qui conduit de Bajamonte à Rua. Elle a
pour base la pierre de corne 5 elle sent l’argile 5
sa couleur est de feuille morte ; elle a un grain
sablonneux , et renferme un grand nombre de
cellules arrondies qui ont depuis un point jusqu’à
sept lignes de diamètre , et dont plusieurs sont
occupées par de petits globes de carbonate de
chaux cristallisés que l’infiltration y a engendrés.
L’aspect extérieur de cette lave indique sa très-
haute antiquité : traitée avec le feu, elle se fond
en un émail noir et opaque.
Au sud-ouest de Rua, on trouve de gros blocs
de roche volcanique détachés du sommet de la
montagne. La couleur de cette roche varie 5 elle
est tantôt cendrée , tantôt rougeâtre , tantôt d’un
violet clair. Sa base est un pétro-silex à grain
terreux. Outre des micas hexagones à côtés obli-
ques, on y découvre des feld-spaths transparens,
tantôt cubiques , tantôt prismatiques , et quel-
quefois irréguliers, très-étincelans sous le bri-
quet , et formant des lames brillantes : les plus
DANS LES DEUX SICILE S. 199
grands ont cinq lignes et un tiers. Ces cristaux ,
remarquables entre tous ceux que j’ai décrits
jusqu’à présent, enferment étroitement une por-
tion de la base pétro-siliceuse qui leur sert comme
de noyau , et occupe une bonne partie de leur
aire. Quelle est la cause de cet accident , et com-
ment est -il arrivé? J’imagine que lorsque les
particules intégrantes des feld-spaths disséminées
dans la base terreuse et liquide , s’unirent , par
la force d’agrégation , en petites masses cristal-
lisées , chacune de ces masses emprisonna une
portion plus ou moins grande de la base 5 mais
la rareté du phénomène suppose une circons-
tance locale qui a eu des rapports directs avec
cette singulière combinaison , et que j’ignore ab-
solument.
Ces feld-spaths se fondent dans le creuset ,
et s’unissent tellement avec leur base , qu’il en
résulte un verre solide , blanc , semi-transparent,
pointillé de noir par les micas de cette couleur
qui résistent à la fusion.
Je passe sous silence une autre lave poreuse
de Rua , et deux laves compactes à base de pierre
de corne qui existent dans les environs , et n’ont
rien de particulier. Mais je m’arrêterai sur celle
qui présente des couches obliques à l’horizon ,
le long du chemin conduisant de Galzignano à
200 VOYAGES
Ciesa. Elle est blanche , compacte comme la
pierre calcaire fine , à qui elle ressemble par
l’aspect la cassure et le poids. Elle jette quel-
ques étincelles sous le briquet , et se distingue
des autres laves par des points d’un vert tendre
disséminés sur un fond blanc ; mais on ne peut
bien les voir qu’à la faveur d’une loupe et d’une
vive lumière. Ces points paraissent alors plus
grands ; on découvre qu’ils ne sont qu’une terre
à demi-friable qui se détache avec la pointe
d’une aiguille, et qui est interposée dans les fentes
de petites masses irrégulières d’un quartz luisant,
blanc et très- diaphane. J’ignore si cette pous-
sière est 'une décomposition du quartz, ce qui
pourtant me paraît peu vraisemblable , attendu
qu’on la retrouve jusque dans l’intérieur de la
lave, où celle-ci n’,a pas été altérée; je la
crois plutôt une matière étrangère et av-entice.
Outre ces grains quartzeux , la base pétro-si-
liceuse de cette lave renferme quelques feid-
spaths très -petits, mais que l’on ne confond
point avec les premiers , à cause de leur éclat
changeant , de leur figure rbomboïdale , et de
leur tissu lameUeux.
La base de cette lave , placée dans le creu-
set, a sans doute servi de fLux aux grains quart-
zeux , puisqu’il en est résulté un émail homo-
gène
DANS LES DEUX SICILE S. 501
gène et blanc , sans trace de quartz ni de feld-
spath s.
Sur le chemin de Pigozzo,vis*à-vis Cattaïo, est
une lave semblable, avec cette seule différence,
que les grains quartzeux n’offrent point de taches
vertes : elle donne au feu le même produit.
On rencontre à Monte-Nuovo une roche vol-
canique dont la décomposition est telle, que la
seule pression du doigt suffit pour la réduire en
poudre. Sa base est argileuse , et renferme de
nombreux feld-spaths qui , pour avoir conservé
leur figure prismatique, n’en sont pas moins fria-
bles. Il est rare de trouver dans les volcans, là
même où l’acide sulfureux a le plus exercé son
influence , des feld spaths aussi détériorés ; mais ici
on ne saurait découvrir le moindre vestige de cet
acide , et la décomposition paraît être l’ouvrage
de l’air et des élémens humides. En rompant cette
lave , il s’en détache quelques prismes octogones
et hexagones, avec la troncature oblique, moins
ramollis que la base à laquelle ils étaient liés ,
et qui n’appartiennent ni au genre des schorls ,
ni à celui des feld-spaths : par leurs caractères
extérieurs , ils ne semblent pas différer essentiel-
lement de la lave elle-même.
On se rappelle que dans le nombre des laves
Tome 1IL O
202
VOYAGES
résiniformes citées plus haut , il en est une remar-
quable par les pierres ponces qu’elle renferme :
Montselice , cette montagne d’une grandeur
moyenne, et isolée dans le pays que je parcours,
est en partie composée d’une lave blanche, ar-
gileuse , dont l’aspect est terreux, et qui s’ofFre
avec les mêmes circonstances. Mais les ponces
de la première sont une dérivation de ses parties,
dilatées et gonflées par les substances gazeuses;
au lieu que les pouces de celle-ci paraissent aven-
tices, et consistent en de petits globes blancs qui
se détachent avec facilité : vraisemblablement
ils ont été saisis et enveloppés par la lave tandis
qu’elle coulait. Ils ressemblent assez à ceux de
Pompéia près le Vésuve. Les uns et les autres
traités avec le feu, donnent un émail analogue.
Outre les ponces , cette lave recèle des cris-
taux feld-spathiques qui se vitrifient avec elle
dans le creuset.
Le mont d’Arqua fut le dernier que je visitai.
Sa cime est formée d’une lave grise , compacte,
étincelante sous le briquet, à base de pierre de
corne , renfermant des cristallisations micacées
et feld-spathiques , fusibles dans le creuset. On
la rencontre quelquefois disposée par couches
presque horizontales,
A cette énumération de laves, je joindrai celles
D AN S LE S D EU X S IC ILE S. 3q5
du mont Catajo , où je n’eus pas le loisir de
m’arrêter long - temps. Les échantillons en ont
été recueillis par le marquis Orologio , qui me
les a envoyés à Pavie avec des descriptions que
je rapporterai ici , en me bornant à les abréger ,
et à y faire de légers changemens,
Ire lave. Une des plus belles des monts Euga-
néens. Le feld -spath en masse en constitue la
base 5 mais cette base se laisse difficilement recon-
naître par ses caractères extérieurs , le feu Payant
changée en une lave vitreuse , de couleur cen-
drée, compacte et peu dure à cause de ses nom-
breuses gerçures. Elle renferme des micas et des
feld- spaths cristallisés ; l’émail qu’elle produit
au fourneau, semblable à celui des laves résini-
formes , présente avec les micas etlesfeld-spaths
fondus une masse homogène.
Cette lave , sur laquelle est bâti le château
du marquis des Obizzi , occupe au sud une
étendue considérable de la base du mont Ca-
tajo 5 elle se prolonge encore au nord-est, où,
perdant par sa grande décomposition le carac-
tère de lave vitreuse , elle ne parait plus que
comme une lave terreuse et friable. Cependant,
avec de l’attention , j’y ai reconnu des linéamens
vitreux , et je suis persuadé que si l’on faisait
une excavation profonde sur les lieux, on dé-
O 2,
204 VOYAGES
couvrirait encore mieux sa vraie nature. C’est
en pénétrant dans le sein des roches , tant natu-
relles que volcanisées , qui ont été attaquées à
leur surface par des agens extérieurs * que Ton
parvient à les voir dans leur état primitif.
On trouve dans l’intérieur de la lave en ques-
tion , divers globes isolés de pétro-silex naturel
très - bien caractérisés. Ils sont revêtus d’une
croûte blanche , argileuse , qui s’attache à la
langue , et renferme des points micacés 9 et de
petites lames feld-spathiques.
Traités avec le feu , ils blanchissent , et se
couvrent d’un vernis vitreux , sans perdre leur
figure primitive.
IIe lave. On la rencontre au quart de l’élé-
vation de la montagne j d’où elle se prolonge
jusqu’au sommet. Elle existe aussi sur les pentes
en morceaux détachés. Sa base est un trapp com-
pacte , pesant , d’un grain très-fin , entrecoupé
d’écailles feld-spathiques , et ayant la couleur
du fer. Placé dans le fourneau, il se fond en un
émail plein de bulles : sa couleur lui reste.
IIIe lave. Elle est en partie ensevelie dans celle
du n°. II , et en partie à découvert, formant des
filons tortueux de diverses grosseurs, qui prennent
d§s directions différentes : un d’eux coupe la lave
DANS LES DEUX SICILE S. 2ô5
vitreuse décomposée du n°. I. Sa base est un
pétro-silex très- compacte, d’un grain fin , ren-
fermant de petits cristaux micacés et feld-spa-
tbiques. Sa couleur est d’un gris livide tirant sur
le noir. Elle subit dans le fourneau une fusion
complète , quand elle a éprouvé l’action du feu
pendant trente-huit heures.
IVe lave. Elle est blanche , légère , décompo-
sée comme celle du n°. I. Sa base est argileuse
et s’attache à la langue. Cependant les petits
cristaux de mica et de feld- spath qu’elle ren-
ferme, sont dans un état d’intégrité. Elle s’étend
en filons qui sortent du sein de celle du n°. II.
Traitée avec le feu , elle m’a donné un verre
semi-transparent de couleur cendrée, où les feld-
spaths se sont fondus 5 mais dans cette opération ,
elle a fortement attaqué les creusets, et s’étant
combinée avec leur terre , il en est résulté au-
tour des parois une couche de verre couleur
d’éméraude , très-transparent.
Ve lave. Parmi les bancs de laves résiniformes
qui font partie du Catajo , il en existe un au
sommet , du côté du sud-est, entrecoupé d’in-
nombrables stries blanches , très-minces et pa-
rallèles, qui forment un contraste remarquable
avec les stries rougeâtres des autres bancs. Les
1
VOYAGES
20 6
premières , à ce qu’il m’a paru , ne sont qu’une
décomposition de la lave , dont la cause tient
peut-être à l’infiltration des eaux pluviales qui
s’y sont insinuées par les fissures.
Traitée avec le feu , cette lave se convertit
en un émail analogue à celui que fournissent les
autres laves de ce genre : les feld-spaths se fon-
dent avec leur base.
VIe lave. Elle est ainsi indiquée par le marquis
Orologio. « Vers le sommet de la tête supérieure
»du mont Catajo ( car il en a deux ) , règne une
» large plaine avec des élévations et des enfon-
scemens. Je soupçonne que c’est un ancien cra~
» tère ruiné par le temps, et comblé de ses propres
» débris. Xà , on trouve des masses énormes d’une
y> espèce de brèche ou poudingue, composée de
» petits fragmens de diverses variétés de laves
» liées par une argile endurcie ».
Cette brèche est digne d’attention ; le schorl
noir en masse la constitue pour la plus grande
partie. Chaque fragment est entouré d’une croûte
terreuse de couleur cendrée , qui s’attache à la
langue , et dérive de la décomposition du schorl.
Cette croûte est quelquefois très-superficielle •
quelquefois aussi elle pénètre dans les fragmens,
et ne laisse au centre qu’un point noir de schorl.
DANS LES DEUX SICILE S. .207
Pour l’ordinaire , ces fragmens sont anguleux ,
ce qui indique qu’ils n’ont pas été roulés. Ils sont
tous liés par un ciment peu épais , d’un jaune
clair , d’un aspect vitreux , mais altéré par la
décomposition. Cette brèche , exposés dans le
fourneau , se réduit en scorie noirâtre et écu-
meuse.
Il paraît que la décomposition de cette brèche
est l’ouvrage des météores et du temps. Ses frag-
mens de schorl témoignent avec évidence qu’ils
ont préexisté à la substance vitreuse , qui les a
saisis en coulant sur eux , et en a fait un seul
corps avec elle. Peut-être sont-ce les débris d’une
lave très-ancienne à base de schorl en masse ,
à moins que l’on ne suppose que la violence des
gaz élastiques ait brisé quelque filon de schorl,
l’ait réduit en petits morceaux , et que la bouche
du volcan les ait ensuite vomis , sans qu’ils aient
été fondus ou altérés par le feu.
VIIe et dernière lave. Quoiqu’elle soit spéci-
fiquement la même que celle du n°. II , elle mé-
rite cependant une mention particulière à cause
de sa conformation. A la moitié environ de la
hauteur de la montagne, vers le sud-ouest , se
présente un escarpement , où l’on voit régner
deux ordres, l’un plus élevé que l’autre , de co-
lonnes prismatiques et verticales , dont la hau-
O 4
VOYAGES
2o8
teur varie depuis un pied jusqu’à trois. En exa-
minant le roçher auquel elles sont adhérentes,
la déchirure qui s’est formée à cet endroit , et
la circonférence de la montagne , on voit que
lorsque celle-ci était entière , les colonnes en
occupaient le centre , ou peu s’en faut. Elles ont
pour base le schori en masse : dans leur pâte
et leurs feld-spaths , elles ne différent point de
la lave du n°. II.
Cette roche met en mouvement l’aiguille ai-
mantée à la distance de deux lignes , et peut
servir de pierre de touche : qualité reconnue par
Cronstedt dans les trapps de Suède.
RÉFLEXIONS et COROLLAIRES.
L’ ensemble des faits présentés dans ce cha-
pitre nous éclaire sans doute sur la nature des
roches volcaniques qui composent les monts Eu-
ganéens 5 mais nous rendrons leur instruction plus
générale et plus utile , si nous nous en servons
pour établir un rapprochement entre ces volcans
et ceux que nous offrent ailleurs l’Italie et ées en-
virons, quel que soit l’état actuel où ils se trouvent.
Rien n’est isolé dans la nature , tout est lié, tout
est gradué dans des rapports divers, et si nous
acquérons des connaissances , elles sont le résulta
DANS LES DF. TJX SICILE S. 209
des comparaisons que nous établissons entre les
objets. Telle est la marche que j’ai suivie dans
mes précédens ouvrages de physique. Le but
principal de mes études , de mes recherches ,
était de rapprocher les faits que je découvrais,
de les analyser, de les comparer avec les faits
connus ; et dans le livre que je publie aujourd’hui ,
je ne me suis point départi de cette méthode ,
qui me semble la plus propre à reculer les bornes
de la physique. C’est elle qui m’a conduit aux
réflexions que je présenterai ici avec le plus de
brièveté qu’il me sera possible.
Quoique la mer soit actuellement éloignée de
plusieurs milles des montagnes de Padoue , il est
certain qu’anciennement elle les a couvertes ;
les roches calcaires et leurs couches horizon-
tales , les testacées marins que l’on y trouve , en
sont des témoignages irréfragables. Il est encore
certain , d’après les observations de Strange (1)
et de Fortis (2), que ces montagnes formaient au-
trefois autant de petites îles volcaniques, comme
celles de l’archipel Æolien ou deSanlorin ; comme
(1) V. Lettre géologique du chevalier Strange.
(2) V . Mémoire géographique et physique sur la vé-
ritable situation des îles Elétrides des anciens.
21 0 VOYAGES
celles qui ont reçu le nom de Ponces , et une
multitude d’autres de même origine : seulement,
dans les très-anciens volcans de Padoue , toute
inflammation visible s’est évanouie, et s’il en reste
encore quelques étincelles, c’est aux sources ca-
chées de leurs célèbres eaux thermales quelles
existent. Si ces montagnes , qui ont conservé
exactement leur physionomie et leur caractère
volcanique , sont néanmoins fort altérées à l’ex-
térieur, il en faut chercher la cause dans leur
haute antiquité 5 le temps a amené la chute des
parois de leurs cratères 5 les pluies y ont entraîné
des matières qui les ont comblés, et l’industrie
des hommes a converti en terre végétale les laves
scoriacées et poreuses que l’on n’y trouve plus
aujourd’hui. Situées au milieu d’un pays très-
anciennement civilisé , elles ont perdu , par la
culture , leur aspect primitif et sauvage , plutôt
que d'autres régions volcaniques , mais moins
peuplées , dont les feux éteints datent d’une
époque tout aussi reculée.
ïl est digne de remarque que les laves des
monts Euganéens , comme celles des autres vol-
cans dont nous avons une plus parfaite connais-
sance , dérivent , non de pierres simples , mais
composées, ou de roches. Les laves de l’Etna,
dont la base est pour l’ordinaire la pierre de
DANS LES DEUX SICILE S. 211
corne , ou le schorl en masse , sont unies aux
feld-spaths , aux schorls cristallisés , aux chryso-
lites. Les feld-spaths,les grenats, les schorls cris-
tallisés , sont incorporés aux laves des volcan*
Æoliens , qui ont pour base , soit le pétro- silex,
soit la pierre de corne , soit le feld-spath , ou
le schorl en masse. On trouve dans les laves du
Vésuve le pétro-silex , la pierre de corne , le
grenat , réunis aux schorls , aux feld-spaths , aux
micas. Celles d’ischia, à base de pierre de corne,
abondent en feld-spaths ; les îles Ponces four-
nissent des laves siliceuses unies à des schorls ,,
des feld-spaths et des micas $ enfin on trouve
à Saint-Fiora , dans la Toscane , des laves gra-
phiques.
C’est ainsi qu’aux laves des monts Euga-
néens , qui ont pour base tantôt un schorl ou
un feld-spath, tantôt une pierre de poix, ou
une pierre de corne, ou un pétro-silex, sont
incorporés des feld-spaths , des schorls cristal-
lisés , et des grains quartzeux. Quoique je n’aie
examiné qu’une partie de ces montagnes , ce-
pendant il m’est permis d’assurer , d’après les
recherches plus étendues de Strange , que îe
noyau de chacune est composé de cet ordre
de roche. Il est donc vrai que le foyer des feux
souterrains qui ravagent depuis si long-temps
\
VOYAGES
212
l’Italie et les lieux circonvoisins, s’est trouvé placé
dans des roches de diverses qualités 5 mais qui
sait à quelle immense profondeur dans la terre
ces roches étendent leurs racines ? J’ai dit dans
la terre > car si , par la violence des feux vol-
caniques j elles ont été soulevées çà et là à sa
surface par grandes masses de l’un et de l’autre
coté des Apennins , il n’en est pas moins vrai
qu’on ne les voit presque jamais concourir à la
formation de cette chaîne de montagnes qui est
principalement composée de pierres calcaires ,
de stéatites , de pierres sablonneuses , et d’une
espèce de schiste quartzeux , micacé , où les
plaines reposent. Au reste , il pourrait bien se
faire que ces roches primitives fussent ensevelies
dans leur état d’intégrité , sous le grand corps
des Apennins.
Je n’ai pas voyagé dans les monts Vicentîns.
Ilnous manque une lithologie exacte de ce pays$
nous savons seulement qu’il a été formé par des
volcans sous-marins. Cependant j’ai reconnu, par
quelques échantillons de ses fossiles que m’a pro-
curés le savant Arduini de Venise, et par les ren-
seignemens qu’il m’adonnés à ce sujet, que les
laves de ces monts dérivent d’une roche ; que
cette roche est tantôt un pétro-silex, tantôt une
pierre de corne, renfermant des schorls, des feld-
DANS LES DEUX SICILE S.‘ 2l3
spaths , des micas : quelquefois la roche est gra-
nitique.
Je m’écarterais de mon but, si j’étendais ces
recherches au-dehors et loin de l’Italie je re-
marquerai seulement que dans tous les pays où
la nature des substances pierreuses attaquées par
les feux volcaniques , a été soigneusement exa-
minée et décrite , ces substances se font presque
toutes reconnaître pour des roches, ou pierres
composées ; et comme ces feux pénètrent très-
avant dans l’intérieur du globe , puisqu’ils élèvent
à sa surface de si hautes montagnes , il en résulte
que les roches sur lesquelles ils agissent y ont
leurs racines à de grandes profondeurs , dans les
lieux même où nous aurions toujours ignoré
qu’elles existent , si des éruptions ignées ne les
avaient produites au jour. Par-là , nous pouvons
encore juger de la part qu’elles ont dans la cons-
titution de l’écorce qui environne le globe, unique
portion de ce globe qu’il soit donné à l’homme
de connaître , mais que ses regards n’eussent ja-
mais investie , sans le débordement de ces fleuves
de feu.
En étudiant les bases qui constituent les roches
des monts Euganéens , j’ai principalement porté
mon attention sur les suivantes : le feld-spath en
masse , le pétro-silex et la pierre de poix.
VOYAGES
21 4
Le feld-spath s est changé en une lave vi-
treuse , dont je n’ai pas vu l’égale dans aucun
autre volcan. Les îles Æoliennes où cette subs-
tance a concouru à la formation de diverses laves,
n’en offrent point à qui l’on puisse donner pro-
prement cette qualification. Toutes conservent
plus ou moins l’aspect extérieur du feld-spath ,
ou bien c’est le feld-spath qui a passé immédia-
tement à l’état de verre ou d’émail.
Le pétro-silex présente une exception pres-
qu’aussi générale : plusieurs laves des volcans
Æoliens ont cette pierre pour base ; elle y con-
serve , à la vérité , quelques caractères pri-
mordiaux , mais elle développe en même temps
un certain principe fibreux , un degré d’exten-
sion dans ses parties , qui montre évidemment
qu’elle a été touchée par le feu. La lave à basa
pétro -siliceuse du cratère de Yulcano est la
seule qui ne porte point avec elle cette indi-
cation. Au contraire, tous les pétro-silex eu-
ganéens sont dans leur tissu, dans leur grain,
dans leur densité , dans leur cassure , si par-
faitement semblables au pétro-silex naturel,
qu’on ne pourrait les en distinguer , si on ne les
trouvait dans la condition de lave. Cette par-
ticularité n’est pas afFectée aux seuls volcans de
Padoue , elle appartient encore à ceux des îles
DANS LES DEUX SICILE s. 2 10
Ponces , où Dolomieu l’a observée dans un grand
nombre de laves à base de pétro-silex. Au reste*
l’état de ces laves aura toujours de quoi nous
étonner * ne pouvant concevoir , d’après ce que
nous connaissons des effets du feu ordinaire ,
comment une pierre se liquéfie et coule , sans
que rien change en elle , sans qu’un seul de ses
linéamens naturels s’efface.
Enfin les laves à base de pierre de poix* si
communes dans les monts Euganéens , sont un
troisième sujet de réflexion. Ni l’Etna * ni le
Vésuve ne paraissent pas en avoir vomi un seul
fragment ; il ne s’en trouve point dans les champs
Phiégréens. Des îles Æpliennes * Lipari est la
seule où j’en ai vu quelques morceaux errans,
mais qui avaient passé à l’état d’émail. Les vol-
cans de la Hongrie * ceux de l’Auvergne * en
possèdent de très-belles 5 reste à savoir si elles
entrent dans l’ordre des laves * c’est-à-dire * si
elles ont formé des courans. Suivant Dolomieu ,
les îles Ponces ne sont pas moins pourvues de
pierres de poix que les monts Euganéens * et
on les y trouve dans le même état. Il assure
que ce genre de laves * dans ces deux régions,
a pour base le feld-spath avec surabondance de
magnésie (1). Et dans une note de son voyage.
(1) Annotations sur Bergman.
VOYAGES
2l6
il dit , en parlant des laves du pays de Vicence ,
qu’onfÿ trouve certains produits de pierre de
poix qui ne paraissent pas volcaniques , et qu’il
regarde comme une concrétion formée posté-
rieurement par la décomposition des matières
volcaniques qui contenaient beaucoup de mag-
nésie. On voit par-là que cet auteur pense que
la magnésie est un des principes constitutifs des
pierres de poix volcaniques. Cependant il est
certain que , dans les trois analyses de laves ré-
siniformes des monts Sieva et Bajamonte > rap-
portées ci-dessus , je n’ai pas trouvé un atome
de cette terre.
L’abbé Fortis assure qu’il a reconnu dans celles
du mont Brecalon , que le Père Terzi prenait
pour du verre , le passage du pétro-silex à la
lave résiniforme. En comparant les analyses que
l’on a faites du pétro-silex avec celles de mes.
trois laves , on voit effectivement que les ré-
sultats sont les mêmes $ la seule petite différence
est que le pétro-silex ne donne pas de fer , et
qu’il s’en trouve un peu dans mes laves résinifor-
mes. Au reste, j’ai fait voir que les pierres de poix,
tant naturelles que volcaniques , appartiennent
au même genre 5 et je ne suis pas éloigné de
croire que plusieurs de ces dernières dérivent
des premières.
En
DANS LES DEUX SICILES. 2iy
En travaillant sur les productions volcaniques
des deux Siciles , on se rappelle qu’un des prinr
cipaux objets de mes recherches a été de dé-
couvrir à quel degré de feu elles se liquéfient
dans les fourneaux, afin d’obtenir par -là un
terme de comparaison qui me fît juger en quel-
que manière de la puissance que les feux souter-
rains avaient dû déployer pour les réduire en
fusion. J’ai fait de même à l’égard des roches
volcaniques des monts Euganéens, et je me suis
servi pour ces expériences, comme pour les pré-
cédentes, des feux de verrerie. Quant aux bases
de ces roches, nous avons vu que pas une seule
ne s’est trouvée réfractaire , sans en excepter les
pétro-silex les plus durs et les plus compactes,
qui tous ont coulé. Les feld-spaths , les micas ,
si abondans dans les laves euganéennes , se sont
montrés également fusibles.
Cette faculté dans les feld-spaths m’a un peu
surpris , sur-tout en me rappelant que ceux des
autres volcans étaient , sinon constamment , du
moins très-fréquemment réfractaires au mêmer
degré de feu. Je ne pouvais pas supposer que
leurs bases avaient servi de fondant , puisque la
même expérience, répétée sur des feld-spaths
isolés , avait eu le même succès. Une différence
si remarquable ne paraît provenir que de la dose
Tome III . P
SI 8 VOYAGES
plus ou moins grande des principes constituans,
à moins de supposer dans les feld-spaths euga-
néens , outre les élémens communs à cette pierre,
un élément particulier qui facilite leur fusion :
s’il existe , il est du moins invisible à l’œil , et
rien dans l’apparence extérieure ne fait distin-
guer les feld- spaths fusibles d’avec les infu-
sibles.
Au reste, le produit des laves des monts Euga-
néens s’est trouvé, comme celui des autres laves
étrangères , un émail ou un verre. Ainsi le feu
ordinaire a détruit en elles cette structure pri-
mordiale que leur avait laissée le feu volcanique.
Ainsi que les basaltes de Vulcano et de Félicu-
da , le feu a produit ceux de Monte-Rosso , de
Monte-Ortone et du Catajo , puisqu’ils font par-
tie intégrante de roches volcaniques, et en sont
la continuation. Cette observation n’a pas échap-
pé à Strange ; mais une chose digne de remarque ,
est que la voie sèche ait formé à Catajo un trapp
prismatique , tandis que la voie humide a donné
à cette même pierre , dans la Suède , une confi-
guration semblable. C’est un exemple de plus,
qui nous avertit que nous devons recourir aux
circonstances locales quand il s’agit de déter-
miner laquelle des deux voies a concouru à la
formation des basaltes.
BANS LES BEUX S I C I L E S. 21$
Mais ces deux voies se sont réunies pour la
formation des collines et des montagnes de Pa-
doue. Le mélange des pierres calcaires avec les
laves ne permet pas d’en douter. Cette combi-
naison , qui n’est pas arrivée, dans les îles Æo-
liennes , mais qui a lieu dans les monts Vicen-
tins , le, Vésuve , les volcans éteints du Val de
Noto en Sicile , ceux du Portugal et de l’Alle-
magne près le Vieux-Brisach , et probablement
dans d’autres montagnes volcaniques, cette com-
binaison , dis-jè , éveille la curiosité du natura-
liste, et l’excite à rechercher lequel de ces deux
agens contraires a eu l’antériorité. Je m’abstiens
de traiter cette question , que les observations
de l’abbé Fortis semblent avoir décidée. Mon
unique but, dans le petit voyage que j’ai fait aux
monts Euganéens , a été d’y recueillir des pro-
ductions volcaniques sans trop m’arrêter à l’exa-
men des localités , de décrire exactement ces
productions, et d’étendre d’autant plus nos con-
naissances sur les volcans.
220
VOYAGES
CHAPITRE XXI.
(
Recherches expérimentales sur la nature des
gaz des volcans 3 et les causes de leurs
éruptions .
E N achevant de décrire les productions volca-
niques des monts Euganéens , j’ai terminé la re-
lation de ce que j*ai vu et observé de particulier
aux divers volcans des pays que j’ai parcourus.
Ce qui me reste à dire concerne quelques faits
généraux, dont la discussion servira peut-être
à répandre des lumières sur la théorie des vol-
cans. Je m’y livre, non -seulement pour tenir
ce que j’ai promis dans l’introduction de cet
ouvrage , mais pour donner à mon travail toute
l’étendue et la perfection dont il est suscep-
tible.
J’ai parlé mille fois des gaz des volcans. J’ai
fait voir comment leur élasticité raréfie les subs-
tances pierreuses fondues par le feu, et les rend
poreuses 5 j’en ai montré l’efFet dans une multi-
tude de laves, de ponces, de verres et d’émaux.
J’ai expliqué comment ces gaz , par leur seule
DANS LES DEUX SICILES. 22 î
énergie , peuvent soulever du fond d’un cratère
les matières liquéfiées , les gonfler de manière
qu’elles en occupent toute la capacité , et les
forcer de s’épancher par ses orles. Enfin j’ai fait
remarquer tous ces phénomènes en petit jusque
dans les creusets où l’action des gaz devient très-
sensible. Mais devais -je me borner à prouver
leur présence dans les laves , quand les physi-
ciens et les chimistes portent aujourd’hui toute
leur attention sur l’analyse de ces fluides aéri-
formes ? ne fallait-il pas au moins essayer d’en
découvrir la nature, et chercher jusqu’où va
leur influence sur les éruptions des volcans ?
Une question non moins intéressante est de
savoir quel est le degré d’activité des feux vol-
caniques. Il est vrai que les nombreuses expé-
riences que j’ai faites, tant sur les laves que sur
leurs roches primordiales , qui presque toutes
se sont liquéfiées au fourneau , semblaient ga-
rantir que ce degré d’activité supposé dans les
feux volcaniques ne devait pas surpasser celui
du feu ordinaire capable de produire les mêmes
efFets. Cette connaissance était utjle en soi , mais
elle ne résolvait pas complètement le problème,
puisqu’on pouvait opposer aux résultats de mes
expériences une multitude de faits et d’un genre
opposé , qui tendaient, les uns à prouver la véhé-
P 3
222
VOYAGES
ttience de l’action de ces feux , les autres à en
démontrer la faiblesse. Ces faits étant rapportés
par des auteurs dignes de foi , je devais les exa-
miner , les apprécier avec impartialité, et pro-
noncer ensuite avec franchise et liberté mon
opinion particulière. Tels sont les deux points
de discussion que je me propose de traiter i ci ^
et c’est par-là que je terminerai mes recherches
sur un des phénomènes du globe qui excite à-la*
fois l’admiration et la terreur des hommes.
Ayant vu que les pores , les tumeurs engen-
drés dans les laves , les verres et les émaux ,
se reproduisaient dans ces 'mêmes substances
soumises à l’action du feu ordinaire, j’imaginai
de m’en servir pour découvrir la nature de ces
fluides, et j’entrepris de faire fondre dans des
matras diverses productions volcaniques , celles
sur-tout qui, en se gonflant, s’élèvent du fond
du creuset , et s’épanchent par ses bords. J’ajus-
tai les cols des matras à un appareil pneumato-
chimique à mercure , pour pouvoir recueillir et
examine^ les gaz que l’action du feu chasserait
hors des substances en fusion. Ces matras , de
l’épaisseur de six lignes , et formés de l’argile
dont on fait les creusets de verrerie , étaient à
fond sphérique , surmontés d’un long col. Voulant
reconnaître s’ils n’avaient point de fissures , je
BANS LES BEUX SICILE S.
les pris par le col , et les plongeant perpendi-
culairement dans l’eau , je soufflai avec force
dans leur intérieur : aucune bulle d’air ne s’en
échappa. Pour plus de sûreté, je les armai ex-
térieurement ; je les soumis ensuite à l’action
de la pompe pneumatique, et je vis que l’air ne
passait point au travers. Enfin je répétai ces
épreuves après qu’ils eurent servi aux expé-
riences , et je m’assurai ainsi qu’il ne s’était rien
écoulé au-dehors des fluides que j’y avais re-
cueillis. De plus , à l’orifice du col des rnatras ,.
je luttai un ballon de verre , dont l’autre extré-
mité plongeait dans le mercure, afin que si quel-
que liqueur se séparait des matières volcaniques,
j’eusse encore la facilité de la recueillir. C’est
ce qui arriva , et cette liqueur fut d’une nature
que je n’aurais jamais imaginée. J’en réserve la
description pour un chapitre particulier.
Le premier produit,. du poids de douze onces,
mis en expérience , fut la sixième espèce des
verres de Lipari , dont le fond noir est tiqueté
de points blancs r je l’ai appelé verre tigré ( Voy.
chap. XV ). Avant de le placer dans le rnatras,
je le réduisis en poudre pour détruire les bulles
que les feux volcaniques pouvaient y avoir en-
gendrées. J’observe, en passant , que cette pré-
caution fut prise à l’égard de toutes les substances
P 4
VOYAGES
234
éprouvées , et que les matras étaient d’une ca-
pacité telle, que les douze onces de chaque subs-
tance occupaient à peine un tiers de leur ventre,
afin que la matière fondue pût se gonfler libre-
ment.
Ce verre soutint huit heures le feu d’un petit
fourneau chimique , poussé lentement pendant
les trois premières heures , et vivement pendant
les cinq dernières. Au bout d’une heure et trois
quarts , il parut déjà sur le mercure une petite
quantité de fluide aériforme ÿ je l’essayai sur une
bougie allumée 5 il ne s’enflamma pas 5 il n’étei-
gnit pas non plus la bougie , ne rendît pas sa
flamme plus vive 5 mais la laissa brûler comme
dans l’atmosphère j ce qui me fit penser que
c’était de l’air commun , c’est-à-dire , une por-
tion de celui qui était resté enfermé dans les
vaisseaux. Je m’en assurai encore mieux en le
soumettant à d’autres épreuves. Bientôt après il
s’amassa de nouveau une certaine quantité de
fluide sur le mercure 5 à mesure que je le re-
cueillais , je l’examinais de la manière indiquée }
c’était toujours de l’air atmosphérique , qui con-
tinua ainsi de se reproduire pendant les quatre
premières heures, après quoi il ne reparut plus.
En dirigeant l’œil sur la partie alongée du bal-
lon de verre lutté au col du matras , on^pou-
DANS LES DEUX SICILES. 22.5
vait voir ce qui se passait dans l’intérieur de celui-
ci , à cause de la lumière que répandait l’incan-
descence. J*y discernai , au bout de quarante-
cinq minutes de feu violent , un gonflement lent
et progressif dans la matière vitreuse : c’étaient
des tumeurs qui s’élevaient lentement à sa sur-
face, s’abaissaient de même : quelques-unes
éclataient en atteignant leur plus haut point de
dilatation. Cette espèce d’ébullition ressemblait
parfaitement à celle que j’avais déjà observée
dans ce verre et dans d’autres matières volca-
niques , en les faisant fondre dans les fourneaux
de verrerie.
1 ■ V*' . , . . • •'
Quand le matras fut refroidi , je le rompis dans
sa longueur , et je remarquai ce qui suit. Le
verre en fondant avait rempli au moins les deux
tiers du ventre , auquel il adhérait fortement ;
la surface de sa partie supérieure était parsemée
d’un nombre infini de vésicules vitreuses, semi-
transparentes , les unes entières , les autres cre-
vassées. Ayant brisé cette masse de verre , je
la trouvai pleine de bulles de diverses grandeurs,
depuis un tiers ou un quart de ligne de diamètre,
jusqu’à un demi-pouce : elles étaient toutes plus
ou moins orbiculaires , lisses et brillantes à leur
surface intérieure ; mais sur un des côtés où le
feu avait agi plus vivement, j’en vis une dont
VOYAGES
22 6
ïa grosseur pouvait égaler celle d’un œuf de
poule , et qui était traversée par un gros fil vi-
treux , dont les deux bouts tenaient aux parois.
Ce fil s’était sans doute engendré par la visco-
sité de la matière , au moment où se divisant,
elle avait formé la bulle. Du reste , par - tout
où il ne paraissait point de vacuités , le verre
avait conservé assez de solidité et de dureté
pour être capable d’étinceler sous le briquet $
mais en empruntant le secours d’une loupe, on
s’appercevoit que ces mêmes parties , solides en
apparence, étaient réellement couvertes d’une
infinité de petites bulles.
Si l’on compare cette fusion du verre tigré
dans le matras , avec celle qui s’opère dans les
creusets ouverts lorsqu’on emploie la même ma-
tière, on trouvera que les résultats sont les
mêmes.
Mais venons à notre objet principal , qui est
îa génération des bulles. On ne peut nier qu’elles
ne soient produites par un fluide élastique qui
pénètre le verre et le dilate. C^est à cette cause
que j’ai toujours attribué la porosité que les pro-
duits volcaniques contractent, soit dans les cra-
tères , soit dans les creusets 5 il suffit de les voir
en cet état pour convenir que la chose n’a pu
se faire autrement. Mais quel est ce fluide ? L’ex-
DANS LES DEUX SICILE S. 227
périence ci-dessus nous prouve que ce n’est pas
l’air atmosphérique mêlé à la poudre du verre,
car dès le commencement de la fusion , il a été
chassé hors du ventre du matras. Or, les tumeurs
qui se sont montrées à la surface du verre fondu
dans la plus forte action du feu , et qui ont con-
tinué de paraître pendant toute sa durée , étaient
une preuve sensible que ce fluide , de quelque
nature qu’on le suppose , enveloppait alors , et
agitait la masse vitreuse. D’un autre côté, ce
ne pouvait être un fluide permanent , comme
les divers gaz aériformes , autrement il se serait
amassé sur le mercure. En y réfléchissant , je
pensai que ce gaz n’était peut-être autre chose
que. la vaporisation du verre lui-même, qu’un
feu violent faisait passer de l’état de fluidité à
celui de gazification , si je puis m’exprimer ainsi,
et qui durait tant que le même degré de calo-
rique subsistait. Ainsi , l’on voit les métaux tour-
mentés par le feà , bouillir à la manière des fluides,
et se réduire en vapeurs. Je me rappelais le sen-
timent de Lavoisier , qui était persuadé que pres-
que tous les corps naturels sont susceptibles
d’exister dans l’état de solidité , de fluidité, ou
de gaz , ces trois états divers dépendant de la
quantité de calorique combinée avec eux. J’ima-
ginai ensuite que si le verre vaporisé, générateur
des bulles, ne passait pas dans l’appareil pneuma-
VOYAGES
2 28
to-chimique , c’était parce que la chaleur, moins
forte dans: le col du matras, ne pouvait conser-
ver le verre dans l’état de gaz.
Mais pour donner de la consistance à ma con-
jecture , il faHait l’établir sur des preuves’ directes.
Je passai donc à une seconde expérience , que je
dirigeai comme la première , excepté que je pous-
sai le feu plus vivement pendant les quatre der-
nières heures. Le verre employé était de la cin-
quième espèce de ceux de Lipari, c’est-à-dire .
Je plus parfait , le plus pur de cette île. En voici
les résultats. Le peu d’air qui s’éleva sur le mer-
cure durant l’ignition , se montra simplement at-
mosphérique. Au bout d’une demi-heure de feu
violent , je vis , par le tuyau du ballon inséré
dans le matras, la masse vitreuse qui commençait
à se soulever en tumeurs ; bientôt , liquide et
embrasée , je n’y distinguai plus qu’un mouve-
ment tumultueux et intestin. J’avais l’attention
d’ouvrir de temps en temps le guichet du four-
neau , pour jeter un coup-d’œil sur l’extérieur
du matras. Au bout de deux heures et trois
quarts du feu le plus actif, je m’ap perçus que
le matras était rompu , et que des gouttes de
verre , en forme alongée 5 commençaient à sortir
par la rupture. J’éteignis le feu. Après le refroi-
dissement , ayant examiné le matras , je trouvai
DANS LES DEUX SICILE S. 1229
sur le coté une fente angulaire , longue de qua-
torze lignes, à laquelle pendaient extérieurement
deux petits cônes de verre , seule portion de
matière qui s’en fût échappée. En dedans , je
découvris une bulle ovale qui occupait les deux
tiers du ventre : elle fixa mon attention. Je ne
doutai pas qu’un fluide aériforme avait non-seu-
lement produit par sa force expansive ce grand
vide , mais qu’en heurtant contre les parois du
matras , il l’avait forcé de se fendre. Ce fluide
ne pouvait être que le verre même , qui , en
cet endroit , pénétré plus vivement par le feu ,
s’était converti en gaz. Le reste de la masse était
plein de petites cellules.
L’accident de la rupture du matras, et la
formation d’une grosse bulle , eut également lieu
dans la troisième expérience , où j’employai l’é-
mail d’ischia. La gazification fit naître un vide
dans la matière , lequel occupa plus de la moitié
de la capacité du matras. L’émail en fusion fut
soulevé jusque dans le col , et les parois se rom-
pirent en même temps. Je ne recueillis sur le
mercure que de l’air atmosphérique.
La quatrième expérience fut faite sur un émail
de Procida. Pendant les huit heures que dura le
feu, je n’apperçus aucun signe d’ébullition. Ayant
brisé le matras , je trouvai que la matière avait
VOYAGES
SCO
été complètement fondue. Elle ne manquait pas
de bulles, mais ces bulles étaient petites. Aucun
gaz ne parut sur le mercure.
En examinant les parois au-dessus de l’émail,
je visa un ou deux pouces de hauteur une multi-
tude de petits globules, et, si je puis m’exprimer
ainsi , des lèches de cette matière qui y adhé-
raient çà et là 5 plus haut , où le col avait par
hasard une saillie intérieure et circulaire, l’émail
s’était attaché à la surface inférieure de cette
espèce d’anneau , et y formait un cordon très-
délié. Je ne pouvais supposer que la véhémence
de la fusion l’eût élevé jusqu’où j’appercevais ses
traces, car il aurait laissé par-tout un vernis uni-
forme , tel que je l’ai vu dans les creusets , toutes
les fois que la matière s’abaissait après s’être éle-
vée. Ici, au contraire , les parois du matras, à
l’exception des parties tachées d’émail , parais-
saient absolument nues comme elles l’étaient
avant l’expérience , ce qui me rappela cette lame
d’or que Lavoisier argenta en l’exposant aux fu-
mées qui s’exhalaient de l’argent par un feu très-
actif $ tout comme il dora une lame d’argent aux
fumées de l’or. J’eus donc lieu de croire que les
globules et autres empreintes fixés sur le ma-
tras , étaient Peffet de la sublimation même de
l’émail dans la plus forte action du feu.
BANS LES DEUX SICILE S. s5l
ïl me restait toutefois un doute qu’il fallait
dissiper. Peut-être , en plaçant dans le matras
l’émail pulvérisé , quelques grains de poussière
étaient restés attachés aux parois et à la saillie
du col 3 où le feu les avait ensuite fondus. Mais
j’eus la certitude du contraire , en voyant le
même phénomène sur les parties latérales et
près du col d’un autre matras , où avait été ren-
fermée une égale quantité d’émail , non pulvérisé,
mais réduit seulement en morceaux.
Cette observation , qui me confirma dans l’i-
dée que les bulles des matières fondues dans les
matras étaient l’efFet de leur vaporisation, m’en-
gagea à faire une révision générale de tous les
creusets que j’avais précédemment exposés à
l’action du fourneau, après y avoir renfermé des
produits volcaniques vésiculaires , car je ne les
avais point examinés sous ce nouveau rapport.
A la vérité , j’en trouvai plusieurs dont les côtés
latéraux , au-dessus de la masse fondue , portaient
de petites gouttes de matière ; mais il était aisé
de voir qu’elle ne s’y était point amassée par
sublimation. Ces gouttes provenaient simplement
du mouvement intestin de la fusion , qui les avait
lancées çà et là à une très-courte distance. Nulle
part je ne découvris ces agrégations de globules
infiniment petits, ces voiles légers de matière.
zZz voyages
qui, dans ma dernière expérience , manifestaient
une sublimation décidée. Je n’en fus pas étonné;
ces creusets ayant la forme d’un cylindre ou d’un
cône renversé , et étant ouverts ; la matière su-
blimée n’y trouvait aucun corps qui lui fît obs-
tacle j et auquel elle pût se fixer.
Cette réflexion m’engagea à faire l’expérience
suivante. Je plaçai dans dix-neuf creusets diverses
matières volcaniques , en choisissant de préfé-
rence celles qui sont le plus sujettes à former
des bulles. Je recouvris chaque creuset avec un
autre creuset vide et renversé , et je les posai
ainsi dans le fourneau. 11 y en eut trois de ces
derniers qui servaient de couvercle , dont les pa-
rois' et la calotte présentèrent des marques de
sublimation : c’étaient des empreintes légères de
verre, des globules en nombre infini , qui, par
la substance et la couleur , ne différaient point
des matières fondues; mais rien de cela ne s’ofFrit
dans les seize autres creusets. Si le premier fait,
qui est positif, prouve la gazification des pro-
ductions volcanisées , le second , quoique néga-
tif, ne l’exclut pas. Les matières fondues dans
les seize creusets étaient pleines de bulles; or,
bien que ces bulles dussent être occasionnées,
selon moi , par une vaporisation interne , il n’en
résultait pas nécessairement une sublimation de
la
DANS LES DEUX SICILE S., £35
la matière , cela dépendant de la nature diverse
des substances, et du degré plus ou moins grand
de chaleur qui leur est nécessaire. Voilà pourquoi
cet effet ne s’est pas toujours rencontré dans les
matras mis en expérience 5 il eût été général , je
n’en doute pas , si j’eusse traité chaque matière
avec le degré de feu qui lui convenait pour se
sublimer.
Après avoir éprouvé ainsi les verres et les
émaux volcaniques, je fus curieux d’essayer le
verre factice. Je pris celui d’une bouteille noire
qui n’avait point servi 3 j’en fis piler douze onces,
que je plaçai dans un matras. J’avais vu dans les
fourneaux de Pavie , que le verre de cette cou-
leur exigeait plus de temps pour se fondre que
le blanc commun , et qu’il ne se gonflait que
très-peu, ou point du tout. Cependant, ayant
rompu le matras après les huit heures de feu ,
je trouvai que la matière avait tellement bouil-
lonné et gonflé , qu’elle était montée jusqu’à la
moitié du col $ que dans son refroidissement , elle
s’était abaissée , et n’occupait plus que le fond
du ventre. Cette ascension de la matière était
marquée par un vernis vitreux, léger et brillant,
qui , étendu sur la surface intérieure des parois,
commençait au niveau de la masse fondue , et
finissait vers la moitié du col du matras, où
Tome IJL Q
254 VOYAGES
un grumeau de verre bouchait entièrement le
passage.
L’effet que ce verre éprouve dans le fourneau
de verrerie , et celui qu’il subit dans le fourneau
chimique, s’expliquent très-bien au moyen de
ma théorie. Le feu , dans le premier cas , est
maintenu au degré d’activité nécessaire pour le
fondre ; dans le second cas , il est poussé avec
une force capable de le réduire en vapeur. De-
là 9 le soulèvement de ses parties et leur abais-
sement , lorsque , par la diminution de la chaleur,
le verre revient de l’état aériforme à celui de
liquide. Qu’il soit vrai que ce mouvement n’est
pas dû à un gaz permanent, c’est ce que prouve
l’absence de ce gaz dans l’appareil pneumato-chi-
mique, où je ne recueillis que de l’air commun»
Jusqu’alors , je n’avais dirigé mes expériences
que sur les produits volcaniques les plus suscep-
tibles de contracter des bulles, je voulus éprou-
ver ceux qui le sont le moins , et je choisis les
suivans : 1 °. Une lave à grenats du Vésuve ; 20. une
autre qui venait de couler quand je visitai cette
montagne ; 5°. une lave de l’île de Vulcano ,
recouverte d’une croûte d’émail ; 40. une lave de
Stromboli , de celles que ce volcan vomit sans
discontinuité; 5°. une lave sortie en 1787 du
cratère supérieur de l’Etna; 6°. une pierre ponce
DANS LES DEUX SICILE S. s35
solide de Lipari. Chacun de ces produits a été
décrit en son lieu et place. Voici les résultats.
Durant les huit heures de feu qu’ils soutinrent
dans les matras, je ne recueillis sur le mercure
que de l’air atmosphérique , point de gaz per-
manent j et cependant ces six produits manifes-
taient, par l’affluence et la grosseur de leurs
bulles , qu’ils avaient incontestablement passé
de l’état de liquidité à celui de gazification .
Pour obtenir cet effet des substances pierreuses,
on voit qu’il suffit de les exposer à une forte
chaleur.
En réfléchissant sur l’uniformité des résultats
que je venais d’obtenir dans ce cours d’expé-
riences , il me parut démontré que les bulles ,
les tumeurs, que l’on trouve si fréquemment dans
les produits des volcans , sont moins l’effet d’un
gaz permanent , que d’un fluide aériforme ré-
sultant de l’excessive raréfaction de la matière.
Je ne sache pas que personne ait traité les
substances volcaniques sous ce point de vue.
Toutefois le docteur Priestley rapporte trois
expériences dont je parlerai , parce que leurs
résultats sont différens des miens. i°. Ayant ex-
posé au feu , dans une cornue de pierre sa-
blonneuse , quatre onces et un cinquième de
lave d’Islande , il en obtint vingt mesures d’air:
Q 2
VOYAGES
s36
les dix premières, qui se dégagèrent vers le com-
mencement de l’opération, tenaient de la natnre
du gaz acide carbonique ; les dix autres , par leur
pureté , se trouvèrent à 1,72 , et éteignirent la
chandelle. Priestley observe que les interstices de
cette lave contenaient un sable brun qu’il ne put
en séparer.
20. Cinq onces §t demie de lave du Vésuve
donnèrent trente mesures d’air , dont les pre-
mières tenaient un peu du gaz acide carbonique,
et les suivantes étaient du gaz azote , d’abord
au degré de 1,64 , ensuite à celui de i,58.
5°. Il ne résulta d’une autre lave du poids d’une
once 3 et dure comme la pierre , que trois me-
sures et demie de gaz , en grande partie hydro-.
gène , provenant , à ce que suppose Priestley f
du canon de fusil dans lequel l’expérience s’était
faite.
Le physicien anglais pense, d’après cela, qu’il
est probable que les véritables laves ne four-
nissent pas beaucoup d’air, ce qui dépend , selon
lui , du degré de chaleur auquel elles ont été
exposées dans les incendies souterrains (i).
Je laisse de coté sa dernière expérience,, qui
(1) Exp, et observ. t. 4»
DANS LES DEUX SICILE S. ^
est trop équivoque $ quant aux deux premières,
j’eusse désiré qu’il se fût mieux expliqué sur la
nature des corps qui en ont été le sujet, et nous
eût fait connaître avec certitude qu’ils étaient vol-
caniques 3 mais en les supposant tels, la seule con-
séquence que l’on peut tirer des deux résultats de
Priestley, est que les productions des volcans ne
sont pas toujours privées de gaz permanens; et
cette conséquence, bien loin de combattre mon
opinion , tend plutôt à la soutenir , comme on le
verra plus bas. Jusqu’à présent je n’ai eu d’autre
vue que de prouver que les bulles , les vides
qui se forment dans les corps volcaniques lors-
qu’on les traite avec le feu ordinaire , et ceux tout
semblables que l’on observe dans les laves, sont
occasionnés par la réduction en vapeur de ces
memes substances.
Mais avançons dans notre sujet , et cherchons
quelle peut être l’influence de cette vapeur aéri-
forme sur les éruptions. Lorsque , dans les pro-
fondeurs d’un cratère , elle se trouve mêlée à
une lave liquide violemment tourmentée par le
feu, on conçoit comment elle peut soulever cette
lave jusqu’au sommet du cratère , et la forcer
de s’épancher par les bords : l’art imite en petit
cette grande opération de la nature. Je place
dans un fourneau de verrerie un creuset cylin-
Q 3
VOYAGES
s38
drique d’un pied de hauteur , de deux pouces
et demi de largeur , à moitié rempli d’un des
produits volcaniques les plus susceptibles de se
gonfler. Au bout de quelques heures de feu ,
j’observe que la matière liquéfiée commence à
se soulever, mais avec lenteur ; ce mouvement
s’accroît , et enfin la matière se déverse , se ré-
pand en ruisseaux sur les cotés extérieurs du
creuset , gagne le plan sur lequel il est posé ,
et si ce plan est incliné , donne naissance à autant
de petits courans. A mesure qu’elle s’écoule hors
du creuset, je la remplace par une nouvelle ma-
tière de la même espèce , et je vois les courans
s’augmenter et s’étendre de plus en plus. Je fais
ensuite cesser le feu, je retire tout mon appareil
hors du fourneau, j’examine la matière qui s’est
épanchée, et je la trouve pleine de bulles comme
celle qui est restée dans le creuset. Cette expé-
rience m’a toujours réussi, soit que je l’aie tentée
sur des verres ou émaux volcaniques , soit sur
des laves cellulaires. v
Il est encore probable que si cette vapeur
élastique ramassée en grande abondance, trpuve
sous terre des obstacles qui s’opposent fortement
à son issue , elle occasionnera des secousses , elle
tonnera , elle mugira dans le sein de la montagne,
elle en déchirera les flancs, et ouvrira des pas-
DANS LES DEUX SICILE S. 20$
sages à la lave. Nous avons cet exemple en petit
dans les deux matras de nos expériences , brisés
par l’expansion de ce fluide ; mais voici d’autres
effets plus sensibles. Je fis fabriquer trois matras
d’argile avec des parois d’un pouce d’épaisseur,
et un ventre de quatre pouces trois quarts de
diamètre. Les ayant remplis à plus de moitié
d’une lave cellulaire , je les plaçai au feu de
manière qu’ils avaient le col hors du fourneau.
Au bout de onze heures , leur ventre se fendit
en plusieurs endroits, et une partie de la matière
fondue s’échappa parles fentes. Ces matras étant
refroidis, j’achevai de les briser tout-à-fait, et
je vis qu’ils contenaient un verre plein de grosses
bulles qui était monté jusqu’à la moitié du col,
et non au-delà. Je conçois aisément la cause de
leur rupture dans le fourneau : le verre raréfié
par la vapeur aériforme , ne trouvant plus assez
d’espace pour s’étendre , s’était répandu dans le
col 5 arrivé au point où le feu ne pouvait plus
le tenir en fusion , il s’était arrêté ; tandis que
son gonflement augmentant par la violence de
la chaleur qu’il éprouvait plus bas , il dut enfin
faire un effort contre les parois du matras , et
les briser. Cette explication me rend également
raison des effets analogues, mais infiniment plus
grands, que cette vapeur est. capable de produire
sous terre lorsqu’elle y éprouve de la résistance.
Q 4
VOYAGES
240
Quant aux projections de pierres enflammées .,
aux grêles volcaniques, j’avoue que nulle circons-
tance dans mon expérience ne m’en découvre la
cause. La rupture des matras se fait sans déton-
nation , et sans que la matière s’éparpille à l’en-
tour. J’en ai observé deux en ce moment : il m’a
paru que leurs ouvertures s’élargissaient insen-
siblement ; ce qui prouve que la puissance de
cette vapeur, quoique supérieure à la résistance
des matras , se développe avec lenteur , tandis
que l’agent qui vibre dans les airs les matières
volcaniques , doit nécessairement opérer avec
une rapidité et une violence extrêmes. Pour ex-
pliquer cet effet, il faut donc recourir à d’autres
principes, à des gaz, par exemple, qui cherchant
une issue à travers les substances liquéfiées dont
ils sont enveloppés, les chassent impétueusement
hors du cratère. Ce qui n’est pas douteux , c’est
la présence de ces gaz qui, au moment de l’érup-
tion , s’annoncent par des sifïlemens. Cette re-
marque a été faite au mont Vésuve, un des vol-
cans les mieux observés , à cause de son voisinage
de Naples, et moi-même j’ai entendu des siffle-
mens semblables à Stromboîi.
Mais quelle est la nature de ces gaz ? Pour
répondre avec certitude à cette question , il fau-
drait les recueillir dans l’efferves cence des vol-
^4i
DANS LES DEUX SICILE S.
cans , et les soumettre à une analyse chimique,
ce qui est impossible, à moins de vouloir rester
victime de sa curiosité. Les seules connaissances
qui ont été acquises à cet égard nous sont parve-
nues par des voies indirectes , en examinant les
substances gazeuses qui s’exhalent des volcans
en repos. On compte au nombre de ces subs-
tances le gaz hydrogène sulfuré , le gaz acide
carbonique , l’acide sulfureux , le gaz azote, qui
ont été recueillis en diverses contrées volcani-
ques (i).
A ces causes concomitantes , il est vraisem-
blable que dans les grandes , les terribles érup-
tions, il s’en joint une encore plus puissante,
telle que l’eau réduite en vapeurs , principale-
ment celle de la mer. C?est un fait assez connu,
que les volcans brûlans épars sur le globe, sont
(1) Je n’exclus point le calorique du nombre des agens
qui, par leur force d’expansion produisent les éruptions.
S’il se développe, dans le foyer des volcans , une quan-
tité de ce fluide plus grande que celle qui peut sortir par
les pores des corps environnans , alors , selon l’observa-
tion de Lavoisier, le calorique agira comme tout autre
fluide élastique , et renversera ce qui s’oppose à son pas-
sage ; mais, hors de là, je ne vois pas quelle action
immédiate le calorique peut avoir sur les projections
volcaniques. Note de V auteur.
24s VOYAGES
environnés de la mer, ou en sont peu éloignés 5
et que les volcans éteints en sont actuellement,
pour la plupart, à une grande distance. La con-
servation , Porigine même de leurs incendies, a
donc une relation secrète avec les eaux marines.
Il est vraisemblable que ces eaux communiquent
par des canaux souterrains avec les cavernes
spacieuses qui régnent dans le sein des montagnes
îgnivomesj et quoique cette communication im-
médiate ne soit pas visible au-debors , elle se
manifeste cependant par ses effets , tels que la
retraite subite de la mer , qui arrive quelquefois
pendant les grandes crises des volcans , retraite
occasionnée sans doute par les grands volumes
d’eau absorbés dans leurs vastes cavernes. Pline
le jeune rapporte que , sous le règne de Titus,
on observa ce phénomène pendant Phorrible
éruption du Vésuve où son oncle périt. La mer
offrit le même spectacle dans une autre éruption
du Vésuve non moins formidable , arrivée il y
a un siècle et demi. Des auteurs contemporains
et dignes de foi l’attestent 5 et Serao , qui en
parle dans sa relation de l’incendie de 1737,
ajoute que dans l’histoire de toutes les grandes
crises de ce volcan, il est toujours fait mention
du retirement des eaux de la mer. Steller, dans
ses observations sur les volcans du Kamtschatka,
assure que la plupart des tremblemens de terre
DANS LES DEUX SICILE S. 243
arrivent dans le temps des équinoxes , quand la
mer grossit, et sur-tout en automne, où les eaux
sont plus hautes.
Quoi qu’il en soit, toujours est- il certain qu’un
grand amas d’eau réduit subitement en vapeur
par les feux souterrains , serait capable de pro-
duire des explosions , des détonnations bien su-
périeures à celles des gaz élastiques dont nous
avons parlé. L’art nous fournit des faits en ce
genre très -remarquables. Si, après avoir fait
plusieurs décharges d’une pièce d’artillerie , on
la rafraîchit avec un écouviilon humecté qui en
remplisse trop exactement le calibre, la vapeur
qui se produit alors dans le fond du canon ne
pouvant se dilater , repousse l’écouviiîon avec
une telle violence que celui-ci emporte quelque-
fois le bras du canonnier. Que l’on expose à un
feu très-vif une boule creuse de fer, ou de tout
autre métal , où l’on aura enfermé une petite
quantité d’eau , de manière qu’elle ne puisse en
sortir, la boule éclatera avec une explosion sem-
blable à celle de la poudre à canon.
Mais si quelque chose est propre à donner
une idée des effets terribles que la vaporisation
de beau est capable de produire dans le sein
des volcans , c’est ce qui arrive en faisant couler
du métal fondu dans des moules qui ne sont pas
VOYAGES
2 44
parfaitement ressuyés. On en trouve un exemple
mémorable dans le tome IV des Actes de l’Aca*
démie de Bologne. Sous un portique, à Modène,
on devait fondre une grande cloche • déjà le
métal était en liquéfaction. On lui ouvre le canal
de communication construit sous terre à peu de
distance. A peine le bronze enflammé Peut- il
touché , qu’il en partit une explosion qui lança
en l’air et le métal et le moule , et une prodi-
gieuse quantité de terre ; le fourneau, fut mis
en pièces , le portique ébranlé , ses murs se fen-
dirent , les poutres du toit furent emportées , les
tuiles chassées au loin , et enfin à la place de
îa cloche , on ne vit plus qu’un goufFre large
et profond. Plusieurs des assistans furent tués,
d’autres blessés, et la terreur fut à son comble.
Un si funeste accident ne fut cependant occa-
sionné que par un peu d’humidité qui était restée
dans le moule , et cela par la négligence de l’ar-
tiste. En comparant i’efFet avec la cause , on doit
juger de celui qui résulterait d’un grand amas
d’eau réduit en vapeurs dans les fournaises vob
caniques, et des moyens que la nature a en son
pouvoir pour faire sortir du sein de la terre les
plus épouvantables explosions.
Il se présente ici une autre question. On conçoit
bien comment l’eau , en s’insinuant sous un in-
DANS LES DEUX SICILE S. ^45
cendie volcanique , et se vaporisant subitement,
peut donner lieu à de violentes éruptions 5 mais
qu’arriverait-il si cette eau tombait sur l’incen-
die , soit qu’elle vînt de la mer, soit de la pluie?
car il est naturel que cette dernière pénètre par
les pores ou les fentes de la terre jusqu’aux foyers
volcaniques. On est d’abord tenté de croire , en
se rappelant quelques expériences bien connues,
que la vaporisation , dans l’un et l’autre cas , doit
produire les mêmes efFets. C’est ainsi que des
gouttes d’eau jetées sur une matière huileuse et
bouillante , comme le beurre , la graisse, l’huile,
la font jaillir hors du vase en pétillant.
Mais d’autres faits , plus analogues à la nature
des matières volcaniques , ofFrent un phénomène
tout difFérent. Les minéralogistes savent que si
Ton fait tomber de l’eau sur le cuivre ou l’argent
fondu , il en résulte seulement un frémissement
causé par la génération de la vapeur , et non
une explosion.
C’est ici le cas de rapporter une expérience
curieuse de Deslandes. Ce physicien ayant fait
fondre du verre dans un grand creuset , versa
dessus un plein gobelet d’eau 5 celle-ci aussi-tôt
se ramassa en boule sans produire le moindre
bruit. Elle prit , ou sembla prendre une couleur
rougeâtre , semblable à celle du creuset et de
VOYAGES
s4G
la matière qu’il contenait. Elle roula sur la sur-
face du verre fondu , àpeuprès comme le plomb
qui se consume dans la coupelle, diminua insen-
siblement de volume , et s’évapora entièrement
au bout de trois minutes , sans jeter aucune va-
peur apparente. Une autre fois Deslandes, sans
attendre que l’eau fût dissipée , versa la matière
du verre sur une table , et son écoulement n’oc-
casionna pas la moindre détonnation.
La liberté que j’avais de disposer d’un fourneau
de verrerie pour mon usage particulier , m’en-
gagea à reproduire ces faciles expériences : per-
sonne, que je sache, ne les avait répétées et véri-
fiées depuis Deslandes. Ayant communiqué mon
projet à un des hommes de service du fourneau, je
fus un peu surpris quand il me dit qu’il connaissait
le fait aussi bien que moi , et qu’il m’offrit de
verser sur du verre fondu autant d’eau qu’il me
plairait, sans qu’il en résultât le moindre accident
fâcheux. Je vis alors que c’était -là un de ces
phénomènes que les physiciens découvrent , et
publient dans le monde savant comme un fait
nouveau , tandis que la connaissance en est de-
puis long-temps familière à de simples artisans.
La réponse de celui-ci ne me détourna point
de mon projet. Je commençai donc par verser
six onces d’eau de puits dans un vase cylindrique
DANS LES DEUX SICILE S. 2«|7
d’argile , du diamètre de deux pieds environ ,
qui, depuis quinze jours , contenait du cristal de
verre en liquéfaction. L’eau s’éparpilla à l’ins-
tant en petites sphères , comme du mercure jeté
sur une table. Ces petites sphères furent toujours
en mouvement; elles diminuèrent insensiblement
de volume , et en moins de deux minutes, elles
furent consumées sans causer le moindre bruit.
Cependant, en les regardant attentivement à la
faveur de la lumière très-vive du fourneau , je
crus appercevoir dans les plus grosses un petit
bouillonnement. Je répétai l’expérience en ver-
sant dans le même creuset , et tout-à-la-fois ,
quarante-huit onces d’eau ; ce volume s’étant
divisé en plus grandes sphères , j’eus la facilité
de les observer avec plus de précision. D’abord
elles roulèrent çà et là sur la surface liquide du
verre, sans manifester aucune ébullition ; bientôt
après ce mouvement intestin parut sensible, dans
celles du moins qui se trouvaient le plus près
de mon œil , et j’en conclus qu’il existait de même
dans les plus éloignées. Elles bouillaient donc
véritablement , elles se gonflaient et ne produi-
saient aucun bruit , sans doute parce qu’elles
étaient dans un milieu , sinon privé entièrement
d’air, du moins très-raréfié. Comme les précé-
dentes, elles diminuèrent peu à peu, et finirent
par disparaître au bout de quatre minutes. Du-
VOYAGES
248
rant l'ébullition , je ne vis point autour d’elles
s’élever de vapeurs*
J’employai ensuite de plus grands volumes
d’eau 5 les résultats furent les mêmes. Je ne m’ap-
perçus point que l’eau devînt rouge 5 mais cette
couleur qu’avait le verre dont elle était environ-
née , pouvait facilement en imposer à l’obser-
vateur.
Ces résultats sont conformes à ceux publiés
par le physicien Deslandes , à l’exception de
l’ébullition qu’il n’avait pas remarquée. Si on
voulait en faire l’application aux volcans , il ne
serait plus douteux que l’eau qui tomberait d’en
haut sur leurs foyers brûlans ne fût incapable
d’occasionner des éruptions. Mais avant de pro-
noncer sur cette question , je crûs qu’il était à
propos de tenter quelques essais sur les métaux
et les laves en fusion. J’employai le fer, le cuivre ,
î’étain et le plomb. Quant au premier, je le ré-
duisis en limaille pour en faciliter la fusion. Les
creusets étaient larges en haut , étroits en bas,
et d’une capacité assez grande 5 le métal 11e les
remplissait pas entièrement, afin de laisser place
à l’eau que j’y devais verser. Au bout de vingt-
quatre heures , trouvant le fer à demi-fondu ,
j’y fis tomber quelques gouttes d’eau. D’abord
elles restèrent immobiles, sans paraître diminuer
de
DANS LES DEUX SICILES. 249
de volume 5 ensuite elles se mirent à sautiller et
à bouillir, et s’évaporèrent par gradation en moins
d’une minute. Je versai une plus grande quantité
d’eau ; les effets furent les mêmes, à l’exception
d’une ébullition plus sensible, à raison de la plus
grande masse d’eau.
Je laissai le creuset dans le fourneau 5 au bout
de sept heures je le retirai , et le transportant à
Pair froid, je renouvelai l’épreuve. J’aspergeai
le métal de quelques gouttes d’eau , qui se dissi-
pèrent à l’instant même dans le plus grand si-
lence. J’en versai une once 5 l’eau resta d’abord
tranquille, puis se divisa en globules, commença
à bouillir, et durant l’ébullition fit entendre quel-
que bruit.
Cependant la rougeur du fer s’était un peu
obscurcie. Je profitai de cette circonstance pour
reverser de l’eau 5 alors l’effet fut tout autre.
Au moment que l’eau toucha le métal, elle se
mit à bouillir , et je vis jaillir avec bruit une
bouffée de vapeurs qui dura jusqu’à l’entière dis-
sipation de la liqueur. La chaleur du fer fut en-
core assez forte pour que je pusse répéter deux
fois l’expérience , qui eut le même résultat.
Le cuivre , dans le fourneau , avait éprouve
une fusion complète. Je fis avec ce métal et
Tome IIL H
VOYAGES
2 5o
l’eau le même nombre d’expériences, et dans
les mêmes circonstances : je n’en rapporterai pas
les résultats 3 il me suffira de dire que tout se
passa comme dans celles du fer.
Quant à l’étain et au plomb , je n’avais pas
besoin du fourneau pour les fondre , une chaleur
bien plus modérée me suffisait. Mais je m’ap-
perçus bientôt que cette confiance que j’avais
prise en opérant sur le cuivre et le fer , je ne
pouvais la donner au plomb , moins encore à
l’étain , à cause des violentes explosions qu’exci-
tait leur contact avec l’eau. J’en fis divers essais
dont voici les principales circonstances. Quand
je faisais tomber l’eau goutte à goutte sur l’étain
fondu , au moment du contact elle éclatait avec
bruit 3 de petits morceaux de métal se déta-
chaient , et sautaient à la hauteur de deux , trois
et quatre pieds. Quand j’en versais une quantité
suffisante pour couvrir une partie de la surface
de l’étain , la détonation augmentait à propor-
tion ; le métal en grande partie était chassé hors
du creuset , et à une distance considérable. On
ne voyait s’élever aucune vapeur.
En regardant daps le creuset d’aussi près que
pouvait le permettre cette dangereuse expé-
rience , j’observai que chaque fois que la goutte
DANS LES DEUX S I C I L E S. s5l
d’eau touchait le métal , celui-ci recevait une
commotion , et se mettait en mouvement à
cause de sa liquidité 3 momentanément il se for-
mait à sa surface une fossette occasionnée par
la chute de la goutte , sur-tout quand elle tom-
bait de haut. Je pensai que l’explosion et la dé-
tonation pouvaient bien provenir de la fossette
où l’eau s’emprisonnait en partie 5 alors, réduite
subitement en vapeurs , et ne trouvant pas assez
d’espace pour se dilater, elle chassait impétueu-
sement le métal qui lui faisait obstacle. Mais dans
cette supposition , il était certain que, si la goutte
d’eau parvenait à toucher l’étain sans y former
un creux , le jet ne devait pas avoir lieu 3 que
si elle en formait un , le jet devait être plus ou
moins violent, à raison de la cavité plus ou moins
profonde , étant naturel que , dans ce dernier
cas , elle renfermât une plus grande quantité
d’eau. Je fis tomber , à très-peu de distance de
l’étain , des gouttes d’eau qui n’en creusèrent
point la surface, et d’autres à la distance de cinq
ou six pieds , qui y formèrent des fossettes 3 mais
dans l’une et l’autre circonstance , les effets furent
à-peu-près les mêmes : il y eut détonation et
éjection. C’était donc le seul contact de l’eau avec
l’étain qui produisait ce phénomène.
Au reste , cela n’empêche pas que l’eau n’oc-
R 2
s5 X2 V O Y A G E S
casionne des jets bien plus impétueux et plus
bruyans lorsqu’elle se .trouve renfermée dans le
métal fondu. Ayant retiré du feu un creuset où
il y avait de l’étain en liquéfaction , j’attendis
qu’il se fût coagulé à la surface, et ayant percé
avec la pointe d’un clou cette croûte encore
tendre , j’y versai une demi-once d’eau , dont
une partie entra par le trou* A l’instant la croûte
fut lancée en l’air avec un bruit plus fort qu’à
l’ordinaire, le métal liquide chassé avec violence,
et le creuset de terre mis en pièces. La coagula-
tion , c’est-à-dire , le rapprochement des parties
à la surface , avait formé entr’ elles et le métal
encore en liquéfaction , un vide qui donna en-
trée à l’eau; mais trop étroit pour son expansion
quand elle fut réduite en vapeurs, celles-ci , par
leur élasticité, renversèrent tous les obstacles qui
les retenaient.
Quand on n’ouvre point de passage à l’eau,
elle ne fait que bouillir sur la surface coagulée
de l’étain , et se résout en un petit nuage vapo-
reux qui se dissipe dans l’air.
Il y avait, dans les effets rapportés ci-dessus,
des anomalies dont il serait difficile de rendre
raison. Par exemple , il arrivait de suite cinq
ou six petites explosions causées par autant de
gouttes d’eau versées sur l’étain fondu , et tout-
DANS LES DEUX SICILE S. a55
à-coup elles cessaient , nonobstant la continua-
tion de la chute des gouttes , qui , en touchant
le métal , ne faisaient que bouillir et s’évaporer.
Mais ce qu’il y avait de plus étrange , c’est
qu’après trois ou quatre gouttes inefficaces , il
en succédait d’autres qui reproduisaient l’ex-
plosion. Que l’on ne pense pas que cette ineffi-
cacité dans les gouttes d’eau venait de ce qu’elles
ne tombaient pas immédiatement sur l’étain ,mais
sur la pellicule que l’occidation formait à sa sur-
face : j’étais trop preste à l’enlever aussi - tôt
qu’elle y paraissait.
Le plomb m’offrit les mêmes phénomènes et
les mêmes irrégularités que l’étain ; seulement
ses explosions ne furent pas aussi fréquentes, et
ne me parurent pas aussi fortes.
Je ne m’occuperai pas à chercher pourquoi
l’eau , dans le fourneau , ne manifeste point de
vaporisation sensible sur le fer et le cuivre ; pour-
quoi elle ne bout que quelques instans après son
contact avec les métaux , tandis qu’à Pair libre ,
la vaporisation et l’ébullition apparaissent dès que
l’eau touche ces deux métaux , qui sont alors un
peu refroidis. Je n’examinerai pas la raison pour
laquelle le plomb et l’étain éclatent avec bruit au
contact de l’eau , tandis que cet effet n’a point lieu
avec le fer et le cuivre. Ces recherches, pour être
R 5
VOYAGES
2 54
faites convenablement , demanderaient d’autres
expériences qui m’écarteraient trop dç mon su-
jet. Il vaut mieux passer de suite aux observations
faites sur les laves fondues dans des creusets de
même forme et grandeur que les précédens , et
soumises aux mêmes épreuve^ que le verre artifi-
ciel et les métaux.
Les premières laves que j’employai furent du
genre de celles qui , traitées avec le feu , sont
peu susceptibles de porosité. L’eau versée sur
la matière fondue resta quelques instans immo-
bile 3 bouillit ensuite jusqu’à son entière dissipa-
tion. Je retirai le creuset hors du fourneau , et
quand la matière eut perdu son extrême rou-
geur, j’y reversai de l’eau. Au moment du con-
tact, il se fit un frémissement, et l’eau, con-
vertie en bulles , éleva un nuage de vapeurs.
Plus la lave perdait de chaleur, plus les vapeurs
devenaient considérables : ce qui ne s’observait
toutefois que jusqu’à un certain degré de re-
froidissement. Ainsi ces laves se comportèrent
comme le verre , le cuivre et le fer , sans que le
contact de l’eau y occasionnât la moindre ex-
plosion.
J’eus besoin de quelque prudence en essayant
les laves poreuses. Une d’elles, dans le creuset,
avait contracté deux grosses bulles qui parais-
DANS LES DEUX SICILE S. ^55
saient percées dans un endroit. Au contact de
l’eau , le creuset éclata comme un coup de pis-
tolet , et la lave fut dispersée. Comme l’explosion
pouvait provenir, non de la portion d’eau qui
avait touché simplement la surface de la lave,
mais de celle qui s’était insinuée par l’ouverture
des bulles, je refis mon expérience sur la même
lave, en observant qu’il n’y eût aucune ouverture
dans les bulles , accident qui se rencontre souvent
dans la fusion. Ce que j’avais prévu arriva ; l’eau
n’y produisit qu’une ébullition tranquille. Je re-
nouvelai plusieurs fois l’épreuve, et j’en obtins le
même résultat.
Ma dernière tentative fut la suivante. Les laves
les plus fusibles qui, en se gonflant, se répandent
et coulent hors des creusets , conservent encore
assez de ténacité pour y pouvoir faire des trous
qui se maintiennent pendant quelque temps. Je
parlerai plus amplement de ce fait au cha-
pitre XXIII * il me suffît pour le moment de
rendre compte de mon procédé. Je fondis une
lave dans un grand creuset d’argile \ je la perçai
obliquement, depuis le haut jusqu’en bas, avec
une verge de fer du diamètre de trois lignes et
demie , et j’imaginai de verser de l’eau dans le
trou. Mais comme l’essai était dangereux , j’avais
eu la précaution de retirer le creuset hors du four-
R 4
VOYAGES
266
neau , et de le transporter dans une basse-cour
contiguë au laboratoire , dont la porte d’entrée
était percée à jour. Ce fut par cette ouverture,
qu’au moyen d’un long tube , je fis tomber de
l’eau sur le trou pratiqué dans la lave du creu-
set. Au moment qu’elle y pénétra, le vase partit
en éclats, la lave fut dispersée à plusieurs pieds
de distance avec une explosion plus forte que
celle d’un fusil.
7 •' • \ ■' •
Jusqu’ici je m’étais servi de l’eau douce $ je
fus curieux de savoir si l’eau de mer se com-
porterait de la même manière. L’essai que j’en
fis , en la répandant sur des laves fondues , me
donna des résultats semblables.
Quelle sera la conclusion de tous ces faits ?
Que si un amas d’eau vient à tomber sur le cratère
enflammé d’un volcan , il n’en résultera aucune
explosion ; que si l’eau y pénètre par-dessous ,
ou que , s’insinuant par des ouvertures latérales,
elle se mette en contact avec l’incendie, sans
qu’il y ait un espace suffisant à l’expansion de
ses vapeurs , l’explosion sera très- violente , té-
moin celle de la lave contenue dans le creuset
où l’eau avait pénétré.
Quoique , par tout ce que je viens de dire,
on soit fondé à croire que l’eau réduite en va-
peurs est très-propre à produire les plus fortes
DANS LES DEÜÎ SICI1ES. 267
éruptions volcaniques, et que d’un autre côté,
la retraite subite de la mer , qui arrive souvent
dans ces circonstances , ne semble pouvoir pro-
venir que de l’action de ce terrible agent , ce-
pendant il n’est pas nécessaire d’y recourir pour
expliquer les éruptions médiocres ou faibles , les
gaz permanens dont nous avons parlé étant suffi-
sans pour les occasionner. Il est même hors de
doute que ces gaz sont les seuls auteurs des
éruptions de certains volcans , par exemple , de
celui de Stromboli. En effet, que l’on se rappelle
comment elles se préparent dans son cratère.
On voit d^abord la lave liquéfiée bouillonner ,
se soulever à une certaine hauteur , se gonfler en
tumeurs multipliées qui, en éclatant, produisent
à l’instant même la détonation et le jet des ma-
tières. L’abaissement de la lave suit immédia-
tement jusqu’à une certaine profondeur , puis
il se fait un nouveau soulèvement accompagné de
semblables tumeurs , dont la rupture amène de
nouvelles explosions et de nouveaux jets. C’est
dans ce mouvement alternatif que consiste son
action. J’ai supposé que les tumeurs provenaient
d un fluide élastique emprisonné dans la lave li-
quide , qui cherchait une issue , et la trouvait
enfin en déchirant son enveloppe, et la vibrant
dans les airs. Cette supposition m’a paru, et me
parait encore très-raisonnable. Mais quelle est
^58 VOYAGES
la nature de ce fluide ? dernier point de cette
discussion que je vais essayer de résoudre.
Placé sur le volcan de Stromboli, et pouvant
porter mes regards dans l’intérieur de son cra-
tère , il me fut aisé de juger que le fluide ren-
fermé dans les tumeurs de sa lave ne pouvait
provenir de la vaporisation de la lave même;
car cette vaporisation qu’on ne peut nier, d’après
les expériences rapportées ci-dessus , bien que
suffisante pour les rompre , ne l’était pas pour
occasionner les grêles qui se succédaient sans
interruption. Ce fluide ne provenait pas non plus
de la vaporisation de l’eau ; car , pour détonner
il n’aurait pas attendu d’être renfermé dans une
tumeur , et d’être porté à la suface de la lave ;
la détonation et le jet seraient partis au moment
du contact de l’eau avec la lave embrasée. D’ail-
leurs, en supposant chacune de ces nombreuses
et très-grosses tumeurs remplies d’eau vaporisée,
qui ne voit pas que les explosions et les éruptions
se feraient avec plus d’impétuosité ! Il est donc
probable que ce fluide est un gaz permanent ,
peut-être un de ceux que l’on trouve dans les
volcans quand ils sont accessibles et en état de
repos, tels que le gaz acide carbonique ,1e gaz
hydrogène , le gaz oxigène , &c.
Dolomieu , qui ne s’est pas approché d’auss1
DANS LES DEUX SICILES. ^69
près que moi du cratère de Stromboli , mais qui
a observé ses éruptions , conjecture qu’elles sont
un jeu du gaz hydrogène. Insoupçonné que le
feu intérieur dégage ce fluide des matières qui
sont dans le voisinage du foyer volcanique, mais
qui ne le touchent pas immédiatement 5 que
ce fluide arrive par des canaux souterrains jus-
qu’au lieu de l’incendie , où il s’enflamme subi-
tement. #
Cette hypothèse , que ce sage naturaliste ne
présente que comme un doute , est séduisante ,
et je suis porté à croire qu’elle a souvent lieu
dans les volcans brûlans 5 mais les faits ne per-
mettent pas de l’appliquer à celui de Stromboli.
En premier lieu , si ce gaz a la propriété de
s’enflammer, il a aussi celle d’éteindre le feu
placé dans son atmosphère. Et comment la lave
fondue dans le cratère de Stromboli pourrait-
elle être investie , agitée , raréfiée par un sem-
blable fluide méphitique , sans que la vive rou-
geur dont elle brille aux heures de la nuit où
je l’ai observée , ne s’obscurcît pas , ne se perdît
pas même entièrement. En second lieu , quoique
dans ce volcan , la détonation accompagne tou-
jours l’éruption , cependant on ne dira point que
la première soit occasionnée par le gaz hydro-
gène , à moins de vouloir admettre un effet in-
%6o
VOYAGES
comparablement plus petit que sa cause. Dans
les diverses stations que j’ai faites sur ce volcan,
j’ai observé que les détonations les plus fortes
ne faisaient pas plus de bruit qu’un tonnerre
sourd et très-court , et c’est à ce moment que
se fait la rupture des tumeurs qui couvrent la
surface de la lave , tumeurs qui ont un diamètre
de plusieurs pieds. Or , n’est-il pas évident qu’une
si grande quantité d’hydrogène renfermée dans
un si grand nombre de tumeurs , et fulminant
presqu’au même instant , devrait produire un
bruit infiniment plus retentissant? Mais voici une
preuve sans réplique, ou, pour mieux dire, une
démonstration de l’insuffisance de l’hypothèse de
Dolomieu. Quand les tumeurs se brisent par l’ef-
fort et la sortie du fluide , ce fluide , si c’était
du gaz hydrogène , devrait s’enflammer en ce
moment , et manifester son inflammation à la
surface de la lave. Or, la vérité est qu’à chaque
éruption on n’y voit rien de semblable , pas la
plus petite flamme. C’est ce que je puis certifier,
ayant observé attentivement, pendant le jour
et la nuit , les moindres accidens qui survenaient
dans le cratère.
Forcé d’abandonner cette explication , il me
vint dans l’esprit que l’air atmosphérique était
peut - être la cause de ces phénomènes. Dans
DANS LES DEUX S I C I L E S. 20 L
cette seconde hypothèse , il fallait démontrer
comment cet air entrait librement dans le volcan >
et comment il en sortait en produisant des gon-
flemens et des éruptions. Le premier point n’of-
frait pas de difficulté , puisque les montagnes vol-
caniques sont caverneuses 3 mais cet air pouvait-
il s’insinuer dans la masse de la lave ? pouvait-il
la traverser et arriver à son sommet ? Je trouvai
dans sa nature même deux obstacles insurmon-
tables qui devaient s’y opposer. i°. On ne peut
nier que l’air atmosphérique qui pénètre par des
déchirures jusque dans les entrailles de la mon-
tagne , ne doive se dilater extrêmement en appro-
chant de cette masse énorme de lave fondue et
incandescente , et se porter vers l’issue la plus
facile pour s’échapper : il se retirera donc par
les cavernes qui communiquent au - dehors et
lui ont servi d’entrée. 20. Mais supposons pour
un moment qu’il parvienne à s’insinuer dans la
lave , ce ne serait que dans un état de raréfaction
très-grande > et dès-lors serait-il capable de pro-
duire les explosions continuelles de Stromboli ?
Je m'arrête à ces deux objections 3 elles suffisent
pour prouver l’absurdité de cette seconde hy-
pothèse.
Oserai-je en proposer une troisième? je ne la
crois pas indigne de l’attention du lecteur, quoi-
VOYAGES
r.02
que je ne la lui donne que comme conjecturale.
Il me semble que le gaz oxigène pourrait nous
donner Implication que nous cherchons. On sait
que les sulfates de fer et d’alumine en fournissent
abondamment quand ils sont tourmentés par un
feu très-vif ; on sait encore que ces deux sels
se reproduisent facilement dans les volcans. L’un
et l’autre pourraient être une source abondante
et inépuisable d’oxigène dans le Strornboli 5 ce
gaz , en se mêlant avec la lave , serait forcé par
sa légéreté à monter au travers 5 il s’amasserait
dans la bouche étroite du cratère $ il produirait
des gonflemens, des boursouflures dans la lave $
il en sortirait avec détonation , il la déchirerait
en lançant dans les airs ses morceaux épars 5 car
l’augmentation de chaleur qu’il aurait reçue , aug-
menterait aussi et prodigieusement sa force ex-
pansive. D’ailleurs les éruptions seraient toujours
proportionnées à la quantité de gaz rassemblé
et dégagé.
Je ne vois que deux argumens que l’on puisse
élever contre cette hypothèse. Le premier est
que la lave qui serait investie par le gaz oxigène
devrait être si lumineuse , que l’œil ne pourrait
en soutenir la vue 5 puisqu’il ne se fixe qu’avec
beaucoup de peine sur la plus petite flamme que
ce gaz anime. Cependant la lave n’est pas plus
DANS LES DEUX SICILE S. 263
rouge que le verre et le bronze fondu. Le second
est que cette lave , attisée par ce gaz , devrait
se convertir en un verre ou un émail homogène ,
comme il arrive à celles que Ton expose au feu
animé par l’oxigène. Cependant il n’en est rien,
et dans les matières que vomit le Stromboli , on
reconnaît encore les bases de leurs roches pri-
mordiales : les schorls et les feld-spaths s’y main-
tiennent dans leur état primitif de cristallisa-
tion.
Mais on peut répondre à ces deux argumens,
si l’on considère que l’oxigène ne saurait être
jamais pur dans les volcans brûlans 5 qu’il doit
y être nécessairement mêlé à quelque gaz mé-
phitique 3 sur-tout à l’acide carbonique , si com-
mun dans les pays volcaniques. Ce mélange doit
afFaiblir beaucoup le vif éclat que l’oxigène pur
exciterait dans la lave 5 et celle-ci , par la même
raison , ne sera jamais assez tourmentée par le feu
pour ne pas conserver les caractères de sa roche.
Je ne donne cette explication que pour ce qu’elle
vaut j prêt à la rejeter si on la démontre insuffi-
sante. L’impossibilité de recueillir le fluide qui
s’échappe du cratère de Stromboli , fera qu’on
n’en découvrira jamais la nature par des voies
directes. Je l’ai jugée par conjecture , et j’ai
pensé que l’oxigène , dont l’existence n’est pas
20^ VOYAGES
douteuse dans le volcan de Stromboli , était le
plus propre à en expliquer les phénomènes. Au
reste , qui sait si dans ces immenses laboratoires
de la nature qu’on appelle des volcans , il ne
se produit ou ne se développe , par le moyen du
feu , des substances gazeuses qui nous sont in-
connues , et qui concourent à leurs éruptions ?
et ces substances 3 pourra-t-on jamais les con-
naître }
i
CHAPITRE
ï) A N S LES D E Ü 3L SICILE S. 26 S
CHAPITRE XXII.
eide muriatique contenu dans divers -produits
volcaniques. Recherches sur son origine et
son mélange avec ces produits \
Au commencement du chapitre précédent , j’ai
dit que 5 voulant savoir si les productions volca-
niques , traitées avec le feu dans des matras >
fourniraient quelque gaz , et quelle serait la na-
ture de ce gaz , j’avais disposé l’expérience de
manière que si ces mêmes productions laissaient
échapper quelque liqueur , je pusse en même
temps la recueillir au moyen d’un ballon de
verre , qui d’un côté communiquait au matras 3
et de l’autre à l’appareil chîmico-pneumatique
à mercure» J’ai de plus annoncé que j’avais ob-
tenu une liqueur , que son caractère était remar-
quable , et que je me réservais d’en parler plus
particulièrement. C’est à quoi je destine ce cha-
pitre. Je raconterai les circonstances qui accom-
pagnèrent l’écoulement de cette liqueur, en com-
mençant par le verre tigré de Lipari , qui le pre*»
mier la produisit.
Tome III ,
S
VOYAGES
26 6 x
Comme le feu commençait à échauffer consi-
dérablement le raatras , il parut dans le ballon un
nuage blanc qui, augmentant insensiblement, en
occupa toute la capacité 3 puis se raréfiant peu à
peu , s’attacha , sous la forme de petites gouttes ,
aux parois intérieures du verre. Au bout de deux
heures et trois quarts de feu , ce nuage se dissipa
entièrement , en laissant au fond du ballon une
petite quantité de liqueur limpide.
J’examinai cette liqueur : son poids était de
cent quarante-quatre grains 3 sa saveur, celle
de l’acide muriatique délayé.
Le prussiate de potasse ferrugineux non sa-
turé , et la teinture de noix de galle faite avec
l’esprit-de-vin, n’y manifestèrent aucune trace
de fer.
Le carbonate ammoniacal n*y laissa voir aucun
vestige de terre.
La teinture de tournesol changée en rouge,
annonça que cet acide était pur , et son effer-
vescence avec le carbonate ammoniacal , qu’il
était un peu concentré.
Le muriate de baryte , dans lequel il ne causa
aucune précipitation , prouva qu’il n’était pas
sulfurique*
*
DANS LES DEUX SICILE S. 267
Et enfin les flocons blancs produits avec le
nitrate d’argent, annoncèrent qu’il était un acide
muriatique.
Il me restait quatre-vingts grains de cette
liqueur, sur laquelle je vetsai à diverses reprises
le nitrate d’argent jusqu’à ce qu’il n’y eût plus
de précipité. Ce précipité bien édulcoré , bien
séché , je le pesai , et je trouvai qu’il se montait
à huit grains. Or, comme l’acide muriatique,
suivant le calcul de Bergman , fait le quart du
muriate d’argent , cet acide entrait pour deux
grains dans la liqueur susdite.
Je n’ai pas besoin de dire la surprise que me
causa la présence de ce sel et de cette eau ,
dans une substance pierreuse qui avait été non-
seulement fondue , mais encore vitrifiée par les
feux souterrains. Je ne pouvais soupçonner que
l’un et l’autre , avant l’opération , étaient adhé-
rens au matras , car il était neuf, comme tous
ceux que j’employais , et servait pour la pre-
mière fois. La singularité de ce fait m’engagea
à répéter l’expérience avec le même verre tigré ,
dont je possédais de très-gros morceaux. J’en
pris un que je réduisis en poudre $ je plaçai cette
poudre dans un autre matras que je disposai
comme le précédent. Au bout d’une demi-heure
de feu , j’apperçus dans le ballon des traces d’un
Sa
V O Y A G E S
s68
nuage blanc qui, s’augmentant successivement,'
acheva de le remplir entièrement 3 il se résolut
ensuite contre lés parois en un voile aqueux qui,
tombant au fond du ballon , y produisit une cer-
taine quantité de liqueur. Son poids était de
soixante et dix-sept grains et demi 5 elle avait
la saveur de l'acide muriatique , et les réactifs
y prouvèrent la présence de ce sel à l'exclusion
de tout autre. Il me fut donc démontré que cet
acide , uni à l'eau , se trouvait renfermé dans
le verre volcanique. J’expliquai l’apparence du
nuage blanc dans le ballon par le mélange de
l’eau avec l’acide muriatique, qui, toutes les fois
qu’il est en contact avec l’humidité , produit de
semblables vapeurs 3 et la condensation du nuage,
par la fraîcheur du ballon. Ces vapeurs aqueuses
se sont précipitées , et l’acide s’est uni à l’eau par
la grande affinité qu’il a avec elle.
Mais pette liqueur appartenait-elle exclusive-
ment au verre tigré de Lipari, ou était-elle com-
mune à d’autres productions volcaniques ? Je
poursuivis ma recherche , et d’abord je mis à
l’épreuve le verre noir de la même île. Douze
onces me donnèrent cent quatre grains de li»-
queur qui s’amassa au fond du ballon : elle était
de même nature que la précédentes
Ainsi, malgré l’inégalité de poids dans les deux
DANS LES DEUX SICILE S. 26g
verres employés , l’un dans la première expé-
rience , l’autre dans la seconde , la liqueur éma-
née de celui-ci pesait quarante grains de moins 5
mais en la goûtant , je la trouvai un peu plus
acide. En effet, quatre-vingts grains me donnèrent
dix grains de muriate d’argent , et par consé-
quent deux grains et demi d’acide muriatique,
tandis que les quatre-vingts grains de la liqueur
du verre tigré n’en avait fourni en dernier ré-
sultat que deux grains.
J’éprouvai ensuite un verre artificiel , et j’en
recueillis à peine un grain d’eau , qui se trouva
tout-à-fait insipide. Les deux verres volcaniques
avaient donc , à l’exclusion des verres artificiels,
la propriété de contenir de l’acide muriatique.
Curieux de savoir s’il était combiné , ou uni
mécaniquement avec ces deux corps volcaniques,
j’imaginai de les exposer à un feu assez modéré
pour les garantir de la fusion. J’enfermai six onces
de verre tigré en poudre dans une cornue jointe
à un ballon qui communiquait avec l’appareiL à
mercure , et je l’exposai pendant douze heures
de suite à l’action d’un feu de sable. Au bout
de six quarts-cfheure , il parut au col de la cor-i
nue une grosse goutte d’une liqueur , qui tomba
bientôt après dans le ballon; il s’en forma une
seconde au même endroit qui y resta toujours
S 5
VOYAGES
570
attachée , et ce fut la dernière. On ne voyait
point de vapeurs ni dans la cornue , ni dans le
ballon. Les deux premières heures s’écoulèrent
ainsi ; alors seulement le col de la cornue com-
mença à se couvrir d’un voile blanc, qui devint
ensuite plus dense : aucun gaz ne se forma sur le
mercure.
Ayant rompu la cornue , je découvris que ce
voile n’était autre chose que la partie la plus
subtile du verre pulvérisé sublimée par l’action
du feu 3 et adhérente à la cornue. La fusion ne
s’était point opérée. Les deux gouttes d’eau, qui
pouvaient peser neuf à dix grains , se trouvèrent
très-acides au goût , et les réactifs démontrèrent
que cet acide était muriatique.
Puisque le verre mis en expérience était resté
intact , le résultat indiquait que l’eau et l’acide
étaient, non en combinaison , mais seulement en
adhérence avec ses parties 5 et s’il n’en était pas
sorti une plus grande quantité , c’est que le feu
avait été trop modéré.
La voie humide me fournit de nouvelles lu-
mières. Je réduisis en poudre douze onces de
verre noir de Lipari , autant de verre tigré 5 je
les mis séparément en digestion , pendant douze
heures , dans l’eau distillée. Cette eau , après
DANS LES DEUX SICILE S. 27 1
avoir été filtrée , ne changea point la couleur
de la teinture de tournesol, preuve qu’il n’y exis-
tait aucun acide libre, ou du moins que cet acide
y était très— afFaibli. Mais le nitrate d’argent la
troubla légèrement, et il se forma un petit sédi-
ment au bout de vingt-quatre heures.
Sachant que l’acide muriatique, quoique faible,
engendre toujours des flocons blancs , ou des
stries dans le nitrate d’argent , je doutai que le
trouble de la liqueur fût l’effet de cet acide.
Pour m’en assurer , je pris de l’eau distillée , à
laquelle je mêlai une goutte d’acide muriatique;
j’y versai du nitrate d’argent , et il se forma des
flocons ; j’augmentai le volume d’eau, et renou-
velant l’épreuve avec le nitrate , les flocons pa-
rurent , mais plus petits ; une nouvelle addition
d’eau . et une nouvelle épreuve , n’offrirent plus
qu’un léger trouble et point de floceons, effet
semblable à celui qu’avait manifesté ma première
liqueur , et qui y prouvait l’existence d’une très-
petite portion d’acide muriatique , qui, pendant
la digestion , s’était émanée des verres volca-
niques.
Je pris douze onces du verre noir, autant du
verre tigré ; j’en fis séparément quatre décoc-
tions consécutives de quinze heures chacune ;
je filtrai l’eau, je la fis évaporer à siccité , et
S 4
272 VOYAGES
au fond de l’évaporatoire , je trouvai un résidu
de poussière de verre. J’y versai un peu d’eau
distillée j j’éprouvai une partie de cette eau avec
la teinture de tournesol , l’autre avec le nitrate
d’argent. La première se colora légèrement de
rouge 5 la seconde se troubla un peu , et il s’y
forma quelques flocons blancs.
Je fis , non bouillir , mais infuser au feu de
sable pendant quarante heures , dans de l’eau
distillée , dix-neuf onces deux dragmes et. sept
grains et demi du verre noir réduit en six mor-
ceaux ; j’en fis autant du verre tigré , le divisant
de même en six morceaux , qui pesaient en tout
vingt onces deux dragmes et un grain et demi.
Séchés à Pair et au soleil , les deux verres se sont
ensuite trouvés du même poids. Les deux eaux,
dont le volume s’était diminué par l’évaporation,
se sont troublées par le nitrate d’argent, et il en
est résulté un petit sédiment.
L’ensemble de ces faits démontrait évidem-
ment que l’acide muriatique , dans les deux
verres volcaniques , n’était point combiné avec
eux comme principe constituant , mais qu’il
adhérait simplement à leurs parties.
J’étendis ces recherches à d’autres corps vol-
caniques. La lave à grenat du Vésuve me donna
DANS LES DEUX SI C ï LES. 2^5
deux grains d’eau qui ne changea point la tein-
ture de tournesol , mais qui se colora d’un blanc
laiteux par le mélange du nitrate d’argent : ainsi
elle n’était pas entièrement privée d’acide mu-
riatique.
Celle du même volcan qui avait coulé peu de
temps avant mon voyage au Vésuve , laissa dans
le fond du ballon quatre grains d’eau qui sortit
pure de l’épreuve.
La lave de Vulcano , émaillée à l’extérieur,
en fournit quatre grains et demi. Cette eau était
sans odeur , mais d’une saveur acidulé : sa pré-
cipitation en flocons blancs annonça la présence
de l’acide muriatique.
La lave de Stromboli , lancée de son cratère,
ne produisit que de l’eau simple.
Une autre lave du même volcan et de la même
espèce , mais d’une date ancienne , et qui avait
été retirée de dessous d’autres laves à une grande
profondeur, donna sept grains et un quart d’eau.
Sa saveur acidulé, sa précipitation en stries flo-
conneuses , prouvèrent qu’elle contenait de l’a-
eide muriatique en dissolution.
Je retirai de la lave de l’Etna de 1787 six
27^ VOYAGES
grains d’eau pure. Cette lave , ainsi que la pre-
mière de Stromboli , était encore chaude quand
je la recueillis.
Une pierre ponce solide de Lipari me donna
vingt-quatre grains et demi d’eau acide au goût,
et qui changeait en rouge la teinture de tour-
nesol. Elle se troubla par le mélange du nitrate
d’argent , et j’y reconnus la présence de l’acide
muriatique.
Ainsi, des neuf corps volcaniques qui ont été le
sujet de ces expériences , six ont manifesté la pré-
sence de l’acide muriatique ; les trois autres n’en
ont donné aucun signe. En réfléchissant sur leurs
circonstances locales, je vis que l’acide muriati-
que n’existait point dans les produits volcaniques
alors qu’ils étaient encore en liquéfaction ou en
incandescence, mais qu’il s’y unissait par la suite.
En effet, la lave du Vésuve, celle de Stromboli,
celle de PEtna, qui étaient de formation nouvelle
quand je les recueillis, n’en renfermaient point ,
quoiqu’elles continssent une petite portion d’eau 5
tandis que les six autres, qui avaient perdu leur
chaleur depuis long-temps , en ont fourni une
quantité plus ou moins grande. Cela est sur- tout
remarquable dans les deux laves de Stromboli :
elles étaient de même nature. Dans l’une , prise
DANS LES DEUX SICILE S. 2y5
au moment de sa chute hors du cratère , l’acide
n’existait point ; dans l’autre , vomie depuis quel-
que temps , l’acide commençait à se former , et
a manifesté sa présence.
J’avais pensé que cet acide pouvait provenir
du muriate ammoniaque, qui se trouve commu-
nément dans les volcans. Je versai sur la chaux
une partie de liqueur que j’avais obtenue des
verres volcaniques ; j’employai aussi le carbo-
nate de potasse ; mais l’odeur piquante de l’am-
moniaque ne se fit point sentir, preuve évidente
qu’il n’y en avait point dans la liqueur.
Je croirais plutôt que cet acide s’élève , soit
des lieux souterrains , où l’on sait qu’il se forme
quelquefois ; soit plus probablement de la mer,
qui pénètre par-dessous les monts volcaniques,
et qu’il s’engendre de la décomposition du rau-
riate de soude opérée par les acides sulfureux,
si abondans dans les volcans. Cet acide muria-
tique , absorbé par l’humidité de l’air, s’intro-
duit ensuite dans les productions volcaniques.
Si l’on s’étonnait cependant que ce sel avec l’eau
ait pu s’insinuer dans deux verres volcaniques
aussi compactes que ceux de Lipari , sur-tout
le noir , et quin’ont ni crevasses , ni gerçures,
on doit se rappeler que l’eau s’atténue au point
276 VOYAGES, ûc.
de pénétrer dans les corps les plus denses , où
les yeux , armés de la meilleure loupe , ne dé-
couvrent pas le plus petit pore.
FIN DU TOME TROISIÈME.
/
/
; : .• v ; J,
: T . ... * 7 V t . , ' ./tff . (
TABLE ET SOMMAIRES
des chapitres contenus dans ce troisième
volume.
chapitre xvij page 1 . Voyage dans V inté-
rieur de Vile de Lipari .
SECONDE PARTIE.
Aspect irrégulier de cette île. Ses cratères ^existent
plus. Conjecture que le mont Saint- Angelo et celui de la
Guardia , les plus éminens de l’île , ont été formés par
deux volcans distincts. Efflorescence du muriate d’am-
moniaque dans deux cavernes près la plaine nommée
la Valle. Brèche volcanique très- curieuse. Tuffa qui
recouvre une partie de la montagne des Etuves, et qui
paraît provenir d’un courant terreux. Charbons ligneux
enfermés dans ce tuffa. Recherches sur leur origine.
Chemin conduisant de la ville aux Etuves creusé par
les pluies dans le tuffa. Productions volcaniques. Mor-
ceaux errans d’émail , renfermant de petits corpuscules
semblables aux grenats. Leur comparaison avec les gre-
nats duVésuve. Email à grenats de Lipari a pour base
la pierre de corne. Laves errantes. Chrysolites volca-
niques dans une lave à base de pierre de corne. Com-
paraison de ces chrysolites avec celles de l’Etna et du
Vivarais. Porphyre rouge qui ne paraît pas avoir subi
la fusion. Tous ces corps ne forment point de courans,
278 TABLE ET S O^ï MAIRES
et paraissent avoir été lancés par les volcans. Plaine
tuffacée rendue propre à la culture, située au - delà
du mont des Etuves , et renfermant des morceaux de
verre , les plus purs et les plus parfaits de Lipari.
Origine locale de ce verre. Lit de pierres ponces sur
lequel s'étend le courant de tuffa. Description des
Etuves de Lipari , restes de l’inflammation souterraine
de cette île. Nombre prodigieux de laves décomposées
par l’impression des vapeurs sulfureuses. Oxide de fer
pur déposé sur plusieurs de ces laves. Leurs couleurs
variées. La décomposition est en raison inverse de la
profondeur des masses. Considérées dans leurs parties
saines , elles manifestent pour l’ordinaire une base de
pétro-silex. La décomposition est un obstacle à la fu-
sion des laves , et pourquoi. Sulfates de chaux diver-
sement colorés , et adhérens aux laves décomposées.
Le fer oxidé et modifié de diverses manières , est la
cause de cette variété de couleurs. Découverte de di-
verses chrysolites près les Etuves. Gelée qu’elles for-
ment avec les acides minéraux. Eclairs qu’elles lancent
à l’instant de tomber en fusion. Leur gonflement. Com-
paraison de ces zéolites avec celles des autres pays.
Leur génération se fait , non par la voie sèche , mais
par la voie humide. Zéolites formées dans la mer :
celles de Lipari ont une autre origine. Exemples de
zéolites formées dans l’eau douce. Sources des eaux
thermales de Lipari. Autre amas prodigieux de laves
décomposées et de sulfures de chaux au sud de l’île.
Aucun pays volcanisé en Europe , où les vapeurs sul-
fureuses émanées des incendies souterrains aient oc-
cupé autant d’espace. Vitrifications de Campo-Bianco ,
du mont de la Castagna et autres lieux. Les deux tiers
DES CHAPITRES. 279
de cette île , qui a dix-neuf milles et demi de circon-
férence , sont vitrifiés. Ses matières volcanisées dé-
rivent du pétro-silex , du feld-spath en masse, de la
roche de corne, qui se sont ou simplement fondus,
ou vitrifiés. Il n’est pas nécessaire de supposer, pour
ce dernier effet, une grande puissance dans les feux
souterrains. Exception pour les pierres ponces prove-
nues du granit. Notices transmises par les anciens sur
les feux de Lipari. L’existence de cette île et celle de
la ville remonte à une époque antérieure à la guerre
de Troyes. Il n’est aucun souvenir des éruptions de
ses volcans dans les temps historiques. Cette île est
parvenue à son plus grand développement avant que
les hommes en aient eu connaissance.
chapitre xvii, page 72. Félicuda .
Cette île a deux anses où les petits bâtimens trouvent
un abri. Voyage autour de ses rivages. Laves prisma-
tiques qui plongent dans la mer. Vaste grotte taillée
dans une de ces laves. Recherches touchant son ori-
gine. Couches de tufîa et de laves posées alternative-
ment Pune sur l’autre. Autres laves prismatiques des
rivages. Considérations sur ces laves. Description de
l’intérieur de l’île. Montagne centrale plus éminente
que les autres : on voit à son sommet le cratère d’un
antique volcan, à qui probablement Félicuda doit sa
première origine. Indices de l’existence passée d’un
volcan moins considérable à la cime d’un mont su-
balterne. Point d’autres vestiges de cratère par toute
l’île. Qualités des laves , verres , ponces , tuffas , pouzzo-
lanes , disséminés dans son intérieur. Pouzzolanes et
ponces employées par les insulaires dans la construc-
280 TABLE ET SOMMAIRES
tion des maisons. L’île entière ne présente à Fauteur
que des matières volcanisées , à la réserve d’un mor-
ceau de granit naturel. Réflexions sur cette roche.
chapitre xvm, page ^5. Æicuda .
Tempête essuyée par Fauteur dans la traversée. Ponces
et verres de cette île. Ses rivages. Rochers composés
de globes de lave. Recherches à ce sujet. Lave d’une
conservation parfaite , quoique d’une date très - an-
cienne. Incertitude de nos jugemens sur la plus ou
moins grande antiquité des laves , fondés sur le degré
plus ou moins sensible de leur décomposition. Masses
isolées de porphyre , ne portent aucun signe d’avoir
été touchées par le feu volcanique. Laves d’un autre
genre. Schorls verts tirant sur l’azur , renfermés dans
toutes ces laves. Horrible aspect des côtes d’Alicuda.
Les flancs de la montagne ne présentent aucunes traces
de cratères. On en voit des vestiges à son sommet.
Les laves de l’intérieur sont analogues à celles des
rivages. Peu de probabilité <^ue Félicuda et Alicuda
aient jamais composé, comme le conjecture Dolomieu,
une seule montagne conique que la mer aurait divisée.
Raison de croire que chacune de ces îles a été formée
séparément. Ces deux îles ne portent plus des indices
d’un feu souterrain existant. Le silence des anciens à
l’égard de leurs éruptions est une preuve que depuis
long-temps elles ont cessé de brûler.
CHAPITRE
DES CHAPITRES»
28l
chapitre xix, page 111. Considérations sur
la volcanisation des îles Æoliennes . Re-
cherches sur lJ origine des basaltes .
Instrumens propres à arracher les corps pierreux du
fond de la mer. Fond volcanique des canaux qui sé-
parent Vulcano , Lipari et les Salines. Les matières
de ce Tond sont semblables à celles qui forment les
bases des îles Æoliennes. Gravier et sable volcanique
au fond du canal, entre Panaria et Lipari. Roches
existantes au milieu des eaux qui baignent les Sa-
lines, Félicuda et Alicuda , analogues à celles de ces
îles , mais probablement primordiales. Preuves dé-
cisives , déduites de ces observations , que les schorls
et les feld - spaths cristallisés des laves m’ont pas été
saisis par elles dans leur écoulement, ni formés au-
dedans d’elles pendant leur refroidissement. Confir-
mation de ces preuves. Iles Æoliennes placées en
ligne droite de l’est à l’ouest. Directions semblables
de quelques îles et montagnes volcaniques dans d’au-
tres régions. Probabilités que tout l’archipel Æolien
se soit formé en même temps, du moins quant à ses
premiers rudimens. On explique comment les îles et
montagnes ignivomes prennent en naissant une direc-
tion en ligne droite. Matières des Æoliennes pour la
plupart porphyriques. Analyses de l’auteur, qui dé-
montrent que les porphyres rouges d’Egypte ont pour
base , non le pétro - silex , mais la pierre de corne.
Existe -t- il d’autres pays volcaniques un amas aussi
considérable de vitrifications qu’à Vulcano et Lipari?
Incertitudes à ce sujet Les relations des voyageurs
Tome 111, T
table et sommaires
sont pour l’ordinaire vagues , souvent exagérées et
peu instructives. Verres volcaniques en Islande ; ne
composent pas des montagnes. Nous ne connaissons au-
cune vitrification dans les volcans des îles de Ferroë,
dans ceux de la Norvège et de la Laponie. Il en existe
peu ou point dans les; c outrées voicanisées de l'Alle-
magne et de la Hongrie , et dans les volçans éteints
de la France. On en trouve un peu plus au V ésuve et
aux environs de Naples , presque point sur l’Etna et
les montagnes volcaniques de Padoue. Aucune terra
en Europe plus abondante en ponce que l’île de San-
torin : ne porte point de verre. Cette production vol-
canique très-rare dans les trois autres parties du monde.
Conclusion , que le globe n'offre point de pays volça-
nisés plus abondans en verres que les deux îles de Vul-
çano et de Lipari , mais que l'île de Santorin les sur-
passe en pierres ponces. Recherches sur la rareté de
ces dernières vitrifications , soit dans les volcans en-
flammés , soit dans les volcans éteints. Elle semble
moins provenir de la quantité des pierres affectées par
le feu volcanique , que de l'inefficacité de cet agent
à les vitrifier. Degré de feu successivement plus éner-
gique pour qu’une roche passe de l'état de lave à celui
de pierre ponce , et de l’état de pierre ponce à celui-
de verre parfait. On explique comment quelques vol-
cans produisent des pierres ponces et jamais des verres.
Nos fourneaux ne sauraient produire des pierres ponces.
Lé noir est leur couleur naturelle. Elles blanchissent
par des causes extérieures.
DES CHAPITRES.
a83
Recherches sur les basaltes*
ïh sont produits par la voie humide , si l’on prend le mot
basalte dans l’acception que lui ont donnée les anciens.
Pierres en colonnes, semblables par leur configuration
prismatique au basalte des anciens, formées par la voie
sèche et par la voie humide, seïon les circonstances.
Preuves de leur origine par la voie sèche à Yulcano
et à Félicuda. La nature , dans le règne fossile cristal*
Üsé, agit autant par la voie sèche que par la voie
humide. Elle opère de même dans la génération des
basaltes. Abus de l’analogie qui généralise sur l’origine
des basaltes. Pris isolément , ils ne portent pas , pour
l’ordinaire , les caractères particuliers de leur origine.
Il faut la chercher dans les circonstances locales. Les
laves basaltiques sont-elles formées par leur subite con-
densation dans la mer ? Preuves de fait qui montrent
i°. que beaucoup de ces laves ont acquis leur confi-
guration symétrique en se coagulant dans les eaux de
la mer ; 2°. que d’autres l’ont reçue par leur simple
refroidissement à l’air libre ; 3°. qu’enfin une infinité
de laves se refusent à cette configuration , soit qu’elles
se plongent dans la mer , soit qu’elles restent sur la
terre. La propriété qu’ont beaucoup de laves de se
cristalliser en prismes ne dépend pas, à ce qu’il paraît,
de ce qu’elles sont d’une espèce plutôt que d’une autre ,
compactes ou solides; mais il faut l’attribuer à des cir-
constances extrinsèques et adventices. On indique ces
circonstances , et on explique comment il résulte de
leur présence ou de leur absence, que les laves se con-
figurent en prismes à l’air libre, ou restent sans formes
déterminées au fond des eaux,
T 2
2r8 4 TABLE ET S 0,M MAIRES
chapitre xx, page i53. Digression sur
diverses productions volcaniques des monts
Euganéens.
Y oYagf. que l’auteur y fait pendant les vacances de 1789,
dans le but d’obtenir un ternie de comparaison entre
les produits des volcans qu’il avait déjà observés , et
ceux des montagnes de Padoue. Description de divers
échantillons recueillis dans cette excursion. Trois qua-
lités de laves à Monte-Castello. Pétro-silex errant ,
d’origine incertaine , entremêlé avec elles. Laves du
mont du Donati , les unes ayant pour base le pétro-
silex , les autres la pierre de corne. Preuve de fait
qu’une d’entr’elies a formé des courans. Les colonnes
prismatiques de Monte-Rosso ont pour base, non le
granit , mais le porphyre. La montagne dite Monte-
Ortone offre également des laves prismatiques : leur
forme est moins caractérisée. Lave de Monte - Merlo
à base de granit. Mica noir , un des principes consti-
tuai de ce granit , a la propriété d’être , presqu’au-
tant que le fer , attirable à Paimant, propriété qui lui
est toutefois commune avec d’autres micas des monts
Luganéens. Micas des granits primordiaux privés de
cette propriété , et cependant capables de la recevoir
par l’action du feu. Ce fait important confirme l’état
volcanique des monts Euganéens. Quartz en nœuds en-
sevelis dans la lave granitique , et produits vraisem-
blablement par une filtration postérieure à son embra-
sement. Même observation touchant quelques schorls
qui y sont renfermés. Schorls des monts Euganéens ,
comme ceux des autres terres volcanisées, agissent
285
DES CHAPITRE S.
sur l’aimant , à la différence des schorls des pays non
volcaniques. Carbonates calcaires entremêlés avec les
laves. Pierres trouvées parmi les carbonates calcaires,
lesquelles ont la plus spécieuse apparence d’une méta-
morphose. de chaux en silex. Qn démontre , par des
analyses chimiques , qu’il n’est pas nécessaire d’avoir
recours à une semblable métamorphose pour expliquer
ce phénomène. Laves globuleuses disposées par cou-
ches près de Teolo , abondantes en particules de pierre
de poix. Filons de laves résiniformes à Bajamonte et
à Sieva. Groupes de pierres ponces renfermés dans
un de ces filons. Comparaison faite au moyen de la
voie sèche , entre les pierres de poix volcaniques et
celles qui ne le sont pas. La voie humide démontre
que les unes et les autres appartiennent au même genre.
Différences essentielles entre les laves résiniformes et
les verres volcaniques. Productions volcaniques de
Sehivanoja, de Monte-Merlo , de Mascabo , de Tre-
monte , de la Pendise , dont quelques-unes ont été
prises pour verre volcanique par un auteur moderne ,
mais qui réellement ne sont que des laves résiniformes,
à l’exception d’une qui est tout au plus une lave vi-
treuse. Bévue de cet auteur , qui a pris pour c’es pro-
duits volcaniques des morceaux de verre tirés des
fourneaux de Murano près Venise , et qui avaient été
apportés dans ces montagnes. Comment nous appre -
nons , par cet exemple , à être réservés dans les ju-
gemens que nous portons sur la volcanisation d’un
pays. Comment nous pouvons encore nous tromper ,
en jugeant que ce pays est volcanisé , parce que nous
y avons trouvé des corps véritablement volcaniques ,
mais errans. Ce cas est arrivé à l’auteur. Peu de
T 3
^86 TABLÉ ET SOMMAIRES
croyance que méritent certaines relations dans les-
quelles on prétend prouver Texistence d’anciens vol-
cans. Il est nécessaire que des relations de ce genre
portent avec elles des détails lithologiques. Comment
nos jugemens sur les laves peuvent errer. Roches vol-
caniques qui , sans avoir jamais coulé , ont la plus
grande apparence d’être des laves. A défaut d’autre
preuve , le tissu cellulaire des roches est une des in-
dications les plus sûres qu’elles ont coulé. Cette indi-
cation s’offre dans plusieurs laves euganéennes. Feld-
spaths d’une lave gisant près de Rua 7 qui ont presque
tous pour noyau central une portion de cette même
lave. Laves de Gaîzignano , de Pigozzo , de Monte-
Nuovo, de Mont Selice et d’ Argua. Celles de Monte-
Nuovo et de Mont Selice remarquables , la première
par ses feld-spaths torréfiés , la seconde par les ponces
qu’elle renferme. Laves de Catajo : une d’elles pré-
sente des colonnes prismatiques.
RÉFLEXIONS et COROLLAIRES.
Les monts Euganéens étaient anciennement des îles 9
comme le sont aujourd’hui les îles Ponces , les Æo-
liennes , Santorin, &c. Leur haute antiquité, leur voi-
sinage de pays habités et civilisés , deux causes de la
détérioration de leurs volcans. Leurs laves sont ana-
logues à celles des autres volcans plus connus, en tant
qu’elles ont les mêmes roches pour base. Comparaison
entre les roches de ces derniers volcans et les roches
des monts Euganéens. Profondeur immense de celle-
ci. II fallait, pour la connaître , le travail des volcans.
Trois bases différentes dans les laves euganéennes
dignes de remarque : le feld-spath en masse qui forma
DES CHAPITRES. ' 287
des laves vitreuses \ le pétro-silex volcanisé , très-sem-
blable au naturel ; et la pierre de poix. Volcans pri-
vés de cette dernière pierre ; autres où elle abonde
plus ou moins. La magnésie n'en est pas un des élé-
mens , comme le pensent quelques naturalistes. Belle
observation sur le changement du pétro-silex en pierre
de poix. Analyse chimique de ces deux pierres qui
cadre avec cette observation. Probabilité que quelques
pierres de poix volcaniques dérivent de celles qui ne
le sont pas. Le feu des fourneaux vitrifie les laves eu-
ganéennes comme celles des autres volcans. Observa-
tion sur la fusion facile des feld-spaths. Basaltes eu-
ganéens sont l’ouvrage du feu. Pierre de ces montagnes
formée en prismes, tantôt par la voie sèche, tantôt par
la voie humide. Les seules circonstances locales sont
propres à décideif quelle est de ces deux voiea celle
dont la nature s’est servie pour la formation des ba-
saltes.
chapitre xxi, page 220. Recherches expé-
rimentales sur La nature des gaz clés volcans,
et sur les causes de leurs éruptions .
L’auteur trouvant que certains gaz des volcans, et
ceux qui s’engendrent dans les laves et autres subs-
tances analogues refondues au feu ordinaire , produisent
des effets semblables, tâche de découvrir la nature des
premiers en étudiant celle des seconds. A cet effet , il
dispose dans des matras d’argile des productions vol-
caniques, les emplit jusqu’à une hauteur déterminée,
et les soumet au feu d’un fourneau chimique , en les
faisant communiquer avec un appareil à mercure
88 TABLE ET SOMMAIRES
Verre tigre de Lipari traité de cette manière. Phéno-
mènes observés dans les mairas durant l’ignition. Nul
gaz n’apparaît sur le mercure. Etat poreux où se trouve
le verre refroidi dans le matras après huit heures de feu»
Il n’y a aucune raison de croire que cette porosité soit
l’effet de l’air atmosphérique renfermé dans les inters-
tices du verre , ou celui de quelque gaz permanent.
L’auteur soupçonne qu’elle provient de la gazification
du verre même occasionnée par la véhémence du ca-
lorique. Essai sur le verre le plus pur de Lipari. Rup-
ture du matras causée par cette gazification dans le
moment de la plus grande chaleur. Raison pour la-
quelle le gaz ne passe point dans l'appareil pneuma-
tique. Rupture d’un troisième matras causée par la
gazification d’un émail d'ischia. Email de Procida se
sublime durant la gazification , et reste adhérent aux
parois internes du matras. Répétition de cet effet dans
un autre matras , en faisant usage du même émail.
Signes sensibles de cette sublimation dans la fusion
de quelques substances volcaniques placées dans des
creusets couverts. Raison pourquoi la sublimation ne
se manifeste pas dans toutes les expériences. Verre
noir artificiel qui se gazifie , non au fourneau , mais
dans un matras exposé à un calorique plus véhément.
Expérience sur six autres corps volcaniques qui se
gazifient peu ou point au fourneau , mais très-bien dans
les matras, sans aucune apparition de gaz permanent,.
Conclusion que ces bulles, ces tumeurs plus ou moins
grosses que l’on voit si fréquemment dans les produc-
tions volcaniques, ne sont pas l’effet d’un gaz perma^-
nent qui a agi sur elles, mais qu’elles ont été produites
par uu fluide aériforme, provenant de l’excessive ra-
DES CHAPITRES. '.289
réfaction de ces mêmes productions par le moyen du
calorique. Cependant il arrive quelquefois que des
productions volcaniques exposées au feu ordinaire ,
donnent un gaz permanent. Expérience qui montre
comment ce fluide au fond d’un cratère volcanique ,
étant mêlé à une lave liquide violemment tourmentée
par les feux souterrains, peut, par son énergie, sou-
lever cette lave jusqu’au sommet du cratère , et la faire
déverser. Probabilité que cette vapeur élastique amas-
sée en grande abondance, et retenue par quelque obs-
tacle , peut donner lieu à des tremblemens de terre ,
produire des tonnerres souterrains, des mugissemens ;
déchirer les flancs d’une montagne, et ouvrir un pas-
sage à la lave. Cette vapeur ne paraît pas être la cause
des grêles volcaniques. Nécessité de recourir à d’autres
gaz plus énergiques pour expliquer ce phénomène.
Présence de ces derniers gaz indiquée dans certains
volcans. Il est vraisemblable qu'un agent encore plus
puissant, tel que l’eau réduite en vapeurs , et principale-
ment celle de la mer, concourt avec eux à la projection
des grêles. Relations entre les volcans brûlans et la
mer. Sa retraite subite près du Vésuve, dans les grandes
éruptions de ce volcan , est probablement occasionnée
par l’absorption d’un grand volume d’eau. Expériences
et accidens qui démontrent la violence des explosions
et des détonations des volcans opérées par les eaux
réduites en vapeurs dans leurs incendies. L’auteur re-
cherche si l’eau qui viendrait à tomber sur l’incendie
des volcans pourrait produire des explosions , comme
il est certain qu’elle a ce pouvoir quand elle s’insinue
par-dessous , et que sa vapeur ne trouve aucune issue.
Eau qui tombe sur les matières huileuses et bouillantes
2^0 TABLE ET SOMMAIRES
occasionne de petites explosions. Eau versée sur des
substances fondues, plus analogues que les huileuses
avec les matières liquéfiées des volcans. Phénomènes
observés dans ces deux expériences Eau versée sur le
cristal liquéfié des fourneaux ne cause ni explosion, ni
détonation. Ce qui se passe alors. Eau versée sur le
fer et le cuivre fondus. Observations. Explosion et dé-
tonation de Peau dans le moment qu’elle touche la sur-
face de Pétain et du plomb fondus. Les unes et les autres
sont plus fortes quand Peau se trouve renfermée entre
ces deux métaux. Accidens bizarres. Expériences sur
les laves fondues dans le fourneau. Eau versée dessus
ne produit aucune explosion , à moins qu’elle ne s’in-
troduise dans l’intérieur. Plus elle y pénètre , plus
l’explosion est forte. Eau de nier produit les mêmes
effets. Conclusion que ce fluide ne peut occasionner
des explosions quand il vient à tomber sur le cratère
ardent des volcans , mais qu’il doit en produire de vio-
lentes quand il y est introduit par-dessous, ou qu’il
y pénètre par les côtés. Toutefois les gaz permanens
des volcans semblent être les auteurs des grêles vol-
caniques , quand elles sont médiocres ou petites. Les
jets continuels de Stromboli ne peuvent provenir de
la vaporisation de Peau , ni de celle de la lave liqué-
fiée , mais ils dépendent de l’activité de quelque gaz
permanent. L’auteur examine si ce gaz est l’hydro-
gène. Il rejette cette hypothèse ; il ne peut admettre
non plus Pair atmosphérique. Explication du phéno-
mène par le gaz oxigène
/ V# . ' -T . . ''' ' • ' . ; \
DES CHAPITRES. 2QI
chapitre xxii, page 265. Acide muria-
tique contenu dans divers produits volca-
niques. Recherches sur son origine et sur
son mélange avec ces produits .
Liqueur acide sortie du verre tigré de Lipari pen-
dant l'ignition. Les réactifs démontrent que cette li-
queur est un acide muriatique. Poids de celui-ci com-
paré au poids de la liqueur. Cette découverte engage
Pauteur à renouveler l’expérience sur le même verre.
Il en obtient le même résultat. Le verre noir de Lipari
fournit une liqueur acide semblable. Les verres arti-
ficiels n’en donnent point. L’auteur emploie la voie
sèche et la voie humide pour s'assurer que l’acide mu-
riatique n'est pas combiné dans les deux verres de
Lipari , mais qu’il leur est uni mécaniquement. Sept
produits volcaniques soumis à l'épreuve : plusieurs
d’entr'eux fournissent de cette liqueur acide. Cette
liqueur n’existait pas dans les laves actuellement en
fusion , mais elle s’y est introduite postérieurement.
Cet acide ne dérive pas du muriate ammoniaque. Pro-
babilité qu’il provient , soit des lieux souterrains , soit
de la décomposition du muriate de soude.
FIN DE LA TABLE DU TOME TROISIÈME.
I
VOYAGES
DANS
LES DEUX SICILE S.
ERRATA pour le tome IV.
Page 172 , au lieu de planche VII , lisez planche VI»
Page 252 ; au lieu de planche VIII, lisez planche VIL
VOYAGES
DANS LES DEUX SICILES
ET DANS
QUELQUES PARTIES DES APENNINS,
Par Spallanzani , Professeur d’Histoire naturelle
dans Funiversité de Pavie.
Traduits de F Italien par G . TOSCAN, Bibliothécaire
du Muséum national d’ Histoire naturelle de Paris ,
avec des Notes du cit. F J UJ A S-l) E-S T . -F O ND .
TOME QUATRIÈME.
A PARIS,
6Iiez Ma k. a dan, Libraire, ruo Pavée -André -des -Arcs
n°. 16.
AN Y I I I,
5
VOYAGES
DANS
LES DEUX SICILES,
CHAPITRE XXIII.
Considérations sur V activité des feux volca-
niques.
D es globes de flammes, des rochers embrasés
lancés impétueusement dans les airs , des mon-
tagnes liquéfiées s’écoulant en torrens incendiai-
res , ces tableaux efFrayans d’une éruption volca-
nique ont fait croire aisément aux hommes que le
feu souterrain capable de produire de si terribles
efFets, devait avoir une Force infiniment supérieure
à celle du feu ordinaire. Cette opinion a toujours
été celle de la multitude $ d’habiles physiciens
l’ont adoptée, et elle serait encore la seule domi-
nante , si dans ces derniers temps cm n’en eût avan-
cé une toute contraire , en prétendant que le feu
Tome A
2 VOYAGES
des volcans n’est rien moins que doué de cette
grande énergie qu’on lui suppose. Lee partisans de
ces deux opinions opposées sont tellement préve-
nus en faveur de celle qu’ils ont adoptée, qu’en
produisant les raisons qui la défendent, ils négli-
gent de répondre aux raisons qui la combattent.
Pour moi , guidé par l’amour de la vérité , en trai-
tant cette question difficile, je me ferai un devoir
d’établir dans toute leur force les argumens em-
ployés de part et d’autre 3 je commencerai par
ceux que l’on apporte ou que l’on pourrait ap-
porter pour prouver la violence des feux vol-
caniques, ensuite je ferai connaître ceux dont
on se sert pour nous convaincre de la faiblesse
de ces mêmes feux , et chaque argument sera
accompagné des réflexions qui m’auront paru
les plus solides.
PREMIER ARGUMENT.
Comme nous apprécions l’intensité du feu or-
dinaire par les effets qu’il produit dans les corps
sur lesquels il agit , la même règle doit nous ser-
vir pour apprécier celle du feu volcanique. Le
pyromètre de Wedgwood étant sans contredit
L’instrument le plus exact qui ait été inventé pour
mesurer les effets du premier , il serait aussi le
meilleur à employer pour obtenir la mesure des
effets du second , et connaître ses divers degrés
5
DANS LES DEUX SICILES.
en moins d’une minute il s’est entièrement li-
quéfié.
D’ailleurs ,\a lave sur laquelle ces académiciens
avaient établi leurs expériences ne coulait plus
depuis quelque temps ; une partie de son calo-
rique s’était déjà dissipée : pour avoir un terme
de comparaison plus juste , ils devaient la prendre
dans son état de fluidité. Ce qu’ils ne purent ou
n’osèrent tenter , le hasard le fit en donnant lieu
à des combinaisons qu’il était difficile de prévoir.
Dansla direction que suivit cette éruption de 1 707,
mémorable par les dégâts immenses qu’elle cau-
sa 3 se trouvait un couvent de Carmes. On lit dans
Sérao que le torrent s’étant jeté dans cette mai-
son 3 brûla non-seulement et réduisit en cendres
les matières combustibles avant même de les
toucher, mais fondit les gobelets de verre qui
étaient sur la table du réfectoire 3 et les réduisit
en une masse informe. Ce fait se trouve encore
confirmé dans un rapport que le prince Cassano
envoya à la société royale de Londres , dont il
était membre , rapport qui fut inséré dans les
Mémoires de cette société. Il dit que la lave ,
après avoir consumé la porte de l’église du cou-
vent , les fenêtres de la sacristie et celles du ré-
fectoire 3 fit couler les vases de verre qui se trou-
vaient sur la table. Il ajoute à son récit ce fait
A 5
6 _ - VOYAGES
remarquable : « Je fixai , dit-il , à Y extrémité d’un
» bâton un morceau de verre ; je Papprochai de
»la lave fluante : au bout de quatre minutes il fut
» réduit en pâte.
Un effet tout semblable est rapporté par le
professeur Bottis dans sa description de l’incendie
du Vésuve de 1767. Voici ses propres expres-
sions :
« On voit, au milieu de la même Jave , des
» édifices qu’elle a entourés sans leur faire aucun
» mal , d’autres qu’elle a renversés , d’autres an-
»core où elle est entrée en brûlant tout ce qui
» s’est trouvé sur son passage. Parmi ces derniers,
» il y en a où son ardeur seule a suffi pour fondre
» de grosses bouteilles de verre placées au-dessus
»du torrent, et hors de son atteinte ».
En raisonnant sur ces faits, je conviens d’abord
que la fusion des gobelets de verre enveloppés
dans la lave coulante, ne prouve pas en elle une
très-grande activité 5 car le verre artificiel se fond
plus ou moins sur la braise de nos foyers. Quant
à l’expérience du prince de Cassano,jel’ai imitée
en quelque manière, en tenant suspendu en Pair
avec une pincette, dans un fourneau de verrerie,
un petit morceau de verre de la grosseur d’un
pouce ] en quelques instans il s’amollit $ en moins
d’une minute il coula , et s’al'ongea comme un
DANS LES DEUX SICILE S. 7
fil. L’efficacité de ce feu était donc supérieure
à celle du feu actuel de la lave , éprouvé par le
prince de Gassano. Mais on doit observer que ,
selon l’expression «de l’auteur, il n’avait fait q \\ ap-
procher delà lave jluante le morceau de verre 5
le verre ne la touchait donc pas. Nul doute que s’il
l’eût touchée, il ne se fût plus promptement fon-
du. De plus, quand cette lave parvint au couvent
des Carmes , son ardeur devait être considéra-
blement diminuée , et cela par deux raisons prin-
cipales : la première , quelle avait déjà parcouru
un chemin assez long , et qu’elle avait commu-
niqué une partie de son calorique à l’air ambiant
et au .sol sur lequel elle coulait 3 la seconde , que
ne formant à sa source qu’un seul et profond
canal , elle s’était partagée dans son cours en
plusieurs canaux inférieurs , partage qui avait
nécessairement affaibli son activité. Que l’on
compare en idée le calorique qu’elle conservait
encore sur les lieux où ses effets furent observés,
au calorique qu’elle devait posséder à l'endroit
où elle déboucha de dessous terre , combien la
force de celui-ci devait être supérieure à celle de
l’autre ! Quiconque n’àura dans cette discussion
que la vérité pour but , ne se défendra point de
croire que l’ardeur de cette lave , prise dans sa
source même , surpassait celle qui est concentré©
dans un fourneau ordinaire de verrerie.
A 4
s
V G Y A O E S
SECOND ARGUMENT.
Le professeur Bottis , après avoir décrit l’érup-
tion du Vésuve qui commença le sg juillet 1779,
et continua jusqu’à la mi-août, raconte que le
10 septembre suivant, étant allé sur les lieux ,
11 vit une petite colline formée de pierres spon-
gieuses, et environnée d’une lave qui avait coulé
récemment. « Dans cette colline il y avait, dit il ,
» un trou presque circulaired’environ trois palmes
»de diamètre et deux de profondeur; il en sortait
»un murmure semblable à celui de l’huile et des
^matières grasses où l’on fait des fritures. Ce
» murmure était produit par les matières qui s’y
v> liquéfiaient. Le feu était si violent , qu’ayant
» jeté dans ce trou des pierres spongieuses /elles
» rougirent subitement , et se fondirent au point
& qu’elles paraissaient bouillir comme de la poix » .
Cette observation est importante dans la con-
troverse où nous sommes engagés. Ceux qui sont
familiarisés avec les écrits de Bottis savent que ,
par pierres spongieuses , il n’entend autre chose
que les laves poreuses et les scories de cette
montagne. L’expérience m’a appris qu’elles n’exi-
geaient pas moins d’une demi-heure, dans un
fourneau de verrerie , pour commencer à s’amol-
lir ; mais elles se fondaient subitement, et bouil-
3
DANS LES BEUX SICILE S.
d’activité. J’ai proposé ce moyen dans le pre-
mier chapitre de mon ouvrage , et j’ai montré ,
par quelques exemples , comment on peut l'ap-
pliquer aux laves coulantes.
Ce n’est pas qu’auparavant on n’ait cherché
par d’autres voies , moins sûres à la vérité , à es-
timer le degré de chaleur des laves. Je citerai à
ce sujet les expériences de quelques académi-
ciens de Naples sur une lave de l’éruption de i
qui s’était arrêtée près du lieu nommé la Torre
del Greco y expériences dont je trouve le récit
dans l’ouvrage de Sérao. Quoique cette lave eût
cessé de couler depuis quelques jours, sa couleur
ressemblait encore à celle du fer rouge. On posa
dessus un petit cône de plomb du poids de deux
onces : en deux minutes et demie de temps il
fut ramolli 5 une minute de plus le lit tomber
tout-à-fait en fusion. On mit ensuite un autre
morceau de plomb du même poids et de la même
figure, sur une pelle de fer rougie au feu de
charbon : le métal , au bout de six minutes et
demie , n’avait pas encore commencé à se li-
quéfier 5 une minute s’écoula encore , et à peine
était-il entièrement fondu.
On emplit d’eau un vase de cuivre que l’on
posa sur la lave : en trois minutes l’eau com-
mença à frémir sourdement -, au bout de la qu‘a-
A 2
4
VOYAGES
trième minute elle bouillit à gros bouillons. La
même expérience fut faite sur des charbons très-
ardens ; le frémissement de l’eau n’arriva que dans
la quatrième minute , et le bouillonnement que
dans la suivante.
Sérao conclut de ces faits que la force du feu
actuel de cette lave , bien que privée d’une partie
de la chaleur qu’elle avait dans l’état de mollesse
et de fluidité 5 était de beaucoup supérieure à
celle du feu de charbon et du fer en incandes-
cence.
On a fait si peu d’expériences comparatives
entre le feu ordinaire et le feu des volcans , que
l’on ne peut que savoir gré aux académiciens
de Naples d’avoir entrepris quelques essais de ce
genre. J’observerai cependant que si la conclu-
sion qu’ils ont tirée de l’épreuve des charbons
ardens paraît exacte , celle qu’ils ont déduite de
l’épreuve du fer rouge ne l’est certainement pas.
La pelle dont iis se servirent , entourée d’air
froid , ne pouvait contracter toute l’incandes-
cence dont elle était susceptible. J’en ai tenu
une pendant demi-heure dans un fourneau de
verrerie , où le feu , sans être assez violent pour
fondre le fer en masse , lui communiquait une
rougeur très-vive 5 j’ai placé sur cette pelle ar-
dente un cône de plomb du poids de deux onces*
DANS LES DEUX SICILE S.
l3
CINQUIÈME ARGUMENT.
L’Islande fournit encore d’autres preuves de
l’énergie de ses feux souterrains. On a vu avec
quelle facilité les verres volcaniques des îles Æo-
liennes et des champs Phlégréens se fondent au
fourneau. Je n’ai pu éprouver celui de l’Islande,
parce que je n’en possédais point ; mais Berg-
man, qui a eu cet avantage, observe qu’il n’a
pu réussir à le fondre au chalumeau , d’où il in-
fère que le feu qui le forma devait être doué
d’une grande puissance.
SIXIÈME ARGUMENT.
Valisneri , dans sa description de la nouvelle
île volcanique qui sortit de la mer près de San-
torin , en 1 707 , parle d’une circonstance très-
remarquable qui accompagna cet événement.
Pendant que cette île s’élevait sur les ondes , la
mer, dit-il , toute troublée à l’entour, était prise
d’une chaleur si forte , qu’elle bouillait dans un
cercle assez étendu , et que les poissons qui se
trouvèrent dans cette enceinte périrent. Ce même
fait est rapporté dans les voyages de Choiseul ,
qui l’a extrait d’une histoire du temps, où l’on
ajoute que la chaleur des eaux fit fondre le gou»
dron de quelques vaisseaux qui aavigeaient dans
les environs.
SP* 3Mb:? v\ Bp ' ' ) à
VOYAGES
t4
Voilà sans doute une preuve incontestable de
la violence du feu de ce volcan $ on ne peut nier
que pour échauffer à ce point une si grande
masse d’eau , d’une profondeur et d’une étendue
si considérable, il ne fallût un grand développe-
ment de calorique.
Strabon parle d’un phénomène semblable, arri-
vé dans le même lieu , mais à une époque plus
reculée. On vit, dit ce géographe , entre Tera et
Terasia,la mer bouillir pendant quatre jours (1).
Santorin doit sa formation à une agrégation
immense de pierres ponces soulevées du fond de
la mer par un embrasement volcanique. Il en a
été question dans le chapitre XIX de cet ouvrage ;
je me bornerai à rappeler ici que l’analyse de
deux de ces pierres m’a démontré que l’asbeste
était leur base : j’ignore si telle est celle des
autres. Quoi qu’il en soit , le feu qui , dans ces
deux cas , a conduit l’asbeste à l’état de ponce,
devait être très-énergique.
SEPTIÈME ET DERNIER ARGUMENT.
Il est tiré de la fluidité des laves , qui doit
(1) &vc ipÂcroV‘ ®npa?9 ko,) ®npcur)ecç eK7rs<rov(ru.i Kphojsç
sk tov ’WSKa.yovç s<p* Ti&e&pas r&&Ts ’ïï&ça.v ÇeTv ,
fca) qhéyeerêx/ Tiiv Ckhccpcrav . I. c.
DANS LES DEUX SICILE S.
9
laient comme de la poix dans le petit gouffre
dont parle Bottis : l’ardeur du feu y était donc
plus considérable que dans le fourneau. J’ai, de
plus, éprouvé qu’en me servant d’un fourneau à
réverbère de haute température , il fallait le
pousser à un degré de feu capable de fondre
le fer, pour en obtenir la prompte liquéfaction
des laves poreuses du Vésuve , comme de celles
des autres volcans en général. On doit encore
observer que le gouffre communiquant par son
ouverture avec l’air froid ambiant , le calorique
devait agir plus, fortement dans son intérieur qu’à
sa surface , où il s’en faisait une continuelle dissi-
pation, cette bouche étroite n’étant qu’un sou-
pirail , un évent de la grande masse de lave qui
bouillonnait et brûlait dans les entrailles de la
montagne.
TROISIÈME ARGUMENT.
De la conservation d’une forte chaleur dans
des laves qui depuis long - temps ont cessé de
couler , on peut déduire des preuves de la véhé-
mence du calorique qui les animait quand elles
étaient fluides. Sérao observe que la lave du
Vésuve de 1737 ayant traversé le grand chemin,
on s’occupa plus d’un mois après du soin de
le nettoyer , mais que les ouvriers furent forcés
d’abandonner ce travail , parce que la chaleur
ÏO VOYAGES
intérieure de la lave amollissait les instrumens de
fer dont on se servait pour la rompre.
Quand , non loin du cratère supérieur de l’Etna ,
je fus obligé de traverser une lave qui avait cessé
de couler depuis onze mois > et n’avait plus de
communication avec le foyer volcanique , j’y vis
des fentes où elle conservait encore une couleur
rouge très-sensible en plein jour 5 si j’y faisais
entrer un bâton , il fumait subitement et s’en-
flammait.
Hamilton rapporte qu’ayant laissé tomber quel*
ques morceaux de bois dans les fissures d’une
lave sortie du Vésuve depuis trois ans et demi ,
ils s’enflammèrent sur-le-champ. Cette lave n’avait
aucune communication avec le volcan , et dans
le lieu où se fît l’expérience , elle était à quatre
milles de distance de sa source.
La grande éruption de l’Etna, arrivée en 1669,
n’était pas entièrement refroidie au bout de huit
ans, suivant l’observation de Massa, auteur si-
cilien.
La réunion de tous ces faits est , selon moi ,
une démonstration de l’extrême ardeur du feu
des volcans. Sans doute les éruptions occupant
pour l’ordinaire une grande étendue de terrein,
DANS LES DEUX SICILE S. lt
cette ampleur contribue à la conservation de leur
calorique; mais , quel que soit le volume des
laves, il n’en est pas moins vrai que ce calorique,
après de si longs intervalles , ne serait pas autant
sensible , s’il n’eût été concentré en elles, et pen-
dant leur fluidité, dans une proportion infiniment
plus grande.
QUATRIÈME ARGUMENT.
L’historien de Sicile, Fazello , commence la
description d’une éruption de l’Etna de i536
en ces termes : « Le neuf des calendes d’avril ,
»le vent soufflant de la partie du sud, et le jour
» étant sur son déclin, le sommet de la montagne
» se couvrit d’un nuage de fumée noire , au centre
»de laquelle on vit briller une vive rougeur.
» Alors, et tout-à-coup, il se fit une violente
» éruption par le cratère; la terre trembla, et
»ia montagne retentit d’un bruit souterrain ;
»la lave, comme un fleuve de feu, descendit
»du côté de l’orient, tomba dans un lac, et
» liquéfia un grand amas de pierres qui s’y trou-
» vait ( i ) » .
(1) « IX calend. aprilis, flante austro , et sole ad ocçs-
» sum vergente , nubes atra montis apicem operuit, el
» inter eam rubor emicuit ; tum repente ex ipso cratere
» ignei torrentis vasta vis erupit; pauîlaiimcpîe’ in n no-
12
VOYAGES
Cette description ayant été faite dans un temps '
où la précision , l’exactitude n’étaient pas toujours
l’apanage des historiens , j’avoue que je croirais
difficilement à la fusion de ce grand amas de
pierres , si ce fait ne trouvait son appui et sa
confirmation dans un phénomène bien plus éton-
nant qu'offrit l’éruption d’un volcan de l’Islande
en 1783 , et dont Pennant nous a donné la rela-
tion dans son ouvrage intitulé le Nord du globe.
Après avoir décrit la grande étendue de pays que
cette lave inonda , il dit que la hauteur perpen-
diculaire des bords de son courant était de quatre-
vingts à cent pieds; en sorte qu’elle ensevelit,
non -seulement tous les villages qui se trouvèrent
sur son chemin , mais encore plusieurs collines.
Celles qu’elle ne put surmonter, elle les fit tom-
ber en liquéfaction, et l’on vit alors toute la sur-
face du pays dans un état de fluidité , formant
un lac dont la substance ressemblait à un métal
fondu et resplendissant de feu.
Je laisse le lecteur juge de la prodigieuse acti-
vité de cet incendie.
» dum fluminis magno montis murmure , ac terræ motu
»? defluens , in orientem versus descendit lacumque it-
» lapsus mngnam ibi repertam lapidum congeriem lique-
»,fecit î».
DANS LES DEUX S I C I L E S. l5
être proportionnée au feu plus ou moins violent
qu’elles éprouvent. Nous verrons plus bas quel
est le degré de fluidité qu’elles acquièrent dans
le fourneau , comment cette fluidité augmente
à mesure que le feu est poussé plus vivement,
comment elle devient plus grande encore en em-
ployant le gaz oxigène. Cette gradation de fluidité
a lieu dans toutes les pierres, et en général dans
tous les corps susceptibles de se liquéfier. La rai-
son en est simple ; plus les molécules d’un corps
fusible s’écartent les unes des autres par l’inter-
position du fluide igné , plus elles ont de facilité
à couler. Ainsi , nous serons en droit de conclure
de chaque fait qui nous apportera la preuve d’un
excès de fluidité dans les laves, qu’il faut un excès
de feu proportionné pour les réduire à cet état.
En me livrant à cette recherche , je sens que la
multitude des faits, et les réflexions auxquelles ils
donnent lieu , ne me permettront pas d’être aussi
bref que le lecteur le désirerait peut-être ; je
tâcherai du moins de mettre de l’ordre dans ma
narration , en divisant ces faits en deux classes ;
la première comprendra les laves que l’on a vu
quelquefois jaillir des volcans comme des jets
d’eau , conserver leur mollesse après avoir été
lancées en Y air, ou bouillir dans les, cratères;
la seconde , celles qui , sorties des cratères ou
des flancs des volcans, se sont étendues en longs
V O Y A G EJ
1 6
courans , et ont permis aux observateurs de me-
surer leur vitesse, et leur degré de fluidité ou de
mollesse.
Parmi les faits de la première classe , le plus
digne de remarque est sans doute celui que rap-
porte le professeur Bottis en décrivant l’éruption
du Vésuve de 1771. Le voici avec les propres
expressions de l’auteur. Après avoir dit comment,
près du lieu où se fit le débordement, s’élevèrent
à-la-fois quatre monticules , il observe : « Qu’il y
» en avait trois de forme conique, d’où le feu
»( c’est-à-dire la lave) jaillissait par de petites
» bouches placées à leur sommet, semblable à
» l’eau qui , pressée dans un canal étroit , s’échappe
»dans les airs 5 les courbes que décrivait dans sa
» chute ce fluide enflammé étaient de diverses
» grandeurs , et les trois monticules qui jouaient
»en même temps , représentaient en réalité trois
» belles fontaines de feu » .
Bottis en conclut que le feu du Vésuve est très^
énergique , et il ajoute immédiatement : « Deux
y>fois j’ai vu près de moi la matière enflammée
» déboucher dans l’Atrio del Cavallo -J et en vérité
»elle fluait comme l’eau qui sourdit de terre, et
» se répand çà et là dans les environs » .
Le même historien raconte qu’au commence-
ment
DANS LES DEUX S ICI LE S. 1 7
nient de 1776 3 le Vésuve versa de son sommet
un torrent de lave qui 3 dans son cours 3 ayant
rencontré celle de 1771 , la heurta impétueuse-
ment 3 et rejaillit en l’air 3 où elle se figea sous
la forme de petits rameaux terminés en pointes
déliées et aiguës comme des aiguilles. L’auteur
revenant à sa première réflexion 3 observe que
cette matière sortit très-liquide y et telle que
le Vésuve a coutume d?en produire.
Parlons maintenant de la mollesse que dans
certains cas , rares à la vérité, des morceaux de
laves vibrés dans les airs conservent en retombant
sur la terre. Bottis en apporte un exemple si
extraordinaire 3 que j’en douterais si cet auteur
n’était pas aussi digne de foi 3 et s’il n’avait pas
eu pour témoins des hommes distingués , au
nombre desquels se trouvaient l’archiduc d’Au-
triche Maximilien , le comte de Wilzech 3 mi-
nistre plénipotentiaire 5 le cardinal de Hersan ,
et le chevalier Hamilton. On sait que lorsque les
laves sont projetées sous la forme de grêles, elles
ont acquis pour l’ordinaire , avant d’arriver à
terre, la dureté des pierres , à cause de ïa vive
Impression de l’air froid qui , agissant sur des
masses aussi petites , leur enlève en un moment
toute leur fluidité. On se rappelle que , placé
moi-même sur le bord du cratère de Stromboli,
Tome IV. B
VOYAGES
18
et à l'abri de ses jets , examinant, à l’instant de
leur chute , des globes de laves qui roulaient à
mes pieds, je les trouvais embrasés à la vérité ,
mais durs comme des cailloux. Tels n’étaient
point ceux que lançait le Vésuve le ig juin 1775,
lorsqu’aux premiers rayons du jour, le prince
Maximilien et sa suite se transportèrent au som-
met de la montagne. Un de ces morceaux de
lave étant tombé non loin d’eux , leur guide y
accourut , le perça de part en part avec son bâ-
ton comme une pâte molle , et le présenta ainsi
enfilé au prince , qui, frappé de la singularité
du fait , ordonna que cette lave , pesant environ
Tiuit livres , fût déposée , avec le bâton qui la
traversait comme un axe , dans son cabinet par-
ticulier. Quelle ne devait pas être sa fluidité dans
le cratère , si , malgré son petit volume , et le
contact de l’air froid qu’elle avait éprouvé dans
sa projection , elle conservait encore autant de
mollesse sur terre ? Il est vrai que cet accident,
qui a vraisemblablement son principe dans un
coup de feu plus qu’ordinaire, est très-rare dans
les éruptions vésuviennes 5 autrement les pierres
fondues et lancées par ce volcan devraient s’a-
platir en tombant sur la terre , et ressembler
à des galettes , ce qui n’arrive pas , ou du moins
ce que je n’ai pas vu dans l’éruption dont j’ai
été témoin j les morceaux de lave avaie nt tous
BANS LES BEUX SICILE S. 19
une figure à-peu-près sphérique, sans aucun
aplatissement sensible. En faisant le tour de la
montagne , j’ai rencontré une multitude d’autres
morceaux de date plus ancienne , et d’une con-
figuration semblable 5 j’ai fait les mêmes ob-
servations sur le Stromboli et sur l’Etna , où
j?ai examiné les pierres lancées dans l’éruption
de 1787.
Quant à la grande fluidité que les laves mani-
festent dans l’intérieur des cratères , je rappor-
terai le témoignage de Bottis , cet infatigable
observateur des phénomènes du Vésuve. Il s’agit
de l’incendie de 17 67. « Ce mont, dit-il, offrit
» pendant la nuit un singulier spectacle. De temps
»en temps on entendait le bouillonnement du
»feu 3 on voyait ensuite une grande abondance
»de matière liquide et très-enflammée venir sur
»les bords du cratère , les inonder, et se diviser
» subitement en petits ruisseaux de feu qui s’é-
»chappaient en serpentant le long de ses flancs,
»et s’éteignaient au bout de six minutes. Ce jeu
»dura l’espace de trois heures »,
Pour peindre l’incendie de 1779 , il se sert de
la comparaison suivante : « Telle qu’une liqueur
»qui bout dans un vase, si un feu trop violent
» l’agite , elle se soulève et se répand au-dehors;
» ainsi la lave déversait de toutes parts, et s@
B 2
20 VOYAGES
» précipitait avec une abondance effrayante le
»long des parois extérieures du cratère ».
Ces deux observations, qui montrent la très-
grande fluidité des laves vésuviennes , donnent
une idée très-juste de ce que j’ai vu moi-même
dans les cratères de l’Etna et de Stromboli, et je
ne doute point que les matières en effervescence
dans les autres volcans n’offrent un spectacle
semblable.
Je passe maintenant aux faits de la seconde
classe , concernant les courans de laves dont
l’extension et la vitesse paraissent témoigner en
faveur de leur fluidité , et de l’activité du feu
dont elles sont pénétrées. L’éruption du Vésuve
de iy5i forma un torrent qui parcourait vingt-
huit palmes en une minute. Celle de 1764 se
partagea en deux branches qui parcouraient un
espace de trente pieds en quarante-cinq secon-
des 5 elles se réunissaient plus bas , et le torrent
avait alors une vitesse de trente-trois pieds par
cinquante secondes.
On trouve ces mesures dans l’ouvrage du Père
Torré $ en voici qui nous ont été données par
le chevalier Hamilton. Selon cet auteur , la lave
de l’éruption de 176 5 faisait presqu’un mille par
heure. Il observa une branche de cette même
DANS LES DEUX SICILE S. 2Ï
lave dont il ne put déterminer 1$ vitesse avec pré-
cision , mais qu’il compare pour la rapidité à celle
du fleuve de Saverne près Bristol.
Le marquis Galiani rapporte que le 17 sep-
tembre i63i , on vit à la dix-septième heure du
jour déboucher , par le cratère supérieur de ce
volcan , des laves qui , à la vingtième heure ,
avaient déjà gagné la mer, où elles avaient formé
deux longs promontoires.
Voici encore quelques observations de Bottis
à ce sujet. En 176 7 , le Vésuve vomit une lave
dont l’écoulement fut si rapide , que plusieurs
personnes qui se trouvaient sur les lieux eurent
à peine le temps de s’enfuir. En 1771 , un épou-
vantable torrent étant descendu dans le canal
de l’Arena , y parcourait en une heure l’espace
de quinze cents cannes napolitaines. En 1 y/6 , il
s’échappa du sommet de la montagne un courant
avec une vitesse d’un mille et demi par quatorze
minutes.
Enfin je tiens de l’abbé Ferrara de Catane, la
remarque suivante faite sur l’Etna : « La lave ,
y> m’écrivait- il , qui en descendit en 1792, faisait
» presqu’un pas à chaque pulsation de mon pouls,
» qui est très-vif».
Ces exemples suffisent pour montrer que les
B 3
22 VOYAGES
laves peuvent se mouvoir avec une grande vi-
tesse 5 mais je pourrais en citer d’autres qui prou-
veraient que leur mouvement est souvent très-lent»
Plusieurs causes concourent à accroître ou dimi-
nuer en elles cette faculté de parcourir , dans un
temps donné , un espace déterminé : l’inclinaison
plus ou moins grande du plan sur lequel elles
coulent , la distance où elles se trouvent de leur
source. En général, et dans quelque circonstance
qu’elles soient placées, leur mouvement sera très-
lent , et même nul , si de nouvelles matières fon-
dues ne les poussent pas incessamment par-der-
rière , et ne les forcent pas d’avancer. Souvent
on voit un torrent de lave , à peine sorti du vol-
can, s’arrêter sur une pente très-rapide, parce
que l’effusion volcanique cesse tout-à-coup.
Je conviens donc que si l’on n’avait d’autres
argumens à produire , pour prouver une grande
fluidité dans les laves, que ceux déduits de leur
vitesse, ils nous induiraient en erreur. Il y a plus s
alors même que ces laves coulent avec une
grande rapidité , elles ont souvent une consis-
tance et une ténacité surprenantes. Hamilton dit,
au sujet de celle du Vésuve parcourant un mille
par heure , qu’il avait peine à y enfoncer la
pointe d’un bâton, et que de grosses pierres qu’il
lançait contre elle de toute sa force ne faisaient
DANS LES DEUX SICILE S. 23
que s’imprimer légèrement dans sa surface , et
surnageaient en suivant le cours du torrent.
Mon voyage à ce volcan me fournit l’occasion
de faire une remarque semblable sur une lave
coulante encaissée dans un canal étroit et pro-
fond. Je pris plaisir à y jeter des pierres , et je
vis qu’elles ne s’enfonçaient que du tiers de leur
volume, après quoi le courant les emportait. Un
torrent plus large coulait à l’air libre : la chute
de grosses pierres n’y causa pas la moindre dé-
pression (1).
Sérao affirme qu’en frappant avec un bâton sur
certains courans de laves, on les trouve souvent
si dures , qu’elles résonnent sous le choc.
En parlant de l’éruption du Vésuve de 1770,
Bottis rapporte qu’un de ses amis voulut estimer
la fluidité d’un ruisseau de lave qui parcourait
quarante palmes dans une minute. Il prit une
massue pour l’enfoncer dans la matière fondue 5
mais , contre son attente , il la trouva si ténace ,
que la massue put à peine y pénétrer , quoiqu’il
la poussât de toute sa force.
Aussi ne suis-je point étonné en lisant que des
(1) J’ai indiqué quelques-uns de ces faits dans le pre-
mier chapitre de cet ouvrage ; il m’a paru convenable*
de les rappeler ici, Note de l’auteur .
B 4
V O Y A GE S
personnes ont osé marcher sur des laves courantes
sans en éprouver aucun mal. M. Jamineau, con-
sul d’Angleterre à Naples , ayant été voir une
éruption du Vésuve en 1764, un de ses guides
s’approcha d’une lave qui cheminait lentement,
et la traversa en courant. Le chevalier Hamilton
avec un de ses compatriotes , montrèrent le même
courage dans la grande éruption de 1779 5 mais
leur action eut un motif plus réel. Se trouvant
au bord d’une lave dont la progression était ex-
trêmement lente , et qui avait cinquante à soixante
pieds de largeur , les fumées , les bouffées de
chaleur que le vent leur apportait en face les
incommodèrent si fort , qu’ils allaient retourner
sur leurs pas sans avoir satisfait leur curiosité ,
si le guide qui marchait à leur tête , n’eût pro-
posé de traverser rapidement la lave elle-même.
Comme celui-ci en donna tout-à-la-fois le con-
seil et l’exemple, Hamilton le suivit, ainsi que
son compagnon , et tous les trois firent le trajet,
sans en ressentir d’autre incommodité qu’une
forte chaleur aux pieds et aux jambes. On cite
un semblable trait de hardiesse du marquis Ga-
liani , et de quelques autres personnes.
ïl est évident que cette ténacité , cette résis-
tance dans les laves courantes est une consé-
quence de leur exposition à l’air froid , dont le
DANS LES DEUX SICILES. ^5
contact leur enlève une quantité de calorique
suffisante pour leur faire perdre leur fluidité pri-
mitive. Cette soustraction de calorique s’opérant
avec infiniment plus d’activité à leur surface , elles
doivent conserver dans leur intérieur un degré
considérable de liquidité , alors même qu’elles
paraissent l’avoir perdue entièrement au-dehors.
C’est ce qu’observa M. Jamineau à l’égard de
la lave courante qu’il traversa ; son enveloppe
extérieure était si dure , que la chute des plus
grosses pierres n’y laissait aucune empreinte ,
tandis qu’il pouvait aisément enfoncer un petit
bâton dans sa masse interne.
Pendant l’incendie du Vésuve en 1 754 , le Père
Torré ayant rompu la croûte d’un rameau de
lave qui avait cessé de couler , il en sortit une
matière encore liquide et ondoyante.
Mais il n’est pas de fait de ce genre plus re-
marquable que celui rapporté par Borelli dans
sa description de l’éruption de l’Etna de 1669.
Le fleuve de lave sorti de Monte-Rosso , après
avoir incendié et couvert de ruines les villages ,
les terres et les fertiles campagnes qui étaient
sur son passage , touchait à la ville de Catane •
déjà il avait gagné la hauteur de ses remparts ,
il allait se précipiter sur cette cité florissante ,
lorsque des citoyens , dans ce terrible moment,
26
VOYAGES
imaginèrent de percer avec des marteaux , des
pics et autres instrumens semblables , le flanc
de la lave déjà endurcie à sa surface, afin que
la matière intérieure, encore fluide, pût en sortir, *'
et prendre une autre direction : le plus heureux
succès couronna cette courageuse entreprise. A
peine l’enveloppe fut- elle brisée que la lave s’é-
chappa, et coula vers le lieu où l’on voulait la
diriger. Je ne sais par quelle fatalité pour Catane
ce travail ne fut pas continué autant que le be-
soin l’exigeait.
A ne considérer que l’extérieur des laves cou-
rantes , il est donc vrai de dire que leur vitesse
n’est point la mesure de leur fluidité ; il faut les
observer dans leur intérieur pour se convaincre
que cette fluidité est très-considérable ; elle a
dû être excessive dans certaines éruptions que
nous avons citées , et sur-tout dans la dernière.
Celle-ci éclata dans le Monte-Rosso , et la lave
s’avança jusqu’à la mer en parcourant un espace
de plus de quatorze milles. Cependant , à peine
eut-elle franchi ses barrières, qu’elle perdit toute
communication avec le volcan. La croûte qui se
forma à sa superficie était capable sans doute de
maintenir plus ou moins sa chaleur intérieure 5
mais à mesure que la lave cheminait , et que son
tronc, d’unique qu’il était dans le principe * se
DANS LES DEUX SICILES. 27
divisait en plusieurs rameaux, sa chaleur, qui
se communiquait successivement et sans inter-
ruption aux parois de ces nouveaux canaux ,
devait nécessairement s’affaiblir. Combien était
donc prodigieuse la fluidité de cette lave en sor-
tant de la fournaise volcanique , puisque , malgré
les pertes continuelles de chaleur qu’elle éprouva
sur un espace de quatorze milles , elle parut en-
core liquide au bout d’un si long trajet !
Je dois ajouter que ce volcan a vomi des laves
qui ont fait de bien plus longs voyages. Il en est
dont le cours ne s’est arrêté qu’après avoir fran-
chi un espace de dix-huit , de vingt, quelquefois
de trente milles. Telle est celle de l’éruption ci-
tée par Hamilton , et dont j’ai vu moi-même la
trace , qui , descendant du cratère supérieur de
l’Etna , et occupant un canal de quinze milles
de largeur , alla s’engloutir dans la mer de Tau-
rominum.
Mais de toutes les éruptions volcaniques dont
l’histoire nous ait conservé la mémoire , il n’en
est point de plus remarquable , par l’extension
de ses laves, que celle d’Islande de 1783. Elles
se divisèrent en douze fleuves, qui couvrirent une
surface de quatre-vingt-quatorze milles italiens
en longueur , et de cinquante milles en largeur.
Conçoit- on comment ces matières peuvent cou-
VOYAGES
28
1er et se répandre à de si grandes distances, sans
leur supposer une extrême fluidité, au moins dans
leurs parties intérieures !
Ainsi , soit que Ton considère les laves à l’instant
qu’elles s’échappent comme des jets d’eau, par
les fissures des monts volcaniques , ou que , vi-
brées en petits morceaux et saisies par l’air froid ,
elles retiennent encore de leur mollesse après leur
chute ; soit qu’on les contemple au fond du cra-
tère , où elles frémissent et bouillonnent 5 soit
qu’on les observe au moment que , brisant leurs
digues , elles se précipitent comme des torrens ,
dans toutes ces circonstances , il est indubitable
qu’elles ne soient douées d’une excessive fluidité ,
laquelle ne peut être produite à son tour que
par un degré proportionné de calorique.
Tels sont, à mon avis , les plus forts argumens
en faveur de l’énergie des feux volcaniques. Main-
tenant il convient de rapporter ceux que leur
opposent les partisans de l’opinion contraire. On
peut aisément réduire ces derniers argumens à
un seul , qui est que les pierres et les rochers
passent à l’état de lave par l’action de ce feu sans
se dénaturer , et sans éprouver aucun change-
ment essentiel.
Sage et Deîuc sont les premiers qui en ont fait
DANS LES DEUX SICILE S. 29
la remarque. Ayant vu que les laves se vitrifient
plus parfaitement dans certains fourneaux de ver-
rerie que dans les volcans 5 que si elles renferment
des schorls intacts , ces cristaux s’y fondent, ils
en ont conclu que l’activité de ces fourneaux est
supérieure à celle des volcans.
Mais Dolomieu accorde encore moins d’éner-
gie au feu volcanique. Les ouvrages de ce natu-
raliste ofFrent souvent des considérations ingé-
nieuses sur ce point de physique. Dans son voyage
aux îles de Lipari , il observe que certaines laves
des Salines sont en tout parfaitement semblables
au porphyre auquel elles paraissent devoir leur
origine 5 que l’on y reconnaît la même pâte, les
mêmes taches de feld-spathj que ces laves sont
une preuve que les feux volcaniques n’altèrent
pas toujours essentiellement les matières sou-
mises à leur action 5 qu’ils leur donnent un genre
de fluidité qui ne change pas absolument leur
contexture naturelle ? et que la fusion des laves
n’est pas la même que celle que nous opérons
dans nos fourneaux , où , par la vitrification , nous
dénaturons réellement toutes les substances que
nous traitons. En parlant de la lave de l’Etna
de 1669, et des schorls et des feld-spaths qui
s’y trouvaient renfermés dans leur état d’inté-
grité , il ajoute que le feu volcanique agit seule-
3o
VOYAGES
ment comme dissolvant , qu’il dilate les corps 9
et s’introduit entre leurs molécules de manière
à les faire glisser les unes sur les autres ; que
lorsqu’il se dissipe , il laisse les différentes subs-
tances à-peu-près dans le même état qu’il les a
trouvées. Ce naturaliste compare ce phénomène
avec celui de l’eau dans la solution des sels qui
participent alors à la fluidité du menstrue , et
qui redeviennent concrets par son évaporation.
Dans l’introduction à son catalogue raisonné
des produits de l’Etna , il insiste sur son idée 5
non-seulement il parle de l’impuissanpe du feu
volcanique à vitrifier les schorls, quoiqu’ils soient
en eux-mêmes très-fusibles , et en infère que ce
feu n’a point d’intensité ,* mais il fait voir com-
ment ce même feu , en fondant les bases pier-
reuses , n’altère pas même leur contexture.
Enfin cet auteur soutient , dans un mémoire
sur les basaltes, ce qu’il a avancé précédemment.
« Je le répéterai encore, dit-il , les laves ne sont
»pas des vitrifications; leur fluidité est semblable
»à celle des métaux en fusion , elle ne change
» point l’ordre et la manière d’être des parties
» constituantes des laves ; après avoir coulé, elles
» reprennent, comme les métaux, le grain, le
» tissu, et tous les caractères de leurs basesprimi-
^ives, efFet que dans nos fourneaux nous ne
DANS LES DEUX SICILE S. 5i
y> pouvons produire sur les pierres, puisque nous
»ne saurions les amollir avec le feu sans changer
»la manière avec laquelle elles sont agrégées,
t Le feu des volcans n’a pas cette intensité qu’on
»lui suppose f et il produit ses effets plutôt par
» l’extension et la durée de son action , que par
»son activité (1) » .
Voilà l’argument exposé dans tout son jour.
En soumettant à l’action des fourneaux les
productions volcaniques , j’avais plusieurs vues 5
mais je voulais sur-tout connaître les changemens
que le feu produit en elles. J’ai constamment
observé que les caractères des roches primor-
diales étaient effacés par la vitrification , et que
la fusion des schorls s’opérait, sinon toujours,
du moins très-fréquemment. Quand je me suis
occupé des laves euganéennes abondantes en
micas et en feld- spaths , j’ai montré que ces deux
genres de pierres sont le plus souvent fusibles
dans les fourneaux. Enfin , en plusieurs endroits
de cet ouvrage , j’ai observé qu’il n’arrive jamais
que les roches et les pierres non volcaniques se fon-
dent au feu ordinaire sans perdre leurs linéamens
naturels. Ainsi , les faits sont vrais, d’après lesquels
on conclut que les feux volcaniques manquent
(1) Journal de physique, t. XXXVII, an» 1790.
3n VOYAGES
d’énergie , et cette conclusion est très-spécieuse.
Donnons-lui , par le raisonnement suivant, toute
îa force dont elle est susceptible. i°. Le feu des
volcans est moins efficace , moins actif que le
feu ordinaire s’il ne touche pas , ou du moins s’il
ne cause que peu d’altération à la contexture
des roches qu’il met en fusion , tandis que le
second la détruit en les fondant. 20. Le feu des
volcans est moins efficace , moins actif que le feu
ordinaire s’il est impuissant â fondre lesschorls,les
feld-spaths et les micas , tandis que le second en
opère plus ou moins la fusion. Or, l’une et l’autre
propositions sont démontrées par les faits , donc
le feu volcanique est moins efficace que le feu
ordinaire.
J’avouerai ingénument que, voyant continuel-
lement des laves à schorls et à feld-spaths dont
le tissu primitif était parfaitement conservé , se
dénaturer dans leur refusion et n’être plus re-
connaissables , toute mon attention se dirigeant
alors sur ces objets de comparaison , plus d’une
fois j’ai cru que le feu ordinaire surpassait en
énergie celui des volcans , et cette croyance , je
n’ai pas su la dissimuler en rendant compte de
mon travail $ mais ayant ensuite médité sur ce
qui a été écrit pour et contre la puissance du
feu volcanique, les argumens qui la défendaient
m’ont
\
DANS LES DEUX SICILE S. 55
m’ont paru plus péremptoires que ceux qui la
combattaient. Cependant je ne nierai point qu’il
n’y ait des cas où cette puissance est médiocre ,
ou meme très-faible, cela dépendant du dévelop-
pement plus ou moins grand du calorique rassem-
blé dans les foyers des volcans.
Quant à Pinaîtération du tissu primordial des
roches converties en laves , et l’infusibilité des
schorls et des feîd- spaths , je pense que l’on
doit attribuer l’une et l’autre , non à un manque
d’activité , mais à une manière d’agir du feu vol-
canique , différente de celle du feu ordinaire ,
et qui ne nous est pas encore suffisamment con-
nue. En examinant quelle était l’intensité de ce
dernier feu, nécessaire pour la fusion de certaines
laves et des schorls qu’elles renfermaient , j’ai
•vu la base des unes se fondre par un degré infé-
rieur à celui qu’exigeait la fusion de ses schorls ,
et la base des autres attendre un degré supé-
rieur , de manière que le feu qui liquéfiait alors
les schorls, était impuissant à liquéfier la base
des laves qui les contenaient. Et cependant, dans
ces dernières laves, le feu volcanique avait opéré
tout le contraire ; il avait liquéfié les bases sans
toucher aux schorls.
J’ai prouvé , chapitre XVI , que les grenats
du Vésuve sont infusibles au fourneau, et qu’avec
Tome C s
34 VOYAGES
un feu d’une plus haute température Ton n’ob~
tient que difficilement leur fusion. Cependant il
est des laves à base de pierre de corne qui en
renferment de vitrifiés à moitié par les incendies
de ce volcan. On y voit aussi des schorls en par-
faite vitrification , comme le démontre Gioéni
dans sa Lithologie du Vésuve. Joinville a trouvé
des grenats et des schorls fondus dans les laves
de Civita- Castellana (i). Ces grenats , dont j’ai
recueilli des échantillons sur les lieux , je les ai
indiqués dans mon chapitre III , en observant
qu’ils étaient semblables à ceux du Vésuve 5 ils
existent en partie dans une lave à base de pierre
de corne , où , parmi une multitude d’autres in-
tacts et cristallisés , on en voit en effet quelques-
uns vitrifiés et informes. Une chose remarquable,
c’est que la lave qui les renferme , quoiqu’un
peu vitrifiée elle-même , n’a point perdu le ca-
ractère de sa roche. Au reste cesgrenats, comme
ceux du Vésuve , sont infusibles au feu du four-
neau, quoique leur base y tombe dans une vitri-
fication parfaite.
Ces faits prouvent , i°. qu’il n’est pas toujours
vrai que le feu volcanique soit insuffisant pour
la fusion des schorls 3 s°. qu’il est doué dans eer-
(1) Voyez le Journal de physique ; an. 1788.
55
DANS LÉS DEUX S I C I L E S.
tains cas d’une grande énergie , puisqu’il vitrifie
des grenats 5 5°. qu’il y a dans sa manière d’opé-
rer quelqu’artifice que nous ne connaissons point,
puisque dans le moment qu’il vitrifie et défigure
ces grenats , il laisse à leur base des caractères
suffisans pour la faire reconnaître. Et remarquez
que ces cristaux sont réfractaires dans nos four-
neaux , tandis que leur base est très-fusible.
Mais il est une autre voie de démonstration,
par laquelle on parvient facilement à se con-
vaincre de la fausseté des inductions que les par-
tisans de cette opinion tirent de la comparaison
des effets du feu des fourneaux avec ceux du
feu des volcans 5 car si on les considéré sous un
autre aspect , ils prouvent contre leur système.
Que l’on se rappelle que la plupart des laves
auxquelles j’ài fait subir la fusion , formaient à la
partie supérieure des creusets , tantôt un plan
horizontal , tantôt un creux , tantôt une émi-
nence 5 que plusieurs , dans leur actuelle refu-
sion , déversaient par les bords des creusets ,
coulaient le long de leurs parois extérieures, et
se répandaient à l’entour en formant de petits
ruisseaux. La facilité avec laquelle ces laves se
liquéfiaient , et leur déversement qui en était la
suite , me faisaient penser que dans cet état elles
jouissaient d’une grande fluidité 5 mais lorsque
C a
M
VOYAGES
36
je voulus m’en assurer par l’expérience, quelle
fut ma surprise de leur trouver une ténacité ,
une consistance très-décidée ! Fondues depuis
plusieurs heures dans les creusets, bouillonnantes,
j’essayais d’y plonger un fer taillé en pointe ; mais
toute ma force n’était pas capable de le faire
entrer jusqu’au fond ; souvent la lave ne se lais-
sait pénétrer que de quelques lignes 5 l’empreinte
du trou restait après la levée du fer , quoique
le feu continuât d’agir, et elle ne s’effaçait qu’au
bout de neuf ou dix minutes. Si , armé d’une
longue tenaille de fer, je saisissais et soulevais les
creusets dans le fourneau , en les tenant ren-
versés la bouche en bas , la lave ne coulait point ;
seulement , au bout d’un quart-d’heure environ ,
elle poussait en dehors une langue de matière
très-mince, et ce n’était qu’avec peine que je
parvenais à la tordre parle moyen d’une seconde
tenaille.
Ces phénomènes nouveaux pour moi m’éton-
naient ; je répétai l’expérience en grand 5 je fis
fondre mes laves dans de vastes creusets d’ar-
gile 5 mais les effets furent les mêmes, soit que
je voulusse y enfoncer un fer pointu , soit que
je retournasse les creusets sens dessus dessous.
Je n’oubliai point de me servir des laves que
je connaissais pour avoir été douées d’une grande
DANS LES DEUX SICILE S. Zj
fluidité alors qu’elles s’ouvrirent une issue par les
flancs du volcan , telles que la lave de l’Etna
de i66c) > qui parcourut quatorze milles $ celle
qui en parcourut trente , et se jeta dans la mer
près de Taurominum ; enfin plusieurs autres du
même volcan qui formèrent de longs courans.
En me livrant à ces curieuses recherches , j’es-
sayai encore si les laves , tenues long-temps dans
le fourneau , perdraient leur ténacité , et acquer-
raient à la longue une fluidité telle que celle
dont elles jouissaient en sortant de la bouche des
volcans. J’en exposai un grand nombre , con-
jointement avec des verres volcaniques poreux,
à l’action non interrompue du feu pendant qua-
rante jours. Voici le résultat. La masse de chaque
lave et de chaque verre avait considérablement
diminué dans les creusets par l’évaporation. Les
pores des verres étaient détruits en grande par-
tie ; quelques laves avaient aussi perdu les leurs,
d’autres en avaient acquis un plus grand nombre.
La vitrification de chacun de ces corps était de-
venue plus parfaite j mais leur liquidité n’en était
pas plus avancée , et ils résistaient également à
la pointe du fer.
Je traitai donc ces laves avec un feu plus
énergique, celui de réverbère dans un fourneau
chimique. Là , elles se ramollirent davantage ,
C 3
VOYAGES
38
et se réduisirent à l’état de pâte molle. La pointe
du fer les pénétrait , et P empreinte du trou ne
tardait pas à s’effacer. En renversant les creusets,
elles coulaient en bas lentement , comme fait la
poix quand elle commence à se tondre.
Enfin j’employai le gaz oxigènej je plaçai de
petits morceaux de lave entre des charbons ar-
dens attisés par cet agent si puissant. Alors, pres-
qu’en un moment , la lave rougit et prit la forme
d’un globule , qui s’écoulait liquide comme l’eau
quand le charbon sur lequel il était en repos
venait à pencher.
Cette résistance des laves refondues au four-
neau de verrerie , cette mollesse qu’elles ac-
quièrent avec le feu plus énergique d’un four-
neau chimique, cette fluidité qu’elles contractent
avec l’oxigène , tous ces effets arrivent également
en traitant de la même manière certaines roches
non volcaniques.
Le lecteur apperçoit déjà les conséquences
immédiates de ces expériences. Si le feu d’un
fourneau de verrerie , en fondant les laves et les
roches non volcaniques ne les rend point fluides,
mais que pour les rendre telles , il faille em-
ployer un feu beaucoup plus actif \ si d’un autre
coté le feu volcanique opère en elles cette fîui-
DANS LES DEUX SICILE S. og
dite qui est nécessaire pour qu’elles puissent cou-
ler, pourquoi ne conclurait- on pas que ce der-
nier feu est plus efficace que le premier?
Cependant il ne faut pas oublier que le feu
du fourneau , en vitrifiant les laves , fond aussi
les schorls et les feld-spaths , tandis que celui
des volcans laisse ces cristaux intacts. Mais de-
vons-nous uniquement en rapporter la cause à
sa prétendue faiblesse ?
Quoique , par la multitude des faits cités , il
paraisse évidemment que la fluidité des laves qui
s’écoulent le long des montagnes ignivotnes est
l’effet du fluide igné dont elles sont abondamment
pénétrées , je ne laisserai point de discuter deux
raisonnemens de Doîomieu , tendant à prouver
que les laves peuvent devenir fluides sans le con-
cours d’un fort calorique. Il dit , en premier lieu,
que le feu des volcans produit ses effets plutôt
par la durée de son action que par son activité $
que , trop faible pour altérer les rocbes et fondre
les cristallisations de scborl et de feld-spath, ce-
pendant , en s’appliquant long- temps à elles, il
est capable de les dilater , d’écarter leurs molé-
cules et de les faire couler 5 en second lieu, que
le soufre , qui ne manque jamais dans les vol-
cans , est propre à provoquer fortement leur
fusion.
VOYAGES
4°
C’est encore la voie de l’expérience que j’aî
tentée pour connaître jusqu’à quel point sont
fondées ces deux hypothèses. Quant à la pre-
mière , j’ai cherché ce que deviendraient des
pierres exposées très-long-temps à un degré de
feu toujours égal, mais trop faible pour les fondre
avec une certaine célérité/ Les fourneaux de
verrerie établis à Pavie me parurent très-propres
à remplir mon objet. Leur feu est sensiblement
égal tout le temps qu’ils tiennent du verre en
fusion j c’est-à-dire quarante-cinq jours environ ;
seulement on lui donne un peu plus d’intensité
pendant la quinzaine suivante , destinée à cuire
et à travailler le cristal. Une longue habitude
suffît aux ouvriers pour s’assurer de cette égalité
de feu. Le verre fondu dans des padelle ( c’est
ainsi qu’ils nomment les grands vases d’argile
dont ils se servent) est susceptible d’une liquidité
plus ou moins grande , suivant l’intensité du feu
qu’il reçoit. Si sa liquidité est trop grande , il n’est
plus propre à être mis en œuvre, parce qu’il ne
s’attache point aux tubes de fer destinés à le
souffler, et coule au moment qu’on le tire du four-
neau; si elle est trop faible, autre inconvénient ,
car il n’est pas en état d’être soufflé. Les ouvriers
sont par conséquent obligés de trouver ce point
de liquidité, et de savoir le fixer par un degré
de feu déterminé et toujours égal. Ils en jugent
DANS LES DEUX SICILES. 4l
aussi par la couleur , qui doit être d’un rouge
enflammé tirant un peu sur le blanc ; s’il y a
excès de liquidité , le verre prend une blancheur
très-vive que l’œil ne peut supporter ; s’il y a
défaut > il paraît d’un rouge foncé et éteint. Cette
règle pouvait , au besoin , m’avertir de l’égalité
de feu que je cherchais; mais j’en suivis une plus
précise au moyen du pyromètre de Wedgwood.
Je plaçai quatre petits cylindres d’argile , avec
leur moufïle , dans un endroit du fourneau ser-
vant à mes expériences; j’en levai deux au bout
de deux jours , et j’y laissai les autres pendant
quarante- cinq jours. Ayant ensuite mesuré et
comparé le retrait des premiers avec celui des
derniers , je ne trouvai presque point de diffé-
rence. J’eus donc la certitude physique de l’éga-
lité du calorique pendant tout cet intervalle de
temps.
A l’égard des pierres destinées pour ces nou-
velles épreuves , j’en pris qui avaient, été réfrac-
taires au feu de fourneau durant une exposition
de deux à trois jours , telles que des feld^spaths
en masse , des pétro-silex , quoique leurs congé-
nères se fussent fondus dans les mêmes circons-
tances de temps et de lieu. J’y ajoutai les six
pierres de poix citées au chapitre XX, qui, en
quarante-huit heures, ne purent se liquéfier.
VOYAGES
ainsi que le silex, ou pierre à fusil rouge , tirée
de la carrière de la Battaglia dans les monts Eu-
ganéens. Toutes ces pierres , au nombre de dix-
huit, furent exposées dans le fourneau pendant
quarante-cinq jours , et y soutinrent l’action d’un
feu toujours égal. Chaque jour j’avais soin de les
visiter , de les examiner l’une après l’autre , de
noter les changemens qui leur arrivaient. Je se-
rais coupable d’une ennuyeuse prolixité envers
mes lecteurs, si je donnais ici le journal de ces
observations ; il suffira à mon but de leur en
tracer les principales circonstances avec les ré-
sultats. D’abord, pas une pierre qui ne se soit plus
ou moins vitrifiée ; dans les unes, la vitrification
a commencé après le onzième jour ; dans les
autres , elle s’est manifestée quelquefois plutôt ,
quelquefois plus tard : ici les morceaux se sont
simplement attachés ensemble sans former un
tout bien lié ; là , la fusion a été générale. La
vitrification s’est formée avec une extrême len-
teur^ dans le principe , elle a paru comme une
écorce déliée , qui s’est ensuite épaissie , et a
gagné le centre. Ce verre étincelait sous le bri-
quet ; il était compacte , très-pur, transparent,
sans couleur , ou bien tirant sur le jaune ou sur
le bleu. La pierre à fusil des monts Euganéens
s’est montrée une des plus rébelles à la vitrifi-
cation» Il est vrai qu’au bout du troisième jour s
DANS LES DEUX SICILE S. 43
les morceaux ont commencé de s’aglutiner en-
semble 3 mais le vingt-cinquième s’est écoulé ,
que l'écorce vitreuse avait à peine l’épaisseur de
deux lignes. Arrivés au terme de quarante-cinq
jours, leur noyau ne manifestait qu’une simple
calcination. Il en fut de même des deux pierres
de poix 3 mais les quatre autres se fondirent plei-
nement.
Le fourneau où j’avais fait ces expériences ne
pouvait plus me servir de l’année , attendu que
les verriers s’étaient mis immédiatement à tra-
vailler le cristal , qui exige , comme je l’ai dit,
une augmentation de feu. Mais , vers le même
temps, ils en allumèrent un second pour le verre
ordinaire 3 car la ville de Pavie a deux fourneaux
de ce genre , et ce sont les mêmes ouvriers qui,
ayant travaillé dans l’un , vont travailler dans
l’autre. L’idée me prit de faire passer du premier
fourneau dans le second les pierres qui , pendant
le cours de l'expérience, n’avaient reçu qu’une
très-faible vitrification dans leur intérieur. Elles
subirent ainsi une nouvelle épreuve de quarante-
cinq jours , en tout quatre-vingt-dix jours d’ex-
position à un degré de feu également soutenu.
Cette prolongation ne fut pas sans efFet 5 la vitri-
fication pénétra jusque dans le noyau des pierres
de poix et de la pierre à fusil , et je ne doute
VOYAGES
44
pas qu’en étendant encore îa durée de ce même
feu , elle n’eût été entière et parfaite.
Ceci m’apporta des connaissances que je n’a-
vais pas. Auparavant , si je voyais que l’action
du fourneau , prolongée de quelques jours seu-
lement , ne suffisait pas pour la fusion des pierres,
je les appelais réfractaires ou infusibles. J’igno-
rais les effets d’un feu égal et long-temps sou-
tenu j qui vient à bout de vaincre leur résistance ÿ
et l’expérience me démontra que sa durée équi-
vaut , pour opérer la fusion des corps, à l’action
plus vive , mais aussi plus prompte , d’un feu
supérieur.
En réfléchissant sur l’efficacité que le feu ac-
quiert par sa prolongation , je crus pouvoir l’ex-
pliquer d’une manière plausible. Cet agent com-
mence d’abord par calciner les pierres ; il les
dépouille de quelques-unes de leurs parties , et
altère plus ou moins leur contexture. En conti-
nuant d’agir, il ne les trouve plus dans le même
état , et cependant son action fait naître en elles
de nouvelles combinaisons ; d’autres changejmens
succèdent aux premiers , et amènent enfin les
modifications au moyen desquelles ces corps ac-
quièrent la condition nécessaire pour se fondre.
Mais si l’on suppose un feu plus actif, il opé-
rera en peu de jours ce que l’autre n’a pu
r
BANS LES DEUX SICILE S. 45
effectuer que dans la longue succession du
temps.
Faisons maintenant l’application de ces faits à
l’hypothèse de Dolomieu , qui pense que le feu
volcanique agit plus par sa durée que par sa
force. Je vois bien comment sa continuité peut
suppléer à sa faiblesse pour liquéfier les roches,
je comprends comment il doit gagner en appli-
cation constante ce qu’il perd en activité 5 mais
je ne conçois pas comment la liquéfaction des
roches , dans ce cas , n’entraîne pas celle des
schorlset desfeld-spaths, et la destruction de leur
propre contexture. Voilà du moins les effets que
j’ai observés dans les pierres de mes précédentes
expériences. Ces effets, me dira-t-on, ne sont pas
applicables aux volcans, et l’on me citera l’exem-
ple du Stromboli , dont les matières projetées
retombent continuellement dans son cratère, su-
bissent pendant une longue succession de temps
l’action de ses feux, et ne perdent pas pour cela
leurs caractères primitifs. Je réponds que ce phé-
nomène ne prouve pas un défaut d’activité dans
ces feux, mais qu’il indique plutôt en eux une
manière d’agir toute particulière. J’ai déjà fait
cette remarquent j’aurai occasion d’y revenir.
Je passe au second raisonnement de Dolomieu ,
relativement au soufre considéré , en plusieurs
VOYAGES
46
endroits de ses ouvrages, comme un véritable
fondant. On lit , dans son Catalogue raisonné des
productions de l’Etna, page 167, ces paroles re-
marquables : « Une pierre très - ferrugineuse,
»chaufFée jusqu’au rouge, et mise en contact
»avec un bâton de soufre, éprouve un effet pres-
que semblable à celui d’un morceau de fer qui,
» dans les mêmes circonstances , brûle , se calcine,
»et devient instantanément fluide par l’action du
» soufre ».
Pour découvrir si en efFet le soufre facilite la
fusion des pierres qui d’ordinaire servent de base
aux laves , telles que les rocbes de corne , les
pétro-silex, les schorls en masse, j’en choisis
parmi celles-là qui n’exigent pas beaucoup de
temps pour entrer en fusion dans le fourneau.
Avant de les soumettre à l’expérience , je cher-
chai à m’assurer d’un terme de comparaison au
moyen duquel je pusse mesurer mes résultats. A
cet efFet, je fis fabriquer et ensuite cuire six
creusets d’argile, ayant chacun un pied et demi
de hauteur , sept pouces de largeur dans le
fond , étroits vers le sommet , et se terminant par
une ouverture circulaire d’une ligne et demie ,
laquelle s’élargissait en manière d’entonnoir. Je
remplis un de ces creusets , jusqu’au bord ,
ÿi’un pétro - silex pulvérisé , et un autre jus-
,1
DANS LES DEUX SICILE S. ij
qu’aux trois quarts de sa hauteur, de soufre en
poudre ; le surplus de la capacité fut occupé par
du meme pétro silex pulvérisé. Je disposai de
même et alternativement les quatre creusets res-
tans , en y employant de la pierre de corne et du
schorl en masse. Par ce moyen j’établissais un
terme de comparaison entre les pierres qui se fon-
draient au fourneau sans la participation du soufre,
et celles du même genre qui se fondraient avec
son concours. Ce minéral ne pouvait être mieux
choisi, il provenait de Pile de Vulcano, où jel’avais
recueilli. Comme il était indispensable que chaque
creuset éprouvât le même degré de feu , je m’as-
surai de cette égalité avec le pyromètre.
Au bout de treize minutes , le soufre contenu
dans les trois creusets commença à s’en exhaler
sous la forme d’une fumée rougeâtre et légère
qui s’élevait par les entonnoirs. J’avais pratiqué à
dessein cette étroite ouverture pour laisser échap-
per le soufre \ car si les creusets avaient été par-
faitement clos , ils se seraient aisément brisés
par l’effort des exhalaisons sulfureuses, et d’ail-
leurs l’étranglement de ce passage était propre
à conserver long-temps l’inflammation du soufre.
La fumée s’accrut et durait encore, que la pierre
de corne dans les deux creusets commença à se
fondre , ce qui arriva au bout de cinquante-
VOYAGES
48
trois minutes de feu. Je ne m’apperçus point que
le soufre eût accéléré l’effet.
Un commencement de fusion se manifesta au
bout de soixante-cinq minutes dans le creuset
sans soufre, où était le pétro-silex; mais elle ne
parut pas plutôt dans le creuset contenant le
soufre , qui fuma pendant cinquante-huit minutes.
En brisant ces deux creusets, je ne remarquai
aucune différence dans le degré de vitrification
de l’un et de l’autre pétro-silex. Le schorl en
masse m’offrit un semblable résultat. Ainsi ces
trois différentes pierres se fondirent également
sans le concours et avec le concours du soufre,
et je ne vis point que ce minéral en eût précipité
la fusion.
Plusieurs physiciens pensent que la pyrite est
l’aliment des feux souterrains, et en même temps
la source du soufre sublimé par les volcans. Je
répétai mes expériences avec six creusets prépa-
rés de la même manière , excepté qu’au lieu de
soufre j’employai la pyrite.
Celle-ci était en décomposition, et abondait
en acide sulfurique 5 mais la fusion des pierres
arriva aussi promptement dans les creusets qui
en étaient privés, que dans ceux qui en conte-
naient.
Dolomieu
DANS LES DEUX SIC ILE S. 4$
Doîomieu prétend que si une pierre ferrugi-
neuse en incandescence , vient à être touchée par
un morceau de soufre ^ en un instant , et comme
le fer dans les mêmes circonstances, elle tombe
en fluidité. Ainsi , suivant ce naturaliste , des laves
ferrugineuses fondues dans les creusets, devraient
acquérir plus de fluidité qu’à l’ordinaire en y
faisant brûler du soufre.
On pense bien que ma méthode expérimentale
ne m’abandonna pas dans cette occasion. Je
remplis plusieurs creusets de laves chargées de
fer ; quand elles furent en fusion , un homme te-
nant une cuiller de fer, armée d’un long manche
et pleine de soufre fondu et enflammé , sans
déplacer les creusets et les tirer hors du fourneau,
y versa le minéral 5 et moi , pendant cette opéra-
tion, et tandis que le soufre bouillait dans les creu-
sets, se sublimait en une fumée épaisse et rougeâ-
tre , et couvrait toute la surface des laves, j’é-
prouvais avec un fer pointu, leur résistance , et
j’observais si elles acquéraient une plus grande
liquidité; mais cela n’arriva point. Après l’entière
dissipation du soufre, elles conservaient encore
le même degré de ténacité qu’elles avaient avant
que le soufre les eût touchées.
Je fis cette expérience sur sept laves, sans
Tome IV \ D
VOYAGES
appercevoir aucune circonstance favorable à
l’hypothèse de Dolomieu.
Si le feu du soufre aide de celui du fourneau,
n’avait pu exciter la fusion de ces pierres , à plus
forte raison était -il incapable de les fondre en
agissant par sa seule flamme , avivée par un cou-
rant d’air dans un fourneau chimique : c’est de
quoi je me suis convaincu. J’ajouterai même que
je n’en ai pas obtenu davantage en l’animant avec
le gaz oxigène produit par le mélange de deux
tiers de soufre et un tiers de nitre.
Voilà des faits positifs , et je n’y trouve rien
qui m’autorise à croire que le soufre serve de
fondant aux pierres qui passent à l’état de lave,
ou qu’il facilite leur fluidité.
Mais il est une autre opinion de ce naturaliste
que je veux examiner, car elle touche aussi à la
question qui nous occupe. Les laves , dit-il , sont
pénétrées par un double calorique , l’un qui leur
a été communiqué dans le foyer des volcans ,
l’autre qui leur est propre , et qui se développe
par une véritable combustion. Au moyen de ce
second calorique , leur fluidité se conserve plus
long-temps que cela n’arriverait si elles n’avaient
reçu que le premier ; on comprend par-là com-
ment certaines laves font de très-courts trajets
DANS LES DEUX S I C I L E S. 5l
dans des temps très-longs ; comment leur com-
bustion ressemble tantôt à celle du phosphore
d’urine , tantôt manifeste une vraie flamme qui
souvent est bleue , ou diversement colorée.
Sans doute l’existence de cette combustion ne
saurait être mieux fondée que sur les effets qu’on
lui attribue. Si Dolomieu eût vu de ses propres
yeux cette flamme colorée qui brille à la surface
des courans de laves, je n’aurais rien à répliquer;
mais il en parle en général et d’une manière vague.
J’ai peine à croire que s’il eût été témoin lui-
même de ce phénomène , il n’en eût pas détaillé
les circonstances pour concilier plus de foi à une
hypothèse toute nouvelle. A la vérité, il promet,
dans son introduction au Catalogue des produo-
tions de l’Etna , de la démontrer par une suite
d’observations , qui ne peuvent manquer d’être
accueillies et lues avec avidité par les physiciens.
En attendant , je rapporterai ici quelques faits
qui ne s’accordent point avec la supposition de
ces flammes. Je les tiens d’auteurs qui ont eu cent
fois sous les yeux des laves courantes , qui en
ont décrit les particularités avec la plus scrupu-
leuse exactitude , sans aucune prévention ni es-
prit de parti , tels que Sérao , Torré, Bottis et
Hamilton.
Le premier, parlant en général des laves que
D 2
VOYAGES
le Vésuve vomissait de son temps , observe que
lorsqu’on les regardait de nuit à une grande
distance , elles jetaient une lumière non res -
plendissante comme la flamme vive y mais
éteinte sombre y comme celle des corps rou-
gis qui brûlent sans flamme . Quand il donne
les détails de la lave de 1767, il ne dit point
qu’il l’ait vue enflammée.
Le Père Torré , qui raconte les principales cir-
constances de l’éruption du Vésuve de 1761 s
assure qu’il n’apparaissait aucun feu visible
à la surface du torrent . Ce même auteur donne
Phistoire de plusieurs autres éruptions 5 il en dé-
crit les plus petits phénomènes , mais' il ne fait
jamais mention de flammes qui leur fussent pro-
pres. Seulement, aux pages 55 et 76 de son ou-
vrage, il fait cette remarque : La nuit , eji obser-
vant la surface de la lave, même dans les lieux
où elle était refroidie , on voyait des flammes
de soufre en sortir de divers endroits , et s’é-
teindre subitement. Mais , outre que cette lave
n’était plus ardente , les flammes apperçues pro-
venaient du soufre : elles sont très -fréquentes
dans les volcans , et ne font rien à notre sujet.
J’ouvre le livre du professeur Bottis , intitulé r
Histoire des divers incendies du Vésuve il
ne renferme presque pas une page où je rie
DANS LES BEUX S I C I L E S. 5S
rencontre la description de quelques laves cou-
rantes; mais je n’y vois pas la plus légère indi-
cation de flammes. Il est vrai que cet auteur em-
ploie souvent les expressions de torrent enflam-
mé y fleuve de feu ,* mais elles sont purement
emphatiques, et plus d’une fois je m’en suis servi
moi-même, sans vouloir dire autre chose que des
laves fortement pénétrées par le feu.
Hamilton , qui s’est approché du cratère du
Vésuve alors que la lave en découlait avec abon-
dance, ne dit point qu’elle fût enflammée, mais
il remarque simplement qu’elle avait l’appa-
rence d’un métal embrasé et fondu dans le
fourneau . A l’égard du phénomène de la com-
bustion , cela arrive y dit - il , quand la lave
déterre et emporte un arbre y alors il s’élève
à sa surface une flamme vive y je ré en ai ja-
mais vu d’autre . Il avertit ici de l’équivoque N
où l’on peut tomber , en prenant pour la flamme
d’une lave la fumée qui s’élève à sa surface, et
qui , la nuit, en a toute l’apparence.
Les observations que j’ai faites moi-même dans
mes voyages au Vésuve , à l’Etna et à Stromboli ,
s’accordent avec les précédentes. En parlant
d’une lave qui coulait dans une caverne du Vé-
suve , j’ai remarqué que sa surface avait la
rougeur de la braise sans jeter aucune flamme,
D 5
VOYAGES
54
J’ai rapporté un phénomène analogue touchant
les laves qui gisaient dans deux grottes de la
même montagne , et en décrivant celle qui cou-
lait sur terre 3 j’ai dit que sa rougeur était moins
vive que celle des précédentes .
La lave bouillonnante au fond du cratère de
l’Etna ne manifestait point de flamme $ elle avait
l’aspect d’une matière liquide et embrasée .
Mais une occasion favorable de découvrir cette
combustion était sans doute celle que m’ofFrait
la fournaise volcanique de Stromboli , soit par
ma grande proximité de sa lave montante et des-
cendante , soit par la facilité que j’avais de la
considérer pendant les heures de la nuit. Cepen-
dant je n’ai rien vu qui pût m’en faire soupçonner
l’existence 3 et voici les expressions dont je me
suis servi en rendant compte des efFets dont j’ai
été témoin : La lave du cratère ne brûle point
à sa surface d’une flamme visible , pas même
au moment que ses huiles éclatent , mais elle
brille d’une lumière ardente et très-vive : je
ne saurais mieux la comparer qu’au verre
fondu dans un fourneau en activité.
Je sais que , pour soutenir son assertion 5 Dolo-
mieu a recours à une lave de l’Etna qui coula
pendant l’espace de dix ans , et ne parcourut r
DANS LES DEUX S I C I L E S. 55
selon lui , qu’un mille d’étendue. D’abord il se
trompe ; le trajet de cette lave fut de moitié
plus long, du moins c’est ainsi que le rapporte
l’historien des éruptions de l’Etna , Alphonse
Borelli. «En 1614, un nouveau gouffre s’ouvrit
» au-dessus de la ville de Tyssa ; il en sortit éga-
lement une matière enflammée 3 mais son cours
» était si lent, que pendant dix ans qu’elle conti-
» nua de couler , elle ne parcourut que l’espace
»*de deux milles (1)».
Ensuite , il me paraît que l’on peut expliquer
l’excessive lenteur de cette lave sans supposer
qu’elle dût brûler par elle-même , et continuer
par conséquent de couler tant que dura en elle
l’aliment de la combustion. Outre plusieurs causes
qui concourent à donner plus ou moins de ra-
pidité aux laves , il est certain que leur progres-
sion dépend beaucoup de l’inclinaison du terrein
sur lequel elles coulent. Si le torrent suit un plan
horizontal , si même il est forcé de monter au
lieu de descendre , comme cela arrive quelque-
fois dans les sites montueux , sa marche sera
(1) Deinde, anno i6i4 , nova vorago supra oppidum
Tyssæ , seu Rondatici aperta est, e qua efHuxit pariter
materia ignita cursu tam lento et torpido , ut intra decem
annos quibus perpetuo effluxit , duo tantum milliaria
pertransierit.
D 4
56 VOYAGES
très-lente, et voilà peut-être le cas où s’est trou-
vée la lave de 1714* Sa lente progression pourrait
encore être attribuée à la dispersion du calorique
qu’elle recevait du volcan 5 ce calorique se trou-
vait peut-être dans un tel état d’affaiblissement ,
qu’il suffisait à peine à la faire couler. Quoi qu’il
en soit , si les roches renfermaient en elles un
principe essentiel de combustion qui se dévelop-
pât en flamme vive dans leur fusion volcanique ,
il est évident que ce phénomène devrait égale-
ment se manifester dans ces mêmes roches lors-
qu’elles se fondent dans le fourneau 5 et cepen-
dant elles n’y donnent jamais le moindre indice
de combustion ni de flamme.
J’ignore quel degré de confiance les physiciens
accorderont à l’hypothèse que je viens de discu-
ter 3 pour moi, je ne puis m’empêcher de la
regarder comme douteuse , incertaine, tant que
son auteur ne produira pas des faits propres à
en démontrer la réalité $ jusqu’à présent j’ai vu
dans les effets du feu volcanique une grande
énergie en beaucoup de circonstances , et une
manière d’agir qui probablement ne nous sera
jamais parfaitement connue. Cette énergie est
prouvée par de nombreux et solides argumens 5
ils ne sauraient être affaiblis par des faits dont
la cause est liée à une opération toute particu-
3) ANS LES DEUX SICILE S. 5j
lière de ces feux. J’en ai apporté plusieurs exem-
ples , mais en voici un nouveau qui vient à l’ap-
pui. Pendant mon séjour à Naples, je me pro-
curai quelques échantillons de cette lave du
Vésuve observée parBottis au fond d’une grotte,
où elle était pénétrée d’une si grande abondance
de calorique, qu’elle fondait subitement les sco-
ries et les morceaux de laves poreuses qu’on lui
jetait. A l’examen de ces échantillons, dont la
contexture n’était pas effacée , je vis qu’ils avaient
pour base une pierre de corne qui renfermait des
cristaux de schorl parfaitement conservés $ ce-
pendant cette lave et ces schorls, traités au four^
neau, s’y vitrifièrent en peu d’heures. Comment
concevoir que ces corps restent intacts dans un
feu très-violent , et passent à l’état de verre dans
un feu modéré , sans supposer que l’énergie du
premier est unie à certaines circonstances , à cer-
tains principes propres à en conserver le tissu ,
mais qu’on n’est pas encore parvenu à con-
naître }
J’ai pensé , avec plusieurs physiciens , que les
soufres et les pétroles donnent naissance aux
volcans , et les entretiennent 5 j’avoue cependant
que cette opinion est fort hypothétique , et que
dans le fait , nous ignorons le véritable aliment
des feux souterrains 5 mais , quel que soit cet
VOYAGES
58
aliment , toujours est- il certain qu’en brûlant,
il se trouve dans des circonstances différentes de
celles qui accompagnent les matières en com-
bustion dans nos fourneaux, lesquelles ne brûlent
qu’avec le secours de l’air atmosphérique , tandis
que les abîmes où commencent les embrasemens
volcaniques en sont privés. Une multitude d’îles
sont sorties du fond de la mer 5 ce phénomène
s’est renouvelé de nos jours 5 nous avons vu ,
en 1784, deux îles s’élever du sein de la mer
d’Islande , et l’une , au rapport de Pennant , oc-
cuper une place où les eaux avaient cinq cents
pieds de profondeur. Pourrait-on supposer l’exis-
tence de l’air que nous respirons dans ces goufTres
sous-marins, où s’allument cependant les matières
qui produisent et alimentent les volcans ? Il faut
donc renoncer à expliquer jamais cette opération
de la nature, ou recourir, pour s’en rendre raison,
à un développement d’oxigène , hypothèse qui
n’a rien que d’admissible. Si pourtant ce gaz était
pur , il nourrirait un feu qui vitrifierait tout , et
réduirait les matières en une masse homogène.
Mais avec combien de substances hétérogènes
ne doit-il pas être uni ? substances qui proba-
blement produisent ces accidens singuliers que
nous ne concevons point , qui font agir ce feu
avec une grande énergie , et lui ôtent en même
temps la faculté d’altérer la contexture des
DANS LES DEUX SICILE S. £9
pierres qu’il réduit en fusion. Parmi ces subs-
tances > il faut compter les fluides aériformes, tels
que le gaz acide carbonique , le gaz acide mu-
riatique , l’hydrogène, l’azote, &c. qui s’exhalent
pour l’ordinaire des volcans , et qui, mêlés avec
l’oxigène en diverses proportions , doivent mo -
difier plus ou moins , et ses propriétés , et les feux
qu’il anime , et les pierres sur lesquelles, ces feux
agissent. On doit encore y admettre le concours
des sels, tels que les sulfates d’alumine et de fer,
les muriates d’ammoniaque et de soude , qui
adhèrent souvent aux parois des cratères. A la
vérité , les corps salins facilitent la vitrification
des pierres , mais nous ignorons les produits de
la combinaison simultanée de plusieurs sels, sur-
tout quand ils se décomposent dans les foyers
volcaniques.
A ; ■
Il est encore possible que l’eau, unie avec le
feu, fasse naître des combinaisons impossibles à
l’art humain. Ainsi pense Faujas, persuadé qu’il
est du mystère qui enveloppe les corps travaillés
par le feu volcanique. Je ne saurais mieux termi-
ner cette discussion qu’en citant l’autorité de cet
habile naturaliste : voici son opinion. « Je serais
» porté à croire que le fluide aqueux , poussé à
» un degré d’ébullition et d’incandescence dont les
»feux de nos faibles fourneaux ne nous donnent
6o VOYAGES
» aucune idée, est quelquefois en concours avec
»le feu sourd et concentré qui règne dans les
» immenses fournaises volcaniques, et qu*il en
» résulte une multitude de combinaisons incon-
nues sur les pierres et les terres qui séjournent
»des siècles entiers dans ces gouffres ardens où
»le feu , qui tend à détruire, a pour ennemie
» l’eau , qui crée incessamment , et qui lui oppose
toutes les formes et les modifications que la raa-
» tière est susceptible de prendre » .
v
DANS LES DEUX SICILE S. 6l
CHAPITRE XXIV.
Détails sur le climat , les productions , V agri-
culture et le commerce des îles Æoliennes .
JMLœurs et usages des habitans .
J’ai remonté jusqu’à l’origine desîlesÆoliennes;
je les ai considérées dans leurs rapports avec les
feux volcaniques ; j’ai décrit les matières dont
elles sont formées ; il me reste à indiquer les
plantes qui y végètent , les animaux sédentaires
qui y vivent , ceux qui , ne se fixant nulle part ,
ne viennent y prendre asyle que pendant un cer-
tain temps de l’année; à tracer enfin le caractère,
les mœurs , l’industrie des hommes qui les ha-
bitent, et j’aurai rempli ma tâche, et la pro-
messe que j’ai faite dans introduction de cet
ouvrage.
HP A RI, la plus grande des Æoliennes, est
aussi la plus peuplée ; on y compte neuf à dix
mille habitans. La majeure partie de cette po-
pulation est fournie par la ville , dont la haute
antiquité remonte au-delà de la guerre de Troye,
62
VOYAGES
On peut se représenter le sol de Lipari comme
divisé en quatre parties : deux et demie sont en
culture, le reste est couvert de bois ou stérile 5
mais cette stérilité diminue à mesure que le
nombre des habitans augmente; une plus grande
consommation de denrées les met dans la né-
cessité de travailler sans cesse à de nouveaux
défrichemens.
L’île produit du coton, des légumes, des olives,
le tout en petite quantité. Le froment y est
excellent. Sa récolte s’élève annuellement de
quinze cents à deux mille mesures, ou salmes
siciliennes : cela suffit à peine aux besoins des
citadins.
Mais la richesse de Pile consiste dans ses vi-
gnobles , qui fournissent des vins de différentes
qualités. La plus commune, celle dont les habi-
tans font leur boisson ordinaire, est si abondante ,
que l’on peut en exporter deux à trois mille bar-
riques par an sans que le pays en soufFre. Le
vigneron exprime le jus des raisins sur les lieux;
il le renferme dans des outres, et le transporte
de cette manière dans les maisons des proprié-
taires.
Il est deux autres espèces de raisins que l’on
fait sécher ; Pune porte le nom de passola ,
DANS LES DEUX SICILE S. 65
l’autre celui de passolina ; cette dernière est
plus généralement connue sous la dénomination
de raisin de Corinthe . On prépare annuellement
onze à douze mille barriques de la première
espèce 3 et dix mille de la seconde 3 qui entrent
dans le commerce.
Une quatrième espèce de raisin produit la fa-
meuse malvoisie de Lipari , dont le nom seul fait
l’éloge 3 vin de couleur ambrée 3 généreux et
suave tout-à-la-fois 3 qui inonde la bouche d’un
parfum délicieux , et laisse un arrière-goût de
douceur non moins agréable. Mais si cette es-
pèce est la plus précieuse , elle est aussi la plus
rare ; à peine fournit-elle deux mille barriques
de vin , que les Liparotes envoient chez l’étran^
ger. Pendant le séjour que je fis dans l’île 3 ce
ne fut pas sans difficulté que je parvins à m’en
procurer de quoi seulement ranimer de temps
en temps mes esprits abattus 3 et soutenir mon
courage au milieu des courses pénibles où j’étais
engagé.
Pour faire cette malvoisie 3 on coupe le raisin
lorsqu’il est parfaitement mûr 3 ce qu’il annonce
par sa belle couleur dorée, et sa saveur qui est
très- douce. Après avoir ôté des grappes tous les
mauvais grains 3 on les laisse exposées au soleil
sur des nattes de roseaux pendant huit ou dix
64 VOYAGES
jours , et davantage , jusqu’à ce qu’elles se flé-
trissent. Ces grappes , ainsi préparées, sont pla-
cées sur dès aires de pierre bien propres , entou-
rées de petits murs de la hauteur de deux pieds.
On les écrase d’abord avec une pierre liée à l’ex-
trémité d’une poutre, ensuite avec les pieds nus,
jusqu’à ce que tout le jus en soit exprimé. Par
un trou pratiqué dans l’aire, ce jus coule et des-
cend dans une autre aire semblable , mais dont
les bords sont plus élevés; après quoi on le trans-
vase dans des tonneaux , où il fermente , se pu-
rifie , et devient bon à boire dans le courant du
mois de janvier suivant.
Les vendanges commencent en septembre ;
c’est alors que les citadins sortent de l’enceinte
de leurs murs , se répandent dans les campagnes ,
vont habiter leurs petites maisons situées auprès
des vignobles , et s’abandonnent, tant que les
vendanges durent , à la joie pure-et innocente
que l’automne leur inspire. Le voyageur étranger
à qui il arrive en cette saison , et pendant la nuit ,
de côtoyer dans une barque les rivages de file ,
est agréablement surpris en voyant la multitude
de lumières qui brillent dans toutes ces habita-
tions champêtres , et jettent çà et là sur la cam-
pagne des clartés vagues et incertaines.
Le figuier d’Inde ( cactus opuntia , Lin. ) est
une
BANS S DEUX SICILE S. 65
tme autre plante utile aux Liparotes , quoiqu’elle
ne soit pas l’objet d’un commerce extérieur. Ghez
nous, cet arbuste ne supporte l’hiver que dans
des serres chaudes 5 il prend peu de croissance 5
ses fruits sont petits , maigres , et ne valent rien.
Mais à Lipari, et dans toutes les îles Æoliennes,
il prospère à merveille , et s’élève jusqu’à dix,
et même quinze pieds de hauteur ; sa tige ac-
quiert un pied de diamètre * et quelquefois da-
vantage. Ses fruits, dont la grosseur égale unx
œuf de poule d’Inde , sont doux, agréables, et
d’une facile digestion. Avant leur maturité , ils
ont l’écorce verte 5 en mûrissant , ils prennent
une couleur jaune tirant sur le rouge. Cette
plante réussit dans toutes les expositions 3 mais
la plus favorable est celle du midi. Tout terrain
lui convient ; elle croît dans les crévasses des
laves , dans les fentes des vieilles murailles ; les
décombres des édifices sont également propres
à sa végétation. On sait que ses fruits naissent ati
bord des feuilles; le nombre en est indéterminé,
mais souvent il est considérable : j’en ai compté
vingt-deux sur une seule feuille^ Ils entrent en
maturité au commencement d’août, et se suc-
cèdent jusqu’en novembre. Dans les lieux les plus
exposés aux rayons du soleil , ils continuent à
croître et à mûrir au milieu même de l’hiver |
mais sans cela on peut encore, dans cette saison,
Tome E
VOYAGES
G5
obtenir ces fruits beaux et bons , en les recueil-
lant verts en automne , pourvu qu’on ait soin de
ne pas les séparer de la feuille mère , qui leur
fournit une nourriture suffisante pour qu’ils par-
viennent à leur maturité.
Ces fruits se mangent pendant la plus grande
partie de l’année , leur grande abondance les
maintient à un prix très- bas. Non- seulement
ils se propagent d’eux-mêmes , mais on a soin
de les faire multiplier autour des habitations.
La chose est facile , cette plante se reproduisant
par ses feuilles. Elles ont la forme d’un disque
alongé , plus étroites dans une extrémité que
dans l’autre 5 aussi les appelle- 1- on pelles dans
la Sicile , à cause de leur ressemblance avec
cet instrument de jardin. Chaque feuille est
épaisse , charnue ; ses deux surfaces sont par-
semées de petits boutons, ou mamelons, d’où
naissent une multitude de petites épines , au
centre desquelles il en pousse une plus grosse
de la longueur d’un pouce. Ces boutons n’ont
qu’à toucher la terre pour prendre racine. Il
en sort une feuille radicale qui donne naissance
à d’autres feuilles , celles-ci à de nouvelles. La
radicale , qui était plate dans le principe , s’ar-
rondit avec le temps , s’alonge , grossit en pro-
portion des feuilles qui pullulent sur elle 9 et
DANS LES DEUX SICILE S- 67
forme le commencement du tronc de la plante.
Ce tronc qui a quelquefois , comme nous l’avons
dit , un pied de diamètre , est composé d’une
série de feuilles posées verticalement les unes sur
les autres , et réunies ensemble par les deux
bouts.
Tels sont les végétaux cultivés par les Lipa-
rotes ; mais les raisins font le seul objet de leur
commerce. Le bled y croît en si petite quantité,
que ce n’est pas la peine d’en parler ; cependant
cette récolte serait susceptible d’une grande
amélioration si l’on admettait un autre système
de culture. C’est la coutume d’élever les vignes
à deux ou trois pieds de terre , et de former avec
des pieux et des roseaux, de petits carrés où
elles sont entrelacées. Ces vignes , avec leurs
branches et leurs larges feuilles , interceptent
les rayons du soleil, et sont cause que le terrain
qui est au-dessous reste inculte et sauvage. Déjà
quelques Liparotes , sentant l’inconvénient de
cette méthode , ont secoué le préjugé national •
ils ont converti ces espaces de terrain abandonné
en champs de bled sans nuire à leurs vendanges.
Je citerai pour exemple la pratique de l’abbé
GaetanoTrovatini , de qui j’ai parlé ailleurs avec
éloge. J’ai vu son champ 5 il n’est pas très-éten-
du, ni de meilleure qualité que les autres, ce-
E 2
VOYAGES
68
pendant il y fait à-la-fois une moisson de bled
et des vendanges abondantes. Au lieu de ces
étroits carrés de vignes que Ton appelle pergole 3
il a planté ses ceps en espaliers parallèles , qui
laissent entr’eux de larges plate-bandes de terre
où il sème à sillons droits du froment, selon la
méthode de Duhamel. De cette manière , les
rayons du soleil et l’air jouant librement au mi-
lieu des espaliers , et par-tout la terre étant soi-
gneusement labourée, chaque grain de bled croît
et multiplie sans que les vignes cessent d’être
aussi fécondes que celles des champs voisins ,
plantées selon l’antique usage. Il est vrai que
l’abbé Trovatinifut d’abord regardé de mauvais
œil par ceux qui faisaient la triste comparaison
de leur champ avec le sien ; mais quand j’arrivai
dans File , son exemple avait produit un bon
effet, et on commençait à l’imiter. Il est fâcheux
pour l’encouragement et le perfectionnement de
Fagriculture à Lipari , que dom Joseph Cipola
de Palerme , évêque de cette île et des adja-
centes, n’aît pas vécu quelques années de plus;
ce digne prélat semblait être né pour changer
la face de ces pays à moitié sauvages, et en amé-
liorer le sort. On ne peut évaluer le nombre d’oli-
viers dont il les a enrichis ; la seule petite île de
Panaria en possède plus de trois mille pieds. Il
a aussi introduit le mûrier , qui réussit parfaite--
DANS LES DEUX SICILE S. 6g
ment $ j’en ai va un dans la basse cour de sa mai-
son , planté depuis huit ans , qui ne cédait point
en grosseur et en vigueur à ceux de notre Italie
du même âge , et croissant dans le meilleur sol.
Les figuiers d’Inde indigènes dont j’ai parlé , ont
le fruit de couleur jaune en dedans : dom Joseph
Cipola en a fait transporter de Palerme une autre
espèce qui les produit rouges et délicieux. Je
desire que son successeur , dont j’ignore le nom ,
suive l’exemple d’une vie ainsi consacrée à l’uti-
lité publique.
Mais puisque nous en sommes revenus aux
figuiers d’Inde, je veux mettre au jour une idée
qui , si elle était jamais réalisée , contribuerait
autant à la prospérité de la Sicile que des îles
Æoliennes. Le Mexique, et quelques autres pro-
vinces de l’Amérique espagnole, sont les pays où
l’on recueille l’insecte cochenille ; on en fait un
commerce qui s’élève à plusieurs millions de
livres tournois par an. Pourquoi les îles dont je
parle , qui sont à l’extrémité la plus méridionale
de l’Italie , et la Sicile, qui en a été séparée par
une irruption de la mer, pourquoi , dis- je, ces
îles ne partageraient- elles pas avec le Mexique
les avantages que lui procure cette précieuse
couleur ? Deux choses suffisent pour les obtenir:
la plante sur laquelle l’insecte vit et se multi-
E 3
VOYAGES
7°
plie , et la possession de celui-ci dans les lieux
où Ton veut le propager. Quant au premier point,
le figuier d’Inde qui croît si abondamment dans
les îles Æoliennes et la Sicile , est justement la
plante demandée. On dit que les opuntia dans le
Mexique, quand ils sont bien cultivés , s’élèvent
à la hauteur de huit pieds , et que leurs feuilles
ont presqu’un pied de longueur 5 ceux des îles
Æoliennes et de la Sicile sont d’une plus grande
dimension, et dénotent une plus grande vigueur.
Qui empêcherait que les cochenilles n’y prospé-
rassent tout aussi bien ? Le ver-à-soie, quoique
originaire des Indes , ne naît-il pas , ne multi-
plie-t-il pas heureusement par-tout où il trouve
des feuilles de mûrier ? La seule difficulté, selon
moi , serait dans le transport de cet insecte vivi-
pare à une si grande distance , difficulté qui
n’existe pas pour les vers-à-soie ovipares , dont
on fait voyager les œufs par tout pays sans aucun
danger. Mais comme la cochenille vit et se re-
produit sur les feuilles de l’opuntia , quel risque
y aurait-il à la transporter avec sa plante nour-
ricière , que l’on placerait dans des caisses de
terre, et que l’on embarquerait dans un vaisseau
qui viendrait du Mexique en Sicile? la conserva-
tion de la plante n’assurerait-elle pas celle de
l’insecte ? Quoi qu’il en soit de cette spéculation ,
l’espoir fondé du succès mériterait bien les dé-
DANS LES DEUX SICILE S.
71
penses et les peines d’une tentative. Je n’ignore
pas avec quelle jalousie le gouvernement espa-
gnol veille à la propriété exclusive de cet in-
secte ÿ mais cela n’a pas empêché que des voya-
geurs français ne l’aient enlevé , et heureuse-
ment transporté dans leur patrie. Si ce vœu était
jamais réalisé en faveur de l’Italie 5 il contrarierait
sans doute les vues politiques de la cour d’Es-
pagnejmais un Italien , et sur-tout un philosophe
libre, ne doit pas moins en desirer l’accomplisse-
ment.
[ i
Les ressources que les Liparotes tirent de la
pêche ne sauraient être plus faibles , non que
les poissons leur manquent , mais bien les pê-
cheurs et les instrumens nécessaires pour les
prendre. Ils ne connaissent que l’hameçon , et
ces grands filets appelés ramasses , que l’on
déploie fort avant dans la mer , et que l’on ra-
mène ensuite contre le rivage. Cette pêche n’a
lieu que dans le port , encore s’y fait-elle rare-
ment dans la belle saison $ l’hiver , quand les in-
sulaires sont pour la plupart désœuvrés , ils s’y
livrent davantage. J’ai assisté quelquefois à cette
pêche , moins par curiosité que pour faire em-
piète de quelques poissons pour ma petite table ;
mais si le jour se trouvait malencontreux pour
les pêcheurs , il était fort malheureux pour moi
E 4
/
VOYAGES
7 2
qui , attentif à tous leurs mouvemens , épiais mon
dîner au fond de leurs filets.
Une autre pêche des insulaires est celle du
corail , qui se fait en juin et en juillet autour de
Lipari et de Yulcano. Elle me procura pendant
mon séjour une branche de corail née sur un
émail volcanique ^ morceau rare et curieux qui
fut pris sous Je château de Lipari. Quinze barques
sont employées à cette pêche \ mais , soit le dé**»
faut des instrumens , soit la mal-adresse des pê-
cheurs, elle est tout-à-fait misérable. Pendant
le cours des deux mois indiqués , le produit de
chaque barque montée par huit hommes , ne
s’élève qu’à dix ou quinze rotoli de corail 5 le
rotoli est de deux livres et demie , et la livre
de douze onces.
Autrefois on allait le pêcher à la distance dé
dix milles du port de Lipari , dans un endroit
nommé la Secca di Santa Caterina ; mais quel-
ques barquesy ayant fait naufrage, l’évêque
d’alors , qui était Dominicain , fulmina une ex-
communication contre toutes les barques qui
auraient dorénavant l’audace de s’en approcher.
Dans mes excursions maritimes autour des îles
Æoliennes, je n’ai jamais rencontré de ces céta-
çées de moyenne grosseur que Von voit souvent
BANS LES DEUX SICILE S. 75
dans les autres parages de la Méditerranée , tels
que des dauphins, sans doute parce qu’ils n’y
trouvent pas la pâture qui leur convient. Seule-
ment, un jour que la mer était calme, et que
jenavigeais entre Panaria et Vulcano, je vis tout-
à-coup sortir de l’eau un gros cétacée du genre
des physétères. Au long étendard qu’il portait
sur le dos , je le pris pour un tursione de Linné.
Il nageait à peu de distance de ma barque , et
je l’observai avec toute l’attention dont j’étais
capable. Les matelots , comme les naturalistes,
savent que les dauphins, les physétères et les
baleines ont besoin de respirer de temps en
temps , et mettent pour cela la partie supérieure
de leur corps à la surface de l’eau ; alors , par
un ou deux trous qui s’ouvrent sur leur tête, ils
lancent en haut un ou deux jets d’eau, accom-
pagnés de Texpiration de l’air qu’ils avaient pré-
cédemment pris , et en inspirent du nouveau. Ce
cétacée faisait de même chaque fois qu’il venait
à flot ; il étendait sur l’eau la moitié de son corps ,
ce qui me donnait la facilité de le mesurer des
yeux. Sa longueur était pour le moins de vingt-
huit pieds , et sa plus grande largeur de sept.
La nageoire de la queue en avait huit, et celle
du dos en avait deux. Chaque expiration pro-
duisait un sifflement d’air et d’eau , avec un jet
qui s’élevait à la hauteur de huit à ne uf pieds
VOYAGES
74
Un moment avant que la projection se fît , la
moitié du corps de l’animal était étendue sur
l’eau , ensuite il replongeait lentement. Je pris
la peine de noter l’intervalle qu’il mettait entre
chaque jet : c’était presque toujours seize ou
dix-sept secondes. Je me flattais d’avoir trouvé
à-peu-près la mesure du temps que ce cétacée
pouvait rester dans la mer sans avoir besoin de
respirer, lorsque tout-à-coup, élevant vertica-
lement sa queue et faisant le plongeon , il dis-
parut sans qu’il me fût possible de le revoir.
Certainement , s’il avait sorti sa tête pendant le
gros quart-d’heure que je fus à sa recherche, il
n’aurait pas échappé à mes regards attentifs , ni
à ceux de mes bateliers , qui se portaient de
tous côtés sur la surface tranquille des eaux. J’ap-
pris par-là que ce physétère, dont l’organisation
est en grande partie analogue à celle des ani-
maux à mamelles, et qui se trouve comme eux
dans la nécessité de respirer, peut cependant sus-
pendre l’exercice de cette fonction , et en sup-
porter plus facilement que les autres l'interrup-
tion.
Si les animaux aquatiques apportent peu
d’utilité aux Liparotes , les animaux terrestres
ne leur ofFrent guère de plus grandes ressources.
Ue bétail , gros et menu , est très-rare chez eux.
DANS LES DEUX SICILE S. J*>
La Sicile leur fournit le petit nombre de bœufs
et de vaches qui se consomment dans leur île a
encore sont-ils fort maigres : le manque de pâ-
turage en est la seule cause; aussi la plus grande
partie du sol cultivé se travaille à la main.
Les lapins sont les seuls quadrupèdes sauvages
que le pays produit ; ils cherchent les lieux mon-
tueux, et établissent leurs terriers dans les ma-
tières volcaniques que leurs pieds peuvent creu-
ser, telles que les tufFas. On les prend avec le
furet , et cette chasse fait l’amusement des ha-
bitans. Quoique ce petit animal soit originaire
d’Afrique , il vit et se multiplie dans les parties
méridionales de l’Italie. Il est de la grosseur d’un
chat de moyenne taille ; sa physionomie parti-
cipe de celle de la belette et de la fouine. Je
l’ai vu très- familier à Lipari, et multipliant dans
les maisons des habitans. Quand le chasseur veut
s’en servir, il l’emporte dans une cage, et se fait
suivre par son chien. Celui-ci est bientôt sur la
trace du gibier , le poursuit jusqu’à l’entrée de
sa retraite , et l’indique à son maître. Alors le
chasseur met le capestro au furet ; c’est une
espèce de muselière qui l’empêche de mordre ,
sans quoi il profiterait lui seul de la chasse , et
laisserait sa victime dans le trou après avoir sucé
son sang. Ainsi bridé , il ne fait que la vexer des
VOYAGES
76
pieds et des ongles , et la force de sortir pour
se jeter dans un filet qui est à l’ouverture du
terrier. Le furet vient après , et se laisse re-
mettre dans sa cage. Ces lapins sont plus petits
que ceux qui sont élevés dans la domesticité 5
ils ont le poil gris comme tous les lapins sau-
vages. Ce n’est pas qu’ils aient une origine libre f
car on se rappelle encore l’époque où les pre-
miers furent apportés par un paysan , et aban-
donnés dans Pile , où ils multiplièrent prodigieu-
sement. Mais la nature, quoique corrompue et
gâtée par les hommes , quand elle est rendue
à la liberté, restitue aux animaux ces formes,
ces habitudes du corps dont ils jouissaient dans
leur état primitif.
Les oiseaux sédentaires à Lipari sont la per*,
drix (1) , le verdier (2) , le pinson (3) , le char-
donneret (4) , la chouette (5) et le corbeau (6).
Ce dernier habite pour l’ordinaire les champs
cultivés qui sont auprès des Etuves , et niche
sur les rochers les plus escarpés , qui ne le sont
(1) Per dix. Lin.
(2) Loxia chloris. Lin.
(3) Fringilla domestica. Lin.
(4) Fringilla carduellis . Lin»
(5) Scops. Lin.
(6) Corvus corax. Lin.
DANS LES DEUX SICILE S. 77
pas assez pour qu’on ne puisse leur enlever quel-
quefois leurs petits.
Quant aux oiseaux errans , je n’en ai pas vu
un seul. On met dans ce nombre les diverses
espèces de lari et le pélican charbonnier (1) ,
qui vont et viennent à la quête de leur pâture,
et quittent indifféremment l’eau salée des mers
pour l’eau douce des rivières et des étangs. Ra-
rement ils se montrent dans les îles Æoliennes ,
ainsi que les autres oiseaux aquatiques.
Il n’en est pas de même des oiseaux de pas-
sage. Les tourterelles (2) et les cailles (3) ar-
rivent en avril , et s’arrêtent pendant quelques
jours : elles reviennent en septembre pour quel-
que temps encore. Les hirondelles font plus ,
elles nichent. On en compte diverses espèces :
l’hirondelle domestique (4) , l’hirondelle de fe-
nêtre (3) , le martinet commun (6) et le grand
martinet (7). Ces deux derniers font leurs nids
(1) F. Carbo. Lin.
(2) Columba turtur. Lin.
(3) Tetrao coturnix. Lin.
(4) Hirundo rustica. Lin.
(5) Hirundo urbica. Lin.
(6) Hirundo apus. Lin.
(7) Hirundo melba . Lin*
VOYAGES
?8
dans les fentes des rochers et des murs les plus
élevés de la ville. Quand je quittai Pile , c’était
le i5 octobre, il restait encore quelques hiron-
delles de la première et de la quatrième espèce.
Je dois observer que , deux jours auparavant,
il était survenu une tempête accompagnée d’é-
clairs, de pluie et de grêle 5 et que le lendemain
au point du jour, j’avais vu une centaine d’hi-
rondelles domestiques se rassembler au-dessus
du château de la ville , et partir avec un vent
de sud-ouest. Le thermomètre de Réaumur mar-*
quait ce jour-là i5° au-dessus de zéro.
En causant avec l’abbé Trovatini , et d’autres
insulaires , des habitudes de l’hirondelle, quel-
qu’un raconta un fait que j’avais déjà ouï dire
à Stromboli , et auquel je reviendrai alors que
je traiterai particulièrement de cette île. Ce fait
est que dans l’hiver, quand les jours sont sereins
et rians , et qu’il souffle un vent du midi , tantôt
l’une , tantôt Pautre des quatre espèces d’hiron-
delles indiquées , apparaissent dans les rues de
Lipari , volent ras-terre , et se font tuer par les
enfans armés de longues verges. Les deux pre-
mières se laissent prendre à l’hameçon. Les en-
fans cachent ce piège sous une plume attachée
à un fil qui pend à l’extrémité d’un roseau ; ils
se cachent eux-mêmes derrière l’angle d’une
DANS LES DEUX. SI CI LE S. ?9
maison , agitent la plume , et la font voltiger en
Pair. L’oiseau porté par instinct à saisir les ^*n-
sectes volans , croit en voir un , accourt , ouvre
le bec , et reste pris au piège.
D’après cela, il est bien certain que ces hiron-
delles , à l’approche de l’hiver, ne passent pas
en Afrique , comme on le croit communément,
mais qu’elles s’arrêtent dans cette île, et sortent
de leurs retraites dans les beaux jours de l’hiver,
pour se mettre à la quête des insectes.
En navigeant autour de Lipari , j’ai vu une
cinquième espèce d’hirondelles , celles de ri-
vage (i), qui font leurs nids au bord des fleuves,
et quelquefois de la mer. Elles tournoyoient au-
tour d’un rocher de tuffa battu par les flots : les
unes entraient dans les trous qu’elles y avaient
pratiqués , les autres en sortaient. Cette espèce
paraît dans l’île au mois de mars, et en disparaît
au mois d’octobre.
Je comptais réunir ces observations , et d’autres
recueillies en divers endroits de la Sicile, à celles
que j’ai faites dans la Lombardie sur ce genre
de volatiles, et les présenter ici en un seul corps;
mais étant revenu depuis au même sujet , j’ai
(1) j Hirundo riparia. Lin.
8o
V 0 Ÿ A G Ê S
cru devoir , par de nouvelles expériences, jeter
quelque lumière sur une question de physiologie
qui est devenue un sujet de controverse parmi
les naturalistes , savoir si le froid fait tomber les
hirondelles en léthargie , question que j’avais
déjà touchée dans divers mémoires sur la physique
végétale et animale. J’ai étendu mes recherches
à d’autres animaux à sang chaud dont l’organi*
sation est susceptible de cette modification, prin-
cipalement durant l’hiver , tels que le hérisson
commun (1) , la marmotte (2) , la taupe mus-
cardine (3) , la chauve-souris (4); et mon travail
s’est si fort accru , que je suis forcé de le pu-
blier à la suite de mes voyages, dont il sera le
complément.
Revenons à Liparî. Depuis quelque temps les
mariniers se livrent à un petit commerce exté-
rieur; plusieurs d’entre eux font trafic de galant
teries > comme ils disent , à la foire de Siniga-
glia 5 ils achètent des toiles , des mousselines ,
des voiles , et autres marchandises du même
genre , pour la valeur de treize à quatorze mille
(1) Brinaceus europœus . Lin.
(2) Mus marmota . Lin.
(3) Mus avellanarius . Lin*
(4) Vespertilio . Lin«
onces
Ü ANS LES DEIÎX SIC ILES. 8l
Onces sicilienpes , et ils les vendent à Messine ,
à Catane , à Païenne, et autres lieux de la Sicile.
Si le profit de ce commerce retourne à Lipari ,
et enrichit quelques matelots ■> il diminue d’un
autre côté la pêche , qui devrait être une source
naturelle de richesses pour l’île , et renchérit
beaucoup le prix du poisson.
On lit dans Strabon , Diodore et Dioscoride ,
que l’extraction du sulfate d’alumine faisait une
partie considérable des revenus de l’île : aujour-
d’hui l’on n’y recueille pas une parcelle de ce seL
J’en ai vu quelques efflorescences en divers en-
droits que j’ai indiqués , mais en si petite quan-
tité, qu’elles ne valent certainement pas la peine
d’être ramassées. Sans doute la veine de ce mi-
néral s’est épuisée ou perdue , à moins que l’on
ne suppose , avec plus de probabilité , que les
insulaires le tiraient de l’îie voisine de Vulcano ,
qui en est abondamment pourvue.
L’état civil de Lipari est Composé d’un juge
criminel , du fisc , d’un gouverneur militaire qui
est pour l’ordinaire un vieux invalide , et d’un
juge civih
Un évêque , dix-huit chanoines du premier
ordre, quatorze du second , cent vingt à cent
trente prêtres , forment l’état ecclésiastique.
Tome ÏV\ F
02
VOYAGES
Ce n’est pas le talent qui manque aux Lipa-
rotes , c’est l’instruction et l’enseignement. En
général ils ont l’esprit prompt et vif, une con-
ception facile, et de l’ardeur pour s’instruire.
Si quelque étranger de mérite aborde chez eux ,
ils s’empressent à l’interroger pour profiter de ses
connaissances. Ils s’offrent volontiers à l’accom-
pagner par- tout , lui montrent avec satisfaction
leurs étuves , leurs bains 5 aucun d’eux n’ignore
que leur pays est l’ouvrage du feu. On y dispute
de la patrie d’Æoîe , comme en Grèce de la patrie
d’Homère : chaque île le réclame pour elle. Les
Liparotes sont persuadés que leur ville était le
siège de son^petit empire ; et ceux qui ont quel-
que teinture de belles-lettres, savent, au besoin,
alléguer en leur faveur l’autorité d’Homère.
Là, point de mendians : les plus pauvres habi-
tans ont encore un petit champ qu’ils cultivent
et qui les nourrit.
En général ils sont robustes et forts ; ils ont
la taille haute et bien prise 5 dans l’enfance ils
portent une figure agréable , un teint vif et ani-
mé ; mais cette fleur de l’âge tendre, même chez
les femmes , se flétrit de bonne heure 5 exposés
aux rayons d’un soleil brûlant , ils en reçoivent
l’empreinte , et l’incarnat de leur visage se change
en couleur de bronze.
DANS LES DEUX SICILE S. 85
Ainsi que dans l’ancienne Grèce , c’est une
honte à Lipari , et dans les autres îles , de ne
pas savoir nager , manier une rame , gouverner
un bateau. Les prêtres , sur-tout , sont très-ha-
biles dans cet art ; la plupart, ainsi que les mate-
lots, portent sur leurs bras et leurs mains l’image
d’un crucifix , ou de quelque saint , tracée en
noir. J’ai vu un homme très-opulent , revêtu du
titre de baron et marqué de ces signes indé-
lébiles , parce qu’autrefois il exerçait l’état de
matelot.
La ville de Lipari est petite , ses rues sont très-
étroites 5 on voit quelques canons sur les murs
de son château , qui n’est d’ailleurs gardé que
par une faible garnison. Les maisons ont un air
pauvre et mesquin ; on n’y compte que trois
édifices un peu apparens : Le logement de l’évê-
que , celui du gouverneur et l’église cathédrale,
qui renferme un mobilier précieux , des vases ,
et entr’autres une belle statue d’argent de son
patron S. Barthélemi , le tout provenu des lar-
gesses du peuple , et estimé quatre-vingt-dix
mille écus napolitains.
STROMBOLI est situé sous le même degré
de latitude que Lipari, c’est-à-dire, sous le
trente* huitième ; la chaleur y est cependant plus
F a
VOYAGES
84
vive en été, sur-tout près de la mer 5 cela pro-
vient de la grande quantité de sable répandu à
sa surface , qui, échauffé parles rayons du soleil ,
produit une réverbération très-forte ; du moins
je ne me suis point apperçu que le volcan con-
tribuât à cette surabondance de chaleur ^par-
tout où Ton creuse la terre , excepté dans le voi-
sinage du volcan , on îa trouve moins chaude
dans l’intérieur qu’à la superficie.
L’hiver n’y est point rude ; jamais de gelée j
s’il tombe un jour de la neige , ce qui arrive ra-
rement , elle fond le lendemain j sa plus grande
hauteur , quand elle prend terre , est de deux
pouces 5 une chute de neige de la hauteur d’une
palme , qui eut lieu au mois de novembre , il y
a quelques années , fut regardée dans cette île
comme un phénomène extraordinaire qui a fait
époque $ mais sur la montagne ce météore se
montre plus souvent ; la cime en reste quelque-
fois blanchie pendant deux semaines , ce qui
prouve que son élévation au-dessus du niveau
de la mer est encore considérable.
La mer autour de Stromboli est tempétueuse.
Je vais citer un fait qui montre combien ses ondes
se soulèvent quand elle est agitée. A un mille du
rivage ,' au nord-est , gît un rocher nommé la
pierre de [Stromboli , terminé par des pointes
1 /n , *?; 1 / v .
BANS LES DEUX SICILE S. 85
aiguës et tout d’un seul morceau ; sa base , me-
surée au niveau de l’eau , a un quart de mille ,
de circonférence ,'et sa plus grande hauteur trois
cents pieds. C’est une masse de lave qui pro-
bablement tenait autrefois au rivage , et en a
été séparée par des coups de mer. Dans les tem-
pêtes , les vagues atteignent la moitié de la hau-
teur de ce rocher , et des insulaires m’ont assuré
qu’ils les ont vues en deux occasions s’élever
par-dessus son sommet. L’agitation de la mer
n’étant que l’effet de celle de l’air , on conçoit
comment elle devient extrême dans le voisinage
de Stromboli , où les vents sont plus violens ,
et produisent des tourbillons qui dévastent Pile ,
emportent les plantations , et enlèvent quelque-
fois les bateaux amarés à la côte. C’est pour
se garantir autant qu’ils peuvent de ces terribles
ouragans , que les insulaires donnent le moins
d’élévation possible à leurs maisons.
Le rivage n’a ni port ni anse pour servir de
refuge aux gros navires $ ils cherchent alors un
abri sous le vent de l’île , et courent risque de
couler à fond quand ils veulent éviter d’échouer
sur le sable ; mais les felouques de l’île étant
légères , on les tire aisément à terre , et on les
remet en mer avec la même facilité.
I -
Le poisson est abondant, volumineux, sur-
F 3
i
VOYAGES
86
tout le congre et la murène. Je suis resté là peu
de jours , mais j’ài vu des coups de filets qui
ont rapporté plus que toutes les pêches réunies
des autres îles pendant le temps que j’y ai de-
meuré. Ces poissons sont excellens $ leur abon-
dance provient apparemment de la chaleur que
les bases d’un volcan , où brûle depuis tant de
siècles un feu perpétuel , doivent communiquer
aux eaux environbantes de la mer. Vivant dans
une température douce et plus propre à la re-
production des espèces , il ne faut pas s’étonner
s’ils multiplient davantage. Cependant les insu-
laires n’en font pas ub objet de commerce 5 ce
qu’ils en prennent ils le consomment dansl’île,
et cette ressource est encore plus agréable aux
étrangers qu’à eux , qui préfèrent en général
la viande salée.
On voit ici les mêmes végétaux qu’à Lipari y
et dans la même proportion. Le plus grand profit
des habitans est dans la vente de leur malvoisie
qu’ils portent dans cette île capitale , où ils
trouvent aisément à s’en défaire. Les vignes qui
produisent la passola,la passolina et la malvoisie,
sont situées au bord de la mer , celles qui font
le vin ordinaire tapissent les flancs de la mon-
tagne. Dans les sites les plus élevés , on les en-
toure de fortes palissades pour les défendre des
DANS LES DEUX SICILE S. 87
vents. On ne les marie pas aux arbres , mais on
les taille en vignobles. Elles forment une zone qui
s’étend du nord à l’est , et toutes sont plantées
dans le sable volcanique.
Les habitations des insulaires semblent sortir
de terre, et n’offrent qu’un assemblage confus de
cahutes et de cabanes de pêcheurs. On y compte
environ mille âmes; cette population qui s’accroît
depuis quelques années , étend le défrichement
des bois et des terres stériles. Le volcan ne leur
inspire aucune crainte 5 ne voyant jamais sortir
de son sein de ces torrens de laves qui portent
au loin la dévastation , comme ceux du Vésuve et
de l’Etna, ils contemplent sans inquiétude ses
éruptions.
Le voyageur Bridone n’osa point aborder dans
cette île , craignant , dit-il , d’être attaqué par
ses habitans à demi-sauvages. Cette prévention
n’avait aucun fondement jDolomieu en a été bien
reçu , et moi-même je n’ai qu’à me louer de leur
accueil. Le caractère de ces insulaires est celui
de tous les hommes qui vivent loin des grandes
villes et daus l’isolement. Leur cœur n’est point
corrompu , et dans leur simplicité , ils ne cher+
chent point à étendre le petit nombre de connais-
sances qu’ils ont acquises , et qui suffisent à leur
bonheur. Leur plus grand voyage est à Lipari :
F 4
VOYAGES
88
cette ville , toute petite qu’elle est > leur paraît
très-grande , et fait le sujet de leur admiration.
Sur le penchant de la montagne , vers l’est,
et à peu d’élévation , on trouve une petite source
d’eau douce qui serait loin de suffire aux besoins
des habitans , si à quelque distance de là, il n’en
jaillissait une autre plus considérable , et qui ne
tarit jamais 3 sans ce secours le pays ne pourrait
subsister , car les citernes s’y dessèchent durant
les ardeurs de l’été. Doîomieu, qui a visité ces
sources, pense qu’elles n’ont point leur réservoir
au sommet de la montagne , qui n’est composé
que de sable , de pierres poreuses incapables de
retenir l’eau 5 selon lui , elles sont produites par
l’évaporation de ce fluide que le feu occasionne
dans l’intérieur du Stromboli 3 arrivées à une cer-
taine hauteur , ces vapeurs se condensent comme
dans un chapiteau , et rendues à leur état primi-
tif, elles s’écoulent par divers canaux , et se réu-
nissent au pied de la montagne. Cette explication
est ingénieuse et satisfaisante^ cependant on peut
également , sans s’écarter de la vraisemblance ,
supposer que ces sources ont leur intarissable
réservoir, non au sommet de la montagne , que
les eaux de la pluie pénètrent si facilement, mais
dans les cavernes de l’intérieur , où elles se réu-
nissent et se conservent. Il ne serait pas raison-
DANS LES DEUX SICILE S. 89
nable d’objecter que le feu volcanique réduirait
en vapeurs ces amas d’eau , attendu qu’ils peu-
vent se trouver placés bors de la spbère de son
activité , comme les deux fontaines qui jaillissent
à un mille de distance du cratère 5 en effet, on
ne découvre dans leurs environs aucune trace
de soupiraux et de fumées , malgré la porosité
du sol. Au reste , il n’est pas rare de trouver
dans les îles de la mer des sources qui ne tarissent
point; pourquoi chercherait-on à celles-ci une
explication toute particulière , quand on peut
leur appliquer la cause générale qui produit ce
phénomène ?
Stromboli n’est habité par aucun oiseau sta-
tionnaire ; on a essayé d’y faire nicher des per-
drix , mais sans succès. Les lapins ont mieux
réussi ; transportés anciennement dans cette île ,
rendus à leur instinct naturel et à leur état d’in-
dépendance , ils ont établi leur domicile dans les
parties boisées de l’île : ils n’ont à craindre que
le fusil ou le furet du chasseur.
Les oiseaux de passage sont les mêmes qu’à
Lipari. Dans les premiers jours d’octobre , j’y ai
vu voler trois hirondelles de cheminée , et les
habitans m’ont assuré qu’elles reparaissaient
pendant l’hiver , quand il soufflait un vent
chaud.
VOYAGES
9°
V U L C AN O n’est point habité et ne l’a jamais
été , selon toute apparence : sans doute les érup-
tions de ses feux en sont la seule cause. Cette
île n’en a pas moins été , dans un temps , fort
utile au commerce de Lipari 5 s’il en faut croire
Pierre Campis , l’historien de cette ville , ses
habitans en tiraient annuellement quatre mille
cantara de soufre , et six cents de sulfate d’alu-
mine. J’ai parlé plus haut de ce soufre , et de
la difficulté actuelle de le recueillir 5 l’extraction
du sulfate d’alumine n’est pas moins difficile, à
cause des nombreuses fuihées sulfureuses et de
la forte chaleur qui s’exhalent de la terre par-
tout où ce sel abonde , ce qui me ferait croire
qu’au temps où la récolte s’en faisait , Pétat
volcanique de cette île était différent de celui
où nous la voyons aujourd’hui. Mais cette terre
abandonnée pourrait apporter aux Liparotes un
avantage plus réel et plus durable, s’ils y faisaient
des plantations utiles dans la partie du sud, où,
depuis très - long - temps , les feux souterrains
n’ont porté aucune atteinte. Là , on trouve une
lave ramollie , à demi pulvérisée , semblable à
celle de Stromboli , où l’on a planté des vignes
avec succès. Cette pensée n’était point étran-
gère à l’abbé Trovatini et à l’évêque dont j’ai
parlé : iis s’y complaisaient. Etablir dans Vulcano
un système de culture , semer du blé , planter
DANS LES DEUX SICILE S. 91
des vignes et des arbres fruitiers , tel était leur
projet favori. L’évêque avait encore une autre
idée qu’il me communiqua, et à laquelle j’avoue
que je ne m’attendais pas ; il voulait y faire
construire un séminaire pour douze jeunes pay-
sans qui se destineraient au service de sa ca-
thédrale et des églises des autres îles , parce
que , disait-il , étant nés et élevés dans le pays ,
ils en seraient plus propres à bien s’acquitter de
leurs fonctions. Je ne sais si ces louables projets
se sont réalisés après sa mort; mais comme les
successeurs sont pour l’ordinaire peu disposés à
suivre les vues de leurs prédécesseurs , j’ai peur
que Vulcano ne reste encore long-temps dans
son état de stérilité et d’abandon.
DIDYMA, ou, comme on l’appelle aujour-
d’hui , les Salines y ofFre un aspect bien diffé-
rent ; ses rivages sont meublés de maisons, et
ses champs étalent des vignobles qui ne le cèdent
point en qualité à ceux de Lipari.
A peu de distance de la mer , près Sainte-
Marie , est une fontaine d’eau douce qui flue
continuellement. Si ^a chaleur de certaines
sources ne dénote pas toujours la présence d’un
volcan , elle est du moins le signe d’une effer-
vescence souterraine. J’ai éprouvé celle-ci avec
VOYAGES
CJ2
un thermomètre, mais j’ai trouvé qu’elle était de
deux degrés et demi moins chaude que l’atmo-
sphère (1). Autrefois elle sourdait presqu’au ni-
veau de la mer, qui se mêlait souvent à ses eaux,
et en rendait alors l’usage inutile aux habitans.
Cet inconvénient ne subsiste plus depuis que l’on
a fait une coupure verticale au rivage , par le
moyen de laquelle elle débouche à quinze pieds
plus haut. Telle est son abondance , qu’elle four-
nit cinq jets , chacun d’un pouce de diamètre
environ , chose extraordinaire dans une petite île
volcanique. L’ancienne et fausse opinion que les
sources et les fleuves dérivent immédiatement
de la mer , n’ayant plus de partisans , personne
ne contestera que celle-ci ne doive son origine
aux eaux pluviales qui tombent annuellement
sur cette île 5 cependant à l’époque de mon arri-
vée , neuf mois s’étaient écoulés sans une goutte
de pluie , et cette sécheresse n’avait point dimi-
nué le volume de la source. Comment expliquer
ce phénomène ? Je pense qu’un pays travaillé
(1) Je remarquerai à cette occasion , qu’à la réserve
de quelques sites particuliers de Stromboli, Yulcano ,
Lipari , et d’une fontaine de Félicuda , le thermomètre
ne m’a point indiqué que les îles Æoliennes , toutes choses
égales d’ailleurs , soient plus chaudes que Messine , les
côtes de la Calabre , et autres pays volcaniques circon-
voisins. Note de V auteur.
DANS LES DEUX SICILE S. C)5'
par le feu renferme de nombreuses et vastes
cavernes qui reçoivent , se communiquent , et
conservent les eaux de l’atmosphère. En sup-
posant qu’une source ait son issue sous une de
ces cavernes , qui en soit le réservoir commun ,
je conçois comment elle en tire un aliment per-
pétuel , tant que la quantité d’eau qui s’écoule
ne surpasse pas celle que les nuages amassent
chaque année dans le pays. Cette explication
convient également à la fontaine de Stromboli ,
dont il a été question plus haut.
En décrivant les produits volcaniques de l’an*
cienne Didyma , j’ai observé qu’elle portait le
nom de Salines > à cause du muriate de soude
que l’on en retire. Voici la manière dont se fait
cette exploitation. Sur la plage , entre l’est et
le sud , se présente un lac dont le circuit est
d’environ un mille ; il n’est séparé de la mer
que par une espèce de digue formée des laves
que les flots ont amoncelées , et tout porte à
croire qu’autrefois c’était un petit golfe dont
l’entrée fut ainsi bouchée , non -sans qu’il ne se
conservât une communication entre ses eaux et
celles de la mer. Ce lac paraît très-ancien 5 il
a été long-temps négligé. En 1700 5 on voulut
en tirer parti , et l’on fit venir un habitant de
Trepani en Sicile 5 exercé dans Tart des salines.
g4 VOYAGES
Il commença par mettre le lac à sec, et le divisa
ensuite en trente carrés , avec leurs bords ex-
haussés , pour recevoir l’eau jusqu’à une hauteur
donnée, La chaleur du soleil en causait peu à
peu l’évaporation , et il restait , sur les parois
et le fond de chaque carré, une couche de sel
que l’on recueillait. Ce procédé a été suivi jusqu’à
présent , et a fourni par année deux ou trois
récoltes suffisantes pour les besoins des habitans
de toutes les îles Æoliennes.
Les insulaires de Didyma , en me donnant ces
détails , me racontèrent un fait qui mérite d’être
rapporté. Une violente bourasque ayant poussé
la mer dans le lac , elle y laissa des poissons que
nous appelons muge > qui continuèrent à y vivre
et à y multiplier , malgré l’excessive salure qui
fut la suite de son évaporation. On les pêcha au
bout de quelque temps , et on les trouva de très-
bon goût. Cette particularité me causa d?autant
plus de surprise , que j’avais observé quelques
années auparavant près de Carrare, à l’embou-
chure du fleuve Magra , que cette même espèce
de poisson se plaisait dans les lieux où les eaux
du fleuve se mêlant à celles de la mer, étaient
à peine saumâtres : c’est là que les pêcheurs ten-
daient leurs filets pour les prendre. Cependant
il est une multitude de poissons marins qui ne
BANS LES DEUX SICILE S. g5
sauraient vivre dans des eaux plus salées que leur
propre élément. A Chiozza , près de Venise , j’en
ai éprouvé qui périssaient promptement en les
mettant dans une eau saturée de sel comme celle
du lac de Didyma , et employée au même usage.
Cette variété de tempérament dans des êtres
destinés à peupler les mers résulte sans doute de
la diversité de leur organisation; si nous ignorons
en quoi elle consiste , c’est moins peut-être par la
difficulté de le découvrir , que par l’insuffisance
de nos recherches dans cette partie de leur éco-
nomie animale.
FÉLICUDA et ALICUDA se présentent
les dernières à l’ouest. Les maisons de Félicuda
sont éparses en divers endroits de l’île ; elles con-
tiennent environ six cents habitans. Celles d’Ali-
cuda, où la population est plus faible, n’occupent
que la partie de l’est et du sud-est; le reste de
l’île n’cffre que des rochers , des ruines et des
précipices. Les maisons, ou, pour mieux dire,
les cabanes , ainsi que les presbytères de ces
deux îles , sont bâtis , non au pied de la mon-
tagne , ce qui paraîtrait plus naturel , mais vers
le milieu du sommet. Je ne pouvais comprendre
cette préférence donnée à des sites aussi âpres
et aussi rapides , tandis que vers les bords de la
VOYAGES
9S
mer , dans l’une et l’autre île , il régnait des plans
doucement inclinés qui auraient dû inviter les
habitans à s’y établir $ mais ils m’apprirent que
Félicuda et Alicuda , se trouvant par leur éloigne-
ment hors de la protection de leur capitale , l’île
de Lipari, elles étaient anciennement infestées de
corsaires turcs , sur-tout de tunisiens , qui y dé*
barquaient à la faveur des ténèbres , surpre-
naient dans le sommeil les insulaires qui habitaient
le bord de la mer, et les emmenaient captifs,
après les avoir dépouillés de tout ce qu’ils possé-
daient. Ces attaques nocturnes se sont renou-
velées, même de nos jours, dans les deux rivières
de Gênes. Les habitans de Félicuda et d’ Alicuda
se virent donc obligés de transporter leurs de-
meures sur les hauteurs , où le danger était moins
grand. Bien que les îles Æoliennes soient encore
exposées à l’invasion de ces pirates, on les reçoit
parfois de manière à leur ôter l’envie d’y reve-
nir 3 toujours est-il prudent d’y placer les habi-
tations sur les lieux élevés d’où l’on peut signaler
leurs manœuvres. Voilà pourquoi on tient sur la
montagne de la Garde , à Lipari , une sentinelle
qui veille jour et nuit : malgré ces précautions,
on tombe quelquefois dans leurs pièges. Cachés
derrière un rocher , un promontoire , ou une
pointe de terre , dès qu’ils apperçoivent un petit
bâtiment, ils tombent dessus à l’improviste , s’en
saisissent 3
DANS LES DEUX SICILE S. 97
saisissent, l’amarent à leur galère, mettent toutes
leurs voiles au vent s’il est favorable , ou fendent
les flots avec leurs rames , et gagnent la haute
mer en se moquant des pleurs et des supplica-
tions des malheureux qu’ils ont déjà chargés de
chaînes. J’avouerai qu’en navigeant dans ces pa-
rages , j’ai eu quelqu’inquiétude sur ma propre
sûreté ; il ne m’était point agréable de penser
que je pourrais bien aller faire , sur les cotes
d’Afrique, des observations d’un genre tout diffé-
rent de celles qui étaient l’objet de mon voyage.
Le figuier d’Inde, l’olivier, la vigne , croissent
dans Alicuda et Félicuda. Il ne s’y trouve pas les
espèces de raisins qu’on nomme dans les autres
îles malvoisie y passola et passolina $ mais on
Fait du bon vin avec celle du pays*
On recueille aussi de l’orge et du froment.
Ces deux récoltes , y compris le produit de la
vigne, peuvent s’évaluer à la somme de trois
mille écus napolitains pour les habitans d’Alicuda,
et à un tiers de plus pour ceux de Félicuda. Elles
suffisent à la consommation des premiers 5 mais
elles ne satisfont pas aux besoins des seconds ,
attendu qu’une bonne partie de leurs terres ap-
partiennent aux Liparotes.
Il est difficile d’imaginer l’industrie, la patience
tfome G
VOYAGES
98
que les Alicudois apportent dans la culture de
leur île. A peine y trouve-t-on un espace de terre
labourable de l’étendue de quelques perches qui
ne soit entrecoupé de pointes de rochers , de
blocs de laves , de crevasses 5 cependant ils n’en
perdent rien ; ils piochent dans tous les coins\ et
recoins , ils mettent tout à profit ; aussi les Li-
parotes disent en plaisantant que les Alicudois
travaillent leurs terres avec la pointe d’un cou-
teau. Quoi qu’il en soit , ils font de leurs blés
îe meilleur pain qui se mange dans les îles Æo-
liennes.
Les habitans d’Aliçuda et de Félicuda s’oc-
cupent peu de la pêche, et n’emploient que l’ha-
méçon. Le nombre de leurs bateaux pêcheurs
ou de transport se réduit à trois ou quatre pour
la première île , à cinq ou six pour la seconde;
quand ils s’en sont servis , ils les tirent sur le
rivage , et les y laissent tant qu’ils n’en ont pas
besoin. Un ou deux de ces bateaux appartien-
nent à leurs curés , qui les louent aux voyageurs^
et font l’office de pilotes , et même de rameurs
dans l’occasion ; ces bons prêtres vont aussi à
la pêche , et tâchent par ces moyens de suppléer
à la modicité de leur revenu , qui n’est que d’en-
viron douze sequins pour chaque paroisse.
A Félicuda , quand le mari ou la femme mou-
BANS LES DEUX SICILE S. 99
raît , les plus proches parens accompagnaient le
défunt à l’église en manifestant une douleur im-
modérée. A peine les obsèques étaient termi-
nées , qu’ils se jetaient sur le corps , l’embras-
saient, le baisaient, lui parlaient à haute voix,
et lui donnaient des commissions pour l’autre
monde. Cet usage ridicule , mais qui n’est pas
nouveau , a été supprimé par le curé actuel.
On ne voit pas couler un seul filet d’eau vive
et potable dans les deux îles : les habitans ont
recours à des citernes , et sont exposés à beau-
coup souffrir si les pluies viennent à manquer
pendant plusieurs mois.
Ils tiennent à grande faveur d’être exempts
de toute espèce de serpens : chaque île prétend
au même privilège ; et en effet , je n’y ai pas
rencontré un seul de ces reptiles. La raison en
est simple; ces animaux ne sauraient exister dans
des lieux où les insectes dont ils font leur nourri-
ture principale sont extrêmement rares; et ceux-
ei n’y multiplient pas , parce qu’ils ne trouvent
ni herbes , ni plantes qui les fassent vivre.
Quant aux autres amphibies , je n’ai apperçu
que le lézard gris et verdâtre (1). Quelques sau-
G 2
(1) Lacerta agilis. Lin.
100 VOYAGES
terelles , la fourmi-lion , qui creuse ses pièges
dans la poussière des laves et des ponces (1), sont
les seuls insectes que j’aie rencontrés.
Mais un avantage plus réel pour tous les in-
sulaires, c’est l’exemption de toute imposition
royale : ils paient seulement la dîme à l’évêque :
les Liparotes en sont même dispensés.
Dans un état si pauvre , et en apparence si
misérable, ils trouvent pourtant le contentement
de l’ame. Ulysse n’aimait pas mieux son Ithaque
qu’ils n’aiment leurs chères Æoliennes ; ils ne les
changeraient pas pour les îles Fortunées. Souvent
je suis entré dans leurs cabanes, qui ressemblent
plus à des nids appliqués contre les rochers qu’à
des habitations humaines 5 une lumière pâle ,
incertaine comme celle qui pénètre dans les ca-
vernes , y laissait à peine distinguer les objets.
Souvent j’ai assisté à leurs repas , où les mets
les plus grossiers étaient étalés sur de petites
tables brutes , et le plus souvent sur la terre toute
nue , qui servait à-la-fois de siège aux convives.
Du pain d’orge , des fruits sauvages , un peu de
poisson salé et de l’eau pure, s’offraient pour
appaiser leur faim. C’est ici le séjour de la misère
et de la douleur, disais-je en moi-même la pre-
(1) iïlyrmeleon formicarium. Lin,
loi
DANS DES DEUX SICILE S.
mière fois que je contemplai cette vie indigente 3
mais en l’examinant de plus près , je découvris
sous ces toits de chaume, et auprès de ces alimens
grossiers , un bonheur digne d’envie, que l’on ne
trouve ni dans les palais des grands , ni à la table
des rois; je veux dire une hilarité qui brillait sur
le visage de ces pauvres gens ; une paix , une
joie intérieure qui inondait leurs cœurs , et se
répandait autour d’eux. Ces cabanes , que des
hommes opulens n’eussent regardées qu’avec mé-
pris ou pitié, protégeaient leur repos; et ces mets
qu’ils eussent rejetés comme insipides , assaison-
nés par la faim et la soif, étaient pour eux pleins
de goût et de saveur.
Mais ce qui contribue à attacher si fortement
ces insulaires àleur patrie, c’est sans doute l’heu-
reuse influence du climat , et la pureté de l’air si
nécessaire pour conserver en nous cette harmonie
entre les fluides et les solides qui constitue l’état de
santé. Je puis me citer pour exemple: malgré mes
courses fatigantes et continuelles sur les rochers
de ces îles ; malgré mon âge avancé , qui devait
meles rendre encore plus pénibles, je me sentais
une énergie , une vigueur de corps et d’esprit ,
une agilité , enfin un bien-être dans toute ma
personne que je n’avais jamais éprouvé nulle part,
si ce n’est sur le sommet de l’Etna. Je jouissais
G 5
102
VOYAGES
sur-tout de cette liberté d’esprit , de ce dégage-
ment des sens qui me permettait de penser, de
réfléchir à toute heure , à tout moment ; d’écrire
mes observations quand elles se présentaient , tan-
dis que dans une atmosphère infectée de vapeurs
grossières, je suis incapable de toute application
après mes repas. Quelle différence, me disais- je
alors , entre Pair pur , Pair céleste que je respire
ici, et celui des plaines marécageuses de la Lom-
bardie, environnées d’eaux stagnantes et corrom-
pues , qui enfantent d’épais nuages pendant l’hi-
ver, et des fièvres dangereuses pendant Pété; où
le corps et l’esprit s’engourdissent également ;
où , pour surcroît de tourment et d’ennui , des
armées de grenouilles chantent nuit et jour, et
assourdissent les oreilles de leur voix rauque et
glapissante !
DANS LES DEUX SICILE S.
CHAPITRE XXV.
Voyage à Messine . Etat de cette ville après
les tremblemens de terre de iy83. Détails
concernant cette horrible catastrophe.
J e fis mes adieux aux îles Æoliennes le i4 oc-
tobre , et je m’embarquai dans une felouque de
Lipari pour me rendre à Messine. Ce trajet , qui
n’est que de trente milles , m’occupa un jour
entier , soit parce que je m’arrêtai pour exami-
ner les granits de Melazzo,soit parce que le vent
manqua , et qu’il fallut employer la rame. Si la
partie de la Sicile que je côtoyais ne me montrait
point dans sa structure le travail du feu, elle m’en
rappelait toujours le dangereux voisinage et les
conséquences funestes , je veux dire ces trem-
blemens de terre qui se font sentir dans les envi-
rons des volcans , et en sont l’effet prochain ou
éloigné.
Quelle île en a plus souffert que la Sicile, et cela
par la raison qu’elle renferme dans son sein les
feux de l’Etna ? Le souvenir du bouleversement
qu’elle essuya en 1785 était encore présent à
G 4
VOYAGES
loi
tous les esprits , on se montrait du doigt les lieu^
qui en avaient été le théâtre \ on s’en redisait avec
effroi les fatales circonstances , et P on croyait
encore assister à ces scènes de désespoir. En en*
trant dans le détroit de Messine , quelques Sici-
liens qui voyageaient avec moi, m’avertirent que
je passais devant une plage où un peuple entier
avait trouvé sa ruine : c’était le rivage de Scylîa.
Une forte secousse s’étant fait sentir le 5 février
à midi , tous les habitans de l’endroit s’y réfu-
gièrent ; ils croyaient être en sûreté , lorsqu’à
la huitième heure de la nuit , selon le calcul ita-
lien , une secousse plus terrible que la précédente
souleva les eaux à une hauteur formidable , et
les précipita sur le rivage. Ainsi furent englouties
plus de mille personnes, hommes, femmes et
enfans , avec le prince de l’endroit , sans qu’il
en échappât un seul qui pût retourner à leurs
maisons désertes , et y pleurer le malheur de ses
compatriotes. Ces vagues furieuses s’avancèrent
dans le détroit , et roulant jusque dans le port
de Messine , elles coulèrent à fond les vaisseaux
qui étaient à l’ancre,
A mesure que j’approchais de cette ville, j’en
découvrais les désastres. L’enceinte de son port,
qui offrait auparavant une suite continue de su-
perbes palais à trois étages , nommée la Palazr
DANS LES DEUX SICILES. lo5
zata y dont l’aspect était magnifique , cette en-
ceinte ne présentait plus que des ruines. L’étage
supérieur, et une partie de celui du milieu étaient
renversés ; l’inférieur subsistait encore , malgré
ses murs entr’ouverts par de larges et profondes
crevasses.
Mais combien ma tristesse redoubla quand je
fus entré dans cette cité naguère si florissante !
A la réserve des rues les plus larges et les plus
fréquentées , toutes les autres étaient encom-
brées des débris de maisons qui en bouchaient
le passage. La plupart de ces maisons étaient
encore dans le même état où les tremblemens
de terre les avaient laissées : celles-ci détruites
jusque dans leurs fondemens , celles-là à moitié
renversées, et se soutenant pour ainsi dire en l’air
sur leurs propres ruines. Quelques-unes avaient
échappé à la destruction générale 5 mais les murs
en étaient si endommagés , qu’elles semblaient
ne se tenir debout que par miracle. Des édifices
publics, celui que l’on nomme le Dôme souffrit
le moins ; il est spacieux , d’une architecture
gothique 5 on y voit plusieurs colonnes de granit
tirées d’un temple grec antique qui existait au»
trefois sur le phare , et d’élégantes mosaïques
faites avec les plus beaux jaspes de la Sicile.
Le nombre des bâtimens qui s’écroulèrent fut
lc6 VOYAGES
si considérable, que les Messinois se virent forcés
de camper dans des baraques de bois : la plupart
de ces baraques subsistaient quand j’arrivai à
Messine. Cependant On commençait à bâtir de
nouvelles maisons , mais sur un plan différent du
premier. On avait observé que les plus hautes
s’étaient le plus ressenties du tremblement 5 on
avait vu les poutres sortir de leur place par la
violence des secousses , agir comme des béliers
contre les murs, et causer plus de mal que les
secousses elles-mêmes. Pour prévenir ce danger
dans l’avenir , les Messinois donnaient peu d’élé-
vation aux édifices 5 au lieu de murs pleins, ils
avaient adopté une charpente en bois , dont les
parties étaient liées et assemblées de manière que
le corps entier pût recevoir et suivre le mouve-
ment que lui communiquerait le sol, ce qui devait
nécessairement en affaiblir l’efFet , et parer au plus
grand nombre des accidens.
Six ans s’étaient déjà écoulés depuis le désastre
de Messine, et ses habitans n’étaient point en-
core revenus de l’étonnement , je dirai même de
la stupidité qui accompagne les grandes craintes.
Toutes les circonstances de ce terrible événe-
ment se retraçaient sans cesse à leur esprit, et je
ne pouvais les écouter sans partager leur efFroi
et leur douleur. La destruction de cette ville si
DATÎS LES DEUX S I C I L E S. I07
ancienne , et tant de fois malheureuse, fut l’ou-
vrage , non d’un seul tremblement de terre , mais
de plusieurs qui se succédèrent du 5 au 7 février:
celui du 5 causa le plus de désastres 3 heureu-
sement il y eut quelques minutes d'intervalle
entre la première et la seconde secousse, ce qui
donna le temps aux habitans de s’échapper de
leurs maisons , et de se réfugier dans la campagne.
Huit cents d’entr’eux périrent ; mais ce nombre,
tout considérable qu’il paraisse , fut petit en com-
paraison de la quantité des ruines.
Dans un mémoire sur les tremblemens qu’é-
prouva , dans le même temps , la partie de la Ca-
labre qui est en face de Messine, il est dit que la
première secousse fut pressentie et annoncée par
les chiens, qui se mirent à hurler dans la villed’une
manière si afFreuse , que la police donna l’ordre de
les tuer : les habitans m’ont assuré le contraire. Le
seul signe précurseur de ce fléau fut la fuite des
hirondelles de mer, et autres oiseaux de ce genre,
qui passèrent dans les montagnes voisines, comme
ils ont coutume de faire à l’approche des tem-
pêtes. Un bruit semblable à celui de plusieurs
chars roulant avec rapidité sur un pont de pierres,
en fut l’annonce. Au même instant , un épais
nuage s'éleva de la Calabre, centre de la com-
motion. Elle gagna le phare, et suivit la plage
lo8 VOYAGES
,{
jusqu’à Messine ; on pouvait observer sa direc-
tion au moyen de l’écroulement successif des édi-
fices. On eût dit d’une mine qui aurait joué de-
puis cette pointe de terre jusque dans l’intérieur
de la ville. Le choc fut violent, et le mouvement
très-irrégulier. On ne remarqua ni feu , ni étin-
celle. Le sol de la plage s’entr’ouvrit par fentes
parallèles entr’elles; celles qui se formèrent dans
toutes les collines qui terminent la ville avaient
la même disposition. Ces fentes se conservèrent
en quelques endroits pendant plus d’un mois ;
mais l’épouvante des habitansleur ôta la curiosité
de les mesurer. Après la première secousse , qui
arriva , comme nous l’avons dit, le 5 février vers
le milieu du jour , la terre continua de trembler
plus ou moins jusqu’à la huitième heure de la
nuit, qu’une commotion plus violente, la même
qui causa la ruine des habitans de Scylla , acheva
de renverser les maisons de Messine, d’autres
commotions se succédèrent , et le 7 du même
mois, vers la vingt-deuxième heure du jour, il
s’en fit une qui égalisa leurs débris avec le sol.
Depuis cette époque jusqu’à mon arrivée en
Sicile , on y a éprouvé divers tremblemens ,
mais qui ont graduellement diminué de violence.
En 1789 et 1790, on a cru s’appercevoir de
quatre ou cinq secousses , auxquelles on n’au-
rait peut-être pas fait attention dans un pays
DANS LES JD EUX. SICILE S. log
moins suspect , et habité par un peuple moins
éveillé sur son danger (i).
Les pertes de Messine furent immenses. Si l’on
considère seulement celle de ses édifices, on peut
dire que, des quatre parties de la ville , deux
furent entièrement rasées , une à demi-renver-
sée, et l’autre fort endommagée. Les maisons
situées sur le penchant des collines dont le granit
fait la base , souffrirent le moins ; celles de la
plaine et du bord de la mer, où le sol est moins
ferme, tombèrent les premières. Le mole qui ac-
compagnait le port en s’étendant à plus d’un
(1) Ce n’est pas que, dans les années suivantes, les
Siciliens n’aient eu de justes raisons d’appréhender de
nouveaux malheurs. Voici ce que l’abbé Grano m’écrivait
de Messine le 11 mai 1792. «Hier nous avons eu une
journée entière pendant laquelle la terre n’a cessé de
trembler. Nous avons compté jusqu’à trente secousses ;
mais toutes étaient légères , et elles n’ont causé aucun
dommage » .
Je saisis cette occasion de témoigner publiquement ma
reconnaissance à cet ami des sciences , qui voulut bien
m’accompagner dans mes diverses excursions aux envi-
rons de Messine , et me communiquer ses lumières : pré-
sent , il me seconda de tout son pouvoir ; absent , il m’est
encore utile, en me fournissant les renseigne mens dont
j’ai besoin sur son pays. Note de Vauteur.
I io
VOYAGES
mille en longueur ^ dont la vue était si belle, et
qui formait une promenade si délicieuse, ce mole
s’enfonça dans la mer , et il n’en resta aucun
vestige.
Parmi les édifices publics qui s’écroulèrent , on
compte d’abord la Palazzata , ensuite le palais
du roi , celui du sénat , la grande loge des né-
gocians, le college et son temple, la cathédrale,
la maison professe des ex-Jésuites , le palais de
l’archevêque , la basilique de Saint-Nicolas , le
séminaire des clercs , la salle des tribunaux ,
l’église des Théatins , celle des Carmes et du
prieuré de Jérusalem. Une multitude d’autres
édifices particuliers, mais d’une belle architec-
ture, appartenans à des citoyens opulens, furent
égalemens détruits.
On peut évaluer ces pertes jusqu’à un certain
point 5 mais comment calculer celle de tant de
monumens des arts , de bibliothèques , de ta-
bleaux , qui faisaient la gloire de Messine ?
Comment estimer la valeur de toutes les ri-
chesses ensevelies sous les ruines, ou consumées
par les incendies qui se manifestèrent dans divers
quartiers de la ville ? Il faut encore y joindre ce
que coûta la construction des baraques destinées
à recevoir les habitans avec les restes de leur
DANS IES DEUX SICILE S. III
mobilier, ou de leurs marchandises sauvées de la
destruction. Ces dépenses furent considérables
par le prix auquel montèrent d’abord les maté-
riaux et le salaire des ouvriers.
Et cependant, au milieu de tant de bouîever-
semens et de pertes, telle fut la fidélité des né-
gocians messinois , qu’il ne se déclara pas une
seule banqueroute parmi eux. En rendant cet
honneur éclatant au commerce , ils jetèrent les
nouveaux fondemens de la prospérité de Messine,
et méritèrent bien de leur patrie.
Le roi des deux Siciles n’a rien épargné pour
la relever ; il l’a soulagée de tout impôt ; il lui
a donné des sommes considérables ; il lui a ac-
cordé la franchise de son port et des magistrats
de son choix. Ces bienfaits l’aideront, mais le
temps seul peut lui rendre son ancien éclat.
Aujourd’hui la plupart des maisons sont re-
construites, et nombre d’habitans sont retournés
dans la ville.
Après avoir rendu au malheur de ce pays le
tribut que l’humanité réclamait de moi, je suivrai
le cours des observations que j’ai faites dans ses
environs , et qui concernent principalement la
nature des productions du détroit de mer, jadis si
célèbre , qui le sépare du continent.
112
VOYAGES
CHAPITRE XXVI
Observations sur Scylla et Carybde .
Scylla et Carybde , selon la fable, étaient
deux monstres marins qui , placés l’un à droite ,
l’autre à gauche du détroit de Messine , avaient
sans cesse la bouche ouverte pour engloutir au
passage les malheureux navigateurs.
« Là sont deux monstres redoutables , Scylla à
» droite, Carybde à gauche. La première habite
»le creux d’un rocher; lorsqu’elle voit passer des
» vaisseaux dans le détroit, elle avance la tête
»hors de son antre, et les attire à elle pour les
» faire périr. Depuis la tête jusqu’à la ceinture,
» c’est une Fille d’une beauté séduisante : poisson
» énorme dans le reste de son corps , elle a une
» queue de dauphin et un ventre de loup* Pour
» Carybde, c’est un autre monstre sur la gauche,
»du côté de la Sicile. Trois fois le jour elle en-
» gloutit les flots dans un profond abîme , trois fois
»elle les vomit et les lance contre le ciel (1) ».
Trad. de Desfontaines *
(i) Dextrum Scylla lattis, lævum implacata Charybdis
Obsidet , atque imo barathri ter gurgite vastos
Si
DANS LES DEUX SICILE S* Ïl5
Si je cite des vers de Virgile , si j’emploie de
* même l’autorité d’Homère dans un ouvrage qui
semble n’admettre que l’exactitude et la pré-
cision des faits , c’est que ces grands poètes
avaient étudié la nature , et que leurs fictions
ingénieuses mènent souvent sur la trace de la
vérité, et donnent lieu à des recherches inté-
ressantes.
Curieux de connaître ces deux écueils fameux
par tant de naufrages, je pris une barque, et la
dirigeai d’abord vers Scylla. C’est un rocher très-
élevé situé à douze milles de Messine , sur les
côtes de la Calabre, au-delà duquel est bâtie la
petite ville qui porte son nom. Quoiqu’il ne fît
point de vent , et que j’en fusse encore à la dis-
tance de deux milles , je commençai à entendre
un frémissement, un murmure , et je dirai presque
un bruit semblable à des hurlemens de chiens,
dont je ne tardai pas à découvrir la véritable
cause. Ce rocher, coupé à pic sur le bord de la
Sorbet in abruptum fluctus , rursusque sub auras
Erigit alternos , et sidéra verberat undâ.
At Scyllam cæcis cohibet spelunca latebris ,
Ora exsertantem , et naves in saxa trahentem.
Prima hominis faciès , et pulchro pectore virgo
Pube tenus : postrema immani corpore pristis ,
Delphinûm caudas utero commissa luporum.
Tome ÏV~% H
lî£ VOYAGES
mer, renferme à sa base plusieurs cavernes, dont
la plus spacieuse est appelée Dragara par les
habitans de l’endroit. Les ondes entrant avec im-
pétuosité dans ces cavités profondes, se replient
sur elles-mêmes , se brisent , se confondent ,
écument de toutes parts , et produisent tous les
bruits divers que l’on entend au loin. Alors je
m’apperçus pourquoi Homère , et après lui Vir-
gile , voulant animer Scylla , et le peindre avec
ses propres couleurs, l’avaient représenté comme
un monstre insidieux caché dans l’obscurité d’une
vaste caverne , ayant à ses côtés des chiens
aboyans ou des loups , ce qui en augmentait
l’horreur.
« Là, habite Scylla , qui remplit les airs d’hor-
»ribles hurlemens pareils aux cris lugubres que
» pousse une meute aboyante (i) ».
Mais le poète grec achève mieux son tableau
que Virgile, lorsqu’il ajoute que ce roc est si
élevé, que sa tête est toujours couronnée de
nuages 5 et qu’il est tellement rapide , lisse et
glissant , qu’aucun mortel , fût-il armé de vingt
(1) E "vba tT’l/ 'ZnvKKr) vatet S'stv'bv tektMva .
TmV UTOt 9 CCVïl (Av oVtf iTKVhclKOÏ vsoytKÏÏç
TivëTdi,
DANS LES DEUX SICILE S. Il5
iras et de vingt pieds , ne pourrait le gravir jus-
qu’à son sommet*
« De ces deux rochers, Pun cache dans la pro-
fondeur des cieux sa tête pyramidale toujours
» environnée de sombres nuages ; jamais , ni dans
fautomne , ni dans le printemps , il n’y régna
»la sérénité. Aucun mortel , fût-il un monstrueux
» géant armé de vingt bras et de vingt pieds,
»ne peut gravir jusqu’au faîte ni en descendre,
tant ce rocher est lisse dans tout son contour,
» semblable à une colonne polie et luisante. Au
» centre du roc s’ouvre une caverne profonde et
» ténébreuse , gouffre qui s’étend vers l’occident,
»et qui conduit au séjour de l’Erèbe. Prudent
» Ulysse, passe devant ce roc d’un vol impé-
tueux 5 &c. (1) ». Trad. de Bitaubé .
Tel se montrait ce rocher il y a environ trois
raille ans , tel il paraît encore aujourd’hui , sem-
blable en tout à la description d^Homère.
Une si grande exactitude dans ce premier
(1) Oî S'va cntorrehoi , 0 [tiv ovpccvov svpvv tKcivei
O’gs/n Kopvcpîi , veqéfoi S'é (xiv
'Kvaviïl , T 0 fJJcV OV-TOT* 2 pCOeT , OvJ'sTO T cÙbpïl
Ksivov zyj1 &opvq>Yiv , out’ h dzpet , ovt’ êv ovrcopii
Ou«Ts K£V jSpOTÙ? cJLVY)p , OU KcLTcJL&lY\ ,
Oucf’ eî'ot %éïp\ç ys èeUort , kcù vrctS'sç nsv .
n If pu ykp hiç êm /rsp/^sTTtj euviz.
H 3
VOYAGES
1 16
peintre des antiquités de la nature , ne laisse aucun
doute que la surface de la mer ne fût de son
temps à-peu-près à la même élévation où elle
est aujourd’hui. On verrait la caverne , et même
le pied du rocher à sec , si elle s’était seulement
abaissée de quelques toises : les grands abaisse-
mens de la mer sont donc bien antérieurs à l’é-
poque où vivait flomère.
Voilà pour la position et la nature de Scylla.
Examinons maintenant ses dangers. Quoique la
marée soit presque insensible par toute l’étendue
de la Méditerranée , elle se fait appercevoir dans
le détroit de Messine à raison de son étrécisse-
ment, et elle y est réglée comme ailleurs par les
élévations et les dépressions périodiques des eaux.
Quand le vent souffle dans la direction du flux ou
du courant , les navires n’ont point de dangers
à courir, car si ces deux forces leur sont con-
traires , ils sont dans la nécessité absolue de s’ar-
rêter , et de jeter l’ancre à l’entrée du canal 5 si
elles leur sont favorables , ils passent à pleines
voiles avec la rapidité de la flèche. Mais lorsque
le vent est opposé au courant , et que le pilote
inexpérimenté , ou trop confiant , lui abandonne
ses voiles pour franchir le détroit , son navire ,
combattu par deux forces contrairés , va se bri-
ser contre le rocher de Scylla , ou échouer sur
DANS LES DEUX SICILE S. ÏI7
les bancs voisins , s’il ne réclame de prompts
secours. Voilà pourquoi vingt- quatre matelots
des plus hardis et des plus robustes se tiennent
jour et nuit sur la plage de Messine 5 au premier
coup de canon d’un vaisseau en perdition , ils
accourent, et le remorquent avec leurs barques.
Comme le courant n’occupe jamais toute la lar-
geur du détroit , qu’il serpente et fait plusieurs
détours, ces matelots , qui connaissent parfaite-
ment sa marche , savent l’éviter , et soustraire
le vaisseau aux dangers qui l’environnent. Mais
si le pilote qui en a le gouvernement dédaigne
ces secours , ou néglige de les demander, quel-
qu’habile qu’il soit , il court le plus grand risque
de faire naufrage. Au milieu des tournoiemens
et du bouillonnement des ondes , occasionnés
d?un côté par la rapidité du courant, et de l’autre
par la violence du vent qui souffle en sens con-
traire , l’usage de la sonde devient inutile , les
plus gros Gables se rompent, les ancres ne pren-
nent point , parce que le fond est rocailleux ,
ou si elles prennent , la force du courant leur
fait bientôt lâcher prise. Enfin tous les expédiens
que l’art de la navigation peut suggérer pour ti-
rer un vaisseau de danger , ne sont ici d’aucun
secours ; l’unique moyen de salut est de se con-
fier aux soins , au courage , à l’expérience des
matelots messinois.
H 3
u8 voyages
J’en donnerais plusieurs exemples que m’ont
rapportés des personnes dignes de foi pendant
mon séjour à Messine , si je n’avais été témoin moi-
même d’un événement qui montre que ce parti
est en effet le seul à prendre dans ces fatales cir-
constances. Je me promenais sur les hauteurs des
collines qui dominent le détroit > lorsque je vis
entrer par la bouche du nord un bâtiment mar-
seillois voguant à pleines voiles 3 et ayant pour lui
le vent et le courant. Il avait déjà fait la moitié
du chemin , et il s’avançait heureusement vers
le port , lorsque tout-à-coup le ciel se couvre
d’épais nuages 5 un tourbillon de vent soulève
la mer contre la direction du courant , et l’agite
dans tous les sens. A peine les matelots ont-ils
le temps d’amener les voiles ; de toutes parts les
vagues entourent et assaillent leur malheureux
navire. Dans cette périlleuse situation , soit qu’ils
suivissent l’usage pratiqué en mer de tirer le ca-
non pour demander secours aux vaisseaux qui
navigent dans les mêmes parages > soit qu’ils
n’ignorassent pas le dévouement des Messinois,
ils donnemfce signal de détresse , aussi-tôt une
barque se détache du rivage de Messine , et
vient les prendre à la remorque.
Si je tremblai pour le sort de ces infortunés ,
menacés à chaque instant d’être engloutis par
BANS LES DEUX SICILE S. Iiq
les flots , ce fut pour moi un spectacle d’admi-
ration et de plaisir , de voir l’adresse de leurs
libérateurs à conduire à travers la tempête le
bâtiment qui s’était mis sous leur protection.
Eviter le fil du courant , arriver quelquefois jus-
qu’au bord pour s’en éloigner ensuite 5 tourner
le timon tantôt à droite , tantôt à gauche 5 abais-
ser les voiles , les ployer à demi , les déployer
selon que le vent augmentait ou diminuait 5 élu-
der l’impétuosité des vagues en coupant les unes
avec la proue , en présentant obliquement le
flanc aux autres 5 résister et céder tour-à-tour
à l’orage , tel fut l’art de ces braves marins. Du
haut de la colline où je les contemplais , je vis
le succès couronner leur adresse , et le bâtiment
échappant à un naufrage inévitable entrer heu^
reusement dans le port ..
J’ai dit de Scylla ; parlons maintenant de Ca-
rybde. Il occupe dans le détroit un espace de
mer compris entre une pointe de terre nommée
Pointe sèche , et une autre pointe d’où s’élève
une tour appelée la Lanterne y parce qu’elle
porte à son sommet un fanal , dont la lumière
guide pendant la nuit les vaisseaux qui entrent
dans Messine. Presque tous les auteurs qui en
ont écrit , s’accordent à le représenter comme
un tourbillon d’eau. C’est un monstre, dit Ho-
H 4
120
V O Y A G JE S
mère , qui trois fois le jour absorbe Peau > et
trois fois la rejette (i).
Virgile , en se conformant à la description du
poète grec , suppose de plus un abîme. Strabon ,
Isidore , Tzetze , Didime, Eustache, &c. suivent
la même opinion , ët BufFon lui-même l’adopte
avec une entière confiance , en plaçant Carybde
au nombre des plus célèbres gouffres de la
mer (2). Strabon ajoute que les débris des na-
vires qu’il engloutit sont portés par le courant
jusqu’au rivage de Taurominum , à trente milles
de distance (3). Voici , à ce sujet , ce que Pon
raconte d’un Messinois nommé Colas , hardi
plongeur , et tellement exercé à rester long-
temps sous l’eau , qu’il en avait acquis le surnom
de poisson. On dit que Frédéric, roi de Sicile ,
étant venu exprès à Messine pour éprouver son
habileté , fit jeter une tasse d’or dans le gouffre,
(x) . , . . S'Ta. XoLjjv(Z£iï cüra.ppoifiS'eî fxéhctv v'S'tip .
Tpiç pev yétp Tccvlwtv kif X\ptù.Tl , T pif £,CLV*ppOi(U'ïl
Asivov . Ibid.
(2) « Le Carybde , qui est près du détroit de Messine,
» rejette et absorbe les eaux trois Fois en vingt-quatre
» heures». Théorie de la terre .
(3) KelTcJnroHvTceV eTê , Kcù S'iCtKvêivTCdV TcL VÜLVcLyiA
wapciiTÙpsTcu •TTp'QS mova t n? T avpo[Ji.çyiotç. 1. VI.
DANS LES DEUX SICILE S. 121
et l’invitant à la pêcher, la lui promit comme la
récompense de son courage ; que , victime de
la cruelle générosité du roi , cet homme , après
avoir plongé deux fois , et étonné les spectateurs
par sa longue absence , ne reparut plus la troi-
sième fois , et que son cadavre fut trouvé au
bout de quelques jours sur le rivage de Tau-
rominum.
Telle est l’idée qu’on s’est toujours formée
de Carybde ; on se l’est représenté comme un
tourbillon d’eau , et les voyageurs éux-mêmes ,
tant anciens que modernes , n’en ont pas parlé
autrement : ce fait valait la peine d’être vérifié.
Carybde , nommé Calofaro par les habitans ,
est à sept cent cinquante pieds environ du rivage
de Messine. Quelques auteurs prétendent que ce
nom lui a été donné à cause du bouillonnement
des ondes 5 mais il dérive de et çctpoç , c’est-
à-dire belle Tour , qui est celle de la Lanterne ,
dans le voisinage de laquelle il est situé (1).
(1) J’ai observé que Messine, et d’autres villes de la
Sicile, ont conservé beaucoup de termes de la langue
grecque, qui était autrefois celle des insulaires. Je citerai,
pour ne pas m’écarter de mon sujet , le mot rema, dont
ils se servent pour désigner le courant du détroit; ce mot
vient de plumet, qui signifie flux. Note de V auteur.
Î22, VOYAGES
Le phénomène du Calofaro apparaît lorsque
le courant est descendant. Les pilotes appellent
courant ou flux descendant celui qui vient du
nord j et flux montant celui qui vient du sud.
Le courant monte ou descend au lever ou au
coucher de la lune , et ne dure pas plus de six
heures dans le détroit; mais dans l’intervalle de
l’un et de l’autre période , il y a un repos dont la
plus longue extension est d’une heure , et la
moindre d’un quart-d’heure.
Quand au lever ou au coucher de la lune, le
courant entre par le nord, il fait avec le rivage
une multitude d’angles d’incidence qui retardent
sa marche ; souvent il emploie près de deux
heures pour arriver au Calofaro ; quelquefois
aussi il y parvient très-rapidement , et c’est un
signe de mauvais temps.
Je profitai de ces renseignemens pour régler
ma visite. Les quatre matelots chargés de me
conduire , s’appercevant que je n’étais pas tout-
à-fait exempt d’inquiétude , m’encouragèrent ,
et me promirent, non- seulement de me mener
au bord du redoutable Calofaro , mais de me
faire passer dessus sans le moindre accident. Du
rivage , je l’avais vu comme un groupe de flots
tumultueux; à mesure que j’approchais, ce groupe
semblait s’étendre; i] me paraissait plus agité,
DANS LES DEUX SICILES. 120
plus éminent. Quand je fus auprès , je m’arrêtai
pour le considérer.
On entend par tourbillon d’eau , ce mouve-
ment circulaire qu’elle prend lorsqu’elle est mue
par deux impulsions contraires : au centre de ce
mouvement , il se forme une cavité cylindrique,
dont les parois intérieures tournent sur elles-
mêmes en spirale. Mais ici je n’observai rien de
semblable : c’était un espace de mer ayant tout
au plus cent pieds de circonférence, où l’onde
bouillonnait, s’élevait, s’abaissait, se heurtait,
sans produire le moindre tourbillon. Tout cela
n’avait rien de bien efFrayant. Ma petite barque
s’avançait au milieu de ce tumulte d’eau l’éprou-
vant d’autre inconvénient que d’être un peu ba-
lottée ; mes bateliers n’eurent d’autre peine que
de s’y maintenir avec les rames. Il me fut aisé de
tenter quelques expériences, et d’en suivre les
résultats. Je m’étais muni à cet effet de différens
corps , les uns plus pesans que l’eau , les autres
plus légers. J’observai que les premiers allaient
au fond, et ne reparaissaient plus $ que les se-
conds surnageaient , mais que l’agitation du Ca-
lofaro les repoussait bientôt hors de la sphère de
son activité. Cette dernière observation m’indi-
quait assez qu’il n’existait aucun goufFre en cet
endroit , car ce goufFre aurait produit un tour-
VOYAGES
124
billon qui aurait attiré et englouti les corps légers
nageant à la sur face de l’eau. Cependant , curieux
d’en connaître la profondeur , j’y fis jeter la
sonde , elle ne rapporta qu’environ cinq cents
pieds ; mais il est remarquable qu’au-delà » vers
le milieu du détroit, la mer a le doublé de pro-
fondeur.
Tel était l’état de Carybde , lorsque je l’exa-
minai 3 je l’avais vu dans le calme, il pouvait se
montrer autrement dans la tempête. Je consul-
tai là-dessus les pilotes chargés spécialement par
le gouvernement de porter secours aux vaisseaux
étrangers engagés dans le détroit par les temps
orageux : voici le résultat de leurs informations.
Quand le courant et le vent se combattent , quand
ce dernier sur- tout vient de la partie du sud-est,
et que tous les deux ont atteint leur plus haut
degré de véhémence , le bouillonnement , le bri-
sement des ondes à la surface du Calofaro est
beaucoup plus impétueux ; il s’y forme trois ou
quatre petits toùrnoiemens d’eau et davantage ,
selon que la sphère du Calofaro embrasse un plus
grand espace. Les bâtimens légers que le vent ou
le courant entraînent dans cette enceinte, va-
cillent , tournoyent , mais ne sont point engloutis ;
i ls ne coulent à fond que dans le cas où les vagues ,
en se précipitant sur eux , les remplissent d’eau.
I
DANS LES DEUX SICILE S. îi>5
Quant aux gros navires , ils s’y trouvent arrêtés
tout-à- coup , et restent comme immobiles ; ni le
vent ni les voiles ne peuvent les tirer de-là; après
avoir été tourmentés et battus des flots, si les
pilotes du pays ne viennent les remorquer par le
droit fil du courant , comme ils disent , ces na-
vires sont poussés contre la plage voisine , où est
bâtie la tour de la lanterne, et s’y brisent inévi-
tablement (1).
En pesant la juste valeur de ces faits, on s’ap-
perçoit qu’il y a beaucoup à rabattre de tout ce
qui a été écrit touchant Carybde. Ce n’est point
(1) Voici à ce sujet l’extrait d’une lettre que m’a écrite
l’abbé Grano , de Messine.
« Il n’y a pas vingt jours que nous avons été témoins
» de la submersion , dans le Calofaro , d’une polacre na-
» politaine , venant de la Pouille avec une cargaison de
» grains. Il s’était élevé un vent de sud-est très-impé-
» tueux ; le navire s’efforcait de gagner le port à pleines
» voiles , en se tenant toujours loin du Calofaro ; mais la
» tête ou la queue du courant , pour me servir de l’ex-
» pression de nos mariniers , étant déjà entrée par le
» pbare, saisit le navire , et l’entraîna dans le Calofaro ;
)) là , ne pouvant faire usage de ses voiles , il resta quel-
» que temps exposé à toute la furie des flots , qui finirent
» par l’entr’ouvrir et le couler à fond. La moitié de l’équi-
» page fut sauvée , grâce à la promptitude avec laquelle
n nos mariniers accoururent au secours de ces malheu-
» reux ».
VOYAGES
126
lin tourbillon , un gouffre d’eau tournant sur lui-
même, attirant et engloutissant les navires 3 c’est,
au contraire, une surface de mer peu agitée , et
qui ne couvre aucun danger lorsque le courant
diminue et approche de sa fin ; c’est un simple
bouillonnement d’eau, mais très - impétueux ,
lorsque le courant et le vent sont en opposition $
les petits tournoiemens qui s’y engendrent sont
purement accidentels , et n’ont rien de dange-
reux. Enfin Carybde , dans cette dernière cir-
constance , bien loin d’attirer les navires, les re-
pousse et les chasse loin de soi.
Cette erreur est née et s’est perpétuée comme
tant d’autres touchant les choses naturelles. Ho-
mère , en racontant le voyage d’Ulysse dans le
détroit de Messine, a, le premier, représenté
Carybde comme un gouffre immense qui absor-
bait l’eau et la revomissait $ qui engloutissait les
navires et les hommes , citant pour exemple plu-
sieurs compagnons de son héros , saisis et en-
traînés par ce monstre. Les auteurs qui sont
venus après Homère , soit poètes ou prosateurs,
soit historiens ou géographes, l’ont copié, sans
qu’aucun d’eux ait pris la peine de se transporter
sur les lieux pour vérifier le fait. Fazello lui-
même , cet historien d’ailleurs soigneux et exact
en tout ce qui concerne son pays , ne l’est plus
DANS DES DEUX SICILE S. 1 27
quand il parle de Carybde 5 il en dit assez pour
prouver qu’il ne Ta jamais ni vu ni observé ; sa
description se termine par la supposition com-
mune , que les corps engloutis par ce gouffre sont
transportés par des courans sous-marins , sur la
plage de Taurominum.
Cluvier est le seul auteur dont le récit ferait
croire qu’il a examiné Carybde de près. Je trans-
crirai ses paroles :
a. Et moi-même , m’étant arrêté plusieurs jours
» à Messine pour connaître Carybde , je pris des
» informations des habitans du lieu, principal-
ement des nautonniers , soit Siciliens et Italiens ,
esoit Belges , Anglais et Français qui fréquentent
eces parages 5 mais je ne pus en apprendre rien
»de certain , tant ce phénomène était pour eux
» obscur et inconnu. Cependant je découvris enfin
»que Carybde, appelé par les naturels , en langue
edu pays , Calofaro , était un courant rapide,
» formant des tourbillons au-dessus du phare de
» Messine, absorbant les eaux dans un gouffre
» immense , et les revomissant, non pas trois fois
» chaque jour, comme le dit Homère, mais toutes
»les fois que les flots se précipitent avec plus de
» violence dans le détroit (1) ».
(1) « Ego sane cum Charybdis noscendæ gratîa aliquot
dies Messanæ subsisterem , et ab hominibus ejus loci ,
VOYAGES
128
Mais en disant qu’il a découvert Carybde, cet
auteur n’exprime point qu’il l’a observé à l’en-
droit même où le phénomène existe. Aurait -il
omis une circonstance aussi essentielle à sa nar-
ration , lui qui avait tant à cœur de s’assurer de
la vérité d’un fait établi depuis si long-temps dans
l’opinion publique, et sur lequel il n’avait pu ob-
tenir des renseignemens précis et certains en
s’adressant aux Messinois eux-mêmes? Tout ce
qu’on doit conclure du passage cité , c’est que
Cluvier s’étant transporté sur le rivage d’où l’on
apperçoit Carybde , et ayant dirigé ses regards
de son coté ^pouvait , sans manquer de fidélité,
affirmer qu’il l’avait réellement découvert.
Quant à la position de Garybde dans le détroit
de Messine , celle que lui assigne Homère ne
maxime vero nautis , non siculis modo , et Italis, sed et
Belgis , Britannis , et Gallis, qui hoc fretum frequentes
navigant, diligentius eam rem siscitarer, nihil omnino
certi ab ipsis perdiscere potui , adeo scilicet toturo ne-
gotium omnibus obscurum et incognitum erat. Tandem
tamen reperi Charybdim , quæ incolis patriis vocabulis
dicitur Calofaro sub prædicta ad Messanensem portum
pharo esse mare rapide fluens, atque in vortices actum :
quod non Tpîr s-r’ , ut tradit Homerus, id est sin-
gulis diebus ter absorbet ingenti gurgite , removitque
aquas, sed quolies vehementiori fluctu fretum comita-
tur ».
cadre
bans les deux sïcîles. 129
cadre point avec nos propres observations. Circé
instruit Ulysse des dangers de cette navigation ,
et lui dit : (1) «Là sont deux rochers, dont l’un
» touche le ciel de sa tête pyramidale... Tu verras
» l’autre moins élevé , ô Ulysse ; et ces deux ro-
» chers sont si voisins, que ta flèche irait de l’un
»à l’autre. Sur ce dernier s’élève un Figuier sau-
»vage chargé d’un feuillage épais, sous lequel
»la redoutable Carybde absorbe l’onde noire ».
Le premier rocher indiqué ici par Homère est
Scylla , comme il le dit ensuite 5 près du second ,
se trouve Carybde , et la distance entre l’un et
Vautre n’est que d’un trait de flèche , azv
hoKrnvrzicLç. Cependant Carybde est actuelle-
ment éloigné de douze millesde Scylla. Que faut-ii
penser de cette différence ? Que le poète n’a
voulu employer qu’une hyperbole ? mais je ne
sais s’il pouvait .se permettre une telle licence *
que Carybde , dans les temps passés, était en effet
très-près de Scylla, et que la révolution des
siècles l’a fait changer de place, et l’a transporté
jusqu’au-delà de Messine ? Cette conjecture ne
(l) O I Jg S'vCO (TKO^SKOl , 0 [JLZV OVpCtvlv £VpVV IKcLVSt . . . «
Tù? J1’ irspov (ncbvrehov ^ct^cLKcorspov O* JW feu >
TThunov tLKKHK&v üeù Kêv S'ioïrTevcrsta.ç .
T co J’ zv zpivzoç k(TTt (Azyetç <pvAAoi $7 Tzênha?
Tco v7to &ïici XkpvfiS'ir kvctppoi^sj ykhctv vS'cop;
Tome ir. I
VOYAGES
i5o
serait pas dépourvue de fondement , si Le détroit
avait éprouvé quelque révolution considérable
dans ces temps-là ; mais rien ne l’indique , ni dans
les monumens de la nature , ni dans les écrits des
auteurs siciliens , qui n’auraient pas passé sous
silence un tel événement. Nous verrons, au cha-
pitre XXIX , que la seule modification que le
détroit ait reçue dans ce siècle, est un simple
étrécissement ; et bien avant cette époque, Ca-
rybde existait où nous le voyons aujourd’hui.
Cela est prouvé , non-seulemént par une très-
ancienne tradition des Messinois, mais par le té-
moignage uniforme des écrivains italiens, latins,
et grecs : Carybde, dit Fazello, est placé du côté
de la Sicile , un peu au-dessus de Messine (i).
Tzetze s’exprime ainsi : « Carybde est situé près
» Messine (2) ». Strabon , après avoir fait mention
de cette ville , ajoute : « Carybde se fait voir dans
»le détroit, un peu avant la ville (3) ».
Concluons , de ces documens historiques ,
qu’Homère a manqué d’exactitude à l’égard de
la localité de ce phénomène ; ce n’est pas lui
(1) « Charybdis, ex parle Siciliæ, paulo supra Mes-
sanam » .
(2) Y) Xcipvfiflt 'TSfÙ M tGMYW €<Tt).
(3) Asimvt&u ko,) XàpvfiS'iç ptx,p)ni 'Trp'à noheM? iv
tm rrç .
DANS LES DEUX SICILES. 1 5 1
faire un grand tort que de supposer qu’il a un peu
sommeillé en cet endroit de son long ouvrage.
Cependant on ne peut accuser la fidélité de ses
autres descriptions touchant la Sicile* On y trouve
une vérité d’expression qui fait présumer qu’il
avait voyagé lui -même dans cette île, ou du
moins qu’il en avait reçu des détails très- circons-
tanciés. Le tableau de Scylla en est une preuve ;
quant à Carybde et son gouffre supposé , il faut
bien convenir , ou qu’Homère ne s’était jamais
approché de ce lieu, ou qu’il n’en avait obtenu
que de fausses informations.
Mais, à propos de ces deux écueils, a-t-il
quelque fondement ce mot , qui cherche à éviter
Carybde tombe dans Scylla , passé en proverbe
chez les anciens, et appliqué à ceux qui , pour fuir
un mal, tombent dans un mal plus grand? J?en
causais avec mes braves matelots messinois, qui
m’assuraient que ce danger existait réellement,
et que les navigateurs en étaient quelquefois les
victimes, quand ils ne prenaient pas des mesures
promptes et efficaces pour le prévenir. Qu’un
navire , me disaient-ils , échappe à la fureur de
Carybde , et soit poussé , par une forte brise de
sud , le long du détroit vers la bouche du nord ,
il en sortira heureusement; mais que vers le mi-
lieu de son trajet, il soit surpris par un vent de
I 2
VOYAGES
l3l2
sud-est ; alors , dévié de son droit chemin , com-
battu par deux forces contraires , et ne pouvant
ni avancer ni reculer , il sera forcé de suivre une
direction moyenne qui le portera sur Pécueil de
Scylla. Ces matelots ajoutaient que dans les bou-
rasques , il s’élève fréquemment un vent de terre
qui descend par une gorge de la Calabre, et
pousse les vaisseaux contre ce rocher.
J’ai lu presque tous les anciens auteurs qui
ont écrit sur ces deux écueils 5 pour les peindre,
ils ont employé les couleurs les plus sombres 5
ils en ont fait le siège des tempêtes et des nau-
frages. Toutes ces horreurs , toutes ces ruines
ne nous frappent plus ; les naufrages sont rares
dans le détroit de Messine} d’où vient cela ? Scylla
et Carybde auraient- ils changé de nature P se-
raient-ils devenus moins dangereux en eux-
mêmes ? Mais nous avons vu que le premier est
encore tel aujourd’hui qu’il était du temps d’Ho-
mère ; quant au second, le rétrécissement du
détroit devrait le rendre plus redoutable qu’il
n’était autrefois 5 car moins un canal ou un bras
de mer a d’ouverture , et plus le passage en est
difficile. Je crois plutôt que la raison de cette
différence est dans Part de la navigation , qui ,
laible dans ses commencemens , n’osait s’aven-
turer en pleine mer, mais allait terre à terre.
DANS LES DEUX SICILE S. T 35
s’appuyant r pour ainsi dire , d’une main sur le
rivage..
Alter remus aqnas,. alter tibî radat arenas.
Tutus eris ; medîo maxima turba mari.
Propert. I. 3 .
Mais avec le temps , l’étude , l’expérience y
les hommes devenus plus instruits , plus coura-
geux r ont osé traverser les plus vastes mers ,
se confier aux tempêtes , et se rire de leurs im-
puissantes menaces.
Quant à la mer de Messine , Je n’ai pas besoin
de remonter si haut pour trouver les traces d’une
navigation encore enfantine et suivre ses progrès ;
le siècle présent y comparé au siècle passé, peut
m’en fournir le tableau. Cette partie de l’Adria-
tique qui sépare Venise de Rovigno dans l*Ist rie,,
n’est certainement pas des plus favorables pour
les navigateurs. La fréquence des coups de vent,
les hauts-fonds qui rompent les vagues, et leur
donnent des impulsions très - irrégulières , sont
des dangers réels, et très- propres à faire réfléchir
ceux qui entreprennent de la traverser. Dans le
dix-septième siècle , les naufrages y étaient si
fréquens , que les habitans de Rovigno qui, pour
des affaires indispensables , étaient obligés de se
transporter à Venise , se tenaient d’avance pour
morts j et s’ils étaient pères de famille , ils ne
I 3
V O Y A G E s
ï34
manquaient pas de faire leur testament avant
de se mettre en route. Un avocat de R.ovigno ,
nommé Constantin > homme instruit , me disait
avoir lu plusieurs de ces testamens, que Ton con-
serve dans les archives publiques de cette ville.
Je ne dirai pas que de nos jours ce trajet ne
soit plus qu’un jeu, un divertissement, il faut trop
se tenir en garde contre les tempêtes qui y sont
fréquentes $ mais elles n’ont plus de suites fâ-
cheuses ? trois fois j’ai fait le voyage sans courir
le moindre danger. Cette sécurité est due au
perfectionnement de l’art nautique. Outre que
l’expérience et l’instruction manquaient aux an-
ciens marins de Rovigno , la forme et la cons^
truction de leurs barques étaient si mal enten-
dues, qu’elles ne pouvaient tenir contre la vio^*
lence du vent : elles étaient bientôt surmontées
et englouties par les vagues. Celles que l’on y
construit aujourd’hui sont larges , plates et très-
solides ; on les appelle vulgairement bracère $
elles peuvent affronter les orages , et sont en
grande réputation dans les pays çirconvoisins,
Voilà donc un espace de mer, peu étendu à la
vérité , mais fameux anciennement par ses nau-
frages, qui devient chaque jour plus praticable
par le seul ministère de l’art.
Mais pour mieux juger comment Carybde et
DANS LES DEUX SICILE S.
ï35
Scylîa , sans changer de nature , ont pu se dé-
pouiller insensiblement de la terreur qui les en-
vironnait autrefois , prenons pour exemple un
autre site non moins redoutable dans les siècles
passés , le Cap de Bonne-Espérance , notnmé le
Cap des Tefhpêtes par le premier navigateur
qui en fit la découverte. Là, deux grandes mers
descendent le long des Cotés apposées de l’Afri-
que, se rencontrent et se heurtéM ènsetiiblê. Un
courant rapide tenant du süd-ôuest, s’il trouvé
la marée et le vent contraires ,~ engendre des
tourbillons d’eau capables d’attirer et d’engloutir
les plus gros navires. Des rochers épars sur
la côte brisent les vagues impétueuses , et les
soulèvent à des hauteurs énormes ; là se forment
des orages d’autant plus terribles qu’ils par-
courent sans obstacle un vaste océan. Que de
soins et de prudence n’exigeait pas la conduite
d’un vaisseau destiné à surmonter ces obstacles !
Un habile pilote qui les eût plusieurs fois com-
battus , des mata et des antennes affermis par d’é-
pais cordages, des haches toutes prêtes pour les
abattre au premier signal quand le danger l’exi-
geait,une ample provision de cables et de voiles;
des haubans renforcés, et des timons de rempla-
cement ; les matelots liés fortement à leur poste
avec des cordes, pour n’être pas emportés par
les coups de mer , les passagers renfermés sous
I 4
VOYAGES
136
Je pont pour laisser la manœuvre libre, l’artillerie
calée au fond du vaisseau pour en augmenter le
lest , les sabords bien fermés 5 telles étaient, dans
le siècle passé , les précautions des navigateurs
qui doublaient le Cap de Bonne-Espérance. Il
en faut bien moins aujourd’hui , grâces à l’expé-
rience , aux lumières acquises dans cet art si ti-
mide dans ses commencemens , si audacieux dans
ses progrès : Carybde et Scylla n’ont plus rien de
terrible que leurs noms , et c’est encore à ses
succès que nous en sommes redevables.
DANS LES DEUX SICILE S.
CHAPITRE XXVII.
Méduses phosphoriques observées dans le
détroit de Messine .
D ans la classe des animaux à qui nos métho-
distes ont donné le nom de mollusques , à cause
de la mollesse de leur corps , il est un genre
très-singulier dont les espèces ont été appelées
méduses par Linnée , gelées de mer par Réau-
mur , et orties de mer par quelques autres na-
turalistes 3 tant anciens que modernes. Tous ces
noms font allusion à certains caractères extérieurs
de ces animaux , qui en les touchant piquent
comme les orties- plantes $ en les maniant, se
fondent dans les doigts comme de la gelée ; en
les regardant , rappellent par leur forme étrange
l’idée d’une tête de Méduse. Aristote, qui écrivait
en Grèce , et Pline , qui long-temps après le co-
piait en Italie , en ont fait mention l’un et l’autre.
Parmi les modernes , je ne connais que Réaumur
qui , dans les actes de l’académie des sciences
de Paris, année 1710 , a donné des considérations
sur la manière dont se meuvent quelques espèces
de méduses , et Dicquemare , qui a publié, dans
le journal de l’abbé Rozier, plusieurs mémoires
l38 VOYAGES
où ii examine leur structure organique. Mais ces
deux écrivains ne parlent en aucune manière de
la phosphorescencè qui est particulière à cer-
taines méduses. J’ignore si ces dernières ont été
décrites par d’autres \ je sais seulement que Lœ-
fling les a rencontrées , ainsi que le rapporte
Linnée. « Ce savant voyageur , dit - il , vit en
» haute mer 3 entre l’Espagne et l’Amérique , des
» méduses et autres zoophites dispersée dans les
» eaux , qui, la nuit et durant le calme , brillaient
£ comme autant de flambeaux $ mais ces clartés
» disparaissaient si-tôt que les veiitâ agitaient la
»mer (l) » .
Ce court récit est sans doute plus propre à
exciter la curiosité qu’à la satisfaire. Au reste?,
il ne faut pas s’étonner si nous manquons d’ob-
servations sur la propriété phosphorique de ces
animaux : ils sont très-rares , ceux qui en sont
doués. J’ai eu l’occasion d’examiner une mul-
titude de méduses , soit dans la mer Adriatique ,
soit dans l’Archipel et le bosphore de Thrace ;
je n’en ai pas trouvé une seule qui jetât de la
(1) « Doctissimus Eoeflingius inter Hispaniatti et
Américain vidit in alto mari médusas alia que zoophita,
pacata aqua , dispersa per æquora , et noctu instar toti-
dem candelarum lucere , et exortis ventis sensim subsi^
dere , et lucem suffocari » .
BANS LES DEUX SICILE S. l3q
lumière. Ce phénomène ne s’est offert à mes yeux
que dans le détroit de Messine , une nuit, comme
je revenais du rocher de Scylla à la ville , et
j’ai eu tout le temps nécessaire pour le bien
observer pendant un séjour de plusieurs semaines
dans le pays , m’occupant uniquement de la re-
cherche et de l’étude de ses productions natu-
relles. Mais je n’en donnerais à mes lecteurs
qu’une idée vague et confuse , si je ne leur mon-
trais d’abord l’organisation de ces méduses , la
manière dont elles nagent dans l’eau et se trans-
portent d’un lieu à un autre , ces deux connais-
sances préliminaires étant indispensables pour
l’intelligence de leur propriété phosphorique.
* ; - " : ' ' . ' V ' V
On peut comparer la forme du corps de ces
méduses à l’ombelle des champignons , étant
convexe par-dessus, concave par-dessous 9 et
ayant deux , trois, ou quatre pouces de circon-
férence, selon la grandeur de l’animal 5 et de
même que l’ombelle des champignons va en
s’amincissant vers les bords , l’ombelle des mé-
duses ( car je l’appellerai ainsi ) suit une dégra-
dation d’épaisseur jusqu’aux extrémités, qui sont
terminées par de légères franges. Si la première
est attachée à une petite colonne centrale qui
lui sert de support , la seconde adhère dans le
milieu de sa partie concave à quatre corps alon-
VOYAGES
l4o
g es et cylindriques, que je désignerai, comme
r.os auteurs méthodistes , sous le nom de tenta-
cules. Outre ces quatre corps , il y en a huit
autres latéraux , plus minces , inhérens longitu-
dinalement aux parois intérieures de l’ombelle;
mais ces notions générales ont besoin de quelque
détail.
L’ombelle de chaque méduse est légèrement
convexe à l’extérieur ; elle y présente une sur-
face très-lisse , toujours couverte d’un voile hu-
mide , même après que l’animal a été tiré h or*
de l’eau. Sa plus grande épaisseur est au sommet ;
sa moindre vers les bords. Dans la partie la plus
élevée de sa concavité , on remarque une ouver-
ture qui conduit dans une espèce de bourse gé-
latineuse , communiquant avec quatre trous la-
téraux. L’eau de la mer que la bourse reçoit
par ces trous, en sort par l’ouverture 5 et celle
qui y pénètre par l’ouverture se dégage par les
trous. Je ne doute pas que cette ouverture ne
soit la bouche de l’animal , et la bourse son esto-
mac , ou du moins une espèce de réceptacle où
se digèrent ses alimens, quoique je n’aie jamais
pu les y appercevoir.
La substance de l’ombelle est si délicate , sî
tendre , qu’elle se laisse couper avec un fil ; elle
est en même temps si transparente , qu’elle ne
DANS lEJj DEUX 8ICIEES. 141
le cède pas au cristal le plus pur. Dans presque
toute son étendue , ni la main armée du scalpel
anatomique , ni l’œil aidé de la loupe, ne peuvent
y découvrir ces vaisseaux, ces fibres, et autres
parties qui se manifestent dans la plupart des
animaux. Elle a l’aspect d’une gelée très-simple
et très-homogène 5 seulement au sommet de sa
concavité , on apperçoit comme quatre petits
écheveaux de longs et minces corpuscules en-
tortillés en forme d’intestins, adhérens à un amas
confus de petits tubes de couleur argentine , dont
les parois sont assez élastiques pour conserver
leur rotondité après avoir été coupées transver-
salement. Je me suis convaincu, par un examen
attentif, qu’ils ne conduisent aucune liqueur.
Tant d’analogie avec les trachées des insectes,
donnerait à penser que ces petits tubes rem-
plissent les mêmes fonctions 5 quoi qu’il en soit,
je les distinguerai par l’épithète de trachéi-
formes.
De plus, si l’on examine avec la même atten-
tion les limbes à la partie concave de Pombelle ,
on y reconnaîtra une autre structure organique,
consistant en un tissu musculeux très-délié , qui
part des extrémités, et s’étend dans l’espace d’un
demi -pouce, quelquefois d’un pouce entier,
suivant la grandeur de l’animal. Par-tout où ce
VOYAGES
î42
tissu existe , la transparence de l’ombelle en est
un peu obscurcie*
Parlons maintenant des tentacules , et com-
mençons par les plus gros , qui sont au nombre
de quatre. Leur partie inférieure s’avance hors
des limbes de l’ombelle , tandis que leur partie
supérieure s’attache à son sommet , en prenant
par le milieu de l’ouverture , ou , comme nous
l’avons appelée , de la bouche de l’animal. Chaque
tentacule est marquée d’un léger sillon longi-
tudinal , terminé par, deux appendices membra-
neuses que baigne une humeur gluante. En exa-
minant de près ces tentacules , on voit qu’ils sont
composés de petits cordons musculeux placés
longitudinalement, et étroitement unis. Ce fais-
ceau de cordons renferme dans son centre un
petit canal qui , de bas en haut , parcourt toute
la longueur du tentacule. On apperçoit ce canal
au travers , et on y découvre des molécules glo-
buleuses que l’on peut mettre en mouvement en
pressant du doigt le tentacule , ou les en faire
sortir , si l’on veut , en le coupant transversa-
lement.
Les huit autres tentacules latéraux sont beau-
coup plus déliés et plus longs 3 ils paraissent ,
comme les premiers , composés de parties mus-
culeuses , et sont percés au centre dans toute
1) A US S LES DEUX SICILE S. l/fî
leur longueur. Ainsi ces appendices de l’ombelle,
tant grosses que petites , peuvent être considé-
rées comme des vaisseaux ou canaux , quoiqu’elles
soient destinées à d’autres usages que j’indique-
rai plus bas. Au reste, je dois prévenir que les
recherches les plus exactes ? et le secours des
meilleurs microscopes, m’ont été inutiles pour
découvrir une circulation, un simple mouvement
de liquides dans les méduses que je décris : leur
corps, leurs tentacules sont d’un blanc bleuâtre,
transparent, sans mélange d’autres couleurs.
Si l’on en prend une dans la main , elle ne se
dissout pas subitement 3 elle oppose même une
légère résistance à la pression. Ce n’est qu’au
bout de quelques minutes qu’elle commence et
continue à donner de l’eau. Cette effusion n’est
point occasionnée par la chaleur ou la pression
de la main 3 tout au plus cette dernière cause
Taccélère. Si on place l’animal sur une table ,
ou sur tout autre corps , il ne tarde pas à se
fondre goutte à goutte ? et finit par se convertir
presque tout entier en une liqueur transparente,
ce qui arrive au bout d’un jour et demi , ou deux
au plus.
Une de ces méduses pesait cinquante onces 5
ayant tenu un compte exact de sa réduction en
liqueur , je trouvai que le poids en était appro-
I
*44 VOYAGES
chant égal. Ce que l’évaporation avait proba-
blement enlevé pendant la dissolution de l’ani-
mal , et ses dépouilles , qui consistaient en de
minces et arides pellicules pesant cinq à six
grains , pouvaient passer pour le déficit.
Cette liqueur a le goût salé de l’eau marine 5
évaporée à siccité , elle laisse au fond du vase
une quantité de muriate de soude presqu’égaîe
à celle que fournirait un pareil volume d’eau
de mer.
La saveur salée de c es méduses se sent en
les touchant avec la langue , soit pendant leur
dissolution , soit après qu’elles sont récemment
tirées hors de la mer et lavées dans l’eau douce,
pourvu que l’attouchement ait lieu sur une cou-
pure. Il est donc évident que l’eau marine pé-
nètre le tissu organique de ces animaux, et cons-
titue la plus grande partie de leur volume. Ce
fait me paraît d’autant plus remarquable, que
de tous les mollusques marins que j’ai examinés,
ceux - ci sont les seuls qui m’en aient donné
l’exemple.
Je dois ajouter que leur dissolution s’opère,
non-seulement en les tenant au sec, mais encore
dans de petits vases pleins d’eau de mer, lors-
qu'on ne la renouvelle pas souvent. La cause
est
BANS LES BEUX SICILE S. 1 4^
est la même pour les deux cas : ces animaux
se trouvant placés hors de leur état naturel , ils
éprouvent une lésion dans leurs parties solides 5
ces parties se rompent , et donnent passage aux
liquides qu’elles renfermaient. Ainsi , bien que
leur corps ne nous offre, dans presque toute son
étendue, aucune trace apparente d’organisation,
elle n’y existe pas moins 3 ce sera, si l’on veut,
une substance spongieuse propre à attirer et à
retenir l’eau de la mer, invisible à cause de sa
transparence , et de l’extrême finesse de son
tissu.
%
Telle est la forme et la structure de nos mé-
duses 3 je vais décrire maintenant le principal
attribut qui les caractérise pour de véritables
animaux, je veux dire leurs mouvemens natu-
rels. Ces mouvemens ne diffèrent point de ceux
des méduses non phospboriques 5 ils consistent en
une contraction et une dilatation presque con-
tinuelles de l’ombelle. Si , penché sur le bord
d’un bateau quand la mer est tranquille, vous
considérez attentivement une méduse qui nage,
vous verrez la convexité de son ombelle se por-
ter dans une direction oblique au niveau de la
mer, et les limbes occuper le lieu postérieur 3
ensuite ceux-ci, au bout de cinq ou six secondes,
se contracter subitement , et l’instant d’après
Tome IJ ryr. K
146 VOYAGES
s’alonger. A la première contraction ou systole ,
la méduse se tenant constamment plongée dans
Feau , celle qui remplit sa concavité , poussée
en avant par ce mouvement , frappe les parois
internes de l’ombelle , et l’animal fait un pas $
une seconde systole succède , produit un nou-
veau choc de l’eau , et l’animal fait un second
pas. La systole étant toujours suivie de la dias-
tole, l’animal change ainsi de place , et chemine
lentement. Pendant ce temps-là , les tentacules
débordent la circonférence de l’ombelle, étendus
en long et réunis ensemble. Ce mouvement al-
ternatif, que j’appellerai oscillation , est néces-
saire à la méduse pour nager, et se transporter
d’un lieu dans un autre 5 autrement' elle irait
au fond , étant spécifiquement plus pesante que
Feau marine.
J’ai eu la preuve de cê dernier fait dans le
canal de Messine 5 je Fai de plus vérifié dans
des vases remplis d’eau marine où j’avais renfermé
plusieurs méduses , et cette expérience m’a ins-
truit de certaines circonstances relatives à leur
oscillation , que je n’aurais pu saisir en ne faisant
que les observer dans leur demeure natale. Par
exemple , j’ai mesuré , pendant la systole , le
raccourcissement de la périphérie de l’ombelle ,
qui approche de celle du cercle , il était de
DANS LES DEUX SICILE S. I47
deux, trois ou quatre lignes au plus. Je me suis
apperçu que l’oscillation résidait seulement dans
l’ombelle , qu’elle était tout-à fait indépendante
de la bourse et des tentacules grands et petits,
puisqu’après avoir coupé et retranché toutes ces
parties , elle n’en continuait ni plus ni moins.
Quoiqu’elle se manifestât par toute l’étendue de
l’ombeile, j’ai encore observé qu’une bonne par-
tie de cette ombelle se mouvait comme par ac-
quiescement.
Les expériences suivantes ne m’ont laissé aucun
doute à cet égard. Par une section transversale
et parallèle aux limbes, j’enlevais, vers les parties
supérieures , un morceau circulaire d’ombelle
du diamètre d’un pouce : ce morceau n’oscillait
plus , et était insensible à toute espèce de sti-
mulant 5 au contraire l'oscillation se montrait
toujours, et continuait long-temps dans le reste
de l’ombelle. Ce reste, je le diminuais encore,
en retranchant de la même manière une nou-
velle portion circulaire : nul signe d’oscillation
dans cette portion enlevée ; mais elle continuait
dans la partie restante. A la fin , en poursuivant
ces retranchemens, je suis parvenu à découvrir
le siège et Porigine du mouvement oscillatoire
dans les méduses. J’ai parlé plus haut d’un tissu
musculeux et très-délié qui , des bords de l’om-
K a
VOYAGES
14B
belle , s'avance et s'étend sur les parois internes*
où il occupe un espace déterminé. Vu à la loupe,
il paraît composé d’un nombre innombrable de
petites fibres charnues , disposées transversale-
ment, parallèles entr’elles, et intimement adhé-
rentes à la substance gélatineuse de l’ombelle.
Tout le jeu de l’oscillation dépend de l’action
de ces fibres transversales. Chaque fois qu’elles
s’accourcissent , la portion de l’ombelle à laquelle
elles sont attachées est forcée de se contracter,
ce qui ne peut avoir lieu sans que le reste ne
subisse la même contraction : voilà le mouve-
ment de systole. Celui de diastole naît ensuite
de la détention de ces mêmes fibres. Ainsi, en
détachant de l’ombelle une portion privée de
fibres , il ne faut pas s’étonner de n’y apperce-
voir aucun mouvement oscillatoire , tandis que
ce mouvement continue à se manifester dans les
parties qui en sont pourvues. Voici à cet égard
les résultats de quelques autres expériences.
, , V
J’ai découpé dans le corps d’une méduse un
anneau privé de fibres 3 je l’ai posé à sec sur
une table pour le mieux observer : point d’os-
cillation. J’ai enlevé un second anneau dont les
bords participaient au tissu musculeux 3 il a os-
cillé très -bien et pendant long -temps. Enfin
j’ai placé sur la table l’anneau même où naissent
BANS LES BEUX SICILE S. l4ç
et se propagent les fibres , et qui , dans les plus
grandes méduses, a plus d’un pouce de largeur ;
c’était une chose curieuse de suivre ses mouve-
mens , et de voir combien il se rétrécissait à
chaque systole.
Il y a plus 3 j’ai coupé transversalement ce
dernier anneau en plusieurs morceaux 3 alors ,
chacun en oscillant m’a montré clairement le
jeu de ses fibres. Je les ai vues se raccourcir su-
bitement, et le morceau devenir plus court et
plus gros 3 un moment après elles revenaient à
leur première longueur, et le morceau rentrait
dans son premier état. Je ne saurais mieux com-
parer ces mouveraens qu’à ceux d’un ver de
terre qui, pour ramper, s’alonge et s’amincit ,
puis se raccourcit et s’enfle.
J’ai ensuite enlevé avec des pincettes très-
fines le tissu musculeux, et j’ai vu cesser l’osciU
Jation. Elle se perdait encore , si Je coupais seu-
lement les fibres en plusieurs endroits.
Il suit de ces expériences, i°. que le siège
de l’oscillation est dans le tissu musculeux 5 20. que
la partie gélatineuse de l’ombelle oscille par la
communication immédiate qu’elle a , dans ses
parties inférieures , avec ce tissu 3' 3°. que l’os-
cillation ne s’affaiblit point, encore que l’animal
K 3
VOYAGES
soit tiré de son élément naturel , et placé à sec.
Dams cette positionnes plus grosses méduses con-
tinuent d’osciller pendant vingt-quatre heures ,
malgré la dissolution qu’elles éprouvent, et où
elles perdent les deux tiers de leur volume. Seu-
lement, vers la fin de ce temps, l’oscillation de-
vient faible , lente , interrompue. Quand on la
croit tout-à-fait éteinte , souvent elle se réveille
par le frottement , ou par des piqûres dans le
tissu musculeux de l’ombelle. On peut encore
la ranimer én coupant par morceaux l’anneau
gélatineux. auquel est attaché ce tissu : chaque
morceau reprend alors pour quelque temps son
mouvement oscillatoire. En un mot, l’oscillation
ne disparaît entièrement, sinon quand l’agréga-
tion des fibres transversales se dessèche ou se
corrompt , par manque ou par excès d’humidité.
Une si grande persistance de mouvement dans
les méduses mourantes et dans celles qui sont
coupées par morceaux , devrait passer pour une
preuve incontestable que ce mouvement est in-
dépendant de la volonté de l’animal , comme
celui du cœur d’une grenouille, d’une tortue,
d’un serpent , qui continue après que ce viscère
a été arraché du corps de ces amphibies 5 ce-
pendant je n’oserais l’assurer. J’ai examiné plu-
sieurs fois la natation des méduses dans les hauts-
DANS LES DEUX SICILE S. l5l
fonds du canal de Messine; j’en ai vu qui , après
s’être soutenues quelque temps à fleur d’eau ,
au moyen du jeu de leurs fibres , cessaient
d’osciller, se laissaient aller doucement au fond
de la mer, entraînées par leur propre poids , et
y restaient immobiles peridant plus d’une demi-
heure; ensuite elles reprenaient leur mouvement,
montaient peu à peu, et se rendaient à la surface
de l’eau. Telles autres, par les mêmes moyens r
se contentaient de descendre jusqu’à une cer-
taine profondeur , et puis remontaient. La sup-
pression et le retour du mouvement dans ces
circonstances , ne semblent-ils pas au contraire
dépendre de la volonté de l’animal ? Je laisse au
lecteur la décision de cette question.
Je dois lui rendre compte d’un mouvement
d’une autre nature qui a lieu dans tes grands ten-
tacules, et dans les corpuscules en forme d’in-
testins que j’ai décrits ci-dessus. A l’égard des
premiers, pour que l'observation soit plus facile,
il faut les détacher du corps de l’animal , en les
coupant tout proche de la concavité de l'ombelle*
à laquelle ils sont fixés. Si dans cet état , l’ob~
servateur les pose sur la paume de sa main , il
les verra agités d’un léger mouvement convulsif,
beaucoup plus sensible dans les appendices mem-
braneuses , où il persiste même après que ces
K 4
l5i VOYAGES
dernières parties ont été séparées du tentacule ;
niais cette convulsion cesse bientôt dans ces corps,
malgré qu’ils soient extraits des méduses les plus
vivaces.
Elle est plus durable et plus forte dans les
corpuscules en forme d’intestins, qui forment,
comme nous avons dit , quatre amas situés au-
près des trous latéraux de l’ombelle. Soit qu’on
les laisse à leur place , soit qu’on les enlève pour
les étendre sur une table , ou pour les mettre
dans l’eau marine , ils présentent les mêmes phé-
nomènes que l’on observe avec surprise dans les
intestins tirés , par exemple, du corps vivant d’un
chien. On sait que pendant quelque temps , ces
parties sont animées du mouvement nommé pé-
ristaltique y c’est-à-dire que , semblables aux
vers, elles vont et viennent, tantôt d’un côté,
tantôt d’un autre , par ondulation. On sait en-
core qu’après la cessation naturelle de ce mou-
vement, il est possible de le réveiller, du moins
pendant un certain temps , par des stimulans.
La même chose arrive dans les corpuscules en
question ; et comme j’ai découvert qu’ils étaient
concaves intérieurement , et qu’ils contenaient
dans leur cavité une substance liquide, je n’hé-
site pas à les reconnaître pour de véritables in-
testins. De plus , la composition de leur tunique
DANS LES DEUX SICILE S. l55
porte un caractère particulier 5 elle se conserve
entière, et persiste dans son mouvement, quand
la dissolution a presqu’entièrement consommé le
corps de l’animal.
Après avoir exposé l’organisation et les mou-
veraens propres à ces méduses , il me reste à
décrire le phénomène de leur phosphorescence,
qui est le principal objet de cette discussion.
Au déclin du jour, et quand la nuit commence
à étendre ses voiles, je m’amuse à parcourir dans
un bateau le détroit de Messine , allant terre à
terre, et cherchant les endroits où la mer est
en plein calme. J’apperçois d’abord sous les eaux
un principe de lumière qui, à mesure que les
ténèbres augmentent, s’accroît , devient plus in-
tense, et frappe les yeux à cent pas de distance.
J’approche : c’est une méduse semblable à un
flambeau vivant. Les brillans rayons qu’elle me
renvoie me permettent de discerner laTorme de
son corps , quoiqu’il soit souvent à trente-cinq
pieds sous l’eau. Comme l’animal se transporte
en oscillant d’un lieu dans un autre , cette lu-
mière est errante et elle varie d’intensité; elle est
plus forte dans le mouvement de contraction que
dans celui de dilatation. Souvent elle se montre
sans interruption pendant une demi -heure et
davantage; souvent elle s’éteint subitement, et '
ne reparaît qu’au bout d’un certain temps. Cette
interruption fait déjà soupçonner que la lumière
des méduses dépend de leur oscillation qu’elles
ont la faculté de suspendre , semblable au phos-
phore des mouches luisantes terrestres et ma-
rines , qui brille à chaque vibration de leur
corps , et s’éteint dans les momens de repos ;
mais ce soupçon n’est pas facile à vérifier dans
le détroit de Messine. Observons nbs méduses
dans de grands vases pleins d’eau marine , où
elles resteront plusieurs jours vivantes , si nous
avons soin de renouveler fréquemment l’eau (i).
Leur phosphorescence n’est point inférieure à
celle qu’elles manifestent dans la mer. Tant que
leur oscillation dure , la lumière brille sans in-
terruption ; faisons attention qu’elle est plus forte
dans la.systole que dans la diastole, comme nous
l’avions déjà remarqué. Mais le mouvement ve-
nant à s’affaiblir , ou à se perdre par intervalles,
la lumière diminue et s’affaiblit tellement, qu’elle
paraît entièrement éteinte.
J’en peux fournir un exemple. Dans la chambre
où je couchais à Messine, je tenais depuis plu-
(1) Il est inutile de prévenir que cette expérience
et les suivantes ont été faites dans Fobscuriîé de la ituit.
Note de l’auteur .
DANS LES DEUX SICILE S. l5 n
sieurs jours des méduses dans des seaux pleins
d’eau de mer. Ayant oublié de renouveler l’eau
dans un de ces seaux, les méduses qui y étaient
renfermées pâtirent beaucoup , et n’oscillaient
plus quand je les visitai. C’était un soir , peu
après le coucher du soleil ; leur phosphore ne
brillait plus , sinon quand je prenais l’animal dans
la main , et que j’excitais pour quelque temps
son oscillation. Occupé à noter dans mon journal
les choses que j’avais observées pendant le jour,
trois heures s’écoulèrent 5 je renouvelai ma visite:
tout dans le vase me parut complètement obs-
cur, malgré ma précaution de transporter ailleurs
la lampe qui éclairait ma chambre. Cependant
m’étant levé avant le jour , je m’approchai du
seau, et je découvris avec surprise que mes mé-
duses mourantes , et abandonnées à un parfait
repos , ne laissaient pas de jeter une lumière ,
pâle à la vérité, mais très-sensible, qui me frappa
avant que je fusse arrivé jusqu’à elles.
Il était important de répéter cette expérience
sur d’autres méduses , c’est ce que je fis avec
un égal succès. J’ajouterai qu’elles ne cessaient
de briller que lorsqu’elles entraient en putré-
faction après avoir cessé de vivre. Ainsi, on ne
peut pas dire que la phosphorescence dans ces
animaux agisse par intervalles , et soit dépéri-
VOYAGES
dante de leurs oscillations 5 ces mouvemens ne
font que donner plus d’éclat , plus de vivacité
à leur lumière 3 elle brille par elle-même, et
se montre , quoique faible, dans les intervalles
de repos. Mais pour l’appercevoir dans cet état,
il faut que les yeux soient purgés de toute image
étrangère; et moi-même je ne parvins à la dé-
couvrir qu’après un sommeil de plusieurs heures
dans une chambre très~obscure. Cette leçon me
fut très utile pour les expériences qui me res-
taient à faire sur la propriété phosphorique de
ces animaux.
Poursuivons. Au lieu de les tenir plongés dans
leur propre élément, si on les laisse, à sec, la
lumière continue à se manifester très-brillante
tant que dure l’oscillation; elle décroît à mesure
que ce mouvement diminue, ce qui arrive éga-
lement dans l’eau ; et alors même , dans les in-
tervalles de repos, cette faible lueur frappe en-
core les yeux.
Mais voici un fait singulier. Une méduse était
étendue depuis vingt-deux heures sur une feuille
de papier blanc ; elle ne vivait plus , et déjà la
majeure partie de son corps était tombée en
dissolution : toute trace lumineuse avait disparu.
Sur ma table était un verre plein d’eau de puits ;
sans trop y songer, je pris cette méduse et la
DANS LES DEUX SICILE S. 107
jetai dans le verre ; elle tomba subitement au
fond 3 où elle resta immobile 5 mais quelle fut
ma surprise de la voir reprendre incontinent sa
lumière , et jeter une clarté assez grande pour
qu’à sa faveur je pusse lire de gros caractères!
L’eau devint en même temps très-lumineuse :
mon doigt plongé dedans se faisait appercevoir
très-distinctement. Pensant que la même chose
arriverait j et peut-être avec plus de succès, si
je substituais l’eau de la mer à l’eau douce ,
j’ôtai celle-ci pour la remplacer par celle-là. A
l’instant toute lumière disparut ; je restituai l’eau
douce , etle phosphore brilla comme aupara-
vant.
Je ne trouvai point d’explication à ce fait; je
l’aurais cru purement accidentel , si je ne l’avais
reproduit à volonté dans les mêmes circonstances.
Un autre phénomène analogue à celui- ci , et dont
je ne sus pas mieux me rendre raison , fut le sui-
vant. J’avais à sec sur ma fenêtre une méduse
morte , qui depuis quelque temps se trouvait
complètement obscure. Comme je l’observaîs
dans les ténèbres de la nuit, il survint une pluie
légère, et je vis, à ma grande surprise , què
chaque goutte qui tombait sur elle se transfor-
mait à l’instant en une brillante lumière , de
manière qu’elle en fut bientôt toute resplen-
1 58 VOYAGES
dissante. Je voulus imiter cette pluie avec un
arrosoir plein d’eau marine, mais ce Tut vaine-
ment.
Nous avons considéré jusqu’ici la lumière des
méduses telie qu’elle s’offre d’elle-même 5 exa-
minons maintenant jusqu’à quel point l’art est
capable de l’exciter. Une commotion donnée
aux parties du corps de l’animal est non- seule-
ment propre à l’accroître , mais à la ranimer
quand elle paraît éteinte. Je pêche une méduse,
et la place immédiatement dans un vasej sa lu-
mière phosphorique conserve le même éclat 5
je prends cette méduse entre mes doigts , je
l’agite dans son vase , ou seulement je lui fais
sentir le frottement de ma main ; aussi-tôt sa
lumière redouble. Si en y séjournant long-temps
sa propriété phosphorique s’affaiblit , je puis la
ranimer par une friction : le même effet a lieu
en tenant l’animal au sec. Enfin , quand toute
apparence de lumière est effacée , il est encore
en mon pouvoir de la reproduire. Mais ces ac-
croissemens, ces régénérations phosphoriques ne
constituent qu’un état passager qui cesse pres-
tp’en même temps que sa cause, et pour les
susciter , il faut que l’animal conserve encore
quelqu’intégrité dans ses parties.
Soit qu’on le stimule , soit qu’on le laisse en
DANS LES DEUX SICILE S. 1DQ
repos, sa propriété phosphorique se commu-
nique au fluide dans lequel il est plongé. L’eau
douce est plus propre à la recevoir que l’eau
salée : toutes choses égales d’ailleurs , la clarté
de la première est presque double de celle de
la seconde.
%
C’est par ce moyen que je créai divers phos-
phores artificiels pour tenter quelques expé-
riences. Ayant versé dans un vase de cristal treize
onces d’eau de citerne, j'y exprimai deux grosses
méduses récemment pêchées dans la mer. L’eau
devint trouble , mais en même temps si resplen-
dissante, qu'elle éclairait parfaitement ma cham-
bre. Ce phosphore ne dura pas long -temps ;
vingt-deux minutes s’étaient à peine écoulées,
qu’il commença à s’éclipser 5 il disparut entière*
ment au bout d’une heure et demie. Ici comme
dans le corps même de l’animal , la commotion
servit à le ressusciter. Chaque fois que j’agitais
l’eau, soit avec un petit bâton , soit avec la main,
elle redevenait brillante; sa clarté cependant al-
lait en s’affaiblissant à mesure que le temps s’é-
coulait. Je remarquai toutefois que plus l’agita-
tion de l’eau était forte , plus le phosphorè ac-
quérait d’intensité ; mais l’efFet cessait en même
temps que sa cause , comme nous l’avons dit à
l’égard des méduses.
VOYAGES
i6o
Le calorique est un second stimulant propre
à renouveler la phosphorescence de l’eau quand
l’effet du premier est usé. J’agitais vainement
celle où j’avais exprimé des méduses , elle ne
donnait plus de lumière ; sa température appro-
chait alors du vingt-quatrième degré du thermo-
mètre de Réaumur \ je la poussai au trentième
degré, et beau reprit sa vertu phosphorique : un
peu plus de chaleur rendit son éclat plust vif j
mais l’excès lui fut fatal, et l’éteignit entière-
ment.
Je répétai ces expériences avec d’autres li-
queurs : telle que l’on n’aurait pas soupçonnée
propre à s’imboire de la lumière des méduses,
la retint parfaitement , comme l’urine humaine
par exemple , qui , .par l’intensité et la durée
de sa phosphorescence, ne se montra pas infé-
rieure à l’eau douce. Mais aucun fluide ne se
comporta mieux à cet égard que le lait : une
seule méduse exprimée dans vingt-sept onces de
lait de vache le rendit si resplendissant , qu’à
trois pieds de distance , on pouvait lire les ca-
ractères d’une lettre. La durée de ce phosphore
fut aussi plus longue : au bout de onze heures,
il conservait encore quelque lumière. Quand il
l’eut entièrement perdue , je la lui rendis en agi-
tant la liqueur. Ce moyen étant devenu impuis-
sant ,
BANS LES DEUX S ICI LE S. l6l
sant , je me servis du calorique avec un égal
succès.
Ayant communiqué à ce lait le phosphore
d’une nouvelle méduse , je le versai de ma hau-
teur sur le plancher de ma chambre. Il forma
en l’air une espèce de petite cataracte très-
blanche, très-brillante ; et en touchant le sol,
il créa subitement comme un lac de lumière qui
ne tarda pas à s’obscurcir , et qui finit par s’é-
teindre totalement au bout de cinq minutes.
Je plongeai la main dans du lait en phospho-
rescence , et la retirant subitement , je la vis
tonte argentée ; ce brillant se dissipa bientôt ,
mais il se reproduisit momentanément par le frot-
tement. Cette lumière phosphorique s’attachait
non-seulement à la chair , mais au linge , ainsi
que je le remarquai sur un essuie-main dont les
bords avaient trempé dans la liqueur. Il rede-
venait lumineux, soit en le frottant, soit en le
chauffant.
Pendant le cours de ces expériences nocturnes,
j’eus occasion de reconnaître combien la forte
percussion de cette liqueur contre un obstacle
très-dur , est capable de ranimer en elle Je phos-
phore éteint. Ayant jeté par la fenêtre du lait
qui ne produisait plus de lumière , malgré qu%
Tome IF'. h
lf)2 VOYAGES
je l’agitasse dans son vase , je le vis à l’instant
du choc contre le pavé de la rue , briller d’une
clarté , passagère à la vérité, mais très-vive.
Au reste , ces phénomènes s’offraient dans
d’autres liqueurs , particulièrement dans l’eau
douce : le lait ne l’emportait sur elle que par
l’éclat et la ténacité de son phosphore.
Après avoir observé les diverses modifications
de cette lumière -, il me restait à savoir si elle
s’étendait dans tout le corps des méduses , ou
seulement dans quelques parties. Ce dernier
examen , ainsi que le précédent , ne pouvait
se faire dans leur élément natal. Outre qu’en
nageant , leurs tentacules restent couverts en
partie par l’ombelle , le mouvement qu’elles se
donnent, et celui de la mer, ne laissent distin-
guer en elles qu’un globe lumineux. Je pris donc
le parti de les placer dans des bocaux de verre
emplis d’eau marine , à travers lesquels je dé-
couvrais leur corps tout entier quand il brillait
dans l’obscurité. Il me parut d’abord que la lu-
mière était générale , mais plus vive dans les
grands tentacules et dans les bords de l’ombelle.
Ne sachant si elle existait par elle- même , ici
plus forte et là plus faible , j’attendis, pour m’en
assurer, que l’oscillation cessât par la mort pro-
chaine de l’animal. Nous avons dit comment sa
DANS LES DE 'U X. SICILE S. l63
propriété phosphorique lui survit , et les pré-
cautions qu’il faut prendre pour l’appercevoir.
Dans cet état de repos absolu , les bords seuls,
à l’exception du reste de l’ombelle, jetaient une
faible lueur; elle se montrait encore, mais moins
faible, dans les grands tentacules. Alors je ne
doutai plus que le véritable siège du phosphore
ne fût dans ces parties éclairées : les expériences
suivantes me prouvèrent que je ne me trompais
pas.
Que l’on fasse une section circulaire dans l’om-
belle d’une méduse vivante , de manière que ses
limbes ne forment plus qu’un anneau qui ait cinq
à six lignes de largeur ; que l’on passe le doigt
sous cet anneau , il brillera à l’instant dans la
partie touchée. Si on le coupe ensuite en plusieurs
morceaux, chacun donnera de la lumière en le
touchant, et continuera d’en donner pendant un
certain temps. Au contraire , le reste de l’om-
belle dépouillée de ses tentacules et de ses lim-
bes, restera totalement obscur, malgré tous les
stimulans imaginables.
On a vu plus haut que toute cette partie bril-
lante qui forme l’anneau , est revêtue en dedans
d’un tissu musculeux : serait-ce là le générateur,
ou du moins le coopérateur du phosphore ? Non ;
car ayant réussi à détacher et à enlever ce tissu,
L 3
!
VOYAGES
l64
la phosphorescence se manifesta comme aupa-
ravant. Mais cette lumière dépend , comme on
va le voir , d’une humeur un peu dense et vis-
queuse qui baigne le fond de l’ombelle.
Il n’est point de partie dans la méduse qui soit
plus brillante què les grands tentacules. Qu’on
les prenne , soit réunis , soit séparés > entre le
pouce et l’index 3 que d’un bout à l’autre on les
parcoure de ces deux doigts , il s’engendrera un
vif sillon de lumière dont la durée sera de quel-
ques secondes. Le même phénomène aura lieu
si on les détache de l’animal. On peut le répéter
à volonté huit , dix , et même douze fois , avec
cette seule différence, que la lumière s’affaiblit
graduellement. La raison en est évidente : la
phosphorescence ayant son siège dans une hu-
meur visqueuse qui s’attache aux doigts , chaque
frottement en emporte une portion 3 l’humeur
s’épuise et la lumière s’éteint. Les frictions opè-
rent de la même manière sur les limbes , et sur
la bourse attachée au sommet de la concavité
de l’ombelle , qui sont imprégnés , quoique plus
faiblement , de cette humeur. Quelques recher-
ches que j’aie faites , je n’ai pu découvrir dans
ces mollusques d’autres parties qui fussent douées
de lumière. Elles se réduisent à trois : les grands
tentacules , où la phosphorescence domine 3 les
PANS LES DEUX SICILES. lb5
limbes de l’ombelle , où elle règne plus faible-
ment ; et la bourse , où son action est encore
moins sensible. Cette dernière partie commu-
nique , comme nous l’avons dit, avec l’ouverture
de l’ombelle, qui est peut-être la boucbe de
l’animal.
Que ce pbospbore consiste dans l’humeur vis-
queuse, c’est de quoi les faits suivans ne permet-
tent pas de douter. Dans l’obscurité de la nuit ,
touchez avec le pouce et l’index Tune ou l’autre
des trois parties indiquées, l’humeur s’attachera
à vos doigts , et les fera briller d’une vive lu-
mière. Pressez les grands tentacules dans votre
main, et ouvrez-la 3 vous la trouverez tout- à-la-
fois lumineuse et gluante. Répétez ce jeu 3 vous
verrez reparaître le même phénomène tant qu’il
restera quelques particules d’humeur dans les
parties touchées 3 mais du moment qu’elles en
seront tout-à-fait dépouillées , vous aurez beau
faire, le phénomène ne se reproduira plus. Pal-
pez ensuite le reste du corps de l’animal , vos
doigts ne contracteront aucune viscosité , et ne
brilleront par conséquent d’aucune lumière. Ra-
massez avec la lame d’un couteau cette subs-
tance visqueuse , faites-la tomber dans un verre
plein d’eau ou de lait, remuez ce mélange avec
une spatule , il deviendra phosphorique. Expri-
L 3
VOYAGES
l66
iriez dans les mêmes fluides le corps même de
l’animal dépouillé de ses tentacules, de ses limbes
et de sa bourse , vous n’en obtiendrez aucun
effet semblable. Mais pour que l’humeur soit plei-
nement douée de sa vertu phosphorique, il faut
qu’elle soit récente , ou du moins extraite peu
après la mort de la méduse , autrement, n’étant
plus capable de luire par elle-même , elle peut
encore moins communiquer de la lumière à des
corps étrangers.
Nous remarquerons ici une différence très-
essentielle entre les méduses du détroit de Mes-
sine , et celles que j’ai eu occasion d’observer
dans d’autres mers. Ces dernières , soit pendant
leur vie , soit peu de temps après leur mort ,
ne sont point phosphoriques; elles ne le devien-
nent que lorsqu’elles tombent en pourriture ,
tandis que les premières produisent des effets
opposés.
Il est donc constant que la liqueur qui s’en-
gendre de la dissolution de nos méduses est d’une
autre nature que celle qui produit le phosphore.
La première s’étend et pénètre dans tout le corps |
la seconde a son siège dans trois de ses parties
seulement.
Toutefois joignons aux preuves précédentes
DANS LES DEUX S I C I L E S. 167
les deux faits suivans. Après avoir exprimé des
grands tentacules l’humeur visqueuse, leur phos-
phorescence cessait 5 mais ils n’en continuaient
pas moins de se résoudre en liqueur. De plus ,
en coupant transversalement ces parties pendant
la vie de l’animal, c’est-à-dire, dans le teipps
qu’elles jetaient le plus de lumière, le plan de
l’incision restait dans l’obscurité , malgré l’écou-
lement très-abondant du produit de la dissolu-
tion : la surface seule des tentacules où réside
la substance phosphorique paraissait éclairée.
Je n’ai pu , faute de moyens , analyser chimi-
quement ces deux liqueurs j'mais elles se faisaient
suffisamment distinguer parleur saveur.La liqueur
de dissolution , chargée de muriate de soude ,
n’incommodait point l’organe du goût : la liqueur
ph osphorique lui causait toujours une sensation
douloureuse. Deux fois j’ai essayé d’en goûter
avec le bout de la langue t et j’y ai ressenti une
impression brûlante qui a duré plus d’un jour.
Il en tomba par hasard une goutte sur mon œil ,
qui fut suivie d’une douleur très-cuisante. Enfin,
quand j’avais touché pendant quelque temps ces
animaux , la peau même de ma main en était
afFectée.
Les méduses phosphoriques du détroit de Mes-
sine ne sont pas les seules dont l’attouchement
L 4
VOYAGES
168
provoque ces sensations cuisantes; j’en ai trouvé
dans le golfe de la Spezia qui , sans être lumi-
neuses , causaient les mêmes effets. Aristote et
Pline n’avaient donc pas tort de donner le nom
d 'orties à ces mollusques , quoique leur genre
comprenne des espèces très-innocentes , telles
que celles des cotes du Poitou décrites par Réau-
mur, et d’autres que j’ai rencontrées moi-même
dans le bosphore de Thrace.
Encore quelques remarques, et j’aurai terminé
l’histoire de mes méduses. Je les observais en
octobre ; à cette époque de l’année elles étaient
très-abondantes, et se plaisaient particulièrement
dans les eaux calmes. Ce qu’il y a de certain 3
c’est qu’elles ne peuvent résister aux vagues ,
qui les poussent et les laissent à sec sur le ri-
vage. A Messine , on les appelle brorrii ; les ha-
bitans m’ont assuré qu’ils en voyaient en tout
temps dans leur canal. Durant le cours de mes
navigations autour des îles Æoliennes , je n’ai
su en découvrir que deux , et ce fut près de
Vulcano. A Lipari elles sont très-communes; on
les appelle chandelles de mer .
Une fois je vis un petit poisson qui s’était
pris à l’humeur visqueuse des tentacules d’une
méduse. Les pêcheurs de l’endroit m’assurèrent
que cela arrivait fréquemment. Ces appendices
ï) A N S LES DEUX SICILES. lGg
des méduses leur seraient -elles données, non-
seulement pour répandre de la lumière , mais
pour leur servir comme de gluau pour attra-
per les petits êtres vivans dont elles font leur
nourriture ? Pline le pensait ainsi : son opinion
n’était pas dépourvue de fondement.
Je suis porté à croire que ces animaux sont
habiles à se propager sans le concours d’un autre
individu de leur espèce , et je tire cette conjec-
ture, non de ce que je n’en ai jamais rencontré
deux accouplés ensemble , mais de ce que j’ai
constamment observé en eux une parfaite simi-
litude d’organes. L’extrême transparence de leur
corps m’en laissait découvrir tout l’intérieur. J’ai
souvent cherché à reconnaître s’ils étaient ovi-
pares ou vivipares , sans parvenir à éclaircir mes
doutes ; j’ai apperçu seulement dans l’ombelle
des grandes méduses, à peu de distance des tubes
trachéïformes , comme un amas de petites boules
qui n’existaient point dans les jeunes méduses 5
plus leur ombelle acquérait de grosseur, plus
ces petits corps sphériques devenaient apparensj
d’où j’ai présumé que ce pouvait être des œufs 5
mais le temps ne m’a pas permis de donner des
suites à cette observation.
On pourrait caractériser ainsi cette nouvelle
espèce de méduse : Médusa phospkorea , orbi -
VOYAGES
IJO
cularis , convexiuscula , margine fimbriato 3
subtus quinque cavitatibus 9 tentaculis quatuor
crassioribus centralibus , octo tenuioribus la -
teralibus longioribus .
Je terminerai ce chapitre en faisant mention
d’autres petits animaux phosphoriques des mêmes
parages , à qui on a donné le nom de mouches
marines luisantes . Vianelli de Chiozza a été le
premier à les faire connaître , en prouvant que
les lumières errantes qui brillent pendant les nuits
obscures à la surface de la mer dans la lagune
de Venise , sur-tout quand elle est sillonnée par
les gondoles , ou frappée par les rames , pro-
viennent de ces petites mouches très-multipliées
en cet endroit. Ce n’est pas cependant la seule
partie de la Méditerranée où elles soient répan-
dues : j’en ai découvert dans la rivière de Gênes
cinq nouvelles espèces , que j’ai décrites dans
les Mémoires de la Société italienne , tome II ,
page 2.
Cês phosphores vivans ne m’ont point apparu
dans la mer qui baigne les îles de Lipari 5 mais
je les ai retrouvés sur les côtes de la Sicile , dans
les hauts-fonds tapissés d’algues. Ces plantes ,
dans les ténèbres de la nuit, semblaient étinceler,
sur-tout en les agitant avec le bout d’une rame.
J’en saisis plusieurs touffes, et je découvris que
DANS LES DEUX SICILE S. 171
la cause du phénomène résidait dans une multi-
tude de ces mouches qui étaient attachées à l’al-
gue. Pour les examiner à mon aise , je mis mon
paquet d’herbe dans un vase plein d’eau de mer
que j’emportai avec moi à Messine. M’étant ren-
fermé dans une chambre obscure , je parvins à
les détacher de la feuille d’algue , soit en les
saisissant doucement avec la pointe des doigts ,
guidé par la lumière qu’elles renvoyaient , et qui
m’indiquait l’endroit précis où elles étaient fixées,
soit en secouant la plante dans l’eau, après avoir
mis un linge au fond du vase. Elles y tombaient
parce qu’elles étaient spécifiquement plus pe-
santes , et le linge qui les avait reçues parais-
sait tout couvert de points brillans. Alors il me
fut facile de les observer avec une loupe , et j’y
distinguai deux espèces différentes. Comme ces
deux espèces se rapportent à celles que j’ai ren-
contrées en allant à Constantinople, je me réserve
de les décrire dans la relation que je publierai
incessamment de ce dernier voyage. En atten-
dant, on saura que ces petites mouches phos-
phoriques dont l’existence a été ignorée si long-
temps , quoiqu’elles se montrassent à tous les
yeux, n’habitent pas seulement la lagune de Ve-
nise , mais encore la mer de Sicile et de l’Archipel ,
celle de Marmara , le détroit de Constantinople
et la mer Noire,
VOYAGES
CHAPITRE XXVIII.
ulres mollusques découverts dans le détroit
de JSlessine .
îi a mer de Messine m’avait offert une recréa-
tion aussi amusante qu’instructive , dans le spec-
tacle de ses méduses phosphoriques jouant à la
surface de ses eaux. Les divers animaux qu’elle
recèle dans son sein n’étaient ni moins curieux ,
ni moins intéressans à connaître. Je parvins , au
moyen des filets qui servent à la pêche du corail,
à me procurer ceux dont je vais donner la des-
cription.
I. Nouvelle espèce d’ascidie dont le genre
est ainsi défini par Linné : Corpus fiscum y te -
retiusculum > vaginans. ud perturœ binœ ad
summitatem : altéra humiliore .
Sa forme et ses dimensions naturelles sont re-
présentées dans la planche VII , fig. i. Deux
autres petits animaux de son espèce (BC), dont
nous ferons abstraction pour le moment, sont
attachés à son corps.
Cette ascidie n’est point errante dans la mer$
on la trouve toujours enracinée par son extrémité
DANS LES DEUX SICILE S. 175
inférieure aux rochers, aux pierres , ou à d’au-
tres matières solides ( fig. 1 , G ). Son extrémité
supérieure se partage en deux becs obtus et sail-
lans , l’un plus gros et plus élevé , l’autre plus
petit et plus bas. Ces deux becs ont à leur centre
une ouverture qui se ferme quand l’animal est
tiré hors de l’eau ; qufs’ouvre peu à peu , et reste
en cet état quand on le plonge dans un verre
plein d’eau de mer , et que le fluide agité par
l’immersion a repris son assiette (fig. 2, M N J.
L’ouverture supérieure se montre plus grande que
l’inférieure 3 la première représente une étoile à
huit rayons, la seconde une étoile à sept rayons.
Si Ton donne une commotion au vase , l’animal
ferme à-la- fois ses deux ouvertures avec moins
de lenteur qu’il n’en met à les ouvrir.
Il est des mollusques de mer, tels que certaines
olotures , qui , pris simplement dans la main ,
lancent comme un jet , l’eau qu’ils avaient en-
gloutie. L’ascidie dont il est ici question la re-
çoit également par ses ouvertures 5 elle s’en sa-
ture en quelque façon , mais ne s’en dessaisit pas
si l’on se contente de la manier légèrement : il
faut la comprimer 5 alors son eau s’échappe et
jaillit en l’air. Quand elle est entièrement vide,
elle paraît ridée et flétrie ; mais il suffit de lui
redonner de l’eau pour qu’elle rouvre ses orifices.
VOYAGES
174
en remplisse son corps , et devienne aussi ronde
qu’auparavant.
Dans les diverses études que j’ai faites des
productions organiques de la mer , j’ai connu
par expérience de petits animaux qui , en absor-
bant l’eau par la bouche , excitaient dans ce
fluide une espèce de tourbillon. Mon ascidie n’a
pas ce pouvoir : l’eau y entre presqu’insensible-
ment, en occupant peu à peu son vide intérieur.
Il est facile de suivre des yeux ses progrès avec
la plus grande précision , en la teignant de co-
chenille 5 car l’animal peut , sans incommodité
apparente , vivre pendant plusieurs heures dans
cette teinture. On voit alors, sur-tout avec le
secours d’une loupe , les atomes rouges de la co-
chenille pénétrer lentement avec l’eau dans les
deux orifices , et remplir le vide de l’animal ,
sans qu’il s’engendre dans le fluide coloré aucun
tournoiement. Au bout de quelque temps , le
mouvement lent des atomes s’arrête, c’est-à-
dire , quand la cavité intérieure est occupée par
le fluide. On peut le faire sortir de nouveau du
corps de l’animal en le comprimant entre les
doigts, et recommencer, si l’on veut, l’expé-
rience.
Si, après avoir vidé ce mollusque, on le plonge
dans un vase , en tenant un de ses orifices hprs
D À N $ L E S D E U X S I C IL E S. 170
de l’eau , celui qui se trouve dans le fluide ,
soit le supérieur, soit l’inférieur , en sature plei-
nement le corps de l’anirnal , ce qui prouve qu’il
existe une communication entr’eux. En voici
une autre démonstration. Si , au moyen d’un
petit tube, on fait entrer de l’air par l’orifice
supérieur, il sort par l’inférieur , et réciproque-
ment 5 de plus , si l’on en bouche un pendant
que l’on souffle dans l’autre , l’animai s’enfle
comme une outre , sans que l’àir trouve d’issue
ailleurs.
Au reste , il paraît certain que l’ouverture su-
périeure fait les fonctions de la bouche, et l’in-
férieure celles de l’anus. J’ai vu des ascidies se
décharger , par cette dernière voie , de matières
qui avaient toute l’apparence d’être excrémen-
teu ses.
A la réserve de l’action d’ouvrir et de fermer
lentement ses deux orifices, l’espèce que nous
décrivons ne manifeste aucun mouvement , de
quelque manière que l’on s’y prenne pour la
stimuler , soit en la piquant, soit en la coupant
par morceaux.
Les plus grandes ont à-peu-près deux pouces
de longueur sur un de largeur ; elles augmentent
de volume à mesure qu’elles prennent de l’âge :
VOYAGES
j’en ai vu qui n’avaient pas encore plus de deux
ligues de grosseur. Leur couleur est cendrée ti-
rant sur l’azur , semi-transparente , et presque
semblable à celle de la calcédoine vulgaire. Pour
l’ordinaire, elles ont la peau lisse à l’extérieur 5
quelquefois raboteuse , à cause des petits lima-
çons qui s’attachent sur leur dos et sur leurs
flancs, de manière qu’une ascidie devient souvent
le support de plusieurs êtres vivans. En faisant
une incision longitudinale à la peau, sans offenser
les parties intérieures , on la trouve dure , co-
riace , et on s’apperçoit qu’elle n’est autre chose
qu’une gaîne qui enveloppe et protège le corps
mou et tendre de l’animal : on peut la lui enlever
sans lacération 3 car , à l’exception de la région
des orifices , où elle a quelque adhésion , par
tout le reste du corps elle est presque libre.
La figure 3 représente cette peau coriace
coupée longitudinalement, et se tenant debout
par sa seule consistance et son élasticité. La fi-
gure 4 expose le corps dépouillé de l’animal ,
avec ses deux becs obtus et leurs ouvertures
radiées.
Dans cet état, il paraît presque gélatineux 3
plongé dans l’eau, il ouvre comme auparavant
ses deux orifices 3 et s’il est vide , il se remplit
comme à l’ordinaire de ce fluide. Sa couleur est
d’un
DANS LES DEUX SICILE S. 177
d’un blanc délicat , excepté près du grand orifice ,
où elle est tachetée de points rouges. En l’op-
posant aux rayons du soleil , on y remarque deux
ordres de filets très-nombreux, les uns placés
longitudinalement, les autres par le travers. Pour
rendre ces deux ordres très- distincts , il suffit de
mettre l’animal dans l’eau-de-vie , ou de le gon-
fler outre mesure ( fig. 5 ).
Quand on examine attentivement ces filets ,
on s’apperçoit que ce sont autant de muscles
qui laissent entr’eux de petits espaces quadran-
gulaires , et sont destinés par la nature , les lon-
gitudinaux à raccourcir par leur action la lon-
gueur du corps , les transversaux à opérer le
même effet sur la largeur. Ce double mouvement,
quoique très-léger, est visible dans le corps dé-
pouillé de sa peau : il ne l’est plus quand il en
est revêtu. Les muscles tournent autour des deux
orifices , et cela pour les fermer à la volonté de
l’animal. La figure 5 exprime ce tissu muscu-
leux i on y voit en outre plusieurs lignes noires
avec des directions irrégulières , qui s’entre-
coupent , et forment des anastomoses comme les
rameaux de Yisis noble ; ces lignes représentent
de petits faisceaux très-déliés qui s’entrelacent
dans les muscles, et dont je n’ai pu découvrir
l’usage.
Tome Ifrf M
VOYAGES
î78
L’animal étant nu , si on lui ôte son eau pour
la remplacer avec de l’air , on découvrira dans
son intérieur un canal dont le fond est en forme
de poire ; il correspond à la partie inférieure du
corps , s’élève en s’amincissant , fait deux cour-
bures sur lui-même, et va aboutir au petit ori-
fice F G H (fig. 6).
En comprimant légèrement ce canal, soit à
sa base , soit dans ses parties du milieu , on en
fait sortir , par l’orifice où il aboutit, une abon-
dance de matière grenue qui , vue au microscope,
est comme un amas de petites vessies dont cha-
cune renferme un globule centrai de couleur
jaune , l’un et l’autre si délicats , qu’au moindre
attouchement ils se décomposent ( fig. 7 ). A l’ex-
ception de ce canal et de celui qui fait la com-
munication entre les deux orifices , et encore du
double ordre de muscles enveloppés de faisceaux
irréguliers , tout le reste du corps est composé
départies tellement muqueuses et similaires, que
je n’ai su y distinguer aucun autre viscère , ou
organe caractérisé.
Mais que penser des globules renfermés dans
ces vessies transparentes ? sont-ce les œufs ou les
fétus de l’animal ? Avant d’exposer ce que je
soupçonne à cet égard, je dois porter un moment
l’attention du lecteur sur les petites ascidies que
DANS LES DEUX SICILE S. 17g
l’on trouve par fois attachées aux grandes ï on
en voit deux dans cette situation, figure 1 et 2.
L’une , C , adhère uniquement à la grosse ascidie 3
l’autre , B , tient en partie à la concrétion marine
dans laquelle la grosse ascidie est enracinée. Leg
deux petites sont en tout semblables aux adultes 3
elles ont , comme ces dernières, leurs vessies et
leurs globules 5 la seule différence est dans la
quantité , qui est moindre. J’en ai trouvé d’aussi
jeunes qui étaient solitaires et fixées aux rochers
sous-marins 5 mais j’ai voulu observer de préfé-
rence celles qui naissent et se développent sur
le corps des autres , pour découvrir s’il était des
liens qui unissent les premières aux secondes. J’ai
reconnu qu’il n’existait aucune communication
interne, et que l’adhésion ne tenait qu’à la peau.
Ceci est clairement exposé dans la figure 3 ,
où l’on voit une peau évidée , à laquelle sont
restées attachées les deux petites ascidies B, C *
qui n’ont souffert nullement de cette opération.
De plus, il est possible de les séparer sans écor-
cher leur peau , ce qui prouve que si elles se
collent ensemble , c’est uniquement par le moyen
d’un suc visqueux qui baigne toujours ces ascidies
dans leur premier âge. Ce suc est encore la cause
que d’autres petits animaux étrangers s’y at-
tachent , comme nous l’avons remarqué plus
haut.
M a
VOYAGES
i8o
Cette observation démontre que la génération
de cette espèce d'ascidie n’a aucun rapport avec
celle des polypes décrits par Tretnbley , hydra
viridis ; h . fusca ; h. grisea , Linn. quoiqu’au
premier abord on soit tenté de croire le contraire :
mais les petits polypes pullulent sur les grands,
et leur corps est une continuation de celui de leur
mère. Cependant je ne serais pas éloigné de pen-
ser que ces globules microscopiques renfermés
dans des vessies, constituent les œufs ou les rudi-
mens de nos mollusques ; qu’en sortant de leur
canal, ils restent attachés au corps de la mère 5
et que, dans cette situation , ils se développent
et croissent, ce qu’ils font également s’ils viennent
à tomber et à se fixer sur d’autres matières so-
lides dans le fond de la mer. Au reste, ceci n’est
qu’une conjecture , et je laisse à des physiciens
plus heureux que moi le soin de la vérifier ou
de la détruire.
En comparant les diverses espèces d’ascidies
décrites par les naturalistes , je trouve que celle
qui a le plus de rapport avec la mienne est le
tethyum de Bohadsch , qu’il a caractérisé de la
manière suivante : Tethium corïaceum , asperum
coccineum y organorum orificiis setis exiguis
munitis (1)5 et que Linnée, en le plaçant dans
(1) De quibusdam animalibus mariais . Dresdæ, 1761.
DANS LES DEUX SICILE S. 1 B 1
îe genre des ascidies , a défini ainsi : ^4 scidîa
scabra tuberculis coccineis. Mais si ce mollusque
a quelque ressemblance avec le mien, il en diffère
par des traits essentiels. Sans parler de sa taille
qui est toujours plus considérable , de sa couleur
qui est rouge , de sa peau qui est raboteuse et
grenue , je ferai remarquer que son ouverture
supérieure est en forme de croix, que l’inférieure
est triangulaire , et que les bords des deux orifices
sont garnis de petites soies : caractères qui ne
se rencontrent pas dans notre mollusque.
On pourrait le définir de la manière suivante :
u4scidia coriace a lœvis subdiafana ; apertura
superiore octogona ,• humiliore eptagona .
IL Après avoir arraché le corail du fond de
la mer, si on le plonge subitement dans un vase
plein d’eau marine, on découvre souvent sur ses
rameaux un petit animal qui , par la bizarrerie,
la singularité de sa forme , mérite quelqu’atten-
tîon. Il est représenté dans la figure 8 un peu
au-dessus de sa grandeur naturelle , pour le
rendre plus apparent. Sa tête M s’élargit des
deux côtés ; sa bouche est placée au-dessous.
Ses tentacules latéraux sont au nombre de onze,
cinq à gauche et six à droite. La privation d’un
sixième tentacule au côté gauche n est point
accidentelle : sur treize individus que j’ai exa-
M 3
VOYAGES
182
minés , je n’en ai pas trouvé un seul autrement
configuré. Les deux tentacules antérieurs H, I ,
sont rétractiles comme ceux de l’escargot 5 l’ani-
mal peut les retirer dans les deux étuis X , Z , et les
en faire sortir à volonté ; quant aux neuf autres jls
gardent toujours la même position où on les voit
représentés, soit que l’animal se meuve, soit qu’il
t'este en repos. De ces derniers , il y en a sept
terminés par trois dents, qui sont O , R, T, V,
L , Q , S ; et deux terminés par quatre dents, P,
N. La pointe Y , forme l’extrémité inférieure de
l’animal. Quand on le tire de l’eau , on le trouve
revêtu d’une humeur visqueuse qui s’attache aux
doigts , et s’alonge en petits fils comme celle
qui enveloppe l’escargot. Son corps est assez
charnu, d’un gris cendré tirant sur le jaune, et
marqué tout le long du dos par une bandelette
de couleur plus claire où l’on apperçoit un mou-
vement régulier de contraction et de dilatation.
J’ai pensé que c’était-là le cœur , ou quelque
organe analogue , tel que celui qui se présente
au dos des chenilles et d’autres insectes. Il ne*
nage point, mais il se traîne et rampe sur les ra-
meaux du corail à la manière des vers terrestres
et aquatiques, s’alongeant et se contractant tour-
à-tour. La partie inférieure de son corps , que
l’on pourrait appeler ses pieds , a beaucoup d’a-
nalogie avec celle des limaçons. Quoiqu’il soit
DANS LES DEUX SICILE S. 1 83
incapable de nager , il peut, en se gonflant , venir
à fleur d’eau.
Placé au sec, il garde encore la vie quelque
temps 5 mais il meurt promptement si on le plonge
dans l’eau douce. J’ai éprouvé que cette eau est
un poison très-actif pour la plupart des petits
animaux marins , et qu’elle peut même en peu
d’instans décomposer leurs membres.
J’ai du regret de laisser imparfaite l’histoire
de ce curieux animal 5 mais , faute de loisir , je
n’ai pu porter plus loin mes observations. Dans
quel genre le placerons-nous ? Les mollusques
avec lesquels il paraît avoir le plus d’affinité, sont
les limaçons et les doris 5 cependant les caractères
de ces deux genres ne lui conviennent point ,
comme on peut s’en assurer en consultant Linnée.
Doit-il constituer un genre nouveau? c’est ce
que je laisse à décider aux naturalistes plus versés
que moi dans ces matières.
III. On sait que les escares sont une espèce
de croûte mince , composée pour l’ordinaire
d’une substance calcaire, qui se trouve à la sur-
face des corps solides sous-marins où elle est
comme enracinée , et qui présente plusieurs or-
dres divergens de cellules, au fond desquelles
sont implantés de petits polypes munis de bras
M 4
VOYAGES
3 84
filamenteux. Divers auteurs anciens et modernes
en ont parlé , et après Linnée, ce genre de zoo-
phite a été augmenté d’un grand nombre d’es-
pèces par Pallas , qui ne les a observées pour
la plupart que dans leur état de mort , et ne
les a décrites que d’après leurs dépouilles con-
servées dans divers cabinets d’histoire naturelle;
mais la nature a tellement multiplié et diversifié
les substances organiques dans le sein du vaste
Océan , que, malgré la découverte de tant d’es-
pèces , il n’est pas difficile d’en trouver encore
de nouvelles. Telle est peut-être celle qui vé-
gète sur les coraux , et autres corps sous- marins
du détroit de Messine , simple dans ses commen-
cemens, se ramifiant dans ses progrès, et s’éten-
dant jusqu’à couvrir de ses ramifications les corps
auxquels elle s’est attachée. La figure 9 en
donne une représentation au microscope : on la
voit un peu plus que naissante. Elle est formée
de petites cellules applaties et ovales, d’une subs-
tance membraneuse et calcaire ; chacune pré-
sente dans sa partie supérieure une petite bouche
avec une saillie longitudinale au-dessous. Je puis
. dire que j’ai vu cette production s’engendrer sous
mes yeux, en la tenant dans un vase rempli d’eau
marine souvent renouvelée. D’abord il n’existait
que le tronc A D formé de quatre cellules A,
B , C, D , chacune logeant son polype. Ce tronc
1 85
DANS XES DEUX SICILE S.
crut dans une direction perpendiculaire, et pous-
sa deux rameaux latéraux ÎX) , E M. Alors les
polypes des quatre cellules inférieures périrent
et il en naquit six autres , savoir deux , S , X , dans
la partie alongée du tronc , et quatre, I, L, Z , V,
dans les deux rameaux. J’ai presque toujours
„ observé que les plus anciennes cellules perdent
leurs habitans , et que * par une sorte de com-
pensation, les nouvelles en acquièrent ; mais ces
dernières ne les possèdent point, ou ne les ma-
nifestent pas incontinent après leur formation.
Ainsi , dans le temps que les six polypes en ques-
tion apparurent , les quatre cellules supérieures
O , N , P, M , n’en produisaient point encore au-
dehors.
Cette escare continua de pousser successive-
ment de nombreux rameaux qui se pressèrent
les uns contre les autres. J?ai cru inutile d’en
donner la figure entière , ce que j’en ai montré
suffît pour mon objet. Elle s’étendit en forme
de croûte très-mince , de nature calcaire , qui ,
éprouvée par l’acide nitrique délayé dans de
l’eau , se décomposa en peu d’instans avec effer-
vescence.
Passons maintenant aux polypes, qui en étaient
la partie la plus intéressante. Je plaçai un mor-
ceau de l’escare dans un verre de montre que
VOYAGES
iS G
Remplis d’eau marine. Cette eau étant parfai-
tement calme, je vis, au moyen de ma loupe,
les polypes sortir des cellules en manière de pe-
tits cylindres, avec leurs bras déployés au som-
met. La figure g montre six de ces polypes ;
chacun était muni d’environ douze bras, qui, par
leur position , représentaient presqu’une cloche
renversée. Ces bras, en s’agitant continuellement,
engendraient un mouvement circulaire dansl’eau,
et ce mouvement la faisait accourir dans le fond
de la cloche , où était placée la bouche de l’ani-
mal. En recevant l’eau , il 'se rendait ainsi maître
des corpuscules qui y flottaient , et il pouvait
choisir les plus convenables à sa nourriture. Au
reste , cet artifice est commun à une infinité de
petits animaux marins auxquels la nature a re-
fusé la liberté de changer de place , et qui vivent
et meurent aux lieux où ils sont fixés. Ne pouvant
aller à la quête des alimens , les alimens les vien-
nent chercher.
Quand, par accident, il se faisait une commo-
tion dans l’eau , ou que je l’agitais à dessein ,
mes polypes , fermant leurs bras , se retiraient
incontinent dans les cellules par un petit trou
rond pratiqué à leur sommet. Ils y restaient ca-
chés jusqu’à ce que l’eau eût repris son état
de repos 5 alors , sortant de nouveau , ils éten-
DANS LES DEUX SICILE S. 187
daîent leurs bras et recommençaient leur jeu.
Souvent ils rentraient tout- à -coup dans leurs
demeures sans qu’aucun mouvement parût trou-
bler le calme de l’eau. La transparence des cel-
lules permettait de les contempler dans leur in-
térieur 3 le corps courbé en arc , et les bras
groupés ensemble : leur couleur jaunâtre aidait
encore mieux à les faire remarquer. Je les ai
vus se mouvoir dans leurs retraites; et , quoique
je ne me sois point apperçu qu’ils y fussent fixés
par la partie inférieure de leurs corps , cependant
j’ai soupçonné une adhérence dans cette partie 3
parce qu’elle restait constamment en contact
avec un point de la cellule dans les divers mou-
vemens qu’ils se donnaient.
Au bout de quelques jours ils ne sortirent
plus , mais ils continuèrent de se mouvoir dans
leur habitation ; ensuite ils cessèrent de vivre ,
et je pus encore observer leurs cadavres à moitié
consumés. Pendant ce temps- là , de nouvelles
cellules pullulaient avec de nouveaux polypes.
Ceux-ci parurent d’abord immobiles , bientôt ils
s’animèrent , sortirent de leurs cellules , et agi-
tant leurs bras , formèrent , comme leurs pré-
décesseurs , de petits tourbillons dans l’eau.
A l’inspection de la figure g , on s’apperçoit
que chaque nouvelle cellule s’attache à l’ancienn e
VOYAGES
l88
par la partie voisine du trou qui sert d’issue au
polype : je ne doute pas que ces cellules et leurs
hôtes ne doivent leur origine à des germes ou ru-
dimens provenus de vieux polypes, quoique ,, par
leur petitesse , ces germes échappent à la vue.
Voici comment je caractérise cette espèce
d’escare : j Escara membranaceo-calcareci ^ ra -
mosa j cellalis ovatîs subcompressis 3 facie una
porosis , polypis retractilibus .
IV. La description de l’animal suivant confir-
mera une découverte que je fis pour la première
fois en 1786, étant à Constantinople , et me li-
vrant à l’étude des productions organiques du
Bosphore de Thrace ; je veux parler de la cir-
culation des fluides dans certains polypes , phé-
nomène qui s’est représenté à mes yeux dans un
polype du détroit de Messine. Ayant amené dans
mes filets* quelques feuilles de plantes marines,
j’en remarquai une qui portait sur ses bords une
sorte de duvet. Curieux d’examiner ce que ce
pouvait être , j’en pris un morceau , que je posai
incontinent dans un verre concave rempli d’eau
marine. Je m’apperçus alors que ce duvet n’était
autre chose qu’un réceptacle de polypes que la
figure 1 o représente dans sa grandeur naturelle.
A B est le morceau d’herbe couronné de chaque
DANS LES DEUX SICILE S. 1 89
coté par une multitude de polypes. A l’exception
de trois qui sont ramifiés , tous les autres sont
simples. Ils sont attachés par la jambe , et s’élè-
vent dans une direction perpendiculaire à l’herbe
qui leur sert de support. Mais pour distinguer
la forme et l’organisation d’un si petit animal,
il faut le considérer au microscope ; alors son
image s’ofFre telle qu’on la voit dans la figure 1 1 .
Il paraît d’abord que l’adhésion C C du polype
avec l’herbe s’effectue sans l’aide de racines ou
de barbillons, et que l’animal y tient immédia-
tement par sa jambe. Elle s’élargit dans sa par-
tie supérieure , et prend la forme d’une poire ,
HEM S : je donnerai à cette partie le nom de
cloche.
Au-dessus de la cavité M E de cette cloche ,
s’élève un globe un peu applati , dont le centre
est percé d’un petit trou N : nous verrons plus
bas que ce trou est la bouche de l'animal.
Sous le globe et à la base de la cloche, s’é-
tendent ses bras terminés en pointe. J’en ai comp-
té quinze dans cet individu 5 mais le nombre n’en
est pas fixé , et j’ai vu d’autres individus de son
espèce qui en avaient plus ou moins.
En donnant une secousse à l’eau, l’animal les
fait rentrer dans la cloche; il y cache aussi cette
VOYAGES
1€)Q
partie de lui-même qui a la forme d’un globe.
Le reste du corps et la jambe restent toujours
dans une parfaite immobilité.
Ses bras étendus , tels qu’on les voit ici , sont
représentés dans un état de repos et d’inaction,
mais il les agite à volonté 5 comme l’escare , il sait
au besoin produire dans l’eau un mouvement cir-
culaire qui l’attire vers sa bouche.
Pour s’assurer que l’orifice N est l’organe qui
en fait les fonctions , il suffit que l’observateur
se place de manière que son œil puisse le fixer
verticalement de haut en bas. Dans cette situa-
tion , il verra cet orifice s’élargir , se rétrécir ,
se fermer, s’ouvrir, recevoir les atomes flottans
apportés par le tourbillon d’eau qu’excite le
polype , et ces alimens descendre dans un petit
canal contigu avec la bouche , et d’autant plus
aisé à distinguer que l’on aura eu soin de donner
à l’eau une teinture légère. C’est encore au moyen
de ces divers mouvemens que le globe, au som-
met duquel est située la bouche , prend des
formes diverses.
Les polypes de la figure 10 furent, non les
uniques , mais les premiers qui me tombèrent
sous la main 5 j’en découvris ensuite des multi-
tudes de la même espèce sur d’autres rameaux
DANS LES DEUX SICILES. igt
de fucus. Les plus grands avalent quatre lignes
de longueur, les plus petits une demi -ligne 5
et ces derniers, tenus dans une eau souvent re-
nouvelée , ne tardèrent pas d’acquérir la gran-
deur des premiers. Leur couleur blanche les fai-
sait aisément distinguer à l’œil nu de l’herbe à
laquelle ils étaient attachés 3 en les regardant
avec une loupe, ils paraissaient transparens, et
cette transparence permettait de contempler la
circulation de leurs humeurs.
Le long de la jambe C C R S de chaque po~
tyPe > on voit une colonne d’atomes qui s’élève
et passe par l’axe de la cloche. Je crus d’abord
que ces atomes faisaient partie de l’organisation
de l’animal : point du tout ; ils étaient, non fixes,
mais mobiles , et destinés à la fonction que rem-
plissent les globules rouges du sang dans les ani-
maux d’un ordre supérieur. Or voici comment
la nature a déterminé dans nos polypes le mou-
vement de ces atomes. Au bout de cinq ou six
minutes , on les voit monter rapidement du fond
de la jambe C C , et pénétrer dans le milieu
longitudinal de la cloche M C R S. Cependant
leur nombre diminue dans la jambe 3 ils se réu-
nissent presque tous dans la cloche , et y pro-
duisent , par leur mouvement général, une sorte
d’ébullition qui dure quelques secondes; ensuite
VOYAGES
3()S
ils descendent par le même chemin qu’ils ont
pris en montant , et se reportent à l’extrémité
inférieure C C de la jambe. Là , ils restent en
repos pendant un court intervalle , et c’est en
les voyant dans cet état que je les avais pris pour
une portion solide de l’animal ; mais bientôt ,
animés deleur premier mouvement, ils remontent
le long de la jambe, se réunissent dans la cloche,
y reproduisent une ébullition intestine, et redes-
cendent à la place d’où ils sont partis. Cette al-
ternative de repos et d’ascension est constante y
régulière 5 sans doute elle suppose l’existence
d’un canal longitudinal , mais je n’ai pu en ap-
psrcevoir l’orifice à cause de la transparence des
polypes.
De tous ceux que j’ai examinés , je n’en ai
pas trouvé un seul , grand ou petit , qui n’ait
manifesté cette circulation régulière , et telle
que je l’ai décrite quand l’animal était plein de
vie, mais plus ou moins altérée quand il sôuffrait :
ce qui arrivait toutes les fois qu’il était tenu dans
une eau non renouvelée. Alors le mouvement
des atomes finissait au milieu de son cours sans
jamais se réveiller , ou s’il se réveillait après un
certain intervalle , c’était avec peine et pour peu
de temps 5 ou bien il conservait sa régularité ?
mais ne procédait plus qu’avec une extrême len-
teur.
BANS LES BEUX S ICI LE S. lg 5
teur. Je ne puis m’empêcher de remarquer ici
l’accord qui règne entre ces phénomènes , et
ceux de la circulation languissante de certains
animaux de diverse température que j’ai observés
et décrits dans un autre ouvrage (i). Au reste ,
pour mieux appercevoir celle de nos polypes ,
il faut les regarder j non dans le sens de leur
longueur i mais en travers 5 autrement le canal
des alimens situé dans le premier sens 3 étant plus
ou moins embarrassé de matières avalées par
l’animal , troublerait la vue des atomes cireu-
lans.
j’eus la curiosité de couper transversalement
la jambe de plusieurs de ces polypes , et d’en
placer d’autres, entiers et pleins de vie , dans l’eau
douce. Attentif aux résultats, voici ce que j’ob-
servai : dans les premiers, les atomes fluides qui
font l’office du sang ayant abandonné leur mou-
vement périodique , s’épanchèrent par l’incision ,
comme le sang qui coule d’une veine ouverte;
dans les seconds , la circulation s’étant arrêtée
tout-à-coup , les bras de l’animal devinrent lan-
guissans et pendans le long de son corps , qui
bientôt éprouva une entière décomposition.
(1) Fenomeni délia circolazioné considerata nel giro
universale de’ vasL
Tome IfT',
N
VOYAGES
194
J’en plongeai quelques-uns dans un vase d’eau
marine échauffée à trente-huit degrés, et par
conséquent d’une température bien supérieure
à celle de la mer. Ils périrent tous au même
instant : mais la plupart des animaux qui habitent
cet élément sont sujets à y vivre dans des tem-
pératures inégales , et ces mêmes polypes se
portaient très-bien dans l’eau des vases où je
les tenais , quand la chaleur de l’atmosphère
marquait vingt et un degrés. Cette chaleur était
sans contredit beaucoup plus forte que celle des
fonds de mer où ils croissent et multiplient.
Mais quel est le principe efficient de cette cir-
culation ? quelle force détermine les atomes à
se mouvoir le long de la jambe des polypes , à
se porter dans l’intérieur de la cloche, et quelle
autre force contraire les en fait descendre? Il
faut éloigner ici toute idée de cœur , ou d’or-
gane analogue , tel que serait la grande artère
de certains insectes, de certains vers , qui s’étend
à fleur de peau le long de leur dos , et chasse,
par un mouvement de systole très-sensible , le
sang de la partie postérieure de leur corps à
la partie antérieure ; du moins je n’ai discerné
rien de semblable dans le corps de nos polypes.
On pourrait supposer que les parois delà cloche,
trop distendues par l’affluence des atomes, font
DANS LES DEUX SICILE S. 1Ç)5
effort pour revenir à leur place , et obligent ces
atomes à retourner dans la jambe, où ils trouvent
moins de résistance 5 que la jambe à son tour
se remplissant de ces atomes , et se dilatant pour
les recevoir , vient ensuite à se resserrer par sa
force naturelle , et repousse les atomes dans les
parties supérieures du polype. Mais , outre que
cette hypothèse est précaire , elle ne satisfait
pas à tous les phénomènes , et faute de données
suffisantes , le problème reste indécis.
On objectera peut-être que le mouvement
décrit n’est point une circulation réelle , les atomes
allant et venant toujours par le même vaisseau ;
que la véritable circulation suppose un double
système de vaisseaux, les uns portant le fluide
sanguin du centre aux extrémités du corps, les
autres le reconduisant des extrémités au centre.
En effet , c’est ainsi que nous la découvrons
dans les animaux que nous avons nommés par-
faits ; mais dans ceux que nous appelons im -
parfaits , quoique diversement modifiée , elle
n’en est pas moins réelle : nous devons lui con-
server son nom propre , comme nous faisons à
l’égard de certains viscères ou organes qui, dans
le passage des animaux parfaits à ceux qui le
sont moins , restent privés de quelques-unes de
leurs parties. Par exemple, le coeur dans l’homme,
N 2
VOYAGES
Ï9S
dans les quadrupèdes , dans les oiseaux , est muni
d’une double oreillette et d’un double ventricule.
Dans les amphibies , dans les poissons, cet organe
n’a qu’une seule oreillette , qu’un seul ventricule;
néanmoins nous l’appelons cœur, parce qu’il en
remplit les fonctions. Nous donnons le même nofü
au vaisseau artériel des insectes , des vers , parce
qu’il se dilate et se contracte tour- à-tour. Les
poumons , les trachées-artères n’ont pas d’autre
dénomination dans les êtres placés au rang le
plus bas de l’échelle animale, quoique ces viscères
y présentent une structure , une configuration
bien différentes de celles qu’ils ont dans les ani-
maux des classes supérieures. Il en est ainsi de
la circulation : dans l’homme , dans les quadru-
pèdes , dans les oiseaux elle est très-active ; elle
l’est moins dans les animaux des classes infé-
rieures ; elle y suit graduellement des voies plus
courtes, plus simples ; elle arrive enfin jusqu’au
point de conduire le fluide vital par un seul canal
où il va et vient, comme dans nos polypes : elle
n’en est pas pour cela ni moins complète , ni
moins parfaite dans ces petits êtres que dans les
grands. Du reste, je renvoie, pour la connais-
sance de ces difFérens systèmes de circulation,
à la relation de mon voyage à Constantinople
que je publierai bientôt. Je crois avoir suffisam-
ment montré dans mes autres ouvrages , que
DANS LES DEUX SICILE S. I97
l’étude de cette branche de physiologie ne m’est
pas étrangère : celui que j’annonce ici contien-
dra un long chapitre relatif à cette fonction dans
les animaux marins.
Pour terminer l’histoire de ces polypes , dont
l’espèce me paraît nouvelle, j’en donnerai la dé-
finition suivante : Polypus nudus , sœpius sim-
plex y pedunculatus , affixus y corpore campa -
nulato y cirrhis subulatis y retractilibus , cir -
culationem humorum exerens.
Y. Voici finalement un cinquième animal du
genre des mollusques qui, bien qu’il soit connu,
mérite un nouvel examen, ne fut- ce que pour
éclaircir une question long-temps agitée par les
naturalistes.
On sait que les oursins de mer sont armés
d’épines , et munis d’une multitude de tentacules
qu'ils étendent ou resserrent à volonté 5 mais on
n’est point d’accord si ce sont les épines ou bien les
tentacules qui font l’office de pieds, et servent au
mouvement progressif de l’animal. Long-temps
auparavant , je m’étais déjà occupé de cette
recherche dans le golfe de la Spezzia 5 mes ob-
servations portèrent sur Yechinus esculentus de
Linnée , et j’en rendis compte dans les Mémoires
delà Société italienne, tome II, page n .Voici quel
N 5
VOYAGES
198
en fut le résultat. Quand je plaçais ces oursins
hors de l’eau , situation où ils peuvent vivre quel-
que temps , les mouvemens courts et progressifs
qu’ils faisaient quelquefois s’exécutaient unique*
ment par le moyen de leurs épines agitées; mais
quand je les plongeais dans l’eau marine , ces
mouvemens n’étaient dûs qu’à leurs tentacules.
Je reviens au détroit de Messine. Assistant un
jour à la pêche du corail , les filets amenèrent
cinq oursins spatagues ; je les mis incontinent
dans un baquet d’eau de mer pour les porter
à la ville, où je me proposais de les examiner
à loisir. Chemin faisant je m’apperçus que, mal-
gré l’agitation de l’eau occasionnée par le bal-
lottement de la barque , mes cinq oursins étaient
montés le long des parois du baquet, presque
jusqu’au sommet, où ils restaient attachés par
leurs tentacules v ce qui me prouva que dans
cette espèce , ces parties ne servent pas seule-
ment à fixer l’animal à la place où il veut s’arrê-
ter^ mais à l’en faire changer à volonté , ses
épines étant trop rigides pour avoir pu l’aider
dans son ascension au bord du baquet. J’eus de
la peine à les en détacher, et pour découvrir
comment s’exerçait le mécanisme de leurs mou-
vemens , je les plaçai dans le fond d’un vase de
cristal à parois lisses et verticales empli d’eaji
DANS LES DEUX SICILE S. 199
marine. Mon attention se dirigea d’abord sur un
d’eux que j’avais posé à la renverse , c’est-à-dire ,
la bouche en-dessus , attendu qu’en se mouvant
librement dans la mer , ils la portent toujours
en-dessous. Cette situation était en effet violente
pour ranimai 5 il chercha à se redresser, et pour
y parvenir , il commença par étendre d’un côté
une cinquantaine de tentacules, en les alongeant
le plus qu’il pouvait , et s’attacha par leur ex-'
trémité au fond du vase ; cela fait , il les rac-
courcit de manière qu’alors son corps se souleva
un peu et resta posé sur le côté 5 ensuite il dé-
ploya d’autres tentacules en les dirigeant dans
le même sens, et par leur moyen, s’accrocha
un peu plus loin au fond du vase 5 alors, déta-
chant les premiers et raccourcissant les seconds,
il fit encore une petite révolution sur lui-même.
Au moyen de cette opération répétée trois ou
quatre fois, la bouche, qui auparavant regardait
le ciel, se trouva dirigée vers la terre, et l’animal,
de renversé qu’il était, se remit dans sa position
naturelle. Les seuls tentacules furent les auteurs
de ces mouvemens : les épines ne firent que s’ou-
vrir pour leur donner plus de liberté d’agir. En
continuant de les dilater et de les contracter,
l’oursin s’avança sous les parois du vase , et les
gravit assez promptement jusqu’à la surface de
L’eau.
200; VOYAGES
Les épines contribuaient si peu à ses mouve-
mens, qu’après les lui avoir coupées, il n’était
pas moins libre d’agir : il se redressait de même,
marchait de même , soit sur le fond du vase ,
soit le long de ses parois.
J’ai dit que pour détacher ces animaux, il fallait
user d’une certaine force. Curieux d’en mesu-
rer le degré, je suspendis un morceau de plomb
du poids de trente-deux onces aux épines d’un
oursin qui s’était fixé contre un vase de verre,
un demi-pouce environ au-dessus du niveau de
l’eau : il tint ferme. J’augmentai la charge once
par once 3 à la trente-neuvième les tentacules
abandonnèrent le verre.
Mais quelle pouvait être la cause d’une adhé-
sion si forte à un corps aussi lisse que le verre ?
l’examen suivant me mit sur la voie de la dé-
couvrir. J’observai, à travers les parois du vase,
les tentacules au moment que l’oursin les alon-
geait pour les attacher, et je vis que chacun était
terminé par un mamelon percé dans le milieu.
Je fis une incision à l’un d’eux jusqu’à la racine,
et le regardant dans une position horizontale avec
le microscope , je découvris que le trou que
j’avais apperçu à son extrémité était l’orifice
d’un canal qui s’étendait du fond au sommet du
tentacule , et s’enfonçait dans le corps de l’anJ-
201
DANS LES DEUX SICILE S.
mal* Je pris ensuite un autre tentacule > je le
pressai légèrement , et j’en fis sortir par le trou
une petite goutte de liqueur dense et très-gluante.
C’est donc avec ce gluten que les oursins se
collent et se fixent par -tout où il leur plaît.
La transparence de leurs tentacules rae permet-
tait , avec l’aide d’une bonne loupe , de voir à
travers les parois du vase l’industrie dont ils usaient
pour cette opération. Après y avoir appliqué
leurs mamelons , et chassé l’eau du point de
contact, ils en élargissaient l’orifice , où se for-
mait à l’instant un vide qui se remplissait de glu-
ten. Les tentacules , ainsi cimentés par leurs ex-
trémités,ressemblaient à autant de cordons qui
attachaient l’animal à la surface du verre.
Réaumur a observé que les lépas, pour se dé-
tacher des rochers sous-marins auxquels ils se
collent fortement, laissent échapper un filet d’eau
qui rompt leurs liens. Je n’ai point remarqué cela
dans nos oursins $ il m’a paru qu’ils employaient
un autre moyen pour remplir le même but : c’é-
tait d’agiter leurs tentacules et d’en tordre l’ex-
trémité , de manière que l’eau trouvant un pas-
sage entre le mamelon et le verre , dissolvait en
un moment le gluten.
Voilà donc deux fonctions propres aux ten-
tacules de ces oursins ; l’une de leur servir de
202 VOYAGES
pieds pour marcher et pour s’accrocher, l’autre
de les tenir en arrêt au fond de la mer et dans
les lieux qu’ils choisissent. Cette dernière faculté
leur était indispensable pour éluder la fureur des
tempêtes , sur-tout à ceux qui vivent dans le
détroit de Messine , où la mer est continuelle-
ment agitée ; sans cette providence de la nature ,
jouets des ondes, comment ces êtres fragiles évi-
teraient-ils d’être roulés et déchirés sur les ro-
chers ?
Jusque-là je les avais observés dans leur élé-
ment naturel , je voulus savoir de quelle manière
ils se comporteraient hors de F eau . Dans cette
situation , ona remarqué constamment qu’ils ne
sortent jamais leurs tentacules 5 un mouvement
progressif , s’il avait lieu , ne pouvait s’attendre
que de leurs épines. J’en posai deux sur un plan
horizontal à la renverse , la bouche en haut. Ils
commencèrent par agiter leurs épines en difFé—
rens sens , cherchant à se redresser , mais inu-
tilement. Leurs efforts ressemblaient à ceux d’une
tortue renversée qui veut se relever $ ils décri-
vaient comme elle de très-petits espaces , mais
avec beaucoup plus de lenteur. Je les mis dans
leur position naturelle ; alors les épines infé-
rieures qui portaient le corps , entrèrent dans
une agitation lente , mais presque continuelle *
DANS LES DEUX SICILE S. 2o5
qui les fit un peu cheminer , non sans une peine
extrême.
Ces observations sur l’oursin spatague , que
personne avant moi n’avait faites sur aucune es-
pèce de ce genre , s’accordent avec ce que j’ai
raconté de l’oursin du golfe de. la Spezzia. Il
en résulte que les naturalistes qui prétendent que
les épines sont les seuls moteurs de ces animaux,
et ceux qui attribuent cette fonction uniquement
aux tentacules , se trompent les uns et les autres.
Le principe mouvant est partagé , avec cette
seule différence qu’il est bien plus actif dans les
tentacules que dans les épines.
Je ne parlerai point des madrépores , des cel-
lulaires , des sertulaires qui se sont trouvées prises
dans mes filets , parce que les espèces en sont
connues , et que d’ailleurs j’ai donné tout mon
temps à l’examen des mollusques. Il me suffit
d’indiquer ces productions organisées , comme
faisant partie des animaux marins du détroit de
Messine.
2o4
VOYAGES
CHAPITRE XXIX.
Pêche du corail.
Malgré l’agitation continuelle des eaux dans
le détroit de Messine , on y fait en toute saison
îa pêche du corail (1). Les pêcheurs sont des
Messinois , tous gens robustes , expérimentés ,
qui savent surmonter et la peine et le danger.
L’instrument dont ils se servent pour détacher
les coraux, et les enlever aux rochers où ils sont
implantés , ne diffère pas essentiellement de celui
qui est figuré et décrit dans Phistoire de la mer
du comte Marsilli. Cet instrument est composé
de deux morceaux de bois assemblés à angles
droits, et portant un filet à chaque extrémité.
Au milieu est attachée une grosse pierre pour
en faciliter l’immersion. Lié fortement par cette
partie à une corde dont l’autre bout est dans
la main des pêcheurs , ils le promènent ainsi dans
les profondeurs où végète le corail , tâchant de
l’accrocher avec les filets, de l’envelopper, et
de l’attirer à eux.
(i) Isis nobilis . Linn,
DANS tES DEUX SICILE S.
J’ai dit que cet instrument ne diffère pas essen-
tiellement de celui qui a été décrit par le natu-
raliste de Bologne , et qu’il a vu en usage en
d’autres pays. J’observerai cependant que l’ins-
trument des Messinois est plus grand, et qu’il
est chargé au milieu d’un poids plus considé-
rable , à raison de l’impétuosité des courans , qui,
sans cette précaution , l’emporteraient inévita-
blement avant qu’il eût touché le fond. De plus
ils le lancent par la poupe de la barque , jamais
par le côté , comme on le voit dans la figure de
Marsilli : sans doute à cause du danger qu’en
opérant ainsi , le poids de l’instrument , uni à
l’action du courant , ne la fît chavirer.
Cette pêche se fait dans le détroit , à partir
des bouches du phare jusqu’en face de l’église
de la Grotte , dans une longueur de six milles.
Hors de cet espace on ne pêche point , soit qu’il
n’existe pas de rochers sur lesquels naisse le
corail , soit que ces rochers gisent à des pro-
fondeurs qui mettent les instrumens hors d’état
d’agir , ou que la violence des courans ne per-
mette pas aux barques de s’y arrêter long-
temps (i).
(1) De vieux mariniers m’ont assuré qu’autrefois ,
çntre Stromboli et le cap Vatican, on faisait la pêche
2o 6
VOYAGES
Cependant il y a environ six ans que Pon a
découvert deux rochers situés au sud , et à huit
milles de distance de la ville en face du canal
de Saint-Etienne * abondamment pourvus d’ex-
cellens coraux. Voilà les seuls endroits où les
Messinois ont coutume de pêcher cette produc-
tion marine ; et quant à présent } ils n’en étendent
pas la recherche au - delà de leur canal.
Les rochers qui lui servent de support gisent
presqu’au milieu du détroit à diverses profon-
deurs , depuis trois cent cinquante pieds jus-
qu’à six cent cinquante. Plus on s’approche de
l’embouchure du phare , plus le fond de la mer
s’abaisse. Là , on ne jette plus les filets , parce
que les rochers , disent les coraillers , sont à
mille pieds de profondeur.
Les cavités , les grottes , sont les lieux que
l’on sonde avec les filets pour en extirper les
coraux 5 ce n’est pas qu’ils ne naissent également
en-dehors et sur leurs flancs , mais ils s’y mul-
tiplient moins. On observe constamment que
chaque branche est perpendiculaire au plan sur
du corail ; mais qu’elle fut abandonnée à cause du danger
que couraient les barques , qui , dans ces parages , ne
trouvaient aucun abri contre les vents d’ouest ; sud-ouest
ou nord-ouest. Note de V auteur.
DANS LES DEUX SICILE S. 207
lequel elle a pris naissance , ne se contournant
jamais pour suivre une direction latérale.
Leur multiplication est beaucoup plus abon-
dante dans les expositions de Test que dans celles
du sud. On en trouve rarement dans les sites de
l’ouest : ceux du nord n’en produisent jamais.
Les coraux qui croissent sous l’aspect du levant
sont plus gros , plus colorés que les autres. Les
divers degrés de profondeur sont encore des cir-
constances qui influent sur ces deux qualités
précieuses. Plus ils s’enfoncent dans la mer ,
moins ils acquièrent de grosseur et de couleur.
Leur plus grande hauteur ne s’élève pas à un
pied 5 leur grosseur ordinaire est celle du petit
doigt , en quoi ils sont un peu inférieurs aux
coraux des cotes de Trapani et de Barbarie 5
mais ils surpassent ces derniers par la vivacité
de la couleur. Cette différence , d’après le dire
des pêcheurs , provient de ce que leurs coraux
naissent dans une mer perpétuellement agitée
jusque dans ses fondemens par les courans et
par les vents.
Quant à la couleur , on distingue trois sortes
de corail : le rouge , le vermeil et le blanc. Le
premier se subdivise en rouge cramoisi foncé,
et en rouge plus clair. Le vermeil est très-rare,
mais le blanc est commun , tant le blanc clair
VOYAGES
£08
que le terne ^ qui sont compris sous la même
dénomination.
Les coraillers ont divisé l’espace où ils pêchent
dans le détroit en dix portions. Chaque année
ils ne jettent leurs filets que dans une seule de
ces portions , et n’y reviennent qu’au bout de
dix ans. Cet intervalle décennal, disent-ils, est
nécessaire au corail pour qu’il acquière son en-
tier accroissement. En effet, quand ils manquent
à cette règle , ils trouvent le corail plus petit
et moins consistant : l’intensité de sa couleur est
toujours en raison du nombre des années écou-
lées depuis la première pêche. Passé le terme
de dix ans , ils sont persuadés que le corail croît,
non plus en hauteur, mais seulement en grosseur,
laquelle a pourtant ses limites. Ils ont observé
que le corail extrait du fond qui avoisine Saint-
Etienne , lieu où de mémoire d’homme on n’a-
vait jamais pêché , quoique d’une couleur très-
foncée , ne surpassait pas en hauteur le corail
ordinaire : il était seulement d’un tiers plus
gros*
Dix-huit à vingt barques , chacune montée
de huit hommes , font de conserve cette pêche.
La quantité de corail qui en est le produit peut
monter par an à douze quintaux siciliens. Le
quintal est de deux cent cinquante livres, et la
livre
DÀftS tES DEUX siCILÉS. 2 Ô§
livre de douze onces : le bénéfice dédomiiiage de
la peine. Cependant ce n’est pour ces pêcheurs
qu’une occupation secondaire, et à laquelle ils ne
se livrent que lorsqu’ils ne peuvent pas trouver
ün autre emploi plus lucratif de leur temps*
On voit que je ne pouvais recevoir ces ren-
seignemens de mains plus sûres , puisqu’ils m’é-
taient donnés par les coraillers eux-mêmes 5 ce-
pendant je fus curieux d’assister à leur pêche 3
et ils en firent une tout exprès pour me procurer
cette satisfaction. A l’instant qu’ils amenaient des
branches de corail , je les détachais des filets ,
et les plongeais dans des vases pleins d’eau ma-
rine : c’était le moyeu de faire sortir les polypes
hors de leurs cellules, à quoi ils ne manquaient
pas aussi-tôt que le calme était établi dans les
vases. Je les examinai avec d’autant plus de cu-
riosité que leur spectacle était nouveau pour
moi. Mais qu’aurais-je pu ajouter aux observa^
tions de Peysonnel , de Jussieu , de Guettard ,
de Donati , et à celles plus récentes de Cavolini ?
Ces auteurs ne semblent -ils pas ne plus rien
laisser à desirer sur la connaissance et les habi^
tudes naturelles de ces petits êtres organisés ?
Tout ce que me permit cet examen , fut de
rectifier les idées du comte Marsilli sur quelques
points relatifs à leur histoire.
Tome
O
510
VOYAGES
Selon cet auteur, les sites propres à la végé-
tation du corail sont ceux où la mer est tran-
quille et les eaux dormantes ; puis il ajoute que
ce zoophyte se propage plus sous l’influence du
sud que sous celle de l’ouest , mais qu’il ne vé-
gète point sous l’aspect du nord.
Quant à la première observation , elle n’est
pas générale , puisque le corail naît , croît , et
atteint sa perfection dans une mer aussi profon-
dément troublée et agitée que celle du détroit
de Messine. Tout ce qu’on peut dire , est qu’il
n’y arrive pas à ce degré d’extension dont il jouit
ailleurs.
Quant à la seconde , elle s’accorde avec ce
que m’ont dit les pêcheurs de Messine, excepté
qu’ici l’aspect du levant est le plus favorable ,
tandis que dans les sites maritimes visités par
Marsilli , l’aspect du midi est celui qui influe le
plus $ur sa végétation.
Ce naturaliste établit que la moindre profon-
deur où croît le corail est de dix pieds , la plus
grande de sept cent cinquante , la moyenne et
la plus ordinaire entre soixante et cent vingt-
cinq.
A Messine , comme nous l’avons remarqué,
on le pêche à trois cettt cinquante pieds jusqu’à
ait
DANS LES DEUX SICILE S.
six cent cinquante. Ce n’est pas qu’il ne pût y vé-
géter plus près de la surface des eaux , mais les
rochers qui gisent dans le détroit ne s’en ap-
prochent pas davantage. De même , il est pro-
bable qu’on y trouverait ce zoophyte végétant
au-dessous de six cent cinquante pieds, si Ton
se donnait la peine de le chercher 5 mais les
pêcheurs ne se soucieraient pas d’une tâche aussi
laborieuse. On voit par-là que , si l’information
de Marsilli se rapporte à celle des Messinois ,
quant à ce qui regarde la plus grande et la
plus petite profondeur où naît le corail , elle
difFère à l’égard de la moyenne et la plus ordi-
naire, selon lui, qu’il fixe entre soixante et cent
vingt -cinq pieds, puisque sa végétation n’est
ni moins complète, ni moins abondante sur des
fonds beaucoup plus bas , tels que ceux du
détroit de Messine , qui ont depuis trois cent
cinquante pieds jusqu’à six cent cinquante de
profondeur.
Les pêcheurs de Marsilli étaient dans l’opinion
que le corail végétant sur les sites les moins
profonds où il croît le plus rapidement , par-
venait à peine en dix ans à un demi -pied de
hauteur.
Je ne veux point révoquer en doute leur asser-
tion 5 elle peut être appuyée sur quelque fait
O 2
212
voyages
local ; mais il ne faudrait pas rétendre plus loin:
les coraux de Messine, dans le même espace de
temps, acquièrent leur plus grande hauteur, qui
est d’environ un pied. On en vit une preuve bien
frappante à la première pêche qui se fit au ro-
cher de Saint-Etienne nouvellement découvert ,
et où les coraux avaient eu tout le temps de^
parvenir à leur maturité naturelle. Cependant,
bien qu’ils fussent un peu plus gros, ils ne sur-
passaient pas en hauteur ceux que les coraillers,
au bout de tous les dix ans , extraient des ro-
chers qui depuis un temps immémorial servent
à cette pêche.
Marsilli affirme qu’ils naissent et croissent sous
la seule voûte des cavernes , et que leurs ra-
meaux sont toujours tournés vers le centre de
la terre.
Ce n’est pas, à la vérité, chose rare de trouver
le corail suspendu à la voûte des grottes marines
avec ses rameaux dirigés de haut en bas; mais
il n’en est pas moins certain qu’il végète égale-
ment en-dehors , qu’il s’attache et croît sur les
pierres au fond de la mer , sur les coquilles et
dépouilles des testacées , enfin sur tout corps
solide , et qu’alors il dirige constamment ses ra-
meaux vers le ciel. Plusieurs fois, dans les filets
des pêcheurs, j’ai trouvé des coquilles d’huître et
DANS LES DEUX SICILE S. 2l3
de came auxquelles adhéraient de petites bran-
ches de corail. Quelques années auparavant, ces
mêmes pêcheurs avaient tiré du fond de la mer
un vase de terre cuite fêlé , dont la surface in-
térieure était tapissée de corail qui avait ses
branches dirigées vers l’orifice, et même quel-
ques rameaux qui s’élevaient par-dessus. En par-
lant de la pêche qui se fait autour de Lipari ,
chapitre XXIV, j’ai cité un morceau d’émail
volcanique portant une branche de corail , qui
fut pêché au fond de la mer sous le château
de cette ville.
Ces faits prouvent non-seulement que ce zoo-
phyte ne naît pas toujours dans l’intérieur des
grottes marines , mais encore qu’il porte quel-
quefois ses rameaux dirigés vers le ciel.
Sa couleur naturelle , selon Marsilli , est entre
le rouge foncé et le blanc tirant sur la couleur
de chair. Quant aux coraux parfaitement blancs,
il assure qu’il n’en a jamais vu de semblables
revêtus de leur écorce, et dans leur fraîcheur;
qu’à la vérité , on parvient à les blanchir en les
faisant bouillir dans la cire et dans le lait. Le
naturaliste Pallas dit, dans son Traité sur les zoo
phytes , qu’il a vu à Londres , dans le muséum
britannique, une belle branche de corail de cou-
leur de lait , une autre de couleur de chair très-
O 3
•>
VOYAGES
2l4
vive $ maïs il n’ose garantir que ces couleurs?
fussent naturelles.
Les pêches du détroit de Messine détruisent
tous ces doutes 5 elles procurent des coraux blancs
aussi-bien que des coraux rouges. Ceux que l’on
pêcha en ma présence furent tous de cette der-
nière couleur 5 mais à mon départ de Messine,
l’abbé Grano j savant naturaliste, et mon ami,
connaissant le; désir que j’avais de posséder quel-
ques coraux blancs de son pays, promit de me
satisfaire. En effet , peu de temps après mon
arrivée à Pavie , je reçus de lui une série de
rameaux qui , par nuances , passent du rouge
plus ou moins vif au gris foncé , du gris foncé
au gris clair, et du gris clair au blanc pur. Cette
collection précieuse est maintenant déposée au
muséum impérial. Je vais donner une courte in-
dication des morceaux les plus remarquables.
I. Ecorce couleur de cire laque 5 corail cou-
leur de pourpre 5 transparence légère à l’extré-
mité des rameaux.
II. Ecorce semblable y corail d’un rouge moins
vif.
III. Ecorce gris -livide 5 corail gris avec un
léger nuage rougeâtre.
DANS LES DEUX SICILES. Sl5
IV. Du même tronc sortent quatre rameaux
distincts : trois ont l’écorce d’un rouge pâle ; le
corail en est blanc tirant un peu sur le rouge ;
le quatrième a l’écorce blanchâtre , et cette
couleur domine encore plus dans son intérieur.
V. Je réunis sous ce numéro trois branches
dont l’écorce , comme l’intérieur du tronc , ont
la blancheur du lait.
Voici de plus qüfeîqués observations sur la
structure des parties Corticales et des parties
solides de ces derniers. Quant à l’écorce , elle
est blanche , friable, et se détache avec l’ongle;
sur les coraux où elle est entière et bien con-
servée , on remarque qu’elle s’élève çà et là en
petites tumeurs conoïdes ouvertes au sommet ,
et présentant une bouche à huit rayons , qui
conduit dans l’intérieur des cellules, jadis habi-
tées par les polypes.
La substance intérieure du corail , que Ton
peut appeler le squelette ou l’os de l’animal ,
est sillonnée à sa surface par des stries longi-
tudinales très-déliées ; sa solidité égale celle des
pierres les plus dures; en la rompant en travers,
on s’apperçoit qu’elle est lamelleuse. Soumise à
l’action de l’acide nitrique , elle se décompose ,
et se dissout toute entière avec la plus grande
o 4
si6 voyages
effervescence > comme ferait le carbonate cal"
caire.
On peut juger par-là de la parfaite ressem-
blance , ou , pour mieux dire , de l’identité du
corail blanc avec le rouge : l’accident de la cou-
leur paraît en faire toute la différence.
Il y a plus ; les bouches dés cellules de l’écorce
du corail blanc étant à huit rayons comme celles
du corail rouge , on doit en inférer que les po-
lypes , dans l’un et dans l’autre , ont la même
Structure , et ne forment par conséquent qu’une
seule espèce ayant huit tentacules.
Mon intention , en écrivant ces remarques ,
n’a point été de déprécier l’ouvrage du comte
Marsilli. Malgré l’erreur très-grande où il est
tombé en prenant pour des fleurs les polypes
du corail , persuadé ainsi que la foule des bota-
nistes, que cette production marine n’était qu’un
végétal , son travail et l’ensemble de ses obser-
vations seront toujours dignes d’éloges,
Les anciens croyaient que ce zoophyte, sous
les eaux de la mer , se trouvait dans un état
de mollesse qu’il ne perdait qu’au contact de
l’air. C’est un préjugé que les naturalistes mo-
dernes ont détruit. Les coraillers de Messine ,
sans autre maître que leur propre expérience ,
ï) À N S LES DEUX S I C I L E S. 217
sont convaincus , comme ces derniers , que
le corail se durcit dans la mer 5 cependant ils
prétendent que son degré de consistance est
en raison de son degré de maturité, et que le
jeune corail n’est point aussi dur que celui qui
a acquis toute sa croissance. Je n’ai pu vérifier
le fait , attendu qu’il aurait fallu pour cela , et
contre l’expresse défense des loix, jeter les filets
dans une des dix portions du détroit avant le
terme révolu de dix ans 5 mais, par une analo-
gie tirée des végétaux et des animaux, j’adop-
terais sans peine cette dernière opinion*1
Les pêcheurs sur le témoignage desquels Mar-
silli a fondé en grande partie ses observations ,
et les Messinois que j’ai consultés pour établit
les miennes , sont également d’avis que plus on
descend dans la mer , plus on trouve les coraux
petits. Ayant interrogé là - dessus d’autres pê-
cheurs, tels que ceux qui se transportent, soit
sur les côtes de Barbarie , soit sur celles de la
Sardaigne ou de la Corse , j’en ai reçu la même
réponse. Il paraît donc que cette observation
est universelle et constante. Mais d’où vient une
telle différence ? Si les coraux ne se pêchaient
jamais que dans les endroits où parvient la cha-
leur du soleil , ou du moins sa lumière , on pour-
rait soupçonner que l’un ou l’autre de ces prin-
V O Y A G E S
5l8
cîpes influe plus ou moins sur leur accroisse-
ment •, mais il est certain qu’ils végètent souvent
sur des bas-fonds , où pas un atome de lumière
solaire ne petit atteindre , encore moins la cha-
leur de cet astre, en admettant toutefois le calcul
des physiciens,suivant lequel la lumière du soleil
ne pénètre dans la mer que jusqu’à six cents pieds
de profondeur, et sa chaleur ne s’étend qu’à un
quart de cette distance. D’après les observations
de Marsilli, on rencontre des coraux à sept cent
cinquante pieds au-dessous du niveau de la mer 5
et cependant si l’on rejette ces deux principes,
lumière et chaleur, comme impuissans , où en
trouver un autre qui puisse influer plus directe-
ment surleur croissance , et expliquer comment,
à mesure qu’ils s’élèvent vers la surface de la
mer , ils parviennent à de plus grands dévelop-
pera ens.
Dira-t-on que la pression de l’eau à de grandes
profondeurs leur oppose un obstaçle ? Mais cet
obstacle , si c’en était un , agirait de même sur
une infinité de petites plantes , de petits vers
d’une conformation aussi tendre , aussi délicate
que les polypes des coraux , et qui naissent ,
vivent et croissent dans les mêmes sites , et à
des profondeurs égales.
Donati assure que des rameaux rompus et dé-
DANS LES DEUX SICILE S. 2IQ
tachés de la tige du corail, continuent de vivre
et de multiplier dans la mer. Je n’hésite point
aie croire, pourvu que ces rameaux rèncontrent
un point d’appui stable auquel ils puissent s’atta-
cher par le moyen de leur gluten. Autrement,
s’ils tombent sur le sable mobile , ils deviennent
le jouet des ondes , et je suis persuadé qu’ils ne
sauraient éviter de périr. Tel fut , je pense J
l’accident survenu à deux rameaux écorcés, et
par conséquent privés de vie , que je trouvai
pris dans les filets de mes pêcheurs de Messine.
Ils me confirmèrent eux- mêmes dans mon opi^#
nion , me disant qu’ils amenaient quelquefois di*
fond de la mer des coraux vivans , mais toujours
attachés par leurs troncs , soit à une écaille , à
une pierre , à un fragment de terre cuite , ja^
mais au sable pur. En entrant avec eux dans
ces détails , je m’apperçus avec plaisir que le
secret de la génération de ce zoophyte ne leur
était pas tout-à-fait inconnu ; ils me racontaient
que souvent ils avaient remarqué sur des matières
dures enlevées du fond de la mer, les germes du
corail, qu’ils décrivaient comme une petite tache
rouge avec un bouton implanté dans ces matières,
tantôt fragile et teudre, tantôt durci , de la cou-
leur et de la nature du corail ordinaire.
Vitaliani et Marsilli font mention de certains
22Q
VOYAGES
rameaux percés par des vers lithopliages. Ce fait
n’était point non plus étranger à mes Messinois;
souvent il leur arrive d’en pêcher de semblables,
soit au fond de la mer , soit dans les cavernes,
ou sur les flancs des rochers sous- marins. Ces
rameaux se trouvent tantôt séparés du tronc ,
où pour l’ordinaire les attaques des vers sont
plus multipliées , tantôt attachés aux corps qui
leur servaient d’appui. On ne remarque cet acci-
dent que dans ceux qui sont secs , soit que leur
siccité provienne de vieillesse , soit qu’elle ait
été causée par leur séparation d’avec leur base 5
ce qui arrive , tantôt par le choc de quelque
poisson , principalement de ceux qui habitent
dans les creux des rochers, tantôt par la chute
d’une pierre, ou par l’effort même des filets qui
les déracinent, et ne s’en saisissent pas toujours.
DANS LES DEUX S I C I L E S. 22t
CHAPITRE XXX.
Pêche de V espadon.
Avant de quitter le détroit de Messine, j’aî
pensé que le lecteur verrait avec plaisir quel-
ques détails sur deux autres pêches qui y sont
en usage 5 l’une de l’espadon , l’autre du chien
de mer : la première fera le sujet de ce chapitre,
la seconde celui du chapitre suivant.
On prend l’espadon , xiphias ensis , tantôt
avec la lance , tantôt avec la palimadara , es-
pèce de filet à mailles très-serrées. Cette pêche
commence vers la mi-avril et continue jusqu’à
la mi- septembre. Depuis la mi-avril jusqu’à la
fin de juin , elle se pratique le long des côtes
de la Calabre ; passé cette époque , elle a lieu
près des côtes de la Sicile. La raison en est que
l’espadon , depuis avril jusqu’à la fin de juin ,
entrant par le phare , longe le rivage de la Ca- —
labre sans jamais s’approcher de la Sicile , et
que depuis juillet jusqu’à la mi-septembre, en-
trant dans le détroit par la bouche du sud , il
suit la route opposée. Est-ce la pâture qui l’at-
tire ainsi alternativement d’un côté à l’autre ?
VOYAGES
322
est-ce le même poisson qui passe et repasse ?
je Tignore 5 ce qu’il y a de sûr , c’est qu’il ne
côtoyé la Sicile que quand il fraye ; on voit alors
les mâles courir après les femelles : souvent une
seule a plusieurs poursuivans. L’occasion est belle
pour les surprendre ; car une fois que la femelle
est tuée, les mâles ne s’en éloignent point , et
se laissent facilement approcher.
Il paraît certain que cette espèce de poisson
se propage dans la mer de Sicile et de Gênes.
En effet , depuis novembre jusqu’aux premiers
jours de mars , on en prend chaque année dans
le détroit de Messine du poids de demi-livre
jusqu’à douze livres. Vers la fin de l’automne
et pendant l’hiver , j’en ai vu vendre à Gênes
de très-petits qui avaient été pêchés près des
côtes.
Quant à Messine , ce n’est que depuis peu
que l’on y pratique une aussi mince pêche, non
que les habitans ignorassent la fréquentation de
petits espadons le long de leurs côtes , mais ils
n’avaient pas encore imaginé des filets propres
à les prendre , tels que la palimadara , qui a
quatre-vingts et tant de pieds de longueur sur
quinze de largeur, et dont les mailles étroites,
tissues avec de fortes ficelles , emprisonnent des
poissons de toute grandeur, tandis que la lance.
225
DANS LES DEUX SI CI LE S.
dont autrefois ils se servaient uniquement, n’etait
bonne qu’à attaquer les plus gros qui se portent
è la surface de l’eau : voilà pourquoi le nombre
de ceux - ci diminue. Par une pêche trop pré-
maturée, on détruit à pure perte, non- seule-
ment un nombre infini de ces poissons , mais
on arrête la reproduction de l’espèce.
Ce dégât ruineux et barbare , je l’ai vu s’opé-
rer sans ménagement en d’autres parages de la
Méditerranée , et sur - tout en face de Porto-
Venere dans le pays de Gênes , où l’on pêche
avec les bilancelles. Ce sont deux bâtimens à
grandes voiles latines , marchant l’un à côté de
l’autre , auxquels est attaché , moyennant deux
grosses cordes de chanvre , un filet d’une pro-
digieuse extension qui descend jusqu’au fond de
la mer. Traîné par les deux bilancelles voguant
à pleines voiles , de ses mailles étroites il enve-
loppe tout ce qui se trouve snr son passage.
Pendant les vacances de 1783 , m’occupant d’é-
tudes relatives à l’histoire des animaux marins
des environs de Porto-Venere , dont j’ai ensuite
publié un essai dans les Mémoires de la Société
italienne , j’assistai plusieurs fois à cette pêche,
et je ne puis dire combien de petits poissons
en étaient la victime 3 n’étant bons à rien , on
les rejetait dans la mer, mais tout mutilés, et
224 VOYAGES
déjà morts par le froissement qu’ils avaient éprou*
vé dans les mailles du filet. J’écrivis contre cette
manie destructrice , et je représentai avec force
tout le dommage qui en résultait. On me ré--
pondit , à la vérité , qu’il existait une loi à Gênes
qui prohibait l’usage , ou , pour mieux dire 3 l’abus
des bilancelles; mais cela n’empêche pas qu’il
ne sorte chaque année du golfe de la Spezzia
trois ou quatre paires de ces bâtimens qui , ga-
gnant la haute mer, vont se livrer à cette pêche.
Il y a plus \ le gouverneur du lieu , qui devrait
surveiller l’exécution de la loi , est le premier â
favoriser, moyennant une somme d’argent, l’abus
qu’elle proscrit.
A l’époque où j’arrivai à Messine , on n’em-
ployait pas encore la palimadara, et la pêche à la
lance tirait à sa fin. Voici comment elle se pra-
tique. Les pêcheurs sont pourvus d’une barque
qu’ils appellent luntre ,* sa longueur est dedix-huit
pieds sur huit de largeur et quatre de hauteur.
Sa proue est plus spacieuse que sa poupe pour
donner plus d’aisance à celui qui tient la lance.
Au milieu est planté un mât de dix- sept pieds
de haut, muni de quelques marches pour y mon-
ter, et d’une table ronde à son sommet où se
place l’homme qui doit faire l’office d’explora-
teur, Ce mât , qui se nomme fariere > est tra-
versé
i) ANS tES DEUX StCILES. 22§
Versé près de sa base par une pièce de bois de
dix-huit pieds de long , coupant à angles droits
la barque dans sa largeur. A chaque bout de
cette traverse qui dépassé d’un pied et demi
les bords de la barque , est attachée une rame
qu’un homme fait agir 5 ürt troisième placé au
milieu , d’une main tenant la rame droite , de
l’autre la rame gauche , sert de timonier, règle
le mouvement des rames , et dirige la barque.
Son emploi est encore de monter sur le mât ,
d’observer l’espadon , de le suivre attentivement
des yeux , de l’indiquer de la main ou de la
Voix aux rameurs du milieu secondés par deux
autres dont les rames plus petites sont attachées
à la poupe 5 c’est ainsi qu’ils voguent continuel-
lement, poursuivant sans relâche le poisson qui
fait mille tours et détours , et semble les défier
à la course. La lance pour le frapper est faite
de bois de charme qui se plie difficilement.
Sa longueur est de douze pieds. Le fer qui la
termine a sept pouces de long 5 il est armé la-
téralement de deux autres fers appelés oreilles ÿ
également tranchans et aigus , mais mobiles. On
les fixe d’abord pour assurer la main du lancier
au moment qu’il va frapper ; quand le coup est
parti , ces deux fers latéraux se séparent du fer
principal et rendent sa blessure plus large. Ce
fer n’est pas fixé dans le bois, il y est seulement
Tome IV \ P
VOYAGES
2 2 6
adapté de manière qu’après le coup il s’en dé-
tache et reste plongé dans la blessure ; le bois
et le fer sont attachés à une corde qu’un homme
tient dans la main , et au moyen de laquelle le
poisson se traîne encore derrière la barque. Cette
corde, grosse comme le petit doigt, a six cents
pieds de long.
Cependant ces préparatifs ne se terminent pas
là 5 quand les espadons côtoyent la Calabre , il
est nécessaire d’avoir deux autres explorateurs
montés sur les rochers et sur les écueils qui
bordent la côte ; de même , quand ces poissons
prennent leur route le long de la Sicile $ mais
ici , faute d’écueils et de rochers , les explora-
teurs se tiennent au sommet de deux mâts de
quatre-vingts pieds de haut liés à deux grandes
barques , lesquelles sont ancrées au rivage , et
distantes l’une de l’autre d’un jet de pierre.
Tout étant disposé , voici l’ordre de la pêche.
Lorsque les deux explorateurs perchés sur la
cime des rochers ou des mâts jugent de loin
l’approche d’un espadon , au changement de la
couleur de l’eau sous la surface de laquelle ce
poisson nage, ils le signalent de la main aux
pêcheurs qui accourent avec leur barque , et
ils ne cessent de crier et de faire des signes, que
lorsque l’autre explorateur monté sur le fariere
î) ÂÏÏS LES DEUX SICILE S. 22*}
Va découvert et le suit des yeux. A la voix de
celui-ci , la barque vogue tantôt à droite , tan-
tôt à gauche , tandis que le lancier , debout sur
la proue , l’arme en main , cherche à le tenir
sous le coup. Quand le poisson est à la portée
de la lance ., l’explorateur descend de son mât 3
se met au milieu des deux rames , les dirige
selon les signes que lui fait le lancier 3 celui-ci sai-
sissant le moment favorable , frappe sa proie sou^
vent à la distance de dix pieds. Aussi-tôt après
le coup, il lui lâche la corde qu’il tient en main
pour lui donner calme > dit -‘il, tandis que la
barque voguant à toutes rames , suit le poisson
blessé jusqu’à ce qu’il ait perdu ses forces 5 alors
il monte à la surface de l’eau 5 les pêcheurs s’en
approchent , le tirent à eux avec un crochet
de fer , et le transportent sur le rivage. Quel-
quefois il arrive que l’espadon , furieux de sa
blessure , s’élance contre la barque et la perce
de son épée 5 aussi les pêcheurs se tiennent-ils
sur leur garde au moment de l’abordage, sur-
tout si l’animal est d’une grandeur considérable
et qu’il paraisse conserver de la vie. Quelquefois
il se sauve de leur poursuite , soit que le coup
n’ait pas pénétré assez profondément , soit que
la corde vienne à se rompre en lui laissant le
fer dans la blessure. Si elle n’est que légère, il
en guérit promptement, plusieurs ayant été pria
P a
VOYAGES
220
couverts de cicatrices 5 si elle est profonde 3 ïî
meurt infailliblement 3 et devient la proie des
autres poissons , ou du premier occupant. Le
poids ordinaire de l’espadon est de cent à deux
cents livres 5 mais il y en a qui pèsent jusqu’à
trois cents livres.
DANS LE, S DEUX SICILE S. 229
CHAPITRE XXXI.
Pêche des chiens de mer .
Ces poissons appartiennent au genre des squales:
ce n’est qu’accidentellement qu’on en prend dans
le détroit de Messine, soit parce qu’ils n’ont point
de passages réguliers et périodiques , soit parce
que leur chair coriace n’est point bonne à man-
ger et qu’il y a toujours du danger à les atta-
quer. Leur hardiesse est si grande, qu’ils vont
assaillir les hommes jusque dans l’intérieur du
port. Un pêcheur s’y baignant un jour , fut sur-
pris par un de ces poissons qui lui trancha net
la cuisse. Peu de temps après le vorace animal
fut tué aux environs du phare , et on retrouva
dans son corps cette cuisse entière telle qu’il
l’avait engloutie.
Cet événement , qui eut lieu quelque temps
avant mon arrivée à Messine , et qui me fut
attesté par les habitans , n’étonnera point ceux
qui connaissent la voracité de ces monstres ma-
rins. De pareils exemples ne sont point rares
dans la Méditerranée. Il y a peu d’années , près
Nervi , et à Chiavari dans la rivière de Gênes ,
P 5
V O Y À G E S
q5q
ils dévorèrent deux personnes qui se baignaient
au bord de la mer. En passant par Nice , en 1 y85 >
on m’apporta les mâchoires d’un de ces poissons*
dans l’estomac duquel on avait trouvé un enfant
tout entier. Je conserve ,çes mâchoires armées
de leurs dents* leur ouverture est telle qu’elle
ne laisse pas douter un moment de la possibilité
du fait * qui d’ailleurs avait eu toute la ville pour
témoin. Nicolës Stenone , dans sa Notomie de
la tête d’un chien de mer saisi â la distance de
quelques milles du port de Livourne * observe
que le diaipètré transversal de la boqche, pris
de l’angle d’une mâchoire à l’autre * avait une
coudée de long , mesure de Florence ; et que
le second diamètre* perpendiculaire au premier*
embrassait les quatre cinquièmes de cette cou-
dée. Ce n’est donc point merveille de trouver
dans les estomacs de ces animaux des hommes
entiers , püîsque leur bouche est très-capable
de les recevoir (i).
On en lit un exemple bien mémorable dans
l’ouvrage de Brunnih intitulé : Ichtiologia Mas$i -
liensis . Je le rapporterai dans les propres termes
de l’auteur* parce qu’il y a joint des circonstances
qui sont garantes de sa véracité. « Dans le temps
(i) E14m. royoh
DANS LES DEUX S I C I L E S. 23l
»que j’étais à Marseille, dit-il , on y prit un pois-
»son de cette espèce ( squalus carcarias ) de la
» longueur de quinze pieds. Deux années aupa-
ravant on avait tué sur les cotes , entre Cassis
»et la Ciotat, un autre chien de mer encore plus
» grand. On lui trouva dans l’estomac deux scom-
»bres peu endommagés , et un homme entier
»avec son vêtement intact , qui tous paraissaient
» avoir été dévorés depuis peu de temps. Entre
» plusieurs témoins oculaires de ce fait, je puis
5> nommer M. Garnier, secrétaire du roi , qui di-
rige dans la ville de Cassis une belle manufac-
»ture de corail rouge , au moyen de laquelle il
svfait vivre une multitude de pauvres gens 5 et
»M. Boyer, curé de là Ciotat , tous les deux fort
» instruits et dignes de foi (1) ».
(1) « Capiebatur tempore quo Massiliæ fui , piscis
ejus speciei (squalus carcarias) quindecim pedum lon-
gitudine. Major duos abhinc annos occidebatur hærens
in littore urbes inter Cassidem et la Ciotat. Yentriculo
tenuit duos scombros thynnos , parum læsos , liominem-
que integrum cum vestitu omnino intactum , omnes ut
apparuit breve ante tempus devoratos. Testes oculâti ,
inter multos alios , fuere dominus Garnier , secretarius
régis Galliæ , qui præclara corallii rubri fabrica urbis
Cassidis pauperes sublevat multos , ut et rev. dominus
Boyer, parochus urbis la Ciotat dictæj uterque erudi-
tione simul ac fide satis pollentes » .
p 4
VOYAGES
&3a
Cette ampleur naturelle de bouche et de
gueule dans les chiens de mer , est encore sus-
ceptible de s’étendre, davantage par la grande
élasticité dçs os maxillaires qui sont de nature
cartilagineuse : c’est ainsi que les serpens peuvent,
au moyen de la dilatation de leurs mâchoires ,
engloutir des animaux plus volumineux qu’eux, et
qu’une vipère avale facilement une taupe qui est
deux fois plus grosse qu’elle.
Pendant mon séjour à Messine , n’ayant pas;
eu l’occasion d’assister à la capture d’aucun chien
de mer, je ne puis rien dire de la manière dont
on s’y prend pour les attaquer et s’en rendre
maître ; je me bornerai à décrire un de ces pois-
sons d’une grosseur asse?; considérable , qui fut
tué dans le détroit quelque temps après mon
départ , et dont l’abbé Grano eut soin de m’en-
voyer la dépouille à Pavie. Quoique cet animal
se rapproche par certains caractères du squalus
maximus de Linnée , il en diffère si essentielle-
ment par d’autres, que je crois pouvoir le donner
pour une espèce nouvelle. Je m’arrêterai prin-
cipalement à ses divers ordres de dents , à leur
configuration , leur position respective sur le plan
des mâchoires, et à quelques Autres circonstances
non moins propres à fixer les vrais caractères
de çet animal et à nous mettre en état de 1©
DANS LES DEUX SIC ILE S. ^55
comparer avec les espèces connues du même
genre.
Son corps, depuis l’extrémité d u museau j usqu à
la racine de la queue , a huit pieds neuf pouces
de long; il est un peu applati sur le dos, et sa plus
grande circonférence est de cinq pieds un pouce
et demi. Le museau est pointu, la tête arrondie;
l’ouverture transversale de la bouche placée sous
le museau, a sept pouces et demi de diamètre :
en la mesurant de haut en bas, elle a sept pouces.
La mâchoire supérieure est plus longue que l’in-
férieure ; elles s’arrondissent un peu vers le mi-
lieu , la première moins que la seconde.
Entre la pointe du museau et les yeux, il
existe deux trous à-peu-près rectangulaires ; la
longueur du plus grand côté , posé horizontale-
ment, est de sept lignes; celle du plus petit, posé
verticalement, est de trois lignes. Ces deux trous
percent à travers la peau de l’animal.
Les yeux , assez grands, sont situés aux deux
côtés de la tête. Les soupiraux, qui se présentent
de chaque côté au nombre de cinq dans la région
du cou , un peu éloignés les uns des autres ,
correspondent par leur grandeur au volume de
l’animal : ils sont plus longs à mesure qu’ils se
rapprochent de la tête. La nageoire antérieure
VOYAGES
234
dorsale , placée au-dessous vers la moitié du corps,
a trois pouces de longueur ; elle est ronde à son
extrémité , et se réunit à une appendice lancéolée
qui se dirige vers la queue.
Les deux nageoires pectorales sont posées
horizontalement ; elles ont chacune deux pieds
de longueur et un de largeur à l’endroit où elles
s’attachent au corps ; leur origine se trouve im-
médiatement au-dessous du dernier soupirail le
plus éloigné de la tête.
Les nageoires du ventre ont l’une et l’autre
deux pouces de longueur ; elles sont lancéolées
au sommet avec une appendice dirigée vers la
queue. La nageoire de l’anus est arrondie à son
extrémité ; sa longueur est de deux pouces; elle
est située un peu au-dessous de la région de la
nageoire postérieure dorsale.
La queue est à deux lobes , ou pour mieux
dire, à deux pointes ; elle est formée de deux na-
geoires , découpées en manière de croissant : la
partie dominante a vingt-deux pouces de long.
La couleur du dos et des côtés est d’un gris
tirant sur le brun : le dessous du corps est un
peu plus clair.
Les dents de la mâchoire inférieure sont au
DANS LES DEUX SICILE S- 2^5
nombre de soixante-quatre , laissant au milieu
un espace vide de la largeur d’un pouce. Elles
forment autant de groupes séparés les uns des
autres : la direction de ces groupes est trans-
versale du dehors au - dedans de la mâchoire.
Chaque groupe résulte de quatre rangées de
dents , à la réserve de ceux qui avoisinent l’es-
pace vide , lesquels, au nombre de quatre, deux
de chaque côté , sont composés chacun de cinq
rangées. Ces dents qui ne sont point contiguës
à cause de la séparation des groupes, ont une
blancheur éclatante ; elles sont un peu courbes
avec la pointe plus ou moins penchée vers le
gosier» La face qui regarde l’extérieur de la
bouche est à peine convexe : la face opposée
l’est davantage. Les bords sont anguleux, tran*
chans , mais non pas faits en forme de scie ; les
pointes sont très -aiguës. Les plus petites dents
gisent à la racine de la mâchoire $ elles ont quatre
lignes de long , et à leur base trois lignes et
demie. Mais à mesure qu’elles s’approchent du
milieu de la mâchoire, elles croissent en dimen-
sion et arrivent jusqu’à quinze lignes en longueur
sur sept et demie en largeur.
Ce que nous avons dit des groupes, du nombre ,
de la forme et de la grandeur des dents de la
mâchoire inférieure , peut s’appliquer à celles
s36
VOYAGES
que présente la mâchoire supérieure; seulement
on n’y trouve point les quatre groupes à cinq
rangées de dents : tous en contiennent quatre, et
pas davantage. De plus elles sont droites , et si
l’on y apperçoit par-ci par-là quelque courbure ,
cette déviation est presqu’insensible.
Quelques dents de la première rangée dans
les deux mâchoires étaient brisées , soit que cet
accident fût l’effet des combats que l’animal avait
livrés à d’autres poissons, soit qu’il les eût perdues
en dévorant sa proie.
Au reste , ce ne sont point des alvéoles qui
contiennent les dents, elles sont toutes implan-
tées dans une chair dure et fongeuse. Mais il faut
remarquer que la première rangée saille hors
de la bouche , et qu’elle est presque verticale
au plan des mâchoires ; que les autres rangées
sont appuyées horizontalement sur le plan avec
les pointes tournées vers le gosier , et en tout
ou en partie ensevelies dans la chair fongeuse:
c’est en préparant la dépouille de ce squale
pour le placer dans le musée de Pavie , que
j’ai oté cette chair et soulevé les dents , pour
que leur système entier fût visible. J’ajouterai
que dans les deux mâchoires, il y avait des dents
de la dernière rangée encore tendres à leur base ,
semi - cartilagineuses , et que leur cavité inté-
DANS LES DEUX SICILES. û!5j
rîeure était pleine d’une substance blanchâtre et
très-tendre.
Pour s’assurer si ce squale est véritablement
de l’espèce connue sous le nom de squale très -
grand y il conviendrait de comparer ma descrip-
tion avec celles que les naturalistes nous ont
données de ce dernier. La meilleure , fournie par
Gunner, se trouve dans les Mémoires de l’aca-
démie de Norwège que je n’ai pu me procurer ;
mais, au dire deBroussonnet, elle est encore très-
incomplète (1). Linnée, qui s’est servi de cette
description , en a tiré les caractères suivans :
Squalus maximus dentibus caninis y pinna
dors ali anteriore majore .
Habitat in oceano arctico y victitans me -
dusis.
Corpus magnitudine certans cum balœnis ,
similUmum S. Carthariœ , sed absque fora -
minulo ante aut post oculos. Pinna ani parva
paulo post regionem pinnœ dorsalis poste-
rions.
Au surplus, d’après le témoignage de Fabri-
cius (2), ce grand animal se nourrit, non-seu-
(1) Voyez Rozier , an. 1785.
(2) Vid, Fauna Groenl .
VOYAGES
üS8
lement de méduses , mais de marsouins et autres
petits cétacées qu’il avale tout entiers.
Résumons les caractères de Linnée : les dents
canines , la nageoire antérieure dorsale plus
grande que la postérieure 3 celle de l’anus si-
tuée un peu derrière la région de la nageoire
dorsale postérieure ; privation du petit trou, tant
en avant des yeux que derrière.
Cette description se met en concordance avec
la mienne , à la réserve des dents qui étant dans
leur longueur anguleuses et tranchantes , n’ont
pas proprement la forme des canines 3 et du
petit trou au-dessus des yeux qui, selon Linnée
ou plutôt Gunner , n’existe pas dans le squale
très-grand.
La réalité , la permanence de ces deux traits
caractéristiques dans l’espèce de squale que je
donne comme nouvelle , sont confirmées par
l’exemple d’un autre squale beaucoup plus petit
qui fut pêché dans la mer de Marseille en 1781,
époque où je me rendis moi-même dans cette ville
pour y travailler à une collection de poissons que
je destinais au musée de Pavie. Ce squale , me-
suré de la pointe du museau jusqu’à l’origine de
la queue , a cinq pieds et demi de long sur deux
pieds sept pouces de circonférence. Il cadre
DANS LES DEUX SICILES. 209
parfaitement avec chacun des caractères indi-
qués ci-dessus. Les angles solides , longitudinaux
et très-aigus des dents , y sont très-sensibles ;
on y remarque également les deux trous dont
j’ai parlé , situés au - dessus des yeux à la dis-
tance d’un pouce neuf lignes , et éloignés de
la pointe du museau de trois pouces et demi.
Je me rappelle que lorsque j’en fis l’acquisi-
tion à Marseille , c’est-à-dire, peu de temps
après qu’il fut pêché, j’introduisis la sonde dans
les deux trous, et qu’elle pénétra jusque dans
la bouche.
Des dents anguleuses dans leur longueur, des
trous à la tempe , sont deux particularités qui
doivent compter sans doute pour des caractères
distinctifs 5 sur-tout les trous qui , avec la nageoire
de l’anus , ont servi à Broussonnet de fondement
pour diviser les chiens de mer en trois ordres :
le premier embrassant les espèces munies de
cette nageoire et de trous à la tempe 5 le second
comprenant celles qui ont cette nageoire et point
de trous 5 le troisième réunissant les autres espèces
pourvues de trous, et non de la nageoire. Et
comme le squale très-grand décrit par Gunner
manque de frous , il se trouve ainsi placé dans
le second ordre.
Il faut donc conclure de là , ou que Gunner
VOYAGES
%40
est un observateur inexact qui n’a point fait at-
tention à ces dents anguleuses , à ces trous dont
nous parlons } ou que le poisson qu’il a décrit
est d’une espèce différente du mien , ce qui me
paraît heaucoup plus vraisemblable. En efFet ,
comment n’aurait-il pas apperçu deux choses
qui sautent aux yeux à la première inspection?
Remarquôns encore que ce squale nommé très-
grand par Gunner, par Linnée , par Brousson-
net , est habitant des mers du nord 5 que celui
dont j’ai donné la description vit dans la Médi-
terranée j où son espèce n’est pas rare 5 qu’il
se laisse souvent prendre en été dans le canal
de Messine ? qu’il parvient même à une gros-
seur trois ou quatre fois plus considérable
que celui dont la dépouille m’a été envoyée à
Pavie.
J’ai fait observer , qu’à la réserve de la pre-
mière rangée de dents qui est saillante , les
autres rangées , posées horizontalement avec
leurs pointes tournées vers le gosier, sont en-
sevelies dans la chair 5 que leurs racines y sont
plongées sans alvéoles qui les reçoivent. Cet
arrangement se retrouve dans le squalus car-
caria , comme l’a remarqué Sterion : Intel -
riores ( ordines dentium ) inferiora versus
recurvati gingivarum molli et fungosa carnet
ita
DANS LES DEUX SICILE S. . 0^1
ita delitescebant clausi , ut non nisi resectis
gingivis in conspectum prodirent .
Mais ensuite voici comment cet auteur s’ex-
prime sur l’utilité de ces dents : Cui usui dentes
ita incurvatos natura destinarit , n'on perspi -
cio , ciim carnes intra sepulti escœ commi -
nuendœ nulla ratione potuerint inservire. lie-
tinendæ prœdœ , ne dijfugiat y forsitan et dif-
fringendœ majori y quam quœ ventrem subire
possit y primi ordinis inserviunt : reliqui vero ,
nisi materiœ necessitate dicantur facti y non
video cujus gratiâ sint confecti .
Ainsi ces nombreuses dents couchées sur les
mâchoires du squale, et recouvertes d’une chair
molle et fongeuse , ne lui sont d’aucun usage,
suivant ce naturaliste. Mais les ichthyoîogistes
n’ignorent pas qu’Hérissant n’était pas de cet avis,
lui qui a trouvé dans l’examen de plusieurs mâ-
choires de chien de mer , que les dents plus
ou moins ensevelies dans ces chairs , sônt des
dents de réserve destinées à remplacer celles de
la rangée antérieure $ que si une ou plusieurs
de ces premières viennent à manquer, les autres
situées plus bas se soulèvent, et vont occuper
leur place (1).
(1) Mémoires de FÀcadémie , an. 1 74g.
Tome 1) Q
242 VOYAGES
Le musée de Pavie possédant un petit squale
requin , et quelques mâchoires de cette espèce
de poisson , on pense bien que la curiosité dut
m’inviter à examiner ce fait, et à porter à-la—
fois mon attention sur les dents du squale de
Messine, qui ont à-peu-près la même position.
Le requin du musée fut acheté l’année der-
nière sur les côtes d’Afrique par l’abbé Rosa,
un des conservateurs de cet établissement. Il n’a
que six pieds de long sur trois pieds quatre pouces
de circonférence : c’est un pygmée, en compa-
raison des adultes de son espèce. La première
rangée des dents de la mâchoire supérieure
saille à peine hors de la bouche 5 leurs pointes
sont légèrement courbées vers l’intérieur du go-
sier. La seconde rangée est plus inclinée dans le
même sens ; les autres rangées sont applaties
sous celles-là , et s’y cachent en partie. Les plus
grandes dents ont quatre lignes et demie de long
sur trois et demie de large. On voit les mêmes
dispositions dans la mâchoire inférieure, excepté
que les dents plus petites ne sont pas découpées
en manière de scie comme les précédentes. Mais
le dessèchement et la dureté de ces mâchoires
auxquelles je ne pouvais toucher sans gâter l’ani-
mal , ne me permirent pas d’enlever la chair
fongeuse, et de mettre les dents à découvert.
DANS LES DEUX SICILE 3. ^43
Je revins donc aux mâchoires isolées que
possédait le muséum , et pouvant en disposer
avec liberté , j’en pris deux que je fis macérer
dans l’eau à l’effet de les ramollir. Voici le
résultat de mes observations. Les dents de la
mâchoire supérieure étaient triangulaires , plates
en dehors 3 à peine convexes en dedans, dé-
coupées en manière de scie sur les bords, ayant
huit lignes de long sur six lignes de large à leur
base : j’entends celles qui avoisinaient la pointe
de la mâchoire , ou qui gisaient latéralement à
quelque distance 5 car pour les autres situées
près du gosier , elles étaient beaucoup plus pe-
tites. Les rangées s’offraient au nombre de quatre.
Les dents de la première s’élevaient presque ver-
ticalement sur le plan de la mâchoire avec leurs
pointes recourbées. Il en manquait quatre , et
on ne voyait pas qu’elles eussent encore été rem-
placées par celles de la seconde rangée. Cepen-
dant un nombre égal de ces dernières, corres-
pondantes aux absentes, s’étaient déjà soulevées
et poussées en avant, et on pouvait juger qu’avec
le temps elles auraient pris leurs places. Quant
aux autres dents de la seconde rangée 9 elles
étaient couchées presqu’horizontaîement et en-
sevelies dans la chair fongeuse , ainsi que les
dents de la troisième et quatrième rangée. Une
sorte de régularité s’offrait dans leur disposition :
Q a
VOYAGES
244
les dents de la seconde rangée reposaient sur
les dents de la troisième, et celles-ci sur les
dents de la quatrième. On remarquait encore ,
après avoir enlevé la chair qui couvrait ces der-
rières, que leur tissu était tendre, ou du moins
qu’elles n’avaient pas acquis la dureté des autres.
En considérant les dents de la mâchoire infé-
rieure , je n’ai su découvrir d’autre différence,
sinon qu’elles étaient proportionnellement plus
petites ; d’ailleurs elles convenaient dans toutes
les circonstances précédentes , sans en excepter
leurs limbes découpés en forme de scie. A la
réserve de la première rangée, les trois suivantes
étaient plus ou moins ensevelies dans la chair
maxillaire. On observait, de plus, deux dents
appartenant à la première rangée , rompues à
leurs racines; la fossette longue et mince où elles
avaient été implantées paraissait déjà remplie en
partie par les deux correspondantes de la seconde
rangée , qui étaient venues occuper leur place.
Ainsi je restai convaincu que les dents de la
seconde rangée dans le squale requin ne lui sont
point inutiles, materiœ necessitate facti , comme
le dit Stenon , mais qu’elles sont destinées par
la nature à suppléer celles de la première rangée
quand elles se perdent : observation ingénieuse
dont tout le mérite appartient à Hérissant, mais
]) A N S LES DEUX SICILE S.
qui ne m’en a pas procuré moins de plaisir en
la répétant d’après lui. Comme les dents de la
troisième et quatrième rangée sont également
adhérentes à la chair fongeuse qui est mobile
dans les parties antérieures de la bouché, je ne
fais aucun doute que lorsqu’il se rompt des dents
de la seconde rangée qui ont déjà pris place
dans la première , celles de la troisième ne vien-
nent les suppléer , et après elles celles de la qua-
trième ; de manière que les trois rangées posté-
rieures peuvent être regardées comme les sup-
pléantes de la première.
Pendant que j’examinais ces deux mâchoires
et que je considérais l’ample contour de leurs
bords , c’est-à-dire , celui même de la bouche
de l’animal , contour qui embrassait alors trente
pouces et demi malgré la petitesse des dents dont
les plus grandes avaient , comme je l’ai dit , huit
lignes de long sur six de large, je me mis à réflé-
chir sur l’énorme capacité de gosier , et par con-
séquent de corps, que la nature a départie à cette
espèce de poisson , dont les dents fossiles, connues
sous la dénomination impropre de glossopèti'es ,
atteignent quelquefois la longueur de plusieurs
pouces. J’avais en ce moment sous les yeux un
de ces glossopètres , qui comportait trente-deux
lignes de circonférence à sa base sur trente-cinq
Q 3
VOYAGES
246
de hauteur , et qui , vu sous tous les sens , ne
pouvait être plus semblable aux dents en forme
de scie du requin de la collection du muséum.
Or , si ce dernier animal , dont les dents n’ont
que trois lignes et demie de large sur quatre
lignes et demie de haut, offre un corps de six
pieds de longueur sur trois de largeur quel était
donc le volume du requin qui a laissé sa dent gi-
gantesque dans la terre? Quelle bouche énorme!
quel gosier !
Ce n’est pas tout ; j’ai supposé que le glosso-
pètre faisait partie des grandes dents situées vers
l’extrémité de la mâchoire , et saillantes hors de la
bouche ; mais s’il était de l’ordre des petites si-
tuées vers les racines de la mâchoire, la propor-
tion augmenterait en raison de cette différence.
Quoique l’on pêche aujourd’hui des requins
d’un volume considérable , ils sont bien éloignés
d’avoir les dimensions qu’indique la dent fossile
dont je viens de parler. Ce n’est point là un sujet
de surprise pour ceux qui savent qu’il existe dans
le sein de la terre , des dents , des os fossiles,
dont la grandeur témoigne qu’ils ont appartenu
à des individus infiniment plus gros que ceux
de la même espèce qui vivent actuellement, et
qui multiplient dans les parties connues du globe.
Telles sont , par exemple , ces défenses d’élé-
DANS LES DEUX SICILE S. 2/<7
phans d’une longueur démesurée qui nous vien~
nent de l’Asie et de l’Afrique. On peut lire à ce
sujet un Mémoire aussi curieux qu’instructif de
l’abbé Fortis, intitulé : Dell 9 ossa d ’ eleùmti de ’
monti di Romagnano nel V'eronese . En 1791,
à quinze milles de Pavie, on pêcba dans le Pô , en
face d’Arena>un crâne de daim ( cervus dama),
qui fut jugé digne d’entrer dans la collection des
os fossiles du musée. Il est parfaitement conservé
dans son état naturel d’os , garni de ses dents :
une corne lui manque. La grandeur de son vo-
lume en fait seul la rareté , car il est bien deux
fois et demie plus gros que les têtes de ses sem-
blables auxquelles je l’ai comparé, en choisissant
dans l’espèce ceux qui , étant nés et' ayant vécu
dans l’état de liberté, étaient parvenus à leur en-
tière croissance : il faut en dire autant de la corne
qui lui reste. L’année suivante j’achetai , pour le
même musée , un énorme fémur d’éléphant tiré
d’un endroit où, quelque temps auparavant , on
avait pêché un crâne qui paraissait être celui d’un
bœuf, mais d’une grosseur gigantesque.
Pour revenir aux requins, peut-être en ver-
rait-on encore qui parviendraient à ces grandes
dimensions dont leurs antiques dépouilles font
foi , si les hommes ne leur livraient une guerre
continuelle, et ne les détruisaient avant le temps
Q 4
*vs8 Voyages
de leur ender développement , autant pour se
défaire de ces redoutables ennemis, que pour
l’utilité que leur apportent et leur chair, et leur
graisse, et leur peau. D’ailleurs les appétits glou-
tons du requin l’attirent aisément dans les pièges
qu’on lui tend. C’est ainsi que dans les mers du
nord lorsqu’on fit pour la première fois la pêche
de la baleine , il s’en trouva d’une grandeur dé-,
mesurée qui tombèrent au pouvoir des pêcheurs.
Ces énormes baleines disparurent insensiblement,
et Ton n’en voit plus de telles aujourd’hui.
Linnée donne au squale requin six rangées de
dents découpées en manière de scie. Je n’en ai
compté que quatre , mais j’ai en même temps
observé que les dents de la dernière étaient
molles , et n’avaient probablement commencé à
se développer qu’après celles des rangées anté-
rieures 5 d’où je présume que les rangées pos-
térieures ne se manifestent qu’à la suite les unes
des autres. Quant à la forme des dents , j’ai dit
que celles de la mâchoire inférieure du petit re-
quin du musée n’offraient point de découpures
aux limbes en manière de scie, mais que ces dé-
coupures se manifestaient dansles deux mâchoires
plus grandes d’un autre individu.
Je tire de là deux conséquences 5 i°. qu’il
pousse avec le temps à ces animaux des dents qui,
DANS LES DE U X SICILES. ^49
dans le principe , n’apparaissaient point ; 2°. que
ces dents sont sujettes à des modifications, telles
que des découpures aux limbes. C’est ainsi que
les dents enfermées dans les alvéoles du museau
osseux et très-alongé du poisson scie , squalus
sega ; ne se manifestent point dans les premiers
temps de son existence.
Mais un phénomène plus remarquable, et qui
paraît constant dans tous les âges du requin, est
sa faculté de regagner en quelque sorte ses dents
perdues. La nature a-t-elle borné cette faculté
à lui seul , ou l’a-t-elle départie à d’autres pois-
sons qui auraient également plusieurs rangées de
dents, non implantées dans les os maxillaires,
mais dans une chair molle , recourbées vers le
gosier (j’entends celles des rangées postérieures),
et couvertes par la chair des mâchoires? Ces trois
circonstances s’offrent dans le squale de Messine,
qui cependant ne paraît point jouir de la même
prérogative. Il lui manque plusieurs dents de la
première rangée 3 les correspondantes de la se-
conde ne se sont point soulevées, elles conservent
au contraire la même courbure en arrière qu’ont
toutes les autres de leur ordre.
Avant de terminer cette dissertation , qui m’a
paru propre à intéresser les naturalistes, je pro-
duirai un fait semblable à celui que je viens de
VOYAGES
$5o
rapporter ; je l’ai trouvé dans la denture très-
singulière de deux mâchoires venues de Hollande
avec d’autres poissons exotiques , et déposées
dans le musée de Pavie. A leur inspection, j’ai
jugé que le poisson auquel elles ont appartenu
était un très -gros squale, mais d’une espèce
inconnue ; du moins je n’ai rien lu dans les livrés
qui se rapportât aux deux mâchoires que je vais
décrire.
Leur ouverture est d’environ trois pieds et
demi : un homme de taille moyenne pourrait y
passer aisément. La mâchoire supérieure, arron-
die par-devant , est garnie de cinq rangées de
dents; la première et la seconde représentent
comme autant de peignes qu’il y a de dents ,
avec cette différence que les plus voisins de la
base , et celui du milieu de la mâchoire , sont
plus petits. Chaque peigne est denté des deux
côtés; il porte dix denticules de part et d’autre ,
très-aigus par la pointe , recourbés vers la base
de la mâchoire , et successivement plus grands à
mesure qu’ils s’approchent du milieu de la mâ-
choire. Le côté supérieur saille hors de la bouche :
l’inférieur est tourné vers le bas. Ces deux côtés
ne sont point parallèles, mais ils forment avec le
corps du peigne un plan qui va en se rétrécissant
vers la base de la mâchoire , et s’élargissant par
DANS LES DEUX SICILE S. 25l
conséquent dans le sens opposé. Les peignes ,
j’entends toujouiVpar cette image les dents de la
première et seconde rangée, sont contigus, ne
laissant entr’eux , à leur sommet , qu’un petit
espace obtusangle : ils s’attachent avec solidité,
dans leur milieu longitudinal , à la chair semi-
cartilagineuse de la mâchoire.
Telles sont les principales circonstances qui
s’offrent dans la première et seconde rangée ;
mais sous celle-ci il en naît une troisième , sous la
troisième une quatrième, sous la quatrième une
cinquième. Chacune de ces dernières représente
également autant de peignes dentés , dont les
divisions sont au nombre de dix , et absolument
semblables à celles des deux rangées supérieures.
Toute la différence consiste en ce que ces peignes
ne sont dentés que d’un côté, l’autre restant for-
tement attaché aux chairs maxillaires. Au sur-
plus , il faut noter qu’à la seule réserve de la
première rangée , les autres sont profondément
ensevelies sous une couche de chair fongeuse ,
qu’il est nécessaire d’enlever pour les mettre à
découvert.
Je passe sous silence une multitude d’autres
petites dents lisses, obtuses , situées aux racines
de la mâchoire , et placées au-dessous des dents
à peigne. Quant à celles-ci qui forment cinq
VOYAGES
25s
rangées , si on multiplie ce nombre par treize ,
on aura soixante-cinq dents à peigne pour tout
le contour de la mâchoire. A la vérité , il en
manque une des plus grandes dans la première
rangée $ mais sa place reste. Cette privation n’é-
tait pas récente à l’époque où l’on prit le poisson,
car la chair fongeuse couvrait la cicatrice , et
y formait une éminence anguleuse de quelque
épaisseur. Or , si la seconde rangée des dents
avait été destinée par la nature à suppléer celles
de la première, la dent sous-correspondante à
l’absente , dans l’exemple' que nous avons sous
les yeux, n’eût-elle pas pris sa place, ou du moins
ne se fût-elle pas soulevée pour s’en approcher?
Mais il n’en est rien , et cette prétendue dent
supplémentaire a conservé la même position ,
la même direction que ses compagnes, couvertes
comme elle d’une couche de chair fongeuse.
On voit, planche VIII, la représentation de la
mâchoire supérieure que nous venons de dé-
crire: la lettre A indique la place de la dent qui
manque.
La mâchoire inférieure , plus courte que la
supérieure, plus effilée dans le milieu, est armée
d’une denture bien différente. Chaque dent, de
deux tiers plus petite que celles à peigne , est
tantôt à deux pointes , tantôt à trois ou à quatre.
DANS LES DEUX SICILE S. z53
sans suivre de règle constante , et les pointes
penchent vers les cotes de la mâchoire : la
planche VIII qui représente les deux mâchoires,
en laisse voir quelques-unes 5 elles forment trois
rangées , et chaque rangée dans son contour
embrasse quatorze dents. Celles de la première
ont une direction presque verticale 5 celles de
la seconde et de la troisième sont , comme à
l’ordinaire , couchées et recouvertes par la chair
fongeuse : toutes y sont profondément enraci-
nées. Plusieurs dents manquent dans la première
rangée, et n’ont point été remplacées par celles
de la seconde ; nulle apparence même que celles-
ci dussent les remplacer, puisqu’elles sont restées
dans leur situation primitive.
L’exemple de ce squale inconnu , et de celui
qui fut pris à Messine et dont j’ai donné la descrip-
tion, nous prouve que malgré la conformation et
la position relative des dents , semblables à celles
dn squale requin, il est dans ce genre des espèces
qui ne jouissent pas du même privilège, c’est-à-
dire, dont les dents inférieures ne sont point des-
tinées par la nature à remplacer les dents supé-
rieures.
Mais si ces dents ainsi tournées vers le gosier *
et enveloppées de chair, n’ont point la faculté
de se relever , et ne sont point mises là comme en
VOYAGES
2%4
réserve pour venir prendre la place de celles qui
tombent , soit naturellement 3 soit accidentelle-
ment > quel est donc leur usage ? Certainement
si durant la vie de l’animal elles gardent dans
sa bouche la même situation , elles lui sont inu-
tiles pour saisir sa proie , pour Parrêter, pour
la briser ; il ne doit trouver non plus en elles ni
moyens d’attaque t ni moyens de défense contre
ses ennemis $ car on sait que ces espèces de pois-
sons se livrent continuellement de violens com-
bats. Dirons-nous ici avec raison ce que Stenon
disait à tort des squales requins , reliqui vero
( les dents des rangées postérieures ) , nisi ma -
ieriœ necessitate clicantur facti , non video
cujus gratiâ sint confecti ?
Je suis bien loin de vouloir juger les fins de
la nature 5 elle en a que nous ignorons profon-
dément , et peut-être que nous ne pénétrerons
jamais. Toutefois elle en a aussi d’assez manifestes
pour que nous ne restions pas dans l’incertitude
à leur égard. Il n’est pas douteux , par exemple ,
que dans plusieurs animaux les dents ne soient
une arme offensive et défensive } en même temps
qu’elles servent à la trituration et à la mastication
des ali mens j mais elles ne sont données à d’autres
animaux que pour saisir leur proie , qu’ils en-
gloutissent ensuite et font passer toute entière
h
DANS LES DEUX SICILE S. s55
dans leur estomac. Les squales requins ne mâ-
chent point, et cela leur est commun avec une
infinité d’autres poissons • mais ils se servent de
leurs dents antérieures pour s’emparer des ani-
maux dont ils font leur pâture , et cès dents
venant à leur manquer , elles sont remplacées
par les dents postérieures , telle étant la destina-
tion de ces dernières.
Les deux espèces que j’ai décrites ne peuvent
de même employer que les dents de la première
rangée , puisqu’elles sont les seules saillantes dans
leur bouche. Mais si elles tombent , soit natu-
rellement , soit par accident , la perte , comme
on l’a vu , en est irréparable $ nulle ressource
pour eux dans celles de la seconde , de la troi-
sième et de la quatrième rangée. Mais doit-on
pour cela les appeler inutiles ? une telle pré-
somption n’est pas dans ma pensée. On en jugeait
ainsi des dents postérieures des squales requins 5
mais un examen plus approfondi de leurs mâ-
choires nous a ensuite découvert leur véritable
usage. Je n’ai observé et comparé que celles
de deux individus d’espèce différente 5 si j’avais
été à portée d’étendre ces recherches à un plus
grand nombre , peut-être en aurais- je obtenu des
preuves que je ne soupçonne pas , sur-tout en
les observant dans des âges divers.
2 5$ VOYAGES, ÛC .
En attendant, profitons de la leçon qui s’offre
à nous dans ces remarques 5 soyons circonspects
dans l’emploi des argumens fondés sur la seule
analogie : pouvait- elle être plus grande entre les
circonstances qui , dans les squales requins, ac-
compagnent les dents des rangées inférieures ,
et celles qui se combinent avec les mêmes ran-
gées dans les deux squales ci dessus décrits? Com-
bien il était facile d’argumenter en soutenant que
ces rangées étant suppléantes dans les premiers ,
elles devaient l’être dans les deux autres ! et ce-
pendant l’observation a décidé le contraire.
Dans le cours de cette dissertation , j’ai consi-
déré les squales comme faisant partie de la classe
des poissons , quoique Linnée les ait rangés au
nombre des amphibies, parmi lesquels il compte
aussi les raies , les lamproies , &c. parce qu’ils sont
pourvus, selon lui, de véritables poumons; mais
Vicq-d’Azyr a démontré l’inexistence de ce vis-
cère dans ces animaux, et moi-même j’ai confirmé
quelque part les preuves qu’il en a données (1).
(1) Voyez Opusc. scelt. di Milano, ann. tjS3yt. VL
FIN I) U TOME QUATRIÈME.
TABLE
Zbnt ■ 4.
Fia. III
«
'<*
TABLE ET SOMMAIRES
des chapitres contenus dans ce quatrième
volume.
chapitre xxiii, page 1. Considérations
sur ly activité des feux volcaniques .
Opinions contraires snr cette activité : les uns veulent
qu’elle soit très-grande , les autres très-faible. Exa-
men des argumens favorables à la première opinion.
Argument déduit des effets produits par le feu d’une
lave coulante, et comparés à ceux du feu ordinaire.
Ardeur de cette lave au moment de sa sortie, supé-
rieure à celle que les fourneaux peuvent communiquer.
Second argument déduit de la promptitude avec la -
quelle se liquéfia un morceau de lave froide jeté sur
une lave en fusion : liquéfaction plus prompte que
celle qui s’opère dans les fourneaux. Troisième argu-
ment déduit de la conservation d’un calorique très-
énergique dans les laves long-temps après qu’elles
ont cessé de couler. Quatrième argument déduit de
la fusion de grands amas de pierres qui se sont trou-
vés sur le passage des laves fluenles, et des grands
espaces de pays que ces laves ont parcourus. Cin-
quième argument déduit de la grande difficulté que
l’on éprouve à liquéfier dans les fourneaux le verre
volcanique d’Islande. Sixième argument déduit de
l’ébullition de l’eau de la mer causée par des incendies
Tome IV. R
^58 TABLE ET SOMMAIRES
volcaniques. Septième et dernier argument déduit d©
la grande fluidité des laves*en plusieurs circonstances.
Les argumens employés par les partisans de l’opinioH
contraire pour prouver la faiblesse des feux volca-
niques peuvent aisément se réduire à un seul , qui
est que les pierres , en passant à l’état de lave , n’é-
prouvent aucun changement essentiel , et que leurs
schorls ne se fondent point, tandis que le feu ordi-
naire détruit , par la vitrification , les caractères pri-
mordiaux de ces mêmes pierres , et opère pour l’or-
dinaire la fusion des schorls. Cet argument est plus
spécieux que solide. Il n’est pas toujours vrai que
les feux volcaniques soient insuflisans pour fondre les
schorls; bien plus, ils fondent quelquefois les grenats
du Vésuve, réfractaires dans nos fourneaux. La faible
altération qui se remarque dans les caractères primi-
tifs des laves ne doit point être attribuée -à la faiblesse
des feux volcaniques , mais à leur manière d’agir toute
particulière Feux des fourneaux très-propres à fondre
les roches , tant volcaniques que naturelles ; mais in-
sufîisans pour leur communiquer une véritable flui-
dité : si l’on veut l’obtenir , il faut employer un feu
beaucoup plus actif. Jusqu’à quel point est fondée l’opi-
nion de ceux qui prétendent que le feu volcanique
agit plutôt par sa durée que par son activité. Un feu
de fourneau tou j ours égal parvient à liquéfier les roches
par sa seule durée, mais en même temps il en détruit
le tissu, comme il le détruirait s’il était doué d’une plus
grande activité. On recherche si le soufre sert de fon-
dant aux pierres qui passent à l’état de lave , ou s’il
facilite leur fusion : une longue série de faits démontre
B Ê S CHAPITRES.
le contraire. Les laves , outre le calorique qu’elles re-
çoivent des incendies souterrains, n’en ont point un
qui leur soit propre , et qui se développe par une véri-
table combustion à la manière des corps inflammables.
Expériences à ce sujet. Nous n’avons aucune idée claire
de l’action du feu volcanique. Incertitude où nous
sommes sur la qualité des alimens de ce feu. Le gaz
oxigène est probablement l’auteur et le conservateur
des incendies souterrains ; il est propre à produire des
combinaisons particulières dans les substances pier-
reuses qu’il investit quand il se trouve mêlé avec
d’autres gaz et avec des substances salines. L’eau unie
nu feu peut encore concourir à produire ces sortes de
combinaisons.
chapitre xxiv j page 6 1. Détails sur le
climat , les productions , V agriculture et le
commerce des îles Æoliennes. Mœurs et
usages des habitans .
LIP ART. Population de cette île. Plantes utiles que
l’on y cultive. Les vins font l’objet principal du com-
merce des insulaires. Leur malvoisie est fameuse. Mé-
thode pour la faire. Rareté du bled : moyens d’en
augmenter les récoltes par une culture différente.
Prodigieuse fécondité des figuiers d’Inde , tant à Li-
pari que dans les autres îles Æoliennes. Goût délicieux
de leurs fruits. Description de cet arbuste : facilité
de le multiplier par-tout. Projet de le rendre plus
utile , en nourrissant avec ses feuilles l’insecte coche-
nille , comme on nourrit le vers-à-soie avec celles du
mûrier. Poissons et corail que l’on pêche aux environ»
R s
26q table et sommaires
de Lipari. Notice sur un physétère qui parut dan3
cette mer pendant que l’auteur la parcourait. Avec une
organisation à-peu-près semblable à celle des animaux
à mamelles , il peut cependant rester plus long-temps
sous l’eau. Rareté des animaux à Lipari : quelle en est
la cause. Lapins , les seuls quadrupèdes de l’île. Chasse
agréable qu’on en fait avec le furet. Oiseaux de rési-
dence en petit nombre. Oiseaux voyageurs s’arrêtent
rarement sur ses rivages. Hirondelles sont passagères
chez nous : là , résidentes. Manière de les prendre
dans la ville pendant l’hiver. Commerce extérieur in-
troduit à Lipari. Comment on doit entendre Strabon,
Diodore et Dioscoride, lorsqu’ils affirment que le sul-
fate d’alumine était d’un produit considérable pour
Lipari. Son état civil et ecclésiastique. Caractère de
ses habitans.
STROMBOLI. Grande chaleur que l’on y éprouve;
produite, non par le volcan , mais par le soleil. Nature
du climat. Ouragans. Mer tempétueuse. Rivages dé-
nués de port. Forme des barques employées par les
insulaires. Abondance du poisson , paraît un effet de
la chaleur du volcan communiquée aux eaux de la mer»
Plantes. Malvoisie , principal produit de l’île. Vigno-
bles ; manière de les abriter contre les vents. Popu-
lation. Le volcan n’inspire aucune crainte. Hospitalité
des insulaires: leur caractère. Fontaine permanente :
son origine. Animaux qui se rencontrent dans File.
Y U LC A N O, île inhabitée. Grande abondance du sulfate
d’alumine qu’on en tirait autrefois Difficulté actuelle
de l’extraire. Elle est susceptible de culture.
DES CHAPITRES. 1
LES SALINES. Ses vignobles abondans. Fontaine
qui jaillit au bord du rivage ; doit son origine et son
entretien aux eaux de la pluie. Muriate de soude four-
ni par un lac voisin de la mer. Méthode pour l’ex-
traire.
FÉLICUDA et ALICUDA. Population de ces deux îles.
Maisons bâties sur les hauteurs pour se mettre à l’abri
des incursions des Barbaresques qui infestaient autre-
fois les îles ^Éoliennes. Elles n’en sont pas encore
exemptes. Justes craintes des voyageurs qui navigant
dans ces parages. Végétaux de Félicuda et d’Alicuda.
Le froment qui croît dans la première est excellent.
Industrie des habitans qui le cultivent. Leurs barques
et l’usage qu’ils en font. Superstition abolie. Les îles
Æoliennes, en général, sont exemptes de serpens, et
pourquoi. Contentement inaltérable de ces insulaires.
Salubrité de l’air qu’ils respirent. Avantages qu’en
éprouve l’auteur pendant son séjour. Comparaison
entre l’atmosphère de ces îles et celle des plaines de
la Lombardie.
chapitre xxv, page io3. Voyage à Mes-
sine. Etat de cette mile après les tremble -
mens de terre de 178 3. Détails concernant
cette horrible catastrophe .
Habit ans de Scylla engloutis dans la mer. Palais ren-
versés autour du port de Messine. Ecroulement et
ruines d’un nombre prodigieux de maisons Baraques
de bois où se retirèrent les Messinois pendant la cons-
truction de nouvelles maisons plus propres à résister
R 3
202 TABLE ET SOMMAIRES'
aux trembîemens de terre. Description des secousse®
qui se firent sentir; événemens qui les précédèrent y
événemens qui les suivirent. Edifices bâtis sur le gra-
nit furent moins endommagés que les autres. Le mole
fondé sur un sol mobile , croula et fut enseveli dans
la mer. Enumération des édifices les plus remarquables
qui furent détruits. Calcul des pertes immenses de
cette ville. Empressement du roi de Naples pour la
soulager.
chapitre xxvi, page ii 2. Observations
sur Scylla et Cary b de.
Murmure semblable à des aboyemens de chiens, se
fait entendre à Eapproche du rocher de Scylla; il est
occasionné par le battement des flots de la mer. Des-
cription d’Homère et de Virgile. Le rocher de Scylla
se montre encore tel aujourd’hui qu’il était du temps
du poète grec. La mer n’a éprouvé aucun abaissement
sensible depuis cette époque. Danger imminent d’é-
chouer contre ce rocher quand le courant va du sud
au nord. Matelots de Messine destinés par le gouver-
nement à porter secours au:* vaisseaux. Description
d’une tempête dans le détroit. Prompts secours don-
nés à un vaisseau en perdition. Situation précise de
Carybde. Carybde a passé jusqu’à nos jours pour un
tourbillon d’eau. On a prétendu que les débris des
navires engloutis par le tourbillon étaient revomis à
trente milles plus loin ; fait rapporté à ce sujet. Cou-
rant du détroit , tantôt ascendant , tantôt descendant.
Visite de l’auteur à Carybde. Apparence sous laquelle
il se montre. Ce n’est point un tourbillon , mais un
DES CHAPITRES.
265
simple bouillonnement d'eau. Ce que deviennent les
corps que l’on y laisse tomber. Profondeur de la mer
à cet endroit. Comment les vaisseaux qui y sont pous-
sés peuvent courir des dangers. Naufrage récent. Les
auteurs qui ont écrit de Carybde ne l’ont point vu.
Sa distance de Scylla est de douze milles. Erreur
d’Homère à ce sujet. Carybde et Scylla, autrefois
célèbres par les tempêtes et les naufrages , ne sont
plus si redoutables , et pourquoi.
chapitre xxvn, page 1 57. Méduses
phosphoriques observées dans le détroit de
Messine .
D’o u leur vient ce nom. Pourquoi on les appelle encore
gelées et orties de mer. Peu d’auteurs en ont écrit ,
aucun n’a fait leur histoire. Ce qu’en dit Lœfling excite
la curiosité , mais ne la satisfait pas. Méduses phospho-
riques sont rares en comparaison des méduses non
phosphoriques. L’auteur a l’avantage de rencontrer
un grand nombre des premières dans le détroit de
Messine. Leur organisation , leur manière de nager
dans la mer , deux choses nécessaires à savoir pour
l’intelligence de leur propriété phosphorique. Forme
de leur corps semblable à l’orhbelle d’un champignon,
concave dessous, convexe dessus. Cette ombelle est
munie de douze tentacules. Sa structure indique une
bouche et un estomac. Grande simplicité de son orga-
nisation. On y appercoit de petits corps qui ont la
forme d’intestins et de trachées. Léger tissu muscu-
leux dans ses parties internes. Description des ten-
tacules. Aucune apparence de circulation d’humeurs.
R 4
table et sommaires
Comment ces méduses se dissolvent. Eau marine com-
pose la plus grande partie du volume de ces animaux.
Indices de quelque organisation dans les parties mêmes
des méduses où l’œil n’en apperçoit aucune. Mouve-
ment de systole et de diastole dans leur ombelle au
moyen duquel elles cheminent dans la mer. Sans ce
mouvement alternatif elles tomberaient au fond. Son
siège est seulement dans le tissu musculeux. Il con-
tinue quand la méduse est tirée hors de l'eau : il cesse
quand le tissu musculeux se corrompt. Les faits ne
décident pas clairement si ce mouvement est indépen-
dant de la volonté de l'animal. Les corpuscules en
forme d’intestins et de trachées apperçus dans la cavité
de l'ombelle , jouissent de mouvemens particuliers.
Indices que les premiers sont de véritables intestins.
Phosphorescence des méduses observée de nuit dans
la mer et dans des vases emplis d’eau marine ; plus
forte dans la systole , moins forte dans la diastole ,
très-petite dans les intervalles de repos. Ne s’éteint
point entièrement, sinon après la mort de l’animal,
et quand il commence à se corrompre. Précautions
à prendre pour appercevoir une phosphorescence très-
faible. Phénomènes s .mblables dans les méduses mortes
et mises au sec. Si l’on plonge dans l’eau douce des
méduses mortes et en partie dissoutes, elles reprennent
subitement leur lumière , et la communiquent à l’eau.
Ce phénomène n'a pas lieu dans l’eau de mer. La pluie
en tombant sur les méduses dont le phosphore paraît
éteint , le ravive : cela n’arrive point en les arrosant
de même avec l’eau delà mer. Une friction artificielle
augmente leur lumière , et la rallume quand elle ne
brille plus. Par le moyen de cette friction , la phos-
DES CHAPITRES. 205
phorescence se communique à l’eau. Cette communi-
cation se fait beaucoup mieux avec Peau douce qu’avec
l’eau salée. Brillantes clartés phosphoriques dans une
eau de puits où l’on avait pressuré quelques méduses.
Quand ces phosphores ne brillent plus , il suffit d’a-
giter l’eau pour les faire reparaître. Un calorique ar-
tificiel , supérieur à celui de l’atmosphère , est capable
d’y renouveler la lumière quand l’agitation ne la re-
produit plus. Ce phosphore brille dans l’urine hu-
maine comme dans l’eau douce, beaucoup mieux dans
le lait. Phénomènes observés à cet égard. La percus-
sion du lait suffit pour faire renaître sa phosphores-
cence. Cette liqueur préférable pour ces expériences
à toutes les autres liqueurs. Le phosphore des méduses
ne s’étend pas à tout leur corps. L’ombelle en est pri-
vée , à l’exception de ses bords. Il réside principale-
ment dans les grands tentacules. On l’apperçoit moins
dans la bourse qui communique avec une ouverture
de l’ombelle , ouverture qui paraît être la bouche de
l’animal. Il consiste dans une humeur un peu dense et
gluante qui baigne les trois parties indiquées. Pour
que cette humeur manifeste sa propriété phosphorique,
elle doit être récente. Différence entre ces méduses et
celles qui ne deviennent phosphoriques que lors-
qu’elles tombent en pourriture. Deux humeurs dans
ces dernières , l’une très - abondante , salée , et non
désagréable au goût; l’autre très-rare, brûlante, et
d’une saveur désagréable. Dans cette dernière , réside
uniquement la lumière. Les méduses habitent pour
l’ordinaire les parages où la mer est calme. Leurs
divers noms à Messine et dans les îles Æoliennes.
Probabilité que les petits poissons leur servent d’ali-
266 TABLE ET SOMMAIRES
menl. Leur manière de les prendre. L’auteur soup-
çonne qu’elles sont de vrais hermaphrodites. Carac-
tère de cette nouvelle espèce de méduse dont il a don-
né la description. Deux sortes de mouches de mer lui-
santes vues par l’auteur dans son voyage en Sicile, et
semblables à celles qu’il avait rencontrées quelques
années auparavant dans l’Archipel et la mer Noire.
chapitre xxvm, page 172. Autres mol-
lusques découverts dans le détroit de Mes -
sine .
I. Description d’une nouvelle espèces d’ascidie. Deux
ouvertures, l’une supérieure, l’autre inférieure, don-
nent entrée dans son corps à l’eau marine. Compri-
mée entre les doigts, cette eau en sort sous la forme
de deux jets. Elle s’insinue dans l’intérieur de l’ani-
mal sans produire de tournoiement. Communication
entre les deux ouvertures. La supérieure semble faire
ia fonction de la bouche , l’inférieure celle de l’anus.
Nul autre mouvement dans ce mollusque , sinon d’ou-
vrir et de fermer ses deux ouvertures. Sa grandeur
ordinaire et sa couleur. Petits animaux qui s’y at-
tachent. La peau coriace dont il est revêtu est comme
un étui qui enferme et protège son corps extrême-
ment mou et tendre. Dépouillé de cette peau , il con-
tinue , comme auparavant , d’attirer l’eau par ses ou-
vertures. Petits muscles longitudinaux et transversaux
destinés à produire quelques légers mouvemens inté-
rieurs, mais qui ne sont perceptibles que lorsque l’a-
nimal est dépouillé de sa peau. Canal en forme de
poire aboutissant à l’ouverture inférieure. Vessies
DES CHAPITRES. 267
semi-transparentes contenant dans leur centre un glo-
bule. Petites ascidies attachées aux grandes sans com-
munication interne. Suc visqueux , cause de cette
adhérence. Leur génération différente de celle des
polypes décrits par Trembley. Conjecture que les
globules renfermés dans ces vessies sont les œufs ou
les rudimens de cette espèce de mollusque. Caractère
qui la distingue de celle appelée tethyum par Bohadsch.
Sa nomenclature.
II. Petit animal à tentacules très-singulier, adhérent aux
coraux pêchés dans le détroit de Messine. Sa descrip-
tion. Mouvement de systole et de diastole dans le filet
longitudinal du dos. Eau douce est un poison pour
cet animal. Incertitude sur le genre de mollusque
auquel il appartient.
III. Escare rameuse végétant sur les coraux non décrite
jusqu’à présent. Ses accroissemens, ses polypes. Pe-
tits tournoiemens qu’ils forment dans l’eau , au moyen
desquels les atomes propres à les nourrir sont portés
jusque dans leur bouche. Le mouvement de leurs bras
cause de ces tournoiemens. Comment les polypes se
retirent à volonté dans leurs cellules. Adhésion qu’ils
ont avec le fond de ces cellules. Polypes qui cessent
de vivre dans les vieilles cellules , remplacés par
d’autres qui en reproduisent de nouvelles. Il est vrai-
semblable que les nouvelles cellules et les nouveaux
polypes sont le développement du germe d’un vieux
polype. Nomenclature de cette escare.
IV. Autre espèce de polype du canal de Messine où l’on
apperçoit la circulation des humeurs. Sa description.
Anomalie dans cette circulation occasionnée par di-
268 TABLE ET SOMMAIRES
verses circonstances. A quel degré de chaleur ce po-
lype continue de vivre hors de la mer ; à quel autre
il périt. Aucun principe actif apparent n’est l’auteur
de cette circulation. Considérée en elle-même , elle
est aussi entière , aussi parfaite que celle qui s’observe
dans les êtres qui occupent un plus haut degré de
l’échelle animale. Définition de ce polype.
Y. Observations sur les mouvemens de quelques oursins,
spatagus , pêchés au fond du détroit de Messine. Ils se
meuvent spontanément , changent de place , et se
fixent à volonté au moyen de leurs tentacules, malgré
l’agitation des eaux où ils sont plongés. Singulière
manière dont ils font jouer leurs tentacules pour opé-
rer ces mouvemens. Les épines n’y prennent aucune
part. Poids requis pour vaincre la force des tenta-
cules qui tiennent l’oursin attaché aux parois d’un
vase de verre. Humeur visqueuse sortant de chaque
tentacule , cause de l’adhésion. Artifice dont use l’our-
sin pour se débarrasser de ces liens. Tentacules qui
restent toujours dans le corps quand l’animal est hors
de l’eau. L’agitation des épines ne produit dans cette
dernière circonstance que peu ou point de mouve-
ment progressif dans l’animal.
chapitre xxix, page so4. Pêche du
corail.
Elle est pénible et dangereuse. Instrumens nécessaires,
et manière de s’en servir. Lieux reconnus dans le
détroit de Messine pour être propres à cette pêche.
Profondeurs diverses où se trouve le corail. Sites qu’il
DES CHAPITRES, 269
habite de préférence. Comparaison de ce corail avec
celui de Trépani et des côtes de Barbarie. Variété de
ses couleurs. Il lui faut dix ans pour parvenir à sa
maturité. Bénéfice annuel que Ton en retire. Opinion
du comte de Marsigli sur cette production marine.
Erreurs de croire, i°. que les lieux tranquilles de la
mer sont les seuls propres à sa végétation : elle pros-
père à des profondeurs beaucoup plus grande qu’il
ne pensait. 20. Que là où elle croît avec le plus de
vigueur , elle arrive à peine en dix ans à un demi-
pied de hauteur. 3°. Qu’elle ne se reproduit et ne
croît que dans les cavernes, et que ses rameaux sont
toujours dirigés vers le centre de la terre, 4°. Que
sa couleur est constamment rouge. Coraux blancs ,
Coraux de diverses couleurs. Celui qui est blanc ne
diffère du rouge que par la couleur. L’erreur de Mar-
sigli , qui prétendait que les polypes du corail étaient
autant de fleurs , a donné lieu à la découverte d’une
vérité aussi inattendue qu’importante. Les pêcheurs
de Messine croient que le corail qui n’est pas parvenu
à sa maturité a moins de consistance que celui qui
est mûr. Celte opinion n’est pas sans fondement. Le
corail dans la mer n’a point de mollesse : il ne s’en-
durcit pas à l’air comme le pensaient les anciens. Diffi-
culté d’expliquer pourquoi sa croissance diminue en
raison de la profondeur où il se trouve. En quel sens
on doit prendre l’observation de Donati , que les ra-
meaux rompus et détachés de la tige du corail conti-
nuent à vivre et à multiplier dans la mer. La véritable
génération des coraux n’est pas inconnue aux pêcheurs
messinois. Leur opinion sur les coraux morts qu’ils
trouvent quelquefois percés par des vers lithophages.
*2 JO TABLE ET SOMMAIRES
chapitre xxx, page 221. Pêche des
espadons .
Deux manières de prendre ces poissons dans le détroit
de Messine : l’une avec la lance, l’autre avec un filet
nommé palimadara . En quel temps on fait usage de
la lance. Passages périodiques des espadons dans le
détroit, tantôt le long des côtes de la Calabre, tantôt
le long de celles de la Sicile , selon la diversité des
saisons. 11 paraît que ces poissons multiplient dans la
mer de la Sicile. On ne se sert de la lance que pour
les gros espadons 5 mais avec la palimadara on en prend
de toute grandeur. L’usage de ce filet nuit en général
à la multiplication du poisson : les plus petits s’y pren-
nent comme les plus gros. Barque de forme particu-
lière pour la pêche à la lance , et instrumens néces-
saires pour la capture de l’espadon. Adresse des pê-
cheurs à les découvrir , à lancer le coup et à s’en
saisir. Poids ordinaire de ces poissons dans le détroit
de Messine.
chapitre xxxi, page 229. Pêche des
chiens de mer.
Espèces diverses de squales. La pêche en est dange-
reuse à cause des gros poissons de ce genre qui passent
quelquefois dans le détroit de Messine , tels entr’autres
ceux que l’on nomme chiens de mer. Exemples de leur
fureur exercée contre les hommes dans le port même
de Messine. Autres accidens non moins funestes occa-
sionnés par eux dans d’autres parties de la Méditerra-
DES CHAPITRES. 2.J 1
née. Enorme largeur de leur bouche capable d’en-
gloutir un homme entier. On en a trouvé quelque-
fois dans leur estomac. Dépouille d’un gros squale
du détroit de Messine envoyée à l’auteur après son
retour en Lombardie. Ses caractères d’après l’habitude
extérieure du corps. Plusieurs ordres de dents , et
leur configuration. Ces caractères cadrent en partie,
non en totalité , avec ceux du squalus maximus décrit
par les naturalistes , ce qui fait soupçonner que ce
poisson fait une espèce différente et non connue. Rap-
ports sensibles entre la position de ses dents et celle des
dents du squalus carcaria. Opinion de Stenone que la
plupart des dents des chiens de mer ne leur sont d’au-
cune utilité. Hérissant a combattu cette erreur , et
l’auteur achève de la détruire par plusieurs observa-
tions. Grosseur de ces poissons , fut plus considérable
autrefois qu’elle ne l’est aujourd’hui. Comparaison
entre les dents fossiles et les dents naturelles de ces
animaux. Os fossiles de divers animaux d’un autre
genre : comparés aux os naturels , ils offrent la même
disposition. Changement dans la configuration des
dents de chiens de mer : leur nombre augmente à
mesure qu’ils avancent en âge. Dents de réserve ren-
fermées dans leurs mâchoires , qui suppléent à celles
qui viennent à leur manquer, soit naturellement, soit
par violence. Le squale de Messine ci-dessus cité ne
jouit pas de cet avantage , quoique les circonstances
de ses dents soient absolument les mêmes. Singulière
structure des dents d’une autre espèce de squale. Ou-
verture prodigieuse de sa bouche. Cependant il n’y
existe point de dents de réserve , comme il y en a
dans les chiens de mer. Inutilité apparente de plu-
27 2 TABLE ET SOMMAIRES,^.
sieurs ordres de dents dans ce poisson , et dans celui
décrit par l’auteur : elles sont ensevelies sous la chair
fangeuse des mâchoires. Examens ultérieurs à faire
avant d’en juger ainsi. Comment l’analogie , alors
même qu’elle paraît la plus complète, peut induire
en erreur. Raisons pour ranger dans la classe des pois-
sons les squales que Linnée a transportés dans celle*
de ces amphibies.
riN DELA TABLE DU TOME QUATRIÈME.
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