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Full text of "Les deux Canaletto"

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LES   GRANDS  ARTISTES 


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Les  Deux 


Canaletto 


Par  Octave  UZANNE 


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LES    GRANDS    ARTISTES 


Les    Deux    Canaletto 


LES   GRANDS    ARTISTES 

COLLECTION      D'eNSEIGNEMENT      ET      DE     \"I"LGARlSATION 

Placée  sous  le  Haut  Patronage 

Il  I 

L'ADAUNISTRATIOX    DES    BEAIX-ARTS 


Volumes  parus: 

Boucher,  par  Gustave  Kahn. 

Carpeaux,  par  Léon  Riotor. 

Chardin,  par  Gaston  Schéfer. 

Louis  David,  par  Charles  Saunier. 

Eugène  Delacroix,  par  Maurice  Tourneux. 

Donatello,  par  Arsène  Alexandre. 

Douris  et  les  peintres  de  vases  grecs,  par  E.  Pottier. 

Albert  Durer,  par  Auguste  Marguillier. 

Fragonard,  p:ir  Camille  Mauclair. 

Gainsborough,  par  Gabriel  .Mourey 

Gros,  par  Henry  Le.monnier. 

Hogarth,  par  François  Benoit. 

Ingres,  par  Jules  Momméja. 

Jordaëns,  par  Fierens-Gevaert. 

La  Tour,  par  .Maurice  Tourneux. 

Léonard  de  Vinci,  par  Gabriel  Séailles. 

Claude  Lorrain,  par  Raymond  Bouyer. 

Luini,  par  Pierre  Gauthiez. 

Lysippe,   par  Maxime  Collignon. 

J.-F.  Millet,  p  r  Henry  Marcel 

Percier  et  Fontaine,  par  Maurice  Fouché. 

Poussin,  par  Paul  De-jardins. 

Praxitèle,  par  Georges  Perrot. 

Pierre  Puget,  par  Philippe  Auquier. 

Raphaël,  par  Eugène  Muntz. 

Rembrandt,  par  Emile  Vephaeren. 

Rubens,  par  Gustave  Geffroy. 

Ruysdaël,  par  Georges  Riat. 

Titien,  par  Maurice  Hamel. 

Van  Dyck,  par  Fierens-Gevaert. 

Velazquez,  par  Élie  Faure. 

Watteau,   par  Gabriel  Séailles. 

Volumes  à  paraître  : 

Fra  Angelico,  par  André  Pératé. 

Jean  Goujon,  par  Paul  Vitry. 

Meissonier,  par  Léonce  Bénédite. 

Michel-Ange,  par  Marcel  Reymond. 

Paul  Potter,  nar  Emile  Michel. 

Puvis  de  Chavannes,  par  Paul  Desjardins. 


7243-06.  CoRBEiL.  —  Imprimerie  Kd.  Crété. 


LES    CxRANDS    ARTISTES 

LEUR    VIE  —  LEUR   ŒUVRE 


Les    Deux 

Canaletto 

PAR 

OCTAVE    UZANNE 

BIOGRAPHIE   CRITIQUE 

ILLUSTRÉE      DE      VINGT-QUATRE      REPRODUCTIONS      HORS     TEXTE 


PARIS 

LIBRAIRIE    RENOUARD 

HENRI    LAURKNS,    ÉDITEUR 

6,       RUE      DE     TOURNON      (VI«) 


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LES  DEIX  CANALETTO 

ANTONIO  CANAL  (ioot-itus).  -  BERNARDO  BELLOTTO  (I7yi-1780) 


LA    VEiMSE    OL  ILS    PKl(;MRE?sT 


Le  Canalello!  —  Ce  nom  unique  quilhistrèrcnt, 
ensemble  et  successivement,  à  un  degré  variable,  dont 
il  est  malaisé  de  dilTércncier  la  valeur,  deux  peintres 
dévoués  à  l'architecture,  aux  aspects  et  perspectives 
dune  incomparable  cité,  ce  nom  évoque  magiquement, 
depuis  deux  siècles  et  plus,  la  Venise  souveraine  de 
l'Adriatique,  son  palais  des  Doges,  ses  Procuraties,  sa 
Piazza  avec  son  campanile  dominateur  et  ses  pili  aux 
piédestaux  de  bronze,  aux  étendards  llottanis  à  l'extrémité 
des  mâts,  San  Marco,  le  grand  Canal,  ainsi  que  nombre 
d'églises,  de  Palais,  de  vues  générales  exprimant  en  des 
suites  d'estampes,  de  somptueuses  cérémonies  peuplées 
de  patriciens  en  fête,  de  gondoles  de  gala,  de  cortèges 
pompeux  et  de  masques  é(juipés  pour  l'intrigue. 

Quicon([ue  a  visité  les  galeries  d'art  de  Dresde,  de  Var- 
sovie, de  Londres,  de  Windsor,  de  Vienne,  du  Louvre 
à  Paris,  ef  combien  d'autres  collections  publiques  ou  parti- 
culières des  deux  continents,  ne  peut  oublier  l'œuvre  pré- 


6  LES  DEUX   CANALETTO. 

cieuse  et  variée  de  ces  deux  Vénitiens  également  épris  de 
la  beauté  monumentale  de  leur  pairie,  à  ce  point  de  l'avoir 
peinte  infatigablement  sous  tous  ses  aspects  arcbitecturaux 
au  cours  d'existences  laborieuses.  On  peut  dire  qu'ils 
sentirent  et  rendirent,  —  grâce  à  une  rare  subtilité  dart,  — 
toute  la  féerie  d'atmosphère  privilégiée  et  tout  l'enchan- 
tement de  ses  perspectives  entre  ciel  et  eau,  de  cette 
admirable  Venise  qui  est  demeurée,  malgré  ses  ruines, 
la  cité  du  rêve,  de  l'amour  et  de  l'idéal. 

Combien  d'artistes  voyageurs  à  travers  les  musées 
d'Europe  ont  pris  plaisir  à  regarder,  à  admirer,  à  étudier 
les  œuvres  de  Canaletto  qui  y  sont  exposées  en  plus  ou 
moins  grand  nombre  et  à  se  familiariser,  ici  et  là,  .avec 
l'art  et  la  technique  de  ces  peintures,  sans  se  préoccuper 
d'une  attribution  à  Antonio  Canal  ou  à  Bernardo  Bellotto, 
son  neveu  et  disciple.  —  Fût-ce  dans  les  brouillards  de 
Londres  ou  dans  les  neiges  de  Saint-Pétersbourg,  la 
vision  des  toiles  si  habilement  perspectivées  des  Cana- 
letto, contribue  merveilleusement  à  faire  surgir  dans  le 
souvenir  l'apparition  de  la  douce  et  accueillante  cité 
indolemment  couchée  dans  le  rayonnement  solaire,  — - 
telle  une  princesse  d'Orient,  —  sur  les  rives  de  la 
glauque  lagune,  dont  les  eaux  frémissantes  mirent  ses 
inoubliables  parures   de  marbre,  de  mosaïque  et  d'or. 

Devant  ces  toiles  si  captivantes  aujourd'hui  dispersées 
sur  tous  les  points  du  globe  et  qui  souvent  sont  catalo- 
guées inditTéremment  :  Le  Canaletto,  —  qu'il  s'agisse  ou 
non  de  l'oncle  ou  du  neveu;  -   devant  ces  tableaux  d'une 


LES  DEUX  CANALETTO.  "? 

rigoiirouso  exacliliidc  de  détail,  ceux  qui  savourèrent 
l'ivresse  d'aimer,  de  senlir,  de  comprendre  Venise, 
j'elrouvent  en  nn  moment  comme  nn  passionnel  rappel 
de  tont  ce  qui  les  y  charma. 

C'est  qu'à  vrai  dire,  la  Venise  pittoresque  du  xvui', 
celle  que  chantèrent  nos  voyageurs,  nos  philosophes  et  nos 
poètes,  eùl  ('té  en  partie  ignorée  des  temps  futurs,  si  Antonio 
Canal  et  Bernardo  Bellotto  n'avaient  pris  soin  de  retracer, 
pour  nous  en  conserver  le  caractère  avec  une  méticu- 
leuse exactitude,  le  portrait  de  cette  incomparahle  cité 
faite  de  nobles  et  sereines  architectures  et  qui  fut  si 
incroyablement  favorisée  à  la  fois  dans  sa  topographie  et 
dans  son  décor  prestigieux,  en  grande  partie  oriental. 

Ce  n'est  point  tant  seulement  pour  l'image  réelle  qu'ils 
nous  retracent  des  choses  du  passé  que  nous  devons  savoir 
gré  de  leur  immense  effort  aux  Canaletto.  Leurs  toiles 
consignent,  à  vrai  dire,  la  physionomie  ouverte  et  les  nroin- 
dres  traits  souriants  de  ce  que  fut  la  Venise  décadente, 
mais,  ce  qui  est  surtout  précieux,  à  notre  sens,  c'est  que 
ce  lidèlc  et  consciencieux  portrait  est  le  plus  souvent 
extraordinairement  animé  de  pensée  et  de  vie,  c'est  qu'il 
traduit  a  nos  yeux  tous  les  mouvements,  qu'il  résume 
à  souhait  l'expression  d'une  époque  et  que,  loin  d'être 
monotone  et  impassible,  il  rellète  pour  ainsi  dire,  dans 
la  beauté  de  leurs  ligues,  l'esprit  capricieux  des  monu- 
ments, la  transparence  fantasmagori(|ue  des  canaux, 
l'image  et  la  solennité  des  places  oii  le  bruit,  la  gai  té,  le 
plaisir  lirent  palpiter  les  l'ouïes. 


8  LES   DEUX  CANALETTU. 

Le  grand  Canal,  le  Riallo,  la  Sainte,  Saint-Gérômc,  la 
Giudecca,  la  Dogana,  le  palaisdes  Doges,  le  palais  Grimani, 
maints  autres  aspects  de  Venise,  dans  leur  noble  plastique 
nous  y  sont  tour  à  tour  précieusement  révélés.  Nous  y 
voyons  également  le  Vénitien  aller,  venir,  monter  en  gon- 
dole, descendre  les  perrons  d'églises,  promener  son 
ombre  sur  les  dallages  de  la  Piazzetta,  aux  jours  calmes 
de  l'hiver,  sinon  dans  le  clair  rayonnement  du  soleil 
printanier.  Nous  y  retrouvons,  selon  les  circonstances, 
la  populace  massée  avec  curiosité  au-devant  du  Bucen- 
taure,  alors  que  s'exerçaient  les  rites  de  la  République 
sérénissime,  ou  bien  nous  y  voyons  ce  même  Bucentaure 
fixé  à  la  Riva  et  couvert  de  sa  bâche  préservatrice. 

C'est  précisément  ce  qui  donne  à  l'œuvre  des  deux 
Ganaletto,  en  dehors  même  de  sa  supérieure  valeur  tech- 
nique, sa  plus  haute  signification  historique.  Par  d'autres 
moyens,  mais  avec  une  intensité  d'expression  au  moins 
égale,  ces  peintres  ont  collaboré  en  quelque  sorte  avec  les 
auteurs  de  mémoires,  les  librettistes,  les  archivistes, 
qui,  à  l'exemple  de  Zanetti,  s'efTorçaient  d'exprimer  les 
mœurs  et  les  événements  de  leur  temps.  Ils  ont  situé  à 
vrai  dire  le  décor  des  faits  et  précisé  les  perspectives  des 
grandes  artères  de  celte  ville  ondoyante  et  pittoresque 
dont  le  dernier  siècle  de  splendeur  eut  tant  de  vitalité, 
d'expression  et  de  caractère. 

Ce  qui  double  le  plaisir  qu'on  peut  trouver  devant  un 
Ganaletto,  ce  n'est  point  qu'on  y  puisse  reconnaître  tel 
décor  préféré,  tel  coup  de  lumière    vive  sur   une  façade, 


LES   DEUX    CANALKTTO.  11 

tel  jeu  d'ombres  puissantes  et  paisibles,  telles  silbouelles 
(le  Irtitures  ou  de  dômes  sur  le  ciel  alliqiie,  c'est  cette 
myslérieuse  présence  de  la  vie,  cette  délinilive  survivance 
d'un  passé  disparu. 

Pendant  la  presque  lotalilé  du  xviii''  siècle,  Antonio 
Canal  et  son  élève,  neveu  et  continuateur,  Bernardo 
Bellotto,  assistèrent  à  l'ultime  évolution  de  la  Venise  répu- 
blicaine. 

Ils  la  connaissaient  déjà  lorsqu'elle  tremblait  sous  le 
régime  soupçonneux  de  son  terrible  Conseil  des  Dix  et  il 
s'en  fallut  de  peu  qu'ils  n'assistassent  à  son  délinitif 
déclin.  Ils  eurent  au  moins  le  privilège  d'y  vivre  avec 
assez  de  suite  pour  en  posséder  toute  l'essence  caractéris- 
tique, comme  des  amants  qui  n'ignorent  rien  de  toutes  les 
beautés  secrètes  de  leur  maîtresse  cbérie.  Ils  assistèrent 
à  l'heure  la  plus  émouvante  et  la  plus  aimable  <!c  sa  déca- 
dence, entre  cette  année  1097  qui  marqua  la  naissance 
d'Antonio  Canal  et  l'an  17S0  (jui  vit  mourir  Bernardo 
Bellotto,  bien  loin  de  sa  ville  rose  et  bleue,  dans  les  frimas 
de  Varsovie. 

En  effet,  ces  deux  maîtres  artistes  ne  purent  écouler 
paisiblement  leurs  jours  dans  la  sécurité  et  les  honneurs 
que  leur  réservaient  leurs  concitoyens  ni  consacrer  tout 
leur  talent  à  la  peinture  exclusive  des  monuments  véni- 
tiens, doubb'S  par  le  rellet  moiré  des  eaux.  Ils  crurent 
devoir  chercher  à  l'étranger,  où  ils  étaient  appelés,  une 
vie  plus  large,  de  nouveaux  motifs  d'architecture, 
l'éclairage  d'autres  ciels,  peut-cire  aussi  des  succès  plus 


12  LES  DEUX   CANALETTO. 

généreusement  rémunérés.  Venise  toutefois  servit,  à 
l'oncle  surtout,  de  principal  thème  à  peintures  et  de  port 
d'attache  à  une  existence  vagabonde.  L'un  et  l'autre  ne  quit- 
tèrent leur  alclier, leurs  amis,  la  belle  lumière  ambiante 
d'entre  ciel  et  eau  que  pour  y  revenir  souvent  plus  épris 
de  la  beauté  nacrée  et  de  l'orient  cliarmeur  de  la  perle 
de  l'Adriatique. 

Dans  les  voyages,  auraient-ils  pu  dire  tour  à  tour,  il 
y  a,  surtout  pour  des  Yénitieas,  une  joie  indicible,  pro- 
londe,  inoubliable,  celle  du  retour  à  la  Lagune. 

Venise,  telle  qu'ils  la  connurent  et  peignirent,  la  Venise 
des  Canalelto,  celle  qu'ils  exprimèrent  sur  leurs  toiles  et 
gravures  était,  au  milieu  duxvui'  siècle,  singulièrementdif- 
férente  de  ce  qu'on  la  vit  depuis.  Ce  fut  alors  la  nourrice 
berceuse  de  Piétro  Longhi,  de  la  Rosalba,  de  Guardi,  des 
deux  Tiepolo,  de  Goldoni,  de  Gozzi,  du  cynique  BafFo,  de 
l'obscène  Buraltiou  du  tendre  et  galant  Giacomo  Mazzola. 
Cette  ville  captivante  distillait  comme  une  sirène,  à  ses 
citoyens  charmés,  une  ivresse  de  joie  paresseuse  et  aussi 
une  morbidesse  portanfaux  plaisirs  nonchalants,  aux 
labeurs  capricieux,  qui  rendaient  son  séjour  précieux 
entre  tous. 

Le  peuple  vénilien  était  alors,  pour  ainsi  dire,  lout 
à  la  poésie.  Il  composait  ou  récilait  des  stances  à  chaque 
occasion,  se  pressait  au  théâtre  et  aimait  à  ce  point  le 
spectacle  qu'à  défaut  d'autre  régal,  il  écoutait  avec  délices 
les  boniments  des  charlatans  juchés  sur  les  tréteaux  des 
places.  Toujours  prêt  à  mêler  avec  une  même  ardeur  le 


LES   DEUX   CANALETTO.  1o 

profane  au  sacré,  il  interrom[)ait,  à  riicure  do  l'angôlus, 
le  jeu  de  ses  acteurs  favoris  pour  dire  à  haute  voix  el 
dovotieusemcnt  un  Ave  Maria.  Le  Vénitien  n'ouliliait  ni 
la  date  des  régates  sur  le  grand  Canal,  ni  celle  des  fian- 
çailles du  Doge,  ni  les  magnifiques  réceptions  d'ambassa- 
deurs près  laSérénissismo  République,  ni  les  solennelles 
processions  au  parvis  de  Saint-Georges-TVIajeur,  toutes 
superbes  fêtes  de  belle  allure  décorative  dont  Antonio 
Canal  montra  souvent  <lans  ses  toiles  ou  gravures  l'extra- 
ordinaire  animation  et  la  rare  somptuosité. 

11  suffit  de  porter  les  yeux  sur  les  compositions  des 
deux  Canaletto,  sur  celles  de  Piétro  Longhi,  de  (luardi 
et  de  Locatelli,  qui  fut  également  savant  «architeclurisle  », 
pour  se  convaincre  que  Venise  connaissait  également,  et 
môme  le  plus  souvent,  des  jours  d'apaisement,  de  quié- 
tude monacale,  d'assoupissement.  Dans  le  calme  et  le 
silence  relatif  des  êtres  et  des  choses,  il  y  avait  alors 
comme  une  placidité  provinciale,  comme  une  torpeur  de 
béguinage,  comme  une  accalmie  sur  les  canaux  qui  sem- 
blait délicieuse  aux  penseurs,  aux  amoureux  et  aux 
peintres. 

11  semblerait,  à  notre  avis,  ([u'Antonio  Canal  et  Ber- 
nardo  Hellotto  aient  pris  plus  particulièrement  plaisir  à 
exprimer  souventes  fois  sur  leurs  toiles  cet  aspect  pai- 
sible, recueilli,  aimable,  cette  saisissante  sérénité  des 
places  ofi  l'homme  n'appai-aît  dans  le  cadre  des  monu- 
ments que  pour  en  donner  en  quelque  sorte  l'échelle 
exacte.  Ils  aimaient  l'un  et  l'autre  cet  apaisement  de  vie 


10  LES  DEUX    CANALETTO. 

sur  Teau,  alors  que  les  gondoles  n'étaionl  plus  des  nids 
d'intrigues  amoureuses,  et  cette  paix  silencieuse  des 
places  traversées  par  les  petits  abbés  allant  sagement  à 
l'église,  à  celte  heure  oii  les  masques  inquiétants  demeu- 
raient aux  vestiaires  des  coureurs  d'aventures. 

La  Piazza,  centre  de  toutes  les  fêtes  ve'nitiennes,  qu'à 
certains  jours"  envaliissait  le  peuple  carnavalesque, 
apparaît  le  plus  souvent,  dans  leurs  œuvres  de  froides 
perspectives,  ainsi  qu'une  vaste  esplanade  à  peu  près 
déserte  que  se  partagent,  en  une  heure  de  méridienne,  un 
pan  de  soleil  et  une  nappe  d'ombre,  et  où  circulent,  d'un 
pas  mesuré  et  assagi,  quelques  rares  citadins,  campés 
à  la  façon  des  personnages  de  Callot  et  de  Sébastien 
Leclerc  qui,  selon  toute  vraisemblance,  se  rendent  h 
leur  rendez-vous  bourgeois  ou  à  leurs  alïaires. 

Le  cri  professionnel  des  gondoliers,  l'écho  d'un  chant 
d'église  passant  les  portes  des  sanctuaires,  les  abois  des 
chiens  errants,  le  tintement  d'une  cloche  lointaine  et  le 
heurt  d'un  marteau  de  bronze  à  la  petite  porte  d'un 
palais,  c'est  à  cela,  sans  doute,  que  devait  se  réduire,  en 
certaines  heures  du  jour,  surtout  en  temps  de  carême, 
le  bruit  coutumier  de  la  ville. 

Antonio  Canal  et  Bernardo  Bcllotto  purent  donc 
aisément  camper  tour  à  tour  leurs  chevalets  sur  les  ponts, 
les  rives,  les  perrons  des  palais,  sans  y  être  bousculés 
par  une  cohue  indiscrète  et  gênante.  C'est  dans  cette 
quiétude  ordinaire  de  leur  nonchalante  Venise,  dans  une 
sorte    de     sérénité    ambiante    qu'il   leur   fut   loisible    de 


l.KS  DliUX   CANALETTO.  19 

l'cproiluire  cette  vue  du  Rialto  ([u'on  retrouve  aujoui'd'liui 
;i  Florence,  ces  Santa  Maria  dclla  Salale  et  ces  Grand 
Canal  tout  «le  paisible  harmonie  qui  figurent  au 
Musée  Gorrer,  à  la  Galerie  Liechtenstein  ou  dans  la  Gol- 
lection  Wallace  ;  ces  douze  Vue^  de  Venise  qui  sont 
à  Naples,  cette  merveilleuse  Place  Saint-Marc  et  cette 
exquise  Piazzetta  ([\\\  se  rencontrent  à  Vienne,  ce  Palais 
ducal  dont  s'honore  le  Louvre  et  tant  d'autres  visions  des 
canaux,  de  l'Arsenal,  du  quai  des  Esclavons,  de  l'École 
de  San  Rocco,  duGanale  Ueggio,  de  San  Pietro  de  Gastillo 
dont  les  spécimens  sont  répartis  à  ^Yindso^  dans  les 
galeries  du  château  royal,  à  la  National  Gallery  de  Londres, 
à  Modène,  à  Bergame,  à  Naples,  à  Grenoble,  à  Berlin 
et  dans  nombre  de  collections  et  galeries  privées  des 
grandes  villes  de  l'Univers  entier.  La  ju'oduction  des  deux 
Canaletto  et  de  leurs  imitateurs  fut  considérable  en 
vérité,  et  c'est  assurément  au-dessus  (fun  millier  de 
peintures  que  s'élève  le  total  de  leurs  vues  vénitiennes 
et  allemandes. 

La  fortune  commerciale  de  Venise,  sa  puissance  maritime 
n'étaient  alors  certes  pas  encore  abolies.  Si  cette  ville 
douairière  des  cités  nobles  ne  comptait  plus,  pour  sa  gloire, 
sur  les  nefs  audacieuses  des  Marco  Polo  et  des  Martin 
Sanuto,  si  son  dernier  héros,  Morosini,  avait  été  emporté 
à  iSauplie,  elle  guerroyait  encore  sur  mer  contre  le  Turc 
et  parfois  lui  inlligeait  de  cruels  échecs.  Delà  des  céré- 
monies impr(n'is'''es,  des  fêtes  somptueuses  et  fort  déco- 
ratives (jui    exaltaient  la  vie   populaire  et  attisaient    la 


20  LES  DEUX  CANALETÏO. 

verve  de    coloriste    d'Antonio   Canal   et    de    son  noven. 

Ponr  se  consoler  de  ne  pins  conrir  d'extraordinaires 
aventures,  Venise,  d'autre  part,  recevait  chez  elle  les  plus 
brillants  et  fastueux  aventuriers.  On  les  rencontrait 
surtout,  non  loin  de  San  Moïse,  dans  une  petite  rue 
tumultueuse  qui  existe  encore  et  où  se  trouvait  le  Ridottu, 
maison  de  jeu  où  l'on  faisait  sauter  la  corne  aux  dés, 
dans  des  réunions  ultra-mélangées  et  galantes  et  qui 
sont  restées  célèbres.  On  revoyait  ces  joueurs  de  P/mraon, 
ces  redresseurs  de  la  fortune,  à  l'auberge  Pellegrino,  au 
«  Cavaletto  »  sous  les  Procuraties,  sinon  aux  petites  tables 
du  café  Florian,  coudoyant  les  honnêtes  bourgeois  et 
vidant  des  coupes  de  café  à  la  santé  des  Vénitiennes  aima- 
bles que  connut  le  président  Desbrosses  et  qu'on  nommait 
alors  Marion  la  Housse,  Zabe/ta,  Louise  la  BomahiP,  etc. 

En  ce  qui  concerne  les  quartiers  plus  excentriques  de 
Venise,  les  délicieuses  petites  estampes  d'Antonio  Canal 
sont  là  pour  nous  retracer  leur  aspect  désordonné, 
théâtralement  décoratif,  tout  de  contrastes  pittoresques 
et  de  valeurs  amusanles  à  l'œil.  Ces  eaux-fortes  sont 
conçues  avec  une  habileté,  une  saveur  de  facture  d'un 
véritable  précurseur  ;  oserait-on,  que  l'on  dirait  qu'elles 
semblent  d'un  Méryon  vénitien.  —  Le  peintre,  cependant, 
parait  avoir  eu  une  prédilection  pour  l'imposante  mise  en 
scène  du  Banco  di  /liera.  Là,  des  sénateurs  passaient  dans 
leurs  amples  manteaux,  des  artisans  traversaient  la  place, 
des  sculpteurs,  des  peintres,  des  graveurs,  des  écrivains  y 
flânaient,  c'était   un  va-et-vient  de  privilégiés  qui  for- 


LES  DEUX   CANALETTO.  23 

maicnl  comme  un  Déeameron  clioisi  d'cimoureux  do 
Venise. 

Le  peuple,  tout  alentour,  vivait  sa  vie  placide  et  non- 
chalante, professant,  avec  le  vague  orientalisme  de  l'absolu 
lazzaronisme,  la  théorie  du  moindre  elTort  et  se  montrant 
si  ennemi  de  tout  ce  qui  pouvait  troubler  sa  quiétude 
qu'il  redoutait  môme  le  plaisir  de  la  querelle  ou  celui  de 
l'invective  plaisante  vis-à-vis  des  compatriotes  ou  des 
étrangers. 

La  «  calle  »  ou  ruelle,  soit  qu'elle  fût  silencieuse,  soit 
qu'elle  s'encombrât  de  cohue  populacière,  offrait  à  tout 
instant  à  la  vision  des  artistes  un  spectacle  rare  et 
piquant  avec  ses  ambulants  marchands  de  tous  comes- 
tibles, ses  «  frittureries  »  alléchantes,  ses  types  de  misé- 
reux; et  de  vaniteux  paradeurs,  ses  tilles  et  ses  baladins. 

Les  gravures  d'Antonio  Canal  où  revit  la  luminosité  de 
ses  tableaux,  mais  qui  expriment  davantage  d'intimité, 
nous  montrent  Venise  ainsi  que  ses  cours  intérieures, 
ses  carrefours,  ses  canaux,  ses  motifs  indigènes  qui  déjà, 
avant  lui,  avaient  tenté  la  verve  du  peintre  vénitien  Pia/- 
zetta. 

Venise  constituait  en  elfet,  à  l'époque  où  y  vécurent  les 
deux  Canaletto,  un  éternel  spectacle  en  plein  vent  avec 
ses  chanteurs  et  musiciens,  ses  diseuses  de  bonne  aven- 
ture, ses  montreurs  d'animaux,  qui  tant  de  fois  posèrent 
devant  la  joyeuse  fantaisie  de  Pielro  Longbi.  Ce  spec- 
tacle se  magniliait  à  l'approche  du  symbolique  navire, 
de  ce  Bucentaure  amarré  toute  l'année  ;ui  pied  du  palais 


24  LES  DEUX  CANALETTO. 

ducal  et  qui  se  trouvait  poussé  sur  la  moire  de  l'Adria- 
tique, le  jour  fameux  du  mariage  dogal. 

Tout  portait  à  la  composition  de  brillantes  scènes  au 
milieu  de  décors  cliatoyants  et  divers.  La  ville  seule,  la 
cité  monumentale  y  suffisait  amplement,  eût-elle  été 
privée  d'habitants.  Les  architectures  aux  formes  et  aux 
styles  multiples  apparaissaient  comme  de  fiers  poèmes 
de  la  ligne  oîi,  dans  une  perspective  harmonieuse,  les 
palais  coudoyant  les  palais  se  juxtaposaient  jusqu'à  des 
arrière-plans  brumeux  et  fins  dans  la  blondeur  d'une 
atmosphère  impondérable.  M.  P. -G.  Molmenti,  dans  son 
ouvrage  de  La  Vie  privée  à  Venise^  a  retracé  un 
croquis  lapidaire  de  la  ville  alors  ([ue  s'y  évertuait  le 
talent  magistral  des  deux  peintres  dont  nous  essayons  la 
difficile  monographie. 

«  L'architecture,  dit-il,  se  laisse  alors  aller  à  toutes  les 
extravagances.  Tantôt  elle  déchiquette  la  pierre,  tantôt 
elle  entasse  les  ornements,  voulant,  selon  le  mot  de 
Tiraboschi,  introduire  jusque  dans  les  bâtiments  les 
métaphores  et   les  concetti. 

((  Parmi  les  architectes  à  l'imagination  confuse, 
le  plus  fameux  fut  Balthasar  Lenghena  qui,  dans 
ses  ouvrages,  au  milieu  des  entablements  sans  élé- 
gance, des  tympans  brisés  et  des  arcs  à  paraphe, 
déploie  encore  une  puissance  grandiose.  Les  nombreux 
édifices  religieux  et  civils  de  ce  temps  montrent  à  quel 
point  les  talents  passèrent  toute  mesure  dans  l'extrava- 
gance et  l'étrangcté.  Sur  le  portail  de  la  Santa  Maria  del 


LES   DEUX   GANALETTO.  ^27 

(li^iio,  bâti  par  Sardi,  avcd'argcntde  la  famille  Barbaro, 
se  pavanent  des  statnes  coi  liées  d'immenses  perruqnes, 
et  snr  les  piédestaux  des  colonnes  s'étalent  les  plans 
topographiques  des  villes  de  Rome,  de  (Candie,  de  Padoue, 
de  Corfon,  de  Spalato  et  de  Pavie.  Le  faux  goût  dépare 
également  1  église  de  Saint-Mo'i^e  d'Alexandre  Trémignan, 
celle  des  Scalzi,  riche  en  marbres  et  folies,  et  plus 
encore  celle  de  l'Ospedaletto,  u'uvre  absolument  dépravée 
de  Longhene.  » 

La  sculpture  contribuait  encore  à  la  corruption  du  goût 
architectonique  en  la  surchargeant  à  l'excès. 

«  Cinquante  types  de  gothique  se  succédaient  au  lil 
des  canaux,  dit  encore  Molmenti,  apportés  là  |)ar  des 
inliltrations  du  goût  venues  de  tous  les  points  de  l'hori- 
zon. »  Les  Ganaletto  y  trouvaient  à  reproduire  le  gothique 
déjà  sévère  de  lîavenne,  l'étonnante  somi)tuosité  du 
gothico-byzantin,  et  des  amalgames  de  gothiques  indé- 
hnis  et  de  mauresques  indéniables,  ainsi  que  toute  la 
llore  de  la  Renaissance,  et,  dans  une  unité  parfaite,  le 
composite  le  plus  inextricable  des  architectures  (jui,  à 
la  suite  de  voyages  ou  de  conquêtes,  avaient  tour  à  tour 
pris  leur  droit  de  cité  en  cette  Venise  aussi  accueillante 
aux  styles  qu'aux  hommes  de  tous  les  pays. 

«  Un  écusson  à  la  cassure  d'un  mur,  les  cheminées 
iiottées,  les  hauts  perrons,  la  colonne  de  granit  ofi  le 
Lion  de  Saint-Marc,  assagi,  rentrait  ses  grilfes,  l'élan  de 
pierre  du  Campanile,  les  parvis  d'églises,  l'eau  Irisée  et 
écaillée  des  canaux,  tel  était  le  milieu  uiii(|ueoù,  avec  des 


28  LES  DEUX   CANALRTTO. 

poses    liorenicnt  iiaLurcllcs    et   des    élégances   nées,    so 
campaient  les  gens  de  peu  el  les  personnes  de  qualité.» 

Tous  d'ailleurs,  et  quelle  que  fût  leur  culture,  parti- 
cipaient à  la  vie  intellectuelle  de  la  cité.  Il  n'était  pas 
jusqu'aux;  marchands  qui  dressaient  leurs  tentes  devant 
Saint-Marc,  jusqu'aux  gondoliers  et  aux  portefaix,  qui  ne 
prissent  intérêt  aux  choses  de  l'esprit.  Si  Venise  était,  à 
coup  sûr,  le  tripot  de  l'Europe,  elle  était  par  contre  l'une 
des  villes  les  plus  cérébrales  de  son  temps.  Le  peuple  ne 
se  désintéressait  point  des  conllits  homériques  de 
l'abbé  Chiari,  fidèle  au  vers  martellien  de  quatorze  pieds, 
de  Goldoni,  ennemi  du  masque  et  des  improvisations  de 
la  Commpjlia  clcll'arlo,  et  de  Go/zi,  champion  de  l*anta- 
leone,  de  Trufîaldin  ou  de  Brighella  le  moustachu.  Pas- 
sionnément on  sifllait,  on  acclamait  la  Teodora  Ricci, 
prima  donna  que  s'arrachèrent  les  théâtres  de  San  Sal va- 
dure,  de  San  Samuel  et  de  Sant'Angelo.  Quant  à  l'œuvre 
des  Canaletto,  elle  était  louée  et  estimée  généralement. 
On  racontait  avec  plaisir  qu'Antonio  Canal  se  trouvait 
justement  honoré  de  la  puissante  protection  d'un  Algaroti, 
ami  d'Auguste  III,  roi  de  Pologne,  de  Frédéric  de  Prusse 
et  de  Voltaire;  on  semblait  lier  de  l'estime  universel- 
lement attachée  au  talent  de  peinture  des  derniers  Véni- 
tiens. Ne  pouvant  plus  conquérir  le  monde  par  les  armes, 
on  était  ravi  de  le  dominer  encore  par  l'esprit  et  le  talent. 
Cependant  les  artistes  voyagaient  :  Sébastien  Ricci  parlait 
pour  Londres,  la  Rosalba  Carriera  venait  à  Paris,  An- 
tonio Canal  débarquait  en  Angleterre,  Bernardo  Bellotto 


LES   DEUX   CANALETÏO.  'U 

s'arrêtait  à  Varsovie  ou  à  Vienne,  et  tous  réussissaient 
iiors  (le  leur  clière  Venise  abandonnée  où  ils  revenaient 
avec  joie  convertir  en  ducats  d'ior  les  pelites  fortunes 
acquises  au  dehors. 

Antonio  Canal  était  membre  de  l'Académie  des  Argo- 
nautes fondée  à  la  fin  du  xvii''  siècle  par  Marc  Vincent 
Coronelli  pour  le  progrès  des  sciences  géographiques,  avec 
la  devise  :  Plus  ultra.  Apostolo  Zeno  et  Pietro  l'ariali 
créaient  Y Academia  degli  Animosi  (audacieux)  pour  faire 
la  guerre  au  mauvais  goût  ;  Gozzi  présidait  un  cénacle 
illustre,  tandis  que  le  salon  de  sa  femme  Luisa  Bergalli, 
poète,  traductrice  de  Térence,  était  fort  fréquenté  par  de 
beaux  esprits  disciples  de  l'abbé  de  Bernis,  de  Voltaire,  de 
Jean-Jacques  et  des  nombreux  lettrés  français  qui  fré- 
quentaient la  Sérénissime  République. 

Jean-Baptiste  Brustolone  gravait  alors  d'après  Antonio 
Canal  trente-deux  planches  demeurées  célèbres.  Tiepolo 
éprouvait  un  vif  plaisir  à  crayonner  au  cours  de  ses  pro- 
menades les  types,  les  costumes,  les  attitudes  de  la  foule 
en  des  croquis  spirituels,  délicieux  et  précis  qui  sont 
encore  conservés  à  Udine.  Pietro  Longhi,  qui  peut  fort 
bien,  lui  aussi,  avoircollaboré  à  certaines  œuvres  d'Anto- 
nio Canal,  notamment  aux  vivantes  peintures  des  fêtes  du 
Couronnement  du  Doge,  imaginait  en  dehors  de  ses  œuvres 
religieuses  jle  gracieuses  évocations  galantes  de  masca 
.  rades  pour  répondre  aux  multiples  commandes  dont  il 
était  assailli.  Le  comte  Zanotti,  enfin,  perfectionnait  en  ces 
heureux  temps  l'art  de  la  gravure  et  publiait  ses  Auluhe 


82  LES   DEUX   CANALETTO. 

statue  greche  e  romane^  tandis  que  Marc- Antoine  Forccl- 
lini  composait  son  ouvrage  sur  Le  festetrimgianecV Amorc. 
Aux  jours  de  grandes  fêtes,  des  architectes  et  des  sculp- 
teurs improvisaient  des  édifices  éphémères  de  charpentes 
et  de  toiles  peintes  décorées  de  colonnades  et  de  guir- 
landes dont  Antonio  Canal  nous  conserva  quelques  spé- 
cimens. 

Telle  lut  en  quelques  lignes  l'atmosphère  morale  et  pit- 
toresque de  Venise  au  temps  des  deux  Canaletto. 

Aujourd'hui,  privée  d'un  grand  nomhre  de  ses  anciens 
palais,  dépouillée  à  tout  jamais  de  sa  gloire  guerrière, 
incapahle  de  se  reconstituer  cette  àme  de  plaisir  qu'on  lui 
connaissait  encore  il  y  a  plus  d'un  siècle,  Venise  conserve 
toujours  le  charme  mélancolique  d'uneaïeule  àqui l'âge  a 
gardé,  malgré  les  signes  indéniables  de  la  décrépitude,  une 
expression  toujours  jeune  et,  tel  le  cristal  limpide  d'un 
regard,  elle  nous  offre  l'exquis  et  troublant  miroir  de 
ses  eaux. 

II 

LES    DEUX    CANALETTO. 

Le  décor  nécessaire  étant  posé,  abordons  enfin  les  per- 
sonnages eux-mêmes. 

Il  peut  paraître  singulier  qu'un  artiste  aussi  exception- 
nel qu'Antonio  Canal,  ayant  pour  disciple  et  imitateur  un 
type  d'homonyme  dénominatif  aussi  intéressant  que 
son  neveu  Bernardo  Bellotto,  —  tous  deux  encore  si  proches 


LKS  DI]UX    CANALETTO.  -"{o 

(lo  notre  t(Mii|)s,  —  n'aient  point  laissé,  dans  la  hibliogra- 
phie  (les  maîtres  de  l'art,  nnc  empreinte  pins  prolonde, 
des  traces  pins  uombrenses  et  pins  fré([nemment  suivies 
et  étudiées. 

Les  brèves  notices  de  l'abbé  Lnigi  Lan/i,  ex-jésnite, 
antenr  d'une  Histoire  de  la  peinlure  en  Italie  depuis 
la  Renaissance  (Florence,  1792;  ouvrage  traduit  en  l'ran- 
(•ais  vers  lS2i  par  Mme  Diendé),  -la  mention  som- 
maire d'Horace  Walpolc  enregistrant  sans  commentaires 
dans  ses  Mémoires  l'arrivée  d'Antonio  Canal  à  Londres, 
sont  de  bien  minces  et  imparfaites  références  en  ce  qui 
concerne  l'existence  et  l'u'uvre  de  tels  peintres  à  qui  Ve- 
nise, vouée,  hélas  !  à  une  lente  mais  fatale  destruction, 
devra  sans  doute  de  se  survivre  en  ei'ligie  magistrale 
dans  les  âges  futurs. 

C'est  à  peine  si  ces  documents  secondaires  permet- 
tent à  l'historien  de  composer,  par  approximation,  une 
sérieuse  étude  consacrée  à  x\ntonio  Canal  et  à  son 
neveu. 

Si  l'on  songe  que  ces  probes  et  méticuleux  artistes 
s'appliquèrent,  dès  l'origine  ^\\\  wiii'  siècle  et  jusqu'en 
1780,  à  reproduire  sur  la  toile  et  le  cuivre  les  plus  pitto- 
resques perspectives  palatiales  de  leur  maternelle  cité,  on 
ne  peut  assez  regretter  une  telle  disette  de  renseignements 
valables  et  précis.  Alors  que  les  vies  d'un  Giacomo  Casa- 
nova de  Seingalt,  d'un  Loreuzo  d'AiJonte  et  de  (|uelqiies 
autres  savoureux  aventuriers  vénitiens  du  xviii'  siècde  ga- 
lant et  cosmopolite  nous  sont  minutieusement  racontées, 


36  LES  DEUX  CAN'ALETTO. 

il  semble  incompréhensible  querexistenccdedenx  peintres 
de  même  famille,  essentiellement  originaux  dans  leur 
art,  dont  l'œuvre  contribue  éloquemment  à  nous  faire 
voir,  telle  qu'elle  fut.  la  Venise  de  la  Sérénissime  Répu- 
blique décadente,  il  est  inexplicable  que  le  curricuhim 
vitfc  d'Antonio  Canal  et  de  son  neveu  nous  demeure  caché 
aussi  complètement  que  s'ils  avaient  été  l'un  et  l'autre 
contemporains  d'un  Jacobello  del  Fiore  ou  d'un  Andréa 
da  iMurano. 

En  187S,  un  écrivain  allemand,  M.  lUulolf  Meyer  de 
Dresde,  composa  une  intéressante  brochure  :  Die  heiden 
Caudlctfo  lies  deux  Canaletto).  Heureusement  servi  par 
les  facilités  qu'il  eut  d'observer  les  chcfsHJ'œuvre  des 
deux  artistes  exposés  à  la  galerie  de  peinture  de  Dresde, 
ce  critique  allemand  apporte  à  la  petite  monographie 
lie  ces  deux  reproducteurs  de  villes  et  de  palais  une 
curieuse  contribution.  C'est  le  premier  opuscule  sur  les 
«  Canaletto  »  qui  ait  une  valeur  d'ensemble. 

En  France,  nous  devons  citer,  à  une  date  plus  tardive, 
une  publication  faite  à  la  Librairie  de  l'Art,  en  189i, 
par  M.  Adrien  Moureau  et  qui  forme  un  volume  très 
rationnellement  ordonne.  Tout  en  respectant,  avec  une 
louable  })robité,  les  sources  historiques  où  il  puisait,  ce 
consciencieux  critique  sut  adjoindre  aux  faits  authen- 
tiqués par  des  textes  antérieurs,  une  part  de  jugements 
personnels  etunsens  d'évocation  et  de  reconstitution  qui 
font  honneur  à  sa  sagacité  et  à  son  érudition. 

Toutefois,  avouons  qu'à  notre  avis  un  livre  sur  ce  sujet 


LES  DEUX  CANALETTO.  :î7 

captiva  lit  l'cslorait  oncorc  à  composer.  Nous  enten- 
dons une  (l'iivre  collective  complète,  dij^^nt'  dos  deux 
tidèles  moiteurs  en  scone  des  «  Pierres  de  Venise  »  ;  un 
livre  (jui,  par  la  doulde  ressource  des  abondants  com- 
mcntairos  et  do  1  illustration,  analyserait  et  rappro- 
cherait, —  avec  l'importance  qui  revient  à  chacun 
«Toux,  —  tous  les  témoignages  qui  intéressent  la  per- 
sonnalité d'Antonio  Canal  et  celle  de  Hornardo  IJollotto. 
Si  la  France  et  l'Allemagne  ont  préludé,  par  des  essais 
que  nous  signalons,  à  cette  histoire  encore  si  obscure 
des  «  Canalotto  n,  l'Italie,  chose  étrange,  tarde  encore  à  se 
souvenir  qu'elle  doit  un  monument  littéraire  à  ces  deux 
grands  artistes  qui,  dans  leur  œuvre,  ont  su  lixer  la  plus 
glorieuse  expression  do  cette  noble  cité  vénitienne  dont 
la  possession,  grâce  à  Napoléon  III,  retourna  à  la  cou- 
ronne il  y  a  environ  ([uarante  ans. 

La  seule  documentation  graphique,  à  défaut  do  notes 
biographiques  qu'on  n'ose  plus  espérer,  suffirait  presque 
à  constituer  un  incomparable  rci-ucil  oi'i  la  gloire  i\o  la 
Venise  encore  fastueuse  duxviii'  siècle  ressusciterait  tout 
entière,  grâce  au  génie  décoratif  du  grand  Canaletto,  do 
son  disciple  et  aussi,  disons-le.  probablement  d'obscurs 
imitateurs  et  continiuitours  inconnus. 

L'omvro  peint  do  l'un  et  de  l'autre  a  été  <mi  effet  pres- 
que totalement  et  su[)érieurement  gravé.  Pour  nousresli- 
tuer  l'image  effacée  de  ce  que  fut,  au  moment  où  (die  perdait 
Chypre  (d  Candie,  cetl(ï  ville  (ju'on  put  nommer  «  |)erlo 
de  l'Adriatique  »,  lalbuin  serait  sans  égal  (|ui   réunirait 


38  LES  DEUX   CANALETTO. 

les  gravures  signées,  d'abord  par  Antonio  (1)  et  par 
Bellolto,  puis  les  trente-huit  planches  de  A.  Yincentini 
groupées  en  1742,  sous  le  titre  :  Urbis  Venetiarum  Pros- 
pectus celebriores  ex  Tahidis  38  aère  expressi  ab  Antonio 
Vicentini  in  partes  très,  distributi.  A  ces  premiers  docu- 
ments s'ajouteraient  les  plancJtes  des  Canalello  jointes^  en 
177o,  par  Boydell,  à  certaines  gravures  de  Raphaël,  de 
Giiido  Reni,  parmi  les  quatorze  volumes  consacrés  à 
l'Italie  et  qui  sont  intitulés  :  Etcltinr/s  afterthe  Original 
designs  of  Raphaël^  Parmegrano,  etc. 

Ce  vaste  recueil  élevé  à  la  mémoire  du  nom  réputé  de 
Ganaletto  comprendrait  encore  les  travaux  du  graveur 
anglais  Fletscher,  les  planches  d'Antonio  ligurant  aux 
Riche  Minière  de  Boschini,  parues  à  Venise  en  1733,  et  réu- 
nissant «  tutte  le  opère  che  uscirono  da  1674  sino  al 
présente  anno  ». 

Enfin,  touchant  Antonio,  le  premier  des  «  Ganaletto  », 
il  y  aurait  encore  à  faire,  dans  ledit  hypothétique  recueil, 
une  place  d'honneur  aux  superbes  gravures  de  Jean- 
Baptiste  Brustolone,  qui,  d'après  les  plus  belles  toiles  du 
peintre,  faussement  attribuées,  selon  nous,  à  Francesco 
Guardi,  a  produit  une  prestigieuse  suite  de  douze  pièces 
représentant  les  Cérémonies  du  Couronnement  du  Doge. 
Puis,  pour  terminer,  les  gravures  de  Bernardo  Bellotto, 
Vediita  délia  cita  diPresda.,  dessinées  de  1747  à  1752,  pour- 
raient achever  l'ouvrage.    En  frontispice,  il  serait  néces- 

(1)  Vedula  (dire  prese  da  i  Inoglii  (titre  idéale  da   Antuinu   L'anale  e  da 
es.so  intcKjliale.  —  30  pièces. 


r.h:S   DEUX   GANALKTTO.  39 

sairc  de  |)I;u'(M'  l'aliégoric  de  .l.-H.  PiazzcKa  uîi,  dans  un 
médaillon  llan(|U(''  de  deux  li<j;Mircs  drapées  à  l'anliquo  et 
conronn(''  d'anionrs  ailôs,  nous  voyons  apparaître  le  vir 
/J///sfr/ssi?ni/s  :  Antonio  (Ian;il,  fin,  distingué,  de  noble 
mine,  semblant  accorder  un  dernier  et  mélancolique 
regard  au  panorama  de  sa  chéri»  Venise  qui,  chaque  jour, 
s'estompe,  s'émiette,  se  meurt  davantage,  s'elïace  et  s'en 
va  dans  une  Italie  expression  de  grandeur  et  de  lierté  sou- 
veraine. 

l*our  nous  résumer,  nous  ne  [)ouvons  prétendre,  au 
cours  de  cette  présente  (Uude,  développer  autant  qu'il  en 
serait  digne  le  thème  séduisant  fourni  à  l'écrivain  parla 
physionomie  et  l'œuvre  des  deux  Ganaletto. 

Les  limites  de  cet  ouvrage  nous  auront  permis  (oui  au 
plus  de  réunir  en  une  gerbe  synthétique  tous  les  docu- 
ments dont  nous  connaissons  aujourd'hui  les  origines  et 
les  références  autorisées  et,  comme  aurait  écrit  Montaigne, 
nous  n'aurons,  en  vérité,  fourni  (jue  le  fil  à  la  lier. 

Dans  tout  ce  xvui'  siècle,  qui,  d'année  en  année,  de 
défaillance  en  défaite,  vit  s'accentuer  son  cruel  détdiii, 
Venise,  sur  le  miroitement  de  ses  eaux  et  sur  r(''cdat  lim- 
pide de  son  ciel,  vit  briller  les  derniers  rayons  de  l'art 
italien,  avec  Tiepolo,  les  deuxCanaletto,(juardi,  laKosalba- 
Carriera  et  ce  délicieux  I Métro  Longhi  qui  eut  les  grâces 
de  notre  Lancret  et  quelques-uns  des  charmes  de  notre 
Watteau. 

Tour  à  tour,  Anl(jiiio  (lanal,  compositeur  ibîs  scènes 
du  Carnaval    et  metteur  en  scène  des    Vues  de  ce  canal 


40  LES  DEUX    CANALEÏTO. 

(le  la  llrenta  que  suivait  le  coche  d'eau  ou  Burchiello 
conduisant  les  voyageurs  à  Padoue,  et  Bernard  Bellotto 
aspirèrent  le  parfum  de  cette  Venise  défaillante.  Tous 
deux  virent  insensiblement  dépérir  de  consomption  lalière 
et  robuste  ville  qui  avait  vu  naître  Morisini  et  qui,  de  leur 
temps,  enfantait  plus  d'artistes,  d'épicuriens,  d'aventuriers, 
de  patriciens  efféminés  et  amoureux  du  [daisir  que  de 
guerriers  et  de  vaillants  marins. 

La  solidarité  des  deux  Canaletto  fut  si  intense  de  leur 
vivant,  qu'il  nous  paraît  difficile  de  les  séparer  logique- 
ment devant  la  postérité,  qui  souvent  attribue  au  seul 
nom  de  Canaletto  ce  qui  est  ru:'uvre  d'Antonio  Canal, 
sinon  cellede  son  neveu  Bellotto.  Nous  les  présentons  donc 
ici  réunis  en  une  même  étude,  ainsi  (ju'ils  mériteraient 
, IV' Ire  groupés. 

La  tâche  de  cette  présentation  en  partie  double  n'est 
pas  toujours  des  plus  facile.  C'est  ainsi  qu'on  vit,  à  Venise, 
l'oncle  et  le  neveu  exécuter  tour  à  tour  les  mêmes  motifs. 
Il  paraît  donc  souvent  assez  malaisé  de  faire  le  juste  par- 
tage ou  l'équitable  distinction  de  leur  production,  bien 
que,  par  l'éclat  de  la  couleur,  la  vigueur  de  l'exécution, 
la  netteté  des  ombres,  la  transparence  des  ciels,  l'éclat 
non  truqué  des  eaux,  il  semble  relativement  aisé  à  démon- 
trer que  Antonio  Canal,  en  tant  que  coloriste,  se  soit 
montré,  presque  toujours,  incomparablement  supérieur 
à   son    disciple. 

La  similitude  des  sujets  crée  toutefois  un  doute  fréquent  ; 
il  convient  alors  de  se   reporter  à  la  caractéristique  des 


Li:S  DEUX   CANALETTO.  ^3 

{\c\\\  racliiros  légèrement  dissemblables  elde  savoir  l'aire 
('lai  (lu  coloris  drlicat  et  clair  d'Antonio  Canal.  Il  faut 
aussi  se  souvenii*  qu'on  aecusa  Bellotto  de  peindre  sans 
])oésie,  sans  légèreté,  sans  àme,  pour  ainsi  dire,  de  n'avoir 
qu'une  routine  de  main,  qu'un  métier  habile  mais  froid 
et  monotone.  Opinions  d'aiUeurs  discutables,  comme 
nous  le  verrons  par  la  suite. 

Nous  ne  pouvions  oublier  ({u'autourde  ces  deux  peintres 
d'architectures,  dont  l'un  est  le  génie  inné,  l'autre  le  talent 
acquis,  évoluait  toute  une  petite  famille  d'artistes  qui, 
avec  recueillement,  travaillait  à  décorer  les  murailles 
des  églises,  à  parer  les  demeures  des  patriciens,  à  com- 
poser de  belles  allégories  légendaires  ou  mythologiques 
à  la  façon  de  leurs  aïeux.  Nous  voulons  citer  Jeau-Baptiste 
Tiepolo,  décorant,  sur  le  (.anareggio,  le  palais  Labia  de 
fresques  remarquables  et  ornant  Santa  Maria  délia  Pieta 
d'un  plafond  délicat,  frais  et  pimpant;  Pietro  Longhi  illus- 
trant de  ses  compositions  claires  et  gaies  le  palais  Grossi; 
Francesco  Guardi, Sébastien  Ricci  et  son  neveu  Marc, déco- 
rateurs intéressants,  ainsi  que  nombre  d'autres  aujour- 
d'hui oubliés  ou  méconnus.  Ils  devaient,  ces  artistes,  se 
connaître,  s'estimer,  rarement  se  jalouser,  car  ils  avaient 
conservé  les  mœurs  simples  des  anciennes  corporations 
ancestrales,  lesquelles  avaient  leur  mariegola.  Ils  s'appe- 
laient entre  eux  familièrement,  presque  maçonni(|ue- 
ment  :  très  chcrs  frrrcs^  et  ne  dédaignaient  point  de 
s'associer,  bien  que  peintres  de  premier  ordre,  aux  do- 
reurs,   ornemanistes    et  môme   aux    moindres    barbouil- 


M  LES   DEUX   CANALETÏO. 

leurs   (le  chaises  et  Je  volets  qui  avaient  mêmes  titres 

queux. 

Certains  collaboraient  fraternellement,  sans  s'attribuer 
un  mérite  supérieur  à  celui  de  leurs  aides  les  plus  mé- 
diocres ;  d'autres,  désespérant  de  réussir  à'Venise,  mon- 
traient une  facilité  singulière  à  franchir  les  frontières 
latines  pour  s'en  aller  chercher  fortune  en  d'autrescapilalcs 
où  leurs  talents  étaient  vite  appréciés  et  où  leur  qualité  de 
citoyen  de  la  noble  République  attirait  sur  eux  la  bien- 
veillance et  le  succès. 

Nous  considérons  avant  tout  de  notre  devoir  de  signa- 
ler ici  les  sources  principales  oli  nous  avons  puisé  l'essence 
documentaire  de  notre  travail. 

Ceux  qui  désireraient  prolonger  au  delà  de  notre  but 
forcément  limité  une  étude  sur  Antonio  Canal  et  Bernardo 
Bellotto,  consulteront  avec  intérêt  les  ouvrages  déjà 
connus  :  Histoire  des  Peintres  de  lotîtes  les  écoles,  de  Charles 
Blanc,  la  Cyclopedia  of  Painters  and  Paint ings  oii  tigure 
un  portrait  d'Antonio  Canal  et  une  notice  intéressante  et 
détaillée;  le  Cicérone,  guide  de  l'art  antique  et  de  l'ait 
moderne  en  Italie,  publié  parJ.  Burckhart,  l'éminent  pro- 
fesseur d'histoire  de  l'Université  de  Bàle  ;  le  Dictionnaire 
des  Peintres  de  Siret,  qui  comporte  des  prix  de  ventes 
célèbres,  le  Dictionnaire  des  Arts  de  Heineke,  relatant,  au 
lomelll,  la  liste  des  estampes  gravées  d  après  Antonio 
Canal,  les  Mémoires  et  Anecdotes  of  Paintinr/  in  England 
d'Horace  Walpole,  un  article  paru  au  volume  63  du  Col- 
burn'' s  New  Montldy  Magazine,  la  Gazette  des  Beaux- Arts 


W     -SI 


LKS  DEUX   CANAr.l^nTO.  47 

i/x/ssrm),  enfin  les  deux  publications  signalées  plus  liaul. 

Ou  trouvera,  eu  outre,  certaines  indications  de  détail 
dans  le  Cala/o(//tr  du  Louvre  de  Villot,  le  Dictionnaire  de 
Ttco::/,  et  les  (Catalogues  des  musées  de  Venise,  de  Komc, 
de  Florence,  de  l.ondres,  de  Dresde,  de  Munich,  de  Vienne, 
de  Berlin,  de  Darmstadt,  de  Bergame,  de  Saint-Péters- 
bourg, etc.,  ainsi  ([ue  de  la  galerie  Bicliard  Wallace  et  du 
Musée  et  de  la  galerie  Liechtenstein. 

11  l'aut  toujours  remettre  loyalement,  au  seuil  de  tout 
ouvrage  accompli,  les  ciels  du  chanlier  de  ses  mati'riaux. 

ElForçons-nous  maintenant,  avec  le  minimum  tle  docu- 
ments connus,  de  tracer  un  double  essai  biographique 
d'Antonio  Canal  et  de  son  neveu  et  élève  Bellolto. 


III 

la  vik  et  les  oeuvres  dam'omo  caxal.  ses  v0ya(ies  a 

l'éthangeh. 

De  la,  vie  d'Antonio  Canal,  avons-nous  dit,  on  sait  fort 
peu  de  chose.  Les  explorations  savantes,  curieuses  et 
tenaces,  souvenles  lois  essayés  par  ses  biographes,  n'ont 
pu  jusqu'ici  l'aire  apparaître  aucune  indication  valable  du 
passé  de  cet  aduiirable  artiste  vénitien,  ni  déterminer  les 
principales  étapes  de  sou  existence  qui  échappe  à  toutes 
recherches. 

Les  grands  et  modestes  laborieux  dont  la  vie  s'écoula 
sans    ambition    n'eurent    généralement  point  d'histoire. 


48  LES   DEUX   CANALETTO. 

Antonio  Canal  fut  sans  doute  un  simple  artisan  aussi  sou- 
cieux de  parachever  son  travail  et  de  répandre  son  œuvre 
que  de  cacher  la  simplicité  de  ses  mœurs  privées. 

Les  chroniques  vénitiennes,  parcimonieusement  révéla- 
trices sur  l'àgc  mûr  et  la  vieillesse  d'Antonio  Canal,  se 
montrent  encore  plus  ahsolument  muettes  sur  la  jeunesse 
même  de  cet  enfant  de  la  ville  des  Doges. 

Alors  que  la  renommée  du  peintre  commençait  à  pren- 
dre quelque  éclat,  le  comte  Antonio  Zanetti  croit,  dans  sa 
correspondance,  devoir  lui  attrihuer  une  naissance  illustre, 
ou,  tout  au  moins,  le  faire  descendre  d'une  honorable 
famille  patricienne.  Pour  honorer  les  mérites  de  son 
brillant  compatriote,  il  ne  semble  point  apporter  le 
moindre  scrupule  à  le  rattacher  à  la  noble  lignée  des 
Da  Canal,  qui  dans  leurs  armoiries  portaient  d'argent 
au  chevron  d'azur.  11  faut  penser  cependant  que  cette 
descendance,  qui  ne  relèverait  aucunement  la  valeur 
individuelle  de  l'artiste,  serait  plutôt  discutable,  car 
Pia/zelta,  quelques  années  plus  tard,  voulant,  à  son 
tour,  anoblir  le  premier  des  Canaletto,  dessina,  dans  le 
cartouche  du  portrait  qu'il  lit  de  lui,  un  nouveau  blason 
d  azur  au  chevron  d'or.  Des  armoiries  aussi  vaguement 
délinies  et  sur  lesquelles  deux  contemporains  se  trouvent 
déjà  en  désaccord,  créent  à  l'historien  d'aujourd'hui  le 
devoir  de  ne  se  point  prononcer. 

Nous  constaterons  seulement  que  rien  ne  vient  con- 
firmer que  le  maître  de  CalH.  a  Canall  puisse  sérieuse- 
ment revendiquer  une  ascendance  qui  ait  été  inscrite  au 


A.     ('.AN  AI.. 


r.OUU     ET     POKIIUUK    1)    t'N     l'AlAIS. 

(Pioy.-ile  Académie,  Venise  ) 


LES   DEUX   CANALETTO.  51 

livre  d'or  des  patriciens  do  la   Sérénissime  République. 

La  seule  vérité  solidement  contrôlée  est  celle  de  sa 
naissance.  Antonio  Canal  naquit  à  Venise, le  1 S  octobre  1G97. 
L'auteur  de  ses  jours,  noble  ou  vilain,  peu  nous  importe, 
était  peintre,  non  point  à  la  façon  des  maîtres  de  tableaux 
de  chevalet,  mais  peintre  dans  les  grandes  surfaces,  peintre 
d'illusoires  décors  de  théâtre  pour  les  diverses  scènes 
vénitiennes  de  San  Moïse,  de  Sant'Apollinare,  de  Ganale 
Regio,  de  Santa  Marina,  d'Altieri  ou  de  San  Fantino. 

Le  personnage  fort  ell'acé  de  ce  Renardo  ou  Bernardo 
CanaL  père  d'Antonio,  était  peut-être  quehjue  peu  inté- 
ressant. De  ce  qu'il  avait  limité  son  ambition  à  brosser 
des  décors  de  théâtre,  on  aurait  tort  d'en  conclure  qu'il 
fût  une  manière  d'artisan  médiocre,  un  barbouilleur  sans 
.  caractère  personnel,  ou  talent  appréciable.  Pour  que  la 
mémoire  de  son  nom  ait  été  consignée  dans  les  anciennes 
biographies,  on  peut  bien  admettre  qu'il  i)résenla  les 
qualités  d'un  artiste  au-dessus  de  la  moyenne,  dont  les 
travaux  sans  doute  furent  estimés  de  ses  compatriotes. 

Le  qualilicatif  «  décorateur  de  théâtre  »  évoque  dans 
nos  esprits  l'idée  peu  élevée  d'un  collaboraleur  d'impré- 
sario. Le  décorateur  ne  laisse  derrière  lui,  non  plus  (jue 
l'acteur,  aucun  témoignage  réel  de  son  talent.  C'est  là  le 
malheur  du  métier.  Au  théâtre,  quels  que  soient  les  rôles 
qu'on  y  joue,  on  est  essentiellement,  en  quelque  sorte,  un 
viager  de  la  gloire. 

Il  faut  faire  état  surtout  qu'en  ces  heures  ordonnées 
du   xviii"  siècle,  le   peintre    de  tableaux    était  encore   un 


55  LES  DEUX   CANALETTO. 

artisan  faisant  partie  de  corporations  qui  l'assimilaient 
avec  les  professionnels  de  la  décoration  des  bâtiments,  et 
que  la  tradition  du  moyen  âge  persistait,  selon  laquelle 
le  mot  œuvre  et  le  mot  ouvrier  gardaient  encore  la  même 
étymologie. 

En  outre,  comme  il  est  démontré  que  Bcrnardo  da 
Canal  travailla  longtemps  avec  Luc  Carie  varis,  surnommé 
Luca  di  Cà  Zenobio,  lequel,  né  en  1GG5,  mourut  en  1731, 
nous  sommes  amené  à  penser  que  l'état  civil  du  père 
d'Antonio  Canal,  à  dix  ans  près,  devait  répondre  à  ces 
mêmes  dates. 

Carlevaris  fut  un  peintre  graveur  àl'eau-forte  apprécié. 
A  ses  travaux  délicats  sur  toile  et  à  ses  œuvres  burinées,  il 
ajouta  des  peintures  pour  la  décoration  théâtrale.  Une 
partie  de  son  œuvre  nous  a  été  conservée  et  à  considérer 
le  précieux  recueil  en  lequel  cet  artiste  réunit,  en  170(), 
les  cent  vues  de  Venise,  gravées  au  burin,  on  est  excusable 
de  présumer  que  Luc  Carlevaris  fut  probablement  le  maître 
d'Antonio  da  Canal.  Il  aurait  été  en  outre,  et  ceci  importe, 
rinitiateiir  de  cet  art  suprême  de  la  mise  en  perspective 
par  quoi  se  recommande  et  se  perpétue  l'œuvre  d'Antonio 
Canal  et  de  son  neveu  Bellotto. 

Pour  l'écrivain  d'art,  il  existe  dans  ce  fait  de  la  colla- 
boration suivie  de  Carlevaris  et  de  Bernardo  da  Canal 
un  document  intéressant  permettant  d'établir  par  déduc- 
tion, que  les  décors  auxquels  s'employait  Bernardo  étaient 
certainement  des  œuvres  sérieusement  établies  et  ingé- 
nieusement produites   en  trompe-l'œil,  à  l'aide  de  plans 


LES  DEUX   GANALETÏO.  5-t 

arcliitectiiraux  bien  combinés,  qui  ne  sont  pas  sans  ana- 
logie avec  IVeuvre  des  Ganaletlo,  qui  fort  probablement 
(bjit  dériver  de  tels  enseignements  par  l'art  du  décor. 

Bernardo,  ami  d'un  «  arcbitecturiste  »  et  peintre  de 
perspectives,  dut,  lui  aussi,  orienter  principalement  sa 
production  vers  la  transcription  des  plus  beau,x  monu- 
ments de  sa  ville  natale. 

Ces  constatations  permettent  de  concevoir  vaguement 
quel  put  (Hre  le  milieu  d'art  oîi  grandit  et  prit  conscience 
de  soi-même  le  jeune  Antonio  Canal.  Elles  expliquent 
aussi  la  vocation  qui  lentement  se  forma  en  lui  pour  la 
peinture  de  perspectives,  sans  autre  idée  d'adaptation,  au 
début,  qu'à  la  profession  paternelle.  Ce  fut  sans  doute  en 
raison  d'une  lassitude  de  l'art  un  peu  grossier  des  toiles 
de  fonds  et  portants  de  théâtre,  et  à  la  suite  d'iniluences 
telles  que  celles  qu'on  peut  attribuer  à  Jean-l*aul  Pannini, 
qu'Antonio  Canal,  vers  la  vingtième  année,  abandonnant 
l'art  du  décor,  se  consacra  entièrement  à  des  techniques 
toutes  dévouées  à  la  précision  des  lignes  architecturales, 
s'elforçant  de  traduire  en  des  cadres  moindres  les  admi- 
rables théories  de  palais,  les  silhouettes  des  fac^ades  et  les 
éclairages  incomparables  de  cette  Venise  rose  et  blanche 
toujours  occupée  à  mirer  ses  sourires  et  sa  beauté  dans 
l'eau  glauque  de  ses  canaux. 

Avant  d'être  le  Nofjt/is  Vcnctm  du  portrait  que  lit  de 
lui  par  la  suite,  avec  plus  ou  moins  d'exactitude,  Jean- 
Baptiste  Piazzetta,  le  jeune  //  Tottlno  (ce  fut  là  le  pre- 
mier surnom  diminutif  décerné  à  Antonio  Canal)  suivit 


56  LES   DEUX   CANALETJT». 

son  père  dans  les  coulisses  et  assista  à  la  confection  de 
ces  vastes  peintures  de  scène  qui  servaient  d'entourage 
et  situaient  sur  des  places  de  villes  les  interminaljles  que- 
relles de  Pantaleonc,  de  Tartaglia  et  d'Arlequin,  proto- 
types de  la  CommeiUa  dcIFarte. 

D'esprit  pratique  et  pondéré,  autant  qu'on  en  peut 
juger  par  le  cours  d'une  existence  où  l'on  n'entrevoit 
aucun  incident  passionnel,  aucune  aventure  galante, 
aucune  frasque  juvénile,  Antonio  Canal  vécut  à  ses 
débuts,  aux  côtés  de  son  père,  de  la  confection  des  illu- 
soires figurations  de  palais,  de  vues  de  villes  ou  de 
forets  qui  représentaient  alors  les»principalcs  décorations 
théâtrales. 

Tout  jeune,  il  dut  feuilleter  chez  son  père  l'ouvrage 
récemment  paru  où  son  maître  Carlevaris  avait  réuni  ses 
cent  planches  sur  les  physionomies  de  Venise.  On  peut 
supposer  qu'il  en  fut  frappé  et  non  moins  que  par  ce 
détail,  rapporté  en  famille,  que  l'heureux  (Jarlevaris  était 
protégé  par  la  famille  Zenobio,  d'où  il  tirait  son  surnom. 
La  faveur  d'un  tel  patronage  avait  bien  son  poids  en  un 
temps  où  tout  Vénitien,  reprenant  l'antique  tradition  des 
clientes  romains,  cherchait  à  s'attirer  la  bienveillance  d'un 
grand  seigneur,  autant  pour  se  créer  un  apj)ui  et  un  moyen 
de  défense  contre  le  pouvoir  mystérieux  du  Conseil  des 
Dix,  que  pour  recueillir  en  toute  occasion  les  bénéfices 
matériels  divers  qui  découlaient  de  ce  privilège.  Fut-il 
également  influencé  par  Giambattista  Tiepolo  qui  n'était 
son   aîné  que   de    quatre  ans  et  qui,  dès  l'âge  de  seize 


LES   DEUX   CANALETTO.  5î) 

ans,  étonnait  Venise  par  la  rare  personnalité  de  son  pres- 
tigieux talent?  —  C'est  fort  possible. 

On  sait,  —  Zanetti  l'alTirme,  —  que  son  rêve  de  sortir 
de  la  médiocrité  se  réalisa  de  très  bonne  beure.  En  fort 
peu  de  temps,  Antonio  Canal  acquit  une  «  réputation 
brillante  ».  On  lui  prête  notamment  une  singularité  de 
pensée,  un  sens  nouveau  d "arrangements  qui  lirent 
promptement  reconnaître  et  apprécier  ses  œuvres  de 
début. 

Après  peu  d'années  dans  le  métier  théâtral  aux  côtés 
de  son  père  et  de  Carlevaris,  aussitôt  ses  études  achevées 
pour  assurer  son  dessin,  le  premier  des  Canaletto,  à  peine 
âgé  de  vingt-deux  ans,  partait  pour  Rome  et  s'y  rencon- 
trait avec  Panniui,  partisan  de  la  composition  paysagée 
avec  ruines  monumentales  et  figures,  ordonnance  riche  et 
recherches  d'ombres  précieusement  découpées.  Ce  peintre 
enseigna  à  son  nouvel  élève  le  respect  desmolifs  et  de  la 
nature  en  lui  léguant  son  génie  d'architecturiste  que  le 
disciple  devait  largement  accroître  et  modifier  dans 
l'exactitude  des  lignes,  la  chaleur  des  colorations,  la 
science  du  |)inceau,  l'imitation  des  motifs  et  l'harmonie 
des  proportions  de  l'ensemble. 

Antonio  Canal  ne  faisait  d'ailleurs  que  suivre  le  courant 
des  esprits.  Marco  Boschini,  élève  de  Palma  le  Jeune, 
préparait  alors  les  Riclœ  Minière^  Tomasso  Fontana  réu- 
nissait des  documents  pour  son  précieux  ouvrage  :  Il  fiorc 
(il  Vcneziaossiai  quadri^  imonumentï^  le  vedute  e  i  costumi 
vcneziani  rappresentali  191  due  cenlo  incisloni  e  scgiate  da 


60  LES  DELX   CANALETTO. 

abili  artisll  di  Vcnezia  (1);  enfin,  les  deux  volumes  do  : 
//  gran  leatro  délia  pilturf  e  perspettive  di  Vvnczia  (2j 
étaient  sur  le  point  de  paraître. 

Antonio  Canal,  lorsqu'il  quitta  Venise  pour  Rome  en 
1719,  était  donc  déjà  en  bonne  voie  dans  l'art  pictural 
qui  assura  sa  réputation  et  prêt  à  <<  excommunier  les  cou- 
lisses »,  selon  sa  propre  expression.  Il  arriva,  un  beau 
matin,  dans  la  Ville  sacrée,  au  seuil  du  logis  de  l*annini, 
à  peu  près  du  même  âge  que  lui  et  qui  avait  également 
débuté  dans  le  décor  de  théâtre.  Pannini  avait  su  réussir 
et  ne  regrettait  poinl  d'avoir  abandonné  Plaisance,  sa 
patrie.  Il  avait  formé  une  assez  brillante  école  décorative 
que  fréquentaient  les  Romains  et  où  il  enseignait  la 
«  science  de  la  perspective».  Son  plaisir  le  plus  sincère 
consistait  surtout  dans  les  promenades  à  travers  les  ruines 
de  l'ancienne  Rome,  qui  lui  permettaient  de  travailler 
pour  son  compte  et  de  crayonner,  de-ci,  delà,  la  statue 
de  Marc-Aurèle,  l'intérieur  de  Saint-Pierre  ou  le  Colos- 
seum  qu'il  reconstituait  après  à  l'atelier. 

Fier  à  juste  raison  de  son  titre  d'élève  de  Locatelli  et  de 
R.  Luti,  Giampolo  Pannini  ne  se  glorifiait  pas  moins  de 
ses  succès  chaque  jour  grandissants,  bien  que  ses  produc- 
tions fussent  souvent  taxées  d'inexactes  ou  d'imaginaires. 

Membre  de  l'Académie  de  San  Luca,  de  Rome, il  aimait 
emprisonner  son   ingénieux  talent  dans   des   cadres   de 

(1)  «  Leslleursde  Venise  ou;  les  tableaux, les  monuments,  les  vues  et  les 
costumes  vénitiens  représentés  en  deux  cents  planches  gravées  par  les 
meilleurs  artistes  de  Venise  ». 

(2)  «  Le  grand  théâtre  des  peintures  et  perspectives  de  Venise  ». 


LES   DEUX   CANALirrïO.  61 

motlostcs  dimensions  et  faire  tenir  la  grandeur  tragique 
du  vieux  forum  sur  le  ciiamp  de  minuscules  toiles. 

11  eul  vite  fait  de  comprendre  le  sons  artistique  d'Anlo- 
nio  Canal,  son  nouveau  compaguon  ;  il  lui  inculqua  qucdque 
peu  de  la  vénération  qu'il  professait  à  l'égard  de  Salvator 
Uosa  et  sut  lui  exposer  ses  conceptions  de  peinture  nou- 
velle qui  s'accommodaient  si  bien  du  genre  archaïque 
de  la  campagne  romaine. 

Travaillant  en  plein  air  en  compagnie  de  son  ami  Pan- 
nini,  Canal  we  consentait  jamais  à  exécuter  les  «  mo- 
saïques »  de  motifs  composés  d'emprunts  et  de  raccords 
hasardeux  qui  séduisaient  son  compagnon,  lorsqu'il  se 
voyait  impuissant  à  le  convaincre  que  la  vérité  est  assez 
belle  pour  cire  peinte  toute  nue.  Il  en  venait  cependant 
à  s'avouer  (jue  Home  ne  parlait  guère  qu'à  ses  yeux  ;  son 
cœur  était  demeuré  au  pays  des  lagunes  et  il  regrettait 
de  ne  pouvoir  y  peindre  le  Lion  de  Saint-Marc  sur  sa  stèle 
de  marbre  ou  le  toit  de  cuivre  du  Campanile,  sinon  la 
merveilleuse  ordonnance  du  palais  ducal  accolé  à  la 
majesté  de  la  basilique  la  plus  glorieusement  Ijclle  de 
l'univers. 

Entre  temps,  il  se  remettait  à  son  métier  de  décorateur, 
mais  il  lui  semblait  que  l'œuvre  naissait  sous  ses  doigts 
moins  vite  et  moins  heureuse  qu'aux  jours  où,  dans  l'ate- 
lier paternel,  il  traçait,  d'une  règle  assurée,  la  fuite  des 
corniches,  lidèlrment  doul)lée  d'un  angle  pareil,  dans  le 
})lan  des  places  et  des  calli. 

l/idéc  de  retourner  à  Venise  l'obsédait  à  ce  point  (|u'il 


62  LES   DEUX   CANALETTO. 

acheva  en  une  semaine  une  vue  du  Colisée  iqui  est  actuel- 
lement à  Londres),  afin  de  pouvoir  ({uitter  Rome  dont 
l'atmosphère  ne  lui  convenait  guère,  où  il  ne  devait 
jamais  plus  revenir  par  la  suite.  Combien  y  était-il  resté 
en  compa|ïnie  de  Pannini  ?  —  Ce  point  demeure  obscur. 
Nous  estimons  cependant  que  son  séjour  dans  la  Ville 
sacrée  dut  dépasser  deux  années,  car  les  études  de  Rome 
sont  nombreuses  dans  l'œuvre  du  Canaletto  (il  primo)  et, 
bien  qu'il  ait  peint  par  la  suite  sur  croqnis,  on  peut  croire 
qu'étant  donnée  la  lenteur  relalive  de  son  labeur,  il  ne  dut 
revenir  à  Venise  qu'au  milieu  de  1721,  sinon  en  1722. 
Le  jeune  artiste  emportait  dans  ses  cartons  tous  les  élé- 
ments des  nombreux  tableaux  de  Rome  qu'il  devait 
exécuter  par  la  suite,  soit  à  Venise,  soit  au  cours  de 
voyages  à  l'étranger. 

Son  séjour  à  Rome  lui  avait  révélé  sa  voie.  11  revenait 
aux  visions  marmoréennes  du  grand  Canal  avec  la  con- 
science de  ce  qu'il  pouvait  tirer  de  la  splendeur  artistique 
de  la  grande  Venise,  la  cité  flamboyante,  colorée,  toujours 
nouvelle  et  captivante  comme  une  maîtresse  aux  attraits 
sans  cesse  renaissants. 

11  ne  songeait  plus  à  établir  des  décors  éphémères  pour 
les  théâtres  oii  allaient  rivaliser  Gozzi  et  Goldoni;  il  ne  se 
sentait  point  davantage  la  mission  de  peindre  après  Pan- 
nini les  nécroses  monumentales  de  YUrbs  antique.  11  était 
Vénitien,  et  Venise  vivait  glorieuse  sous  ses  yeux  amou- 
reux. Son  talent  serait  dorénavant  consacré  à  la  beaulé 
alanguio   de  cette  doiuiirière,  reine-mère  de  l'Adriatique. 


LES  DEUX    GANALETTO.  <'»3 

Il  vivrait  pour  elle  cl  par  elle.  Il  s'inimorlaliscraiL  [);ir 
elle  coinmo  elle  se  glorilierait  par  lui. 

Hontré  à  Venise,  il  y  Iravailla  de  façon  assurée  pour 
lAlgarotti  et  pour  le  consul  anglais  .1.  Suiith.  Il  y  demeura 
sans  plus  la  quitter  durant  environ  vingt-cinq  ans.  Sur 
celte  période  de  sa  vie  règne  un  rigoureux  silence.  Les 
musées  parlent  seuls  en  son  nom,  mieux  que  les  mémoires, 
nouvelles  à  la  main  et  chroniques.  Ils  démontrent  (|ue 
ce  peintre  ne  cessa  de  se  perfectionner  en  accumulant  une 
OHivre  annuelle  d'environ  vingt  à  trente  tableaux,  ce 
qui  est  considérable  pour  une  époque  où  le  travail  se 
faisait  méthodiquement  et  lentement,  et  également  sur- 
prenant en  raison  du  soin  très  méticuleux,  de  la  délica- 
tesse du  détail,  du  fini,  en  un  mol,  dont  témoignent  les 
loiles  peintes  par  Antonio  Canal. 

Son  œuvre,  entre  1722  et  1740,  dut  être  constante,  car 
elle  forme  un  total  qui,  d'après  nos  calculs  approximatifs, 
doit  dépasser  neuf  cents  tableaux  pour  le  moins.  A  peine, 
de  ci,  de-là,  une  date  vient  préciser  un  point  de  sa  vie. 
Par  exemple,  on  sait  (jue  dans  cette  même  année  I7I}0, 
où  les  verriers  vénitiens  déléguaient  chez  les  verriers  de 
Bohème  le  meilleur  d'entre  eux,  Briati,  pour  y  prendre 
des  leçons,  à  cette  date  où  Dorigny,  le  Français,  termi- 
nait sa  grande  fresque  à  l'église  des  Jésuites,  Antonio 
Canal  exécuta  son  chef-d'œuvre  peut-être  le  plus  parfait, 
celte  toile  de  Santa  Maria  délia,  Salulo  qui  fut,  plus  lard, 
avec  quatre  autres  tableaux  sans  importance,  achetée 
180(10  francs  par  Louis  XVIII   et   qui   se  trouve  actuelle- 


64  LES  DEUX  CANALETTO. 

mont  au  musôe  du  Louvre.  11  travailla  :  c'est  à  peu  près 
tout  ce  que  l'on  peut  dire  d'Antonio  Canal  avec  certitude. 
Entre  l'époque  où  il  revint  de  Rome  et  le  temps  où  il 
partit  pour  Londres,  aux  premiers  jours  de  174G,  rien  ne 
révèle  sa  présence  à  Venise   en  dehors  de  ses  œuvres. 

Londres!  Paris!  les  cours  du  Nord!  Autant  de  mirages 
lointains  qui  scintillaient  et  attiraient  hors  de  leur  sol 
sur  pilotis  les  peintres  vénitiens I  En  une  époque  où  les 
courriers  partaient  mal  et  n'arrivaient  pas  toujours,  où 
les  postillons,  conducteurs  de  la  chaise,  manquaient  les 
relais  et  se  couchaient  dans  l'ornière,  il  est  surprenant 
de  constater  avec  quelle  aisance  les  artistes,  les  musi- 
ciens, les  hommes  de  lettres,  les  aventuriers  se  dépla- 
çaient. En  quelque  manière,  ils  étaient  relativement 
moins  casaniers  que  les  Français  de  notre  heure  qui, 
malgré  les  moyens  de  locomotion  ultra-rapides  dont  ils 
disposent,  sont  peu  faciles  à  mobiliser  vers  l'étranger. 

Il  n'est  point  étonnant  de  rencontrer,  de  1746  à  1748, 
le  Vénitien  Antonio  Canal  sur  les  bords  de  la  Tamise, 
et  un  peu  plus  tard  à  Munich,  alors  que  son  neveu  Bellotto, 
parti  déjà  depuis  quelque  temps,  témoigne  en  ses  lettres 
qu'il  réussit  à  merveille  à  la  cour  de  Dresde,  à  Vienne, 
et  dans  les  jardins  de  Varsovie. 

Constatons,  ne  serait-ce  que  pour  mémoire,  cette  facilité 
du  voyage  :  dès  1700,  l'orfèvre  français  Thomas  Germain 
est  célèbre  à  Rome.  L'année  suivante  le  landgrave  de 
Hesse  appelle  Paul  du  Ry,  lui  commande  un  château, 
un    parc    merveilleux  pour  Wilhemshoehe,  près  Cassel. 


LES   DEUX    CANALETTO.  ()7 

Presque  au  nièuio  moment,  à  Paris,  meurt  l'Anversois 
Corneille  Vermeulen  ((ui  y  avait  fixé  ses  pénates  depuis 
longtemps. 

L'électeur  Jean  Guillaume,  prince  palatin,  va  chercher 
chez  lui  Jean  Weenix  pour  peindre  des  chasses  dans  les 
galeries  du  château  de  Bensherg.  D'autre  part,  alors  que 
Cayart  bâtit  une  église  protestante  à  Berlin  et  qu'un 
second  Français,  Laguerre,  décore  à  Londres  le  palais 
de  Marlborough,  Berlin  attire  de  Bodt  en  ITOli;  il  y  bâtit 
un  arsenal  et  on  le  nomme  général.  Un  de  ses  com- 
patrioles  vient  sculpter  les  quatre  grandes  statues  de  la 
porte  monumentale;  Frédéric- Guillaume  applaudit  à 
l'œuvre  de  ces  artistes  de  France. 

Haendel  s'ennuie  en  Allemagne,  le  voilà  parti  deux 
ans  en  Angleterre.  De  Troy  salue  une  dernière  fois 
l'Italie.  Le  Trévisan  Bellucci,  qui  se  rend  à  Vienne,  appelé 
par  Joseph  V%  s'y  fixe  et  s'y  trace,  d'un  coup,  une  bril- 
lante carrière.  —  Est-ce  tout?...  non  point  : 

Benoît  Coiiïre  va  en  Danemark  peindre  des  plafonds 
à  Frederiksborg  ;  Jean  Baoux  décore  un  portique  de 
l'hôtel  de  Justiniano  Loi  Uni,  à  Venise.  Tout  le  septen- 
trion jette  un  charme,  exerce  une  attirance  irrésistible  sur 
les  hommes  d'Italie.  Calliéri  meurt  en  France  après  y 
avoir  vécu  depuis  1()60.  M.  Bicci  s'en  va,  lui  aussi,  en 
Angleterre.  J.-B.  Van  Loo  retourne  en  France. 

C'est  le  moment  où  Antonio  Canal  se  dirigeait  à  Rome. 
Ce  n'est  plus  qu'un  va-et-vient  extraordinaire  d'artistes 
à  travers    l'Europe.    J.-M.   Nattier  accompagne    certains 


68  LES  Di:CX   CANALETTO. 

ouvriers  des  Gobelins  jusque  chez  Pierre  le  Grand;  Paler 
vient  à  Paris:  Parrocel  descend  à  Vienne  pour  travailler 
au  Belvédère.  Watteau  court  à  Londres  oii  le  suit  Jean 
Raoux.  La  Rosalba  Carrièra  vient  en  France,  se  fait 
recevoir  membre  de  l'Académie  Royale  et  se  voit  porter 
aux  nues  tour  à  tour  par  les  grands  amateurs  d'alors  : 
Mariette,    Caylus,    l'abbé  de    Marolles    e!;  autres. 

Des  pages  et  des  pages  ne  suffiraient  point  pour  éta- 
blir ce  que  furent,  de  la  fin  du  xvu'  au  xviii'  siècle,  les 
voyages  d'artistes  à  travers  le  monde.  Il  y  avait  un 
courant  donné,  presque  une  tradition  acquise,  et  l'on  ne 
doit  poiut  s'étonner  du  départ  du  premier  des  Canaletto 
au  pays  de  (  iainsborough,  de  Reiburn  et  de  Hogarth. 

Canaletto  a  déjà  trente-sept  ans.  Tous  ces  artistes  en 
voyage  lui  prêchent  l'exemple.  11  apprend  la  nouvelle  de 
la  mort  de  ce  Philippe  jNleusnier,  peintre  d'architectures, 
qu'il  dut,  cela  est  fort  probable,  connaître  à  Venise,  car 
il  s'y  affirma  fameux  maître  de  perspective  avantde  décorer 
des  voussures  à  la  chapelle  de  Versailles. 

Antonio  Canal  allant  en  Angleterre  sur  les  conseils  du 
consul  Smith,  croise  presque  Reynolds  qui  va  en  Italie, 
etTiepolo,  son  ami  et  collaborateur,  qui  revient  détermi- 
nera Wurtzbourg  les  fresques  qu'on  y  peut  voir  encore 
aujourd'hui.  Notre  Vénitien  arrive  à  Londres  au  moment 
des  grands  succès  d'Haendel  dont  le  J (/(/as  Machabee x'ionl 
d'être  célébré.  11  y  apprend  que  son  neveu  Bellotto,  qui 
est  alors  en  Pologne,  est  en  passe  de  se  faire  un  nom 
estimé  dans  la  grande  et  riche  société  de  Varsovie. 


LES   DKUX   CANA[.ETTO.  (i'-> 

('anal  ari'ivc  à  l^ondros  et  ne  larde  pas  à  y  fréquenter 
tous  les  artistes  du  temps.  Les  lords  rinviteut  à  la  ville  et 
à  la  campagne,  il  devient  peu  à  peu  célèbre  dans  la  haute 
société  où  l'on. apprécie  son  incomparable  maîtrise  dans 
la  reproduction  des  palais,  des  jardins,  des  châteaux,  et 
même  des  pavillons  de  chasse.  Il  sait  rendre  Lame  et  la 
physionomie  morale  des  architectures  qu'il  établit  eu 
harmonieux  accord  avec  les  paysages.  Les  Anglais  raf- 
folent de  son  talent,  et  les  travaux  lui  arrivent  en  masse. 
Il  triomphe,  pour  tout  dire,  jusqu'à  faire  oublier  le  grand 
Marco  Ricci  dont  Londres,  précisément,  avait  hautement 
apprécié  la  valeur.  Déjà  âgé  de  plus  de  cinquante  ans,  il 
n'a  plus  qu'à  se  laisser  vivre  de  son  travail,  qu'à  proliter 
de  ses  qualités  acquises,  à  jouer  de  sa  virtuosité  de  peintre 
dont  il  sent  toute  la  puissance.  Il  ne  tâtonne  plus,  il 
apprécie  d'un  coup  d'œil  décisif  le  motif  à  traiter  et  d'une 
main  rapide  et  sûre  il  accomplit  son  «  œuvre  anglaise  »  si 
intéressante,  dans  l'admiration  générale. 

II  retournerait  volontiers  vers  sa  chère  Venise,  oîi 
l'Académie  des  Argonautes  fêterait  si  magnihquement 
son  retour,  dont  le  climat  convient  mieux  à  son  âge 
et  dont  il  n'a  pas  encore  épuisé  les  motifs  innom- 
brables. Mais,  le  moyen  de  résister  aux  séductions  et 
aux  llatteries  d'une  ville  inliniment  plus  artiste,  plus 
fortunée,  plus  luxueuse  dans  son  hospitalité  et  où 
tant    de   travail    racca|)are  ! 

L'iniluence  anglo-saxonne  s'a[)|)esantit  sur  ce  Vénilien 
comme  elle  avait  métamorphosé  le  graveur  |)aysagiste  fran- 


70  LES  DEUX   GANALETTO. 

çais  Joseph  Goupy,imitatour  deSalvator  Rosa,  le  peintre 
verrier  Joseph  Rice,  les  graveurs  Bernard  Baron  et  Louis 
Boitard,  le  paysagiste  Lambert,  fidèle  mais  pâle  conti- 
nuateur du  Poussin,  et  tant  d'autres  peintres,  statuaires 
et  graveurs,  Antonio  Canal  prolongea  donc  durant  deux 
années  son  séjour  à  Londres  où  il  put  connaître  Angelico 
KautTmann,  Gainsborough,  le  paysagiste  Tuccarelli,  sou 
compatriote,  l'architecte  G.  Dance,  le  graveur  Barlholozzi 
et  quelques  autres  encore,  qui,  peu  d'années  après, 
devaient  figurer  parmi  les  membres  de  la  naissante 
Académie  des  Beaux-Arls  d'Angleterre.  Canaletto  reve- 
nait aux  rives  du  grand  canal  après  avoir,  dans  les 
demeures  princières  de  la  capitale  anglaise,  rec^^u  l'accueil 
le  plus  sympathique  et  composé  ces  remarquables 
planches  du  jardiu  de  Vauxhall,  ces  vues  de  Whitehall, 
de  Northumberland  House,  de  Eton  Collège  et  de  la 
Tamise,  qui,  aujourd'hui,  marquent  son  passage  en  Angle- 
terre en  figurant  dans  les  galeries  de  Windsor,  de  Dudley 
House,  de  Devonshire  House,  de  Soane  Muséum,  de  Mon- 
tagne House,  de  Sion  House,  de  Hampton  Court  et  de  la 
National  Gallery. 

Déjà  plus  que  quinquagénaire.  Antonio  Canal  aurait  pu 
se  fixer  définitivement  dans  une  ville  quil  avait  j)ar 
deux  fois  abandonnée;  mais  sa  destinée  devait  l'en 
éloigner  de  nouveau.  11  retourna  à  Londres.  —  Quelle 
raison  l'y  décida?  Ce  fut  vraisemblablement  vers  1751, 
si  l'on  en  croit  le  millésime  qui  figure  sur  deux  planches 
signées  de  Muller  :  »  Vues  de  Londres;  Jardins  du  Vaux- 


LKS   DKUX   CANAUrnO.  71 

Hall  et  WestminsLcr  vu  du  jardin  de  Somerset  ».  Il  n'avait 
plus  alors  les  inèuies  intérêts  à  défendre  que  lors  de  son 
premier  voyage.  Il  ne  redoutait  plus  le  mercanlilisme  de 
cet  ingénieux  Joseph  Smith,  (|ui,  consul  anglais  à  Venise, 
avait,  pendant  trop  d'années,  accaparé  ses  toiles,  sous 
façon  de  mécénisme,  et  en  avait  tiré  de  beaux  deniers  en 
les  revendant  fort  cher  à  ses  compatriotes  londoniens. 

Canaletto  n'avait  plus  à  répudier  un  protecteur  aussi 
businessman.  Il  avait  rompu  avec  Smith,  n'admettait 
plus  d'intermédiaire  entre  les  amateurs  et  lui.  Les  tran- 
sactions directes  lui  étaient  devenues  faciles. 

Peut-être  faut-il  attribuer  cette  seconde  station  sur  les 
rives  de  la  Tamise  au  seul  désir  de  revoir  des  amis 
accueillants,  qui,  tel  le  duc  de  Richmond,  avaient  été  |)onr 
lui  de  si  généreux  protecteurs  dans  les  hautes  classes  de 
Londres  et  des  comtés  voisins. 

C'était  d'ailleurs  l'époqueoîi  son  neveu  Bellotto  arrivait 
à  son  tour  à  Londres  et,  avec  son  esprit  imitateur,  ses 
manières  insinuantes,  cherchait  à  exploiter  dans  la  plus 
grande  proportion  possible  les  inlluences  dont  disposait 
son  cher  maître  et  oncle.  Nul  doute  que  Canaletto,  le 
premier,  n'ait  noué  à  Londres  des  relations  avec  cet 
Horace  Walpole  qui  y  était  alors  tout-puissant  par  le  pétil- 
lant de  son  esprit  et  l'originalité  de  son  attitude  d'écri- 
vain gentilhomme.  Bernardo  Bellotto  ne  dut  pas  manquer 
l'occasion  de  se  faire  patronner  par  un  oncle  si  parfai- 
tement désigné  pour  appuyer  ses  prétentions  à  la  célé- 
brité. Par  la  suite,  Antonio  Canal  poussa  la  bonté  jusqu'à 


72  LES  DEUX   CANALETTO. 

accompagner  ou  à  rejoindre  en  Pologne  son  ambitieux 
neveu  et  disciple,  alors  devenu  «  le  comte  Belloito  ».  Fort 
probablement,  une  lettre  d'Algarotti,  ami  d'Antonio  Canal, 
accrédita  Bellotto  auprès  du  roi  de  Pologne,  Auguste  III, 
qui  s'honorait  de  ramilié  du  grand  collectionneur 
vénitien. 

Le  contraste  des  naUires  d'Antonio  et  de  Beruardo 
incite  l'historien  à  déduire  que  loncle  débonnaire  fut,  à 
l'égard  du  neveu  impétueux,  ce  que  plus  tard  le  grand 
Beethoven  se  montra  vis-cà-vis  de  son  neveu  Charles,  ori- 
gine de  tous  ses  chagrins. 

Mais  au  moins  cette  fois,  Bernardo  Bellotto  méritait  rela- 
tivement la  tendresse  (|ue  lui  portait  son  parent.  Nous 
verrons  qu'il  fut  le  digne  continuateur  de  l'architecluriste, 
son  maître  familial,  qui  lui  avait  révélé  sa  voie. 

Il  y  atout  lieu  de  croire  que  les  deux  Canaletto  se  dirent 
un  suprême  adieu,  en  Allemagne;  peut-être  en  cette  ville 
de  Munich  dont  Anloaio  peignit  une  vue  d'ensemble  qui 
figure  aujourd'hui  à  la  Pinacothèque.  L'un  devait 
remonter  vers  le  nord,  alin  d'y  poursuivre  sa  carrière  de 
peintre  de  rois,  avec  des  alternatives  de  grandeur  et  de 
détresse,  dans  les  principautés  allemandes.  L'autre  redes- 
cendit vers  Venise,  en  faisant  quelques  détours  par 
Vérone  et  Padoue  oîi,  aux  premières  heures  de  sa  vie, 
dans  sa  jeunesse,  il  avait  dû  être  mis  en  nourrice  —  les 
enfants  ne  pouvant  être  élevés  à  Venise  —  et  où,  plus 
tard,  il  revint  fréquemment  peindre   divers  motifs. 

Venise  l'attendait  pour  lui  rendre  cette  tendresse  que. 


.liili.    I,i.';uulu 


A.    c  \  N  A  I,.    —    \  r  i;    m:    \i; \isi;     dcssinj 

.Miisôc  (U;  Cluiiililly.)   ^ 


LES   DEUX   CANALKTTO.  15 

loulo  sa  vie,  il  avait  ni()nli'(''e  puni'  cllo.  Si  clic  iic  logea 
pas  son  grand  Canaloltoaiix  Procuratics,  conimo  elle  avait 
l'ait  jadis  pour  Sébastiano  llicci,  si  elle  ne  Ini  permit  pas 
d(»  vivre  «.à  la  grande  »,  si  enlinellele  laissa  mourir  dans 
la  modeste  contrada  di  San  Leonr,  du  moins  fut-elle 
accueillante  à  son  peintre  illustre  et  lui  accorda-t-elle  de 
terminer  ses  jours  dans  la  quiétude  et  le  bien-être. 

Malgré  l'âge,  x\ntonio  Canal  continua  son  œuvre,  lit 
de  nouvelles  toiles  que  les  amateurs  lui  payaient  au  poids 
des  ducats  d'or.  Encore  qu'il  soit  assez  diflicile  de  faire  une 
distinction  caractéristique  entre  ses  premières  prodnctions 
de  jeunesse  et  celles  (jui  datent  de  ses  retours  de  Rome  et 
d'xVngleterre,  on  peut  dire  qne  les  années  n'affaiblirent 
pas  plus  sa  vision  quelles  ne  ralentirent  son  courage. 
Les  gondoles  noires  et  capricieusement  drapées,  lecortège 
des  barques  accompagnant  le  Bucentaure  au  matin  de 
l'Ascension,  la  perspective  (jui  s'enfonce  au  delà  dn  Hialto 
sur  le  grand  Canal,  lorsqu'on  est  placé  entre  le  palais 
Labiaetle  palais  Foscari,  le  commerce  de  la  Piaz/a,  son 
pittoresque  désordre  de  tissus,  de  dentelles  et  de  cristaux, 
les  promeneurs  des  Procuratics,  l'église  de  San  (îemi- 
niano  encore  debout,  lâchasse  prodigieuse  deSaint-Marc, 
l'escalier  des  Géants,  la  Sainte  qu'il  aimait  à  copier  à 
toutes  les  lieares  du  jour  et  dans  toutes  les  lumières,  le 
Marché  aux  herbes,  les  quartiers  [)auvres  de  Saint-xXicolas 
et  de  la  place  des  Apôtres,  le  peuple  des  vanniers,  des 
joueurs  de  boules,  des  lazzaroni,  des  matrones,  des  nobles 
en    perruque  et  en    hoUd,    tout  lui   redevint  prétexte    à 


70  LES  DEUX   GANALETTO. 

peindre  et  à  graver,  (l'une  morsure  énergique  et  person- 
nelle, le  décor  favori  où  son  infatigable  génie  se  com- 
plaisait. 

A  de  certains  jours,  il  seuiblait  que  le  maître  eûtépuisé 
les  thèmes  qu'ollrait  à  son  pinceau  la  Venise  multiforme 
et  polychromatique  de  son  temps.  Tempérant  sur  le 
tard  les  rigueurs  de  son  jugement  à  l'égard  des  procédés 
du  vieux  Pannini  qui  restait  lidèle  à  la  Rome  des  Césars, 
Antonio  Canal  brodait,  —  comme  ïurner  et  Ziem  devaient 
le  faire  par  la  suite,  —  des  variantes  imaginaires  sur  la 
Venise  des  Doges.  11  samusaità  composer  des  toiles  de  pure 
fantaisie  faites  d'eaux  frémissantes  et  d'architectures 
superbes,  oii  se  dressaient  des  palais  inexistants,  des  pers- 
pectives  profondes  empruntées  à  des  décors  de  rêve. 

Des  décors!  Oui,  certes,  c'étaient  là  des  décors  conçus 
et  peints  avec  cette  liberté  d'invention  qui  avait  présidé 
soixante  ans  auparavant  aux  premiers  travaux  d'Antonio 
Canal,  architecturant  des  villes  inconnues  des  géographes 
sur  les  toiles  de  fond  du  tiiéàtre  San  Salvador  1 

En  ces  travaux  qui  le  reposaient  des  scrupuleuses 
transcriptions  de  Venise,  le  vieux  peintre  retrouvait  le 
retïetdes  âgestlisparusoù.  plein  de  fougue  et  d'espérances, 
il  regardait  avec  convoi  lise  le  célèbre  Carlevaris  descendre 
de  sa  gondole  au  perron  des  Zenobio. 

C'était  notamment  dans  le  uiétier  de  l'eau-forte  qu'il 
s'appliquait  à  exprimer  d'un  trait  cursif  et  sans  reprises, 
ces  conceptions  de  son  caprice,  réalisées  avec  une  telle 
sûreté  que  l'on  hésitait,  devant  elles,  à   y   reconnaître, 


LES   DliUX    CANALETTO.  "!) 

|)liil(H  (|ii('  l;i  V(''ril(''  (le  la  nature,  la  lanlaisic  (lune 
l'ooricjiio  vision  d'artiste.  Quoi  maître  aquaforliste  ce  lui! 

Tel  un  Piianese,  mais  avec  moins  d'indépendance  —  car 
il  restai L  uialgré  lui  l'esclave  de  son  œuvre  passée  éprise 
de  réalité,  —  il  «  arrangeait  »  des  paysages  de  cités  où 
Venise  encore  collaborait.  A  l'encre  de  Chine,  à  la  plume, 
au  hurin,  il  improvisait  follement  sur  un  thème  d'archi- 
tecture aussi  aisément  que  le  faisait,  à  Leipzig,  Jean- 
Sébastien  Bach,  sur  la  donnée  carrée  d'une  fugue. 

Restée  longtemps  sous  l'inlluence  de  Mantegna,  deBel- 
lini  et  du  Titien,  l'école  vénitienne  de  gravure  sur  cuivre 
et  sur  bois  se  montrait  alors  d'une  assez  plate  médiocrité. 
Antonio  Canal  lui  redonua  son  génie.  Sa  méthode  de 
graver  était  des  plus  simples  et  pai'lici[)ait  de  cette  mémo 
recherche  de  la  lumière  qui  toujours  commanda  sa  tech- 
nique de  peintre.  Son  principe,  peut-on  dire,  était  «  l'éco- 
nomie des  travaux  ».  Jamais  de  secondes  tailles,  la  préoc- 
cupation déménager  les  fonds  jusque  dans  les  ombres, 
un  souvenir  manifeste  des  procédés  de  Campagnola  et 
de  la  faconde  traiter  en  dentelles  les  feuillages  des  arbres, 
façon  familière  au  grand  «  Zorzi  »  dont  la  gloire  per- 
durait sur  Venise,  fière,  depuis  1478,  d'avoir  donné  le 
jour  au   peintre    de    La  tempête  apaisée  par  saint  Marc. 

Un  rapp(d  des  ligures  de  Callot,  avec  cependant  moins  de 
mordant,  mais  pourtant  assez  de  souplesse  et  de  vérité  pour 
permettre  à  l'écrivain  d'aujoiirdhui  de  nn'ttrei  au  moins 
en  doute  que  l'auxiliaire  de  Tie])olo  lut  indispensable  à 
Canaletto  pour  tout  ce  (|ui  a  trait  au  type  drapé,  à  la  ligu- 


80  LES   DEUX   CANALETTO. 

lalioii  (le  SOS  ianombrables  mises  en  scène   vénitiennes. 

Lhonime  qui  a  su  dessiner  les  sillioueltes  deTAlbertine 
de  Vienne  et  celles  qu'on  voit  à  Windsor  et  à  Chcintilly 
(Miiit  suflisamment  figuriste  pour  peindre  les  foules  et  les 
cortèges  qu'on  rencontre  sur  ses  toiles. 

«  Les  jolies  eaux-fortes  de  Canaletto,  écrit  (Charles 
Blanc,  dans  son  Hisfoire  des  peintres  de  toutes  les  Eco 'es, 
sont  remplies  de  lumière;  le  travail  en  est  large  ;  les 
tailles  écartées  laissent  transparaître  le  blanc  du 
papier,  c'est-à-dire  la  lumière  même  de  la  gravure.  Le 
peintre  se  plaît  et  s'entend  fort  bien  à  rendre,  par  des 
travaux  tremblés,  mais  sans  exagération,  ces  murailles 
des  vieilles  maisons  de  Venise  et  de  Padoue,  les  briques 
disjointes  que  laisse  voir  çà  et  là  le  crépi  tombé.  Les  ciels 
sont  traités  simplement  par  des  travaux  conduits  dans  le 
sens  horizontal,  mais  d'une  main  libre  et  souple  qui  ne 
s'astreint  pas  à  des  hachures  froidement  régulières,  et 
s'interrompt  de  temps  à  autre  pour  suivre  de  capricieuses 
iutlcxions,  indiquant  de  légers  nuages...  En  revanche, 
Canaletto  est  un  vrai  modèle  pour  la  manière  de  graver 
l'architecture  et  de  rendre  le  clapotement  des  eaux.  On 
sait  combien  il  est  difficile  d'exprimer  en  gravure  ce  cla- 
potement. Beaucoup  d'artistes,  et  particulièrement  Brus- 
tolone,  ont  tiguré  des  petits  Ilots  superposés  comme  le 
seraient  des  pièces  de  monnaie  :  Canaletto,  par  un  jeu  de 
pointe  spirituel,  reproduit  ces  petits  brillants  que  pré- 
sente une  eau  légèrement  ridée,  sans  en  effacer  la  trans- 
parence générale.  » 


S^<^A\JU»V.. 


-i     bD 


Z.  Q 


LES   DEUX   CANALETTO.  83 

C'ost  ainsi  ((iie  (lanal  lô^ua  à  la  poslérilé  iino  suite  do 
tronto  et  uno  eaux-fortes  de  diverses  grandeurs,  vues 
d'Italie  et  (i(^  Venise,  dont  deux  portent  son  monogramme 
A.  C,  suite  que  nous  avons  relatée  d'autre  part  sous  le 
titre  de  :  Vediite  altre  prese  du  i  liioghi  altrc  idcaie  da 
Antonio  C anale  p  da  c^^c  iiUagliate.  D'autre  part,  l'artiste 
avait  déjà  réuni  en  recueil  spécial  douze  planches  dédiées 
à  son  dangereux  bienfaiteur  Smith  en  signe  «  d'estime  et 
d'obéissance  ».  Ce  groupement  comprenait  diverses  fan- 
taisies, des  vues  de  Vérone,  de  Padoue  et  de  petites 
vues  des  alentours  de  Venise. 


Un  soir  d'avril  ITinS,  alors  que  Venise  se  parait  de  cette 
atmosphère  rose  dont  tant  de  fois  Antonio  Canal  avait 
dt'composé  les  valeurs  subtiles,  dans  cette  «  chaïubre  noire  » 
dont  il  fut  le  premier  peintre  à  savoir  se  servir,  —  nous  ne 
devons  omettre  de  le  signaler,  —  on  apprit  sur  la  IMaz- 
zetta,  chez  Florian,  au  Lido,  au  café  des  artistes  prés  du 
pont  des  Barettieri,  où  il  fréquentait,  (ju'on  ne  reverrait 
plus  le  laborieux  vieillard  flâner,  crayon  en  main,  en  sa 
gondole-atelier,  sur  VS  du  grand  Canal.  Il  venait  de  clore 
ses  yeux  qui  avaient  tant  rellété  la  beauté  de  son  idole,  et 
avec  lui  s'était  éteint  un  peu  de  la  gloire  linissante  de  la 
vieille  République. 

On  a  prétendu  qu'Antonio  Canal  serait  mort  à  Londres 
âgé  de  quatre-vingt-un  ans,  c'est-à-dire  en  1778.  Rien  ne 
peut  témoigner  de  cette  assertion. 


84 


LES  DEUX  GANALETTO. 


IV 

LA      Vir:      KISRAMF,     ET     LHCUVRE     JJE     BE[{NARDO      lîELLO  TTO     IJIT 

CANAEETTO. 


Lorsque  Bernardo  Bellotto  vint  au  inonde,  à  Venise,  en 
1724,  la  condition  sociale  de  la  famille  des  Canal  se  trou- 
vait déjà  moins  obscure  qu'au  temps  où  naissait  l'oncle 
Antonio,  fils  du  décorateur  Renardo  ou  Bernardo  da 
Canal. 

A  cette  dale  de  1721,  l'oncle  Antonio  Canal  était, 
depuis  deux  ans  environ,  de  retour  de  Rome  et  déjà  consi- 
déré par  le  talent  de  premier  ordre  que  révélaient  ses 
premières  œuvres.  Il  s'était  fait  un  nom  et  ne  désespérait 
pas  de  «  (diasser  du  nid  »  —  selon  l'expression  de  Lanzi, 
qui  l'emprunta  lui-même  à  Dante  —  l'arcliitecturiste 
Marco  Ricci,  dont  la  renommée  était  encore  assez  persis- 
tante pour  porter  ombrage  à  sa  jeune  gloire.  Quels  liens 
de  parenté  unissaient  exactement  Antonio  et  Bellotto? 
Nous  savons  seulementquecelui-ciétait  neveu  de  celui-là. 
Quelle  était  la  famille  du  jeune  Bernard?  Est-ce  (comme 
il  est  piobat)le  par  suite  du  mariage  de  la  sœur  d'Antonio 
Canal  avec  un  «  Bellotto  »  que  Bernard  se  trouvait  appa- 
renté au  premier  des  Canaletto  ?  —  Quel  rang  occupait 
la  famille  Bellotto  à  Venise  ?  Quelle  était  la  profession  ou 
la  situation  de  fortune  du  père  ?  Quels  atavismes  d'art 
pouvait-il  revendiquer  de  ses  ascendants  ?  Autant  de 
questions  qui  restent  sans  réponse  et  qu'il  semble  impos- 


■Un!  '^iHtL'-4ife^ 


3 

c2 


LES   ni:UX   CANALKTTO.  «7 

sible  (rôclaij'cif  à  l'aide  des  registres  de  l'etal  civil  de 
Venise.  II  y  aurait  là  matière  à  gloses  sans  lin. 

Admettons  donc  comme  plausible  rhy[)othèse  de  Ber- 
iiardo  IJellotto  enfant  légitime  de  la  sœnr  d'Antonio  Canal 
et  concevons,  dès  lors,  que  Ganalettole  Vieux  se  soit  éver- 
tué, par  intérêt  pour  son  neveu,  de  lui  enseigner  son  art 
et  d'en  faire   son  disciple  et  son  continuateur. 

Les  premiers  essais  sérieux  du  jeune  Bernardo  Bellotto 
eurent  lieu,  suppose-t-on,  vers  l'àge  de  quinze  ans. 

En  cette  année  1739,  Antonio  Canal,  âgé  de  quarante- 
deux  ans,  élait  dans  toute  la  puissancede  sa  production.  II 
n'avait  pas  encore,  on  s'en  souvient,  visité  l'Angleterre, 
mais  son  nom  y  était  depuis  longtemps  connu,  en  raison 
des  œuvres  qu'il  avait  pu  y  envoyer  par  l'entremise  de 
Joseph  Smith,  le  consul  anglais  auprès  de  la  Sérénissime 
République.  Bellotto  rencontra  à  l'atelier  de  son  oncle  le 
condisciple  FrancescoGuardi  qui  avait  alors  environ  vingt- 
huit  ans  et  préludait  déjà  avec  un  rare  bonheur  à  cet  art 
de  peindre  où,  dans  la  science  de  la  coloration,  du  per- 
sonnage et  de  l'harmonie  d'ensemble,  il  surpassa  son 
maître,  selon  l'opinion  de  quelques  critiques. 

Pietro  Longhi,  qui  venait  souvent  chez  Antonio  Canal, 
avait  trente-sept  ans  ;  il  composait  brillamment  alors  des 
œuvres  religieuses  très  orthodoxes  avant  d'aborder  ses 
sujets  galants  et  carnavalesques  (jui  sont  les  seuls  (|ui 
vraiment  vaillent  à  nos  yeux  comme  tableaux  évocateurs 
du  tem|)s.  Ilotari  y  apparaissait  également  avant  <|iril 
ne    (juittàt  Venise. 


88  LES   DEUX   CANALETTO. 

Bellotto  grandil  auprî'S  île  son  oncle,  très  amliilieux  de 
bonne  heure,  très  convaincu  de  ses  succès  prochains,  car 
son  caractère  semble  avoir  été  plutôt  présomptueux  et  la 
modestie  ne  fut  certes  point  pour  entraver  sa  carrière. 

Pourtant  Bellotto  ne  pouvait  espérer  trouver  en  Antonio 
Canal  nu  oncle  semblable  à  ce  quavait  été  pour  Marco  Uicci 
cet  extraordinaire  voyageur  que  lut  toute  sa  vie  Sebas- 
liano  Ricci.  Cet  «  ambnlant  »  infatigable  avait  parcouru 
l'Italie  entière,  copié  les  Carrache  du  palais  Farnèse  à 
Rome  pour  le  duc  Ranucciode  Parme,  était  parti  en  Alle- 
magne, puis  à  Vienne,  où  il  avait  ilécoré  Scbu'ubrunn  ; 
on  lavait  ensuite  revu  à  Florence,  travaillant  pour  le 
grand-duc  de  Toscane,  puis  en  Angleterre  pour  la  reine 
Anne,  puis  dans  le  frivole  Paris  de  la  Régence  où  l'Aca- 
démie royale  de  peinture  l'avait  chaleureusement  accueilli. 
Enlin,  il  était  revenu  mourir  à  Venise,  comblé  d'hon- 
neurs. Dès  (juil  lavait  pu,  son  neveu  Marco,  perspecti- 
viste  et  graveur,  s"('tait  attaché  à  lui,  dans  sa  course  à 
travers  le  monde,  pour  lui  peindre  ses  architectures. 

Bellotto,  qui —  son  avenir  le  prouva  —  aimait  également 
les  voyages,  n'eut  point  à  se  montrer  l'écuyer  de  son  oncle 
à  Londres,  car  il  quitta  Venise  auparavant,  cette  Venise 
dont  il  s'exila  volontairement  la  plus  grande  partie  de  sa 
vie.  Fidèle  à  la  tradition  selon  laquelle  tout  peintre  d'Ita- 
lie devait  alors  préluder  dans  sa  carrière  par  une  visite  à 
Rome,    débordante   de   grands   enseignements,   il  partit. 

Ni  la  vie  prenante  de  la  lagune,  ni  les  passionnantes 
querelles  qui  déjà  y  mettaient  aux  prises,  sur  les  planches. 


^^^.'i^. 


LES  DEUX    GANALETTO.  91 

(iul(l(tiii,  ài;('  (le  trculo-ileiix  ans,  et  (lliiari,  i\o  sept  années 
plus  vieux,  ni  peut-être  l'accueil  (|u"il  trouvait  aux  salons  de 
la  brillante  l.uiza  Bergaili,  épouse  de  Gozzi,  ni  l'amitié  — 
qu'on  peut  lui  supposer  — ■  de  J.-H.  Tiepolo  le  lils,  son 
cadet  de  deux  ans,  ne  le  retinrent.  11  s'en  fut  à  Rome  où, 
sans  doute,  il  arriva  avec  une  lettre  de  son  oncle  le 
recommandant  à  l'ami  Pannini,de  plus  en  plus  féru  alors 
des  paysages  semés  de  ruines,  peuplés  de  pâtres  et  de 
solitaires  guerriers. 

A  Rome,  il  mit  en  relief  sa  vanité  quelque  peu  tapa- 
geuse, son  goût  de  paraître  partout,  son  orgueil  de  grand 
peintre  se  croyant  sincèrement  gentilhomme,  si  l>ien  qu'il 
n'hésita  pas  à  s'anoblir  du  titre  de  comte^  peu  de  temps 
après,  dès  qu'il  fut  en  Allemagne. 

Une  curiosité  l'appelait  d'ailleurs  de  tous  côtés  :  à 
Vérone  (1),  à  Rrescia,  à  Pavie,  à  Turin,  à  Milan  où  il 
séjourna  tour  à  tour,  dessinant,  peignant,  cherchant 
opiniâtrement  à  se  procurer  de  hautes  protections  et  à 
deviner  le  chemin  tie  traverse  qui  aboutit,  avec  un 
minimum  de  fatigue,  aux  portes  des  palais  royaux,  aux 
titres  et  aux  pensions. 

Entre  temps,  Antonio  Canal  était  j)arti  à  Londres,  où  il 
devait  rester  de  IT'iG  à  ITi.S.  Si  l'on  en  juge  d'après  les 
documents  qui  nous  sont  [)arvenus  et  suivant  lesquels 
Rellotto  s'établiten  Saxe  vers  1747,  si  l'on  tient  en  considé- 
ration qu'avant  ce  moment  il  vécut  en  Angleterre  assez 

(1)  Vue  (lu  /lo/i/ i/i's  vdisscdu.r.  à  Vérone.  —  AcluelUiinenL  au  Musée 
(II-  Diosdc 


92  LES  DEUX   CANALETTO. 

longtemps  pour  s'altiror  ramiliô  d'Horace  Walpole  et 
travailler  pour  le  (•('l('l)re  «écrivain  sans  le  savoir  «,  on 
doit  en  conclure  qu'il  y  a  toute  vraisemijlancc  pour  que 
l'oncle  et  le  neveu  se  soient  rencontrés  à  Londres  et  y 
aient  collaboré.  11  n'y  aurait  même  ancune  impossibilili' 
à  ce  que  le  second  Canaletlo,  avec  tont  l'entregent  qu'on 
doit  lui  reconnaître,  ait  organisé  la  vennc  d'Antonio  Canal 
à  Londres,  dans  le  but  de  s'y  faire  chaperonner  et  d'y  par- 
tager les  bénélices  de  son  maître  et  collaborateur.  Toutes 
les  suppositions  sont  permises. 

11  ne  s'attarda  poiut  à  Londres,  en  tout  cas.  En  plein 
succès,  il  part  à  Vienne  et,  aux  portes  de  la  capitale, 
modilie  avantageusement  son  état  civil.  C'est  maintenant 
sons  le  titre  de  comte  Bellotlo,  peintre  d'architecture, 
neven  et  émule  du  célèbre  Canaletlo,  qu'il  se  fait  annon- 
cer. Ricci  avait  peint  à  Schœnbrunn,  Bellotto  voulut  siuivre 
ses  traces.  Il  se  dépense,  va  à  ^lunicli,  où  son  oncle  vient 
en  passant  l'embrasser  et  constater  le  beau  chemin  qu'il 
a  lait  dans  la  vie.  Le  neveu  prohte  de  la  circonstance. 
Il  se  souvient  qu'Antonio  est  fort  estimé  du  célèbre  ama- 
teur et  collectionneur  Algarotti  et  que  ce  dernier  est  en  re- 
lalions  épistolaires  avec  le  roi  de  Pologne,  et  il  fait  agir  tant 
et  si  bien  que  le  grand  Electeur  de  Saxe,  navré  de  n'avoir 
pu  atlii'cr  l'onide  à  sa  cour.    a[)pelle  à  Dresde  le  neveu. 

En  cette  extravagante  Cour  dresdoise,  le  prodigue  et 
fantasque  Auguste  lll,  qui  fut  un  si  plaisant  souverain, 
n'avait  pas  convoqué  que  des  peintres.  Ivre  de  musique 
et  de  tableaux,   il  s'entourait,  depuis  son   accession   au 


LKS  DEUX    GANALETTO.  93 

Irôiio,  (runc  suilc  darlisles  empressés  à  lui  plaii-c,  et 
I>ell()ll()  vint  l'orl  à  propos  compléter  une  académie  de 
protéines  oi^i  brillaient  au  premier  rang  ses  deux  compa- 
triotes, le  ténor  Aunibali  et  la  chanteuse  Minzolli. 

L'atmosphère  lui  convenait  à  merveille  de  cette  cour 
frivole,  mais  cultivée,  où,  tout  de  suite,  il  put  se  parer 
de  l'épithète  tant  convoitée  de  Peintre  du  Ho//.  Il  venait 
d'atteindre  sa  trentième  année  :  ce  devait  être  un  brillant 
cavalier  et  son  séjour  près  du  grand  l']lecteur  dut  être  le 
temps  le  plus  heureux  de  sa  vie. 

Dresde  était  alors  une  cité  de  plaisir  et  d'arl.  ]']lle  s'était 
undamorphosée  depuis  le  règne  d'Auguste  11,  prince 
idéal,  amateur  de  Ijelles  choses  et  organisateur  de  fêles 
théâtrales  et  somptueuses.  Ne  fallait-il  pas  vraiment  que 
les  citoyens  saxons  fussent  de  bon  caractère  pour  avoir 
trouvé  ex(}uis  et  du  meilleur  goût  que  leur  monarque  ait, 
un  jour,  échangé  son  plus  beau  régiment  de  dragons  contre 
douze  superbes  potiches  de  porcelaine?  —  Le  lils, 
Auguste  III,  n'était  pas  moins  gcuiéreux  à  l'égard  des 
artistes.  Son  seul  souci  était  de  faire  argent  de  tout  pour 
orner  à  son  gré  ses  résidences,  sa  capitale  et  ses  Etats  : 
«  Ai-jeencore  de  l'argent?  »  disait-il  à  son  ministreBruhl, 
chargé  des  linances  de  cet  heureux  i)ays.  On  en  trouvait 
par  tous  les  moyens.  Pour  l'art  et  la  beauté,  le  gas- 
pillage des  fonds  d'I^^tat  était  merveilleusement  organisé. 

Bellotto  ne  tarda  guère  à  se  faire  du  généreux  Bruhl 
un  ami  et  un  protecteur.  Le  ministre  l'employa  pour 
décorer  les  galeries  du  prince,  mais,  étant  lui-même  d'un 


94  LES   DKUX   CANALETTO. 

goût  très  raffiné,  il  ne  manqua  point  l'occasion  de  préle- 
ver, dans  l'œuvre  de  l'artiste  architecturiste,  des  toiles 
où  la  reconnaissance  avait  stimulé  le  pinceau,  mais  dont 
le  paiement  restait  différé  d'année  en  année. 

Ce  fut  le  temps  où  Bellotto  parcourut  en  tous  sens  ce 
Dresde  d'autrefois,  disparu  en  grande  partie  aujourd'hui, 
mais  qui  revit  sur  les  tableaux  évocateurs  dont  se  sont 
notamment  enrichies  les  galeries  d'Allemagne. 

Quartiers  riches  décorés  de  palais,  quartiers  pauvres 
sur  qui  planaient  les  clochers  finement  découpés  des 
églises,  Bellotlo  peignit  tout  cela  avec  une  facilité  qui 
fait  honneur  à  sa  nature  d'artiste,  maître  de  sa  technique 
et  fervent  de  son  art. 

Parfois,  le  souvenir  ih^  la  Venise  natale  le  hantait.  11  en 
profitait  pour  monnayer  la  fidélité  de  sa  mémoire.  11  com- 
posait des  toiles  où  la  patrie  revivait  en  beaut(''  à  ses  yeux 
d'exilé  volontaire. 

Peut-être  s'aidait-il  de  croquis  conservés,  ou  de  gravures 
anciennes,  ou  même  des  gravures  faites  d'aprf^s  l'œuvre  de 
son  oncle.  Toujours  est-il  que,  bien  que  ce  fût  là  un  travail 
d'atelier,  les  toiles  qui  sortaient  de  ces  nostalgies  vénitien- 
nes sont  fort  estimables  et  restituent  avec  une  exactitude 
presque  rigoureuse  la  vérité  des  plans  et  des  colorations.  A 
peine,  de  temps  en  temps,  une  façade  est-elle  plus  large  sur 
le  tableau  que  dans  la  réalité,  une  île  plus  reportée  vers  la 
gauche,  un  bras  de  canal  plus  large  (1  ).  Bernardo  Bellotto, 

{[]  La  l'iazzella.  —  Musée  de  Lille. 


J 


LES   DRUX   CANALETTO.  95 

Drosilois  par  oplion,  élail    rostô  Vrnition  dans  son  Cd'ur. 

Au  surplus,  il  siiflit  d'observer  ses  ciels  d'Allemagne 
pour  y  retrouver  le  rellet  indéniable  des  grandes  coulées 
de  lumière  qui,  aux  beaux  jours,  inondent  la  lagune  et  ses 
horizons,  h^t  il  n'est  pas  jusqu'aux  façades  de  ses  palais 
allemands  où  ne  réapparaissent  l(>s  tonalités  fraîches  de 
la  Venise  marmoréenne  oii  ses  yeux  s'étaient  ouverts  à  la 
splendeur  de  l'art. 

Dans  le  même  temps,  Bellolto  poursuivait,  burin  en 
main,  son  œuvre  de  graveur.  Sa  technique  est  directe- 
ment héritée  d'Antonio  Canal.  JMéme  procédé  de  réserve 
des  blancs,  mêmes  habiletés,  mêmes  simplicités,  môme 
parti  pris  d'éviter  les  contretailles.  De  nombreuses  pièces 
furent  ainsi  apostillées  par  lui  de  son  monogramme  B.  B. 
Les  plus  célèbres  sont  connues  sous  le  titre  :  Vedutr 
délia  città  di  Dresda  (sans  lieu  ni  date),  réunies  en  un 
in-folio.  Ce  sont  là  treize  eaux- fortes  dessinées  et  gravées 
par  l'artiste  de  1748  à  \11V2.  D'autres  gravures  de  Bellotto, 
portant  le  monogramme  II.  />.,  accompagne  cette  fois  de 
la  mention  «  dclio  il  Crnialctto  »,  représentent  dos  vues 
de  Varsovie  et  des  paysages. 

Si,  dans  ces  œuvres  diverses,  Bernardo  continua  le  tour 
de  main  de  celui  qui  avait  été  son  maître,  on  ne  peut 
toutefois  lui  accorder  sans  réserves  le  talent,  qu'avait  au 
suprême  degré  son  oncle  Antonio,  de  disposer  d'impor- 
tantes masses  d'ombres  —  même  au  premier  plan  —  sans 
se  montrer  lourd,  compact  et  empâté.  L'habileté  prodi- 
gieuse que  montrait   Canal,    lorsqu'il  s'agissait  de  jouer 


96  LES  DEUX   CANALETTO. 

avec  ces  difficultés,  le  neveu  ne  la  retrouva  pas  souvent. 
Il  traita  les  masses  d'ombres  d'une  façon  plus  opaque,  et 
ce  manque  de  lumière  dans  les  contre-jours,  cette  absence 
de  limpidité  dans  les  gris  et  les  pénombres,  lui  ont  été 
fort  justement  reprochés  devant  ses  tableaux  eux-mêmes. 

D'un  autre  point  de  vue.  s'il  pouvait,  par  impossible, 
être  prouvé  qu'Antonio  Canal  faisait  faire  ses  figures  par 
Tiepolo,  on  pourrait  en  déduire  que  ni  l'architecturiste 
vénitien  ni  le  peintre  d'Auguste  111  n'étaient  faits  pour 
animer  leurs  toiles  d'une  figuration  qui  leur  fût  propre. 

En  effet,  Bellolto  empruntait  le  pinceau  du  Bolonais 
Stefano  Torelli  pour  animer  ses  perspectives  de  palais  et 
d'églises.  Cette  collaboration,  au  moins,  est  assurée  et 
reste  indéniable.  Le  Torelli  était,  lui  aussi,  un  Italien 
transfuge.  Dresde  lui  était  devenue  une  seconde  pairie 
depuis  1740,  et,  non  sans  mérite,  il  y  peignait  tour  à  tour 
des  tableaux  pour  les  dessus  d'autels  et  des  plafonds  pour 
les  nobles  résidences.  Ces  dernières  umvres  ne  devaient 
point  durer.  Les  incendies  et  les  ruines  qui  furent,  dans 
ce  pays,  les  tristes  conséquences  de  la  guerre  de  Sept  ans, 
entraînèrenl  la  dcstruclion  presque  totale  du  patient 
fal)eur  (|u'avait  voulu  parfaire  Torelli,  avant  que  d'aller 
mourir,  en  1783,  à  Saint-Pétersbourg. 

Bellotlo  lui-même  — et  en  ceci,  il  montre  des  qualités  que 
n'eut  point  son  oncle  —  s'essaya  avec  succès  à  la  gravure 
de  personnages  de  grande  dimension.  On  connaît  de  lui, 
tout  particulièrement,  une  grande  planche  dite  du  Turc 
fj('nrrrux,vQ^vo^\\\c[\o\\  d'une  œuvre  que  Vaiidcr  Ilyden 


Li:S    DKUX   CANALKTTO.  99 

coniposii  à  propos  d'un  balict-pantomiiue  moulé  à  Vienne, 

en  i7r;s. 

Hnoi  qu'il  en  soit,  la  i^ravure  de  Bernanio  ncllollo, 
dans  son  ensemble,  doit  céder  le  pas  à  celle  d'Antonio 
Canal  qui  «  reste  dans  l'art,  selon  l'expression  de 
M.  G.  Duplessis  (1),  comme  une  manifestation  isolée  », 
quels  (ju'aient  été  les  efTorts  des  autres  gravenrs  vénitiens 
de  la  lin  du  win'  siècle  qui,  tels  queGiacomo  Leonardis, 
Pietro  Monaco,  Francesco  Bartolozzi,  cherchaient  à 
dépasser  le  maître  en  évitant  sa  manière. 

Nous  retrouvons  Bernardo  Bellotto  continuant  à  Dresde 
sa  brillante  existence  de  peintre  favori,  aussi  indilïérent 
aux  événements  du  temps  que  put  se  montrer  lui-même 
le  monnrqiu'  dont  il  s'honorait  de  jiosséder  l'amitié. 

Cepentlaut  tous  les  petits  Etats  d'Allemafine  sont  aux 
prises.  Le  prince  a  décidé  que  l'on  s'en  irait  à  Pirna.  Un 
fait  des  caisses  de  tous  les  tableaux  et,  dans  la  hâte  du 
départ,  on  oublie  d'emporter  les  archives  du  gouver- 
nement. 

A  IMrna,  Bellotto  trouve  de  uouveaux  motifs  :  il  peint 
la  ville  sons  six  aspects  difTérents  et  suit  encore  son 
maître  à  la  forteresse  de  Sonnensteiu  dont  il  fait  un  grand 
tableau. 

Mais  il  faut  fuir  encore,  les  ai'mes  étant  contraires, 
avec  une  cruelle  obstination,  aux  vœux  pacifistes 
d'Auguste  111.  Le  roi,  son   ministre   Bruhl,   son  peintre 

(1)    Geoiges    \)u\<\i'»s\^,  Ili.shii)r  i/c  la  (/raviire.  \\iir\\f\[v.    1880:   Canule 
(Anlnnio).  —  l'agcs  70,  71.  72. 


100  LES   DEUX  GANALEÏTO. 

BelloUo  échouoiit  à  Varsovie  el,  en  peu  de  lemps,  l'artiste 
reste  seul,  ses  deux  généreux  prolecteurs  étant  morts 
coup  sur  coup,  en  ]7(».3.  Alors,  il  songe,  un  peu  tard,  à 
se  faire  payer  les  toiles  qu'il  put  confectionner  pendant 
huit  ans  pour  Bruhl  toujours  à  court  d'argent.  La  famille 
l'évincé.  Il  parvient  à  reprendre  ses  toiles  et,  pressé  par 
le  besoin,  cède  le  tout  pour  4  200  écus. 

Comme  il  nélail  [)as  homme  à  se  laisser  désarçonner 
par  l'adversité,  l'ex-peintre  du  Roi  rentre  à  Dresde,  se 
montre  partout  en  public  et,  six  mois  après  son  retour, 
en  17G4,  il  parvient  à  se  faire  élire  membre  de  l'Académie 
de  peinture. 

Pendant  quatre  années,  il  complète  sa  série  des  toiles 
dresdoises  qui,  aujourd'hui,  au  nombre  de  trente-sept, 
sont  réunies  dans  la  galerie  de  cette  ville.  Sa  carrière  a 
été  rapide.  Il  a  quarante-quatre  ans  le  30  janvier  17()(S. 
Moins  de  deux  mois  après,  la  nouvelle  arrive  d'Italie  que 
l'oncle  Antonio  est  mort. 

Il  n'existe  donc  plus  désormais  qu'un  seul  Canaletto 
dans  le  monde  :  il  convient  que  cela  soit  reconuu  par  un 
honneur  éclatant.  Aussi  bien  le  désir  de  Bernardo  Bellotto 
se  voit-il  réalisé  en  quelques  semaines.  Le  roi  Stanislas 
Poniatowsky  appelle  à  Varsovie  l'artiste  en  lui  offrant  le 
titre  de  peintre  de.cour. 

Ce  fut  là  qu'il  vécut  dans  la  paix  et  les  honneurs  jus- 
qu'en 1780,  année  où  il  mourut  le  17  octobre  sans  que 
rien  dans  sa  vie,  sauf  son  œuvre,  n'ait  paru  digne  d'être 
retenu  par  l'histoire.  Cette  vie  du  second  Canaletto,  toute- 


LES   DEUX   CANALETTO.  1<>1 

fois,  pivte  (lavanlage  au  roman  (ravcnliirc,  on  en  con- 
vioiulra,  (|ii('  collo  dn  probo  et  sévère  Antonio  Canal, 
le  premier   des   Canaletto. 


r  (]Jl  VRK  PKIM'  Kr  (UtAVI':  DES  DEUX  CA.NALETTO. 

1^'oljscurilé  ([ni  règne  sur  la  vie  des  deux  (lanaletto 
s'étend  également  sur  l'orthographe  exacte  de  leur  nom  et 
même  sur  les  dates  précises  où  furent  exécutées  leurs 
œuvres.  Ni  l'un  ni  l'autre  ne  signaient  leurs  toiles.  11 
faut  tenir  pour  de  véritables  exceptions  les  cas  où  ces 
artistes  apostillaient  leurs  vues  italieniu's  ou  allemandes 
du  monogramme  A.  C.  ou  13.  B.  qui,  plus  fréquemment 
tracé,  eût  pourtant  permis  d'éviter  bien  des  erreurs 
d'attribution,  l  ne  seule  fois,  à  notre  connaissance, 
Bernardo  BcUotto  eut  la  fantaisie  de  peindre,  dans  un 
cartouche  qui  figure  sur  une  vue  de  Dresde,  son  nom 
en  toutes  lettres,  orthographié  :  licntardo  lirlloto  et  suivi 
de  la  mention  dcito  Caudldo.  On  n'en  pourrait  formel- 
lement déduire,  d'ailleurs,  (|ue  ce  soit  là  une  indication 
définitive  en  ce  ([ui  concerne  la  façon  exacte  d'écrire  le 
nom  de  l'artiste.  Ses  contemporains  hésitaient  et,  dans 
le  doute,  adoptaient  des  orthographes  dont  jamais,  au 
surplus,  aucun  acte  officiel  ne  vient  garantir  Iti  viniscm- 
blance. 

INiur    h'     uom    d'Aiilonio    C;iii;tl,    il   en    est  de   même. 


10-2  LES  DEUX    CAXALETTO. 

Piazzetta,  dans  le  portrait  gravé  qu'il  lit  ilo  l'architoc- 
tiiriste,  inscrit  au  pourtour  du  cadre  le  nom  d"  c  Antonio 
Canal  >;,  d'accord  en  ceci  avec  Brustolone  qui  souligne  ses 
eaux-fortes  de  la  mention  «  Antouius  Canal  fecit  ». 
lleineke,  dans  son  Dictionnaire  des  Artistes,  paru  à 
Leipzig  en  1778,  s'en  réfère  aux  indications  des  deux 
artistes  et  donne  sur  Canal,  «  peintre  vénitien,  appelé 
quelquefois  Ganaletto  »,  d'importantes  explications. 

Le  portrait  par  Vizentini,  œuvre  exécutée  vers  la  fin  de 
la  carrière  du  maître,  s'en  tient  à  la  forme  "  A.  Canal  », 
alors  que  Y Ahecedario  Pittorico  de  P.  Arlandi,  qui  fut  plus 
tard  corrigé  par  Mariette,  et  réédité  par  les  soins  de 
MM.  de  Chennevières  et  de  Montaiglon,  suggère  que  le 
perspectiviste  de  la  Sainte  pouvait  bien  s'appeler  <la 
Canal.  Cela  est  fort  plausible  et  nous  y  souscririons 
volontiers.  Zanetli,  dans  son  ouvrage  Délia  piltïira 
Veneziana,  commente  l'œuvre  du  Canalelto  avec  la  va- 
riante AWntonio  Cana'e. 

A  l'étranger,  et  pendant  l'existence  même  de  l'artiste, 
l'Anglais  Horace  Walpole  parle  du  peintre  vc-niticn  Canal, 
une  première  fois  poursignalersa  venue  à  Londresen  17i8. 
et,  bien  plus  tard,  dans  ses  Anecdotes  of  joainting ,  pour  dire 
à  propos  d'une  vente  publique  :  c..  Des  tableaux  venus 
de  Flandre  (Londres  1771  j  comprenaient  deux  belles  vues 
de  Venise  par  A.  Canal  de  53  pouces  de  haut  sur  90  pouces  de 
large.  EHes  furent  vendues  525  livres  »  fl3  025  francs). 

Au  XIX'  siècle,  le  Diclionarij  of  Painters  and  Engravers 
publie  les  œuvres  principales  de  Cft;/rt/,  alors  que  la  Cyclo- 


LKS   DEUX    CANALETTO.  103 

prdia  nf  fi(ii)iler><  <uvl  [xihil'in'i^  ailoplo,  oxclusi vcmeiit,  lo 
(liialilicalif  Cdiiali'lli»  (iiTcllo  acc(jiii|)ai:,n(>  «l'une  notice 
l)ioi;rai)lii([iie  iniporlaiile. 

Va\  xVUemagne,  Burkliardl,  dans  le  Cic('vtm(\  adopte 
le  nom  de  Canal^  alors  (|ue  H.  iMeyer,  à  Dresde,  se  fixe, 
avec  le  gont  gerniani(|ne  pour  la  dt'sinence,  au  nom  Ca- 
iKiii'  dans  sa  brochure  :  Dip  heideti  Canaletto. 

Siret  en  France,  comme  Charles  Blanc,  et  comme 
aussi  M.  Adrien  Moureau,  préfèrent  Canal  ^  tandis 
(|u'en  18()1,  le  baron  de  Corcy,  au  Dictioimaire  de  la  con- 
rrrsatii/n,  adopte  Canalc.  Pourtant  Charles  Blanc  nest  pas 
absolu,  car  il  écrit  :  "  On  peut  se  faire  une  idée  de  la  splen- 
deur des  cérémonies  auxquelles  assistait  le  Doge,  non 
seulement  par  les  tableaux  de  Canaleltl  et  de  Guardi, 
mais  par  les  descriptions  écrites  de  témoins  oculaires, 
entre  autres  de  Saint-Didier,  qui  fut  attaché  à  lambas- 
sade  du  comte  d'Avaux,  en  1072.  » 

l*lus  loin,  il  varie  encore,  en  citant  :  «  ...  les  vues  et 
les  cér(''nionies  éldouissautes  de  Canaletto...  ». 

Ainsi,  les  désignations  vont-elles  variant  d'un  volume 
à  l'autre,  du  bictiotuiairr  drs  Graveurs  de  Basau  qui  fut 
édité  au  lendemain  de  la  mort  d'Antonio,  jusqu'au 
volume  publié  en  18SII  par  M.  Georges  l)u|)lessis,  sur 
V Hisloire  de  la  (iraruro. 

Pour  Carlevaris,  mômes  hésitations;  il  est  tour  à  tour 
(^arlcvari  ou  Carlevariis;  Brustolone  devient,  de-cide-là, 
Brustoloni,  et  nous  verrons  Bidlollo  s'appeler,  selon  lo 
caprice  des  auteurs  :  Belotto,  Belotti,  Belloti  ou  Belloto. 


104  LES   DEUX   CANALETTO. 

Yraisemblablemeiil,  on  ne  peut  être  fixé  que  sur  le 
diminutif  sous  lequel  il  est  assez  généralement  désigné  : 
le  Canaletlo  (le  petit  Canal),  après  avoir  été  dans  sa  jeu- 
nesse «  Il  totlino  »  (le  petit  Antoine).  Pas  davantage, 
nous  ne  pourrions  dire  si  ces  surnoms  lui  furent  altribués 
pour  le  (lilTérencier,  dans  les  premiers  temps,  de  son 
père  Bernard  da Canal,  qui  était  évidemment  né  Canale 
ou  Canal  et  s'en  était  tenu  à  son  prénom,  ou  bien  encore 
par  allusion  à  la  petite  taille  de  l'artiste,  sans  que  nous 
puissions  affirmer  qu  il  fût  malingre  ou  gringalet.  Toujours 
est-il  que  Canaletlo  avec  le  double  /  est  plus  grammatical 
et  plus  logique  que  Canaleto  avec  un  t  unique. 

Au  résumé,  il  semble  assuré  que  les  deux  Canaletlo  ne 
savaient  point  exactement  eux-mêmes  comment  s'écri- 
vaient leurs  noms  de  famille. 

S'il  fut  un  temps  où  les  noms  propres  n'eurent  pas 
d'orthographe,  ce  fut  bien  au  xviu'  siècle,  où  les  efforts 
mômes  du  monde  lettré  et  des  grands  esprits,  des  acadé- 
mies et  des  écrivains  s'appliquaient  à  apporter  quelque 
méthode  dans  la  façon  de  traduire  graphiquement  la 
pensée.  Si,  de  fait,  on  songeait  à  fixer  des  orthographes 
pour  chaque  mot,  les  avis  étaient  encore  partagés  et,  en 
attendant  la  règle,  chacun  n'écoutait  guère  que  la  fan- 
taisie. 

C'est  ainsi  que,  pour  en  venir  à  Bellollo,  il  se  baptisa 
lui-même  «  il  conte  Uellollo  »  1  )  alors  que,  fort  peu  d'années 
après,   changeant  d'avis,   il  moulait  en  lettres  capitales^ 

(1)  AdiJL'ii  ^luuiraLi,  Aiiloiiiu  ('(iiiu/,  (/'iiprès  Zaïulll  et  Heiiielu'. 


fcj  « 


LES  DEUX  (:anaij:tto.  iot 

sur  le  laMcim  de  Dresde  doiil  nous  avons  parl('  il  )  a 
qii(d(jiios  pages,  son  nouveau  nom  de  Bernardo  Bellolto. 
Les  Ilaliens  s'en  liennenl  j^(''U('i'aleni(Mil  à  Brllolto,  imités 
par  les  Anglais. . 

L'Allemand  Heineke  se  lixe  à  l'x'lotli ^  dello  il  Canalclo. 
L'encyclopédie  allemande  donne  an  nom  du  peintre  deux  / 
et  deux  t.  Rudolf  Meyer  l'écrit,  justement,  Hrl/ollo. 

Cette  argumentation  philologique  aboutit  à  une  impasse. 
La  vérité  est  que,  pour  déterminer  son  choix,  on  en  est 
réduit  à  prendre  la  moyenne  des  opinions  et  à  subir  l'orien- 
tation de  la  logique  :  c'estcequenousavons  fait  en  adoptant 
les  noms  de  Canal  ci  de   liclluUo. 


Si  nous  aboi'dons  maintenant  le  [)roblème  de  composer 
un  tableau  chronologique  des  œuvres  de  l'un  et  de  l'autre, 
nous  retrouvons  de  nouv(dles  diflicult(''s,  au  moins  en  ce 
qui  concerne  Antonio  Canal. 

Si  le  neveu  courut  les  routes,  l'oncle,  nous  l'avons  vu, 
fut  plutôt  d'une  nature  sédentaire,  et  s'il  est  permis  (\o 
suivre  à  peu  près  pas  à  pas  daus  son  œuvre  ce  pèlerin  de 
la  beauté  que  fut  13ernardo  Bellolto,  il  est  inliniment  plus 
diflicilede  fixer  nue  date  sur  chacune  d(»s  toiles  que  com- 
posa dans  cette  Venise,  à  la(|u<db'  il  fut  si  peu  inlidèlc,  l'hon- 
ncte  Antonio  Canal. 

Pointde  dates,  ettoutau  long  de  cette  carrière  de  labeur 
assidu,  une  perfection  tecdinique,  une  égalité  d'expression, 
une  similitude   de   facture  telles  que    le  criti(|ue  le  plus 


108  LES   DEUX   CANALETTO- 

attentif  no  pourrait  sérieusement  inférer  d'une  défaillance 
de  pinceau.  Le  premier  Canaletto  n'aflicha  pas  trente-six 
manières  successives  de  peindre,  de  là  vient  la  difficulté 
de  situer  une  œuvre  avant  une  autre  et  de  dresser, 
d'année  en  année,  de  progrès  en  progrès,  une  table  de  la 
production  du  «maître  des  architectures  ». 

Pour  tout  ce  qui  est  vénitien,  on  ne  peut  guère  user, 
à  ce  sujet,  que  d'empirisme  ou  de  perspicacité. 

Relativement  aux  autres  œuvres,  la  tâche  serait  plus 
aisée.  C'est  ainsiqu'on  peut  admettre  que  la  Vue  du  cliâteuu 
r/eA^rt^j/es  figurant  aujourd'liui  dans  le  musée  de  Rome  est 
contemporaine  des  années  171!)  et  suivantes,  pendant 
lesquelles  A.  Canal  résida  et  voyagea  autour  de  la  Ville 
sacrée.  Du  même  temps  sont  le  Colisce  do  la  National 
Gallery,  et  un  autre  Colisée  du  palais  de  Hampton  Court, 
Une  scê?ie  de  F  Académie  de  San  Luca^  conservée  à  Rome, 
et  les  diverses  Vues  l'ornaines  du  château  de  Windsor. 

Pour  tout  ce  qui  a  trait  au  séjour  à  Londros(lG4G-1648), 
les  attributions  de  dates  ne  tolèrent  aucun  doute,  avec 
toutefois  la  réserve  que  le  Canaletto  revint  deux  fois  aux 
rives  de  la  Tamise  et  que  l'on  ne  connaît  pas  exactement 
le  moment  de  son  deuxième  voyage  (supposons l*7oI). 

llest,  quoi  qu'il  on  soit,  trèsprécieuxde  vériiier  ce  qu'était 
à  cette  époque  de  sa  vie,  —  quarante-neuf  ans, —  le  talent 
de  l'artiste  dans  ses  œuvres  anglaises  telles  que  la  Vue  de 
Norlhumherland  House  (Sion  House  à  Isloworth),  le  Elon 
Collège  (National  Gallery),  la  Vue  de  11 7/ //rA^?//( Montagne 
House,  Londres)  et  les  «  Tamise»  du  château  de  W  indsor. 


IJ:S    DKliX   CANALKTTU.  111 

De  mémo  iMiliii  csl-il  facile  de  dater  })ar  appioximalion 
la  \'//c  de  Miudc/i  du  coté  de  tEs.t  qui  est  à  la  l'iiiaco- 
Ihèqiie  de  laciLc  bavaroise,  et  les  Vues  de  laScliottenklrche 
conservées  an  ((Belvédère  ^),  à  N  ieniie. 

(juant  au  reste  de  l'œuvre  du  (ianal,  il  l'auL  renoncer 
à  eu  déterminer  les  dates  et  consentir  à  n'y  voir  qu  un 
seul  tableau,  qu'une  immense  toile  couverte  pendant 
toute  une  longue  existence,  pour  lixer  le  panorama  de  la 
plus  somptueuse  des  cités  occidentales. 

Sur  la  question  délicate  des  collaborations,  que  pour- 
rions-nous aflirmer?  —  Une  opinion généralementacceptée 
contribue  à  faire  penser  qu'Antonio  Canal  aurait  employé 
l'auxiliaire  de  J.-l>.  Tiepolo  pour  le  groupement,  au  milieu 
de  ses  architectures  vénitiennes,  des  élégantes  et  typiques 
ligures  qu'on  y  voit.  Nous  avons  même  suggéré  l'idée 
d'un  apport  de  Pietro  Longlii  et  parlé  du  concours  de 
Guardi,  le  disciple.  La  proportion  de  ces  interventions 
dun  figuriste  dans  les  tableaux  du  Canal  est  impossible 
à  préciser.  On  peut  tout  au  plus  douter  du  jugement  de 
l'histoire  et  le  trouver  quel(|ne  peu  jtrécipité  en  ce  qui  a 
rapport  à  rinca])acité  desdeux  artistes  à  dessiner  la  figure 
humaine,  si  l'on  considère  surtout  telles  de  leurs  pro- 
ductions oîi  des  cortèges,  des  groupes,  des  foules  môme 
sont  établis  merveilleusement  de  leur  main.  D'autre 
part,  comment  furent  composés  les  personnages  des 
toiles  exécutées  à  Londres,  et  comment  expliquer  la  col- 
laboration de  .l.-B.  Tiepolo  (jui  fut  si  longtemps  absent 
de  Venise,  occupé  à  Wurzbourg  et  à  Madrid  ? 


11-2  LES   DEUX   CANALETTO. 

Un  point  des  plus  intéressants,  nous  oserons  même  dire 
des  plus  troublants,  se  rattache  à  une  collaboration  pos- 
sible, sinon  certaiue,  du  CanalcUo  et  de  son  élève  Guardi. 

Au  Louvre,  autour  de  la  Sainte  que  peignit  le  Maître, 
sont  groupés  divers  tableaux  portant  le  cartel: 
Guardi  / 7 l'-2-I7iK).  et  représentant  entre  autres  le  Cou- 
ronnement du  dofje  de  Venue  au  sommet  de  l'escalier  des 
Géauls,  —  les  Fêtes  du  Jeudi  gras  à  Venise,  —  2ine  Céré- 
monie à  la  Sainte.  Le  catalogue  du  Louvre  est  affirmatif 
sans  aucune  restriclion  sur  la  paternité  accordée  à  celte 
suite  de  toiles  oi^i  s'agite,  dans  un  grouillement  de  foule 
joyeuse,  la  Venise  des  cérémonies  symboliques. 

Aucune  mention  touchant  les  architectures  très  impor- 
tantes qui  apparaissent  dans  ces  œuvres  attribuées  à 
Guardi.  —  Rien  qui  vienne  dénoncer  une  collaboration. 

Or,  avant  même  de  rechercher  si  cette  fantaisie  dans 
l'indication  de  la  ligure  humaine  est  compatible  avec  cette 
probité  linéaire  dans  letracé  des  architectures,  voilà  qu'un 
fait  singulièrement  suggestif  se  rencontre  qui,  sans  que 
nous  puissions  rien  affirmer,  invaliderait,  pour  tout  ou 
partie,  l'attribution  à  Guardi  des  tableaux  du  Louvre  ci- 
dessus  désignés. 

Le  graveur  Brustolone  a  exécuté  en  effet  une  série  de 
planches  qui  ont  été  conservées  etqui,  représentant  exac- 
tement, trait  pour  trait,  la  suite  des  fêtes  vénitiennes 
qu'on  prête  à  Guardi,  sont  accompagnées  de  la  mention 
«  Antonius  Canal  pinxit  »  gravée  à  l'angle  gauche  infé- 
rieur de  chacune  de  ces  estampes  originales. 


^ 


LKS   DEUX    CANALIiTTO.  H.» 

Il  semble  hicii  élonaaiit  (jnc  Driistolonc.  (nii  coniiul 
Ciiial,  ail  l'ait  (MTciir  ilaus  celte  série  exécutée  à  Venise, 
poiii'  ainsi  «lire  sous  les  yeux  de  (îuardi  et  du  premier 
Canalello. 

A  vrai  dire,  dans  ces  tableaux  déconcertants,  les 
ligures  sont  bien  dans  le  caractère  de  celles  que  dessinait 
l'élève,  mais  les  architectures  sont  de  la  famille  directe 
du  Pdla/s  ducitl  exposé  à  Florence,  du  Palais  des  Doges 
qu'on  voit  à  Berlin,  des  Vues  de  Venise'  de  la  collection 
Liochtenslein,  toutes  œuvres  oîi  le  génie  de  perspectiviste 
d'Antonio  Canal  s'affirme  puissant  et  infaillible. 

Selon  nous,  Hruslolone  attribuant  ces  toiles  au  pinceau 
du  Canalello  cl  le  Louvre  les  ratlachant  au  bagage  de 
(îuardi  ont  peut-être  l'un  et  l'autre  raison. 

Au  temps  où  le  graveur  des  Cch^émonles  de  Sélection  du 
Dor/e  à  Venise  et  de  son  manoye  avec  la  mer  achevait  ses 
douze  grandes  planches,  le  nom  de  Guardi,  sans  doute, 
n'i'lait  point  encore  réputé.  Les  tableaux  qu'il  avait  repor- 
tés sur  cuivre  avaient  été  exécutés  i)ar  Antonio  Canal,  dans 
le  même  moment  (|ue  le  jeune  ligurisle  dont  il  avait  di- 
rigé les  pas  se  consacrait  à  dessiner  les  personnages, 
suivant  en  ceci  la  ponte  naturelle  de  son  talent. 

C'est  ainsi  que  Brustolone  avait  donné  au  graveur  de 
lettres  de  ses  planches  la  mention  :  Anlonins  Canal pinxit, 
oubliantde  mentionner  la  part  de  Cuardi,  car  naguère,  le 
collaborateur  élève  disparaissait  toujours  et  volontair(»- 
ment  dans  la  personnalité  du  Maître. 

Dans  la  suite,  Guardi  poursuivant  sa  voie,  acquit,  comme 


116  LES  DEUX  CANALETTO. 

figiiriste,  une  célébrité  mondialo  ot  la  postérité  fut  plus 
équitable  envers  l'artiste  que  ne  lavaient  été  ses  contem- 
porains. Elle  estima  fort  «à  propos  que  ces  toiles  étaient, 
d'abord  et  avant  tout,  comme  autant  d'images  de  la  vie 
vénitienne  dans  la  seconde  moitié  du  xviii"  siècle.  Elle 
comprit  enfin  que  les  architectures  n'y  créaient  que 
l'atmosphère  alors  que  lame  môme  de  l'œuvre  palpitait 
dans  ces  foules  ivres  de  plaisir  et  de  poésie. 

Le  témoignage  de  Heineke,  dans  son  Dictionnaire 
des  artistes  (1878),  vient  à  l'appui  île  notre  thèse.  L'auteur 
a  connaissance  des  gravures  de  Brustolone  et  au  chapitre 
Antonio  Canal,  il  les  inscrit  à  la  suite  de  celles  de  Vizeji- 
tini  (1742),  de  Fletscher  et  Boitartl,  de  Berardi  et  de 
Wagner,  de  Pars,  de  Hulet,  de  S.  MuUer,  de  Stevens,  de 
E.  Bookes  et  de  J.  Bowles  (série  anglaise). 


La  célébrité  posthume  d'Antonio  Canal  nuisit  à  son 
neveu  Bellotlo.  11  advint  (|ii('  la  gloire  de  l'aîné  gran<lit 
d'année  en  année,  alors  que  la  réputation  de  son  disciple, 
encore  que  fort  estimable,  recula  au  second  plan.  Cette 
particularité  justifie  assez  logiquement  le  fait  que,  depuis 
la  mort  du  dernier  des  Canaletto,  beaucoup  de  toiles 
de  Bernardo  Bellotto  aient  été  attribuées  à  son  oncle. 

Pourtant,  il  est  plus  aisé  de  saisir  la  vérité  en  ce  qui 
concerne  le  peintre  favori  d'Auguste  lll.  Pour  les 
aspects  de  Venise,  la  confusion  reste  possible.  Dans  le 
temps  qu'il  les  peignit,  Bellotto  était  à  l'école  de  Canal,  et, 


LES   DKUX   CANAF.ETTO.  110 

servi  par  une  merveilleuse  facilité,  travaillant  en  ([uelque 
sorte  dans  l'ombre  de  son  maître,  il  est  naturel  qu'il  lui 
ait  alors  emprunté  sa  technique,  ses  motifs,  sa  lumière  (^t 
tous  les  secrets  de  sa  palette.  Mais  il  ne  peut  plus  exister 
d'hésitation  |)0ur  les  u'uvres  postérieures  à  ces  années  de 
collaboration.  Les  vues  de  Pologne  de  17(10  attestent  d'un 
/«/re  évolué,  d'un  tour  de  main  (jni  n'est  plus  celui  dn 
Bellotto  de  172.').  L'introduction,  dans  son  œuvre,  de 
thèm(?s(jui  restèrent  presqne  absolument  étrangers  à  Canal, 
—  les  arbres  et  les  verdures  uidamment,  —  ont  évidem- 
ment contraint  l'artiste  à  se  créer  une  technique  propre, 
personnelle,  (jui,  tout  en  conservant  les  caractères  de 
minutie  et  d'exactitude  (|ui  furent  les  premiers  principes 
de  sa  grammaire  artistique,  lui  favorisait  l'occasion  de  se 
libérer  de  la  discipline  du  Vénitien,  strictement  hdèle  à 
ses  j>ierres  et  à  ses  eaux  miroitantes.  La  com[)araison 
est  très  pi(jnante  à  étaldir  entre  le  pi'océdé  de  l'oncle  et 
celui  du  neveu,  lors(ju'il  s'agit  ponr  eux  de  traiter  les 
feuillages  et  les  bouquets  d'arbres. 

A  Lontlres,  dans  les  jardins  de  \\  hitehall,  (^anal  eut 
parfois  à  dessiner  et  à  peindre  des  avenues  ombreuses, 
des  perspectives  de  hêtres  assez  peu  familières  à  son 
pinceau.  Il  les  traita  pourtant  avec  lacililé,  déchique- 
tant sur  sa  toile  la  silhouette  des  cimes  et  l'enchevêtre- 
ment des  branchages,  selon  la  façon  capricieuse  que  l'on 
retrouve  dans  Vindh-iûionc/ente/ce  de  ses  gravures  à  l'eau- 
forte,  où  ligurent  assez  fréquemment  des  arbres  parmi 
des  décors  d'imagination. 


120  LES   DEUX   CANALETTO. 

Bellotto  au  contraire  pciiinit,  à  Dresde,  quelques  viies 
où  l'on  voil  ]:i  rivière  eonler  au  pied  dun  rempart  que 
domine,  au  premier  plan,  un  long  taillis  de  beaux  arbres 
constiluaul  probaltlement  la  lisière  d'un  pare  de  ville.  Mais 
iei,  le  pinceau  })rocède  différemment,  par  masses  pleines, 
par  larges  plans  :  c  est  la  main  d'un  homme  oublieux  des 
techniques  de  son  maître  :  c'est  Bellotto  qui,  dans  cette 
occasion,  décline  l'honneur  d'être  un  Canalello. 

Voyez-le  restituant  limage  des  perspectives  architectu- 
rales des  cités  du  Xord,  faites  de  ponis,  de  dômes,  de 
fossés  militaires,  de  tîilus  surplombant  les  rivières  et  char- 
gés des  denrées  du  négoce  ;  observez  l'artiste  transplanté 
sous  des  cicux  assombris  et  dessinant,  avec  une  loyauté 
qui  n'épargne  aucun  détail,  le  Nouveau  Marché  à 
Dresde  (1),  traversé  par  des  carrosses  à  laquais  poudrés  et 
à  chevaux  fringants.  Voyez-le,  reproduisant  les  petites  et 
les  grandes  places  publiques,  et  parmi  toutes,  la  Place  du 
Vievx-Marcké^  la  Fraaenkirche^  la  Citadelle  de  Pir?ia,  le 
le  Marché  de  Pirna  (2),  \g?>  Faubourgs  de  Pirna^  l'étonnante 
vue  de  la  Ruine  de  rE'jlise  de  la  Croix  de  Dresde  (3),  qui 
est,  dans  son  œuvre,  comme  une  gageure  d'un  virtuose 
triomphant  au  pari  de  peindre  et  de  transcrire  en  beauté 
un  amoncellement  informe  de  pierres  éboulées,  —  partout 
vous  y  retrouverez  le  métier  transmis  à  son  disciple  par 
le  grand  Canaletto  qui  com[)ta  les  dalles  de  sa  Piazza  et 
les  pavés  de  marbre  rose  du  palais  des  Doges.  La 
chronologie  de  l'important  œuvre  de   Bellotto  dt'Coule  du 

(I)  (2)  et  (3)  Galeiic  Royal(_'  de  Dresde. 


LKS   DKUX   CANALI^]TTO.  1^23 

maigre  faisceau  de  détails  eonmis  sur  la  vie  et  les  voya!;es 
de  larliste.  Cciiîiiucs  loilcs,  par  rériprofjue,  nous 
iustruiseut  sur  des  iucidciils  de  sa  cariàère  que  les  bio- 
graphes nont  pas  cru  à  propos  d'enregistrer.  C'est  ainsi 
que  la  Vue  dn  l^Vro/jy,  conservée  à  Dresde,  nous  apprend  le 
passage  de  Bellotlo  sur  les  rives  de  l'Ailige  où  (Malt  j('t('', 
vers  1720,  uu  [)ittor(>s(|iie  pont  de  bateaux  dont  un  autre 
tablean,  également  à  Dresde,  nous  conserve  le  souvenir. 

Une  vue  de  la  l>reu/u,  au  mus(''e  de  Bruxelles,  nous 
redit  le  goût  qu'avait  Antonio  Canal  de  chercher  ses 
motifs  aux  environs  de  sa  ville  natale,  sur  les  rives  de  ce 
cours  tl'eau  qni,  descendant  du  T\  roi,  lui  suggéra  peut-être 
l'idée  de  remonter  lui-niénu'  vers  les  capitales  on  fré([ueu- 
taiimt  Cri  m  m  et  Holbach, 

L'importance  de  son  labeur,  à  Venise,  éclate  dans  des 
toiles  maîtresses,  au  musée  de  iîerlin,  avec  cette  admirable 
Vue  (lu  l*alais  ilucal  (jui  provient  de  la  collection  Suer- 
mondt,  dans  la  si'rie  de  V ucs  de  la  galerie  de  Cass(d,  de  la 
National  Callery,  de  l'hj'initage  à  Saint-Pétersbonrg,  de 
Dannstadt  et  de  la  galei'ie  Sliuhd  de  b'rancl'orl. 

Cest  la  Calerie  lioNale  (|e  Saxe  qni  détient  l'ensemble 
de  tableaux  le  [)lns  i-e|)résentatif  du  lalent  de  Bernardo 
Bellotlo.  Ignoi'àt-on  le  i-este  de  sa  proilmlion,  (|u'il  serait 
loisible  au  seul  Musée  de  Dri>sde  de  se  créer,  à  son  égard, 
une  opinion  et  aussi  une  ad  ni  ira  lion  délinitivesetcomplètes. 

A  répo([ue  ofi  il  composa  ces  toiles,  l'artiste  était  en 
pleine  possession  de  sa  personnalité.  D'un  tcilent  mnri  et 
rompu  aux  })érils  niulliples  d'un  art  lait  d'exactitude  an- 


1^4  LES   DEUX   CANALEÏTO. 

tant  que  de  brio,  Bernardo  devait,  si  Ion  en  jniio  par  la 
ligne  générale  de  son  caractère,  travailler,  stimulé  par  le 
double  désir  de  plaire  aux  grands,  de  qui  lui  venaient  des 
commandes,  et  aussi  de  satisfaire  ses  personnelles  exi- 
gences d'artiste,  sévère  crili(|ae  de  soi-même. 

L'impression  qui  se  dégage  de  ses  travaux  de  Dresde, 
de  IMrna,  de  Kœnigstein  et  de  Varsovie,  est  celle  d'une 
facilité  et  d'une  joyeuse  facture  de  bon  ouvrier,  sur  de  sa 
matière,  de  son  tour  de  main  et  de  ses  outils,  et  conscient 
de  ce  que  cbacune  de  ses  productions  réunit  limpeccabi- 
lilc  (le  la  technique  au  respect  de  la  vérité. 

C'est  peut-être  le  mèmejugement  que  porterasur  Bernardo 
Bellotto  la  postérité  lorsqu'un  écrivain  artiste  aura  pris  le 
soin  de  composer  le  recueil  intégral  auquel  nous  faisions  ap- 
pel, dans  les  premières  pages  de  cette  publicationrcstreinte. 

(Juui  qu'il  en  soit,  Antonio  (Janal  et  Bernardo  Bellotto 
auront,  nous  l'espérons,  été  présentés  ici  avec  autant  de 
clarté  que  le  permettaient  les  rares  lumières  projetées  du 
fond  de  l'histoire  sur  ces  originales  figures  de  bourgeois 
vénitien  et  de  gentilhomme  cosmopolite,  portraitisles  de 
villes  et  historiens  à  la  pointe  du  pinceau. 

Ce  lurent,  disons-le  ])onr  terminer,  les  premiers 
pcinircs  qui.  dans  l'histoire  de  l'art,  en  raison  de  l'emploi 
constant  de  la  chambre  obscure,  nous  apportèrent  la  pri- 
mitive sensation  du  «  rendu  »  photographique  déformé 
et  souvent  monotone  des  monuments  et  des  perspectives 
de  cités. 

F  1  N 


TABLE  DES  G  RAYURE  S 


A.  Canal.  —  Ll'^glisi'  Xolrr-Duine  de  la  Salulc  à  N'cnise  (Musée 

(lu  Louvre) 9 

A.  Canal.  —  L'école  de  San   llocco  (Kii^uies  de  (Wo    lîaplista 

Tiepolo)  (National  (iallery,  Londres) 13 

l>.  Iiellollo.  —  La  PiazzclLa  el  le  {|uai  di's  Lsclavuns,  vus  do  la 

lagune  (Musée  de   Mnnirli     17 

A.  Canal.  —  UégaUss  sur  le  Crand   Canal  à   N'enise  (Nalional 

Callery) 21 

A.  Canal.  —  La  place  et   l'église  Sainl-Marc  à  NCnise  (Calerie 

Liechtenstein  à  N'iennei. 2"1 

A.  (^^anal.  —   Inlérieui'  de  la  rotonde  du   Itanelagli  à   Londres 

(National  Gallery) 29 

A.  (îanal.  —  Le  parvis  de   l'église  Saint-Jean  et   Saiiil-t'aul  à 

Venise  (Musée  Iioyal  de  Dresde  : .....    '.V.\ 

A.  ('anal.  —  |{écepti(ui   du  rnnile  Ceigi   à    N'enise  Musée   d(' 

rLi'mitage,  Sain!  Pi'l  ers  lu  m  ni; il 

A.   Canal.   —  Lue    vue    du    C.rand    Canal    à    N'enise    (National 

Callery) Wi 

A.  Canal.  —  Cnur  el    pnrti(|ue  d'un    palais  (IJoyale   Académie, 

Venise) 41» 

A.  Canal.   —  Canal  de  la  Ciudecca,  avec  la  douane,  à   Venise 

(Galerie  Lieclitenslein,  \  ieiine  i ."Il} 


120  tablp:  des  GRAYUHES. 

A.  Cianul.  —  \  uimIu  Ciand  Canal  à  Wni-t' '(lalciic  [Jcrlilciisloin 

à  Vienne) ^jT 

A.  Canal.  —  \  ne  de  la  IMazzcKa  el  dn  iiori  Caleiie  Liel-lilcnslcin 

à  Vienne) 65 

A.  Canal.  —  \'ue  de  \enise  (dessin)  (Musée  de  CJianlIlly)  ....  'i'^ 
A.  Canal.  —  Les  abords  dnne  ville  'd'ajirès  la  .m'avilre  orii^i- 

nale  à  l'eau-t'orte 77 

A.  Canal.  —  Le  quai  des  Esclavons  et  son  marelié  d'apivs  la 

gravure  originale  à  Leau-forte 81 

A.  Canal.  —  Les  céiénionies  du  mariage  du  Oo.ye  avee  la  nier 

(Le  départ  du  Burenlaure)  .d'après  la  gravure  de  Hrustolone).  85 
A.  Canal.  —  La  grande  allée  du  Vaux-Hall  à  Londres  (d'après 

la  gi'axure  de  E.  Rookes) 89 

n.  l>ellotlo.  —  Vue  de  Dresde  (.Musée  Royal  de  Dresde 97 

IL  Rellollo.  —  Plare  du  Marché  Neuf  à  Dresde  f. Musée  Royal  de 

Dresde) 105 

R.  RelloKo.  —  La  tour  écroulée  de  1  Ei:ii>''  «le  la  Croix  à  Dresde 

(.Musée  Royal  de  Dresde 1U9 

R.    RelloUo.  —  Le  château  l'oyal  de  Sçhienl)runn    colé  <'oui- 

(Muséi'  de  \ienne) 113 

I).  RelloUi».  —  \'ue  des  pavillons  et.  galeries  du  château  iSurn- 

gerholes;  à  Dresde,  1758  (.Musée  Royal  de  Dresde) 117 

R.  Rellolto.  —  La  place  du  Marché  à  Pirna  (.Musée  de  Rerlin).     121 


TABLK   DES   MATIKUES 


IV. 

v. 


—  La  X'onisc  (luc  iiciuiiiiciit  les  Deux  Caïuiletlo '.'t 

—  Les  Doux  (lanalcdo .îi 

—  La   vio  (■(   les  d'iivrcs  d'Aiildiiio  Canal.  —  Sos  Nuyancs 

à  réliaiii^cr 47 

—  La  vie  errante  cl  l'œuvir  de  Itcriiaidu  i'.cllolli),  dil  (iaiia- 

Irllo .  84 

—  L'u'in  rc  nriiilcl  L:ia\  c  ilf~-  Deux  ( '.aiialcl  Id 101 


32^(03 


COHBEIL.    —    I  M  1' It  I  M  f;  Il  I  E     El).    CKETE. 


Dote  Due 

1 

FO«*)    109