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Full text of "Manière de faire le pain de pommes de terre, sans mélange de farine"

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MANIÈRE 

DE 

FAIRE  LE  PAIN 

D  E 

POMMES  DE  TERRE, 

Sans  mélange  de  Farine. 

Par  M.  Parmentier  ,  Penftoifnaire  de  l'hôtel 
des  Invalides ,  Cenfeur  royal,  Membre  du  College 
de  Pharmacie  de  Paris ,  de  ï  Académie  des  Sciences 
de  Rouen  &  de  celle  de'  Lyon ,  Démonstrateur 
d’Hijîoire  Naturelle , 


A  PARIS, 

DE  L’IMPRIMERIE  ROYALE. 


M.  DCC.LXXIX, 


y  ■*>> 


\ 


Ouvrages  du  meme  Auteur ,  qui  fe  trouvent 
che £  MONORY  y  Libraire  de  S.  A.  Sm 
Monfeigneur  le  Prince  de  Condé  9  rue  & 
vis-à-vis  la  Comédie  Françoife» 

Ouvrage  Economique ,  fur  les  pommes-de-terre, 
ie  froment ,  le  fz,  &c.  vol.  in- il.  2  liv.  broché. 

Pvécréaiions  p-hyfiques,  économiques  &  chymiques,  tra¬ 
duites  de  l* Allemand.,  de  M.  Mode!,  avec  des  obfer- 
vations  ôc  additions,  I774,  in~8.  2  vol.  Ix  liv. 

Expériences  &  réflexions  relatives  à  l’analyfe  du  Med 
&  des  farines  ,  1776 ,  in  8.  1  Üv.  16  f.  br. 

Avis  aux  bonnes  ménagères  des  villes  &  des  campagnes-, 
fur  la  meilleure  maniéré  de  faire  leur  pain.  Impri¬ 
merie  Royale,  in-8.  1  liv.  4  f. 

Le  parfait  Boulanger  ,  ou  Traité  complet  fur  la  con¬ 
servation  des  grains  >  leur  mouture,  de  la  fabrication 
9o  pain.  Imp.  Rov.  in-8.  1778  ,  de  650  pag.  6  liv. 

Procédé  pour  faire  le  pain  de  Châtaignes  ,  fans  aucun 
mélange  de  grains  ,  fous  prejjè. 

Des  végétaux  farineux  ,  propres  à  remplacer  les  grains 
fous  la  forme  de  pain  ,  dans  les  temps  de  difette. 
Imp.  Roy.  in fous  prejfe. 

Ouvrages  nouveaux ,  de  différais  Auteurs  ,  1779. 

Le  Tribut  des  Mufes  ,  ou  choix  de  Poéfies  fingulieres 
en  profe  6c  en  vers  ,  dédié  aux  mânes  de  M.  de 
Voltaire,  in-ia.  1  liv.  10  f. 

Le  Petit  Rien  ,  Almanach  chantant ,  in-12.  x  liv.  4  f. 

Obfcrvations  faites  &  publiées  par  ordre  du  Gouverne¬ 
ment,  furies  différentes  méthodes  d’adminiilrer  le 
mercure,  &c.  précédés  de  TExpofition  raifonnée, 
un  volume  qui  fe  vend  feparémcnt ,  par  M.  de  Horne, 
Cenfeur  Royal,  in-8.  3  vol,  15  liv. 

Le  nouvel  Ami  des  Femmes  ,  ou  la  Philofophie  du 
Sexe,  par  M.  Boudier  de  Villemert,  1779,  1  1. 16  f. 


1 

L'irréligion  dévoilée ,  ou  la  Philofoplvp  de  l’honnête 
homme,  par  le  même,  in-12.  I  liv.  io  f. 

La  Pétaudière,  ou  Obfervations  fur  la  Littérature  mo¬ 
derne  ,  in-8.  il  f. 

La  nouvelle  Maifon  ruftique  ,  par  Liger  ,  in-4.  2  vol 
derniere  édition  ,  z 4  liv. 

La  Cuifiniere  Bourgeoise,  fuivie  de  l’Office  ,  2  voî. 
in-ii.  4  liv.  10  f. 

Hiftoire  des  Infe&es  ,  par  Geoffroy  ,  in-4.  2  vol.  24.  !. 

Mémoires  fur  diffiérens  fujets  d’Hîfloire  Naturelle,  par 
Guettard  ,  in-4.  3  vol.  6g*  liv. 

Voy  âges  métallurgiques,  ou  Recherches  &  Obfervations 
fur  les  Mines  &  Forges  de  fer  ,  &c.  par  Jars,  avec 
%.  in-4.  r4 

Nov.  Lexicon  Graecum  ,  Etymologicum  &  Reale  , 
digeftum  ,  Tobias  Damas,  Berolini,  1774  ,  in-4. 
2  vol.  42  üv. 

Apoîîonii  fophift.  Lexicon  Græcum  ,  in-4.  z  vol.  36  L 

Diâiormaire  de  Richeîet ,  in-fol.  3  vol.  7 1  liv. 

-—Abrégé,  du  même,  in-8.  2  voî.  12  îiv. 

Grammaire  Françoile  de  Reflaut,  in-12..  3  liv. 

—  De  Wailly,  in-12.  3  îiv. 

Traité  d'Orthographe,  en  forme  de  Di&îonnaire,  in-8» 
7  liv.  10  lois. 

Les  vrais  principes  de  la  Le&ure,  de  l’Orthographe  , 
in-8.  a  liv-  14  f. 

Le  Maître  Italien,  par  Veneroni ,  in-12.  2  liv.  10  f. 

Grammaire  ,  du  même,  avec  un  Dictionnaire  à  la  fin  , 
in-8.  6  liv. 

Dictionnaire  Italien&  François,  du  même,  in -4.  16  liv. 

Dictionnaire  Italien  &  François ,  par  Antonini  ,  in-4. 
a  vol.  24  liv. 

—  Le  même,  confidérablement  augmenté,  par  Fabretti, 
in-4.  2  vol,  3^  liv. 

Grammaire  Angloife,  de  Boyer,  3  liv. 

* — Du  même  ,  Dictionnaire  Angîois  &  François,  in-4. 
z  voî.  24  liv. 

—  Le  même,  in-8.  z  vol.  18  liv. 

Lettres  de  Stéphanie  ,  par  M.  Dorât,  in-12.  ^  vol. -6  J. 

— -  Les  mêmes,  papier  d’Hollande ,  12  liv. 


-5 

Les  Lettres  de  ClaiifTe-Harloovre,  15  vol.  br.  ak  !.’ 
Hifloire  du  Chevalier  GrandifTon ,  3  vol.  11  liy. 
Aventures  de  Robinfon  Crufoë ,  3  vol.  fig.  9  liv. 

La  nouvelle  Clémentine  ,  par  M.  Léonard  ,  in-8. 
I  liv.  16  fols. 

Recueil  de  Difièrtations  phyfico-chymique ,  lues  dans 
différentes  Académies ,  par  M.  de  Machy ,  Cenfeur 
Royal ,  in-8.  6  liv. 

Elites  de  Poéfies  fugitives ,  y  vol.  12  liv.  10  f. 

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in-8.  10  vol.  do  liv. 

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—  Les  mêmes ,  im8.  6  vol.  fîg.  do  liv, 

—  Les  mêmes,  in-4.  6  vol.  Ho  liv. 

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—  Les  mêmes,  petit  cara&ere,  6  liv. 

—  De  Rouffeau,  5  vol.  lo  liv. 

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* —  De  Regnard  ,  4  vol.  9  liv. 

—  De  Crébillon  ,  3  vol.  d  liv. 

—  De  la  Grange  Chancel ,  5  vol.  10  liv.1 

—  Les  mêmes  3  vol.  9  liv. 

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—  Les  mêmes,  3  vol  in-8.  il  liv. 

Et  tous  les  autres  Théâtres  qui  exiftent. 

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3  vol.  9  liv. 

(Euvres  de  Diderot ,  d  vol  in-8.  36  liv. 

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—  De  M.  l’Abbé  de  Condillac ,  favoir,  fon  Cours  d’E- 
tudè,  id  vol.  in-8.  38  liv.  br. 

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Tables  nouvelles  de  M.  l’Abbé  Rozier  ,  pour  fervir.â 

l’Académie  des  Sciences,  in-4.  4  vol.  48  liv.br. 
Recueil  Hiftoriquc  &  Chronologique  f  des  principaux 


4 

faits  ,  fervans  à  THiftoire  de  la  Marine ,  &  à  celle 
de  nos  Découvertes  ,  in-12.  a  vol.  6  liv. 

Hifloire  Héroïque  de  la  NoblefTe-  de  Provence  ,  avec 
huit  grandes  Cartes ,  in-4.  2  vol.  30  liv. 

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in-4.  a  vol.  Imp.  Roy  .42  liv.  reliés  en  écaille,  filets. 
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—  De  Louis  XIII,  du  même,  3  vol.  9  liv. 

Hifloire  abrégée  des  Philofophes.  St  des  Femmes  célé¬ 
brés  ,  par  M.  Debury ,  a  vol.  in-12.  5  liv. 

Hifloire  de  Malthe  ,  par  l’Abbé  de  Vertot  ,  7  vol. 
17  liv.  Io  fols.. 

—*  Du  même,  Révolutions  Romaine,  Suède  &  Por¬ 
tugal,  6  vol.  1 5*  liv. 

Introduâion  à  l’Etude  Politique  des  Finances ,  par  de 
Beaufobre  ,  3  vol.  br.  6  liv. 

Inflitution  au  Droit  Canonique  ,  par  Durand  de  Mail- 
lane ,  10  vol.  25  liv. 

Journées  Amufantes  ,  par  Me  de  Gomez  4  vol.  12  liv. 

(Ouvres  de  Montefquieu,  7  vol.  7  liv.  10  f. 

Les  Loix  des  Eâtimens  ,  par  Degodet ,  in-8.  6  liv. 

Les  Lettres  Perfannes  ,  par  M.  de  Montefquieu  , 
2  liv  10  C 

—  De  Sevigné  ,  8  vol.  20  liv. 

—  Les  mêmes  ,  grand  papier,  24  liv. 

— -  Lettres  Juives  ,  Chinoises  ,  Cabalifliques  ,  du  Mar¬ 
quis  d’Argens,  21  vol.  à  2  liv. 

Lettres  d’un  François,  par  le  Blanc  ,  3  vol.  7  1.  10  f. 

• —  Du  Cardinal  d’Offat,  y  vol.  12  liv.  10  f. 

Traité  de  la  Religion  Chrétienne  ,  par  Abbadie  ,  4 
4  vol.  10  liv. 


Le  meme  Libraire  fait  prifées  de  Biblio~ 
îhéques  ,  les  arrange ,  &  en  fait  des  Catalogues 
des  Commijfions . 


De  faire  le  Pain  de  Pommes  de  terre  ; 
fans  mélange  de  Farine. 

I  L  eft  du  devoir  d’un  Citoyen  de  diriger  la 
Science  qu’il  cuitive  vers  ies  objets  ies  plus 
importans  à  ia  Société.  Pénétré  de  cette  vérité , 
&  n’envifageant  qu’avec  effroi  ie  tableau  affli¬ 
geant  de  ces  époques  défaflreufes ,  où  les  fléaux 
réunis  ne  ceffent  de  frapper  que  pour  combler 
nos  maux  par  ïa  faim  cruelle  &  dévorante  ; 
convaincu  que  quand  le  befoin  fe  préfente  , 
ia  Science  refte  muette  &  fans  aélivité ,  au  iiçu 
d’arracher  à  ia  Nature  ie  fecret  de  fuppiéer  à 
i’aiiment  ordinaire  qu’elie  nous  refufe ,  &  que 
i’induflrie  elle- même  altérée  efl  fans  aucune 
énergie  ;  qu’enfîn  ce  n’efl:  que  dans  les  temps 
d’abondance  ,  iorfque  ies  greniers  font  pleins  3 
qu’on  peut  s’occuper  des  moyens  de  parer 

Ai*  » 

'i 


ï  4  y 

aqx  funeftes  effets  de  ïa  famine,  j’ai  cherché 
à  enrichir  la  lifte  des  fubfiftances ,  à  les  per¬ 
fectionner  ,  &  à  indiquer  leur  véritable  prépa¬ 
ration  :  tel  a  toujours  été  le  but  de  mes  travaux. 
Dans  mes  premières  tentatives,  encouragées 
par  le  fuffrage  de  l’Académie  deBelànçon,  j’avois 
reconnu  que  parmi  les  végétaux  qui  couvrent 
îa  furface  du  globe,  il  n’y  en  avoit  point  de 
plus  propre  à  remplacer  les  grains  que  la 
pomme  de  terre  ;  aulîl  dès  1771,  lorfque  je 
nfoccupois  de  l’analyfe  de  ces  racines,  avois-je 
déjà  pour  objet  principal  leur  converlion  en 
pain.  J’avouerai  même  que  c’étoit  à  la  réuiïite 
de  cette  expérience  que  j’attachois  toute  mon 
ambition ,  perfuadé  qu’elles  offriroiem  fous  cette 
forme  une  reffourcê  de  plus  dans  les  temps  de 
difette,  &  que,  dans  tous  les  cas,  elles  devien- 
droient  pour  les  habitans  des  cantons  qui  en 
font  la  bafe  de  leur  nourriture ,  un  aliment  plus 
commode  &  plus  fubftantiel.  En  effet,  les 
pommes  de  terre  renfermant  au  moins  les  deux 
tiers  de  leur  poids  d’eau,  011  eft  obligé  de  les 
cuire  à  mefure  qu’on  en  a  befoin  ;  il  faut  en 
manger  beaucoup  &  fouvent  pour  être  nourri, 
encore  leur  ufage  n’exclut-il  pas  toujours  celui 
d’un  pain  quelconque  compofé  de  farrafin  ou 
d’orge  ?  &  ne  convient  pas  dans  les  circonftances 


Ï5> 

ou  les  farineux  font  profcrits.  Ce  font  ces 
inconvéniens  ,  &  d’autres  dont  il  fera  queftiont 
dans  un  Mémoire  détaillé  que  je  me  propofe  de 
publier  à  ce  fujet ,  qui  me  déterminèrent  à  faire 
des  effais  pour  développer  dans  la  pomme  de 
terre  la  faculté  fermentative  ,  afin  d’en  obtenir 
du  pain  &  une  boiflon  comparable  à  la  bière. 
Le  fuccès  alors  me  parut  impofiible ,  &  je 
n  héfitai  point  de  le  déclarer  par  la  voie  des 
Journaux  :  mes  raifons  étoient ,  qu’on  ne  trouve 
dans  la  pomme  de  terre  ni  matière  fucrée,  ni 
matière  vifqueufe,  deux  fubfiances  regardées 
jufque-là  comme  une  condition  fans  laquelle 
il  ne  peut  exifler  de  fermentation ,  &  confié- 
quemment  de  panification. 

Subjugué  par  ces  principes  plutôt  encore  que 
par  le  peu  de  fruit  de  mes  recherches ,  je 
continuai  néanmoins  mon  travail,  me  flattant  que 
peut-être  je  trouverois  encore  les  règles  géné¬ 
rales  en  défaut  ;  je  crus  devoir  répéter  d’abord 
tous  les  procédés  annoncés  pour  faire  du  pain 
avec  des  pommes  de  terre  &  la  farine  des 
différons  grains  ;  les  réfultats  ayant  été  conformes 
à  ce  qu’en  avoit  dit  le  petit  nombre  de  ceux 
qui  s’étoient  livrés  à  ce  genre  de  recherches  , 
je  m’empreffai  de  leur  payer  le  jufie  tribut 
d’éloge  qui  leur  étoit  dû.  Mais  tout  en  rendant 

À  iij 


hommage  aux  vues  patriotiques  qui  les  ani- 
moient ,  je  11e  diffîmulai  pas  en  même  temps 
que  loin  de  me  mettre  fur  la  voie ,  ils  n’av  oient 
fervi  qu’à  augmenter  les  difficultés  du  problème 
que  je  cherchois  à  réfoudre  ;  favoir  ,  changer 
la  pomme  de  terre  ,  fans  le  concours  d’aucun 
agent  étranger,  en  pain  comparable ,  foit  pour 
l’afpeft ,  foit  pour  le  degré-  alimentaire ,  à  celui  de 
froment ,  Je  n’ai  rien  oublié  pour  en  venir  à  bout; 
enfin  mes  vœux  font  remplis  ,  &  je  publie 
volontiers  que  je  m’étois  trompé. 

A  peine  eus-je  entrevu  la  poffibilité  de  ce 
changement  que  je  l’annonçai.  Mais  quoique 
mon  procédé  foit  publié  depuis  deux  ans 
dans  mon  Avis  aux  bonnes  Ménagères ,  p>  Sdy 
perfonne  n’a  eu  la  curiofité  de  vérifier  s’il  étoit 
exaét  &  vrai  ,  perfonne  n’a  revendiqué  :  c’efi: 
en  effet  de  cette  manière  que  marche  la  décou¬ 
verte  des  chofes  vraiment  tuiles  ;  une  publicité 
éclatante  n’elt  jamais  leur  apanage.  Comme  je 
je  n’avois  nulle  prétention  au  mérite  d’un  pareil 
travail ,  je  ne  fus  pas  touché  de  cette  efpèce 
d’indifférence  ;  &  fans  l’authenticité  qu’il  falioit 
abfolument  lui  donner  pour  le  faire  connoître , 
le  pain  de  pommes  de  terre  fe  feroit  perfectionné 
fans  bruit  &  dans  le  filence,  aînfi  qu’il  avoit 
été  cherché  &  trouve. 


i  7  ) 

Toutes  les  fois  qu’il  a  été  queftion  d’expé- 
riences  utiles  à  l’humanité  ,  les  Officiers  fupé- 
rieurs  de  l’Hôtel  Royal  des  invalides  fe  font 
prêtés  volontiers  ,  avec  l’agrément  du  Miniftre, 
à  en  conflater  les  effets.  L’avantage  que  j’ai  de 
demeurer  dans  cette  célèbre  Maifon ,  m’a  fait 
profiter  des  reffources  que  m’offroit  fa  bou¬ 
langerie  qui  ,  depuis  que  l’ Administration  en 
a  fait  un  objet  de  régie ,  eft  devenue  un  chef- 
d’œuvre  de  propreté  ,  d’ordre ,  de  perfection  & 
d’économie.  C’efl  donc  le  lieu  que  j’ai  choifi 
pour  répéter  mon  expérience  avec  une  forte 
d’appareil,  &  en  préfence  de  M.  le  Noir,  de 
M.  Francklin  ,  de  M.  le  baron  d’Efpagnac ,  de 
M.  de  la  Ponce  &  de  plufieurs  Officiers  de  l’État- 
major.  Cette  circonftance  produifit  fon  effet  : 
le  pain  de  pommes  de  terre  intéreffa  l’attention 
des  bons  citoyens  ;  il  fut  préfenté  au  Roi ,  aux 
Princes  &  aux  Minières,  qui  l’accueillirent 
avec  bonté  :  en  falioit-il  davantage  pour  réveiller 
l’envie l  Ce  tyran  de  toutes  les  découvertes^ 
qui  avoit  dédaigné  en  1 777,  le  procédé  de  ce 
pain,  aiguifa  tous  fes  traits  en  177 8  iorfqu’il  le 
vit  annoncé  fans  le  procédé  ;  en  vain  quelques 
amis  du  bien  public  firent  valoir  la  pureté  de 
mes  intentions  &  le  défiméreffement  de  mes 
vues;  ils  11e  purent  étouffer  les  cris  de  la 

À  iv 


prévention ,  &  chacun  confondant  le  pain  jfî 
connu  de  farine  mêlée  de  pommes  de  terre , 
avec  le  pain  compofé  uniquement  de  ces  racines 
fans  farine ,  on  entendit  répéter  de  toutes  parts , 
avec  ies  épithètes  ufitées  en  pareil  cas  :  Il  y  a 
long-temps  que  dans  ma  province  on  fait  du  pain 
de  pommes  de  terre;  j’en  ai  vu  &  mangé  ;  les 
livres  fourmillent  de  recettes  a  ce  fujet  ;  enfin  il 
n’y  a  pas  eu  jufqu’au  fieur  Thierry,  Boulanger 
à  Verfaiiies  ,  qui  ayant  introduit  des  pommes  de 
terre  cuites  dans  le  pain  de  froment ,  à  l’exemple 
de  fes  confrères  Francs  -Comtois  ,  Alfaciens  & 
Lorrains,  s’avifa,  la  veille  que  nous  parûmes  à 
la  Cour ,  de  diftribuer  ce  pain  comme  une 
nouveauté,  en  difant  hardiment  &  avec  com- 
plaifance,  &  moi  aujjl  je  fais  faire  du  pain  de 
pommes  de  terre . 

Avant  d’aller  plus  loin,  je  crois  indifpenfable 
d’expliquer  ce  qu’on  doit  entendre  par  le  mot 
générique  pain .  Il  y  a  tant  d’honnêtes  gens  qui 
s’en  nourrilfent  journellement  fans  lavoir  ce  que 
c’efi:  réellement,  comment  la  matière  première 
d’où  il  refaite,  fe  produit,  &  de  quelle  manière 
on  procède  à  fa  fabrication ,  qu’ils  font  toujours 
difpofés  à  qualifier  de  ce  nom ,  beaucoup  de 
fubflances  qui  en  font  entièrement  éloignées.  Il 
paroît  donc  néceffaire  de  fixer  les  idées  à  ce  fujet. 


(  P  ) 

L’aliment  qui  mérite  de  porter  le  nom  de  pain, 
efl  ïe  produit  d’une  fermentation  particulière  qui, 
affectée  avec  de  l’eau  &  de  l’air ,  a  augmenté 
d’un  tiers  de  Ion  volume  durant  l’apprêt  &  la 
cuiffon,  &  fe  trouve  compofé  de  deux  fubf- 
tances  ;  la  première  efl  une  mie  fpongieufe , 
blanche  ,  éiaflique  parfemée  de  trous  plus  ou 
moins  grands,  d’une  forme  inégale  ,  ayant  une 
légère  odeur  de  levain;  la  fécondé  efl  une 
croûte  dure  ,  sèche ,  caffante  &  fapide  ;  voilà 
pour  i’afpeèl  du  pain.  Ses  propriétés  principales, 
font  de  fe  ramollir  à  l’humidité  ,  de  fe  deffécher 
au  contraire  dans  un  endroit  chaud  ,  de  fe 
conferver  un  certain  temps  fans  fe  moifir ,  de 
fe  gonfler  confidérablement  mis  en  macération 
dans  un  fluide  quelconque  ,  de  fe  broyer 
aifément  dans  la  bouche ,  d’obéir  fans  peine  à 
l’aélion  de  notre  eflomac  &  de  nos  vifcères , 
pour  former  la  matière  la  plus  pure  &  la  plus 
faine  de  la  nutrition. 

Lorfque  les  farineux  ne  font  pas  mêlés  avec 
du  levain ,  &  qu’on  les  réunit  feulement  en  mafîe 
avec  de  l’eau  ,  pour  les  faire  cuire  aufîitôt  au 
four  ou  fous  la  cendre ,  loin  d’avoir  pris  du 
volume  ils  en  ont  perdu  ;  on  les  nomme  alors 
pain  û^ime,  &  galette  fi  on  y  ajoute  du  fel  &  du 
beurre  ;  mais  efl-ce  bien-là  du  pain  l  non  afiu- 


(  r°  y 

riment,  c’eft  une  mafïe  lourde,  ferrée ,  vifqueufe, 
indigefte ,  &  s’il  n’y  a  pas  de  comparaifon  à  faire 
entre  du  pain  mai  fabriqué  &  celui  préparé 
convenablement ,  quoique  provenant  du  même 
grain  ,  la  diüance  eft  encore  infiniment  plus 
grande  entre  la  galette  &  du  pain  levé;  s’eft-on 
jamais  avifé  de  confondre  le  vin  avec  le  moût  ou  le 
lue  duraifinî  Jetons  maintenant  un  coup-d’œif 
rapide  fur  les  diverfes  préparations  de  la  pomme  de 
terre ,  que  l’on  a  défignées  fous  le  nom  de  pain. 

Les  uns  ont  exprimé  le  fuc  de  la  pomme 
de  terre,  &  ont  expofé  le  marc  à  une  douce 
chaleur,  d’où  il  eft  réfulté  des  petites  galettes 
plates,  infipides,  femblables  à  la  cafiave  des 
Américains  ;  les  autres  ont  fait  cuire  cette  racine 
entière ,  dans  l’eau  ou  fous  la  cendre  ,  &  après 
l’avoit  réduite  en  pâte  &  portée  aihlî  au  four, 
iis  ont  obtenu  ,  par  la  cuifibn ,  une  enveloppe 
tenace ,  renfermant  intérieurement  une  fubftance 
gralfe  8c  molle  comme  des  pommes  cuites  & 
écrafées.  Ceux-ci  ayant  fait  fécher  la  pomme 
de  terre  coupée  par  tranches,  qu’ils  ont  réduites 
en  poudre ,  puis  en  pâte  avec  de  l’eau  ,  n’ont  eu 
après  la  cuiffon  qu’une  malle  noire  &  fans  con¬ 
tinuité  ;  ceux-là  ont  eu  une  malle  moins  noire  ,  en 
réunifiant  enfemble ,  parties  égales  de  pommes 
de  terre  cuites  &  de  pommes  de  terre  deflechées  ; 


_  \  (  1 1  ) 

enfin ,  il  y  en  a  qui  pius  inftruits  ont  cherché  à 
introduire  dans  chacune  de  ces  préparations ,  du 
levain  de  froment  ou  de  feigie ,  fans  être  plus 
heureux  :  voilà  donc  les  fubfiances  que  Poil 
s’opiniâtre  toujours  maigre  ia  raifon,  l’expé¬ 
rience  &  i’obfervation  à  mettre  en  parallèle  avec 
le  pain  que  je  préfente ,  avec  un  pain  blanc  , 
léger ,  œilleté  &  favoureux  ,  à  qui  il  ne  manque 
abfolument  rien  pour  reffembler  à  celui  du  blé. 

S’il  failoit  inférer  ici  les  diverfes  réclamations 
faites  au  fujet  du  pain  de  pommes  de  terre  , 
<&  les  réponfes  qu’elles  ont  néceflairement 
occafionnées  ,  un  volume  ne  fuffiroit  pas  ; 
mais  qu’importe  au  Public  qu’une  découverte 
appartienne  à  telle  ou  telle  fource,  pourvu  qu’elle 
ait  quelques  rapports  avec  fon  bonheur,  & 
qu’elle  ne  l’induife  pas  en  erreur  fur  fes  prin¬ 
cipaux  befoins  l  Je  me  contenterai  feulement  de 
faire  remarquer  que  mon  refpeét  pour  la  propriété 
d’autrui ,  ne  s’étant  jamais  démenti ,  j’ai  examiné 
avec  l’attention  la  pius  fcrupuleufe  3  les  titres  des 
Péciamans ,  &  je  leur  ai  prouvé  que  nous  étions 
entièrement  oppofés  d’opinions  &  de  moyens , 
puifqu’ils  mettoîent  toujours  à  contribution,  les 
grains  pour  moitié  ou  pour  un  tiers ,  tandis  que  la 
pomme  de  terre  feule  me  fuffifoit;  qu’elle  réunit- 
foit  toutes  les  refîburces  dont  j’avois  befoin  ;  que 


(  I2  ) 

j*y  trouvors  ïe  levain,  la  farine  &  h  pâte;  que 
leur  travail  &  le  mien  n’avoient  de  commun 
que  les  mots  pommes  de  terre  if  pain  que  nous 
prononcions  également  ;  qu’ils  étoient  hors  de 
la  queftion  ;  qu’enfm ,  le  pain  qu’ils  prétendoient 
tous  avoir  fait  les  premiers,  avoit  cependant  un 
fiècie  pour  époque,  les  Irlandois  pour  Auteurs, 
&  les  Tranfadions  philofophiques  pour  dépôt. 

C’eft  allez  en  dire  pour  ceux  qui  confondent 
toujours  le  pain  de  pommes  de  terre  pure  avec 
celui  qui  réfuhe  des  différens  mélanges  ;  fuivant 
un  pareil  raifonnement ,  la  citrouille,  le  potiron, 
les  tronçons  de  choux,  les  navets,  les  noix,  &c. 
peuvent  donc  fe  convertir  en  pain,  puifque  ces 
differentes  fuhilances  ,  affociées  avec  la  farine 
des  grains,  difparoiffent  pour  ne  plus  former 
après  la  cuiffon ,  qu’un  tout  homogène  Mais 
il  exifle  encore  une  autre  claffe  de  Rédamans 
qui  fe  croient  mieux  fondés ,  ce  font  ceux  qui 
difent  qu’on  fait  du  pain  de  pommes  de  terre 
avec  cette  racine  feule  ,  fans  indiquer  quelle  en 
eft  la  recette;  le  feuldes  livres  que  je  fâche  où 
il  en  foit  fait  mention ,  eil  le  Guide  du  Fermier , 
Ouvrage  dlimé  &  eftitnabie  :  l’Auteur  ahure, 
page  232,  que  ce  pain  e/l  trop  connu  pour  en  indi¬ 
quer  la  manière  ;  où  eft  -  il  donc  connu  î  eft  -  ce 
en  Angleterre  l  on  fait  que  la  fabrication  du 


(  r3  ) 

pain  y  eft  très-défe&ueufe  ;  feroit-ce  en  Alle¬ 
magne  l  le  pain  de  froment  ne  s’y  fait  pas  mieux  ; 
comment  la  converfion  de  la  pomme  de  terre 
en  pain  blanc  &  bien  levé ,  dont  la  manipulation 
eft  plus  difficile  que  celle  qu’exigent  les  grains 
eux-  mêmes  ;  comment ,  dis-je ,  s’obtiendroit-elle 
auffi  ailé  ment  dans  des  contrées  où  la  Boulan¬ 
gerie  elï  encore  au  berceau!  Le  même  Auteur 
obferve,  il  eft  vrai,  un  peu  plus  haut,  que  le 
pain  mélangé  de  farine  de  froment  ou  de  feigle , 
&  de  pommes  de  terre,  11’eft  pas  du  pain,  mais 
une  malle  lourde  &  indigefte  :  ce  pallage  ne 
fuffit-il  pas  pour  prouver  que  le  pain  dont  il  s’agit, 
s’il  exifte  ,  n’eft  qu’une  galette  noire  &  déteftable» 
Prifonnier  de  guerre  en  Weftphalie,  j’ai  vu  & 
mangé  de  ce  foi  -  difant  pain ,  mon  palais  s’en 
rappelle  encore  le  fouvenir;  le  pain  noir,  mat  Sc 
amer  de  farrafin  ,  placé  à  côté,  auroit  pu  palier 
pour  du  pain  mollet. 

Quant  à  M»  le  Chevalier  de  Muftel ,  qui  a 
rendu  fes  prétentions  publiques,  les  Juges  éclairés 
dans  cette  partie  n’ont  pas  manque  de  les  apprécier 
à  leur  jufte  valeur  ;  cet  auteur  ,  dont  les  travaux 
méritent  la  reconnoiftance  des  bons  citoyens  ,  n’a 
imprimé  nulle  part ,  qu’il  eût  jamais  fait  du  pain 
de  pommes  de  terre  fans  mélange.  Ceux  qui  le 
Battent  de  favoir  ce  qui  en  eft  ?  qui  vont  mêmg 


(  i4  ) 

jufqu’à  dire  qu’iïs  pofsèdent  dans  leur  porte-feuille 
Ja  vraie  recette  de  ce  pain ,  font  copiée  depuis 
que  cette  queflion  efl  agitée  dans  un  de  mes 
Ouvrages  ,  déjà  cité ,  fans  avoir  eu  ie  courage 
de  ia  répéter.  Ne  femble-t-il  pas  qu’on  veuille 
m’engager  à  attacher  à  mon  expérience  plus  de 
prix  que  je  n’en  mets  réellement,  &  me  con¬ 
traindre  ,  pour  la  conferver ,  d’employer  un  ton 
d’égoïfme  éloigné  de  mon  caractère  l 

Je  n’arracherai  pas  le  voile  ridicule  dont  les 
autres  ont  cherché  à  couvrir  mon  travail,  puifque 
tel  efl  le  fort  des  nouveautés  de  tous  les  genres. 
Il  ell  vrai,  qu’après  l’éloge  que  j’ai  fait  du  bled 
&  des  autres  graminés ,  après  avoir  cherché  à 
perfectionner  l’art  fi  utile  de  les  réduire  en  farine , 
&  de  convertir  la  farine  en  pain  ,  je  ne  devois 
point  m’attendre  qu’on  me  taxeroit  de  vouloir 
métamorpholer  les  belles  plaines  de  la  Beauce 
en  champ  de  pommes  de  terre  ,  &  fubdkuer  ie 
pain  de  ces  racines  à  celui  du  froment  ;  je  ne 
devois  point  m’attendre  encore  que  l’on  me 
foupçonneroit  un  autre  projet  auflx  fou  ,  celui 
de  transformer  tout  en  pain ,  moi  qui  n’ai  ce(Té 
d’élever  la  voix  contre  les  auteurs  qui  atteints 
d’une  femblable  manie,  propolent  journellement 
des  mélanges  monfirueux ,  qui  altèrent  &  dé¬ 
naturent  à  grands  frais  les  bonnes  qualités  du 


/ 


(  15  ) 

premier  de  nos  aiimens  ;  enfin ,  je  ne  devois  pas 

m’attendre .  Mais  ne  décourageons  pas 

ceux  qui,  occupés  du  bonheur  de  ieurs  fem- 
biabies ,  cherchent  à  leur  faire  du  bien  malgré 
leur  réfi fiance ,  &  qui  font  aflez  généreux  pour 
braver  ieur  injuftice  &  leur  ingratitude. 

Pour  parvenir  à  donner  un  air  de  vraifem- 
blance  aux  intentions  qu’on  m’a  prêtées  û 
gratuitement ,  on  auroit  dû  au  moins  effacer  de 
mes  Ouvrages,  quantité  d’exprefïlons  qui  ma- 
nifefient  d’une  manière  non  équivoque  combien 
mes  vrais  fentimens  font  éloignés  de  ceux  qu’on 
m’attribue ,  je  vais  en  rapporter  feulement 
quelques  pafiages  :  Ne  cejfons  d'attaquer  un  préjugé 
qui  femble  prendre  faveur  tous  les  jours  ;  on  vante  t 
on  propofe ,  on  défigne  continuellement  me  foule  d’au¬ 
tres  végétaux  y  dont  la  plupart  ne  font  pas  même 
mucilagineux  &  farineux ,  on  les  indique  comme 
propres  à  être  convertis  en  pain ,  ou  à  augmenter  la 
majfe  de  cet  aliment }  fans  faire  attention  qu’on. 

altéré  Ù*  qu’on  diminue  fa  bonne  qualité .  Dans 

un  pain  déjà  mat  par  lui-même  >  il  paroit  ridicule  d’y 
introduire  des  femences  légumirteufes  &  autres  végé* 

taux  farineux ,  tels  que  l’ers  ou  l'orobe ,  la  vefce, 

% 

les  haricots ,  les  petites  fèves,  la  châtaigne,  le  millet  » 
dont  les  parties  entr  elles  n  'ont  aucune  adhéfion  ;  h 
ridicule  ejt  encore  bien  plus  grand ,  lorf qu’on  prétend 


(  ) 

faire  du  pain  avec  ces  fubfancts  fans  autre  addition 
que  du  levain .....  Le  pain ,  qui  fait  la  nourriture  princi¬ 
pale  des  Européens ,  ef  peu  connu  des  autres  Nations  l 
les  différentes  fubjlances  végétales  qui  en  tiennent 
lieu ,  font  confommées  fous  la  vraie  forme  qui  con¬ 
vient  à  leurs  parties  ;  les  unes ,  en  bouillie  ;  les  autres , 
en  galette;  il  y  en  a  enfin  qu  on  fait  cuire  fans  les 
divifer  :  ce  fer  oit  contre  le  vœu  de  la  Nature  quon 
s  ’obfineroit  à  vouloir  foumettre  les  farineux  indiffé¬ 
remment  a  la  même  préparation .  Le  parfait 

Boulanger ,  pages  550,  551,  5  5 '5 ...  .  Je  ne 
fais  d'  où.  vient  la  fureur  que  don  a  de  vouloir  tout 
mettre  en  pain  ;  cette  nourriture ,  qui  fait  les  délices 
de  d  Europe ,  perdra  de  fes  bons  effets ,  fi  en  s’objline 
toujours  d’y  introduire  des  corps  étrangers  :  Ouvrage 
économique  fur  les  pommes  de  terre  ,&c.p.  1  82., 
Mais  la  manie  du  jour  ef  de  tout  convertir  en  pain  , 
on  croit  même  que  fans  le  pain  il  n'y  a  point  d’ali - 
mens:  Mémoire  fur  les. végétaux  nourriflans, 
couronné  par  Y  Académie  de  B  e  lançon  ,  p.  )  y . 
Les  pommes  de  terre ,  font  une  forte  de  pain  que  la 
Providence  préfente  tout  formé ,  elles  n’ont  befoin 
que  d’être  cuites  dans  l’eau  ou  fous  la  cendre  >  ô* 
relevées  par  quelques  grains  de  fel ,  pour  fournir  un 

aliment  fimple  &  bienfaifant . ,  ne  corivertffe ç 

en  pain  que  les  fubjlances  farineufes  reconnues  J'uf 
ceptibles  de  cette  préparation  ;  enfn }  fi  vous  vous 

détermine % 


(  i7  ) 

détermine \  à  réduire  les  pommes  de  terre  fous  la 
forme  de  pain  ,  que  ce  ne  foit  que  dans  les  cas 
particuliers  que  je  vous  mets  fous  les  yeux  :  Avis  aux 
bonnes  Ménagères,/?.  8 y .  On  verra  bientôt,  dans 
Je  Mémoire  qui  doit  paraître,  fi  je  fuis  en  contra- 
diélion  avec  moi-même,  lorfque  j’expoferai  quels 
font  les  avantages  &  les  inconvéniens  des  pommes 
de  terre  réduites  fous  l’une  &  l’autre  forme, 

II  feroit  difficile ,  fans  doute  ,  de  changer  la 
difpofition  des  Détraéleurs,  en  les  éclairant  fur 
les  travaux  qu’ils  jugent  prefque  toujours  fans  en 
approfondir  l’objet  ;  mais  comme  ils  entraînent 
malheureufement  l’opinion  de  beaucoup  de  per- 
fonnes  qui  s’en  tiennent  à  leur  prononcé ,  qu’il 
me  foit  donc  permis  de  leur  obferver  qu’il  faut  du 
pain  à  certains  hommes ,  qui  croiroient  n’être  pas 
nourris  fi  l’aliment  ne  leur  étoit  préfenté  fous 
cette  forme  ;  que  le  peuple  ne  fent  que  le  prix 
du  pain  ;  que  le  pain  elt  fon  unique  refrein ,  de 
qu’il  ne  voit  rien  au-delà  de  fon  pain  ;  qu’il  y  a 
une  infinité  de  terreins  qui  ,  ne  rapportant  pas 
en  grains  la  femence  qu’on  y  a  jetée  ,  pro¬ 
duiraient  des  pommes  de  terre  en  abondance; 
que  l’on  pourrait  changer  en  une  fource  inépui- 
fable  de  richelles  toujours  renaiffantes ,  une 
étendue  immenfe  de  pays  en  friche  &  perdus 
pour  jious  ;  que  le  fol  qui  pafîe  pour  être  1© 


pins  aride,  produiroit  prefque  autant  de  revenu 
que  ies  bons  fonds  ;  pourvu  qu’on  ne  lui  de¬ 
mandât  que  les  objets  de  culture  dont  il  eft 
fufceptibie,  tel  que  la  pomme  de  terre  ,  qui  vient 
par-tout  ;  qu’en  un  mot ,  on  11e  faurcit  trop 
multiplier  les  refiources  alimentaires  ,  puifque 
quand  c’eft  le  malheur  qui  nous  avertit  de  pour¬ 
voir  aux  befoins  du  malheur  ,  il  nous  fait  porter 
prefque  toujours  la  main  fur  les  fubfiftances  les 
plus  pernicieufes  à  l’économie  animale. 

Quand  d’un  côté  on  voit  que  les  grains,  avant 
d’être  au  pouvoir  de  l’homme,  font  expofés  à 
une  multitude  d’évènemens  très-fâcheux  ;  que 
des  maladies  formidables  les  frappent  dès  en 
nai fiant ,  qu’une  pôufiière  contagieufe  ies  défi¬ 
gure  &  les  réduit  à  i’impuifiance  de  la  nutrition 
&  de  la  reproduction ,  qu’une  furabondance  de 
fuc  nourricier  brife  le  tifiu  des  feuilles  &  les 
rouille,  qu’un  coup  de  vent  interrompt  le  cours 
de  la  fève ,  qu'un  orage  empêche  la  fécondation  ; 
qu’enfin  ,  l’humidité  continuelle  les  fait  germer 
fur  pied  ;  &  que  de  l’autre  ,  on  fuit  du  même  œil  la 
plantation  ,  lafieurailon  &  la  maturité  des  pommes 
de  terre  ,  on  efl  bientôt  convaincu  que  leur 
végétation  a  infiniment  moins  à  redouter  des 
influences  de  i’atmofphère  ,  &  que  ce  qui  nuit 
aux  grains  fait  grolCr  &  multiplier  nos  racines. 


r  ) 

Sÿ 

(  *9  ) 

D’après  cette obfervation  comparée,  n’auroit-on 
pas  droit  d’être  étonné  qu’on  cultive  encore  fi 
peu  de  pommes  de  terre  l 

Combien  if  feroit  à  defirer  que  dans  fe  nombre 
des  productions  auxquelles  nous  confierons  nos 
foins ,  on  choisît  toujours  de  préférence  celles  qui 
font  reconnues  pour  être  les  plus  nourriffantes  , 
ies  plus  faines  ,  les  plus  fécondes  ,  les  moins 
aiïujetties  au  caprice  des  faifons ,  dont  les  frais 
de  culture  &  de  récolte  fufîent  peu  dilpendieux; 

on  ne  s’occupoit  point  autant  à  récréer  nos 
yeux  ,  en  multipliant  à  l’infini  les  allées ,  ies 
jardins  &  les  parcs  ;  les  difettes  feroient  peut-être 
moins  à  craindre  :  mais  ces  temps  malheureux 
font  loins  de  nous.  La  bienfaifance ,  fur  le  T  roue , 
environnée  de  Minifires  fages  &  prévoyans , 
calme  entièrement  nos  craintes  à  ce  fujet  :  fade 
le  Ciel  que  jamais  une  pareille  circonfiance  ne 
rende  mon  travail  un  befoin  !  Mais  je  viens  à 
mon  procédé. 

Quoique  la  fabrication  du  pain  de  pommes  de 
terre ,  que  je  publie ,  ait  été  déjà  exécutée  avec 
fuccès  par  différentes  perfonnes  qui  en  avoient 
feulement  entendu  parier ,  elle  me  paroît  encore 
un  peu  trop  embarraffante  ,  pour  être  dans  ce 
moment  à  la  portée  du  peuple.  Comme  nous 
n’avons  aucun  intérêt  de  déguiier  la  vérité  ? 

B  i  j 


il  eft  bon  de  prévenir  qu’on  fe  feroit  même  illu- 
fion  d’imaginer  que  les  connoiflances  actuelles 
que  nous  polîedons  en  boulangerie  ,  étant  appli¬ 
quées  au  pain  dont  il  s’agit,  le  porteront  tout 
d’un  coup  au  point  de  implicite  qu’il  peut 
obtenir  par  la  fuite.  Chaque  grain  exige  une 
manipulation  particulière,  &  celle  qui  convient 
à  nos  racines  n’eft  pas  la  plus  aifée. 

Tous  les  Arts  ont  eu  leur  enfance ,  &  le  procédé 
le  plus  fimple  aujourd’hui ,  &  le  plus  facile  dans 
fon  exécution ,  a  été  autrefois  très-compliqué. 
Qui  auroit  cru,  par  exemple ,  qu’un  jour  l'orge , 
pour  ne  pas  nous  éloigner  de  notre  objet ,  ce 
grain,  revêtu  de  deux  écorces,  s’en  trouverait 
tout-à-fait  dépouillé  fans  perdre  de  fa  texture , 
qu’on  parviendrait  à  lui  donner  une  forme 
ronde,  pour  préparer  ce  qu’on  nomme  vulgai¬ 
rement  orge  perlé  /  Avant  que  les  meules  rein- 
plaçaffent  le  mortier  &  le  pilon  ,  le  travail 
d’une  journée  fuffifoit  à  peine  pour  fournir  une 
farine  défeétueufe ,  capable  de  nourrir  quelques 
hommes.  Tel  fut  néanmoins  pendant  des  fiècies 
l’état  de  la  mouture  parmi  les  peuples  les  plus 
anciens.  Pourquoi  î’induftrie ,  qui  s’efl  tant 
fignalée  en  faveur  du  pain  de  froment ,  ne 
ferait-elle  pas  quelques  efforts  pour  celui  d© 
pommes  de  terre,  fur -tout  lorfque  l’expérience 


(21  ) 

&  l’obfervation  en  auront  démontré  les  avan¬ 
tages  &  l’utilité  l 

C’eit  dans  les  provinces  du  Royaume ,  où 
la  pomme  de  terre  cultivée  en  grand ,  eft  com¬ 
mune  &  à  bon  compte ,  qu’il  faut  efpérer  que 
ce  travail  fe  fimplifiera ,  fur-tout  fi  le  grand 
exemple  que  M.  François  de  Neuf- château  fe 
propofe  de  donner  à  Mirecourt ,  eft  fuivi  par 
tous  les  Magiflrats ,  qui ,  comme  lui  enflammés 
du  bien  public ,  font  faits ,  par  leur  génie  &  par 
leurs  places  ,  pour  donner  l’impulfion  à  l’ac¬ 
tivité  générale. 

O 

Réuni  avec  M.  Cadet  le  jeune,  pour  fuivre 
dans  le  plus  grand  détail  les  expériences  qui  con¬ 
cernent  la  culture  des  pommes  de  terre  ,.  il  n’y  a 
point  de  recherches  &  de  tentatives  que  nous 
n’ayons  mis  en  œuvre ,  dans  la  vue  d’abréger  la 
manipulation  du  pain  de  ces  racines.  Nous  avons 
déjà  fait  conftruire  un  moulin  pour  fubflituer  à  la 
râpe  ;  M.  Ravelet ,  Patriote  zélé ,  eft  venu  géné- 
reufement  nous  en  offrir  un,  dont  il  a  conçu 
l’idée  d’après  l’opérafcion  de  l’extraétion  de  l’ami¬ 
don;  le  meilleur  de  ces  deux  moulins,  celui  qui 
coûtera  le  moins  cher,  &  qui  expédiera  davantage, 
fera  gravé  &  publié  :  il  y  a  tout  lieu  d’efpérer  que 
le  rouleau  employé  à  la  pulpe ,  éprouvera  auffi 
quelques  réformes  heureufes.  Qu’il  feroit  à  defirer 

B  li) 


que  ïes  Détracteurs ,  au  lieu  de  crier  toujours  , 
cela  ne  vaut  rien,  le  procédé  ejl  impratiquablc ,  vou¬ 
lu  fié  nt  indiquer  au  moins  ce  qu’il  eft  poflîble 
de  rectifier,  de  retrancher  &  d’ajouter 3  leurs 
critiques  ne  perpétuant  plus  les  erreurs  popu¬ 
laires  &  les  routines  aveugles  ,  deviendraient 
utiles  ,  &  on  en  profiterait.  Je  leur  céderais 
volontiers  ,  à  cette  condition ,  le  foible  mérite  de 
l’invention ,  ou  le  petit  avantage  d’en  partager 
la  gloire. 

Les  expériences  de  boulangerie  font  plus 
délicates  qu’on  ne  penfe;  leur  fuccès  dépend 
fouvent  de  la  plus  petite  circonftance  ;  il  Faut  avoir 
mis  réellement  la  main  à  la  pâte,  &  être  demeuré 
long-temps  auprès  du  pétrin  &  à  la  bouche  du 
four,  pour  lé  flatter  de  réufîir;  c’efl-ià  &  non  dans 
le  cabinet ,  que  converfant  familièrement  avec  les 
ouvriers  intelügens ,  &  fe  mettant  quelquefois  à 
leur  place ,  on  parvient  à  connoître  les  flnefles 
du  métier ,  &  qu’on  apprend  qu’il  11’y  a  pas  de 
procédés  plus  fournis  aux  intempéries  des  faifons  , 
que  ceux  qui  convertiflent  la  farine  en  pain. 
Si  l’on  me  demandoit  quels  ont  été  mes  rélultats 
lorfque  j’ai  opéré  fur  de  grofîes  mafles  ,  je 
répondrais  franchement  que  la  réuflite  n’a  pas 
toujours  été  auffi  complète;  encore  déclarerais-je 
que  je  dois  le  beau  pain  que  j’ai  obtenu  aux  talens 


(  2  3  ) 

de  M.  Rrocq,  Régiiïeur  de  la  Boulangerie  de 
l’Hôtel  Royal  des  Invalides  6c  de  l'École  Royale- 
militaire ,  dont  j’ai  parlé  fou  vent  dans  le  P  ai  fait 
Boulanger,  dans  les  termes  qu’il  mérite. 

Si ,  comme  l’expérience  le  démontre  depuis 
long-temps  ,  le  plus  excellent  blé  mal  moulu  ne 
donne  qu’une  farine  médiocre ,  6c  fi  entre  les 
mains  d’un  Boulanger  mal-adroit ,  la  farine  la  plus 
blanche  ne  fournit  qu’un  pain  bis  ,  mat  6c  aigre  ; 
on  doit  bien  pré fumer  que  la  pomme  de  terre 
n’offrira  pas  conitammem  une  même  qualité  de 
pain;  cette  racine,  fur-tout,  à  qui  la,  Nature 
femble  avoir  refufé  toutes  les  facultés  panaires, 
6c  pour  laquelle  l’Art  a  encore  befoin  de  faire 
de  nouveaux  efforts  avant  de  Faffimiler  abfolu™ 
ment  aux  grains  qui  les  pofsèdent  toutes  à  un 
degré  plus  ou  moins  éminent. 

Je  ne  me  permettrai  plus  qu’une  obfervation  : 
on  a  peut-être  dit  trop  de  bien  6c  trop  de  mal 
du  pain  de  pommes  de  terre  :  ces  deux  excès 
nuifent  toujours  à  la  bonté  réelle  de  la  chofe  ; 
i’enthoufïafme  fait  naître  des  contradicteurs; 
la  critique  trop  févère  produit  quelquefois  le 
découragement.  Voici  le  langage  que  j’ai  tou¬ 
jours  tenu  ;  tant  que  mon  travail  n’ofirira  qu’un 
phénomène  phyfique  qui  renverfe  les  principes 
établis ,  je  croirai  n’avoir  procuré  à  la  fcience 

B  iv 


(  -24  ) 

qu’un  fait  qui  peut  concourir  à  répandre  du 
jour  fur  cette  opération  de  la  Nature  ,  encore 
f  peu  connue ,  fur  la  fermentation. 

Ma  jouiiïance  fera,  il  eft  vrai ,  bien  différente, 
quand  j’apprendrai  qu’il  peut  être  avantageux 
à  la  Société  ,  &  que  ie  bon  Cultivateur  ,  placé 
au  milieu  des  campagnes  couvertes  de  pommes 
de  terre ,  fera  parvenu  à  préparer ,  avec  ces 
racines  feules  ,  un  pain  blanc ,  fubftantiei ,  éco¬ 
nomique  ,  &  qu’il  en  fera  la  bafe  de  fa  nourriture 
journalière;  fi  j’exifte  alors,  j’excuferai  diffici¬ 
lement  les  Détracteurs  du  pain  de  pommes  de 
terre  d’avoir  été  plus  échauffés  fur  la  découverte 
très  -  importante  du  rouge  végétal  ,  ou  plus 
emhoufiaftes  des  moyens  encore  plus  importans 
de  détruire  le  diamant. 

Telles  font  les  réflexions  que  j’ai  cru  devoir 
rapporter  ici,  moins  dans  la  vue  de  me  difcuïper 
que  pour  tâcher  d’éclairer  ceux  qui ,  par  amour 
du  bien  public  ou  par  des  préoccupations  parti¬ 
culières  ,  pourroient  prendre  de  mon  travail , 
une  idée  trop  haute  ou  trop  défavantageufe. 
Je  prie  feulement  qu’on  attende,  pour  prononcer 
à  ce  fujet,  le  Mémoire  qui  paroîtra  bientôt  ; 
j’efpère  avoir  prévu  la  plupart  des  objections 
qu’il  eft  poflible  de  faire  contre  l’ulage  du 
nouveau  genre  d’aliment  que  j’indique ,  & 
je  tâche  d’y  répondre  de  mou  mieux. 


(  2  5  ) 

Au  refte ,  mes  expériences  n’ayant  pour  but 
que  de  m’afTurer  bien  pofitivement  des  moyens 
de  convertir  les  pommes  de  terre  en  pain,  on 
ne  doit  les  confidérer  que  comme  les  matériaux 
préparatoires  au  fondement  &  à  ïa  perfection 
de  ce  travail  :  c’eft  à  i’induftrie  ,  qui  vient  à 
bout  de  tout ,  à  ajouter  ce  qui  y  manque  encore  ; 
en  attendant,  j’ai  cherché  à  mettre  fur  la  voie  ; 
je  propofe  la  méthode  qui  jufqu’à  préfent  m'a 
paru  la  plus  fûre  &  la  meilleure  :  enfin  ,  fi  je  puis 
être  utile  à  mes  Concitoyens ,  c’eft  la  récom- 
penle  la  plus  flatteufe  à  laquelle  je  prétends. 

Pour  faciliter  l’intelligence  &  l’exécution  du 
procédé  que  je  vais  décrire,  je  formerai  des 
opérations  qu’il  exige  ,  deux  articles  particuliers. 
II  s’agira,  dans  le  premier,  du  travail  prélimi¬ 
naire  que  la  pomme  de  terre  doit  fubir  ,  pour 
pouvoir  fèrvir  à  la  boulangerie  ;  le  fécond , 
contiendra  les  détails  relatifs  à  la  converfion  de 
ces  racines  en  pain;  &  comme  il  eft  impofîible 
de  donner  à  ce  procédé  la  grande  précifion  qu’il 
feroit  à  defirer  qu’il  eût  ;  pour  y  fuppiéer  ,  je 
terminerai  par  une  récapitulation  des  points  prin¬ 
cipaux  à  connoîtrepour  cet  objet  :  arrêtons-nous 
d’abord  fur  les  pommes  de  terre ,  avant  d’en 
changer  la  nature  de  la  forme. 


) 


(  ) 

Article  premier. 

Des  Pommes  de  terre . 

La  bonté  alimentaire  de  s  pommes  de  terre  efl 
conftatée  depuis  un  fiècle,  par  fufage  journalier 
qu’en  font  des  Nations  entières  &  les  habitans  de 
plufieurs  de  nos  provinces.  Lorfque  des  particu¬ 
liers  prévenus  ont  cherché  à  rendre  cet  aliment 
fulpeél ,  on  a  vu  bientôt  une  foule  d’Ecrivains, 
qui ,  par  leur  état  &  leurs  lumières  ,  font  faits 
pour  prononcer  fur  les  effets  de  la  nourriture 
dans  l’économie  animale  ,  défendre  &  justifier 
celle  qu’on  obtient  de  ces  racines  :  c’efl  à  cette 
occafion  qu’en  1771  ,  la  Faculté  de  Médecine 
de  Paris ,  confultée  par  M.  le  Contrôleur 
général ,  fur  la  falubrité  des  pommes  de  terre , 
donna  le  rapport  le  plus  avantageux  ,  &  que 
j’entrepris  l’examen  chimique  de  ces  tubercules; 
ce  qui  acheva  de  diffiper  ,  fans  retour  ,  les 
craintes  qu’on  avoit  fait  naître  à  leur  égard. 

Les  pommes  de  terre ,  fous  la  forme  de  pain, 

•  ne  feront  pas  moins  falutaires  que  dans  l’état 
où  on  s’en  nourrit  le  plus  communément  ; 
l’expérience  a  déjà  appris  que,  confondues  & 
mêlées  dans  1a.  pâte  des  différens  grains  ,  ces 
racines  n’ont  jamais  occafionné  aucune  fuite 
fâcheufe  :  quel  changement  éprouvent- t-eiles  en 


(  27  ) 

pafTant  à  l’état  de  pain  !  celui  que  fubiffent  tous 
les  farineux  ,  la  fermentation  ;  &  cette  fermen¬ 
tation  qui  rend  le  froment ,  ainfi  que  le  feigle , 
plus  fains  &  plus  nourriflans ,  opérera  le  même 
eifet  fur  la  pomme  de  terre ,  puifqu’il  faut  de 
toute  néceUité  l’affimiler  à  ces  deux  grains , 
avant  de  fonger  à  en  obtenir  le  levain,  une  pâte 
&  du  pain. 

S’il  n’eût  été  quedion ,  pour  transformer  les 
pommes  de  terre  en  pain,  que  de  foudraire 
leur  humidité  furabondante ,  de  détruire  enfuite 
leur  texture,  de  les  mêler  avec  un  levain  appro¬ 
prié  ,  &  de  les  foumettre  aux  différentes  opérations 
du  pétriffage  ,  il  auroit  fuffi  de  traiter  ces  racines 
à  l’indar  des  grains  récoltés  dans  les  années 
pluvieufes,  c’ed-à-dire,  de  les  expofer  au  foleif, 
de  les  broyer  fous  des  meules  ,  enfin  de  luivre 
tous  les  procédés  de  la  Boulangerie  ;  mais  il  ne 
s’agit  pas  ici  d’une  femence  qui  fe  réduit  en 
farine  aifément ,  c’ed  une  racine  aqueufe ,  dont 
les  principes  font  très-différens.  Inutilement  on 
fe  flatteroit  de  pouvoir  ainfi  en  préparer  du 
pain  ;  on  ne  pourrait  jamais  obtenir  à  la  place , 
par  ce  moyen ,  qu’une  maffe  noire ,  compaéte 
&  de  mauvais  goût  :  il  ed  donc  indiipenfable 
d’avoir  recours ,  indépendamment  des  travaux  or¬ 
dinaires  de  la  fabrication  du  pain  ?  aux  opérations 
ci-après  détaillées* 


(  *8  ) 

De  ï Amidon  de  Pommes  de  terre . 

Les  pommes  de  terre  font  compofées  , 
comme  tous  les  végétaux  &  les  animaux ,  de  par¬ 
ties  folides  &  de  parties  fluides  ;  une  livre  de  ces 
racines  contient  trois  onces  d’amidon ,  fix  gros 
de  matière  fibreufe ,  autant  d’extrait  ;  ies  onze 
onces  &  demie  reliantes  11e  font  que  i’eau. 
Ces  différens  principes  varient  en  raifon  des 
efpèces  de  pommes  de  terre ,  du  terrein  &  de 
l’année  qui  les  ont  produites  :  ie  but  de  l’opé¬ 
ration  fuivante  eft  d’obtenir  l’amidon  l'éparé 
tout-à-fait  des  autres  parties  conflituantes. 

Lavez  à  plufieurs  reprifes  des  pommes  de 
terre  dans  i’eau  ,  pour  en  détacher  ia  terre  &  le 
fabie  qui  s’y  trouvent  adhérens  ;  divifez  ces 
racines  à  i’aide  d’une  râpe  de  fer-bianc  ,  montée 
fur  un  chaflis  de  bois  &  pofée  fur  une  terrine 
ou  fur  un  feau ,  qu’on  vide  à  mefure  qu’ii  fe 
remplit  dans  un  vaifleau  pius  grand.  La  pomme 
de  terre  râpée  ,  offre  une  pâte  liquide  ,  qui  fe 
colore  à  l’air  ;  011  étend  cette  pâte  dans  plus 
ou  moins  d’eau,  on  agite  avec  un  bâton  ou 
avec  les  mains ,  &  on  verfe  ie  tout  dans  un 
tamis  placé  au-deiïus  d’un  autre  vafe  ;  l’eau 
trouble  qui  paffe  à  travers ,  entraîne  avec  elle 
l’amidon  qu’on  trouve  dépofé  au  fond  du  vafe  ; 


■'(  ) 

©n  jette  beau  rougeâtre  qui  fumage  le  précipité  , 
&  l’on  en  ajoute  de  nouvelle  jufqu’à  ce  qu'elle 
ceffe  d’être  teinte. 

II  refte  fur  le  tamis  la  matière  fibreufe  dé¬ 
pouillée  entièrement  d’amidon  &  d’extrait,  011 
peut  la  donner  aux  befliaux  ,  ou  bien  la  faire 
fécher  &  mettre  en  poudre  ,  pour  l’employer 
ainb  que  nous  aurons  occalion  de  le  dire  par  la 
fuite  à  la  nourriture  des  hommes  :  il  faut  tirer 
parti  de  tout ,  &  notamment  des  objets  de 
première  néceflité. 

Cette  première  opération  achevée  ,  on  enlève 
le  dépôt  bien  lavé,  on  le  didribuepar  morceaux 
dans  des  tamis  revêtus  de  papier,  on  l’expoie 
dans  un  endroit  chaud  ou  à  l’air  libre ,  pour 
lui  enlever  l’humidité  furabondante  ;  à  mefure 
que  l’amidon  fe  fèche,  il  perd  le  gris-fale  qu’il 
avoit  pour  palier  à  l’état  blanc  &  brillant ,  alors 
il  fe  brife  fous  les  doigts  &  fe  tamife  fort 
aifément. 

Remarques. 

S  i  on  avoit  befoin  d’employer  l’amidon  fur 
le  champ  ,  que  la  circonftance  ne  permît  point 
de  s’en  approvifionner  ,  ou  d’attendre  qu  ’il  fut 
féché ,  on  pourroit  s’en  fervir  aulütôt  qu’il 
feroit  précipité;  mais  dans  ce  cas,  il  faudroit 


(  3°  ) 

avoir  ïa  précaution  de  défalquer  l’eau  qui  s’y 
trouveroit  pour  moitié  ;  nous  croyons  même 
avoir  remarqué  que  l’amidon ,  dans  l’état  humide , 
rend  le  pain  plus  blanc  &  plus  délicat. 

Il  convient  aufli  d’avertir  ici  les  Citoyens  qui 
auroient  le  defir  de  faire  quelques  recherches 
dans  la  vue  d’abréger  l’opération  de  la  râpe  , 
qu’un  indrument  qui  diviferoit  en  coupant  ou 
en  broyant  les  pommes  de  terre ,  ne  rempiiroit 
nullement  Tobjet  qu’on  fe  propofe,  parce  qu’il 
n’eft  pas  queftion  de  piler  ces  racines  ou  d’ex¬ 
primer  leur  lue  :  il  faut  en  déchirer  ies  réfeaux 
fibreux  ?  forcer  l’eau  &  l’amidon  de  s’en  fé- 
parer  ;  or ,  la  râpe  opère  complètement  cet 
effet  ;  au  lieu  de  la  monter  ,  il  eft  vrai ,  fur  un 
chaflis ,  on  peut  en  armer  une  meule ,  ainfi  que 
que  l’a  fait  M.  Solomé ,  Membre  di (lin gué  du 
College  de  Pharmacie  de  Paris.  M.  Dubadier , 
amateur  éclairé  d’FIifioire  Naturelle  ,  nous  a 
fait  voir  un  petit  modèle  du  moulin  dont  on 
fe  fert  dans  nos  îles  pour  ïa  préparation  du 
manioc ,  &  qui  eft  conflruit  fur  ce  principe  ; 
êa  M.  Galiot  j  Médecin  à  Saint-Maurice-Ie- 
grand ,  qui  a  employé  avec  fuccès  l’amidon  de 
pommes  de  terre  dans  fa  Province,  vient  de 
nous  mander  qu’il  ayoiî  aufîi  imaginé  un  moulin 
à  cet  effet. 


On  ne  rifquera  jamais  rien  de  préparer  une 
très-grande  quantité  d’amidon,  d’autant  mieux 
que  quand  il  eft  parfaitement  blanc  &  bien  fec , 
il  peut  braver  la  durée  des  temps  fans  fe  dété¬ 
riorer  ;  d’ailleurs  fon  ufage  ne  fe  borne  pas 
feulement  à  la  fabrication  du  pain  de  pommes 
de  terre ,  il  fert  encore  à  augmenter  la  fomme 
alimentaire  des  grains ,  avec  lelquels  on  le  mêle  ; 
on  en  fait  des  bouillies  ,  des  crèmes  ,  &c. 
J’apprends  que  tous  les  jours  la  Médecine  lo 
fubilitue  avec  avantage  au  falep  &  au  fagou. 

Mais  une  obfervation  importante  que  je  ne  dois 
pas  omettre,  c’eft  que  les  pommes  de  terre,  dans 
les  différens  états  où  elles  fe  trouvent ,  donnent 
conftamment  leur  amidon,  foit  qu’elles  aient  été 
furprifes  par  la  gelée  ou  la  germination  ,  loit 
qu’elles  pèchent  du  côté  de  la  maturité  :  ce 
principe ,  qui  eft  la  partie  la  plus  précieufe  de 
ces  racines  ,  ne  diminue  tout  au  plus  que  de 
quantité  ,  én  forte  que  l’on  pourroit  conlacrer 
à  l’amidon  les  pommes  de  terre  qui  feroient 
défedueufes ,  celles  auxquelles  les  animaux  répu- 
gneroient  ou  qui  refteroient  après  la  plantation. 

Enfin  ,  comme  l’amidon  eft  le  principe  alimen¬ 
taire  par  excellence  des  farineux  ,  &  qu’il  fe 
trouve  répandu  dans  beaucoup  d’autres  végétaux 
que  ceux  dont  l’ufage  eft  le  plus  ordinaire  ,  ou 


I 


<30 

pourroît  l’en  féparer  de  la  même  manière  que 
nous  venons  de  le  décrire  pojar  les  pommes  de 
terre  ,  &  le  faire  fervir  enluite  au  même  but. 

J’ajouterai  encore  à  ces  obfervations  ,  que 
quoique  toutes  ies  efpèces  de  pommes  de  terre 
foient  fufceptibles  d’être  converties  en  pain  , 
celles  d’entr’elies  qui  font  rondes  ,  dont  la  lurface 
extérieure  elt  grife  ,  étant  ies  plus  farineufes , 
on  en  retire  davantage  d’amidon  ;  ies  rouges 
au  contraire  ,  ayant  pius  d’adhéfion  ,  convien¬ 
nent  mieux  à  ia  préparation  de  ia  pulpe  , 
dont  nous  allons  parler;  mais  il  faut  choifir  les 
plus  grolfos  ,  &  lur-tout  qu’elles  foient  bonnes 
à  manger. 

De  la  cuîjfon  des  Pommes  de  terre. 

L  A  très-grande  quantité  d’eau  contenue  dans 
les,  pommes  de  terre,  qui  tient  leurs  parties 
éloignées  ies  unes  des  autres,  &  dans  un  état 
pour  ainfi  dire  ifolé  ,  cette  eau ,  aidée  de  la  cha¬ 
leur  ,  les  diffout  &  les  réunit  enfemble  ;  d’où 
il  réfulte  un  tout  plus  homogène,  plus  continu 
&  plus  parfait  :  voilà  le  but  de  la  cuiffon. 

Il  y  a  deux  manières  de  cuire  les  pommes  de 
terre ,  favoir  dans  l’eau  ou  fous  ia  cendre  ;  dans 
le  premier  cas ,  ces  racines  ont  perdu  une  partie 
du  piquant  qu’on  leur  reproche  ;  dans  le  fécond 

cas> 


(  33  ï 

au  contraire ,  ce  îéger  défaut  y  efl  beaucoup 
plus  marqué  ;  ii  efl:  donc  eflentiei ,  ici  particu¬ 
lièrement  ,  de  fe  fervir  de  préférence  de  l’eau 
pour  cette  opération. 

Quand  l’eau  efl  bouillante ,  on  y  jette  les 
pommes  de  terre  fans  qu’il  foit  néceflaire  de  les 
laver  ;  on  les  laifle  fur  le  feu  environ  un  quart 
d’heure,  ou  jufqu’au  moment  qu’on  s’aperçoit 
que  leur  fuperficie  fe  crevafle  &  quelle  fléchifie 
fous  le  doigt  qui  les  prefle  ;  fl  on  les  y  laiflbit 
plus  long-temps ,  elles  fe  déformeroient  Ôc  le 
diviferoient  par  morceaux. 

Remarques . 

Il  en  efl  des  pommes  de  terre  comme  des 
racines  potagères ,  &  même  des  graines  légumi- 
neufes  ;  la  nature  de  l’eau  influe  fingulièrement 
fur  leur  prompte  &  bonne  cuiffon  ;  en  faifant 
bouillir  l’eau  ,  on  diminue  fa  crudité ,  &  en 
tenant  le  vailfeau  clos ,  on  oblige  ce  fluide  à  le 
refouler  fur  la  fubflance  à  cuire  ;  il  faut  que  nos 
racines  foient  grenues  intérieurement ,  qu’elles 
fe  rompent  avec  facilité  ,  qu’elles  aient  un  ca¬ 
ractère  vraiment  farineux  ;  alors  elles  acquièrent 
aifément  la  ténacité  &  la  confiflance  qu’on  le 
propofe  de  leur  donner  dans  l’opération  que 
nous  allons  décrire, 


C 


(  34/ 

De  la  Pulpe  de  Pommes  de  terre . 

Quand  les  pommes  de  terre  font  cuites 
convenablement ,  on  les  pèle  au  fortir  du  feu  ; 
&  par  le  moyen  d’un  rouïeau  de  bois  ou  des 
efforts  de  ia  main  ,  on  les  e'crafe  fur  une  tabie  ; 
à  peine  ont-elles  perdu  leur  forme  ,  qu’elles 
commencent  déjà  à  fe  lier  &  à  offrir  aux  yeux 
une  pâte  qui  devient  de  plus  en  plus  fpongieufe 
&  élaftique ,  fans  qu’il  foit  néceffaire  d’y  ajouter 
de  l’eau  ni  aucun  autre  fluide.  On  continue  de 
travailler  la  pulpe  jufqu’à  ce  qu’on  foit  affuré 
qu’il  n’exifle  plus  de  grumeaux  ;  alors  on  la 
met  de  côté ,  &  on  convertit  ainfi  de  fuite  la 
totalité  des  pommes  de  terre  qu’on  a  fait  cuire. 

Remarques. 

I L  feroit  impoffibïe  de  faire  du  pain  de 
pommes  de  terre  pure  ,  fans  le  concours  de  la 
pulpe  ;  c’eft  cette  pulpe  feule  qui  donne  la 
ténacité  &  le  liant  à  l’amidon  ,  qui  en  efl  abfo- 
ïument  dépourvu  ;  il  faudroit  même  que  ces 
racines  ne  fuflent  employées  qu’en  cet  état , 
lorfqu’on  a  intention  de  les  mêler  avec  ceux 
des  grains,  comme  le  farrafin,  l’orge ,  l’avoine, 
&c.  qui  ne  deviennent  qu’un  très  -  mauvais 
pain  par  eux-mêmes,  &  qu’on  bonifieroit  à  la 
faveur  de  ce  mélange. 


(35) 

L’opération  de  la  pulpe  n’a  lieu  qu’autant 
que  les  pommes  de  terre  font  encore  chaudes  ; 
&  par  une  fuite  de  cette  conféquence,  il  efl 
néceffaire  que  la  pulpe  elle-même  foit  employée 
nouvellement  faite ,  parce  qu’à  inclure  qu’elle 
fe  refroidit ,  elle  perd  de  fon  liant  &  de  fa  conti¬ 
nuité  :  en  vain ,  les  pommes  de  terre ,  quelque 
temps  après  leur  cuilîon  ,  feroient  broyées  avec 
force  &  célérité ,  elles  ne  prendroient  plus  la 
confillance  d’une  pâte  vifqueulè.  Que  faire  alors 
pour  éviter  de  cuire  plufieurs  fois  dans  la  journée  l 
c’elt  de  tremper  ces  racines  toutes  pelées  dans 
l’eau  chaude  deflinée  au  pétriffage  ;  elles  ac¬ 
quièrent  bientôt  la  faculté  de  reprendre,  fous 
le  rouleau  ,  la  ténacité  qui  leur  ell  fi  effen- 
tieile,  &  dont  on  ne  peut  pas  fe  pafier  pour  le 
travail  du  pain. 

Telles  font  les  opérations  préliminaires  que 
les  pommes  de  terre  exigent ,  lans  quoi  fart 
du  Boulanger  le  mieux  dirigé  ,  ne  fauroit  avoir 
aucune  aélion  fur  ce  végétal ,  tout  farineux  qu’il 
foit  :  il  faut  efpérer  que  le  temps  &  i’induflrie 
en  faciliteront  l’exécution  ,  par  le  fecours  des 
machines  qui  ont  rendu  tout  poiîlble.  Paflons 
maintenant  aux  détails  relatifs  à  la  converfion 
de  la  pomme  de  terre  en  pain. 


(36  ) 

Article  IL 

De  la  Fabrication  du  Pain  de  Pommes 

de  terre . 

C  O  M  M  E  on  a  i 'attention  de  faire  moudre 
fon  grain  avant  de  s’occuper  des  moyens  d’en 
compofer  du  pain  ,  il  faut  aiiHi  fe  précau¬ 
tionner  d’amidon  &  de  pulpe  de  pommes  de 
terre,  foit  pour  préparer  ie  levain,  foit  pour 
pétrir:  j’entends  déjà  des  voix  s’élever  fur  ce 
double  embarras  ;  mais  qu’on  réflécliiffe  aux 
détails  qu’exige  la  mouture  dans  les  campagnes , 
où  prefque  toujours  on  blute  foi  -  même  ,  à 
l’éloignement  des  moulins,  au  temps  que  l’on 
perd  pour  y  aller  attendre  fon  tour  &  foigner 
fon  grain,  à  la  néceflité  de  garder  un  certain 
temps  la  farine  pour  l’employer  avec  quelque 
profit ,  &  particulièrement  aux  rifques  que  l’on 
court  lorfqu’on  eft  livré  à  la  difcrétion  d’un 
Meunier  infidèle  ou  mal-adroit.  Pourra- t-on 
di fcon venir  que  les  embarras  des  opérations  que 
nous  venons  d’indiquer  ne  difparoifient  en  partie 
à  la  vue  de  ceux  qu’entraîne  néceftairement  le 
travail  de  la  converfion  des  crains  en  farine! 

O 

L’adion  variée  des  élémens  ne  peut  fufpendre 
l’extradion  de  l’amidon  ;  tout  eft  fous  la  main 


(  37  ) 

de  celui  qui  fera  du  pain  de  pommes  de  terre  , 
&  la  manipulation  ne  fera  pas  difficile,  iorfqu’oti 
en  aura  contracté  l’habitude. 

Du  Levain  de  Pommes  de  terre . 

On  ne  fauroit  transformer  les  farineux  en 
pain  ,  fans  le  concours  d’une  iubfîance  déjà  en 
fermentation  :  cette  fubflance  eft  connue  fous  le 
nom  générique  de  levain  :  c’elt  la  partie  la  plus 
eflentielîe  &  la  plus  délicate  de  la  Boulangerie. 

Prenez  une  demi-livre  de  pulpe  de  pommes 
de  terre ,  &  autant  de  leur  amidon ,  que  vous 
mêlerez  avec  quatre  onces  d’eau  chaude  ;  portez 
enfuite  ie  mélange  dans  un  endroit  chaud  :  au 
bout  de  quarante-huit  heures,  il  exhalera  une 
légère  odeur  aigre  ;  alors ,  ajoutez  à  cette  malle 
une  nouvelle  quantité  d’amidon ,  de  pulpe  & 
d'eau  chaude,  que  vous  expoferez  dans  la  même 
température  ,  &  pendant  autant  de  temps  ,  ce 
que  vous  répéterez  encore  une  fois  :  cette  pâte 
ainfi  préparée ,  acquiert  en  fix  jours  la  faculté 
d’agir  en  qualité  de  levain  de  chef. 

Remarques* 

La  préparation  que  nous  venons  d’indiquer, 
n’aura  plus  lieu  dans  la  continuité  des  fournées  ; 
on  mettra  de  côté  chaque  fois  que  l’on  cuira , 

C  uj 


(  3  8  ) 

un  morceau  de  pâte,  à  l’exemple  des  perfonnes 
qui  font  chez  elles  le  pain  néceffaire  à  la  con- 
fommation  de  leur  famille  ;  alors  il  ne  fera  plus 
queftion ,  ni  de  faire  aigrir  une  pâte  d’avance , 
ni  d’employer  fix  jours  à  la  préparation  du 
levain  de  chef 

On  pourroit  s’épargner  tout  l’embarras  que 
donne  la  préparation  de  ce  levain  de  chef , 
fi ,  au  lieu  de  laiffer  aigrir  d’elle- même  la  pâte 
de  pommes  de  terre ,  on  y  introduiloit  d’abord 
une  très-petite  portion  de  levain  quelconque  : 
nous  obferverons  même  qu’il  n’acquiert  le  vrai 
caractère  d’un  bon  levain  ,  qu’à  mefure  qu’il 
s’éloigne  de  l’époque  de  fa  première  formation  ; 
cette  loi  eft  commune  pour  tout  levain  com¬ 
pote  fuivant  cette  méthode ,  fût-ce  même  celui 
de  froment,  dont  le  pain  eft  toujours  mat  & 
lourd  dans  le  commencement  de  l’emploi  d’un 
pareil  levain  ;  à  plus  forte  raifon  le  pain  de  pommes 
de  terre,  qui  a  befoin  plus  qu’aucun  d’avoir  un 
levain  parfait. 

Du  fécond  Levain . 

On  délayera,  la  veille  au  foir,  le  levain  de 
chef  dans  de  l’eau  chaude  ,  &  on  y  mêlera 
parties  égales  de  pulpe  &  d’amidon  de  pommes 
de  terre ,  dans  la  proportion  de  la  moitié  de  la 


(  39  ) 

pâte  ;  en  forte  que  fi  on  veut  en  faire  cent  ïîvres , 
on  préparera  cinquante  livres  de  levain  :  dès  que 
ïe  mélange  fera  exaét  &  complet,  on  le  mettra  dans 
une  corbeille,  ou  on  ïe  laiffera  dans  ïe  pétrin 
pendant  ïa  nuit ,  ayant  foin  de  ïe  bien  couvrir  ôc 
de  le  tenir  chaud  julqu’au  lendemain  matin. 

Remarques. 

Comme  il  n’y  a  pas  de  balances  dans  tous 
ïes  ménages ,  &  qu’ii  eft  d'ailleurs  pïus  faciïe 
d’eflimer  le  poids  par  ïa  mefure ,  on  parviendra 
bientôt  à  connoître  ainfi  lapefanteuj  de  l’amidon; 
celle  de  ïa  pulpe  s’acquerra  également  par  ce 
moyen,  puifque  ïes  pommes  de  terre,  dans  cet 
état  ,  n’éprouvent  prefqu’aucun  déchet  ,  & 
qu’elles  font  toujours  employées  fous  l’une  ôc 
ï’autre  forme  à  parties  égales. 

Du  Pétriffage. 

Le  ïevain  préparé  dès  ïa  veilïe,  doit  avoir 
pris  un  peu  de  gonflement  ,  être  crevafTé  à 
différens  endroits  de  ïa  fuperfrcie  ,  &  exhaler 
une  odeur  aigre  ;  en  cet  état  on  peut  s’en  fervir 
dans  ïe  pétrifîage ,  &  le  mêler  avec  une  même 
quantité  de  pulpe  ôc  d’amidon  ,  de  manière  que , 
fi  ces  fubftances  font  toujours  employées  dans 
ïes  mêmes  proportions ,  foit  pour  ïa  compofitîon 

C  iv 


(  4°  ) 

du  ievain ,  foit  pour  celle  de  la  pâte  :  il  faut  né- 
ceffairement  que  ie  ievain  fe  trouve  pour  moitié 
dans  iamafle  totale,  &  beau  pour  un  cinquième. 
Cette  condition  dans  ies  quantités ,  efl  d’autant 
plus  avantageufe  qu’elle  ne  peut  que  contribuer 
à  favorifer  l’exécution  du  procédé  que  je  décris. 

Pour  préparer  la  pâte,  on  place  le  levain  au 
milieu  de  l’amidon,  environné  de  la  pulpe  divifée 
par  morceaux  ;  on  délaye  ce  ievain  avec  de  l’eau 
chaude,  à  laquelle  on  ajoute  un  demi-gros  de 
fel  par  livre  de  mélange ,  &  quand  tout  efl 
confondu  par  ie  pétrillage ,  on  fait  fubir  à  la 
pâte  les  différentes  opérations  qui  peuvent  aug¬ 
menter  fa  vifcofité  &  fa  ténacité  ,  c’efl-à-dire  , 
en  la  foulevant,  la  raüemblant ,  la  battant,  & 
non  en  y  enfonçant  les  poings  ,  en  la  fou¬ 
lant  à  force  de  bras,  ainfl  que  cela  le  pratique 
inal-adroitement  dans  les  campagnes,  &  dans 
la  plupart  des  villes  pour  1e  pain  des  différens 
grains. 

Remarques. 

9 

Comme  il  efl  très-aifé  d’avoir  des  pains  de 
différentes  confiflances  avec  la  même  farine , 
en  variant  feulement  l’eau  qu’on  emploie  au 
pétrifïage  ;  il  s’enfuit  qu’on  pourroit  obtenir  de  , 
la  même  efpèce  de  pommes  de  terre ,  un  pain 


(  4i  ) 

plus  léger  ou  pïus  ferme  :  il  fuffiroit  de  rendre 
la  pâte  plus  molette  ou  plus  folide  ,  6c  d’être  très- 
agile  pour  la  manier ,  par  rapport  à  la  difpofition 
qu’elle  a  de  fe  rompre. 

On  pourroit  aufli  varier  la  quantité  de  fel ,  6c 
en  mettre  plus  ou  moins  d’un  demi-gros  par 
livre  de  pâte  ;  mais  la  préfence  de  cet  alfaifon- 
nement  eft  abfolument  néceiïàire  ,  à  caufe  de 
ia  fadeur  naturelle  des  pommes  de  terre ,  que  la 
fermentation  ne  relève  pas  fuffilamment. 

Quant  à  la  température  de  l’eau ,  qui  doit 
toujours,  pour  notre  travail,  approcher  de  l’état 
bouillant,  ce  fluide  porté  à  un  pareil  degré  de 
chaleur ,  loin  de  détruire  ,  comme  dans  le  fro¬ 
ment  ,  la  giutinofité  de  la  pâte  ,  concourt  à 
fa  formation  :  c’elt  ainfl  que  fouvent  on  par¬ 
vient  au  même  but  par  des  voies  différentes  6c 
oppofées. 

De  V  Apprêt  de  la  pâte  de  Pommes  de  terre . 

A  peine  la  pâte  elt-eîle  pétrie  ,  qu’il  faut 
fonger  à  la  divifer  6c  à  la  façonner  en  pains  : 
on  la  diflribue  par  demi-livre ,  par  livre  ,  par 
deux  livres,  par  quatre  livres,  fous  des  formes 
différentes ,  dans  des  febiles  ou  dans  des  pane¬ 
tons  d’ofier  ,  revêtus  intérieurement  de  toile 
bien  faupoudrés  de  petit  fon  ou  d’amidon ,  afin 


(  42  ) 

d'empêcher  l’adhérence  de  la  pâte ,  qui  a  lieu 
aifément  fans  cette  précaution  :  on  recouvre 
ces  panetons  avec  une  toile  mouillée  ;  on  les 
laide  dans  un  endroit  chaud  I’efpace  de  fix 
heures ,  plus  ou  moins ,  fuivant  la  faifon. 

Remarques. 

La  fermentation  dans  une  pâte  quelconque, 
elt  plus  ou  moins  prompte  à  s’établir  :  fi  le 
Boulanger ,  avec  la  meilleure  farine ,  ne  peut 
déterminer  le  temps  de  l’apprêt,  puifque  ce 
temps  eft  réglé  fur  la  faifon  ,  il  n’y  aura  que 
l’expérience  &  fobfervation  qui  apprendront 
combien  de  temps  il  faut  lai  (fer  le  pain  de 
pommes  de  terre  fermenter;  nous  remarquerons 
feulement  que  c’eft  à-peu-près  dans  tous  les 
temps  &  dans  tous  les  lieux ,  deux  fois  plus  que 
celui  de  froment  ;  il  faut  à  ce  pain  un  apprêt 
lent,  &  cependant  un  peu  avancé:  on  s’aperçoit 
qu’il  en  elt  à  ce  point ,  par  quelques  fignes 
extérieurs  ,  tels  que  le  gonflement ,  les  petites 
crevafles  &  un  peu  d’élalticité  à  la  fuperficie. 

De  la  Cuijfon  du  Pain  de  Pommes  de  terre* 

DÈS  que  le  levain  a  été  préparé  la  veille  au 
foir  ,  que  le  pétriffage  a  été  bien  fait  le  lende¬ 
main  matin ,  que  la  pâte  a  été  tournée  auffitôt 


(  43  ) 

&  diffribuée  dans  des  febiles  ou  des  corbeilles , 
enveloppées  de  toiles  ou  de  couvertures 
mouillées,  il  faut  attendre  un  intervalle  encore 
de  quatre  heures  pour  mettre  le  feu  au  four, 
lequel  demande  deux  heures  pour  le  chauffer 
doucement  &  également  ;  alors  on  enfourne  la 
pâte  dont  Ton  mouille  encore  la  furface;  elle  y 
demeure  environ  deux  heures ,  &  après  cela  on 
la  retire  du  four,  fuivant  les  règles  prefcrites. 

Remarques, 

Ceux  qui  fe  propofent  de  faire  du  pain  de 
pommes  de  terre  ,  auront  déjà  vraisemblable¬ 
ment  une  idée  du  travail  de  la  Boulangerie  , 
de  la  manière  de  pétrir ,  de  chauffer  le  four , 
&  d’y  mettre  le  pain  cuire  :  je  m’arrête  feule¬ 
ment  à  montrer  les  petites  différences  que  le 
pain  qui  nous  occupe  exige  dans  fà  manu¬ 
tention  :  il  demande  une  fermentation  &  une 
cuiffon  lentes  &  avancées  :  fi  la  pâte  reiloit 
moins  de  temps  à  fermenter  &  dans  un  endroit 
plus  chaud ,  que  le  four  fût  plus  vif  ;  elle  ne 
léveroit  &  ne  cuiroit  point  convenablement. 

Afin  de  déterminer  à  ne  négliger  aucune  des 
précautions  que  j’indique  ,  il  faut  quelquefois 
rendre  raifort  de  leurs  effets  :  or,  ft  je  recom¬ 
mande  de  tenir  toujours  la  furface  de  ce 


i 


(44) 

pain  humide  ,  c’eft  pour  empêcher  qu’elle  ne 
foit  tout  d’un  coup  faifie  par  la  chaleur,  &  que 
devenue  trop  brufquement  épaiffe ,  elle  ne  re¬ 
tienne  l’humidité  dans  l’intérieur ,  empêche  le 
centre  de  cuire  ,  &  la  mie  d’être  reffuyée 
fuffîfamment. 

Du  Pain  de  Pommes  de  terre. 

Si  les  différentes  opérations  que  nous  avons 
détaillées  précédemment  ,  ont  été  exécutées  , 
ainli  qu’il  a  été  prefcrit ,  nous  ofons  affluer, 
d’après  des  expériences  répétées  &  variées,  que 
l’on  obtiendra  des  pommes  de  terre  feules ,  un 
pain  blanc  parfaitement  levé  Ôl  très-nourriffant , 
fans  aucun  mélange  de  farine;  il  a,  il  eft  vrai, 
un  petit  goût  herbacé  ôl  fauvage  qui  appartient 
à  la  pomme  de  terre  ;  mais  quel  qu’il  ioit ,  il 
n’efï  pas  à  comparerait  défagrément  du  far  r  a  fin , 
de  l’avoine  ,  de  forge  ,  &c.  fous  la  forme  de 
pain. 

Le  pain  de  pommes  de  terre  eft  donc  coin- 
pofée  de  parties  égales  d’amidon  &  de  pulpe  , 
d’un  demi-gros  de  (el  par  livre  de  mélange;  beau 
qui  forme  le  cinquième  de  la  maffe  générale  , 
fe  dilbpe  entièrement  pendant  la  cuiffon  ,  ôl 
entraîne  encore  avec  elle  un  douzième  à  peu- 
près  de  celle  qui  conftitue  effentiellement  la 


puïpe;  d’où  il  fuit,  qu’une  livre  de  pain  repré¬ 
fente  trois  livres  &  demie  de  pommes  de  terre , 
&  que  dans  ce  déchet ,  nos  racines  n’ont  perdu 
que  leur  humidité  furabondante  ,  fans  que  la 
partie ,  principalement  nutritive  qui  les  conflitue , 
ait  été  affaiblie  dans  fes  effets. 

Des  produits  de  la  Pomme  de  terre  en  pain. 

Les  calculs  du  produit  des  grains ,  roulent 
ordinairement  fur  celui  d’un  fetier;  mais  comme 
il  efi:  pofîible  de  déterminer  ce  produit  d’après  de 
moindres  quantités ,  d’une  livre ,  par  exemple ,  je 
me  fervirai  de  ce  moyen ,  afin  de  fixer ,  de  la  ma¬ 
nière  la  plus  précife,  combien  il  faut  employer  de 
pommes  de  terre  pour  avoir  une  livre  de  pain. 

État  de  la  quantité  de  pommes  de  terre  nécejjaire 
pour  obtenir  une  livre  de  pain  *. 


Sa  voir; 


A  midon . . . . 

onc. 

0  1 

IÎV. 

1 

onc. 

Pulpe . .  . . 

9  S 

.  I . 

2. 

Lau  employée  au  pétriffage .  . . 

// 

4“ 

Pâte  réfultante  du  mélange . 

I . 

6. 

Ces  22  onces  de  pâte  mifes  au  four, 

éva- 

porent  durant  la  cuiffon. .  . . 

// 

6. 

Le  pain  après  le  refroidiffement  pèfe. 

•  •  « 

I . 

// 

Poids  égal  à  celui  de  la  pâte . 

I . 

6. 

*  La  pomme  de  terre  donne  trois  onces  d’amidon  par 

livre ,  &  réduite  en  pulpe,  elle  ne  foudre  prefqu’aucuri  déchet; 


■(  4*  y 

On  voit  d’après  ce  tableau  de  résultats ,  que 
pour  avoir  neuf  onces  d'amidon  &  dix  onces 
de  pulpe ,  il  faut  trois  livres  de  pommes  de  terre 
pour  f  un ,  &  dix  onces  pour  l'autre  ;  ce  qui  forme 
en  tout  trois  livres  dix  onces  de  ces  racines ,  qui 
font  réduites  à  une  livre  de  pain  :  cependant 
il  eft  bon  d’obferver  qu’on  gagnera  quelque 
chofe  fur  les  greffes  malfes  qui  évaporent  moins 
en  proportion  que  les  petites  ;  la  pomme  de  terre 
fuivra  en  cela  les  produits  ordinaires  des  grains. 

Réflexions  fur  le  prix  du  Pain  de  Pommes 

de  terre » 

Comment  parviendroit-on  à  établir  d’une 
manière  pofitive  le  prix  auquel  pourroit  revenir 
le  pain  de  pommes  de  terre  ,  puifque  dans  une 
infinité  d’endroits  du  Royaume,  la  culture  de 
ces  racines  n’eft  pas  encore  relative  à  la  contam¬ 
ination  journalière  qui  s’en  fait  î  On  ne  peut 
donc  donner  tout  au  plus  qu’un  aperçu  de  ce 
qu’il  pourra  coûter  dans  les  provinces  où  ces 
racines  font  très- communes  ?  &  font  la  bafe  de 
la  nourriture  des  habitans. 

Le  fac  de  pommes  de  terre  contenant  douze 
boiffeaux,  pèfe  deux  cents  dix-huit  livres  environ, 
ce  qui  équivaut  à  un  fetier  de  blé ,  rnefure  de 
Paris  ,  de  médiocre  qualité  :  il  coûte  7  année 


(  47  ) 

commune  ,  de  trente  à  quarante  fols  dans  îes 
cantons  où  cette  culture  eft  en  faveur.  D’après  ce 
qui  vient  d’être  dit  fur  ce  qui  eft  néceffaire  pour 
produire  une  iivre  de  pain  ,  il  en  faut  quatre 
facs  juftes  du  poids  de  deux  cents  dix-huit  livres , 
pour  fournir  la  même  quantité  de  pain  &  auflî 
nourriffant  qu’en  rend  un  fetier  du  meilleur 
froment. 

On  objectera  fans  doute  que  les  frais  de  pré¬ 
paration  de  l’amidon  &  de  la  pulpe,  étrangers 
à  la  fabrication  du  pain  ordinaire,  rendront  celle 
dont  il  s’agit  plus  difpendieufe ,  vu  d’ailleurs 
que  les  frais  de  mouture  &  de  tranfport  font 
au  moins  payés  par  la  vente  des  fous  ;  mais  c’eft 
auffi  pour  balancer  une  partie  de  ces  frais ,  que 
nous  n’avons  pas  fait  entrer  en  compte  dans 
les  produits  des  trois  livres  dix  onces  de  pommes 
de  terre  converties  en  pain  ,  la  matière  fibreufe 
réfultante  de  l’extraélion  de  l’amidon ,  &  qu’on 
peut  introduire  dans  la  compofition  du  paip  bis 
que  nous  allons  indiquer  ,  avec  d’autant  plus 
d’empreffement  qu’il  ne  forme  aucune  fpécula- 
tion  de  gloire  &  de  fortune  fur  ce  travail. 

Je  ne  m’étendrai  pas  davantage  à  l’égard  du 
prix  que  le  pain  de  pommes  de  terre  coûteroit 
dans  les  pays  pour  iefquels  il  eft  particulière¬ 
ment  defliné  :  il  fera  très-aifé,  d’après  ces  courtes 
réflexions ,  d’en  avoir  l’aperçu. 


(  48  ) 

Du  Pain  bis  de  Pommes  de  terre , 

On  nétoye  &  on  lave  les  pommes  de  terre , 
après  ceia  on  les  coupe  par  tranches  affez 
ép aides ,  que  l’on  étend  en  fuite  lur  une  claie 
ou  fur  des  tamis ,  au- défi  us  d’un  four  de  Bou¬ 
langer  ;  en  moins  de  24  heures  elles  ont  perdu 
leur  humidité  fuperfue ,  la  furface  fè  ternit , 
devient  grife  ;  c’eft  alors  que  ces  racines  acquiè¬ 
rent  la  propriété  de  fe  réduire  en  farine  >  &  011 
y  procède  à  la  faveur  du  pilon ,  ou  par  le 
moyen  des  meules  :  la  poudre  qu’on  en  obtient 
a  le  toucher ,  la  couleur  &  fodeur  des  farines  bifes. 

On  prend  deux  parties  de  cette  farine  &  une 
de  la  matière  fibreufe ,  que  l’on  mêle  enfemble  ; 
on  ajoute  à  ce  mélange  un  poids  égal  de  pulpe  ; 
le  levain  de  pommes  de  terre  y  entre  pour 
moitié  :  on  procède  enfuite  aux  opérations  du 
pétriffage  ,  en  fuivant  la  méthode  que  nous 
avons  indiquée  dans  cet  article. 

Comme  le  pain  dont  il  s’agit  doit  être  le  plus 
économique  pofîible  ,  on  pourrait  fe  dilpenfer 
de  peler  les  pommes  de  terre:  l’expérience  a  défà 
fait  connoitre  que  le  pétriflage,  exécuté  par  des 
bras  vigoureux ,  achevoit  de  divifer  la  peau  de 
ces  racines  ,  en  forte  qu’on  rfen  rencontre  plus 
aucuns  velliges  dans  l’intérieur  du  pain  bis. 

RÉC  A  P1TUL  A  TI  O  N. 


(  4P  )’ 

récapitulation. 

I  L  ré  fui  te  de  tout  ce  qu’on  vient  d’expofer  , 
que  la  pomme  de  terre  qui  n’a  pu  jufqu’à  préfent 
être  convertie  en  pain  blanc  &  bien  levé  ,  fans 
le  mélange  d’une  farine  quelconque  ,  n’exige 
cependant  aucun  fecours  étranger  pour  prendre 
la  forme  de  cet  aliment  ;  tout  l’art  confifle  à  faire 
fubir  à  ces  racines  deux  opérations  particulières 
avant  de  leur  appliquer  le  procédé  du  bou¬ 
langer;  la  première  eft  l’extraélion  de  l’amidon  , 
la  fécondé  concerne  la  préparation  de  la  pulpe  ; 
dans  l’un  &  l’autre  cas  la  pomme  de  terre  n’a  rien 
perdu  de  fes  propriétés  nutritives ,  elle  a  gagné - 
au  contraire  de  ce  côté  par  le  moyen  de  la 
fermentation  panaire  ,  qui  ,  comme  l’on  fait  , 
améliore  tous  les  farineux  indiftinétement  ;  mais 
pour  réfumer  en  peu  de  mots,  voici  ce  qu’if 
convient  de  préfenter  encore  fous  le  point  de 
vue  le  plus  rapproché. 

Toutes  les  efpèces  de  pommes  de  terre  cul¬ 
tivées  ,  peuvent  fervir  à  la  fabrication  du  pain  : 
il  n’y  en  a  point  qui  ne  renferment  intérieu¬ 
rement  plus  ou  moins  d’amidon ,  ainfi  que  les 
différentes  parties  propres  à  acquérir  par  la 
cuifïon  &  par  le  broyement ,  le  caractère  d’une 
pâte  blanchâtre;  tenace,  vifqueufe  de  diadique* 

D 


(  5°  ) 

Quelles  que  foient  les  variétés  des  pommes 
de  terre  ,  &  l’état  où  elles  fe  trouvent  au  moment 
de  leur  emploi,  on  en  retire  conftamment  de 
l’amidon,  qui  ne  diffère  que  par  la  quantité: 
chaque  livre  de  ces  racines  en  donne  ordinaire¬ 
ment  trois  onces ,  mais  celles  d’entr’eiles  qui  font 
grifes  à  ieur  fuperficie  étant  plus  farineufes  , 
abondent  davantage  en  amidon. 

i 

Si  les  pommes  de  terre  rouges  ou  blanches , 
longues  ou  rondes  ,  groffes  ou  petites ,  gelées  , 
germées  ou  non  mûres ,  &c.  fournirent  de  l’a¬ 
midon  femblable  en  qualité  :  il  n’en  elt  pas  de 
même  de  leur  pulpe  ,  cette  préparation  exige  du 
choix  ;  les  rouges  femblent  avoir  plus  de  vifco- 
fité ,  elles  méritent  par  conféquent  la  préférence, 
mais  il  elt  important  que  pour  l’objet  en  queliion, 
ces  racines  foient  exemptes  de  tout  défaut. 

Dans  l’opération  de  l’amidon ,  les  pommes  de 
terre  perdent  les  deux  tiers  au  moins  de  leur 
poids  :  le  déchet  qu’elles  éprouvent  au  contraire 

pour  palier  à  l’état  de  pulpe ,  fe  réduit  à  peu  de 

. 

chofe,  parce  que  l’eau  où  elles  cuifent,  rem¬ 
place  à  peu-près  celle  qui  fera  perdue  au  feu. 

Que  l’amidon  foit  parfaitement  lavé  &  la  pulpe 
exactement  égale  &  vifqueufe,  fans  quoi  le  pé- 
triffage  le  mieux  exécuté  ne  produira  qu’un  pain 
gris  &  mal  levé. 


(  5  1  ) 

Il  eff  poffible  de  fe  fervir  de  l’amidon  dans 
l’état  fec  &  dans  l’état  humide ,  immédiatement 
ou  long-temps  après  fa  préparation ,  n’importe 
qu’il  provienne  d’autres  végétaux  que  de  la 
pomme  de  terre  ou  des  grains.  , 

La  pulpe  veut  être  employée  fur  le  champ 
&  dès  qu’elle  eft  faite,  vu  qu’à  mefure  qu’elle 
s’éloigne  de  l’époque  de  fa  préparation ,  elle 
perd  cette  vifcofité  &  cette  élafticité  fi  effentielles 
pour  opérer  l’effet  defiré. 

Lorfque  les  pommes  de  terre  font  fuffifain- 
ment  cuites  &  tout-à-fait  refroidies  ,  elles  fe  trans¬ 
forment  difficilement  en  une  pâte  élafiique  ;  mais 
fi  on  les  plonge  dans  l’eau  bouillante ,  &  qu’on 
les  y  laiffe  allez  de  temps  pour  que  la  chaleur 
les  pénètre  ,  elles  reprennent  bien-tôt  fous  le 
rouleau ,  comme  auparavant ,  la  confifiance  d’une 
pâte  tenace  &  vifqueufe  ;  il  faut  feulement  avoir 
la  précaution  de  les  dépouiller  de  leur  peau 
au  fortir  du  feu. 

Les  proportions  de  l’amidon  &  de  la  pulpe 
ne  varient  jamais,  foit  dans  la  compofition  du 
levain,  foit  pour  celle  de  la  pâte,  c’elt  toujours 
parties  égales  de  l’un  &  de  l’autre. 

L’eau  deftinée  au  pétrifiage  du  levain  ou  de 
la  pâte  ne  fauroit  être  trop  chaude ,  elle  forme 
le  cinquième  du  mélange. 

D  ij 


(  52  ) 

La  quantité  de  ievain  efl  déterminée  par 
celle  de  la  pâte  :  elle  en  fait  la  moitié  ,  de 
manière  que  pour  cent  iivres  de  pain,  il  faut 
cinquante  iivres  de  ievain. 

L’affaifonnement  efl  efîentiel  à  ia  pomme  de 
terre,  ious  quelque  forme  qu’on  en  faiïe  ufage  ; 
il  lui  en  faut  moins,  ii  efl  vrai,  dans  i’état  de 
pain  ;  un  demi-gros  par  iivre  fuffit. 

Piufieurs  circonflances  peuvent  faire  changer 
les  proportions  établies  entre  l’amidon  &  ia 
pulpe,  le  levain  &  la  pâte,  i’eau,  le  fei,  &c. 
mais  aiors  on  auroit  des  pains  de  confiflance, 
d’afpeét  &  de  goût  difïérens. 

La  pâte  étant  bien  pétrie  &  tournée  comme 
ii  convient,  demande  un  apprêt  lent  &  une 
cuiiïon  graduée  ;  ii  lui  faut  donc  une  fermen¬ 
tation  foutenue  long- temps  &  un  four  très-doux  ; 
ainfi  pour  fabriquer  le  pain  dont  ii  s’agit,  on 
procédera  de  la  manière  fui  vante. 

On  prendra  un  morceau  de  pâte  aigrie  d’elle- 
même ,  luivant  la  méthode  indiquée  ;  ou  mieux, 
un  peu  de  levain  que  l’on  délayera  le  foir  dans  une 
pinte  d’eau  chaude  ;  on  y  ajoutera  enfuite  deux 
livres  d’amidon  &  autant  de  pulpe  de  pommes 
de  terre  ;  le  mélange  une  fois  achevé  ,  fera 
couvert  &  placé  dans  un  endroit  chaud  jufqu’au 
lendemain  matin  ;  c’eft  alors  qu’il  faudra  Longer 
au  pétriffage. 


(  53  ) 

On  étendra  le  levain  ainfi  prépare'  dans  une 
nouvelle  pinte  d’eau  où  l’on  aura  fait  fondre 
une  demi -once  de  tel;  &  le  tout  fera  incorporé 
avec  la  même  quantité  d’amidon  8c  de  pulpe 
que  la  veiiîe  :  la  pâte  étant  bien  pétrie ,  fera 
didribuée  en  huit  parties  dans  des  corbeilles 
ou  dans  des  fi  biles  faupoudrées  de  fon  ,  que 
l’on  couvrira  &  expofera  dans  un  endroit  tem¬ 
péré  l’efpace  de  fx  heures,  plus  ou- moins 
fuivant  la  faifon  ;  le  dernier  objet  dont  il  faille 
s’occuper  enfuite  efl  la  cuifîon. 

Quatre  heures  après  que  la  pâte  fera  mife  à 
lever ,  il  faudra  commencer  à  chauffer  le  four , 
avec  la  précaution  de  n’employer  que  peu  de 
bois  à  la  fois  ;  quand  il  fera  à  fon  vrai  point , 
on  enfournera  ;  mais  avant  ,  on  mouillera  la 
fuperficie  de  la  pâte  ,  au  bout  d’une  heure 
8c  demie  ou  deux  heures  le  pain  fera  cuit. 

Quoique  les  pommes  de  terre,  dont  je  me 
fuis  fervi  pour  mes  expériences ,  ne  foient  pas 
les  meilleures  efpèces  connues  ,  qu’elles  pro¬ 
viennent  même  d’une  année  qui  a  été  défavo¬ 
rable  à  leur  végétation,  j’en  ai  obtenu  cependant 
un  pain  blanc  8c  bien  levé  :  on  aura  le  même 
fuccès  en  fuivant  la  méthode  que  j’indique, 
pourvu  toutefois  qu’on  fe  faiTe  aider  par  un 
Boulanger  qui  veuille  exécuter  à  la  lettre  ce  que 
je  p  refais, 


(54) 

Pour  bien  juger  du  mérite  d’une  découverte , 
il  faut  diftinguer  ce  qu’elfè  a  de  curieux ,  d’avec 
Futilité  dont  elle  peut  êire  un  jour  ;  ceux  qui 
connoiflent  les  difficultés  de  l’Art  ,  n’ont  pu 
voir  fans  furprife,  une  racine  groffière,  compare 
&  aqueufe ,  transformée  en  un  pain  blanc  & 
léger  :  c’efi:  un  fait  qui  réfout  le  problème  dans 
toute  la  généralité  dont  il  ell  fufceptible ,  puif- 
qu’il  prouve  qu’un  végétal  qui  ne  contient  ni 
gluten ,  ni  matière  fucrée,  peut  fe  changer  en  un 
pain  comparable  à  celui  de  froment  :  enfin ,  ce  fait 
répand  le  plus  grand  jour  fur  la  panification. 

Le  pain  de  pommes  de  terre ,  confidéré  fous 
le  point  de  vue  économique  ,  n’a  pas  moins  le 
droit  d’intérefîer  ;  il  peut  devenir  un  fupplément 
dtans  les  temps  de  difette  de  grains ,  &  une 
reffource  dans  tous  les  cas  pour  les  pays  où  ces 
racines ,  cultivées  en  grand  ,  forment  la  bafe  de 
la  nourriture  journalière  de  leurs  habitans  ,  qui 
ne  font  ufage  que  d’un  pain  noir,  coûteux 
<&  détefiable  :  combien  d’autres  découvertes 
accueillies  à  leur  origine ,  fans  prévoir  l’utilité 
dont ,  par  hafard ,  elles  fe  font  trouvées  être  , 
quelques  fiècles  après  :  tandis  que  celle-ci  porte 
avec  elle  une  utilité  réelle ,  fans  attendre  que  des 
circonftances  fatales  la  rendent  indifpenfable. 

Je  ne  puis  me  difpenfer  en  finiflant }  d’ob- 


(  55  ) 

ferver ,  que  parmi  ceux  qui  cultivent  les  Sciences , 
les  uns  fe  montrent  les  détracteurs  des  travaux 
les  plus  intéreffans ,  parce  que  leurs  idées  s’y 
trouvent  contrariées  ;  les  autres  font  aux  aguets 
pour  les  contredire  ou  pour  s’en  emparer  :  iî 
y  en  a  enfin,  &  je  defire  que  ce  foit  le  plus 
grand  nombre ,  qui  ne  defirant  dans  une  dé¬ 
couverte  que  fon  utilité  ,  la  faififient  dès  l’inftant 
qu’elle  eft  fenfible  ,  &  lui  font  obtenir  bien¬ 
tôt  le  degré  d’eftime  dont  elle  eft  digne  :  c’elt 
à  ceux-là  que  je  m’adrefie ,  &  que  je  leur  réitère 
mes  inltances  ,  en  leur  difant  :  Le  travail  que 
je  publie  ejl  le  fruit  de  la  perfévérance ,  fon  utilité 
fera  votre  ouvrage;  en  le  perfectionnant ,  vous  con¬ 
courrez  au  bien  général  :  ef-il  jouijfance  plus  déli - 
cieufe  que  celle  de  féconder  en  même  temps  les  vues  du 
Gouvernement  !  Heureux ,  qui  fachant ,  comme  vous  » 
apprécier  la  valeur  des  infans ,  les  confaçre  tous  à 
la  félicité  de  fes  femblables  ! 

FIN.